Le Timor oriental fait face à son histoire

Transcription

Le Timor oriental fait face à son histoire
Internationales Katholisches Missionswerk e.V.
Œuvre Pontificale Missionnaire
Secteur « Droits de l’Homme »
Dr. Otmar Oehring (éditeur)
Postfach 10 12 48
D-52012 Aachen
Tel.: 0049-241-7507-00
Fax: 0049-241-7507-61-253
E-mail: [email protected]
© missio 2005
25
Menschenrechte
Human Rights
ISSN 1618-6222
Numéro de commande 600 283
Droits de l’Homme
Monika Schlicher
Le Timor oriental
fait face à son
histoire :
le travail de la Commission
d’accueil, de vérité et de
réconciliation
Publications parues/en préparation
1
Depuis la fin de la domination indonésienne, la paix règne au Timor oriental. Il s’agit désormais de
surmonter les divisions et de mettre en œuvre une réconciliation durable. Selon Manuel Abrantes
de la commission Justitia et Pax, surmonter la culture de la violence est l’un des plus grands défis
de la société timoraise. Pour ce faire, et grâce entre autre à l’Église catholique, une commission de
vérité et de réconciliation a été créée. Elle a débuté ses travaux en janvier 2002. La Commission s’était
donnée pour tâche d’enquêter sur les crimes contre les droits de l’homme perpétrés par l’armée indonésienne d’avril 1974 à son retrait en octobre 1999. L’étude intitulée « Le Timor oriental fait face à son
histoire : le travail de la Commission d’accueil,de vérité et de réconciliation » décrit quel chemin ardu représente pour le Timor oriental l’examen de son passé et en montre le lien avec les procédures juridictionnelles. L’histoire conflictuelle du pays est mise en lumière grâce aux auditions menées à l’échelle
nationale sur des thèmes d’importance plus générale. La Commission de vérité a reçu un très bon
accueil au Timor oriental et a travaillé sur l’ensemble du territoire. Elle a conforté l’espoir de reconstruire la société, notamment en cicatrisant les vieilles blessures. Un de ses mérites majeurs a été de
donner pour la première fois aux gens l’occasion de parler des crimes et des événements et de s’informer mutuellement. Ce processus a ainsi permis aux victimes de voir leurs souffrances reconnues
officiellement et publiquement en même temps qu’il mettait au jour les responsabilités. La Commission a enregistré plus de 7 500 dépositions de victimes, de témoins et d’auteurs de violations de
droits de l’homme et réalisé plus de 1 400 Procédures de réconciliation.
Monika Schlicher, née en 1964 à Kaiserslautern ; études d’histoire et de sciences politiques de l’Asie
du Sud-est à l’université de Heidelberg, 1995 thèse de doctorat sur la politique coloniale portugaise
au Timor oriental, 1994-96 chercheur et chargée de cours à la chaire de sciences politiques de
l’Institut d’Asie du Sud de l’université de Heidelberg ; 2001 et 2004 chargée de cours au département d’Études indonésiennes de l’Université Humboldt de Berlin ; depuis 1997 co-directrice de
« Watch Indonesia ! », groupe de recherche sur les droits de l’homme, la démocratie et la protection de l’environnement en Indonésie et au Timor oriental ; nombreuses publications et conférences
sur la situation des droits de l’homme, sur la politique et la société au Timor oriental et en Indonésie ; co-directrice de publication de la revue Indonesien-Information (Information sur l’Indonésie) et
du mensuel Infodienst zu Indonesien und Osttimor (Lettre de l’Indonésie et du Timor oriental). Coordinatrice de la mission d’observation du processus électoral de 1999, organisée en coopération
avec les organismes religieux, ainsi que des relations publiques et du lobbying qui l’ont accompagné ;
en 2002 coordination avec Alex Flor du processus d’observation du Tribunal ad hoc pour les
droits de l’homme de Jakarta sur les crimes commis au Timor oriental en 1999, en coopération avec
missio Aix-la-Chapelle notamment.
Remerciements : Je remercie tout particulièrement mes interlocutrices et interlocuteurs au Timor
oriental, sans qui ce travail n’aurait pu être mené. Je remercie Maria Tschanz, Marianne Klute, Leonie von Braun, Petra Stockmann et Alex Flor pour leurs suggestions, leurs commentaires critiques
et leur soutien. Enfin, je remercie le secteur droits de l’homme de l’Internationale Katholische
Missionswerke, Œuvre pontificale missionnaire, missio, d’Aix-la-Chapelle, de publier cette recherche
et de permettre ainsi de rendre hommage au travail de la Commission de vérité et que les crimes
contre les droits de l’homme commis au Timor oriental ne tombent pas dans l’oubli.
La situation des Droits de l’Homme en République
populaire de Chine – Liberté de religion
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 201
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 211
en français (2002) – Numéro de commande 600 221
2 Droits de l’Homme en République Démocratique
du Congo: de 1997 à nos jours. Un défi pour les Eglises
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 202
en anglais (2001) – Numéro de commande 600 212
en français (2002) – Numéro de commande 600 222
3 La situation des Droits de l’homme en Indonésie
– liberté religieuse et violence
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 203
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 213
en français (2002) – Numéro de commande 600 223
4 La situation des Droits de l’Homme au Timor-Oriental
– La voie ardue de la fondation de l’État
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 204
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 214
en français (2002) – Numéro de commande 600 224
5 La situation des Droits de l’Homme en Turquie
Laïcisme signifie-t-il liberté religieuse ?
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 205
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 215
en français (2002) – Numéro de commande 600 225
6 Des chrétiens persécutés ? Documentation d’une
conférence internationale à Berlin
14/15 septembre 2001
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 206
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 216
en français (2002) – Numéro de commande 600 226
7 Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes.
Evaluation d’une enquête exécutée auprès de
collaborateurs d’institutions de l’Eglise Catholique
en Afrique
en allemand (2003) – Numéro de commande 600 207
en anglais (2003) – Numéro de commande 600 217
en français (2003) – Numéro de commande 600 227
8 Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes
Rapport sur l’état de la situation au Soudan
en allemand/en anglais/en français (2002)
Numéro de commande 600 208
9 La situation des Droits de l’Homme au Vietnam.
Liberté religieuse.
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 230
en anglais (2003) – Numéro de commande 600 231
en français (2003) – Numéro de commande 600 232
10 La situation des Droits de l’Homme au Sri Lanka.
Sur l’engagement de l’Eglise en faveur de la paix
et de la dignité humaine
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 233
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 234
en français (2002) – Numéro de commande 600 235
11 La situation des Droits de l’Homme au Zimbabwe.
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 236
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 237
en français (2002) – Numéro de commande 600 238
12 La situation des Droits de l’Homme en Corée du Sud.
en allemand (2003) – Numéro de commande 600 239
en anglais (2003) – Numéro de commande 600 240
en français (2003) – Numéro de commande 600 241
13 La situation des Droits de l’Homme au Soudan.
État islamique et diversité culturelle
en allemand (2003) – Numéro de commande 600 242
en anglais (2005) – Numéro de commande 600 243
en français (2005) – Numéro de commande 600 244
14 La situation des Droits de l’Homme au Nigeria.
en allemand (2003) – Numéro de commande 600 245
en anglais (2003) – Numéro de commande 600 246
en français (2003) – Numéro de commande 600 247
15 La situation des Droits de l’Homme au Rwanda.
La vie arès le génoicide
en allemand (2003) – Numéro de commande 600 248
en anglais (2003) – Numéro de commande 600 249
en français (2003) – Numéro de commande 600 250
16 Les Droits de l’Homme au Myanmar/Burmanie.
L’Église sous la dictature militaire
en allemand (2004) – Numéro de commande 600 251
en anglais (2004) – Numéro de commande 600 252
en français (2004) – Numéro de commande 600 253
17 La liberté religieuse au royaume du Cambodge
en allemand/en anglais/en français (2004)
Numéro de commande 600 257
18 Les Droits de l’Homme au Lao – L’Église sous la dictature militaire
en allemand/en anglais/en français (2004)
Numéro de commande 600 257
19 Les Droits de l’Homme en Égypte
en allemand (2004) – Numéro de commande 600 260
en anglais (2004) – Numéro de commande 600 261
en français (2004) – Numéro de commande 600 262
20 La situation des Droits de l’Homme
– la Turquie sur la voie de l’Europe. Où en est la liberté religieuse
en allemand (2004) – Numéro de commande 600 264
en anglais (2004) – Numéro de commande 600 265
en français (2004) – Numéro de commande 600 266
21 Possibilités d’une coopération chrétienne-islamique
en vue du respect des droits de l’homme et de la mise
en place de sociétés civiles. Congrès technique en comité
restreint 11-3-2002 – 14-3-2002, Berlin – Volume 2
en allemand (2004) – Numéro de commande 600 268
en anglais (2004) – Numéro de commande 600 269
en français (2004) – Numéro de commande 600 270
22 Possibilités d’une coopération chrétienne-islamique
en vue du respect des droits de l’homme et de la mise
en place de sociétés civiles. Congrès technique en comité
restreint 11-3-2002 – 14-3-2002, Berlin – Volume 2
en allemand (2005) – Numéro de commande 600 271
en anglais (2005) – Numéro de commande 600 272
en français (2005) – Numéro de commande 600 273
23 La situation des droits de l’homme au Libéria : un rêve de liberté
– l’engagement de l’Église catholique pour la justice et la paix
en allemand (2005) – Numéro de commande 600 274
en anglais (2005) – Numéro de commande 600 275
en français (2005) – Numéro de commande 600 276
24 La situation des droits de l’homme au Papouasie (Indonésien)
en allemand (2005) – Numéro de commande 600 277
en anglais (2005) – Numéro de commande 600 278
en français (2005) – Numéro de commande 600 279
en indonésien (2005) – Numéro de commande 600 280
25 Le Timor oriental fait face à son histoire :
le travail de la Commission d’accueil, de vérité et de réconciliation
en allemand (2005) – Numéro de commande 600 281
en anglais (2005) – Numéro de commande 600 282
en français (2005) – Numéro de commande 600 283
en indonésien (2005) – Numéro de commande 600 284
Toutes les publications sont aussi disponibles comme fichiers PDF.
http://www.droitsdelhomme.missio-aachen.de
1
Sommaire
2 Données générales sur le Timor oriental
3 I. Introduction
6 II. L’attitude des Timorais face à leur
lourde histoire : poursuites pénales
et réconciliation
8 1. Le Tribunal ad hoc pour les droits
de l’homme à Jakarta
10 2. Le Tribunal spécial au Timor oriental
13 III. La Commission d’accueil, de vérité
et de réconciliation (CAVR)
14 1. La genèse de la Commission de
vérité
16 1.1 La Commission de vérité entre
en fonction
16 1.2 Le mandat de la Commission
17 1.2.1 La CAVR : « Notre vision » et
« Message à ceux qui ont commis des
violations des droits de l’homme »
18 1.3 Comarca : quand une prison
devient mémorial
19 2. Les raisons de l’« accueil »
21 3. Les Procédures de réconciliation
dans les communautés (Community
Reconciliation Processes)
28 3.1 Leur évaluation par les victimes
et auteurs
29 3.1.1 Le point de vue des coupables
30 3.1.2 Le point de vue des victimes
31 3.2 Le manque de justice – les missions
non remplies
32 4. Établir la vérité
33 4.1 Auditions nationales et auditions
des victimes
35 4.2 Interviews, dépositions des témoins
et saisie des données (Statement
Taking Process)
38 4.3 Recherches
40 4.4 Recensement rétrospectif des
décès entre 1974 et 1999
40 4.5 Profils des communautés
41 4.6 Le département juridique
41 4.7 Les relations publiques
42 4.8 Le département du soutien aux
victimes
43 4.9 Le rapport final et les
recommandations
45 5. Les auditions nationales
45 5.1. « Rona Ami Lian »
– Écoutez nos voix
47 5.2 Les prisonniers politiques
48 5.2.1 « La torture faisait partie
intégrante de l’interrogatoire »
50 5.2.2 Des simulacres de procès
51 5.2.3 Le soutien d’organisations
en Indonésie
52 5.3 La violence à l’encontre des
femmes au Timor oriental
53 5.3.1 La force des femmes du Timor
oriental
56 5.3.2 La violence durant la guerre civile
56 5.3.3 La violence des milices en 1999
57 5.3.4 Un contrôle forcé des naissances
58 5.3.5 Perspectives
60 5.4 Déplacements forcés et famines
61 5.4.1 Fuite dans les montagnes
62 5.4.2 Retour dans les camps
d’internement
62 5.5 Les Massacres
63 5.5.1« Nous appelions ce lieu,
le village des veuves »
64 5.5.2 Le massacre du cimetière
de Santa Cruz
66 5.5.3 Les recommandations au
gouvernement
66 5.6 Le conflit politique de 1974 à 1976
67 5.6.1 Les délégués des partis devant
la Commission
68 5.6.2 « Sans ingérence extérieure, la
guerre civile n’aurait pas eu lieu »
70 5.6.3. Solliciter la compréhension
71 5.6.4. La violence contre la
population civile
71 5.6.5 Les partis assument leur
responsabilité
73 5.6.6 La faute à la situation
73 5.7 Le droit à l’autodétermination et
la communauté internationale
73 5.7.1 La communauté internationale :
absence de critiques et reconnaissance
insidieuse
76 5.7.2 La solidarité internationale
76 5.8 Les répercussions du conflit pour
les enfants
78 IV. Perspectives
82 Abréviations
84 Bibliographie sélective sur le Timor
oriental
88 Annotations
2
3
Données générales sur le Timor oriental
Nom de l’État
Surface
Population
Croissance
démographique
Indice de pauvreté
Espérance de vie
Taux d’alphabétisation
Langues
Indépendance
Type de gouvernement
Chef de l’État
Premier ministre
Religions
République démocratique du Timor oriental (en portugais :
República Democrática Timor-Leste ou Timor Leste ; en tetum :
Timor Loro Sa’e)
18 889 km2 avec l’enclave d’Oecussi (2 461 km2) située dans la
partie occidentale de la grande île de Timor (33 600 km2), et les
îles d’Atauro (144 km2) et de Jaco (8 km2)
924 642 habitants (recensement de juillet 2004 ; recensement
de juillet 2001 : 787 338 - 49,4 % de femmes, 50,6 % d’hommes)
17,4% ; la moitié de la population environ a moins de 15 ans
Environ 40% de la population vit en dessous du seuil de
pauvreté absolu qui est de 1 dollar US par jour. Environ 90% de
la population travaille dans le secteur agricole. Le Timor oriental
est à ce jour le pays le plus pauvre de l’Asie du Sud-est et fait
partie des 20 pays les plus pauvres de la planète
57 ans
La moitié de la population environ ne sait ni lire ni écrire, ce taux
atteint 65% env. chez les femmes ; actuellement 80% des enfants
en âge d’être scolarisés le sont
Langues officielles : portugais et tetum
Langues de travail : indonésien et anglais
20 mai 2002
République démocratique et parlementaire
Kay Rala Xanana Gusmão
Mari Alkatiri (Fretilin), depuis le 20.09.2001
Env. 90% de catholiques, une petite minorité de protestants,
musulmans, bouddhistes et hindous
I. Introduction
« Parfois, je suis en colère à en devenir folle. Ce que je souhaite alors le plus ardemment, c’est qu’on tue tous les auteurs de crimes. Mais ensuite, quand je me suis un peu
calmée, je me dis que mon mari est mort et que rien ne le ramènera, pas même la vengeance. »1
À l’instar de cette veuve de Bobonaro, presque toutes les familles de Timor ont
déploré des victimes au cours des 24 années de l’occupation indonésienne. 200 000
à 250 000 personnes, soit un tiers de la population, ont péri des suites de la
guerre : de faim et d’épidémies ou de persécutions brutales perpétrées par les soldats indonésiens. En 1999, les milices pro-indonésiennes assassinèrent quelques
1 500 personnes. Pourtant, aucune de ces souffrances physiques et psychiques
n’a pu briser la volonté des habitants du Timor oriental d’acquérir l’indépendance.
Les familles ont été démembrées, ont perdu une ou plusieurs personnes
qu’elles chérissaient et/ou furent forcées de prendre part aux atrocités. Les filles
et les femmes ont été violées, fréquemment devant les yeux de leur famille ou
de la communauté villageoise. Beaucoup de personnes sont revenues brisées des
chambres de tortures ou disparurent à tout jamais. L’Indonésie avait instauré un
climat d’angoisse et de terreur au Timor oriental. Les forces de sécurité y suivaient
résolument le principe du « diviser pour régner » et scindèrent en conséquence
la société. Ils forcèrent des gens à entrer à leur service par la torture et les menaces,
en convainquirent d’autres en leur promettant argent et pouvoir. Certains se sont
mis de leur plein gré au service des nouveaux potentats. Les violations des droits
de l’homme durant la période de la guerre civile de 1975 constituent un des
chapitres les plus sombres de l’histoire est-timoraise.
L’indépendance du Timor oriental le 20 mai 2002 met un terme à un long
conflit, qui n’a retenu que tout récemment l’attention de la communauté internationale et de l’opinion publique mondiale. Des décennies durant, l’Indonésie
a gravement violé les droits de l’homme sans que l’opinion publique mondiale
n’intervienne. 24 années durant, les gens ont dû se défendre contre la domination étrangère indonésienne, ont résisté avec force et courage contre la terreur
et les oppressions quotidiennes et se sont engagés dans une vie pacifique et non
violente. Seules la résistance du Timor oriental et les activités de défense
d’organisations non gouvernementales ont permis de briser le mur d’ignorance
et de pragmatisme politique que la communauté internationale a longtemps
opposé au conflit. Le prix Nobel de la paix, décerné à monseigneur Belo et au
politicien José Ramos-Horta en 1996, apporta un timide correctif à la politique
étrangère à l’égard de l’Indonésie.
4
Il fallut attendre la fin de la guerre froide et le changement des rapports de force
à l’échelle internationale et surtout la destitution forcée en mai 1998 du président Suharto, dictateur de l’Indonésie pendant 32 ans, pour que s’ouvre la voie
d’une solution politique au conflit. Le 30 août 1999, par un référendum organisé par les Nations Unies (ONU), les Timorais orientaux se prononcèrent à 78,5%
en faveur de l’indépendance. La victoire avait cependant été chèrement payée :
depuis des mois déjà les milices pro-indonésiennes avaient entamé une campagne
de terreur à l’encontre de la population civile, afin de l’intimider si fortement
qu’elle n’oserait pas voter en faveur de l’indépendance. Les miliciens agissaient
en hommes de main de l’armée indonésienne qui les avait recrutés et équipés.
Ce sont pourtant ces mêmes milices que la convention de l’ONU, cherchant à
résoudre le conflit, chargea de rétablir un climat dénué de toute violence ou
d’intimidation. Les miliciens perpétrèrent des massacres qui attirèrent l’attention
internationale. On ne compte plus les meurtres, viols, intimidations et autres
atrocités. Lorsque le camp pro-indonésien fut obligé de reconnaître sa défaite,
la violence atteignit son paroxysme. Les miliciens réduisirent en cendres des
régions entières et contraignirent des centaines de milliers de personnes à fuir
vers le Timor occidental voisin. Au moins mille personnes furent assassinées
durant ces journées. Épouvantées, l’ONU et la communauté internationale pressèrent le gouvernement indonésien d’accepter l’envoi d’une force de paix internationale. Lorsque l’International Forces for East Timor ou Force internationale du
Timor Oriental (INTERFET) débarqua dans le pays le 20 septembre 1999, Dili, la
capitale, était en flammes, le pays était détruit à 70% et la population avait fui
les villages ou avait été déplacée au Timor occidental. À partir de cette date et
jusqu’à son indépendance, le Timor oriental fut placé sous l’administration
transitoire des Nations Unies.
Une partie de l’infrastructure détruite a pu être reconstruite grâce à l’aide internationale. Toutefois, le pays doit encore faire face à de grands défis avant de pouvoir offrir à tous les Timorais une vie qui soit faite non seulement de liberté mais
aussi de paix et de justice. Un des plus grands défis à l’avènement d’une société
capable de vivre durablement en paix est d’examiner le lourd passé du pays :
« les régimes tyranniques et de non droit laissent des séquelles durables chez les gens
et dans les sociétés. Malgré son influence massive sur les évolutions contemporaines,
le potentiel destructeur de cet héritage est souvent sous-estimé au profit du trompeur
« retour à la normalité ». »2
Pour le contrer, une Commission nationale d’accueil, de vérité et de réconciliation (Comissão de Acolhimento, Verdade e Reconciliação de Timor Leste, CAVR)
fut créée au Timor oriental, grâce notamment à l’Église catholique. Elle se mit
au travail en janvier 2002. La Commission de vérité du Timor oriental fait montre
de quelques particularités, comme nous le verrons plus loin, qui la distingue
5
clairement des autres commissions. Elle s’était donnée pour tâche d’enquêter sur
les crimes contre les droits de l’homme commis entre avril 1974 et le retrait de
l’armée indonésienne en octobre 1999. Son objectif était de parvenir à la réconciliation par la justice. Il fallait offrir l’espace nécessaire aux victimes pour parler des violations dont elles avaient fait l’objet, leur faire justice, par le truchement d’excuses publiques, d’indemnisation matérielle mais aussi de sanctions
judiciaires. Il fallait donner une chance aux auteurs d’exactions, dont beaucoup
séjournaient encore au Timor occidental, de se réintégrer. « Nous voulons tirer les
leçons du passé pour éviter par le futur que des tragédies similaires ne se produisent mais
conjointement nous nous efforçons de pardonner et nous souhaitons accueillir à nouveau ceux qui sont tombés dans le cercle infernal de la violence », ainsi que le déclarait le ministre des Affaires étrangères, José Ramos-Horta, lors de l’investiture solennelle de la commission.3
Le présent rapport suit le Timor oriental sur le chemin ardu de l’examen de
son passé.4 Nous commencerons pour ce faire par présenter toutes les facettes
du travail de la Commission de vérité et mettrons en lumière ses liens avec les
procédures d’examen juridique. Les auditions publiques sur des thèmes d’importance plus générale tels que les prisonniers politiques, la violence à l’encontre des femmes, la faim et la déportation, les massacres et la guerre civile, constituent le cœur de cette étude et serviront également à retracer l’histoire du conflit
dans ce pays. Entreprendre une évaluation approfondie du travail de la Commission de vérité et répondre exhaustivement aux questions qui surgissent,
dépasserait de loin le cadre de cette recherche. Les processus de travail sur le passé
sont toujours de longue haleine et chaque société doit trouver sa propre voie pour
le réaliser. La Commission de vérité au Timor oriental a ouvert à la société timoraise un processus de réconciliation. Seul le temps permettra de dire comment
cette société poursuit son chemin et si ce processus est durablement efficace.
6
II. L’attitude des Timorais face à leur
lourde histoire : poursuites pénales
et réconciliation
Si l’on veut donner plus de chances et de réussite à la paix après avoir vaincu
des régimes tyranniques, il faut assumer les injustices qui se sont produites. Ce
travail peut conduire les sociétés aux limites de leurs capacités d’intégration, mais
il est aussi la clé pour élaborer un modèle d’avenir commun. À long terme, assumer le passé a un effet consolidateur.5
Effectuer un travail sur le passé et un travail de réconciliation n’est pas une
simple mesure de « suivi post-conflit » mais aussi de prévention. Il peut contribuer à renforcer encore la régulation de conflit au sein de la société et à redéfinir les rapports mutuels entre les groupes sociaux.6 « Regarder en arrière » pour
restaurer la justice équivaut aussi à « regarder de l’avant », au contraire de ce que
fait l’amnistie. « Pour véritablement regarder vers l’avenir et pour panser les vieilles
blessures, il faut les rouvrir et les nettoyer, afin qu’elle puisse cicatriser naturellement
et ne pas suppurer, recouvertes par de sombres peurs », déclare Aniceto Guterres Lopes,
le président de la Commission de vérité est-timoraise. « Il serait bien plus confortable
de choisir la voie facile, de laisser le passé enfoui et d’espérer l’oublier. Mais nous savons
tous que nous ne l’avons pas oublié, il vit en nous. Notre passé continue à vivre, dans
les rumeurs et les mines grises, dans les messages que transmettent mères et pères à leurs
fils et filles. Il nous faut modifier ces messages et les faire passer du sombre passé à
l’avenir lumineux. Nous devons écouter les victimes et apprendre leurs histoires dans
un respect mutuel, dans la compréhension et la réconciliation. »7
La paix règne au Timor oriental depuis la fin du régime totalitaire indonésien en 1999. Pourtant le pays n’est plus que ruines et doit être entièrement reconstruit. Les miliciens ont incendié plus de 60 000 maisons, l’administration s’est
effondrée et plus de 200 000 personnes ont été déportées au Timor occidental,
par de membres de la police, des miliciens et des forces de sécurité indonésiennes.
80 000 autres personnes, qui dans leur majorité souhaitaient que le Timor oriental reste dans le giron de Indonésie, ont fui avec les miliciens, plus ou moins de
leur propre gré. Outre la reconstruction matérielle du pays, le Timor oriental a
dû et doit faire face à une seconde tâche tout aussi difficile : combler les fossés
au sein de la société et rétablir les relations sociales détériorées, afin de permettre
une coexistence pacifique et d’éviter l’autodéfense et la vengeance.
« L’expérience de l’injustice et de la violence est profondément ancrée chez toutes
les personnes concernées et dans la société. »8 Il est nécessaire d’expliquer ce qu’est
l’expérience d’être livré impuissant à la violence. L’analyse de ses conditions struc-
7
turelles peut aider les personnes qui l’ont subie. Une tendance significative et
inhérente aux régimes tyranniques et de non droit est d’impliquer les gens dans
leurs basses manœuvres et d’en faire des complices. Cela vaut non seulement pour
les victimes, mais aussi pour les acteurs d’exactions, les suivistes et ceux qui détournent les yeux (bystanders). Cette implication perfide a pour objectif de détruire
la confiance interne à la société ; émerge alors un régime de peur et d’arbitraire
qui traverse de part en part toutes les structures sociales et qui peut fortement
les endommager. Simultanément, ces comportements favorisent des tendances
à annihiler la conscience de l’injustice.9 « Surmonter la violence exige d’apprendre à
regarder la réalité avec les yeux de la victime ou d’autrui. Les processus de réconciliation
s’évaluent à l’aune de la solidarité avec les victimes et du respect qu’on leur montre. »10
Par ailleurs, il est nécessaire d’avoir une explication circonstanciée avec les coupables, en vue de leur laisser la possibilité de faire volte-face. Il ne faut exclure
ni les auteurs d’exactions ni les suivistes d’une société qui se démocratise. Les
auteurs de crimes graves doivent en répondre devant la justice.
Comment les auteurs d’injustice et les suivistes doivent-ils être intégrés à la
société ? Comment conjointement répondre aux intérêts des victimes ? Et comment réagir à des violations des droits de l’homme aussi graves que systématiques ? Comment le jeune État peut-il doser le travail sur le passé qu’exige la société, un travail qui comprenne non seulement l’idée de la réconciliation et du
dépassement de la division sociale interne, mais aussi la sanction pénale des coupables et responsables. Ainsi que le montrent plusieurs études sur le Timor
oriental, la nécessité que justice soit rendue représente une priorité pour beaucoup de Timorais, en dépit des problèmes quotidiens de survie auxquels ils sont
confrontés : il est à leurs yeux impossible de penser à une réconciliation sans poursuites pénales et repentir.11 La même exigence perce aussi dans les revendications
incessantes des acteurs de la société civile pour que se mette en place au Timor
oriental un tribunal international pour sanctionner les crimes contre l’humanité,
équivalent à ceux de la Yougoslavie et du Rwanda. Justice et réconciliation sont
les deux faces d’une médaille qui supposent toutes deux la recherche de la vérité. Les procès pénaux seuls ne suffisent pas à panser complètement les plaies de
la société, la réconciliation et la recherche de la vérité sans punition des coupables se heurtent à l’incompréhension des victimes.
En 1999, l’armée indonésienne avec le soutien de l’administration locale,
de la police et des milices, a commis de graves violations des droits de l’homme
au Timor oriental. Le Conseil de sécurité de l’ONU décida par la résolution 1272
du 25 octobre 1999 d’y mettre en place une administration provisoire,
l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental ou ATNUTO (United Nations Transitional Administration for East Timor, UNTAET). L’article 16 de
cette résolution stipulait que les responsables de violence devaient être poursuivis
8
en justice. Juste après les violences de septembre 1999, la Commission des
droits de l’homme des Nations Unies convoqua la quatrième assemblée extraordinaire de son histoire et adopta une résolution qui sommait le secrétaire général de l’ONU de mettre en place une commission d’enquête. Cette commission
a pu se faire une idée de l’ampleur de la destruction au Timor oriental, ainsi que
de la nature et des causes spécifiques des violations des droits de l’homme. Elle
concluait dans son rapport que l’étendue des violences imposait d’instaurer un
tribunal international. Mais le Conseil de sécurité donna la priorité aux investigations nationales, en Indonésie comme au Timor oriental.
Le processus d’examen des graves violations des droits de l’homme au Timor
oriental reposa donc sur trois piliers : le Tribunal ad hoc pour les droits de
l’homme de Jakarta, le Tribunal spécial au Timor oriental et la Commission timoraise d’accueil, de vérité et de réconciliation. Est venu s’y ajouter ensuite un quatrième pilier avec la toute jeune Commission de la vérité et de l’amitié entre l’Indonésie et le Timor oriental, sur laquelle je reviendrai plus loin.
1. Le Tribunal ad hoc pour les droits de l’homme de Jakarta12
Pour éviter un tribunal international, le gouvernement indonésien avait proposé
de mener des procès dans le cadre de sa juridiction. Les Nations Unies, à tout le moins
officiellement, se réservent la possibilité d’établir un tribunal au cas où l’Indonésie
n’agirait pas de manière appropriée et efficace contre les personnes mises en cause.
C’est avec beaucoup de retard que le Tribunal ad hoc pour les droits de l’homme
de Jakarta a pris ses fonctions en mars 2002. 18 personnes ont été inculpées de crimes contre l’humanité au cours de douze procédures, dont 16 militaires et policiers
indonésiens, ainsi que l’ancien gouverneur du Timor oriental, Abilio Soares, et que
le chef de la milice principale, Eurico Guterres. Un 19e inculpé, Olivio Moruk, également chef de milice, a été assassiné dans des conditions non élucidées à Atambua au Timor occidental, quelques jours seulement après la publication par le parquet de la liste des prévenus. Il était prêt, semble-t-il, à déposer contre les personnes
qui, au sein de l’armée, tiraient les ficelles de la terreur exercée par les miliciens. Malgré les recommandations de la commission d’enquête KPP-HAM instituée par
l’État, de nombreux suspects de premier plan ne se trouvaient pas sur la liste des
inculpés. Parmi eux, citons le Genéral Wiranto, ancien commandant des forces
armées et ministre de la Défense, Zacky Anwar, ancien directeur des services de renseignement, et Joao Tavares, commandant suprême des milices.
Aucun des accusés ne s’est retrouvé en détention provisoire. En outre, le tribunal n’avait compétence légale que pour instruire les faits des seuls mois d’avril
et septembre 1999 et les seuls crimes qui s’étaient déroulés ces mois-là dans les
districts administratifs de Dili, Liquica et Suai.
9
Dès l’acte d’accusation, le parquet annonça clairement qu’il ne souhaitait en aucune manière remettre en question l’histoire des presque 25 années de tyrannie
permanente de l’Indonésie sur le Timor oriental, qui avait débuté en 1975 avec
l’invasion des troupes indonésiennes. Le parquet a présenté l’escalade de la violence qui a précédé et suivi le referendum de 1999 comme un conflit analogue
à une guerre civile entre deux camps ennemis, alors qu’il ne fait aucun doute
que cette violence a été planifiée et exécutée par l’armée indonésienne à travers
des milices, qu’elle avait recrutées, financées et équipées. La violence n’a pas été
envisagée comme un élément d’une stratégie militaire systématique et planifiée. Dans ses jugements, la cour a suivi cette interprétation et passa intentionnellement sur les contrôles de facto que l’armée et l’administration civile indonésienne ont exercé sur les milices.13
Seuls 6 des 18 inculpés ont été condamnés. Les peines allèrent de trois à dix
ans et demi de prison, alors que légalement la peine minimum était de dix ans.
Cette peine minimum n’a été appliquée que pour les deux inculpés d’origine esttimoraise. Il est notable que ce soit le prévenu le plus gradé qui ait été condamné
à trois ans de prison, à savoir le général de division Adam Damiri : le ministère public
avait auparavant réclamé l’acquittement au motif qu’il ne pouvait fournir aucune preuve de crimes contre l’humanité.
Excepté le jugement concernant Eurico Guterres, le chef de milice, dont la
procédure d’appel est encore en instance mais dont la sentence a déjà été réduite
de moitié, tous les autres jugements ont été suspendus en dernière instance par
la cour suprême.
L’armée indonésienne a salué la suspension des jugements à l’encontre de
ses membres et s’est sentie confortée dans sa position, selon laquelle la TNI n’a
jamais été impliquée dans les crimes commis au Timor oriental en 1999. « Nous
devons envisager qu’il y a eu des crimes puisqu’il y a des victimes » reconnaissait
l’ancien porte-parole de l’armée, le général de division Sjafrie Sjamsuddin, mais
les forces de sécurité indonésiennes n’en étaient pas responsables.14 Sjamsuddin
venait d’être remplacé par le général Tono Suratman, qui, en 1999, était commandant militaire du Timor oriental et qui fut acquitté par le Tribunal ad hoc.
Le fait que le parquet ait enquêté sur lui et requis un mandat d’arrêt à son encontre pour crimes contre l’humanité n’a en rien porté préjudice à sa carrière en Indonésie, pas plus d’ailleurs qu’à celle de ses collègues.
Le Tribunal ad hoc n’a pas établi la responsabilité des auteurs et n’a même
pas tenté de mettre à jour la chaîne de commandement qui remontait jusqu’à
Jakarta, la capitale. La vérité a été sacrifiée sur l’autel des intérêts politiques. La
condamnation de quelques inculpés est à mettre au compte du courage de certains juges, qui n’ont pas hésité à appliquer la loi, bien que le travail insuffisant
du parquet ne leur en ait souvent pas offert le support juridique.
10
La communauté internationale mais aussi des organisations humanitaires nationales ont unanimement estimé que les procès étaient insuffisants et décevants.
Ils n’auraient pas instauré la justice et les jugements rendus n’auraient aucun
rapport avec la gravité des crimes. La longue tradition d’impunité ne serait pas
interrompue. Pour Olandina Cairo, l’une des commissaires de la Commission
de vérité, les jugements s’étaient joués de la dignité des Timorais. Comme de nombreux habitants du Timor oriental, elle récusait ces procès et considérait que la
seule possibilité de garantir une procédure équitable était d’instituer un tribunal international.15 Monseigneur Belo, lauréat du prix Nobel de la paix affirmait
pour sa part : « Violeurs, incendiaires et meurtriers se promènent en liberté, alors que
des innocents doivent vivre avec leur traumatisme. Ce traumatisme (…) s’est ravivé avec
les récents acquittements à Jakarta des membres de l’armée et de la police indonésienne. Nous avons besoin d’un tribunal international pour offrir la justice aux victimes
de ces crimes contre l’humanité ».16
2. Le Tribunal spécial au Timor oriental
Parallèlement aux procès en cours à Jakarta, les Nations Unies avaient érigé un
Tribunal spécial à Dili, afin d’enquêter et d’inculper les responsables des crimes
contre les droits de l’homme au Timor oriental. Il s’agissait d’un tribunal mixte,
dans lequel siégeaient à chaque fois deux juges internationaux et un juge timorais. Les instructions ont été conduites par le « Groupe d’enquête sur les crimes
graves » (Serious Crimes Unit, SCU), organe international d’accusation. Depuis l’indépendance du pays, le 22 mai 2002, cette instance n’était plus sous la tutelle
de la mission onusienne mais dépendait directement du procureur général de
la cour suprême du Timor oriental. Toutes les sections du Tribunal spécial ont
contribué à développer le système judiciaire local, en formant le personnel judiciaire autochtone.
Le parquet avait compétence pour instruire les actes criminels définis comme
graves, tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre
et les actes de torture ainsi que les agressions sexuelles et les homicides, pour les
faits commis entre le 1er janvier et le 25 octobre 1999 uniquement. C’est le parquet lui-même qui a choisi de se limiter à l’année 1999, pour la simple raison
qu’il ne disposait ni des moyens financiers ni du personnel suffisants, pour poursuivre les crimes de l’ensemble de la période de domination indonésienne
(7 décembre 1975 au 25 octobre 1999). Il a en outre de prime abord concentré
ses efforts sur dix affaires, dont l’assassinat de prêtres et nonnes à Los Palos, les
massacres perpétrés dans les églises de Suai et Liquisa, l’attaque de la résidence
11
de monseigneur Belo et les crimes commis par le bataillon 745 des forces de sécurité indonésiennes.
Contrairement à ce qu’avaient fait leurs collègues en Indonésie, les enquêteurs et les juges d’instruction de Dili ont cherché des preuves de l’intrication
des milices et de l’armée indonésienne, Tentara Nasional Indonesia (TNI). Dès le
départ, leurs enquêtes visaient, non seulement à faire comparaître, à titre individuel, les criminels qui souvent avaient agi sur ordre mais aussi à traduire en
justice leurs supérieurs directs ou indirects qui avaient participé à la planification ou à l’exécution des faits ou qui étaient responsables des agissements de leurs
subordonnés. « L’ensemble du territoire du Timor oriental a été conçu comme un lieu
du crime unique, ce qui a permis de considérer comme un tout les centaines de violations des droits de l’homme – meurtres, viols, destructions et déportations. Par ce biais,
il a été possible de faire la preuve d’une offensive systématique et de grande ampleur
contre la population civile, offensive qui entendait diverses violations des droits de
l’homme, par lesquelles les responsables souhaitaient exercer une pression sur les civils,
afin que lors du referendum ces derniers, effrayés, votent en faveur de l’autonomie au
sein de la fédération indonésienne », explique Marco Kalbusch, qui travaillait alors
au parquet.17
En dépit de grandes difficultés financières, de personnel et avant tout politiques, les juges d’instruction et le Tribunal spécial ont contribué de manière notable à faire l’introspection pénale du passé. Ils ont inculpé 391 personnes, 87
d’entre elles ont été condamnées à une peine de prison.
Des mandats d’arrêt ont été émis également contre des instigateurs présumés
de violence et ravages sans que quiconque se soit laissé impressionner par des
intérêts politiques. De très hauts représentants de l’armée et de la police indonésienne ont été inculpés, dont le commandant des forces armées, le général Wiranto et ses collaborateurs est-timorais. Mais ces inculpés se trouvent en Indonésie
et se soustraient ainsi au ministère public du Timor oriental ; de plus à Dili, les
procès ne peuvent se tenir sans la présence de l’accusé. Les juges d’instruction
espéraient toutefois que les mandats d’arrêt internationaux allaient au moins compliquer les voyages à l’étranger des inculpés. Mais le procureur général du Timor
oriental n’a pas transmis les mandats d’arrêt à Interpol. Il a ainsi cédé à la pression du président Xanana Gusmão et du gouvernement, qui ne veulent pas compromettre par des poursuites pénales de bonnes relations de voisinage avec
l’Indonésie. Xanana Gusmão a fait savoir à Jakarta qu’il regrettait ces inculpations. Il n’était pas nécessaire de traduire les généraux de Jakarta en justice.18 Les
Nations Unies ne firent pas non plus pression pour que les mandats d’arrêt fussent émis ; elles annoncèrent dans un communiqué de presse qu’elles n’avaient
aucune responsabilité dans ces mandats d’arrêt qui relevaient de la justice timoraise.19
12
Les juges d’instruction de Dili refusent d’admettre que ce fait minimise la valeur
et l’importance de l’acte d’accusation. Eric MacDonald, du bureau de l’instruction,
commentait en ces termes les inculpations : « Elles montrent d’une part que la communauté internationale ne tolère pas de crimes de cet acabit, que nous reconnaissons
qu’il y a eu des crimes contre l’humanité au Timor oriental en 1999, et de l’autre,
j’espère qu’elles donnent aux familles qui ont des victimes à déplorer le sentiment qu’il
est possible de mettre un terme à ce chapitre. »20
Les mandats d’arrêt sont peut-être une consolation pour les personnes concernées ; mais le fait que les auteurs décisifs se promènent en toute impunité laisse
un goût amer. Cela suscite le sentiment au sein de la population civile timoraise
que les crimes d’origine timoraise, pour la plupart donc le fait de suivistes qui
agissaient au sein de milices, ne sont pas mesurés à la même aune. Ce sentiment
a encore été renforcé par les jugements que le tribunal ad hoc pour les droits de
l’homme de Jakarta a rendus. Le seul condamné qui jusqu’à présent a dû passer
un bref moment en prison, avant qu’il ne gagne en appel, fut en effet l’ancien
gouverneur du Timor oriental, Abilio Soares, d’origine ethnique timoraise. Un
autre personnage d’origine ethnique timoraise, le chef de milice Eurico Guterres, a été condamné à dix ans de prison, sentence la plus lourde prononcée jusque là, mais réduite de moitié par la cour d’appel. Sa procédure est actuellement
en cours de jugement auprès de la troisième instance.
Ainsi, il a été impossible de demander des comptes aux plus hauts responsables des crimes, que ce soit par le biais du Tribunal ad hoc pour les droits de
l’homme de Jakarta ou par des poursuites pénales au Timor oriental diligentées
par l’ONU. Ni l’ONU et ses États membres qui lui dictent sa conduite ni les gouvernements d’Indonésie et du Timor oriental n’ont accordé de soutien politique
suffisant aux poursuites pénales.21 Les différents intérêts en jeu ainsi que les résistances politiques font que l’institution d’un tribunal international est de jour
en jour plus improbable.
Le 20 mai 2005, le parquet et le tribunal spécial ont dû fermer leurs portes,
la mission onusienne au Timor oriental n’ayant pas prévu de prolonger ces deux
instances. En conséquence de quoi, plus de la moitié des homicides de 1999 n’ont
pu être élucidés. La proportion serait encore bien plus élevée en ce qui concerne les viols. « Le travail n’est pas fait » juge le président de la cour, Philipp
Rapoza, « et c’est une honte de suspendre les efforts en matière de poursuite pénale au
moment où le parquet fournit son meilleur travail. » Selon Rapoza toujours, une véritable réconciliation nationale ne peut avoir lieu que si les coupables sont poursuivis, s’ils règlent leur dette à la société et si conjointement la souffrance de leurs
victimes est reconnue. Le Tribunal spécial en était l’instrument.22 Mais la forte
résistance du gouvernement timorais à l’égard des poursuites pénales, ainsi que
du système judiciaire à peine en état de fonctionner, font que pour l’instant les
13
instructions ne peuvent se poursuivre sans aide de l’ONU. Cette situation a partiellement créé une impunité au Timor oriental, dont on ne saurait sous-estimer
les répercussions en terme de confiance des citoyens envers le nouvel État et ses
institutions. L’impunité affaiblit toujours l’État. De plus en plus de citoyens reprochent au gouvernement d’abandonner ceux qui ont le plus souffert pour obtenir l’indépendance du pays.23 Comme nous allons le voir dans ce qui suit, ces
développements ont été très préjudiciables à la Commission de vérité.
III. La Commission d’accueil, de vérité
et de réconciliation du Timor oriental
Il n’existe ni justice absolue ni vérité absolue. Chaque époque et chaque société doivent chercher et trouver leur propre mode d’examen du passé. Les commissions de vérité sont une des formes possibles de travail sur le passé, mais jusqu’à
présent elles n’existent que dans les pays qui ont renoncé pour des raisons politiques à assumer leur passé sur le plan judiciaire et qui ont tiré sur ce passé le
trait de l’amnistie. Les commissions de vérité aident les victimes à bénéficier d’une
reconnaissance sociale, leur donnent une voix, servent à établir la vérité, informent sur les injustices, et peuvent aider la société à refermer les cicatrices. Mais
dans de nombreux pays, les résultats de leur travail sont mitigés. Elles ne constituent pas en effet une alternative délibérément choisie à un travail pénal mais
un compromis conclu entre les représentants de l’ancien régime et le nouveau
gouvernement. Il est fréquent même que les auteurs d’exactions ne soient pas
importunés. La Commission de vérité en Afrique du Sud est sans conteste
l’exemple le plus notoire d’un tel compromis : pour avoir révélé les méfaits et
leurs circonstances, leurs auteurs ont été acquittés, sans qu’on ait exigé d’eux qu’ils
se repentent, qu’ils avouent ou même qu’ils promettent une indemnisation.24
Lorsque les commissions de vérité sont instituées dans les lieux où des poursuites pénales semblent impossibles ou ne sont pas souhaitées, elles restent un
outil faible, bien en deçà de ce qu’il pourrait accomplir. Au Timor oriental, on
a élargi la perspective et considéré que les deux éléments ne s’excluaient pas. À
l’inverse, la réflexion a porté autour de la manière dont les deux outils – poursuite pénale et travail de réconciliation – pouvaient se compléter mutuellement. Il en est sorti un concept qui est bien évidemment taillé pour la situation
du Timor oriental mais qui peut donner des impulsions majeures au travail sur
le passé en général.
14
1. La genèse de la Commission de vérité
La Commission d’accueil, de vérité et de réconciliation du Timor oriental est une
institution nationale indépendante. Il fut proposé de la créer en août 2000 lors
du congrès du Conseil national de la résistance timoraise (CNRT), organisation
qui rassemble en son sein tous les groupes qui s’étaient engagés en faveur du droit
à l’autodétermination du Timor oriental. Cette proposition faisait suite à des interrogations sur la manière dont on pouvait répondre au besoin de réconciliation
et d’introspection historique de la population au-delà de la portée réduite des
procédures pénales. Un comité de direction fut constitué. Dirigé par le père
Domingo Soares, il réunissait onze personnes, issues des rangs du CNRT,
d’organisations non gouvernementales est-timoraises25, de l’ATNUTO et de la
Commission des droits de l’homme de l’ONU. Le comité avait en outre deux conseillers de l’« International Center for Transitional Justice » à ses côtés.
Le comité se rendit dans tous les districts du Timor oriental et visita aussi
des camps de réfugiés au Timor occidental, afin de quérir l’avis de la population.
Il ressortit de cette collecte d’opinions que les auteurs de crimes graves, comme
le meurtre, la torture ou le viol devaient être traduits en justice et punis. Conjointement, les communautés exprimaient un besoin profond de participer
d’une quelconque manière au travail de mémoire et de réconciliation. Il leur était
fondamental de réparer les relations sociales et de pouvoir à nouveau coexister
en paix. Il leur était important de découvrir le contexte des faits.
Comme dans tous conflits, le Timor oriental a aussi connu d’innombrables
crimes de moindre gravité, qui ne relevaient pas du parquet et du Tribunal spécial institué par l’ONU. On compte à ce titre l’intimidation, l’injure, l’incendie
criminel, le vol, la destruction de propriété et de récolte ainsi que les blessures
corporelles légères. Dans de nombreux pays, ces faits ont été laissés de côté lors
de l’examen des injustices commises dans le cadre d’un conflit politique, notamment parce que les tribunaux n’ont pas une capacité suffisante à cet effet. Ce problème se pose également au Timor oriental, où le système judiciaire doit être entièrement construit, où il n’existe ni juges ni avocats en quantité suffisante, sans
compter les ressources extrêmement réduites du pays. Le Timor oriental a aussi
ceci de particulier que bourreaux et victimes viennent en grande majorité de la
même communauté. Beaucoup se connaissent depuis l’enfance, sont mêmes
parents. Il faut aussi prendre en compte que nombre d’auteurs de crimes de moindre importance ont été manipulés ou ont été contraints, par la menace, de participer aux campagnes de terreur des milices pro-indonésiennes. Leurs actes les
ont mêlés au système et ils ont commis des fautes. La situation se complique encore par le fait que la frontière entre victimes et coupables est souvent fluctuante :
certains criminels de 1999 ont été des victimes du conflit interne au Timor en
1974-1975.
15
Le rapatriement des réfugiés des camps du Timor occidental place les communautés devant une autre difficulté. Plus les miliciens et leurs suivistes cherchaient
à rentrer chez eux, plus il devenait urgent de trouver un mécanisme qui permette
de les intégrer dans la société sans entraîner de vengeances ou inciter la
population à se faire justice soi-même. Beaucoup hésitaient précisément à rentrer par peur d’être agressés ou exclus. La société du Timor oriental ne peut se
permettre une telle évolution à long terme, nous y reviendrons.
Le comité de direction s’est trouvé devant la tâche ardue d’élaborer un programme qui propose des avancées concrètes vers la réconciliation et vers la normalisation des relations sociales et qui, dans le même temps, prévienne l’usage
de la violence et l’incitation à se faire justice soi-même, et empêche l’impunité,
comme le résume Patrick Burgess, un de ses membres et directeur du département des droits de l’homme de l’ATNUTO. Il fallait que le mécanisme ait un ancrage juridique et simultanément implique les communautés, qu’il soit facile à mettre en œuvre, et de surcroît rapide, bon marché et flexible.26
C’est ce qu’offrent les procédures de conciliation et de réconciliation locale, ancrées dans le droit coutumier timorais qui, parallèlement au système judiciaire formel, joue un rôle important. Mais les communautés rappelèrent que ces
procédures avaient également été manipulées et affaiblies sous l’occupation
indonésienne. En outre, elles ont été conçues pour des cas particuliers et internes à une communauté villageoise, tels que le vol ou les litiges fonciers mais pas
pour des violations des droits de l’homme à grande échelle. La procédure de conciliation appelée « nahe biti », ce qui signifie « dérouler une natte», est un processus de médiation dirigé par les autorités traditionnelles. Les deux parties sont
auditionnées, à la suite de quoi une indemnité compensatoire est fixée. Le règlement du litige est scellé par une cérémonie au cours de laquelle le conciliateur
et les deux parties s’assoient sur une natte en raphia. Mais il était problématique
que seuls les hommes puissent diriger cette cérémonie.
Une instance unique en son genre a été élaborée à partir du nahe biti, combinant la juridiction formelle et les approches de conciliation traditionnelle. Les
procédures ont un ancrage à la fois juridique et profondément social et associent
la population. Les Procédures de réconciliation dans les communautés (Community
Reconciliation Process)27 ne sont pas conçues pour constituer une alternative aux
poursuites pénales à l’encontre des auteurs de crimes contre l’humanité, voire
pour les remplacer, mais pour les compléter. La Commission et le parquet travaillent main dans la main. La Commission n’accorde aucune amnistie politique. Contrairement à d’autres commissions, elle n’organise de cérémonies de
réconciliation que pour les crimes de moindre gravité, qui ont un lien avec le
conflit politique. Les auteurs de crimes graves contre les droits de l’homme doivent être poursuivis au pénal.
16
1.1 La Commission de vérité entre en fonction
En juillet 2001, Sergio Vieira de Mello, administrateur de l’ONU pour le Timor
oriental et qui par la suite trouvera tragiquement la mort en Irak, signa le règlement 2001/10 devant instituer la Commission de vérité. Le rôle de la Commission a été inscrit dans la Constitution lors de l’indépendance du 20 mai 2002.
Un conseil transitoire a été chargé de choisir les commissaires régionaux et nationaux. La population avait proposé presque 300 candidats. Après des consultations publiques, sept commissaires nationaux furent choisis, des personnalités
connues ayant des expériences différentes comme des opinions politiques diverses. Le 21 janvier 2002, les commissaires étaient solennellement investis dans
leurs fonctions.
Ils jurèrent de diriger la Commission de vérité en toute impartialité et indépendance. Les personnalités choisies étaient : Jacinto Alves, coordinateur de
l’Association des anciens prisonniers politiques, Maria Olandina Isabel Caeiro
Alves, présidente de l’organisation « Les femmes contre la violence », Isabel Amaral Guterres, collaboratrice d’un bureau de réfugiés, le père Jovito Araujo, prêtre
catholique et ancien membre de la résistance estudiantine, Jose Estevao Soares,
membre d’une association pro-indonésienne et enfin, le pasteur de l’Église protestante du Timor oriental, Augustino de Vasconcelos. Le président, élu, était
l’avocat Aniceto Guterres Lopes, fondateur de la grande organisation de défense
des droits de l’homme « Yayasan Hak ».
Le personnel politique au plus haut niveau du Timor oriental assista à
l’investiture solennelle et manifesta son soutien. Desmond Tutu, ancien archevêque d’Afrique du Sud, envoya un message de félicitations tout comme Mary
Robinson, l’ancienne haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. La commission se mit au travail.
1.2. Le mandat de la Commission
La Commission, investie pour deux années, a pour mission d’enquêter sur les
violations des droits de l’homme commises en relation avec le conflit politique
entre le 25 avril 1974 (fin de la dictature au Portugal) et le 25 octobre 1999 (début
de l’administration transitoire des Nations Unie, l’ATNUTO). Afin d’établir la vérité, elle a recueilli les dépositions de victimes, témoins et responsables de crimes,
a organisé des auditions publiques, et mené des recherches sur les structures et
l’ampleur des violations des droits de l’homme. Par le biais de Procédures de réconciliation à l’échelon des communautés, elle a participé à la réintégration des
auteurs de crimes au sein de la société tout autant qu’à la réhabilitation des victimes. Son travail officiel a pris fin en avril 2004 et elle a utilisé la possibilité qui
lui était faite de prolonger son existence, en vue de se vouer à sa troisième mis-
17
sion, rédiger un rapport final détaillé ainsi que des recommandations. Ce rapport doit paraître avant sa dissolution le 7 juillet 2005.
Avec treize équipes de districts, trente commissaires régionaux, et 250 collaborateurs et collaboratrices, la Commission a exercé ses activités dans tout le
pays. Elle entretenait six bureaux régionaux, en sus du siège de Dili. Elle était
épaulée par des experts internationaux et avait en outre un comité de conseil à
ses côtés. L’avocat indonésien des droits de l’homme, Munir, en faisait partie.
De manière tout aussi lâche que repoussante, il fut empoisonné à l’arsenic le 7
avril 2004, meurtre qui n’est toujours pas élucidé à l’heure actuelle.
1.2.1 La CAVR : « Notre vision » et « Message à ceux qui ont
commis des violations des droits de l’homme »
La Commission de vérité présenta ses requêtes à la population et l’invita à se joindre aux appels suivants :
« Notre vision »
« Nous souhaitons contribuer à créer les bases d’une paix durable au Timor oriental,
en associant tous les Timorais et Timoraises à notre travail.
Nous espérons participer au processus de justice et de réconciliation de notre pays
en inspectant notre lourd passé et en reconnaissant la vérité sur les violations des droits
de l’homme. La justice exige que nous reconnaissions la vérité et que chacun endosse
la responsabilité de ses actes. La réconciliation signifie que nous empruntions cette voie
du cœur grand ouvert à la reconstruction des relations sociales, détériorées par le
conflit politique qu’a connu notre pays. Nous souhaitons réaliser ce processus avec les
communautés, dans le but de cicatriser les blessures des victimes, des familles et de la
nation entière. C’est un chemin de paix, une paix dont nous avons tous besoin et que
nous avons tous méritée. Cette paix est possible au Timor oriental. »28
« Message à ceux qui ont commis des violations des droits de l’homme »
« Nous tendons la main dans un esprit de réconciliation à nos frères et sœurs timorais
qui ont commis des violations des droits de l’homme. Nous savons que vous avez fait
du tort à votre humanité en portant atteinte aux droits de l’homme d’autrui. À l’aide
d’une procédure, la Commission de vérité souhaite vous aider à retrouver votre intégrité d’homme.
Cela ne veut pas dire oublier simplement le passé et les souffrances, mais que nous
souhaitons proposer un processus, qui nous aidera tous à panser nos plaies et à reformer une entité.
18
Ce processus implique la justice, ce qui signifie que vous devrez parfois faire des sacrifices à cause des fautes que vous avez commises. Les tribunaux seront compétents pour
les crimes graves. Pour les crimes de moindre gravité, la Commission organisera une
procédure à l’échelle locale avec les communautés, qui appuiera l’action de la justice
et vous aidera à vous réinsérer paisiblement dans votre communauté. C’est ce que l’on
appelle la Procédure de réconciliation dans les communautés (Community Reconciliation Process), une procédure à laquelle vous pouvez librement choisir de prendre part.
La Commission de vérité défendra vos droits de l’homme, y compris vos droits à
un procès équitable et votre droit à construire une nouvelle vie au Timor oriental, lorsque la procédure de justice sera achevée. »29
1.3 Comarca : quand une prison devient mémorial
La Commission a choisi pour siège la prison de Comarca, restaurée, héritée de
la période coloniale portugaise, et située dans le quartier de Balide à Dili. Durant
l’occupation indonésienne, des milliers de prisonniers politiques y furent torturés. Les derniers prisonniers ont été libérés en septembre 1999, au moment où
le Timor oriental sombrait dans le chaos. Depuis, le bâtiment tombait en ruine.
La proposition de le transformer en mémorial fut émise par l’ASSEPOL, l’« Association des anciens prisonniers politiques » en janvier 2000. Le gouvernement
du Timor oriental et la Commission de vérité se saisirent de cette proposition,
mais les travaux de rénovation ne purent commencer qu’en janvier 2002, quand
le gouvernement japonais débloqua 1 million de dollars US pour le travail de la
Commission de vérité, dont 530 000 dollars US pour son infrastructure.
L’architecture originale du bâtiment fut conservée. Les portes en fer des cellules, qui servent aujourd’hui de bureaux à la Commission, ainsi que les barreaux
aux fenêtres ont également été gardés. Des artistes est-timorais ont travaillé 65
graffitis sur les murs, graffitis de prisonniers, de militaires indonésiens et de miliciens. Le président Xanana Gusmão expliqua lors de l’inauguration du bâtiment
le 17 février 2003 que « ces graffitis racontent des histoires du passé ».30 Seules les
huit cellules individuelles ont été laissées en l’état, afin que chacun puisse se faire
une idée des conditions de vie dans ces « cellules des condamnés à mort ». La
cellule des prisonniers politiques du massacre de Santa Cruz abrite aujourd’hui la
bibliothèque et le centre de documentation, où sont archivées les innombrables
dépositions et rassemblés les matériaux et sources de l’époque. On y met en place
des archives de grande ampleur, pour lesquelles la Commission sollicite la participation active de tous. La Commission s’intéresse à tout support matériel de
la période allant de 1974 à 1999.
19
Au-delà même du mandat de la Commission et sous l’égide de l’ASSEPOL, la prison de Comarca servira aux générations futures de mémorial de la répression et
de centre pour les droits de l’homme et la réconciliation au Timor oriental.
« Ce bâtiment ne sera pas uniquement un symbole de notre changement social en
perpétuelle évolution. Au Timor oriental, nous avons besoin d’un lieu central qui soit
un lieu de commémoration pour tous ceux qui ont été victimes de violations de droits
de l’homme. Il abritera des documents historiques et tout autre matériel lié aux crimes
dont notre peuple a souffert par le passé. Il sera le centre où l’on pourra conserver ces
choses en toute sécurité. Aujourd’hui ces murs épais sont utilisés à une bonne fin, pour
protéger notre histoire et nos souvenirs, afin que les générations futures du Timor
oriental puissent connaître leur histoire, que le monde sache et puisse se souvenir de ce
qui s’est passé au Timor oriental », déclarait Aniceto Guterres Lopes, le président
de la Commission de vérité lors de l’inauguration du bâtiment.31
2. Les raisons de l’« accueil »
« Acolhimento », préparer un accueil à quelqu’un, n’est pas un élément que l’on
associe naturellement au travail d’une commission de vérité et de réconciliation.
Si la commission timoraise se dénomme ainsi, c’est en raison des centaines de milliers de réfugiés qui s’entassaient de l’autre côté de la frontière, au Timor occidental,
et qu’il s’agissait de faire revenir au Timor oriental. Beaucoup d’entre eux
s’étaient rendus coupables de crimes de moindre gravité ou avaient seulement voté
pour le maintien du Timor oriental dans le giron de l’Indonésie. Par peur de vengeances, ils refusèrent dans un premier temps de rentrer dans leurs villages.
Après le referendum, les milices armées et leurs meneurs politiques contrôlèrent les camps de réfugiés du Timor occidental. Ils se servirent des réfugiés
comme d’une monnaie d’échange politique et les intimidèrent par d’obscures
histoires atroces sur la situation et sur le travail des Nations Unies dans leur patrie.
Les collaborateurs d’organisations humanitaires n’eurent de prime abord qu’un
accès très restreint aux camps et souvent ne purent s’y rendre que sous escorte
de la police indonésienne, cette même police qui avait laissé les milices agir à
leur guise. Le 6 septembre 2000 la situation s’embrasa : les milices massacrèrent
bestialement trois collaborateurs du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU
(HCR). L’ONU rappela immédiatement tous ses collaborateurs, le Conseil de sécurité de l’ONU exigea le désarmement immédiat et la dissolution tout aussi
prompte des milices. Mais à part manifester sa bonne volonté, le gouvernement
indonésien ne fit aucun effort réel en ce sens. Il interrompit temporairement
l’aide à l’approvisionnement des réfugiés, qui cherchèrent alors à survivre grâce
à de petits commerces, à l’agriculture mais aussi à la petite délinquance. Les ten-
20
sions sociales entre réfugiés et population locale s’accrûrent. Le Timor occidental accueille encore actuellement 30 000 des 280 000 réfugiés d’alors.
La complexité du problème des réfugiés au Timor occidental pesa sur la réorganisation sociale et politique du Timor oriental et l’entrava de multiples manières.
Tant que les milices menaient des opérations au Timor oriental à partir des
camps du Timor occidental en se servant des réfugiés comme boucliers, le risque
sécuritaire serait constant. L’attaque de la milice sur deux villages en décembre
2002 révéla la facilité avec laquelle il était encore possible de franchir discrètement la frontière. Les dirigeants politiques du Timor oriental firent du retour des
réfugiés une priorité, notamment dans l’espoir de mettre la « main » sur les miliciens qui, en fonction de la gravité de leurs actes, devaient en répondre devant
un tribunal ou devant la Commission de vérité et réconciliation. La Commission
de vérité aida les communautés à souhaiter la bienvenue et à réinsérer pacifiquement les voisins et les familles qui avaient fui, bien que les Procédures de réconciliation pour les crimes de moindre gravité se fissent encore attendre. Il n’y eut
que quelques actes isolés de vengeance et peu de tentatives de se faire justice soimême, signe que les communautés ont été bien préparées et accompagnées dans
ce processus. Les instances étatiques, l’Église et les organisations locales, internationales et de l’ONU coopérèrent pour le rapatriement des réfugiés.
De multiples actions et un engagement massif permirent de miner partiellement l’influence des milices dans les camps. Le HCR, en y associant les élites villageoises, organisa des visites pour des délégations de réfugiés, dénommées
« Venez et regardez ». Monseigneur Belo fit campagne pour la confiance et le
retour, tout comme le président Xanana Gusmão qui se rendit à plusieurs reprises
au Timor occidental et discuta avec les réfugiés dans les camps. Il se fit accompagner d’une délégation de personnalités de la Commission de vérité, soulignant ainsi
l’importance de la réconciliation. En se rendant dans les camps, la Commission
s’efforça de son côté de lever certains malentendus largement répandus et expliqua sans relâche son travail. Elle y mena un travail d’information de grande
ampleur pour inciter les réfugiés à rentrer chez eux. Elle y était aidée par les organisations non gouvernementales du Timor occidental. Le département radio de la
Commission diffusait une émission hebdomadaire sur les Procédures de réconciliation, sur l’intégration et les auditions, et transmettait des informations destinées
spécifiquement aux réfugiés du Timor occidental. L’émission comprenait également
un service d’échange d’informations et de nouvelles pour les réfugiés du Timor occidental et les membres de leurs communautés et de leurs familles qui se trouvaient
au Timor oriental. La commission distribua des T-shirts, des autocollants et des brochures portant le slogan « CAVR – le chemin de la paix », et ce au Timor oriental comme
occidental. La Commission accueillait les réfugiés à la frontière, les accompagnait
dans leurs communautés et restait à leurs côtés tout au long du processus d’intégration.
21
3. Les Procédures de réconciliation dans les communautés
Le travail des commissions de vérité dépend largement de la disposition à coopérer des auteurs de crimes. Qu’est-ce qui pousse les coupables à se présenter
volontairement devant la commission, à avouer leurs actes et à contribuer à établir la vérité ? De nombreux pays ont accompagné ces processus en faisant miroiter une amnistie ou en brandissant la menace de poursuites pénales. Le Timor
oriental ne fit ni l’un ni l’autre.
Au Timor oriental, on procéda de la manière suivante : les auteurs de crimes
adressaient une demande de procédure au bureau régional de la Commission.
Pour que la Procédure de réconciliation soit acceptée, il fallait faire des aveux
complets et assumer la responsabilité de ses actes qui devaient avoir été commis
dans le cadre du conflit politique. Les auteurs de crimes de droit commun étaient
exclus d’une telle procédure. Ils devaient en outre certifier qu’ils ne recourraient
plus à la violence pour imposer des objectifs politiques. Ces points étaient
consignés par écrit dans un rapport, auquel les collaborateurs apportaient leur
aide si besoin était. Le candidat devait en outre indiquer avec qui et avec quelle communauté il souhaitait se réconcilier. Cette déposition était ensuite transmise au bureau national de Dili et de là aux services du procureur général. Le
parquet institué par les Nations Unies pour poursuivre les crimes contre
l’humanité, placé sous l’autorité du procureur général, examinait dans les deux
semaines qui suivaient s’il s’agissait bien de crimes mineurs. Il vérifiait également
grâce à sa base de données si le candidat avait déjà été accusé de crimes graves.
Une fois que les juges d’instruction avaient donné le feu vert, le demandeur pouvait se présenter devant la Commission.
À ce moment là, l’équipe du district compétent de la Commission de vérité prenait contact avec la communauté et les victimes, cherchait à obtenir leur
coopération et préparait la Procédure de réconciliation. Lorsque cela était possible, on traitait plusieurs cas à la fois. Les procédures s’étendaient sur une ou
deux journées. Les membres de la communauté formaient un conseil de cinq
personnes, qui la plupart du temps réunissait un représentant de l’Église, les maîtres spirituels du village et les chefs de la communauté. La Commission veillait
également à ce qu’une ou deux femmes fassent partie du conseil. Le commissaire du district prenait la tête de ce conseil. Lors des Procédures, le coupable avouait ses crimes, en décrivait les circonstances et demandait pardon. Les victimes
relataient les conséquences que ces crimes avaient eues dans leur vie. Ensuite,
toute la communauté avait la possibilité de prendre la parole pour contribuer à
élucider le contexte et pour poser des questions. Après les auditions, le conseil
négociait un acte circonstancié de réconciliation entre coupables et victimes et
une compensation symbolique. Il pouvait s’agir de travailler pour la communauté,
d’apporter son aide à la reconstruction de la maison, de verser une petite somme
22
d’argent ou de faire des dons traditionnels. Dans de nombreux cas, les excuses
publiques ont suffi. La fin du litige était officiellement proclamée lors d’une cérémonie traditionnelle qui scellait l’accord. L’accord était enregistré au tribunal
de district le plus proche et avait même valeur qu’un jugement, ce qui lui conférait donc un lien fort avec la justice formelle. Les deux parties recevaient ensuite un document officiel. Si le coupable remplissait ses obligations, sa peine était
considérée comme purgée, et il ne pouvait pas être à nouveau poursuivi au pénal
pour ce même fait. S’y soustraire constituait par contre un délit et était passible
d’un an de prison ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 3 000 dollars US, la
monnaie officielle du Timor oriental.
Il y eut aussi des cas où la déposition et les excuses du coupable n’ont pas
été jugées suffisantes et où la réconciliation lui a été refusée.32
Les demandes de Procédures de réconciliation ont dépassé de loin les attentes de la Commission. Au départ, elle avait prudemment espéré 1 000 demandes. À la fin, le chiffre atteignit 1 542. La Procédure de réconciliation fut refusée à 86 personnes, soupçonnées d’avoir pris part à des crimes graves. Dans plus
de 90% des cas, les Procédures traitèrent d’affaires qui s’étaient déroulées dans
le cadre du referendum. La majorité des requérants étaient partisans du camp
pro-indonésien. Ils étaient membres et suivistes des milices ou travaillaient
pour l’armée indonésienne, pour la police ou les services secrets. Cette appartenance ne reflète toutefois pas forcément leurs convictions politiques.33
Le gouvernement indonésien avait voulu pousser les Timorais à faire le bon
choix – rester dans le giron de l’Indonésie – en organisant une vaste campagne
de familiarisation avec l’autonomie. Il a alloué d’énormes moyens financiers et
a eu recours à des collaborateurs de longue date. Des associations politiques en
faveur de l’autonomie ont été créées pour faire de la propagande dans tout le
pays et distribuer des dons, comme des produits alimentaires, des médicaments,
des T-shirts frappés du slogan « Pour l’autonomie », ou encore des drapeaux.
L’armée a fait appel aux milices qui ont été un des éléments de cette stratégie. Les milices obtinrent une reconnaissance officielle à titre de défense civile
organisée en vue de protéger l’espace public et furent intégrées dans les structures administratives locales. Dès lors, elles pouvaient être financées par des allocations gouvernementales et coopérer publiquement avec leurs mentors militaires. La terreur qu’elles exerçaient visait soit à une annulation pure et simple
du scrutin, parce que le Timor oriental aurait entre-temps sombré dans une guerre civile opposant les partisans de l’autonomie et les partisans de l’indépendance,
soit à un vote en faveur de l’Indonésie. Si les partisans de l’indépendance devaient
malgré tout l’emporter, alors elles avaient projeté de provoquer une guerre
civile, de ravager le pays et d’organiser des évacuations en masses, de sorte à remettre en question le résultat du referendum. Mais le scénario de la guerre civile ne
23
prit pas : Xanana Gusmão avait ordonné à la résistance armée de ne répondre à
aucune des provocations des miliciens. Au contraire, elle devait participer à des
« discussions de réconciliation », pour que l’armée et les milices s’imaginent être
en sécurité. Le Conseil national de résistance, le CNRT, renonça à organiser de
grandes manifestations publiques et tenta de cacher son jeu. Mais malgré toutes
ces mesures préventives, l’anarchie et l’illégalité prirent une nouvelle ampleur
au Timor oriental ; les gens furent livrés sans défense à la terreur.
Excepté l’état-major, les miliciens ont rarement rejoint les milices par conviction politique. Quelques-uns se laissèrent séduire par l’argent, le pouvoir et
les armes, d’autres acceptèrent parce qu’ils avaient reçu des menaces de violence et de répressions et ne voyaient pas d’autre alternative. Ce sont avant tout des
hommes jeunes et sans instruction qui furent recrutés pour combattre en faveur
de l’intégration. Les chefs des milices puisèrent aussi dans des coutumes traditionnelles et firent prêter serment pour s’attacher la fidélité de leurs hommes.
L’alcool et l’usage de drogues rendaient les miliciens imprévisibles.34
Les Procédures donnaient aux auteurs de crimes mineurs la possibilité de se
réintégrer dans la communauté, de s’acquitter de leur culpabilité, de blanchir
leur nom et celui de leurs familles. Cela explique pourquoi nombre d’entre eux
étaient prêts à se présenter devant la Commission. En effet, le coupable n’est pas
le seul à connaître sa culpabilité, mais la société la connaît également et s’il ne
se soumet pas à la procédure, il reste exclu. C’est la victime qui détient la clé et
le pouvoir de délivrer le coupable du signe de Caïn.35
« Je me suis décidé à suivre la Procédure de réconciliation à cause de mes enfants »,
racontait un participant qui avait appartenu à une milice. « Je ne voulais pas qu’ils
soient discriminés, parce qu’ils sont les enfants d’un milicien. Dans notre culture, c’est
comme ça, quand le père a commis une faute, il peut la transmettre à ses enfants.
J’étais inquiet qu’ils puissent avoir des difficultés à trouver du travail. Mais je voulais
avant tout expliquer publiquement à la communauté ce qui s’est passé. J’ai beaucoup
souffert avant la Procédure de réconciliation, je sentais que les gens étaient en colère
contre moi. »
Pour un milicien de Aileu, « nous étions obligés d’entrer dans la milice. Nous
n’avions pas d’autre choix. Nous étions de simples paysans. L’armée indonésienne (TNI)
avait préparé un document qui disait que six personnes par village devaient entrer dans
la milice. Ma tâche était d’apporter de l’essence aux militaires. J’ai fui à Atambua (Timor
occidental) et je suis revenu en septembre 2000. La raison pour laquelle j’ai participé
à la procédure, c’était à cause de mes enfants. Je me faisais du souci pour l’avenir de
mes enfants (…). Avant la procédure j’avais honte de me promener dans le village. Parfois les gens refusaient de me parler. Je me sentais « todan », accablé et lourd, quand
j’allais travailler aux champs ».36
24
La première Procédure de réconciliation eut lieu le 23 septembre 2002 près de
Liquisa. Outre quelques 150 membres de communautés, y assistèrent les commissaires nationaux, le procureur général du Timor oriental et l’ancienne Haut
Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, Mary Robinson. Ana
Maria dos Santos, commissaire régionale, dirigea les auditions de main de maître. Les trois jeunes coupables étaient assis face aux victimes et reconnurent leurs
méfaits. Ensuite, les victimes et les membres de la communauté délibérèrent et
décidèrent d’accepter les excuses et de ne réclamer aucune autre sanction. La Procédure s’acheva par une cérémonie symbolique organisée par le chef spirituel de
la communauté, qui purifia tout le secteur de son atmosphère hostile et convia
les coupables à venir s’asseoir avec lui et en union avec les victimes sur une natte
de raphia, en symbole de la conciliation.37
Lors de la Procédure de réconciliation de Fahelebo, près de Liquisa, l’auteur
avoua avoir intimidé et battu la victime. La peine qui lui fut infligée fut d’aider
à réparer l’école du lieu, et la victime proposa de son plein gré de l’assister dans
cette tâche. À Lacluta, près de Viqueque, neufs auteurs de crimes avouèrent aux
neuf familles de victimes et à la communauté avoir incendié des maisons et détruit
des biens d’autrui. L’arrangement fut qu’une fois par semaine durant un mois,
ils aideraient à construire l’église. Plus de 500 personnes assistèrent aux auditions
à Metinaro, dans les environs de Dili. Après l’ouverture par le chef du village, ce
dernier commença par rappeler la procédure et souligna que la communauté contribuait ainsi à la construction de la nouvelle nation. Le coupable expliqua que
l’armée indonésienne avait fait pression sur lui pour qu’il rejoigne une milice
en 1999 et qu’il n’avait pas eu d’autre choix. Il insistait sur le fait qu’il n’avait
pas commis de crimes et s’excusa auprès de toutes les personnes présentes
d’avoir été milicien. Après délibération, le commissaire régional, les chefs de
villages et les anciens, les représentants de l’Église et de la jeunesse, décidèrent
que ses excuses étaient une sentence équitable.38
Une des plus grosses Procédures de réconciliation se déroula dans l’enclave
d’Oecussi, dans le village de Lela-Ufe.39 En 1999, le village était scindé en deux :
les familles qui soutenaient l’indépendance vivaient d’un côté, les membres de
la milice de l’autre. Comme les anciens le rappelèrent, cette situation était aussi
un signe de la division profonde de la communauté. La Procédure de réconciliation devait donc associer toute la communauté, afin de pouvoir dépasser la scission. À cet effet, la Commission avait mis en place des préparatifs spéciaux. 31
membres de la milice locale Sakunar étaient revenus du Timor occidental et avaient
adressé une demande de Procédure de réconciliation à la Commission de vérité.
Ils avaient incendié des maisons, détruit les biens de personnalités du CNRT,
s’étaient livrés à des voies de fait, avaient intimidé la population et volé du bétail.
Une fois leurs dépositions écrites vérifiées par le parquet de Dili et le feu vert obte-
25
nu, les collaborateurs du bureau régional se sont mis en quête des familles de
victimes qui avaient donné leur accord. Les auditions se déroulèrent sur une place
derrière l’église, à côté de la maison lulik, le sanctuaire du village. Les traditions
animistes jouent un grand rôle au Timor oriental, parallèlement au catholicisme,
et déterminent l’ordre d’une communauté villageoise.
Dès l’aube, plusieurs centaines de personnes endimanchées se rassemblèrent.
Un groupe de musique jouait, et un groupe de vieilles femmes avec des gongs
en métal préparaient leur entrée en scène tout comme un groupe de danseurs
en costumes traditionnels. Le conseil prit place sur une natte de raphia déroulée devant le coffret lulik, les coupables assis à sa droite, les victimes à sa gauche.
Plus de 1000 personnes venues de tout le district écoutèrent les auditions. Celles-ci furent ouvertes par une cérémonie, durant laquelle on étendit les Tais, des
tissus traditionnels multicolores, sur la natte de raphia de sorte à symboliser une
passerelle entre les auteurs et les victimes. Le commissaire régional, Arnold
Sunny, récita une prière, rappela la procédure et lut les dépositions des auteurs.
Ensuite les auteurs se levèrent un à un et reconnurent les faits. Le conseil leur
posa des questions, comment et qui les avaient recrutés, qui leur avaient ordonné les faits. Cette opportunité d’interroger directement les auteurs revêtait non
seulement une grande valeur aux yeux de la communauté et des victimes, mais
permettait aussi à la Commission de pouvoir mieux analyser les violations des
droits de l’homme.
Il y eut de multiples pauses laissant place à des danses et au groupe de musique qui avait composé un chant de réconciliation en l’honneur de cette journée. Après l’audition de tous les coupables, eut lieu un déjeuner commun pour
lequel deux buffles avaient été abattus.
Ensuite, les victimes furent auditionnées. Ce sont les chefs de famille, les hommes, qui se présentèrent devant la Commission. La seule femme du Conseil suggéra d’entendre également les femmes et de connaître leur perspective ; il était
fondamental pour la Procédure de réconciliation qu’elles participent activement.
Mais la participation des femmes ne va pas de soi dans cette société fortement
patriarcale. Nous l’avons mentionné, les femmes ne jouaient aucun rôle dans
les procédures traditionnelles de conciliation. Il était d’autant plus important que
les membres de la Commission de vérité les impliquent constamment et les encouragent à prendre la parole. Les commissaires féminines, à l’échelon national
comme régional, qui ont évidemment dirigé des auditions, montrèrent l’exemple
et selon leur propre sentiment ont été bien acceptées. La participation des femmes dans les Procédures, que ce soit en tant qu’auteurs ou victimes d’actes criminels, est cependant restée réduite. Les femmes victimes ont souvent été purement oubliées. Lorsque qu’un auteur faisait une déposition, la personne identifiée
comme victime était généralement le chef de famille, par exemple dans les cas
26
d’incendie de maison, de destruction des biens ou de vol de bétail. Parfois les
hommes refusaient que leurs épouses déposent en public. Souvent, les dépositions se prolongeaient tard dans la nuit, et les femmes s’étaient retirées de
bonne heure pour s’occuper des enfants et remplir leurs obligations domestiques.
Il y a eu quelques femmes du côté des auteurs. Elles furent d’abord très réticentes à se présenter devant la Commission. Les collaborateurs de la Commission
n’ont que rarement réussi à convaincre les femmes et à gagner leur confiance.40
Bien que de prime abord sa famille ait émis des réserves, Fernanda Mafalda s’est
par la suite engagée dans une Procédure de réconciliation et a reçu le soutien de
sa famille, présente aux auditions. L’institutrice était trésorière d’une milice
locale ; elle devait verser les salaires. Après le retour de sa famille du Timor occidental, elle fut attaquée et raillée. Des pierres ont également été jetées sur sa maison. Après la Procédure de réconciliation, ces hostilités se sont calmées et elle
se sent à nouveau membre de la communauté.41
Pour Rosario Araujo, coordinateur du département de soutien aux victimes,
les victimes étaient au centre des auditions et pouvaient recouvrer leur dignité
devant la communauté. Lorsque toutes les victimes eurent fait leur déposition
à Lela-Ufe, l’assemblée put poser des questions. Certains objectèrent que quelques coupables avaient minimisé leur participation aux violences et rapportèrent d’autres faits. Les accusés reconnurent alors leur participation devant
l’ensemble de la communauté. Lorsque l’un des coupables reconnut qu’un autre
avait en effet participé au meurtre de deux personnes, le conseil se retira pour
délibérer. Il décida d’exclure l’accusé de la Procédure de réconciliation et de transmettre l’affaire au procureur général pour qu’il l’examine.
Lors de l’élaboration des Procédures de réconciliation, les concepteurs avaient
sciemment réfléchi à l’attitude à adopter lorsqu’il ressortait des auditions que
les faits excédaient leur dimension originelle. Fallait-il, lorsque les auteurs étaient
accusés de crimes graves ou lorsqu’ils en avouaient lors de leur interrogatoire par
le conseil ou la communauté, les mettre à la disposition de la justice pénale
ou la Commission devait-elle leur accorder une sorte d’immunité ? Pour Patrick
Burgess, cette question est la pierre de touche des deux objectifs que sont la justice et la réconciliation. Si les dépositions faites devant la Commission peuvent
être transmises à la justice pénale, on encourt le risque de porter préjudice à
l’établissement de la vérité et à la réconciliation, car il est probable que les informations sur les violations des droits de l’homme seront sciemment tues. Mais
dans le cas inverse, si la Commission protège les auteurs de poursuites pénales,
elle prête main-forte à l’impunité. Il semblait particulièrement important au
comité d’élaboration de ne pas encourager l’impunité alors même qu’un nouveau système juridique se mettait en place au Timor oriental. Il fallait au contraire renforcer la confiance de la population dans son système juridique,
27
d’autant plus qu’il n’y avait jamais eu de légalité constitutionnelle au Timor oriental. C’est pour cette raison que la Commission décida de stopper la Procédure
de réconciliation lorsque existaient des preuves crédibles de l’implication d’un
individu dans des crimes graves. Dans ce cas, il fallait transmettre les faits nouvellement découverts au parquet pour qu’il les examine. Naturellement, les
témoins obtenaient le droit de ne pas se charger eux-mêmes ni leur famille lors
de leur audition. Mais s’ils faisaient une déposition qui entraînait des poursuites pénales – donc pour des crimes graves – ces derniers seraient transmis aux
autorités compétentes.42
Evidemment, ce procédé renfermait le danger que les participants ne livrent
leur savoir que de manière partielle et calculée. Dans de nombreuses Procédures de réconciliation, la population a jugé que l’aveu public de culpabilité et la
révélation complète des faits suffisaient amplement et a renoncé à une indemnisation symbolique ou à des travaux d’intérêt général. Cela indique l’importance
que la population attache à la découverte de la vérité. Il est probable que cette
propension à la réconciliation s’explique aussi par le fait que ce sont les échelons inférieurs des milices qui se sont soumis aux procédures alors que nombre
de responsables demeurent impunis.
Les Procédures de réconciliation ont constitué une opportunité, notamment
pour les familles et personnes qui déploraient la perte d’un être aimé, d’obtenir
des informations détaillées sur les meurtriers et le sort de leurs victimes. Nombre d’auteurs expliquèrent leurs méfaits en reportant la responsabilité sur
d’autres qui les avaient forcé ou qui leur avaient ordonné de prendre part à ces
crimes de moindre gravité. Mais ils citèrent de leur plein gré des noms et expliquèrent les circonstances de crimes graves.43 « La Procédure m’a aidé un peu, parce
que nous avons pu trouver des témoins qui ont vu comment nos maris avaient été tués.
Cela peut être utile pour la procédure judiciaire », racontait une jeune veuve
d’Ermera. Mais l’impression que les témoins ne disaient pas toute la vérité persista. « Comment a-t-il pu (le témoin oculaire du meurtre de son époux) être dans le groupe qui a tué mon frère et mon mari et ne pas y avoir pris part d’une manière ou d’une
autre ? Comment a-t-il pu se contenter de regarder ? J’ai le sentiment que les Procédures
se déroulent selon les désirs des miliciens. Ils voient que la Procédure ne les fait pas souffrir et qu’elle est bonne pour eux, car s’ils acceptent l’arrangement, les gens n’ont plus le
droit de les appeler miliciens. (…) Ce n’est pas ce que j’appelle une réconciliation. »44
De nombreuses familles qui ont perdu un ou plusieurs de leurs membres ont
émis des avis de ce genre. Ils ne cherchent pas à rabaisser le travail de la Commission de vérité dans la mise à jour des crimes ou délits de moindre importance.
Mais ils montrent que pour maintes victimes, les Procédures de réconciliation
sont indissociables de leur besoin de découvrir la vérité et d’obtenir justice pour
les crimes graves.45
28
Mais avant d’en arriver aux évaluations, revenons une fois encore sur l’audition
de Lela-Ufe. Le conseil négocia entre autre des formes appropriées d’indemnisation
entre victimes et coupables. Les trois familles qui avaient appartenu à la résistance
et dont les maisons avaient été incendiées devaient recevoir du tissu tissé (Tais),
des pièces d’argent, du tabac et une eau-de-vie locale en guise de compensation
symbolique. Le conseil demanda d’abord aux femmes de se présenter, ensuite
aux hommes. Ils acceptèrent l’offre dans un esprit de réconciliation. Mais certaines des autres victimes, des paysans pauvres, jugèrent inacceptable le don de
perles ou de tais comme compensation symbolique et réclamèrent une compensation financière. Un des paysans avança que l’accusé lui ayant volé ses chèvres,
il n’accepterait pas moins qu’un cochon de lait. Le conseil négocia au cas par cas.
La Procédure de réconciliation fut scellée par une cérémonie traditionnelle.
3.1. L’évaluation des Procédures de réconciliation
par les victimes et les coupables
Les Procédures de réconciliation ont représenté un réel mélange de méthode de
conciliation traditionnelle et de participation des membres de la communauté,
tout en offrant une passerelle vers le système juridique formel. Cette connexion
entre droit formel et droit coutumier s’est avérée fructueuse. Les procédures étaient
parfaitement conformes aux standards constitutionnels et des droits de
l’homme, et étaient enregistrées au tribunal, facteur qui fut jugé extrêmement
important. Le document judiciaire relatif à l’arrangement obtenu lors des Procédures de réconciliation offre une protection aux parties et sert de preuve du
règlement de l’affaire. Les participants ont d’autant plus regretté que le tribunal
ait besoin d’autant de temps pour établir le document : la plupart des tribunaux
de district, à l’exception de Baucau, ont un fonctionnement déficient, manquent
d’infrastructure et beaucoup de juges et de procureurs sont encore en formation.46
L’intégration des anciens et des chefs de village a instauré une confiance en
la Procédure et lui a conféré l’autorité nécessaire. Le droit coutumier lui a octroyé
un contrôle social et en même temps un caractère coercitif qu’elle n’aurait pas
obtenus par le truchement du seul système juridique et de la police. Le droit coutumier protégeait les coupables de vengeances et d’agressions ultérieures tout
autant qu’il garantissait que les coupables satisferaient aux obligations qui leur
étaient faites.
Un exemple suffit à montrer la force du contrôle social et des traditions au
Timor oriental : sept meurtriers de l’enclave d’Oecussi furent condamnés par le
Tribunal spécial à des peines de prison allant de cinq à sept ans. Le président de
la chambre, Siegfried Blunk, leur accorda un mois pour effectuer en famille et
chez eux les préparatifs de leur absence et pour travailler leurs champs avant la
29
saison des pluies. Le procureur était hors de lui et redoutait que les condamnés
ne s’enfuissent au Timor occidental. Mais ils sont tous arrivés à Dili à la date fixée
et ont demandé aux juges de les mettre en prison.47
3.1.1 Le point de vue des coupables
Les auteurs de délits et crimes ont, dans leur majorité, jugé positivement les Procédures de réconciliation. Ils se sont à leur issue sentis réintégrés dans la communauté et, en premier lieu, ont pu participer à nouveau aux activités de la communauté, ce dont ils étaient auparavant privés par sanction. Ils n’avaient plus
le sentiment que les villageois les considéraient avec méfiance et parlaient dans
leur dos. Ils se sont sentis plus libres. Certains ont pu reprendre leurs anciens
métiers, par exemple en tant qu’instituteurs, d’autres espéraient beaucoup avoir
des chances dans les processus de sélection après avoir blanchi leur nom.48
Un des participants toutefois ne se sent pas véritablement « libéré » par la procédure, même si la communauté l’accepte. Mais deux veuves du village le soupçonnent
d’avoir participé aux meurtres de leurs époux qui travaillaient pour la mission de l’ONU
chargée d’organiser la tenue du referendum (MINUTO). Il affirme qu’il n’a été qu’un
témoin oculaire. Les coupables se trouveraient au Timor occidental et tant qu’ils ne
rentreraient pas et qu’il n’y aurait pas de procès, il ne se sentirait pas libre.
Beaucoup pensent que la Procédure de réconciliation est incomplète tant que
les coupables réels ne sont pas poursuivis au pénal. Mais ils réclament tous que
la Commission continue à faire ses Procédures de réconciliation, car tous, loin
s’en faut, n’avaient pu encore y prendre part. Si elle devait cesser ses activités, il
pourrait y avoir des actes de violence. Il existe donc une forte demande d’audiences
supplémentaires.
Nombre d’auteurs de délits se décrivent eux-mêmes comme des petites gens
et se considèrent victimes des miliciens, puisqu’ils étaient obligés de participer aux
exactions des milices. Ils estiment que le processus est inachevé et injuste puisque
les responsables réels sont toujours en liberté. « Si seules les petites gens reconnaissent leur culpabilité », commente un coupable d’Ermera, « les grands chefs se moqueront de nous. Il faut que le gouvernement, la Commission de vérité et le tribunal coopèrent. En n’ayant que la Commission de vérité, nous n’avons pas encore de justice. »
« Les chefs de la milice Mahidi sont toujours au Timor occidental. Il n’est
pas bon pour nous que les chefs soient toujours en liberté. Ils sont comme le tronc
d’un arbre. Nous n’étions que les feuilles. Nous sommes contents des Procédures de réconciliation mais nous sentons toujours un poids en nous alors que nous
nous sommes soumis à la Procédure, mais les chefs sont toujours libres. L’État
devrait les ramener (…) et les citer en justice, alors nous serons contents », racontent les deux anciens miliciens de Ainaro.49
30
31
3.1.2 Le point de vue des victimes
3.2 Le manque de justice – missions non accomplies
Les victimes ont un sentiment mitigé. Beaucoup ont été satisfaites, ont accepté
les excuses et ont pu tirer un trait. Elles se sont senties également plus respectées
dans la commune, et leurs relations avec les coupables se sont améliorées. Les Procédures de réconciliation les ont aidées à comprendre les motivations et les circonstances des faits. Beaucoup de victimes accordèrent aux exacteurs que les faits
avaient été commis pendant la guerre, qu’ils n’étaient que de simples gens et qu’ils
n’avaient pas eu d’autres alternatives. À l’instar des agresseurs, les victimes soulignaient aussi l’absence de justice lorsque l’on ne pouvait demander de comptes aux responsables effectifs. Une victime dont la maison avait été réduite en cendres explique : « je ne pense pas que les responsables l’aient fait de leur propre initiative
mais parce qu’ils ont été manipulés par d’autres. Je veux les accepter pour que nous parvenions à la paix dans notre pays, dans notre communauté et notre famille. »50
Les personnes qui ont été victimes à plusieurs titres sont insatisfaites des Procédures de réconciliation, notamment quand tous les crimes n’ont pas été débattus, qu’il s’agisse de crimes graves et que la CAVR ne soit pas compétente ou que
les auteurs ne se soient pas soumis à la procédure. En mai 1999, sept miliciens
battirent les enfants de Filomena, incendièrent sa maison, détruirent ses biens
et ses réserves et volèrent le bétail. Filomena considère que la Procédure de réconciliation est une bonne chose. Mais seuls deux des agresseurs ont assumé leur
responsabilité. « Ici il y a beaucoup de gens qui ont commis des crimes, comme battre des gens ou brûler des maisons (…) Nous devons trouver une voie pour se comporter avec ceux qui ne se sont pas soumis aux Procédures de réconciliation. Sinon, je vais
continuer à me sentir « fuan kanek », le cœur malade, parce que les gens qui ont commis des crimes ne sont pas punis. Ils vivent bien et n’ont pas souffert comme nous.
L’État doit faire quelque chose dans cette affaire. Nous devons prolonger la Procédure.
(…) Si les criminels ne se présentent pas tous, les gens (le reste des coupables) vont se
moquer de moi, parce qu’ils verront que je n’ai pas obtenu justice. »51
Pour les personnes qui déplorent la perte d’un membre de leur famille, les
Procédures de réconciliation ne représentent qu’une étape provisoire vers l’objectif réel, la justice. Elles se servent des Procédures pour obtenir des éclaircissements et rassembler des informations, comme Sandina, une jeune femme de Alieu
dont le frère a été assassiné à Atambua au Timor occidental. « Ceux qui ont avoué
avoir brûlé notre maison, je leur ai volontiers pardonné. Je n’étais pas en colère contre
eux, avant non plus, car ce sont de pauvres gens. Mais c’est bien qu’ils aient suivi la
Procédure et expliqué ce qu’ils avaient fait. Ils ont en outre confirmé que mon frère avait
été tué par le commandant de la milice. Ils l’ont vu de leurs propres yeux. (…) mais
nous n’avons encore pas eu justice. »52 Pour elle comme pour beaucoup d’autres, la
justice est le préalable qui permettra de trouver à nouveau la paix. « Les choses
les plus importantes pour moi sont la justice et la paix. Pour parvenir à une réconciliation, il faut une justice appropriée » rappelle un ancien prisonnier politique de Dili.53
Le travail de la Commission de vérité se concentrait sur les affaires de moindre
gravité. Il existait une association et un partage des tâches bien définis avec les
organes judiciaires qui avaient compétence pour les crimes graves. Ce double bras
avait été accepté par la population. Plus le travail de la Commission de vérité était
accepté et plus étaient grandes même les attentes de la population à voir les
« gros poissons », les auteurs de crimes graves, traduits en justice. Elle espérait
que la justice reprendrait le flambeau là où la Commission de vérité l’avait laissé. Mais ces attentes furent vaines. Le parquet et le Tribunal spécial ne purent
inculper qu’une partie des coupables. Pour des questions de capacité, les juges
d’instruction n’ont pas non plus été en mesure de poursuivre au pénal les personnes qui n’avaient pas reçu l’autorisation d’effectuer une Procédure de réconciliation. Aucun de ces suspects n’a bénéficié d’une procédure pénale. Les deux
instances ont été fermées par les Nations Unies en mai 2005, alors qu’elles
n’avaient pas rempli leur mission. La justice est-timoraise ne continuera pas à
poursuivre les crimes graves de 1999, encore moins donc les affaires qui se sont
déroulées entre 1974 et 1998. Pour le moment, il semble qu’elles ne seront même
pas instruites. Le système judiciaire timorais n’est pratiquement pas en état de
fonctionner, et à ce jour il y a environ déjà 3 000 affaires en instance auprès des
différents tribunaux. Une montagne qui ne fait que croître depuis que tous les
juges en formation ont échoué à l’examen de portugais.54
Le concept de la Procédure de réconciliation au Timor oriental avait été finement réfléchi mais il a perdu un gros atout à l’épreuve de la pratique : le système judiciaire ne s’était pas développé selon les vœux des concepteurs, c’est-àdire qu’il n’a pu satisfaire à sa tâche qui était de poursuivre les crimes graves. Le
parquet a instruit les affaires qu’il a estimé prioritaires, toutes les autres sont
restées en instance. Cela a des conséquences négatives sur le travail de la Commission de vérité et le travail reste inachevé. Les criminels qui sont exclus des
Procédures de réconciliation attendent impatiemment une procédure pénale. Ils
veulent vivre dans les communautés, chacun sait qu’ils sont suspectés et il ne
peut être en conséquence donné satisfaction à leur désir de réconciliation ; mais
le processus s’arrête désormais là. « Si je ne peux pas avoir l’opportunité de parler,
alors les gens vont penser que j’ai tué. Certains pensent que je ne suis pas quelqu’un
de bien. Beaucoup ne comprennent pas que j’avais un arrangement avec Failintil, et
j’étais pour l’indépendance. Que vont devenir ces affaires, la mienne y compris, si la
CAVR s’arrête ? »55
Le chef du village de Faulata décrit avec frustration la colère et le désarroi
qu’ont déclenché, surtout chez la jeune génération, ces vaines attentes, mais aussi
les sérieux problèmes qu’elles ont impliqués. Pour les miliciens suivistes, le village a organisé des Procédures de réconciliation. Mais le chef de la milice est éga-
32
33
lement rentré et il est soupçonné par l’ensemble de la communauté d’avoir participé à l’assassinat de douze personnes : « la communauté se demande pourquoi la
CAVR ne peut rien faire. Pourquoi ne s’occupe-t-elle que des petites affaires ? Nous sommes perturbés. Il vit dans notre village et nous le traitons gentiment mais s’il devait lui
arriver quelque chose, je ne me sentirais pas responsable. (...) Nous devons connaître
la vérité et ensuite le punir. Mais pour le moment nous ne voyons pas de loi (…). Je voudrais dire au gouvernement : la réconciliation a déjà commencé mais maintenant il faut
aussi que la justice arrive. »56
Une proposition de résolution du problème, émise par le ministre des Affaires étrangères, Ramos-Horta, et actuellement en discussion, est de prolonger le mandat de la Commission de vérité. Il propose à cet effet d’élargir les Procédures de
réconciliation aux crimes graves. Il faudrait pour cela revoir la procédure de cette
instance. Elle devrait comprendre un programme d’indemnisation des victimes,
à titre de partie de la sentence prononcée contre les coupables, explique Aniceto
Guterres, le président de la Commission de vérité. Il considère qu’une solution
restreinte vaut mieux que pas du tout. Même si elle ne permet de parvenir qu’à la
forme la plus minime de justice.57 Mais cette proposition est hautement impopulaire
au Timor oriental, comme le prouvent les déclarations suivantes :
« J’ai toujours des doutes sur la réconciliation. Mon père a été assassiné ; croyezvous que je puisse me réconcilier avec la personne qui l’a tué ? Ce que je veux dire par
là, c’est que le coupable doit être puni. » (homme de 42 ans du village de Umatolu)
« Je pense qu’on peut parvenir à la réconciliation pour quelques problèmes moins graves, comme les coups, les injures etc. mais les crimes graves comme le meurtre ne peuvent
pas être résolus par ce moyen là. C’est la mission de la loi. » (femme de 30 ans, Liquisa)
« Les coupables doivent être punis, car ils ont enfreint la loi et violé les droits d’autrui. La loi est là pour protéger les innocents et les coupables doivent répondre de leurs
actes. »58 (homme de 24 ans d’Umatolu)
Les résultats des enquêtes doivent ensuite être présentés en détail dans un rapport final. Celui-ci vise alors non seulement à informer sur le passé mais également à fournir une contribution importante à l’analyse de l’histoire contemporaine et à permettre d’apprécier les faits. Envisager son passé avec un regard
critique permet à une société de discerner les nouvelles menaces et de minimiser l’éventualité de nouvelles injustices par des mesures structurelles préventives. C’est à ce moment là seulement que peut surgir l’espoir que les séquelles des
injustices passées ne s’étendront pas aux générations futures.
La tâche de la Commission n’est pas simplement de dévoiler les actes criminels et les violations des droits de l’homme, elle doit mettre en évidence les
structures qui sous-tendent le conflit et apporter un éclairage sur les circonstances,
les contextes, et les acteurs. Cela signifie aussi désigner la responsabilité des personnes, des institutions et organismes étatiques. « Le potentiel conflictuel de ce processus est élevé » rapporte Santina Fernandez de Fokupers, une organisation de
femmes, « puisqu’en fin de compte, c’est aussi le conflit intratimorais des 25 dernières années qui va être examiné ». Une étape importante de la formation de la jeune
nation a été de relater et documenter l’histoire, en premier lieu de donner la parole aux habitants. « C’est une contribution importante à la construction de la nation,
qui a aussi permis de créer une conscience historique. »60
Pour établir la vérité et pour documenter l’histoire du conflit, la Commission
est-timoraise a recueilli et repertorié des dépositions de victimes et témoins de violations des droits de l’homme dans tout le pays. Le bureau national de Dili a mené
des enquêtes et des recherches historiques sur des problématiques d’importance
générale. En outre, la Commission a organisé des auditions publiques avec des
victimes, des témoins et des experts ainsi que des auditions de victimes dans les
districts. Pour cette opération, la Commission a obtenu de larges pouvoirs. Le département de la découverte de la vérité est le plus important de la Commission.
4. Établir la vérité
4.1 Auditions nationales et auditions des victimes
La deuxième tâche de la Commission de vérité après le travail de réconciliation
est de mettre au jour les violations des droits de l’homme. Les victimes ou leurs
familles ont le droit de savoir qui est responsable de la répression exercée à leur
encontre. Il doit leur être simultanément donné l’opportunité de parler de l’injustice qu’elles ont subie et d’acquérir une reconnaissance sociale. Toute société doit connaître les structures dont le régime s’est servi pour exercer la répression et la terreur, découvrir jusqu’où la collaboration est allée et quelles étaient
les formes de résistance, pour que les faits ne puissent être travestis et qu’il soit
impossible de faire de mythes sur le passé un instrument de la politique présente.59
Les auditions nationales et thématiques, ainsi que les auditions de victimes dans
les districts, ont constitué l’un des points forts du travail de la Commission. Les
auditions thématiques se sont placées sous la devise de « La réconciliation par la
vérité ». Elles devaient offrir aux victimes de recouvrer leur dignité et d’obtenir
reconnaissance publique de l’injustice qu’elles avaient subie. Les auditions mettaient un terme au silence, révélaient et montraient les mobiles, les facteurs et
les conditions structurelles qui sous-tendaient la violence et le conflit.
La Commission a organisé au total huit auditions nationales en son siège
de Dili sur les thèmes suivants :
34
• Les prisonniers politiques
• La violence à l’encontre des femmes
• La faim et les déplacements forcés
• Les massacres et les exécutions illégales
• Le conflit politique entre 1974 et 76
• Le rôle des acteurs internationaux
• L’influence des années de conflit sur les enfants, et enfin
• L’expérience des violations des droits de l’homme.
Elles s’étendaient chaque fois sur deux ou trois journées durant lesquelles la parole était donnée aux victimes, aux témoins de l’époque et aux témoins oculaires.
Des experts et des acteurs internationaux intervenaient pour approfondir des
points fondamentaux. Des membres des organisations de la société civile indonésienne étaient également invités : ils relataient leur travail de soutien au
Timor oriental et analysaient le comportement politique de leur pays. Chacune
de ces auditions sera décrite ultérieurement dans un chapitre spécifique.
Les auditions suscitèrent un grand intérêt dans la population, elles furent
retransmises à la télévision et diffusées sur les radios de tout le pays. Des hauts représentants de l’Église, des membres du gouvernement et du Parlement y ont participé régulièrement et activement, renforçant ainsi l’importance de la Commission
et confortant le sentiment de reconnaissance des témoins. Ces derniers avaient été
sélectionnés par les collaborateurs des centres de districts à partir des dépositions
qu’ils avaient fait antérieurement devant la Commission. Par souci d’équilibre, les
collaborateurs avaient aussi tenu compte de l’âge et du sexe des témoins. Ces derniers étaient préparés lors d’un atelier à raconter leur histoire en public.
Beaucoup ont jugé insuffisant l’accompagnement psychosocial, un impératif
pour les victimes de violence. « On a brièvement ouvert les plaies des gens mais on
n’a pas fait assez attention au suivi », juge Santina Fernandez de l’organisation de
femmes « Fokupers », qui a participé au déroulement des ateliers.
Des cérémonies d’ouverture et de clôture conférèrent un cadre solennel aux
auditions, qui avaient été minutieusement préparées. Après des chants et des
discours inauguraux prononcés par l’un des commissaires, par l’évêque ou par
un membre du gouvernement, qui soulignait l’importance de l’audition et préparait avec tact les personnes présentes à la suite des événements, les témoins
prêtaient solennellement serment. La dignité avec laquelle les victimes ont fait
leur déposition n’a cessé d’être impressionnante : ils ont pris conscience qu’il
existait beaucoup de points communs dans les souffrances qu’ils avaient subies,
ce qui donna lieu à maintes situations émouvantes. Les commissaires veillaient
avec beaucoup de sensibilité à ce que rien n’empiète sur l’espace offert aux
35
témoins. À l’issue de chaque déposition, les commissaires posaient des questions
pour éclaircir tel ou tel point ou pour approfondir les conséquences que ce vécu
entraînait dans la vie quotidienne des témoins. Un des objectifs des auditions
était de mettre en évidence le « prix » à payer pour une personne victime de violations des droits de l’homme. Ils demandaient également toujours quel était le
message que les témoins voulaient adresser aux dirigeants politiques du pays.
Les auditions s’achevaient par une synthèse et une réflexion.
Les auditions mettaient en pratique une solidarité concrète en prêtant
l’oreille aux victimes et en tentant de leur rendre justice. Alors que les auditions
thématiques proposaient en même temps de faire l’examen de l’histoire du
conflit, les auditions des victimes dans les districts constituaient en premier lieu
un processus de guérison par la reconnaissance et par le partage d’expérience.
Plus de cinquante auditions publiques ont été menées dans les districts sous la
devise « Écoutez nos voix ». « La Commission de vérité a donné la possibilité aux gens
d’exprimer leur histoire et leurs sentiments. Ce fut un processus de guérison. La souffrance des gens était entendue et ils ont obtenu la reconnaissance de la communauté.
En ce domaine, la CAVR a effectué du bon travail » estime Hugo Fernandez, directeur du département de la découverte de la vérité.62
4.2 Interviews, dépositions des témoins et saisie des données
(Statement Taking Process)
Selon Hugo Fernandez, « les commissaires de districts et les équipes de districts sont
allés dans les communautés de tout le pays et ont présenté le travail de la Commission. Les gens pouvaient alors décider librement s’ils voulaient raconter leur histoire à
la Commission. » Au total, presque 8 000 dépositions de violations des droits de
l’homme ont été enregistrées, ce qui correspond à 1% de la population. Les témoins racontèrent aux collaborateurs de la Commission les violations des droits
de l’homme dont ils avaient eux-mêmes été l’objet ou dont ils avaient été
témoins, et décrivirent le contexte dans lequel elles s’étaient déroulées. Un projet pilote avait auparavant donné des résultats précieux quant aux méthodes concrètes à suivre pour l’enquête. Il a paru ainsi judicieux d’enregistrer sur cassette
les dépositions et de laisser les interlocuteurs s’exprimer dans leur dialecte. Tous
ne maîtrisent pas la langue véhiculaire, le tetum, ou l’indonésien. Afin de saisir
le mieux possible les données de manière systématique, des questionnaires ont
été mis au point. Les 52 intervieweurs (quatre par sous district, deux hommes,
deux femmes) évaluaient régulièrement leur travail au cours de séminaires qui
permettaient aussi d’exprimer les problèmes et d’affiner les techniques d’interview.
La Commission reçut l’aide de collègues de l’« International Centre for Transi-
36
tional Justice » et de « Human Rights Watch », ainsi que d’autres experts reconnus de commissions de vérité.63 Auparavant, les intervieweurs avaient reçu une
formation dispensée par la « PRADET » (Program for Psychosocial Recovery and Development), une organisation spécialisée dans le traitement du traumatisme et
dans les techniques spécifiques à adopter lors d’interviews de personnes meurtries. La formation visait à reconnaître plus aisément les signes de stress et de
traumatisme des interviewés et à apprendre à composer avec son propre stress,
susceptible de surgir de ce travail avec les victimes et auteurs de crimes.
Les interviews furent ensuite codées en trois catégories en vue de la saisie
des données : selon le contexte des faits (dans quel contexte se sont déroulés les
actes de violence rapportés), selon la nature de la violation des droits de l’homme
et selon l’auteur (qui fit quoi, quand et comment ?).
« Les dépositions qui pouvaient être très longues, furent résumées par les collaborateurs du département », explique la consultante internationale Susana Barnes.64
Il fallait faire ressortir clairement le circuit victime – auteur – victime. Certains
Timorais qui avaient été des victimes au début du conflit, en 1974/75, commirent ensuite des exactions pendant la période d’occupation indonésienne avant
de se retrouver en 1999 à nouveau dans le camp des victimes. Aniceto Neves, de
l’organisation de défense des droits de l’homme « Yahasan Hak », a estimé que
la Commission de vérité s’était trop peu intéressée à ce conflit intra-timorais et
s’était trop fortement concentrée sur la responsabilité majeure de l’Indonésie.65
Une fois encodées, les dépositions étaient saisies informatiquement. Des
contrôles inopinés ont été organisés tout au long de la phase de travail, pour en
vérifier constamment la qualité et pour l’améliorer. Il en allait de même pour le
travail des intervieweurs et des codeurs. On ignore encore à l’heure actuelle si les
interviews seront accessibles au public dans leur intégralité ou seulement dans la
version codifiée conservée dans les archives de la Commission. Les panels de données révèlent la forme des violations des droits de l’homme que les Timorais orientaux ont vécu à telle ou telle phase de l’occupation. Un premier dépouillement
de 50 premières interviews montra que les détentions illégales accompagnées de
tortures et de maltraitances ont constitué l’infraction la plus courante. On peut
citer d’autres formes telles que les exécutions sommaires, la destruction de propriété, les disparitions, les viols, les déplacements forcés, et les menaces de mort.
L’année 1999 n’est pas la seule à avoir été synonyme de triste paroxysme de
l’usage de la violence. Les années 1979 à 1983 notamment, époque de brutalités massives de l’armée indonésienne, le furent tout autant. La majorité des auteurs
identifiés sont des membres de l’armée indonésienne mais nombre de dépositions mentionnent également des actes de violence perpétrés par les partis timorais et la résistance armée, le Falintil. Les dépositions sont un témoignage historique de l’horreur. Elles ont permis de rassembler une masse considérable
37
d’informations instructives. Au premier rang, elles aidèrent la Commission de
vérité dans son rôle d’avocate de la société à mieux comprendre la violence dans
son contexte, ainsi que ses effets sur la société.
Comment se répartissent ces 8 000 dépositions ? 80% sont réalisées par des
victimes, 10 à 15% par des témoins et seules 5 à 10% par des auteurs de crimes.
Selon Hugo Fernandez, un des problèmes est que la proportion de femmes ne
s’élève qu’à 26%. De plus, un quart d’entre elles ne se sont pas concentrées sur
ce qu’elles avaient vécu mais ont relaté ce qui était arrivé à leurs époux ou familles. Hugo Fernandez met ce phénomène sur le compte des barrières culturelles :
dans la société patriarcale du Timor oriental, les femmes se taisent quand les
hommes parlent. Les époux ou les frères avaient déjà raconté beaucoup de choses. D’autres ont hésité à raconter leurs expériences, surtout lorsqu’il s’agit de
violences sexuelles. Les femmes se taisent par honte, par peur de l’exclusion sociale et du déshonneur qu’elles causent à la famille. « Les femmes ne se sentent
pas libres de parler d’elles, elles parlent avec les personnes en qui elles ont vraiment confiance. » Le niveau d’instruction joue également un rôle. Afin d’associer plus étroitement les femmes à leur travail, les collaborateurs et collaboratrices ont changé de méthode en cours de route et ont recueilli des dépositions collectives,
espérant par là encourager les femmes et réussir à entrer en contact avec elles.
Aujourd’hui encore, alors que la Commission a fermé ses portes et qu’elle
rédige son rapport final, elle reçoit toujours des demandes de gens qui souhaitent participer et faire une déposition. Mais il faut désormais trouver d’autres formes pour le faire. La réconciliation et la découverte de la vérité sont un processus
social auquel il est impossible d’imposer une limite. Ce fait entre en contradiction avec le caractère temporaire du travail des commissions de vérité. Mais il
est possible de continuer à établir la vérité en édifiant des mémoriaux par exemple, ou en créant des instituts de recherches et des ateliers d’histoire. Le dialogue au sein de la société peut être promu et activé grâce à des recherches artistiques ou journalistiques sur le passé, soutenu par des mesures dans le domaine
de l’éducation et de la formation. Ce sont des voies permettant de protéger les
formes de la mémoire collective des manipulations politiques.66
Pour revenir à la société timoraise, il faut faire attention aux formes de transmission de l’histoire, de son interprétation et de la restauration de l’ordre politique qui lui est inhérente. Il faut veiller à leur utilisation en tant que médium,
que ce soit dans des récits oraux, dans des chansons, des réunions villageoises,
des cérémonies ou festivités régionales et supra-régionales. L’Église catholique
est un moteur de ce travail, non seulement quand elle exige justice pour les victimes mais aussi en promouvant le processus de réconciliation. Dans son rapport final, la Commission de vérité fera des recommandations concrètes sur la
forme sous laquelle le processus de réconciliation peut se poursuivre. Un collo-
38
que ouvert au public a d’ailleurs été tenu sur ces questions en juillet 2004,
auquel des consultants internationaux avaient été invités.
« Nous avons fait beaucoup d’efforts pour convaincre les gens de déposer devant
la Commission », explique Fernandez. « Le problème était entre autre que beaucoup
d’organisations non gouvernementales et de journalistes avaient déjà été voir les gens
pour écouter leur histoire et leur avaient fait nombre de promesses que la plupart du
temps ils n’ont pas tenu. Ils ont gagné pas mal d’argent avec ça mais pas les gens. »
Beaucoup ont ainsi espéré toucher quelque chose pour leur déposition. Les
témoins ne réclament pas seulement la justice mais aussi une indemnité. Ils ont
le sentiment que le gouvernement leur doit quelque chose. Les collaborateurs
de la Commission se sont efforcés d’expliquer clairement que la Commission ne
pouvait rien donner. La Commission prendra position dans son rapport final et
dans les recommandations sur les indemnités et les aides aux victimes.
4.3 Recherches
« Beaucoup d’affaires de droits de l’homme que nous avons reçues pendant le conflit
du Timor oriental étaient globalement concentrées sur la capitale de Dili. Nous ne savions
pas grand chose de ce qui se passait dans le pays. À l’étranger, la plupart des massacres, d’ailleurs, étaient inconnus et même au Timor oriental beaucoup ignorent les détails
de ce qui s’est passé dans les districts. Ces tâches blanches sont en train de disparaître grâce au travail de la Commission de vérité », explique Akihisa Matsuno, l’un
des chercheurs étrangers.67 Ce chercheur en sciences politiques de l’université
d’Osaka au Japon est, comme nombre de ses collègues de la CAVR, un expert de
longue date du conflit timorais et il accompagne depuis des années le travail des
droits de l’homme.
Des experts venus du monde entier ont soutenu leurs collègues timorais du
département recherche par leur savoir d’experts ; ils ont apporté leur aide à la
recherche des sources et de la littérature scientifique. Pendant ce temps, les collaborateurs timorais se sont concentrés sur le travail de terrain : ils ont réalisé plus
de 1 000 interviews de victimes et de témoins, suivi des indices et enquêté sur
les faits sur place. Les collaborateurs et collaboratrices d’organisations esttimoraises de femmes ou des droits de l’homme se sont également investis en
apportant leur expertise ou des documents. « Ils fournissent tous un travail exceptionnel et sont très engagés » rapporte Akihisa Matsuno, « cependant, il faut savoir
que le Timor oriental ne compte que très peu de personnes qualifiées pour un travail de
cette nature. Il n’y a pour l’instant aucun doctorant ou jeune chercheur qui s’intéresse
à ce thème et qui auraient pu soutenir la commission. »
Ce département fait un travail de pionnier ; la manière dont il mène des
recherches sur l’histoire du conflit, la décrit et la réinsère dans son contexte socio-
39
historique est exceptionnelle et a été impossible jusqu’alors. Il se concentre moins
sur les cas individuels de violations des droits de l’homme, même si bien évidemment ils sont inclus dans le rapport final. Il réunit plutôt des informations
qualitatives sur le rôle des différents acteurs et montre les répercussions du conflit sur l’ensemble de la société ou sur les groupes sociaux. Le département
recherche de la Commission s’intéresse à dix thèmes dont certains ont fait l’objet d’auditions publiques nationales. Ces thèmes analysent les répercussions de
famines et de déplacements forcés de population, le rôle des acteurs internationaux dans la lutte pour l’autodétermination et celui des partis politiques dans
la guerre civile de 1975. D’autres thèmes sont abordés, tels que la violence à
l’encontre des femmes, victimes et activistes pendant le conflit timorais, et à
l’encontre des enfants et des jeunes. Les massacres, les tortures, les pratiques de
disparition et les conditions de vie des prisonniers politiques seront étudiés et
leur aspect systémique sera mis en évidence. D’autres recherches se consacrent
aux structures, aux stratégies et aux pratiques de l’armée indonésienne et de la
police ainsi qu’à celles de la résistance est-timoraise. Une enquête spécifique se
charge de déterminer précisément le nombre de décès. Le temps imparti ainsi
que le personnel à disposition font qu’il a été impossible de mener des recherches sur les violations sociales et économiques des droits de l’homme.
Pour Hugo Fernandez, « La Commission aurait eu besoin de plus de temps, il a
été impossible de mettre tout à jour dans une envergure qui aurait été souhaitable. »
Akihisa Matsuno explique qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour tout,
ce qui lui fait craindre que la qualité du rapport final en pâtisse. La Commission
a dû s’appuyer principalement sur des dépositions orales ainsi que sur la littérature secondaire et sur les rares documents originaux qui existaient. Elle n’a pu
avoir accès aux dossiers de l’armée, de la police ou du gouvernement, ni inviter
des personnes clés de l’armée et du monde politique ou mettre sous protection
des preuves en Indonésie. Nous touchons là une différence fondamentale par
rapport aux commissions des autres pays : au Timor oriental, on enquête sur des
crimes qui résultent d’une invasion étrangère. Lorsque les soldats et les fonctionnaires indonésiens ont quitté le territoire, presque tous les documents ont
été détruits ou transportés. Il a été impossible de mettre au point une collaboration avec les institutions gouvernementales d’Indonésie.
Mais cela ne doit en aucun cas minimiser la valeur du travail et du rapport
final ; nombre de lacunes seront comblées par d’autres recherches, d’autres analyses de l’histoire du temps présent ou par une étude plus approfondie – qui iront
bien au-delà du travail de la Commission.
40
4.4. Recensement rétrospectif des décès entre 1974 et 1999
Les estimations du nombre de personnes ayant péri pendant le conflit oscillent
entre 100 000 et 350 000 morts. La presse du Timor oriental parle aujourd’hui
généralement d’au moins 200 000 décès, dus à l’intervention de l’armée, à des
disparitions, à la faim ou à des épidémies. Ce chiffre équivaut à environ un tiers
de la population. La Commission a mené un recensement rétrospectif pour évaluer avec plus de précision le nombre de pertes en vies humaines. Selon un principe aléatoire, des sondages ont été effectués dans 2 000 foyers du Timor oriental. Des étudiants timorais ont recensé toutes les tombes de tous les cimetières
publics. Le cumul des décès a été recoupé avec les données sur les déplacements
forcés et les famines ainsi que sur les massacres dans les différentes régions. Les
positions de fosses communes présumées ont été localisées par GPS (global positioning system). La Commission a été aidée dans cette tâche par le Bureau national de la statistique du Timor oriental et par des organisations des États-Unis spécialisées dans l’exploitation des données sur les violations des droits de l’homme.
4.5 Profils des communautés
Les discussions de groupe dans les communautés, menées dans 3 à 5 villages par
sous-district, ont été un élément clé de l’éclairage historique et du soutien aux
victimes. Christine Schenk, assistante de projet chez GTZ et qui travaillait pour
la Commission de vérité explique : « Nous avons tenté de faire ressortir dans ces discussions quelles étaient les répercussions du conflit, moins pour les individus que pour la
communauté dans sa globalité. Principalement, nous avons aussi cherché à savoir quelles stratégies la communauté avait appliqué pour surmonter le passé. »68
Les collaborateurs et collaboratrices régionaux de la Commission passèrent
en revue chacune des années du conflit avec des groupes réunissant 15 à 40 personnes sélectionnées parmi les membres des communautés. Les chronologies établies au cours de ces ateliers donnent des informations précieuses sur des sujets
tels que l’invasion, la manière dont l’armée a conduit la guerre, les déplacements
forcés et les famines, mais aussi sur les violations économiques et sociales des
droits de l’homme. En relatant l’histoire du village dans le contexte du conflit,
les participants ont conjointement élaboré des recommandations qui prenaient
en compte des besoins de la communauté.
La communauté villageoise de Sabuli à Metinaro, par exemple, décrit son
expérience en ces termes : « En août et septembre 1975, la communauté villageoise
s’est réfugiée dans les montagnes. Nous avons édifié des maisons au pied de la montagne Cotomorin. Comme il n’y avait là pas de médicaments, nous utilisions des méthodes traditionnelles. Nous enterrions les morts dans le village de Vilanova et jusqu’à aujourd’hui leurs ossements sont restés enterrés. (…) En 1976, l’école élémentaire a rouvert,
41
mais tous les instituteurs étaient bénévoles – en guise de salaire, ils recevaient 10 kg
de riz par mois. (…) À cette époque, toutes les femmes du village étaient obligées
d’aller toutes les nuits à des fêtes pour y danser. Elles étaient organisées par Babinsa
(sous-officier de l’armée indonésienne qui dirigeait le village) et par la police. »69 Il était
capital de bien préparer ces ateliers et d’avoir un groupe bien équilibré. Certains
profils de communautés ont aussi été dressés avec des femmes uniquement. Christine Schenk rapporte que « leurs récits étaient très substantiels, elles faisaient plus de
recoupements et elles racontaient clairement ce qu’avait été la lutte pour la survie. »
Au total, la Commission a réalisé 257 profils de communautés grâce à plus
de 4 000 participants. Dans le rapport final, elle mettra en relief quelques cas
d’étude. Les profils ont permis aux communautés de définir ensemble l’histoire
de leur village et de mettre en évidence l’influence des violations des droits de
l’homme. Les chercheurs et chercheuses du département découverte de la vérité de la Commission se sont appuyés sur ces profils lors de leurs recherches, qui
les ont aidés à ordonner leurs résultats et à les circonscrire dans le temps. Enfin,
ils ont aussi permis au département soutien aux victimes de mettre au point des
mesures concrètes pour la reconstruction globale des communautés villageoises,
qui seront mentionnées dans le rapport final.
4.6 Le département juridique
Le département juridique de la Commission a soutenu le département découverte de la vérité et celui de la réconciliation pour toutes les questions juridiques
qui se posaient au quotidien et coopéra également étroitement avec le département recherche. Il a rassemblé de façon ciblée des sources juridiques ciblées pour
chacun des dix thèmes de recherche. On relève à ce titre les définitions des différentes violations des droits de l’homme et les questions importantes en droit
international. De surcroît, le département a aidé les intervieweurs et les codeurs
lors de l’enregistrement des dépositions, dans le but de garantir que toutes les
formes de violations ont été correctement saisies sur le plan juridique.
4.7 Les relations publiques
Pour assurer la réelle contribution de la Commission de vérité à la paix sociale,
à la réconciliation et à l’information, il était fondamental d’associer la population et de la tenir le plus possible informée du travail réalisé. Cette tâche a été
assurée par le département relations publiques en toute transparence et sous des
formes variées. Chaque bureau de district disposait également d’un ou d’une
responsable des relations publiques.
42
Le département a fait connaître les objectifs et les missions de la Commission
en distribuant des brochures et des affiches, en organisant des manifestations
dans tout le pays et en accompagnant le travail en cours. Étant donné que la moitié des Timorais ne sait pas lire, le département s’est concentré sur les médias radiophoniques et télévisuels. Le programme de radio maison « CAVR Dalan ba
Dame – le chemin de la paix » a produit des émissions diffusées sur Radio Timor
Leste et d’autres chaînes. Radio Hirondelle a diffusé toutes les semaines un programme de la Commission avec des informations et des interviews à destination
des réfugiés au Timor occidental. Les auditions nationales ont été diffusées en
direct à la radio et à la télévision puis écourtées et retravaillées dans une perspective
didactique, pour en faire des documentaires.
Les médias du Timor oriental ont activement accompagné ce processus et
en ont régulièrement fait écho. Les rapports détaillés de la Commission, rédigés
régulièrement dans les langues officielles – tetum et portugais – mais aussi dans
les langues de travail – anglais et indonésien – ont permis aux médias, à un public
éclairé et aux intéressés ne vivant pas au Timor oriental de s’associer aux événements. Les rapports étaient immédiatement mis en ligne sur le site de la
Commission. Le département des relations publiques a développé de bonnes relations au sein de la société, et a collaboré avec des organisations non gouvernementales, des partis, l’Église, des organisations de femmes et des organisations
pour la jeunesse.70
4.8 Le département du soutien aux victimes
Il y a grande nécessité à aider les victimes et les survivants à dépasser les séquelles des injustices subies. Les collaborateurs de la Commission de vérité ont jugé
que l’offre en soutien était insuffisante.71 En ce domaine, le travail de la Commission a été un processus d’apprentissage. Les collaborateurs réalisèrent avec
toujours plus d’acuité d’une part l’ampleur que devait avoir le travail afin que
la vie des victimes de violence s’améliore, de l’autre combien divergeaient les besoins des différents groupes sociaux. Les jeunes qui avaient été actifs dans la résistance civile avaient été arrêtés et torturés et ont dû interrompre leur formation
professionnelle ou universitaire ; dans les districts, les paysans sont devenus infirmes à force de coups et ne peuvent plus subvenir suffisamment aux besoins de
leurs familles ; les femmes ont perdu leurs époux et ne peuvent plus compter que
sur elles-mêmes ; beaucoup ne peuvent plus occuper d’emplois à plein-temps à
cause des problèmes de santé résultant de la torture et de la captivité.
La Commission de vérité a organisé six ateliers de guérison, pendant lesquels
elle écoutait attentivement les survivants et victimes, afin de mieux comprendre leurs soucis et besoins et d’inclure les recommandations adéquates dans le
43
rapport final. Les ateliers ont été réalisés en coopération avec institutions ecclésiastiques et les organisations qui travaillaient dans ce domaine. On incitait de
façon créatrice les survivants à réfléchir à leur expérience : à quoi ressemblait leur
vie avant l’usage de la violence, comment ont-ils vécu la violence, à quoi ressemble leur vie aujourd’hui, et comment espèrent-ils qu’elle va évoluer ? Ces réflexions
ont été exprimées dans des dessins, des chants, des danses, des pièces de
théâtre et dans des prières collectives. L’échange d’expérience a fait découvrir aux
participants qu’ils pouvaient se soutenir mutuellement. « Celui qui intériorise son
état de victime et ne le dépasse pas, meurt » déclare Kieran Dwyer. « C’est le travail
de toute une vie, pas à pas, réfléchir toujours et encore et travailler à ce que pourrait
être une vie meilleure. » Il a été très important pour les victimes qu’une institution officielle et étatique, la Commission de vérité, les écoute et qu’ils obtiennent une reconnaissance à l’échelle nationale. Simultanément, ce travail a montré clairement combien il était fondamental de le poursuivre, afin de lutter
contre la marginalisation des victimes de violence et de soutenir le processus de
guérison individuel comme l’ouverture de nouvelles perspectives d’existence. La
Commission, en collaboration avec des organisations non gouvernementales,
travaille à des projets de plus longue haleine, visant à mieux répondre à
l’accompagnement nécessaire et à la réhabilitation sociale des victimes.
4.9 Le rapport final et les recommandations
Dans son rapport final, la Commission de vérité présentera ses résultats et les
recommandations qu’elle en tire. Le rapport de quelques 2 000 pages sera remis
au président du Timor oriental, qui le transmettra sous quinze jours au premier
ministre et au Parlement et sous trente jours au secrétaire général des Nations
Unies. Ensuite, le rapport doit être accessible au public et diffusé à l’échelle internationale. La Commission présentera les résultats à la population timoraise au
cours d’une campagne menée dans tout le pays et expliquera quelles mesures
concrètes doivent en découler en matière de justice, de réconciliation et de paix
nationale. Le président Aniceto Guterres dans son message à la population indique que « les recommandations doivent tenir compte des besoins des victimes de violations des droits de l’homme et être suivies d’avancées politiques, juridiques et administratives. »72 Afin de s’assurer que la population puisse avoir accès aux
informations de ce rapport, des émissions de radio et un film seront produits.
Le rapport de la Commission constituera la première présentation officielle
et globale des violations des droits de l’homme commises au Timor oriental pour
des mobiles politiques. Les gens se retrouveront dans cette histoire et l’injustice sera reconnue. Le rapport se structure comme suit : le mandat de la Commission
de vérité et la méthode utilisée, le contexte juridique, l’histoire du conflit, le régi-
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me d’occupation, le mouvement d’indépendance, les formes des violations des
droits de l’homme, le processus de réconciliation, les responsabilités puis le résumé et les recommandations.
Par ce rapport, la Commission souhaite rendre hommage aux victimes des
violations des droits de l’homme, survivantes et décédées. Il sera un document
officiel sur les violations des droits de l’homme et sur les souffrances des Timorais, définitivement établies, même pour les générations futures. Il doit aider la
population à comprendre les expériences vécues pendant le conflit de ces 25 dernières années et à en tirer les leçons pour qu’un tel conflit ne se reproduise pas.
Enfin, la Commission souhaite aussi dire publiquement et reconnaître ce qui s’est
réellement passé au Timor oriental pendant le conflit et partager les résultats avec
les États voisins, en particulier avec l’Indonésie. Le rapport doit contribuer à ce
que la communauté internationale comprenne également mieux les injustices
qui se sont déroulées au Timor oriental.73 La Commission espère que ses résultats auront une influence sur les débats publics et sur la future politique du Timor
oriental, mais aussi de l’Indonésie.
« Le rapport sera une analyse minutieuse du passé. Non seulement il nommera les
violations des droits de l’homme commises par l’Indonésie au cours de l’occupation,
mais il mettra en évidence aussi les violations des droits de l’homme qui se sont déroulées au sein de la société est-timoraise, au sein de la résistance même. Nous devons montrer que nous sommes conscients que des violations des droits de l’homme ont été perpétrées dans notre propre pays par nos propres compatriotes », selon Carmen da Cruz,
collaboratrice de la Commission de vérité et membre de la résistance. « J’espère
que le rapport et les recommandations déclencheront une campagne, afin que les gens
entendent parler de leurs droits de l’homme et les exigent du gouvernement. Pour que
les choses ne puissent plus se développer comme sous le gouvernement indonésien. J’espère que des organisations non gouvernementales étudieront et analyseront le rapport
et se l’approprieront pour leur stratégie de campagnes futures. Dans les mois et années
à venir nous serons confrontés à de nombreux problèmes politiques, parce que des gens
abuseront de leur pouvoir. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir une société civile
puissante. Personnellement je souhaite continuer à travailler pour le respect des droits
de l’homme. Et je souhaite remercier tous ceux qui à l’extérieur nous ont soutenu durant
toutes ces années et qui ont été nos voix. Nous l’avons toujours su et ça nous a permis
de tenir. »74
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5. Les auditions nationales
Grâce aux auditions nationales publiques, la Commission de vérité a ouvert un
espace aux victimes dans lequel elles peuvent raconter leur histoire et partager
avec la société leurs expériences, ainsi que les faits dont elles ont été les témoins oculaires. Même si tous ne voulaient ou ne pouvaient pas faire une déposition lors des auditions, les gens se sont retrouvés dans les histoires entendues :
« En reconnaissant les souffrances de l’un, nous reconnaissons les souffrances de tous
les Timorais, nous entendons notre histoire nationale », résume le président Aniceto Guterres Lopes.75 Des témoins de l’époque et des acteurs internationaux ont
complété le tableau. Les auditions nationales, uniques dans leur genre, furent
la première opportunité offerte à la société d’étudier avec toutes ses controverses l’histoire des conflits – de la guerre civile à la terreur milicienne en passant
par la période d’occupation – et de s’informer mutuellement.
5.1. « Rona Ami Lian » – Écoutez nos voix76
11-12 novembre 2002
La première audition nationale de la Commission de vérité fut placée sous la devise « Écoutez nos voix ». Les victimes de violations des droits de l’homme étaient
conviées à partager avec la société leur histoire et leurs souffrances. Dans le pays
entier, les Timorais suivirent avec grande émotion l’audition, retransmise en direct
à la radio et à la télévision. Six femmes et huit hommes, d’âges divers, issus de
tous les districts du Timor oriental dirent ce que leur avaient fait subir l’armée
indonésienne et les miliciens est-timorais, ainsi que les membres des partis UDT
et Fretilin. La rénovation de l’ancienne prison de Comarca, siège de la Commission, n’étant pas encore achevée, l’audition publique se déroula dans l’ancien bâtiment du Conseil national de résistance (CNRT), alors dissous. Le public
fut nombreux. La date avait été soigneusement choisie : le 12 novembre était le
11e anniversaire du massacre du cimetière de Santa Cruz, qui avait vu
l’armée tirer sans sommation sur la foule, tuant au moins 270 personnes.
Madaleine Pereira avait douze ans, lorsqu’en août 1975 des membres de l’UDT
incendièrent la maison de sa famille, membre du parti Fretilin. Son vieux grandpère périt dans les flammes. De 1977 à 1978, elle fut détenue dans les bâtiments
de l’état-major du district d’Ermera et servit d’esclave sexuelle à un soldat. Elle
eut deux enfants - l’un est mort - de cet homme dont elle a oublié le nom. « Beaucoup de gens m’ont traitée de ‘Prostituée dont l’enfant n’a pas de père’. Jusqu’à aujourd’hui je vis seule, souffrant, avec mon enfant et sans époux. »
En 1975, Teresinha da Silva fut incarcérée avec sa famille dans un camp de
prisonniers du Fretilin et a vu comment les gens mouraient de faim, parce qu’on
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ne les autorisait pas à sortir du camp pour quérir de quoi manger. Elle décrivit
comment les membres du Fretilin ont assassiné son mari à coups de couteau et
comment d’autres personnes furent exécutées.
Atanacio da Costa, de l’enclave d’Oecussi, survécut, plus mort que vif, à
l’attaque de la milice Besi-Merah-Putih quelques jours avant le referendum de 1999.
Il reçut des coups de machette et fut battu à coups de bâton. Il en est à sa dixième opération. Mais il n’a toujours pas recouvré la santé, a urgemment besoin de
soins intensifs, ce que ne lui permettent pas ses moyens financiers très modestes.
Le jour du referendum, le 30 août 1999 à l’aube, des soldats vinrent chercher Germano Gomes Amaral et ses amis et les emmenèrent dans une maison
où les attendaient des miliciens. Ils furent roués de coups, avec des cannes et des
barres en fer ; lorsque Germano reprit conscience, il vit son ami Pedro da Costa,
gisant mort à ses côtés. On les renvoya chez eux, mais personne ne sait encore
aujourd’hui ce qu’il est advenu du corps de leur ami. D’autres racontèrent comment ils furent pris en chasse par les soldats indonésiens, capturés, torturés dans
des centres d’interrogatoire et en prison.
La dernière à paraître devant la Commission fut Esmeralda dos Santos. La
jeune femme avait été témoin de l’assaut que les milices Laksaur et Mahidi, avec
l’aide de l’armée indonésienne ont lancé le 6 septembre 1999 sur l’église Ave Maria
à Suai, où 2 000 personnes environ avaient trouvé refuge. Les miliciens l’emmenèrent avec d’autres femmes dans une école : « ils nous ont violé de 7 heures
du soir à 4 heures du matin. » Au bout d’une semaine, les miliciens les déportèrent vers le Timor occidental, où les viols se poursuivirent. Esmeralda tomba
enceinte. Elle demanda à la Commission si elle pouvait présenter sa petite fille
et le public applaudit Mary Robinson. Esmeralda avait donné à sa fille le nom de
l’ancienne Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme qui
en 2000 s’était rendue à Suai et avait rencontré Esmeralda et son nouveau-né.
Bouleversées par ces histoires douloureuses et la dignité avec laquelle elles
étaient racontées, nombre de personnes présentes se mirent à pleurer, se bercèrent étroitement enlacés, et se remémorèrent leurs propres expériences traumatisantes. Une jeune femme, entourée de ses amis, rappela le meurtre de son
époux, le lendemain de ses noces en août 1999.
« J’aimerais vous dire que vous n’êtes pas seuls » dit Aniceto Guterres Lopes, président de la Commission en conclusion de l’audition. « Par vos histoires, vous avez
partagé votre souffrance avec nous et nous l’éprouvons à travers vous. Vous avez pu voir
aujourd’hui combien l’histoire de votre tourment nous a tous ému. Notre cœur vous est
grand ouvert. »
47
5.2 Les prisonniers politiques
17-18 février 2003
L’audition des prisonniers politiques se fit le jour de l’inauguration solennelle
du siège de la Commission de vérité dans l’ancienne prison de Comarca. Le sujet
n’aurait pas pu être mieux choisi, puisque nombre des 14 témoins avaient passé
des années derrière ces murs. Durant l’occupation indonésienne du Timor oriental, des milliers de personnes furent détenues sans inculpation ni procédure judiciaire dans des conditions horribles et furent torturées. D’innombrables personnes
ont été exécutées en toute illégalité, une des violations des droits de l’homme
les plus graves, souvent maquillée en « disparition ». Bien que les « disparus »
aient été vus pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité, les autorités refusaient de reconnaître qu’elles les avaient arrêtés. Lorsque leurs familles
s’enquéraient de l’endroit où ils se trouvaient, il leur était répondu que ces personnes étaient parties vers une autre destination :
« Quand ils veulent liquider quelqu’un, ils disent qu’il est parti pour poursuivre ses
études, à Jakarta ou à Lisbonne, ou qu’il a été appelé en urgence à Kelikai. Kelikai est
un poste administratif au pied du mont Matebian, où nombre de meurtres ont été perpétrés. Au nom de Kelikai, nos cœurs battent la chamade et nos cheveux se dressent
sur nos têtes, car Kelikai c’est la mort assurée pour ceux qui y sont appelés. »77
Les meurtres systématiques et à grande échelle comme les cas de « disparition » atteignirent des sommets durant les offensives militaires, notamment dans
la première phase du conflit jusqu’à l’ouverture du Timor oriental en 1989, mais
restèrent une pratique courante même au-delà, jusqu’au referendum de 1999.
« Le problème était que tant qu’aucun observateur indépendant n’avait accès au
Timor oriental, les informations diffusées par l’Indonésie, selon lesquelles il n’y avait
pas de violations des droits de l’homme, pouvaient modeler l’opinion publique mondiale », commentent Martinho Martins et Gil Guterres de l’Association des
anciens prisonniers politiques, l’ASSEPOL, qui introduisirent l’audition publique. Les prisonniers politiques n’ont pas été les seuls à être complètement isolés, le verrouillage de l’information a pesé sur le pays tout entier. En premier lieu,
ce sont les prisonniers des régions rurales qui ont été complètement abandonnés et isolés.78 Arrestations arbitraires, tortures et exécutions sommaires faisaient partie de la stratégie militaire pour asservir les Timorais orientaux. Quiconque ayant des contacts avec la résistance était en danger ; et il n’y avait même
pas besoin de preuve, un simple soupçon suffisait. Les militaires ne se contentaient pas de menacer d’exterminer les familles et parents des membres de la résistance, destin qui a touché notamment les familles des hauts représentants de la
résistance. Les membres de la famille et les amis de membres présumés de la résistance ont fréquemment été jetés en prison et torturés, dans le but de leur extorquer des informations et de faire pression sur les suspects pour qu’ils se rendent.
48
Le nombre des prisonniers excéda rapidement la capacité des prisons existantes. Les gens furent retenus dans les quartiers généraux des états-majors régionaux et de districts, dans les postes de police et les bâtiments des services secrets.
L’île d’Atauro au large de la capitale Dili devint une île à prisonniers après le soulèvement national du 10 juin 1980 qui échoua faute de coordination. Le soulèvement entraîna des arrestations massives et dans les années qui suivirent de plus
en plus de personnes furent internées à Atauro. Il n’y avait là ni soins médicaux
ni alimentation suffisante. « Tous les jours deux à trois prisonniers mouraient », indique José Guterres, ancien détenu.79 Selon les estimations d’amnesty international, plus de 3 800 prisonniers se trouvaient à Atauro en 1983.
5.2.1 « La torture faisait partie intégrante de l’interrogatoire »
Tortures et interrogatoires se déroulaient régulièrement sur les bases militaires
et des maisons privées réquisitionnées à cet effet. L’hôtel Flamboyan à Baucau,
hérité de la période coloniale, fut un de ces centres de l’horreur comme la maison dénommée « rouge et blanche » (rumah merah putih, par allusion aux couleurs du drapeau indonésien), qui abrite désormais le siège d’une association de
vétérans. À Dili, l’entrepôt Sang Tai Hoo, l’hôtel Tropical, ainsi que certaines maisons dans le district de Farol furent des centres de torture tristement célèbres des
services de renseignement et de l’armée.
« En 1975, l’armée arrêta ma mère, (…) j’étais à l’époque une petite fille, j’avais
un peu plus de quatre ans. Mon frère aîné était membre du Fretilin, raison pour laquelle toute ma famille, à l’exception de ma mère qui était infirmière, s’était réfugiée dans
les montagnes. (…) Elle fut libérée en 1976. » Mais à peine quelques jours plus tard,
elle est à nouveau arrêtée, cette fois avec sa fille. « Ma mère et moi avons été emmenées à Sang Tai Hoo, (…) ma mère y a été battue, on lui a craché dessus, on lui a fait
subir des électrochocs, on l’a brûlée avec des cigarettes, et menacée avec un pistolet. Je
ne pouvais rien faire, sinon regarder. (…) À chaque fois que ma mère était interrogée
et torturée, j’étais à ses côtés avec un « oncle » qui traduisait. J’ai aussi vu comment
un autre homme a été torturé par les soldats (…), jusqu’à ce qu’il perdît conscience et
qu’ils lui jetassent de l’eau, et quand il reprenait conscience, ils poursuivaient leurs tortures. (…) La TNI arrêta un homme qui ne pouvait pas marcher mais seulement se traîner, ainsi que son fils qui devait avoir deux ou trois ans de plus que moi. La TNI commença à les interroger mais le vieil homme se taisait. »80 Selon les dires du traducteur,
continue Maria José Franco Pereira, le garçon a répondu aux questions, il avait
en effet vu des membres du Fretilin avec des armes. À partir de cet instant, la
TNI s’est dit que l’on pouvait être certain que les enfants disaient la vérité et ils
commencèrent à torturer Maria. « À chaque fois que j’étais torturée, ma mère criait
et suppliait qu’on ne me torture pas car j’étais encore si petite. (…) Mais la TNI ne
49
l’écoutait pas et ils nous torturaient ma mère et moi à tour de rôle. » En 1977, elles
furent toutes les deux transférées à Balide Comarca, où les interrogatoires de la
mère continuèrent. « À chaque fois qu’ils venaient la chercher, elle revenait malade.
». En 1979, elles furent toutes les deux libérées, mais la mère ne s’en remit pas,
commença à perdre la mémoire, eut plus tard une attaque d’apoplexie et mourut en 1983.
Maria da Silva fut arrêtée en 1977 et envoyée à Sang Tai Hoo pour y être interrogée. Elle devait avouer être en contact avec le Falintil et avoir reçu des lettres.
Mais elle n’avoua rien. Elle y fut détenue 25 jours de rang, elle devait se dévêtir,
elle fut brûlée avec des cigarettes, violée, battue et subit des électrochocs. À la
fin, elle cita des noms de membres de la résistance et des lieux où elle avait des
contacts avec le Falintil. Après cela, elle fut envoyée à Comarca et à nouveau torturée. « Ils plantaient des clous sur nos vêtements et nous violaient jusqu’à l’aube. »
On l’enferma à plusieurs reprises dans la cellule individuelle, particulièrement
redoutée. Les seuls qui à l’époque étaient autorisés à rendre visite aux détenus
étaient les religieuses et les prêtres. La Croix rouge n’obtint accès aux prisons qu’en
février 1982, plus de six ans après l’invasion. Ces visites étaient irrégulières et
réduites à un petit nombre de prisons. L’évêque rendit visite à Maria et aux autres
prisonniers alors qu’elle était incarcérée à Sang Tai Hoo. Il posa des questions sur
sa situation et sur les conditions de détention. « La TNI chassa cet évêque, le traita de « sale chien » et l’injuria. »81 Maria fut libérée le 16 juillet 1978 et travailla
ensuite dans l’administration indonésienne, mais continua aussi à être active dans
la résistance. « En 1980, des soldats de la TNI me suivirent et me harcelèrent jusqu’à
ce que je me plie aux désirs d’un lieutenant-colonel. Il est le père de ma fille. »82
« La torture faisait partie intégrante de l’interrogatoire, parce qu’ils pensaient que
s’ils n’employaient aucune pression, ils auraient du mal à obtenir des aveux », précise
Gregorio Saldanha, l’un des leaders de la résistance civile. La résistance nonviolente joua un rôle de premier plan à partir de la fin des années 80 et fut activement supportée par des jeunes gens qui avaient grandi sous le joug indonésien.
En dépit de l’appareil de répression indonésienne, ils profitaient de chaque occasion pour organiser des actions publiques de protestation. L’Indonésie réagit en
renforçant les arrestations arbitraires de courte durée de personnes suspectes,
notamment avant les visites de délégations et d’observateurs internationaux.83 Gregorio Saldanha fut arrêté avec des camarades suspects avant la visite du pape JeanPaul II au Timor oriental en 1989, puis relâché avec l’obligation de faire des rapports à l’armée. « À cette époque, l’armée pensait pouvoir empêcher par nos arrestations
les manifestations d’accueil du pape, parce que notre réseau avait été découvert. »84 À
l’issue d’une messe que le pape célébra devant plus 100 000 fidèles, se forma une
manifestation pour l’indépendance. Devant les yeux de journalistes étrangers, la
police la dispersa brutalement et arrêta 40 jeunes.
50
La manifestation du 12 novembre 1991 est devenue tristement célèbre et est plus
connue sous le nom de massacre de Santa Cruz. L’armée tira sur Gregorio, qui
avait organisé la manifestation, avant de l’arrêter et de le torturer. Il décrivit aussi
minutieusement la terreur psychique qui était alors exercée. On lui répéta à maintes reprises que sa famille avait d’ores et déjà été assassinée et son village réduit
en cendres à cause de ses actes.
5.2.2 Des simulacres de procès
Au cours des années 1980, les critiques se firent de plus en plus nombreuses sur
les conditions de détention et en premier lieu sur l’incarcération arbitraire de personnes, sans inculpation ni procès. Depuis, des centaines de Timorais orientaux
ont été déclarés coupables de subversion ou « d’exprimer des sentiments hostiles »
envers le gouvernement indonésien au terme de simulacres de procès et condamnés
à de longues années d’incarcération. Le procès le plus spectaculaire de cette nature fut celui instruit contre Xanana Gusmão, le chef du mouvement de résistance
et actuel président du Timor oriental. Xanana fut fait prisonnier le 20 novembre
1992. En mai 1993, il fut reconnu coupable de rébellion et de détention illégale
d’armes et condamné à la prison à vie. Il n’avait pas eu le droit de choisir son défenseur et il n’a pu bénéficier d’un avocat commis d’office que six jours, seulement,
avant le début du procès. Le juge interrompit au bout de 2 pages la plaidoirie de
l’avocat, qui en comptait 29, au motif qu’elle n’était « pas pertinente ».85
Gregorio Saldanha fut lui aussi condamné à être privé de liberté à vie. « Avant
que je puisse répondre à une question, ils me bombardaient avec les suivantes, de sorte
que je n’avais aucune possibilité d’y répondre » a-t-il rapporté lors de l’audition de la
Commission de vérité. Et il poursuivit sur le déroulement du procès, « les questions qu’ils me posaient allaient en général dans tous les sens et je faisais ainsi souvent
des erreurs dans mes réponses. » Un avocat de la célèbre organisation d’assistance
juridique indonésienne, LBH (Lembaga Bantuan Hukum), offrit son aide à Gregorio et fit un excellent travail. Pourtant, aussi longtemps que Suharto fut au pouvoir, lui et son association ne pouvaient faire grand-chose. Selon Gregorio, sa condamnation à perpétuité était tombée à l’instant même où il a été inculpé.86
Les détentions sans inculpation ni procès ont continué à être monnaie courante au Timor oriental. Les prisonniers se sont vus maintes fois refuser tout contact avec des avocats, des émissaires de la Croix rouge et d’autres organisations,
de même qu’avec leurs familles, tout au moins au début de leur incarcération
lorsque les traces de torture étaient par trop visibles. Inlassablement, monseigneur Belo et de nombreux autres prêtres et sœurs engagés entreprenaient des
démarches directement auprès de la police, de l’armée et des autorités, réclamaient
l’accès aux prisonniers et essayaient de les protéger. Ils ont offert refuge dans les
51
églises à nombre de persécutés, leur donnaient du travail et les plaçaient sous
leur protection personnelle. Certains détenus étaient libérés après quelques
jours, d’autres restèrent détenus des mois, voire des années. Souvent ils devaient préalablement à leur libération avoir signé une déclaration dans laquelle ils
reniaient leurs convictions politiques. Cette déclaration était souvent liée à
l’engagement du prisonnier à fournir désormais des informations sur la résistance
aux militaires. « Les Timorais étaient des maîtres accomplis dans toutes les subtilités de la résistance : avec des gestes hypocrites, touchant à la satire, ils extériorisaient
leur obéissance, sabotaient le travail des oppresseurs tout en jouant les assistants
zélés. »87 Les occupants indonésiens n’ont effectivement bénéficié d’un soutien
loyal que de très peu de Timorais. Cela ne doit cependant pas masquer qu’ils avaient parfaitement réussi à instaurer un climat de méfiance. Certains Timorais
espionnaient pour le compte de l’armée, d’autres firent semblant. Ces derniers
obtinrent des informations importantes des agents de liaison de l’armée et en
échange les alimentaient en fausses nouvelles. Toutefois, il est arrivé que s’en suive
une confusion aux conséquences parfois fatales.
5.2.3 Le soutien d’organisations en Indonésie
Les autorités se mirent de plus en plus à transférer les prisonniers politiques vers
Jakarta ou vers Semarang sur l’île de Java. Les détenus bénéficièrent alors de
l’assistance juridique et de l’aide humanitaire de membres d’organisations indonésiennes de défense des droits de l’homme et d’assistance juridique. Les représentants
de l’ASSEPOL reconnurent que grâce à l’assistance juridique du LBH, dont ils
n’ignorent pas la valeur de l’engagement, la situation des prisonniers politiques
détenus en Indonésie s’était nettement améliorée dans les années 1990. Luhut
Pangaribuan, avocat à la LBH, et qui en tant que tel avait défendu beaucoup de
Timorais orientaux, a été invité à l’audition de la Commission de vérité et raconta ce rude travail. Les images du massacre de Santa Cruz en 1991 ont non seulement fait que l’Indonésie n’a plus été en mesure de dissimuler au monde ses procédés brutaux envers la population du Timor oriental, mais elles ont aussi ouvert
les yeux de beaucoup d’Indonésiens. Un nombre croissant d’organisations non
gouvernementales se solidarisèrent, commencèrent à faire un travail d’information, et à remettre en question la politique est-timoraise de leur gouvernement.
Le président Xanana remercia de vive voix et en lui offrant des fleurs
l’avocate indonésienne des droits de l’homme Ade Rostina Sitompul lors de l’audition, elle qui s’était des années durant occupée de prisonniers dont Xanana
lui-même, incarcéré à Jakarta jusqu’en 1999. Le frère d’Ibu Ade, fit partie avec
de multiples amis des centaines de milliers de personnes arrêtées en 1965 lors
du coup d’État de Suharto et de sa prise de pouvoir. Depuis, elle s’occupe des pri-
52
sonniers politiques et de leurs familles. En 1987, Ibu Ade vit les 47 Timorais incarcérés dans la prison de Cipinang à Jakarta et leur fournit de la nourriture, des
vêtements et des médicaments. Elle raconta comment ses visites étaient strictement surveillées et qu’à partir de 1989 on lui refusa l’accès à la prison. Elle ne
put reprendre ses visites qu’en 1993, après le changement de direction de la prison. Après le massacre de Santa Cruz, qui fut suivi d’une vague d’arrestations, des
organisations religieuses et de défense des droits de l’homme organisèrent un réseau de soutien humanitaire et juridique aux détenus timorais. « À l’époque, je suis
allée à Dili avec les avocats Luhut Pangaribuan et Hendardi et je travaillais comme agent
de liaison avec les familles de prisonniers. J’ai pu me servir de mes liens avec les prisonniers
de Cipinang pour gagner la confiance des familles. J’ai poursuivi mon travail en prison,
jusqu’à ce que tous les prisonniers timorais fussent libérés. »88
Après le départ forcé du président Suharto en mai 1998, les prisonniers politiques furent libérés par vagues, et finalement Xanana Gusmão après le référendum de 1999.
Francisco Guterres Lu-Olo, président du Fretilin et de l’Assemblée nationale, clôtura l’audition de deux jours, profondément ému par les dépositions. Il
avait réalisé que sa propre souffrance, pendant les 25 années qu’il a passées dans
la résistance dans les montagnes, n’avait pas été si terrible que celle que les prisonniers avaient connue. S’adressant à leurs dirigeants politiques, les témoins
oculaires appelèrent au respect des droits de l’homme et à ne plus permettre qu’il
y ait des abus de pouvoir au Timor oriental.
Le département recherche de la Commission recensera dans son rapport final
tous les lieux du Timor oriental et d’Indonésie où des prisonniers ont été détenus et réalisera un répertoire de tous les prisonniers.
5.3 La violence à l’encontre des femmes au Timor oriental
28-29 avril 2003
L’audition de la Commission de vérité sur la violence faite aux femmes a mis en
lumière la diversité et la spécificité des violations des droits de l’homme commises contre les femmes et les jeunes filles au Timor oriental sous l’occupation
indonésienne, c’est-à-dire entre 1975 et 1999. Dans le même temps, et de manière tout aussi significative, les femmes permirent par leurs dépositions d’avoir un
aperçu de leurs multiples activités pour la libération de leur pays. Leurs actes furent
moins spectaculaires et sont restés relativement imperceptibles, conformément
à leur rôle dans la société. Même de l’extérieur, les femmes ont peu été considérées comme des victimes. « Pourtant, les femmes avaient une influence dans la
résistance, elles jouaient un rôle important en tant que messagères. Elles étaient reconnues dans ce ‘travail clandestin’, parce que les hommes avaient besoin d’elles. On par-
53
lait de leur contribution et on les prenait au sérieux » explique Licinha Gonsalves de
l’organisation de femmes Fokupers.89 Les femmes offraient un refuge aux
blessés, s’occupaient du ravitaillement en nourriture et médicaments, étaient actives dans la résistance civile, faisaient de la propagande politique et entretenaient
la flamme de la résistance. Certaines ont aussi combattu dans les rangs du Falintil.
Tout comme les hommes, elles viennent d’être recensées dans les enquêtes
menées par les deux associations de vétérans pour le compte du gouvernement,
mais elles n’ont jusqu’à aujourd’hui pas été incluses dans les programmes de réinsertion professionnelle et n’ont pas été non plus indemnisées. La société timoraise n’a pas encore rendu officiellement hommage à la contribution des femmes à la résistance, leur activisme politique n’ayant pas entraîné grand
changement des traditions en matière d’égalité dans la reconnaissance. Manuela Leong Pereira, directrice de Fokupers, déclare que « les femmes sont publiquement nommées le jour de l’indépendance et lors de la journée de la femme, mais il n’en
résulte aucune aide concrète »90 Licinha précise que « la coopération des femmes et
des hommes pendant la résistance ne s’est que très modérément transmise au Timor
oriental indépendant. Les femmes sont redevenues invisibles, ne sont plus reconnues,
et elles doivent faire montre de courage pour combattre ce mouvement. »
« La violence à l’encontre des femmes était un instrument pour affaiblir la résistance » selon l’ancien gouverneur du Timor oriental, Mario Carrascalão.91 Les
épouses ou filles étaient arrêtées à la place de leurs maris ou pères, que l’armée
soupçonnait d’appartenir à la résistance. Les femmes des combattants du Falintil étaient des cibles de choix. Les viols ont été utilisés comme instrument de la
guerre, et beaucoup de membres de l’armée firent des femmes leurs esclaves sexuelles.92 Toujours selon Mario Carrascalão, il était courant que les soldats peu gradés fournissent des femmes à leurs supérieurs pour faire avancer leur carrière. Les
soldats appelaient les femmes leurs « épouses locales », concept qui minimise la
brutalité de la prostitution forcée. Et il précisa que la maltraitance des femmes
et des jeunes filles n’avait en aucun cas été accidentelle ou un événement isolé.
La violence à l’encontre des femmes fut systématique et visait à intimider et à
humilier la population. Les coupables n’ont jamais eu à rendre de comptes.
5.3.1 La force des femmes du Timor oriental
Beatriz Miranda Guterres, dont le mari disparut et fut probablement assassiné
en 1984, raconta comment elle fut forcée de vivre pendant dix ans avec trois soldats indonésiens différents. Elle eut un enfant de chacun des trois soldats, qui
l’abandonnèrent successivement, elle et leur enfant, à la fin de leur service. Le
premier fut un soldat de l’unité d’élite Kopassus, qui la roua de coups. Après cela,
son propre beau-frère appela le chef du village et les voisins. En présence des sol-
54
dats d’élite, l’assemblée du village, dont faisait partie ses beaux-parents, lui dit
qu’elle devait accepter le soldat. Cela ne jouerait aucun rôle et personne ne la
mépriserait. Tous sauraient qu’elle y avait été forcée. « Si tu refuses, nous mourrons tous. Il est préférable que tu vendes ton âme pour sauver notre peau à tous. » Quand
elle fut contrainte de vivre avec le deuxième soldat, elle se dit alors : « ok. Je me
divise en deux moitiés. Je lui donne la partie inférieure, mais la partie supérieure
appartient à mon pays, le Timor oriental. » Enfin, deux soldats se battirent pour
elle et le chef du village fut appelé pour arbitrer le litige. Mais il dirigea sa mauvaise humeur contre Beatriz. Elle était facteur de discorde. Le village aurait ensuite des ennuis. Elle devait choisir un des deux hommes mais pas les deux. Lorsqu’elle répondit que ce n’était pas sa faute, on l’invectiva. Aujourd’hui Beatriz
vit dans son village avec ses enfants et est un membre accepté de la communauté.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Des années durant, elle fut méprisée et traitée de « fille à soldats ». Elle fut même suspectée d’espionnage. Elle fit front avec
colère à ses diffamations ; à la suite de quoi plus personne ne dit du mal d’elle.93
Outre les blessures corporelles, la prostitution forcée et les viols laissent non
seulement des sentiments d’humiliation et d’impuissance mais provoquent également souvent des dommages psychiques irrémédiables. Ainsi que l’écrit amnesty
international, le viol reflète la puissance débridée et le mépris monstrueux du
bourreau envers sa victime.94
En sus des souffrances physiques et psychiques, les femmes du Timor oriental devaient fréquemment souffrir de voir leurs maris se détourner d’elles, en particulier lorsqu’un enfant naissait de cet acte humiliant. De même, les familles
n’acceptaient pas le viol et rejetaient les victimes. Nombre d’entre elles étaient
alors contraintes de travailler comme prostituées ou de continuer à servir d’esclave sexuelle, pour pourvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.
L’impuissance et le statut inférieur des femmes dans la société timoraise traditionnelle ont précipité les femmes dans un cercle vicieux de blessures perpétuelles : violentées par les soldats indonésiens, elles étaient exclues de leur propre
société et en de nombreux endroits également de l’église locale, qui n’a absolument pas su saisir le traumatisme des femmes, leur humiliation ni les soutenir
pendant cette période de crise. Une des conséquences est que beaucoup de femmes considèrent qu’évoquer leur histoire est complètement tabou.95
Il ne leur a pas été aisé de franchir le pas pour témoigner en public lors de
l’audition de la Commission de vérité, de raconter les injustices dont elles avaient souffert, notamment quand il s’agissait de violence sexuelle. De nombreuses
femmes redoutaient d’offenser leur famille et craignaient la diffamation de la société. « Lors de leurs témoignages, les commissaires hommes et femmes ont accompagné
les femmes avec beaucoup de sensibilité et leur ont laissé le temps de parler »,
55
rapporte Maria Tschanz, qui travaille comme activiste civile pour la paix pour
l’AGEH dans l’organisation de femmes Fokupers. Il avait été possible de percevoir dès l’atelier de préparation le grand soulagement des femmes à l’idée que
le temps du silence était désormais terminé et qu’elles allaient se faire publiquement entendre.96
« Mon petit village est dans les montagnes et n’est pas accessible par automobile.
Jamais un politique n’est venu jusque chez nous. Mais aujourd’hui, par la grâce de Dieu,
la Commission de vérité nous a donné la possibilité de nous asseoir autour d’une table
pour raconter notre histoire à la nation », commence par dire Olga da Silva Amaral
lors de sa déposition. Elle raconta comment en 1980 l’armée étendit sa présence jusqu’aux villages où elle établit des postes. En 1982, les forces armées menèrent une opération de grande ampleur dans la région ; les soldats attaquèrent
les écoles et incendièrent les maisons. Tous les hommes du village d’Olga furent
arrêtés et envoyés sur l’île aux prisonniers d’Atauro au large de Dili. Pour les femmes, ce fut le début du cauchemar. Olga éveilla les soupçons, car à cette époque
elle soignait un combattant du Failintil blessé par balles. Elle fut arrêtée. « À cette
époque il n’y avait que des femmes à la base de commandement de Dare. Nous fûmes
torturées l’une après l’autre par des militaires de l’ABRI (forces armées indonésiennes)
et par des membres du Hansip (forces de défense civile). Avant de me violer, ils m’ont
frappé la tête jusqu’au sang avec une chaise en bois, ils m’ont frappé sur la cage thoracique gauche avec une arme, et ils me donnaient des coups de bottes par derrière jusqu’à
ce que je ne puisse plus marcher. Mais la torture ne s’arrêta pas là. J’ai subi des électrochocs sur les mains, les oreilles et les pieds (…) jusqu’à ce que je sente que mon sang
ne coulait plus et que je n’avais plus de force. Ce fut à ce moment là qu’ils me violèrent. Ils m’ont torturé de cette manière pendant un mois. »
« Il n’y avait pas un jour sans viol » continue Olga da Silva Amaral, qui réussit à fuir avant d’être à nouveau arrêtée quelques mois plus tard. À la base
d’Ainaro, où les interrogatoires, la torture et les viols se répétèrent, ses bourreaux
la retinrent prisonnière pendant trois mois dans des toilettes. Un jour, une
codétenue la remarqua et lui murmura par un trou percé dans le mur qu’elle devait
admettre toutes les accusations et affirmer qu’elle avait agi sur son ordre. À la
suite de cela, elle obtint une cellule normale et fut libérée en avril 1983. Peu après,
son mari rentra également de deux ans de détention à Atauro pendant lesquels
il avait vécu, selon elle, des horreurs. « Nos deux familles se réunirent et débattirent
de tous les problèmes que j’avais subis pendant que j’étais aux mains du pouvoir de
l’armée indonésienne. Un prêtre nous a soutenu et conseillé mon époux et moi. Je me
suis décidée à m’en remettre entièrement à mon mari (…). Le prêtre demanda à mon
mari s’il me prenait à nouveau pour femme et il le fit. »
56
5.3.2 La violence durant la guerre civile
Les exacteurs n’étaient pas tous des soldats indonésiens. Durant le conflit interne du Timor oriental en 1975, des femmes ont été la cible de violence en raison
de l’appartenance partisane de membres de leurs familles. Appartenir ellesmêmes à un parti ne protégeait pas non plus les femmes. « Bien qu’active au sein
de l’OPMT (l’organisation féminine timoraise affiliée au Fretilin), le Fretilin a arrêté toute ma famille en 1977 », exposa Maria Antonia Santos Sousa.98 Son père et
son oncle étaient membres de l’UDT. Elle passa pour traître, fut interrogée et torturée, a vu les membres de sa famille et bien d’autres mourir de faim et elle a vu
aussi les séquelles de tortures dans les camps de prisonniers du Fretilin. Le traitement inhumain de la population et des prisonniers par les différents partis puis
par la résistance est un des chapitres les plus épineux de l’histoire récente du Timor
oriental.
« Ma sœur a été violée par des membres du Fretilin. Et moi, membre du Fretilin,
par des membres de l’UDT » intervint Victoria Henrique pendant le témoignage
de sa sœur Rita da Silva, les deux s’enlaçant en larmes sur la scène. « Nous avons
obtenu l’indépendance, nous avons souffert pour ce drapeau (…), nous sommes sœurs
(…) et nous sommons les dirigeants politiques du Timor oriental de s’assurer que cela
ne se reproduise jamais (…) ». « Ce témoignage si douloureux » résuma en conclusion le père Jovito Araujo do Rego « est un avertissement sur les conséquences du
conflit pour tous les hommes du Timor oriental qui pensaient qu’il serait courageux
d’entretenir une culture guerrière. »99
5.3.3 La violence des milices en 1999
Ana Lemos, la fille d’Ines da Conceicão Lemos, faisait de la résistance active. Elle
était secrétaire adjointe de l’OMT, l’organisation féminine du Conseil national
de la résistance, le CNRT, dans la région d’Ermera. Elle se rendait souvent à la prison de Gleno et apportait à manger aux prisonniers politiques. Ce qui n’échappa ni à la police secrète ni aux milices locales. En 1999, elle travailla pour la mission de l’ONU relative à la tenue du referendum (MINUTO). Les collaborateurs
locaux de l’ONU étaient considérés par les miliciens et l’armée comme des traîtres avérés et étaient particulièrement pourchassés. Ana vécut ses atroces derniers
jours dans les griffes de l’armée et de la milice Darah-Merah-Integrasi. Elle fut violée devant sa maison par tous ses poursuivants, pendant que sa mère et ses deux
enfants restaient impuissants à l’intérieur. Le chef de la milice vint la chercher
deux jours plus tard et le soir même un autre milicien dit à sa mère qu’elle
n’avait plus besoin d’attendre sa fille, elle avait été assassinée. On retrouva par la
suite ses vêtements dans une tombe anonyme dans la forêt d’Ermera.
57
Les femmes et les jeunes filles continuèrent à subir terreur, intimidations et viols
dans les camps de réfugiés du Timor occidental. Dans ces camps, nombre de miliciens se défoulaient de leur frustration politique en violentant les femmes. C’est
ce que rapporta un groupe de femmes qui a mené des enquêtes dans 74 camps
de réfugiés. Au départ, lorsque les femmes et les jeunes filles rentraient des camps
de réfugiés au Timor oriental, il est arrivé régulièrement qu’elles ne soient pas
acceptées par leurs familles. Les familles craignaient la honte, car les femmes
auraient collaboré avec les milices. On a fait état dans le district de Maliana de
prêtres qui auraient refusé l’accès à l’église à des femmes tombées enceinte après
avoir été violées, ainsi que le baptême des enfants nés de ces viols. Ce qui ce serait
traduit ensuite par l’exclusion des femmes de la communauté. « Certains prêtres
préféraient regarder le ciel que la réalité. Mais cette perspective a désormais changé »
précise Manuela Leong Pereira. Ce sont des cas isolés et ils ne correspondent en
aucun cas à la politique officielle de l’Église locale. On peut leur opposer de multiples exemples de religieuses et de prêtres ayant fait preuve d’engagement et de
soutien. Néanmoins, le processus de développement du pays doit aussi intégrer
l’Église en tant que composante de la société. Un domaine dans lequel cette insertion se réalise est actuellement celui de la violence domestique. « Le soutien principal que Fokupers obtient de l’Église est qu’elle thématise la violence domestique et aide
ainsi à créer une conscience autour de ce problème », explique Maria Barreto.100
L’Église s’engage aussi dans un travail de conseil avec les familles concernées et
les auteurs de violence. En soutenant des organisations de femmes comme
Fokupers, les organisations caritatives contribuent à ce que l’Église soit plus intégrée et que les Timorais y soient plus sensibles. Il en va de même pour la coopération de l’Église dans son ensemble, qui favorise le processus de développement de l’Église locale.
5.3.4 Un contrôle forcé des naissances
Au nombre des formes de maltraitance des femmes sous l’occupation indonésienne, on relève encore les stérilisations forcées et la participation contrainte
au programme de planning familial du gouvernement. Selon les déclarations de
John Fernandes, employé du programme dans le district de Manufahi entre 1983
et 1999, ce sont les fonctionnaires, épaulés par l’armée, qui mettaient en œuvre
dans les villages le programme de contrôle forcé des naissances. Pour ce faire,
les méthodes privilégiées étaient les implants hormonaux et les piqûres
d’hormone. Il existait des médicaments spéciaux pour pallier les effets secondaires.
« Les infirmières hospitalières donnaient les médicaments aux femmes d’Indonésiens,
tandis que la population du Timor oriental devait souffrir. »101 Lorsque ensuite les fem-
58
mes tombaient enceintes, elles avaient fréquemment des complications pendant
la grossesse et à l’accouchement, parfois mortelles, certains enfants venant
au monde avec des malformations. Des femmes ont été stérilisées après
l’accouchement sans le savoir, et il y a eu des campagnes de vaccination dans
les écoles, au cours desquelles on administrait aux filles, sans leur autorisation
et sans explication aucune, des moyens de contraception.
Les effets de l’utilisation perverse du programme de planning familial du gouvernement indonésien à des fins politiques et militaires se font encore sentir à
l’heure actuelle : beaucoup de femmes refusent par peur et méfiance de se rendre dans les quelques cliniques qui existent dans ce pauvre Timor oriental. Elles
ne sollicitent d’aide médicale qu’en cas de complications, et il est alors souvent
trop tard. Depuis la libération du pays, le Timor oriental connaît un énorme babyboom, toutefois pour 100 000 naissances, 850 se traduisent par la mort de la mère.
Un enfant sur cinq est mort-né ou meurt à la naissance, 8 à 9% des enfants ne
dépassent pas la première année selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé. Le Timor oriental possède actuellement le taux plus élevé de
natalité de la planète entière mais aussi celui de mortalité infantile et maternelle.
D’après les données de l’UNICEF, seules 24% des femmes sont assistées par un
professionnel pendant l’accouchement. Le gouvernement réagit en formant
des sages-femmes et en mettant sur pied des programmes de suivi médical. Une
autre tâche, non moins urgente, est de donner aux femmes la possibilité de contrôler les naissances, grâce à une campagne d’information et un programme approprié de planning familial. Une femme timoraise a en moyenne 7,5 enfants. Les
familles de plus de dix enfants ne sont pas rares. Les enfants mort-nés, les complications lors de l’accouchement ou post-partum, pouvant entraîner la mort des
femmes, sont fréquentes.102 L’Église du Timor oriental ne s’est prononcée que très
récemment en faveur d’un programme de planning familial naturel.
5.3.5 Perspectives
La dignité et la force intérieure avec laquelle les femmes ont revécu les pires
moments de leur vie lors de ces deux journées d’auditions de la Commission de
vérité ont durablement marqué ses auditeurs. Obligées de s’interrompre régulièrement en larmes, mais souhaitant en même temps persister tant il était important pour elles de témoigner. L’audition a profondément bouleversé le public et
a été suivie avec grand intérêt dans tout le pays par les habitants, à la radio comme
à la télévision.
Les femmes ont traditionnellement un statut subalterne au Timor oriental.
Les violations des droits de l’homme qu’elles ont subies ne sont pas toutes dues
59
à leur engagement dans la résistance mais aussi à leur absence de pouvoir dans
la société. La société est sans pitié pour les femmes, ce qui leur fait en outre croire
qu’elles ne sont pas victimes mais que ce sont elles les fautives. Un groupe de
travail, qui s’est intéressé aux motifs structurels de la violence à l’encontre des
femmes, a démontré que les rapports de pouvoir entre hommes et femmes se
sont encore dégradés au fil du conflit. Ce groupe a aussi envisagé les besoins
spécifiques des femmes qui ont été victimes de violence et le rapport final de la
Commission reprendra ses recommandations pour soutenir leur réhabilitation
et le processus de guérison. Dans leurs messages aux responsables politiques du
pays et à la nation, les femmes qui ont témoigné lors de l’audition ont invité à
penser à toutes les femmes qui dans le pays entier avaient souffert la même chose
qu’elles. Et elles ont convié à aider les innombrables veuves et orphelins afin que
leurs conditions d’existence s’améliorent.
Une délégation de la Commission nationale indonésienne sur la violence à
l’encontre des femmes, « Komnas Perempuan », avait été également invitée à
l’audition. Des femmes de Aceh et de Papua, deux provinces d’Indonésie où il
y a des mouvements séparatistes, ont mis en évidence que le modèle de violence était le même dans ces provinces et que les femmes en font toujours les frais.
En Indonésie, l’impunité continue à régner. Ita Nadia, avocate de Jakarta, souligna combien il était important pour le développement d’une communauté que
les femmes victimes de violence soient intégrées en tant que pilier d’une société
nouvelle.
« Au Timor oriental, on entend de plus en plus à l’heure actuelle des questions du
genre : qui a le plus combattu et souffert pour notre liberté ? », a résumé Orlandina
Caeiro, la commissaire nationale, lors des conclusions. « Dans ce débat, les femmes
ne se sont pas encore vu accorder la place qu’elles méritent. (…) À qui appartient notre
indépendance ? La réponse à cette question implique de laisser une grande place aux
femmes, et nous ne devons pas l’oublier. »103
« L’audition de la Commission de vérité sur la violence contre les femmes a créé
une conscience, elle a montré combien la violence était prégnante » juge Maria Baretto.
« La lutte pour les droits des femmes continue de plus belle avec l’indépendance, tant
il a été clair que le pays était fortement lié à une tradition patriarcale et que c’est là
que réside l’origine structurelle de la violence à l’encontre des femmes. Les femmes n’ont
pas grande valeur et n’ont pas de droits. C’est pour cela qu’il faut maintenant qu’elles
se démènent encore plus pour briser le système, afin que tous prennent conscience que
les femmes ont les mêmes droits. »
« Néanmoins, l’ordre social traditionnel ne fait pas qu’opprimer les femmes » précise Licinha Gonsalves, « il comporte aussi des éléments qui accordent un statut valorisé à la femme dans la société. » Les aspects culturels dépréciant les femmes
60
seraient utilisés pour cantonner la femme dans son rôle domestique et pour l’y
repousser, après qu’elle eut détenu des positions clés dans la résistance, également sur le plan économique. « Ce qui nous donne le courage aujourd’hui de nous
engager résolument pour les droits des femmes et l’égalité des droits est que beaucoup
de femmes coopèrent, s’organisent et demandent activement : quels sont nos droits ?
Le fait qu’il existe des droits de la femme nous a rendu fortes. »
5.4 Déplacements forcés et famines104
28-29 juillet 2003
En septembre 1978, le gouvernement indonésien avait invité des ambassadeurs
de différents pays ainsi qu’une sélection de journalistes à se rendre au Timor oriental pour y vérifier si – selon les termes de l’ancien ministre indonésien des Affaires étrangères, Mochtar Kusumaatmadja – l’intégration répondait aux vœux de
la population ou si c’était pure invention. Ils visitèrent également un camp stratégique près de Dili, où les militaires avaient parqué les habitants chassés des montagnes. Selon des estimations entre 300 000 et 370 000 personnes étaient alors
internées à travers le pays dans des camps du même acabit. Mais ce que les ambassadeurs y ont vu, et avec eux le ministre des Affaires étrangères de l’Indonésie
visiblement choqué, furent la pauvreté, la maladie et des gens qui étaient près
de mourir de faim : les invités prirent alors conscience que le Timor oriental vivait
une catastrophe humanitaire.105
Il fallut encore des mois pour que la Croix rouge internationale et l’organisation
humanitaire américaine, « Catholic Relief Services » (CRS), obtinssent, et elles
furent les seules, l’accès au Timor oriental. « L’aide humanitaire arriva tardivement
mais a quand même pu sauver de nombreuses vies » raconta Gilman dos Santos, qui
travaillait alors pour le CRS, lors de l’audition de la Commission. « Elle arriva si
tard parce que le Timor oriental était totalement verrouillé. Même les Indonésiens ignoraient ce qu’il se passait ici. Les journalistes indonésiens ou étrangers ne pouvaient pas
relayer d’informations. Nous ne pouvions même pas téléphoner dans d’autres régions
de l’Indonésie. Le Timor oriental était bouclé, strictement surveillé par l’armée indonésienne. »
Les contrôles militaires et les obstacles incessants ont contraint le CRS à interrompre ses activités au bout de cinq années. Les organisations humanitaires se
trouvaient devant un dilemme, expliqua Pat Walsh, ancien directeur du service droits de l’homme de l’« Australian Council for Overseas Aid » (ACFOA) : comment les humanitaires pouvaient-ils satisfaire à leurs obligations sans servir en
même temps les intérêts de l’armée indonésienne ? L’Indonésie ne voulait pas
de spectateurs sur l’île tant que les objectifs militaires n’étaient pas atteints.
L’aide humanitaire était subordonnée aux objectifs militaires. L’aide alimentaire
61
ne pouvait être distribuée que dans les régions contrôlées par l’armée, ce qui visait
aussi à ce que les habitants quittent les montagnes pour se rendre. Les camps
étaient indignes de l’homme. Il n’y avait ni eau, ni alimentation en quantité suffisante, pas de soins médicaux, et l’aide des Indonésiens était minimale. Les militaires captaient les envois d’aide, et même les revendaient. La plupart des gens
qui tombaient malades dans les camps mouraient.
Comme l’a lui-même reconnu dans sa biographie son stratège, le général
Benny Murdani récemment décédé, l’invasion des troupes indonésiennes le
7 décembre 1975 fut un désastre militaire.106 Au lieu de prendre par surprise la
moitié de l’île, l’armée s’est empêtrée dans une entreprise hasardeuse sans fin.
Malgré sa supériorité militaire, l’armée n’est jamais parvenue à briser la résistance,
et ses échecs lui ont fait employer des techniques de guerre de plus en plus
brutales.
5.4.1 Fuite dans les montagnes
Toute la population civile a été systématiquement noyée sous la violence et la
terreur. Des régions entières ont été dépeuplées et leurs habitants internés dans
des camps. On dispose de peu d’études sur les premières années de l’occupation
indonésienne, époque durant laquelle des dizaines de milliers de personnes périrent des séquelles de la guerre. Les dépositions devant la Commission de vérité
de 11 témoins qui ont survécu à cette période ont permis de se faire une image
très claire du modèle de violence systématique qui se déplaça de région en
région. Durant une première phase, l’armée indonésienne se concentra sur la prise
des villes de Dili et Baucau et d’autres localités. Sur ces entrefaites, la population
s’enfuit dans les montagnes, où dans un premier temps elle put assurer sa survie, cultiver de quoi vivre et s’installer provisoirement. Les fugitifs s’organisèrent.
Une commission de soutien et de solidarité avait par exemple la tâche de
s’occuper des affamés et des malades. L’armée eut besoin de mois, voire d’années,
pour avancer toujours plus profondément dans les régions rurales. Elle noya ces
régions sous des bombardements de grande envergure. « Tous les jours, des avions
nous bombardaient. (…) Des milliers de gens périrent, périrent de faim, périrent parce
qu’il n’y avait pas de médicaments, périrent sous les bombes. »
Les communautés fuyaient ensemble plus loin, l’armée avançait, détruisant
au passage les champs et les potagers, tuant les karbaus (buffles) et autre bétail.
La population ne pouvait plus rester assez longtemps dans un lieu pour cultiver
de quoi vivre, et sa situation se détériora rapidement. « Je me souviens encore très
bien de ce jour d’août 1977 où nous avons dû enterrer 80 corps. » Ce sont les enfants
qui mouraient les premiers de la faim, ainsi que les personnes âgées qui, épuisées, ne pouvaient plus continuer, rapporte Manuel Carceres da Costa.
62
Maria José da Costa, de Same, décrit comment l’ennemi commença à encercler
systématiquement les fugitifs pendant la saison sèche en août 1978. Des navires de guerre leur tiraient dessus, des avions les bombardaient, et simultanément
l’armée mettait le feu à l’herbe sèche. Pour qu’elle brûle à toute vitesse, elle
l’avait arrosée d’essence au préalable. « J’en ai vu beaucoup périr dans les flammes,
ma grand-mère aussi mourut brûlée. (…) Nous n’étions plus en situation d’aider les
autres, nous étions piégés. Après nous en être sortis (du feu), nous avons vu plein de
personnes âgées abandonnées par leurs familles. (…) Nous n’étions pas en situation
de faire quelque chose, parce que l’ennemi continuait à nous pourchasser. »
5.4.2 Retour dans les camps d’internement
Presque morts de faim et affaiblis par les maladies, de plus en plus de gens quittaient les montagnes et les forêts et se rendaient aux militaires. Mais cela ne signa
pas la fin de leur martyre. Pour les maintenir à l’écart du mouvement de résistance et pour couper la résistance de tout soutien, ils furent détenus dans des
camps. La population n’avait le droit de se mouvoir que sur un rayon de 100
mètres, parfois de un kilomètre, à l’extérieur du camp. Mais cet espace était insuffisant pour trouver de quoi manger. La mort continua son œuvre.
En 1981, un commandant militaire arriva à Quelicai et annonça : « Toute personne ayant encore de la famille dans la forêt doit être punie. ». Joana Pereira, alors
âgée de treize ans, et son jeune frère de neuf ans, furent déplacés et internés sur
l’île d’Atauro au large de Dili. Leur frère aîné combattait l’armée dans les montagnes. À Atauro, les prisonniers ne reçurent pas de nourriture en quantité suffisante ni soins médicaux. La situation s’améliora quelque peu en 1982, lorsque
la Croix rouge internationale obtint l’autorisation de distribuer des produits alimentaires. « En parler aujourd’hui me rend très triste », dit Joana à la fin son témoignage, « je voudrais demander à la Commission de vérité et au gouvernement de se
souvenir des gens qui sont morts à Atauro (…) gardez leurs noms en mémoire. »
5.5 Les massacres
19-23 novembre 2003
« Je voudrais dire que je ne me considère pas comme une victime. Je me vois comme
quelqu’un qui a combattu (…) et qui a remporté le combat pour la libération de notre
pays. » Simplisio Celestino de Deus a survécu au massacre du cimetière de Santa
Cruz du 12 novembre 1991. Cette rébellion ouverte contre les forces d’occupation
a requis beaucoup de courage. Le massacre de Santa Cruz ne fut qu’un massacre
parmi beaucoup d’autres, à la différence que cette fois-là des journalistes étrangers étaient présents. Le cinéaste Max Stahl réussit à tourner des images des agis-
63
sements brutaux de l’armée et avec d’énormes difficultés à les faire sortir du pays.
Ces images déclenchèrent l’indignation et des protestations sur la planète entière. À la date de l’audition, le département recherche de la Commission de vérité avait réuni des preuves sur plus de 120 massacres perpétrés au cours de la période d’enquête, étant défini comme massacre tout assassinat d’au moins cinq
personnes au même endroit et au même moment. Lors des trois journées d’auditions, 17 survivants, témoins oculaires et parents de victimes témoignèrent.
En outre, le professeur Geoffrey Robinson, responsable d’amnesty international
pour le Timor oriental et l’Indonésie entre 1989 et 1995, fut invité en tant
qu’expert, de même que le cinéaste Max Stahl.
Par ailleurs, la Commission n’a pas oublié la culpabilité des représentants
des deux camps de la guerre civile, le Fretilin et l’UDT, lors de leur lutte pour le
pouvoir en août 1975. Une audition spéciale s’est déroulée sur ce sujet hautement sensible. Ces témoignages seront étudiés dans le point suivant consacré à
l’audition du conflit politique.
L’invasion indonésienne commença aux toutes premières heures du 7 décembre
1975. Felismina dos Santos Conceicão a vu comment les avions lâchaient leurs
parachutistes sur Dili et comment les soldats ont progressivement pris la ville
sous leur contrôle. Les soldats sommèrent les habitants de chaque quartier de
quitter leurs maisons et les regroupèrent. Ensuite, les hommes et les femmes furent
séparés. Les hommes furent emmenés sur le côté d’une maison. Peu après, des
coups de feu se firent entendre. Le frère de Felismina respirait encore. Il succomba
pourtant bientôt à ses blessures, sans que les femmes pussent l’aider. « Lorsque
de plus en plus de membres des familles des victimes arrivèrent sur place, pour voir leurs
parents, les soldats nous remarquèrent et commencèrent à tirer dans notre direction.
Nous avons fui en courant et quitté les lieux… »
5.5.1 « Nous appelions ce lieu, le village des veuves »
Les assassinats de Kraras en 1983 sont considérés comme le crime le plus tristement célèbre de l’occupation indonésienne. Il n’y a jamais eu d’enquête officielle
et le nombre exact de victimes est encore aujourd’hui inconnu. Le département
recherche de la Commission de vérité s’efforce de l’éclaircir. « Nous appelions ce
lieu le village des veuves » dit l’ancien gouverneur Mario Carrascalão. Prabowo Subianto, général de division, gendre de Suharto et ancien commandant en chef de
l’unité d’élite Kopassus, a joué un rôle clé dans le massacre.108 En 1983, la population de Bibileo, réfugiée dans les montagnes se rendit et fut d’abord détenue
dans un camp à Viqueque, raconte le chef du village, José Gomes. La communauté n’a jamais eu le droit de retourner dans son ancien lieu d’habitation, mais
a été établie dans la région de Kraras. En 1982, l’armée tua deux anciens mem-
64
bres de la résistance armée, le Falintil, et cinq civils. Ces derniers venaient de rentrer de leurs champs lorsque la fusillade commença et ils ont été abattus avec
les autres. Cet incident et le harcèlement sexuel ininterrompu des veuves dont
les époux avaient été tués par les soldats du bataillon Zipur 4, ont conduit la région
à se révolter. 14 membres de Zipur 4 auraient été tués, et la population apeurée
s’était réfugiée dans la forêt. Le lendemain, l’armée a passé la région au peigne
fin et ramené la population. Toute personne qui cherchait à fuir était immédiatement abattue. Plus de cinquante personnes qui s’étaient rendues ont été fusillées sur la route qui mène à Kasese –hommes, femmes, femmes enceintes et
enfants. L’armée a ensuite conduit une partie de la population dans le village de
Buikarim. En septembre 1983, continue Gomes, les militaires ont emmené plus
de cent hommes et les ont assassinés. « Ils ont été brutalement emmenés, comme
s’ils avaient dû rentrer à Kraras chercher de la nourriture pour la population. ».
Les massacres servaient à effrayer et à intimider la population, mais étaient
aussi exécutés par vengeance. Les dépouilles étaient fréquemment mutilées.
Une pratique particulièrement atroce était d’y faire participer la population.
« Le rapport violent aux morts, qui se reflète dans les disparitions, dans les mutilations ou l’anonymisation des cadavres, vise souvent directement les familles ou les
groupes, à qui appartiennent le mort. Des procédés de ce genre font éprouver aux familles une insécurité et une humiliation profondes, qui dans maints cas, en particulier lorsque que le sort de la personne assassinée n’est pas connu, débouche sur un état permanent
d’inquiétude traumatique », comme le met en évidence une documentation de la
Commission allemande Justitia et Pax sur ce sujet.109
« Les douzaines de massacres et les multiples tueries qui se sont déroulées au Timor
oriental entre 1975 et 1999 ne relevaient pas de l’accidentel », souligna le professeur
Robinson lors de l’audition « et ils n’étaient pas non plus le fait de ‘soldats indisciplinés’. Les témoignages, les preuves issues des sources documentaires, et la réitération
du modèle d’action sur les 24 années montrent clairement qu’ils furent un élément d’une
politique plus générale de terreur systématique et de représailles : menés en toute connaissance et avec l’assentiment des plus hauts représentants de l’armée et du pouvoir
civil, et parfois sur leur ordre. »
5.5.2 Le massacre du cimetière de Santa Cruz
Le deuxième jour de l’audition fut entièrement consacré au massacre du cimetière de Santa Cruz. Simplisio Celestino de Deus exposa comment le mouvement
clandestin urbain voyait ses effectifs croître constamment. Par des manifestations
pacifiques, ils montraient toujours plus clairement que l’intégration du Timor
oriental n’était pas achevée, et mettaient en évidence les violations des droits
de l’homme de la politique gouvernementale indonésienne dont les Timorais
65
souffraient. La résistance avait organisé une manifestation pacifique pour accueillir une délégation de parlementaires portugais, dont la venue a été au dernier
moment annulée. Les services de renseignement indonésiens avaient eu vent des
préparatifs de la manifestation. Ils recherchèrent activement les membres de la
résistance et tuèrent ce faisant Sebastião Gomes dans l’église Motael de Dili. Après
la messe d’enterrement de Sebastião, aux premières heures du 12 novembre 1991,
un cortège de manifestants regroupant environ 1 500 jeunes se mit en marche
vers le cimetière de Santa Cruz, où ils déroulèrent des banderoles et crièrent des
slogans exigeant l’indépendance. « Nous avions organisé notre propre service
d’ordre pour être certains que personne n’aurait de couteau ou d’arme sur soi », raconte Simplisio. « Je ne pensais pas que l’armée tirerait sur nous. » C’est pourtant exactement ce qui s’est passé. Ils attrapèrent Simplisio dans la petite chapelle au centre du cimetière, dans laquelle beaucoup – certains gravement blessés – avaient
trouvé refuge. Et d’ajouter : « un soldat de Sulawesi, du bataillon 303, me trancha
l’oreille. Ils m’ont marché dessus et frappé à la tête, exactement là où ils m’avaient coupé
l’oreille… j’ai pensé qu’ils voulaient me battre à mort. (…) ils m’ont jeté sur un camion
rempli de cadavres (…), je voulais mourir, juste mourir, tous mes amis étaient morts. »
Max Stahl montra des extraits de ses enregistrements vidéos et commenta les scènes atroces. « Il était très clair que les troupes n’étaient pas hors contrôle. Elles ne faisaient rien qui soit de leur propre initiative ». À l’hôpital militaire où ont été transportés les blessés, la tuerie continua. Des gens furent enlevés, exécutés et entassés
dans des fosses communes. Au moins 270 personnes perdirent la vie et, aujourd’hui encore, on est sans trace de beaucoup d’autres. Max Stahl accusa l’ancien
ministre australien des Affaires étrangères, Gareth Evans, d’avoir sciemment minimisé l’ampleur du massacre. D’autres gouvernements s’étaient empressés de
reprendre cette estimation, ce qui a eu pour résultat que la pression internationale sur le gouvernement indonésien avait été insuffisante pour l’obliger à mener
une enquête exhaustive avec des institutions indépendantes sur le massacre.
Pour le professeur Robinson, « les massacres et l’énorme violence en général
n’auraient pu avoir lieu sans le soutien direct ou indirect de puissants gouvernements
étrangers, en particulier des États-Unis et de l’Australie, qui fournissaient le principal
de l’aide militaire et économique, qui mentaient systématiquement et étouffaient
l’ampleur des tueries ; ces États, aux côtés de beaucoup d’autres, ont été complices et
portent la coresponsabilité de ces exactions ». Le professeur Robinson plaida instamment pour que l’on lutte contre l’impunité pour les crimes commis au Timor
oriental et s’engage pour mettre en place un tribunal international. Dans les
années 1980, des diplomates auraient affirmé qu’il ne pouvait y avoir d’indépendance au Timor oriental, et pourtant elle est devenue une réalité. Un tribunal est un rêve qui lui aussi pourrait devenir réalité.
66
5.5.3 Les recommandations au gouvernement
En conclusion de l’audition, le père Jovito de Araujo, vice-commissaire, remercia les témoins pour leur courage. Il était important d’apprendre de la violence
du passé et d’œuvrer à ne pas suivre le mauvais exemple qu’avait donné l’armée
indonésienne. Il synthétisa les recommandations et les exigences émises pendant l’audition en cinq points clés :
1. L’armée doit toujours être séparée du pouvoir politique et ne doit jamais être utilisée pour agir contre des actions pacifiques.
2. Nous ne devrions jamais permettre que le gouvernement forme ou tolère des groupes de défense civile. (…)
3. Les droits de l’homme doivent être la base de notre gouvernement. (…) Ces droits
civiques doivent être respectés, même s’il est plus difficile de gouverner ainsi.
4. Le droit et la loi doivent être appliqués de la même manière à tous. (…) Les mécanismes du droit ne doivent pas être appliqués à certains groupes au motif qu’ils ont
une autre opinion ou parce qu’ils s’opposent à ceux qui détiennent le pouvoir.
5. La réconciliation doit reposer sur la justice si elle veut être effective.
5.6 Le conflit politique de 1974 à 1976
15-18 décembre 2003
Il s’agit du sujet le plus sensible de l’histoire contemporaine du Timor oriental :
les conflits politiques entre les partis pendant la phase de décolonisation, soit
entre 1974 et 1976, ont atteint leur triste paroxysme en août 1975, lorsqu’une
guerre civile sanglante entre le Fretilin et l’UDT coûta la vie à quelques 1 500
personnes. Ce mois-là, l’administration portugaise se retira sur l’île voisine
d’Atauro, mettant fin à des siècles de colonisation du Timor oriental. L’Indonésie
profita de la vacance de pouvoir et entra au Timor oriental le 7 décembre 1975
au prétexte de mettre un terme à la guerre civile. Comme on le saura plus tard,
les services de renseignement indonésien avaient poussés les dirigeants de l’UDT
à tenter le coup d’État contre le gouvernement du Fretilin.
Aujourd’hui encore, la population redoute la rivalité partisane qui verse dans
la violence. Les expériences de système multipartistes furent brèves jusqu’à présent et s’achevèrent dans une guerre civile de six semaines. Aujourd’hui encore
court toujours la rumeur que l’UDT pourrait à nouveau tenter un coup d’État.
Mais cet ancien parti a été le grand perdant du scrutin du 30 août 2001 visant à
élire l’assemblée constituante. Il n’a obtenu que 2,4% des suffrages et ne dispose que de deux sièges au Parlement.
Cette crainte de la division et de la violence politique illustre combien ce
chapitre est bien l’un des plus sombres de la mémoire des Timorais orientaux.
67
Les crimes qui ont été commis alors ont jusqu’à présent été problématisés de manière marginale : les 24 années d’occupation de l’Indonésie et l’unification de la
résistance qui en a découlé ont rejeté au second plan l’étude et l’analyse de ce
chapitre de l’histoire. Les Timorais n’ont jamais eu l’opportunité de parler ouvertement de l’atrocité des événements d’août 1975, ce qui a nourri les rumeurs,
les demi-vérités, les accusations et les mensonges, sans compter le potentiel de
division que cela renferme, explique Aniceto Guterres Lopes, président de la Commission de vérité timoraise.110
5.6.1 Les délégués des partis devant la Commission
Du 15 au 18 décembre 2003, la Commission de vérité de Dili invita des représentants
des anciens partis à une audition sur le conflit politique de 1974 à 1976. 13 politiciens, dont Xanana Gusmão, José Ramos-Horta, Mari Alkatiri et Mario Carrascalão
acceptèrent l’invitation. Ces quatre journées d’audition, qualifiées d’« historiques »,
ont demandé des mois de préparation avec les délégués des partis. Tous les politiciens
sont venus devant la Commission en leur qualité de figures clés de cette époque et
non dans l’exercice de leurs fonctions politiques actuelles. L’ultime gouverneur du
Timor portugais, le général de brigade Lemos-Pires, fit, du Portugal, une déposition par vidéoconférence. Jusuf Wanandi, qui travaillait en 1975 et est toujours
au « Center for Strategic and International Studies » (CSIS) de Jakarta, ne put non
plus être présent et fit une déposition par écrit. Le CSIS a joué un rôle capital dans
la planification et l’exécution de l’intégration du Timor oriental. Ce think tank coopérait étroitement à l’époque avec les services de renseignement indonésiens, le
BAKIN, et déploya des ressources considérables pour présenter à l’échelle internationale les procédés de l’Indonésie comme des actes légaux. L’ancien consul d’Australie, James Dunn, fut entendu à titre d’expert. Les survivants de la violence de
cette période ont eu l’opportunité de témoigner. Pour donner à la jeune génération, une image vivante de cette époque si capitale pour le Timor oriental, la Commission présenta parallèlement une exposition de photos et des films rares.
L’analyse de la période par les politiciens fut au cœur de l’audition : leur
responsabilité dans les violences, la demande de pardon et les leçons qu’ils en
avaient tiré pour le bien du Timor oriental aujourd’hui et demain. Lors de
l’ouverture de l’audition, Aniceto Guterres Lopes les exhorta : « Ne nous laissez
pas fuir devant la nécessité de scruter notre histoire. Ce qui est advenu est réel, cela a
eu lieu. Laissez-nous apprendre ensemble de ces expériences, pour désinfecter les vieilles plaies et les guérir (…) dans un esprit de réconciliation et avec le désir de réussir à
créer un avenir de paix et de prospérité pour notre peuple. Les excuses selon lesquelles,
c’était nécessaire, qu’il en allait de la sécurité, et que c’était la guerre, ne suffisent en
aucun cas à justifier les violations des droits fondamentaux de nos concitoyens. »111
68
Lors de son introduction, monseigneur Basilio do Nascimento remercia les politiciens pour leur humilité et leur courage à se présenter devant la Commission.
Les Timorais devaient se réconcilier avec eux-mêmes, leur pays et leur histoire,
souligna l’évêque sans cacher combien c’était difficile. « Nous entendons des justifications telles que ‘je l’ai fait parce que c’était la guerre’. (…) Nous devons vérifier ces
propos. Nous savons que nos morts ne reviendront jamais, mais nous devons connaître
les circonstances de leur mort. (…) Pour les Timorais de base, la justice signifie connaître
le nom du coupable et garantir que les victimes ne soient jamais oubliées. »
Cette audition a suscité un grand intérêt parmi la population. Plus de 800
personnes se pressèrent dans la cour intérieure de l’ancienne prison et dans tout
le pays, les habitants suivirent l’audition à la radio. Il ne fut pas facile aux politiciens de témoigner. Ainsi l’actuel ministre de l’Intérieur du Timor oriental, Rogério Lobato, avoua : « je sais que c’était mal. Mais il avait tué mon frère. J’ai perdu le
contrôle. Je ne l’ai pas tué, mais sévèrement battu à deux reprises » et il demanda pardon à la société et à la famille de la victime. En tant que commandant du Falintil, il devait aussi assumer la responsabilité pour les débordements de violence,
même si le parti n’avait jamais donné d’ordre en ce sens. Ce sont les membres
du Fretilin, à titre individuel, qui avaient abusé de leur pouvoir.112
5.6.2 « Sans ingérence extérieure, la guerre civile n’aurait
pas eu lieu »
Lorsque Mari Alkatiri, l’actuel premier ministre, termina son témoignage en déclarant qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’il n’était à cette époque ni président
ni secrétaire du Fretilin, José Estevão, membre de la Commission, le soumit à un
contre-interrogatoire sans concession : « Je veux entendre de votre bouche, en qualité de dirigeant du Fretilin, si le parti a violé les droits de l’homme. » Lors de l’invasion
de l’armée indonésienne, le Fretilin avait emmené des prisonniers dans la montagne, au mépris des protestations de la Croix rouge internationale. Leurs corps,
ainsi que ceux de détenus de prisons locales, ont été retrouvés début 1976 dans
des fosses communes d’Aileu et de Same. Parmi eux, se trouvaient les dépouilles de chefs de l’UDT et du fondateur du parti Apodeti.
« Je ne dis pas que les gens se sont tués tous seuls. Mais j’ignore qui l’a fait. Vu le
contexte, le Fretilin en accepte la responsabilité » fut la réponse de Mari Alkatiri.113
Lorsque Alkatiri et d’autres personnes exilées de son parti revinrent au Timor oriental après le referendum de 1999, il s’excusa pour les violations des droits de
l’homme commises par le Fretilin. Certes, Alkatiri avait quitté le pays avant les
tueries, mais beaucoup pensent que la direction actuelle connaît parfaitement
l’identité des coupables. Alkatiri admit que l’inexpérience et l’incapacité à résou-
69
dre pacifiquement des divergences d’opinion avaient contribué à la guerre civile et à la violence. Il relata en détail les activités politiques de l’époque, l’échec
de la coalition entre l’UDT et le Fretilin et la guerre civile qui s’en était ensuivie.
Il imputa pourtant la responsabilité principale de cette évolution à des facteurs
externes : l’alliance internationale entre Lisbonne, Jakarta, Washington et Canberra, soutenant le rattachement du Timor oriental à l’Indonésie. « Sans ingérence
extérieure, la guerre civile n’aurait pas eu lieu » soutint-il. À l’époque, le Fretilin avait
incarcéré des membres de l’UDT, mais aussi de son propre parti. Toujours selon
Alkatiri, il n’y avait pas eu de violations des droits de l’homme dans les prisons
et la Croix rouge y avait accès. S’il n’y avait pas eu ingérence et pression de
l’extérieur, on aurait pu résoudre le problème en très peu de temps.
José Ramos-Horta, actuel ministre des Affaires étrangères, mit lui aussi en
avant que la guerre civile avait été déclenchée par les grandes puissances et la
guerre froide et que la voie avait été préparée à l’invasion indonésienne. Il
n’était pas là pour accuser le Fretilin ou l’UDT ; aucun processus n’était tout noir
ou tout blanc, la vérité était quelque part entre les deux. Il n’en restait pas moins
que beaucoup de gens avaient été assassinés et que rien ne pouvait justifier cela.
« Ils n’étaient pas au combat, ils étaient prisonniers. (…) C’est une face sombre de notre
histoire. (…) Plus jamais ça. » Il pensait que les chefs de partis avaient été contre
la violence, mais qu’ils n’avaient pas la capacité de contrôler l’ensemble du pays.
James Dunn examina les motifs qui ont conduit au désastre humanitaire des
24 années d’occupation indonésienne et analysa la perception des événements
à l’étranger ainsi que la politique des pays impliqués. Jusuf Wanandi exposa la
position de l’Indonésie à cette époque, voyant une menace communiste au Timor
oriental et ayant reçu du Portugal le signal qu’il soutiendrait une intégration.
L’ancien gouverneur Mario Lemes Pires reconnut que son gouvernement avait
manqué de volonté politique pour mener une décolonisation responsable. Son
problème avait été qu’à ce moment là il était seul et que le Portugal, avec ses problèmes internes, la révolution et la décolonisation en Afrique, avait pratiquement
oublié le Timor oriental. Il justifia le retrait sur Atauro par le fait qu’il avait tenté
d’empêcher une guérilla timoraise contre le gouvernement portugais. José
Ramos-Horta rendit hommage au rôle de Pires : on avait fait de lui un bouc émissaire, « une victime du processus », et ajouta que le Portugal n’avait aucune responsabilité dans le résultat des événements. Lobato, jeune officier de l’armée coloniale à l’époque, soutint à l’inverse que les Portugais auraient très bien pu
rétablir l’ordre au lieu de se retirer. « Nous avions dit au gouverneur que s’il faisait
cela, les soldats timorais le soutiendraient. »
70
5.6.3. Solliciter la compréhension
Tous au moins étaient unanimes sur un point : l’inexpérience des politiciens timorais et leur comportement avaient été pour quantité négligeable face à l’annexion
planifiée de longue date par l’Indonésie. Xanana Gusmão sollicita lui aussi la compréhension. Il évoqua d’abord en détail le climat social et politique du Timor oriental après la révolution des œillets portugaise. Les partis n’étaient pas parvenus
à agir dans l’intérêt national. Les directions de parti n’étaient pas intervenues
contre l’usage de la violence, à l’inverse, elle était pour eux un instrument de la
lutte politique et ils se réjouissaient lorsqu’ils apprenaient que des membres du
parti adverses avaient été roués de coups. Le Fretilin avait réagi au putsch de l’UDT
par la vengeance. Cependant personne n’avait eu l’intention de tuer les prisonniers issus des rangs de l’UDT et de l’Apodeti lorsqu’ils avaient été emmenés
dans les montagnes lors de l’invasion. Mais les parachutistes indonésiens avaient
atterris, les troupes occupaient Dili et se rapprochaient rapidement. « Je peux dire
que les massacres n’ont pas été programmés politiquement, ne répondaient pas à une
tactique ou à une stratégie. C’est arrivé, voilà. » Le comité central du Fretilin avait
perdu tout contrôle, parce que l’attaque de l’ennemi l’avait mis sous forte pression. Il y avait eu un manque de contrôle. Toute l’attention avait été dirigée vers
l’ennemi, et ils n’avaient pas eu le temps de se consacrer à d’autres problèmes.
L’ancien président du Fretilin, Xavier do Amaral, prit ouvertement le contrepied de ce premier témoignage : « nous étions en pleine guerre, nous n’avions pas
de possibilités de transport, ni médicaments ni nourriture en quantité suffisante.
Certains des prisonniers étaient gravement malades. Si nous les avions laissés vivre,
ils seraient tombés aux mains de notre ennemi qui aurait pu les utiliser contre nous.
Nous avons donc décidé de les tuer. Ce fut une décision collective, prise à tous les échelons de la direction. »115
Xavier do Amaral a été condamné en 1977 pour haute trahison par le comité
central du Fretilin et destitué de ses fonctions de président. Pour protéger les habitants de sa région de Turiscai des atrocités commises par l’armée indonésienne,
il avait tenté de négocier à l’échelle locale une réduction des troupes et un cessez-le-feu. Aquiles Soares, chef traditionnel de Quelicai, avait négocié dans les
mêmes termes. Il fut exécuté avec trois des hommes de son groupe par des commandants du Fretilin dans les environs de Vermasse. Xavier do Amaral fut, lui,
laissé en vie. Il fut ballotté d’unité en unité douze mois durant avant d’être fait
prisonnier par les troupes indonésiennes lors d’une offensive. Il y eut des nettoyages dans les rangs du Fretilin après sa destitution, comme l’ont rapporté des
témoins oculaires lors de l’audition de la CAVR sur les massacres qui s’est déroulée en novembre. Domingos Maria Alves avait indiqué que Amaral était considéré comme un traître et nombre de membres du Falintil avaient été faits prisonniers et battus. « Le lendemain, six personnes ont été sommées de creuser une tombe
71
pour y enterrer les prisonniers qui devaient être tués. À midi, ils firent aligner vingt
prisonniers sur une rangée et en sélectionnèrent dix. » Les prisonniers furent enjoints
de prier, de fermer les yeux, puis ils furent abattus.
5.6.4. La violence contre la population civile
Les deux partis ne se sont pas contentés de tuer des membres du camp adverse
voire, comme le Fretilin, de leur propre camp. La population se retrouva toujours
plus impliquée dans le conflit et exterminée entre les lignes de fronts. Angelo
Araujo Fernandes raconta comment des membres du Fretilin vinrent dans son
village et le firent prisonnier, ainsi que son père, deux de ses frères et cinq de ses
amis. Les prisonniers ont été pourchassés jusque sur les bords d’un gouffre, où
on leur tira dessus, jusqu’à ce qu’ils tombent morts. Angelo fut le seul survivant
et il parvint à fuir. « Mais ils sont revenus et ils ont abattu toute ma famille et tous
mes parents, 37 personnes au total (…) y compris les enfants et les femmes enceintes.
Je veux savoir qui a envoyé ces gens pour tuer ma famille. Pourquoi les a-t-on envoyés ?
Je ne peux pas dire à mes enfants qui a tué leurs grands-parents. »
Florentino de Jesus Martins relata une exécution de membres du Fretilin par
l’UDT dans le district d’Ermera en août 1975 : ils furent emmenés et abattus par
groupe de quatre. Le carnage ne s’est arrêté que lorsqu’il ne resta plus que 30 des
75 prisonniers. Probablement, selon Florentino, parce que l’UDT avait appris que
les troupes du Falintil approchaient. Lorsque ces dernières arrivèrent et entendirent parler des tueries, « ils firent immédiatement prisonniers des membres de l’UDT
et les ligotèrent… finalement beaucoup d’entre eux furent également tués. »116
5.6.5 Les partis assument leur responsabilité
La tension du public s’accrût lorsque João Carrascalão, à l’époque l’un des dirigeants de l’UDT, prit la parole. Des mois plus tôt, Carrascalão s’était récrié contre ceux qui accusaient son parti d’avoir à cette époque fomenté un putsch ou
planifié un coup d’État. Il avait expliqué dans une conférence de presse que l’UDT
avait organisé une manifestation anti-communiste dirigée contre la doctrine communiste du Fretilin, mais pas de putsch.117 Avant l’audition, il avait déclaré que
l’heure actuelle n’était pas propice à une audition : « des crimes horribles ont été
commis à cette époque, et certaines personnes s’en souviennent encore, ont vu comment
leurs mères ont été assassinées. Il est très douloureux pour elles de le leur rappeler. »
Mais ce fut son témoignage qui transforma radicalement le cours de
l’audition. « Je voudrais dire que le déroulement de cette audition me rend triste. Chaque parti veut raconter son histoire, personne ne reconnaît avoir commis des erreurs.
J’ai commis des erreurs. Toutes les victimes du Fretilin qui ont été tuées – c’est ma faute.
72
L’UDT a tué des membres du Fretilin, c’est ma faute. Avec notre manifestation du 11
août 1975, nous ne voulions pas commencer une guerre, nous ne voulions pas répandre du sang, la violence a surgi spontanément de la base. Je suis responsable, mais le
parti n’a pas donné l’ordre de tuer. » Il pensait alors que si les étudiants et les soldats communistes rentraient au Portugal, l’Indonésie n’aurait pas besoin
d’envahir le Timor oriental. Mais l’Indonésie n’a jamais eu d’autre intention. Il
donna des informations détaillées sur les préparatifs de l’invasion en Indonésie
et sur des offensives secrètes de grande ampleur. Il évoqua également ses années
douloureuses en exil, et la manière dont le Fretilin et l’UDT avait coopéré.
Lorsque après lui Mari Alkatiri reprit la parole au titre de secrétaire général
actuel du Fretilin, les attentes étaient très grandes. Touché par le témoignage courageux de João Carrascalãos, il reconnut que le Fretilin portait la responsabilité
des meurtres de prisonniers. Ce fut un moment clé de l’audition. Il admit aussi
que le parti devait réhabiliter officiellement le nom de ceux qui ont été exécutés pour traîtrise. Les veuves, encore membres du parti aujourd’hui, voulaient
savoir si leurs époux étaient toujours considérés comme des traîtres et avec eux,
leurs familles.
Enfin, la Commission entendit Francisco Lu’olo Guterres, actuel président
du Fretilin. Il a passé toute la période de l’occupation indonésienne dans les montagnes où, membre du Falintil, il faisait de la résistance et il en donna un rapport détaillé. Xanana Gusmão qui en 1983 avait entrepris une résistance d’usure,
a répondu au vœu d’unité nationale en formant en 1987 le Conseil national de
la résistance (CNRT). Xanana avait alors démissionné du Fretilin, pour diriger
le Conseil national en toute impartialité. Le Falintil se sépara également du parti
et devint la branche armée de tous les partis. Gusmão affirma qu’avec cette démarche, ils auraient pu acquérir le soutien des Timorais. Il s’excusa pour la violence
commise au nom du Fretilin. « Nous devons apprendre cette leçon, afin que cela
ne se répète pas. » Spontanément, João Carrascalãos vint à lui et, en geste de réconciliation, les deux politiciens se serrèrent mutuellement dans leurs bras. D’autres
suivirent l’exemple. Saisis, beaucoup les larmes aux yeux, les auditeurs suivaient
ce moment émouvant. Dans son discours de clôture très poignant, Xanana
remercia la Commission de vérité de les avoir tous réunis en ce lieu et de leur
avoir montré leur responsabilité. En larmes, le président admit que lui aussi, en
sa qualité de membre du comité central du Fretilin, devait assumer la responsabilité des injustices.
73
5.6.6 La faute à la situation
L’audition a été appréciée de manière très diverse. La plupart des témoins, résume Jill Jolliffe, une journaliste présente, ont défendu la version de leur parti sur
la guerre civile, et demandèrent tous formellement pardon. Mais, à quelques
exceptions près, les erreurs qu’ils ont admises – attiser l’intolérance ou perdre le
contrôle de soi – étaient tellement générales qu’elles restèrent insignifiantes. Les
politiciens avaient évité d’assumer réellement la responsabilité concrète des
faits mais avaient profité de l’occasion pour faire une démonstration symbolique de réconciliation. À la fin, ils s’étaient tous embrassés, tapés sur l’épaule, en
espérant pouvoir ainsi effacer le souvenir de la violence fratricide.119
Il est sans doute vrai que dans son ensemble l’audition a peu contribué à élucider les tenants et les aboutissants de la guerre civile. On chercha le consensus
et le trouva : la responsable des atrocités était la situation. Pour autant, il ne faut
pas minimiser cette audition. Elle dépassa les attentes de beaucoup de personnes présentes et elle aurait facilement pu suivre un autre cours. Pour la première fois, les politiciens ont pris publiquement position sur cette phase si importante de leur histoire, et parmi eux des membres de l’Apodeti, partisan du
rattachement à l’Indonésie et qui avait combattu à ses côtés. Ils ont parlé ouvertement des faits de l’époque et permis ainsi à la jeune génération de s’en faire
une idée précieuse. Il était maintenant du devoir des Timorais orientaux de réinterroger ces faits et de les évaluer dans le contexte de la constitution nationale.
Tâche qu’il fallait aussi poursuivre en dehors de la Commission de vérité.
L’audition était importante en ce qu’elle avait réuni les délégués des partis politiques, souligna en conclusion le père Jovito Araujo. Ils s’étaient écoutés de manière constructive et sans s’accuser mutuellement, avait cherché à comprendre,
et avaient assumé la responsabilité de leurs actes et de ceux de leur parti.
5.7 Le droit à l’autodétermination et la communauté
internationale
15-17 mars 2004
La lutte pour le statut et la souveraineté du Timor oriental fut un conflit de dimension internationale tant il est vrai que les Nations Unies n’avaient jamais reconnu l’annexion du Timor oriental par l’Indonésie. Elles ne considéraient pas le
Timor oriental comme un État indépendant mais comme un « territoire qui ne se
gérait pas lui-même ». Ceci signifie que si l’Indonésie tenait de facto le Timor oriental en sa possession, le Portugal restait de jure la puissance administrative. Selon
le droit international, la décolonisation du Timor oriental avait été interrompue
par l’invasion indonésienne et, depuis, le peuple n’avait pas le droit de décider
lui-même de son destin. L’Assemblée générale de l’ONU, de même que le Con-
74
seil de sécurité des Nations Unies, adopta des résolutions (384/1975 ; 389/1976)120
qui exigeaient le retrait immédiat et sans condition de l’armée indonésienne et
qui appuyaient le droit inaliénable du Timor oriental à l’autodétermination. Mais
elles restèrent sans effet. Il n’y a pas eu plus de résolutions faisant avancer les
choses et qui auraient obligé l’Indonésie à les tenir ou imposé des sanctions au
pays, que de mandat conféré au Conseil de sécurité en cas de non-observance.
Ainsi, les Nations Unies ont laissé à leurs États membres la responsabilité de se
positionner eux-mêmes sur la question de la reconnaissance du Timor oriental.121
La position que les gouvernements et les institutions ont adoptée sur le conflit fut aussi capitale pour la genèse de ce dernier que pendant les 24 années
d’occupation et pour la résolution du conflit. La Commission de vérité examina lors de cette audition si les États avaient satisfait en soi et concrètement à leur
obligation de respecter le droit du Timor oriental à l’autodétermination et invita pour ce faire des représentants de gouvernements et de l’ONU à Dili.
À l’époque, des États comme l’Australie et les États-Unis avaient donné « le
feu vert » à l’Indonésie pour envahir le Timor oriental. Kenneth Chan, qui de
1978 à 1997 a travaillé au ministère australien des Affaires étrangères, déclara
rétrospectivement : « Je pensai que c’était une ‘Policy of Failure’, parce qu’elle méconnaissait un principe fondamental du droit international, [en l’occurrence] que le Timor
oriental devait bénéficier d’une procédure d’autodétermination juste et équitable. Mais
le facteur qui motivait en premier lieu la politique était d’entretenir de bonnes relations
avec l’Indonésie. »122 En 1974, le gouvernement australien fit savoir au président
Suharto qu’à son avis, l’ancienne colonie portugaise qu’était le Timor oriental
devait devenir une partie de l’Indonésie. C’était exactement ce que souhaitait
entendre Suharto et ce message a ainsi préparé la voie à l’invasion de l’année suivante. Lors des négociations ultérieures sur les gisements lucratifs de pétrole dans
la mer timoraise avec l’Indonésie, l’Australie alla jusqu’à reconnaître l’annexion.
5.7.1 La communauté internationale :
absence de critiques et reconnaissance insidieuse
Nombre d’autres États reconnurent insidieusement le statu quo. En dépit de violations des droits de l’homme massives et du perpétuel manquement au droit
international, la communauté internationale manqua de volonté politique pour
pousser l’Indonésie à trouver une solution au conflit. De grandes nations industrielles comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et d’autres, ont
toujours été prêtes à fournir des armes à l’armée indonésienne et à participer à
la formation de ses membres. Les attraits économiques et géopolitiques de
l’Indonésie, avec ses ressources considérables et son énorme population, étaient
bien trop importants. Certes de temps à autre de molles critiques officielles
75
s’élevaient, dénonçant les procédés des forces armées et les violations des droits
de l’homme, mais ces critiques n’étaient guère plus que rhétorique au regard du
continuel soutien économique et militaire du régime. Le soutien au Timor
oriental s’arrêtait la plupart du temps là où l’appui moral aurait dû se transformer en actes politiques. Même lorsque le président Habibie ouvrit en 1999 la voie
à une résolution politique du conflit, la politique de force et d’intérêts, qu’avaient
préconisée jusque-là les divers États, continua à déterminer les comportements.
Les excès de violence et, à leur suite, la destruction du Timor oriental après le
referendum du 30 août 1999, sont aussi le résultat des défaillances de la politique étrangère de la communauté internationale. Une pression continuelle et structurante sur le gouvernement indonésien aurait pu mieux protéger la population
et la mission de l’ONU. Il ne manquait pas d’informations en amont du referendum – des acteurs timorais, des ONG et des observateurs internationaux avaient instamment signalé la catastrophe à venir. Il manquait aux États qui entretenaient de bonnes relations avec l’Indonésie une volonté politique pour accorder
la priorité nécessaire à une résolution du conflit qui prévienne la violence.123
La Commission de vérité avait invité officiellement à l’audition les gouvernements d’Indonésie, du Portugal, d’Australie et des États-Unis, ainsi que les
Nations Unies. Elle envoya parallèlement des invitations à une série d’anciens
membres de premier plan des gouvernements de ces États. Mais cette initiative
ne porta pas ses fruits : les gouvernements avaient des difficultés à identifier les
personnes connaissant suffisamment la politique timoraise de l’époque, et nombre des personnes contactées firent part de leur soutien à la Commission mais
se voyaient contraintes de refuser en raison d’autres obligations. Les invitations
furent alors adressées à des experts de la politique en leur qualité de personne
privée, qui acceptèrent d’apporter leur savoir et leur analyse à l’audition, et qui
n’étaient pas obligés de défendre la politique de leur gouvernement. Assumer
une responsabilité politique devant un comité officiel semble être une difficulté que les politiciens du Timor oriental ne sont pas les seuls à éprouver.
Ian Martin, chef de la mission de l’ONU pour la tenue du referendum au
Timor oriental (MINUTO), et Francesc Vendrel, qui a longtemps travaillé sur le
Timor oriental au sein du secrétariat de l’ONU, répondirent à l’invitation et firent
le récit de leur travail. Conformément à la résolution 37/30 de l’Assemblée
générale de l’ONU prise en 1982 et sous l’égide des Nations Unies, le Portugal
et l’Indonésie eurent des entretiens visant à régler le conflit. Des années durant,
le seul résultat des pourparlers fut que les deux États aient accepté ces entretiens.
Cependant, lors des bouleversements en Indonésie, les structures existantes ont
permis aux Nations Unies d’être immédiatement en situation de réagir à l’offre
de résolution du conflit que fit le président Habibie.
76
77
5.7.2 La solidarité internationale
5.8 Les répercussions du conflit pour les enfants
Bien que maints politiciens éminents ne vinssent pas à l’audition, ceux qui se
rendirent à Dili donnèrent des informations de première main à la population
du Timor oriental sur la dimension internationale du conflit. Pendant l’occupation,
très peu d’informations relatives aux développements politiques internationaux arrivaient dans le pays, et jamais dans les districts. Ce sont en premier lieu
les Timorais vivant en exil, des organisations de défense des droits de l’homme,
des groupes de solidarité et des organismes caritatifs, qui permirent de surmonter le mur de la politique pragmatique et de l’ignorance que la communauté internationale a longtemps opposé au conflit. Ils ont dénoncé sans relâche les violations des droits de l’homme, porté le conflit du Timor oriental sur l’agenda
politique, et exigé avec véhémence un changement de la politique étrangère visà-vis de l’Indonésie. Ils ont ainsi changé petit à petit l’image que l’opinion
publique avait de l’Indonésie : celle d’une puissance stable et fiable se brisa pour
laisser progressivement place à celle d’une dictature violant les droits de l’homme, corrompue et incapable d’entreprendre des réformes et qui était de plus en
plus contraire aux intérêts étrangers. Après la guerre froide, les revendications
de démocratisation et de « bonne gouvernance » prirent du poids et les critiques
des organisations non gouvernementales reçurent plus d’écho.
Pour beaucoup de Timorais orientaux, l’audition fut l’occasion de faire connaissance avec certains acteurs de la lutte pour le droit à l’autodétermination du
Timor oriental : Luisa Pereira (Portugal), David Scott (Australie), Yeni Rosa
Damayanti (Indonésie), Arnold Kohen (USA) et sœur Monica Nakamura (Japon)
relatèrent au nom de leurs organisations les multiples initiatives politiques, les
campagnes et les actions de solidarité menées sur la planète entière. Abel
Guterres, raconta comment les Timorais de la diaspora s’étaient engagés dans
des conditions souvent difficiles pour leur droit à l’autodétermination, le travail
de lobbying auprès des gouvernements, des médias et des institutions, comment
ils avaient coopéré avec des organisations non gouvernementales et créé une opinion publique. Leur travail a été une partie intégrante de la résistance et a complété les efforts et les sacrifices des Timorais dans leur pays.
Une exposition d’affiches, de publications, de photos montrant des manifestations, des articles de presse et autre matériel de propagande présentée dans le
centre de documentation de la Commission de vérité, illustra magnifiquement ce
qui avait été dit. Une énorme carte du monde montrait tous les lieux où il y eut
des actions en faveur du Timor oriental et citait toutes les organisations, pour remercier les personnes innombrables qui se sont engagées pour le Timor oriental.124
29-30 mars 2004
La dernière audition thématique de la Commission de vérité a offert un forum
aux enfants et aux jeunes du Timor oriental qui ont grandi sous le conflit. Les
douze témoins oculaires décrivirent en détail les répercussions de la violence et
de l’arbitraire dans leur jeune vie. Et ils exhortèrent instamment de permettre
aux futures générations d’enfants du Timor oriental de vivre et de grandir dans
la normalité, dans un climat dénué de violence et de conflit.
En 1977, âgé de dix ans, Petrus Kanisius se rendit à l’armée indonésienne à
Maubissi. Il fut envoyé à l’orphelinat militaire Seroja de Dili, qui abritait 300 enfants.
« Parfois, notre nom était changé par celui du soldat qui nous avait amené. »125 Les enfants
recevaient une instruction aux accents militaires et étaient fréquemment battus, même ceux qui avaient à peine quatre ans. Ensuite, sans que sa famille ne
le sache, Petrus fut envoyé dans un orphelinat de Java central, à Semarang, et
fut présenté avec 19 autres orphelins au président Suharto le 7 septembre 1977.
Il ne revint au Timor oriental qu’en 1994.
Constantinho X Ornai dépeignit le destin de son père, membre actif du Fretilin. Le 25 novembre 1976, il fut exécuté par un groupe rival du Fretilin, « comme
on abat un bananier. » Constantinho raconta comment il fut ensuite interrogé
par le groupe, comment il donna plus tard à l’armée indonésienne les noms des
Timorais qui avaient tué son père et comment il aspirait à la vengeance. « Ma
grand-mère n’était pas d’accord… alors j’ai enfoui les événements entourant le meurtre de mon père et de mon oncle. »
Alexandrino da Costa avait 14 ans lorsque des militaires lui tirèrent dessus
dans le cimetière de Santa Cruz, le 12 novembre 1991. Il ne réchappa que de peu
à la mort, parce qu’un soldat pensa qu’il était encore trop jeune. Après avoir été
opéré, l’armée envoya Alexandrino à Jakarta pour trois ans. « Ils voulaient ainsi
changer notre façon de penser, mais c’était impossible. »
Julieta Jesuirina dos Santos fut la seule enfant à témoigner. Accompagnée de
sa mère, elle décrivit comment son père fut abattu dans l’église de Liquiça le 6
avril 1999. Elle avait alors neuf ans. Elle dressa un tableau très vivant de la peur
et du chaos dans l’église, lorsque les miliciens du Besi-Merah-Putih attaquèrent.
Alfredo Alves avait onze ans en 1978 lorsqu’un officier militaire de Sulawesi l’emmena malgré les protestations de sa mère, afin d’en faire son assistant militaire. Une de ses tâches était de recharger les magasins des fusils pendant les combats. Lorsque les soldats levaient le camp, leurs lourds paquets étaient portés par
de jeunes timorais. Alfredo raconta également comment on lui injectait des substances excitantes. Bien qu’il fût strictement interdit aux militaires d’emmener
des enfants quand ils retournaient chez eux, l’officier réussit à ramener Alfredo
clandestinement sur un bateau à Sulawesi en 1980. Ce dernier ne réussit que bien
78
des années plus tard, grâce à une lettre d’un commandant militaire de Surabaya
à rentrer au Timor oriental.
Le frère de Aida Maria dos Anjos était commandant du Falintil. Elle avait 14
ans lorsque, pendant la révolte du Kraras, une voiture s’arrêta devant son école
à Viqueque et que l’armée l’enleva. « Je ne savais rien de la politique mais j’avais
à en supporter ses risques. » Elle décrivit les horreurs qu’elle vécut ensuite, comment elle fut arrêtée puis emmenée par hélicoptère à Baucau pour être interrogée. Elle a vu sa belle-sœur se faire torturer, son père se faire exécuter. « Pourquoi
fallait-il qu’ils tuent mon père ? Mon père ignorait tout de la politique. Il était un simple paysan, qui travaillait tous les jours aux champs. C’était mon frère qui s’occupait
de politique, pas mon père qui était déjà vieux, pas nous les petites filles. »
Des enfants des camps de réfugiés du Timor occidental transmirent par vidéo
leur message. Ils voulaient à nouveau jouer ensemble, voir de nouveau leurs amis.
« Mais parce que nous sommes dominés par des sentiments de vengeance, je dois rester
loin de mes amis » explique Maria Fatima dos Carlos.
Le destin de ces enfants et de ces jeunes marqués par la guerre montre avec
éclat que le chemin de réconciliation du Timor oriental ne s’achève pas avec le
travail de la Commission de vérité.
IV. Perspectives
La Commission de vérité du Timor oriental a reçu un très bon accueil. Elle a contribué précieusement à la réconciliation, au respect des droits de l’homme et à
mettre à jour la violence et la répression. Il a été mis un terme au silence, les coupables ont pu retrouver le chemin de la société et les victimes se libérer de leur
ressentiment contre leurs bourreaux. Mais ces résultats semblent n’avoir été
atteints qu’au niveau individuel et beaucoup ont encore le sentiment que justice n’a pas été faite. Les démarches de la Commission ont au contraire sensibilisé les gens sur le fait que l’injustice persiste.
Les attentes de la population envers la Commission crûrent parallèlement
à son travail et augmentèrent d’autant plus que les résultats en matière de justice pénale et l’engagement du gouvernement timorais étaient faibles. Avec sa démarche participative et tournée vers les victimes, la Commission de vérité a nourri la prise de conscience qu’il ne pouvait y avoir réconciliation sans justice. La
découverte de la vérité devait participer à la guérison – individuelle autant que
collective. Cette fonction curative ne peut pourtant se déployer durablement si
le gouvernement du Timor oriental pousse à la réconciliation mais, pour des raisons de politique pragmatique, place les bonnes relations de voisinage avec
79
l’Indonésie au-dessus de l’examen juridique des crimes des droits de l’homme.
Sous couvert de réconciliation, sa politique de retour nécessaire à la normalité
aboutit à taire la violence, à trouver un arrangement sans critique avec les
auteurs de crimes.126 Les victimes et leur famille font ainsi une fois de plus
l’expérience de l’injustice. La Commission de vérité du Timor oriental fut conçue
comme un complément aux poursuites pénales, destiné aux crimes mineurs ;
elle ne peut compenser la défaillance de la politique et de la justice. Il ne peut
y avoir de réconciliation pour les familles de victimes de graves violations des
droits de l’homme sans poursuite pénale des coupables. La réconciliation reste
un mot vide de sens, ils se sentent bafoués. La culture de l’impunité constitue
un grave mépris de la dignité et des droits des victimes.
Six ans pratiquement après le referendum au Timor oriental, il est temps de
s’avouer que les efforts faits jusque-là en matière pénale ont échoué. Ni le Tribunal ad hoc pour les droits de l’homme de Jakarta, ni le parquet et le Tribunal
spécial de Dili n’ont su demander des comptes aux principaux responsables des
violences de 1999. Cette situation a donné aux Timorais l’impression qu’il existe
une inégalité de traitement : les « petits poissons », les suivistes au sein des
milices, seraient poursuivis, les coupables réels de crimes graves, qui séjournent
pour la plupart en Indonésie, se promèneraient en toute impunité. Les jugements
du Tribunal ad hoc de Jakarta n’ont fait que conforter ce sentiment : les deux
seules personnes condamnées en première instance à une peine de dix ans de
prison étaient les deux seuls inculpés d’origine timoraise. Et le gouvernement
place l’intégration des chefs de milice au-dessus des besoins en justice pénale des
victimes. À l’heure actuelle, il paraît hautement improbable que le Timor oriental ou l’Indonésie mette en place les institutions nécessaires à des poursuites pénales. Le Tribunal spécial du Timor oriental ayant dû cesser ses activités en mai 2005,
il reste peu d’espoir que les personnes qui portent la plus haute responsabilité
dans les violations des droits de l’homme soient traduites en justice. Dans l’intérêt des victimes, de leurs familles et de la crédibilité de l’engagement de l’ONU,
ce chapitre des poursuites pénales internationales ne doit pas être considéré
comme clos. Il y a eu trop peu de résultats et trop de promesses.
En février 2005, Kofi Annan avait en conséquence envoyé une commission
d’experts internationaux. Elle reçut la mission d’évaluer le processus de poursuites pénales au Timor oriental et en Indonésie, et de soumettre au secrétaire
général de l’ONU des propositions concrètes de solution pour poursuivre sur le
plan judiciaire les responsables des crimes commis au Timor oriental en 1999.
Mais le gouvernement indonésien est hostile à cette commission d’experts
et refuse pour le moment de collaborer avec elle. Elle redoute que, sur la base de
leur évaluation, les experts proposent d’instituer en Indonésie un tribunal international pour poursuivre les principaux responsables. À ses yeux, une telle éva-
80
luation n’est plus nécessaire puisque les gouvernements indonésiens et timorais
ont décidé en décembre 2004 de créer une Commission de vérité et d’amitié en
guise d’alternative – et non de complément – aux poursuites pénales.
Cette Commission bilatérale de vérité et d’amitié se heurte à la résistance
ouverte de nombreuses organisations non gouvernementales et de défense des
droits de l’homme au Timor oriental comme en Indonésie, qui craignent que le
passé soit ainsi mis sous le boisseau.
La Commission veut examiner les événements de 1999 et soutenir les gestes
symboliques, comme citer le nom des coupables, ou faire pression pour que les
bourreaux s’excusent auprès des victimes. Elle peut recommander l’amnistie des
personnes qui coopèrent amplement à établir la vérité, mais ne peut déférer les
coupables aux instances pénales. Elle souhaite aussi enquêter pour vérifier si des
personnes ont été à tort accusées de crimes contre les droits de l’homme et le
cas échéant les réhabiliter. Ainsi, la Commission relève l’Indonésie et le Timor
oriental de leur devoir d’engager des poursuites pénales sérieuses contre les coupables issus des rangs de l’armée et de l’administration.127
Selon la déclaration de l’Alliance nationale du Timor oriental pour un
tribunal international (ANTL) – une coalition réunissant des organisations de
femmes, de défense des droits de l’homme et des victimes – la Commission de vérité
et d’amitié est une tentative de blanchir les crimes que l’Indonésie a commis au
Timor oriental en 1999. Elle garantit ainsi l’impunité et les coupables sont protégés. « Les deux gouvernements montrent aussi par là qu’ils ignorent le processus
d’examen juridique qu’ont effectué le parquet au Timor oriental et le travail de la
Commission de vérité du Timor oriental. »128
Monseigneur Alberto Ricardo da Silva de Dili et monseigneur Basilio do Nascimento de Baucau se sont, au nom de la direction de l’Église, exprimés clairement
contre la Commission : elle n’offre ni dédommagement moral aux victimes de
crimes ni ne punit les coupables. « La population n’acceptera pas l’impunité pour
les crimes contre l’humanité. Les victimes qui ont subi ces crimes et leurs familles méritent mieux que ça. »129
« Le manque de justice est le grand obstacle à la réconciliation »130 (femme de 52
ans, de Dili). La justice pour les victimes du Timor oriental paraît toujours aussi
inatteignable. L’impunité, même après des décennies, crée par principe des
revendications sociales de poursuites pénales, qui ne peuvent être simplement
mises de côté par ceux qui détiennent le pouvoir. Nous disposons d’exemples
en Afrique, en Europe, en Amérique du Sud qui montrent qu’il est politiquement
imprudent de ne pas vouloir toucher au passé et de vouloir tirer un trait. Faire
le silence sur le passé n’empêche pas de s’y confronter, cela ne fait qu’en repousser l’échéance.131 Les contextes politiques changent rapidement et les victimes
81
auront de nouvelles opportunités de se référer à leurs droits. « Les commissions
de vérité et de réconciliation ne sont donc ni un succédané d’examen pénal de l’injustice passée ni l’option de rechange, lorsque la justice faillit. »132. Poursuite pénale et commissions de vérité se complètent et se soutiennent réciproquement. Elles veillent ensemble à répondre aux besoins de justice, de vérité et de réconciliation
de la population.
Le Timor oriental a fait face à son passé, mais ce processus est loin d’être achevé avec la fin des travaux de la Commission de vérité. D’autant moins que le gouvernement actuel, avec sa politique de l’oubli, ne satisfait pas aux revendications
des intéressés et de leurs familles. Mettre un terme aux poursuites pénales des
crimes graves au Timor oriental frapperait particulièrement les victimes mais aussi
les coupables. Ces derniers se verront ôter la possibilité de se confronter au passé,
de retrouver leur identité et de restaurer leurs relations avec les victimes et la société.133 Les Procédures de réconciliation que la Commission de vérité a conduites
pour les crimes mineurs ont montré combien la réintégration dans la société était
fondamentale. Si les crimes ne sont pas jugés, la sécurité fondamentale qui
découle de la validité des lois fondamentales de l’État de droit est troublée et
l’État signalise que la violence est un moyen éprouvé d’imposer ses propres
intérêts.134
La Commission de vérité a associé examen juridique et social et ainsi conforté la population dans ses droits. Elle a massivement participé à l’émergence
d’une conscience historique de cette jeune nation. Elle a pénétré profondément
dans l’histoire du conflit du pays. Afin que les victimes de cette époque ne le
deviennent pas une seconde fois, l’Église et les organisations de la société civile œuvrent ensemble contre l’oubli et s’engagent pour une culture de la mémoire.
Pour Hugo Fernandez, chef du département de la découverte de la vérité, la
prochaine grande difficulté réside dans l’application des recommandations de
la Commission de vérité par le gouvernement.135 Si les recommandations ne sont
pas ou pas assez appliquées, les crimes seront réduits au rang de bagatelles. Le
Timor oriental a encore un long et difficile chemin devant lui, sur lequel les gens
continueront à avoir besoin de notre soutien et de notre solidarité.
82
83
Abréviations
ABRI
APODETI
ASSEPOL
ATNUTO
Babinsa
Bakin
Besi Merah
Putih (BMP)
CAVR
CNRT
CRP
CSIS
Darah Merah
Integrasi
ETTA
Falintil
Fokupers
Fretilin
Hansip
INTERFET
KB
Korem
Kodim
Komnas
Perempuan
Kopassus
KPP-HAM
Laksaur
Angkatan Bersenjata Republik Indonesia – Forces armées indonésiennes
avant leur nouvelle scission en armée (TNI) et police (POLRI) le 1er avril 1999
Associação Popular Democratica Timorense – Association populaire démocratique timoraise ; parti qui soutenait le rattachement à l’Indonésie
Associação dos Ex-Prisoneiros Politicos – Associations des anciens prisonniers
politiques
United Nations Transitional Administration for East Timor UNTAET – Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental jusqu’à l’indépendance
officielle du pays le 20.5.2002, dirigée par Sergio de Mello
Binatara Pembina Desa – Sous-officier, chef militaire de village (armée)
Services de renseignement indonésien
Lulik
Mahidi
MANUTO
MINUTO
Nahe Biti
Milice Fer rouge et blanc, active en particulier à Liquica et Maubara
Comissão de Acolhimento Verdade e Reconciliacão de Timor Leste –
Commission d’accueil, de vérité et de réconciliation du Timor oriental
Conselho National de Resistencia Timorense – Conseil national de la
résistance timoraise, créé en 1987 par Gusmão, pour rallier tous les groupes
de résistance qui s’étaient engagés en faveur de l’indépendance du Timor
oriental, d’abord fondé sous le nom de CNRM
Community Reconciliation Process – Procédures de réconciliation à l’échelon
des communautés
Center for Strategic and International Studies – Institut de Jakarta
Sang rouge d’intégration – Milice
East Timor Transitional Administration – Administration provisoire du Timor
oriental comprenant des Timorais et des collaborateurs de l’ONU
Forcas Armadas Libertação Timor Leste – Forces armées de libération du
Timor oriental, branche armée du Fretilin, unifiée à compter de 1987
Organisation de femmes du Timor oriental
Frente por Timor Leste Independente – Front de libération du Timor oriental.
Plus grand parti politique du Timor oriental
Pertahanan Sipil – Unités de défense civile (armée)
International Force for East Timor – Force internationale du Timor Oriental ;
troupes d’intervention internationale placées sous le commandement de l’armée australienne et du général de division Peter Cosgrove
Keluarga Berencana – Planning familial – Programme national de contrôle
des naissances du gouvernement indonésien
Komando Resor Militer – Commandement militaire de sous-région
Komando Distrik Militer – Commandement militaire de district, le Timor
oriental était subdivisé en 13 Kodims
Komisi Nasional Perempuan – Commission nationale pour les femmes en
Indonésie
Komando Pasukan Khusus TNI-Angkatan Darat – Unité commando spéciale
de l’armée de terre
Komisi Penyelidik Pelanggaran HAM di Timor Timur – Commission d’enquête
chargée des graves violations des droits de l’homme au Timor oriental ; instituée le 22.9.1999 par Komnas HAM
Milice de Covalima, dirigée par Olivio Moruk
OMT
ONU
OPMT
POLRI
SCUI
Tais
TNI
UDT
Yayasan HAK
saint / sanctuaire – Système de croyance animiste du Timor oriental
Mati atau hidup untuk integrasi Indonesia – Vivre ou mourir pour l’Indonésie.
Milice du Timor oriental, notamment vers Covalima et Ainaro, dirigée par
Cancio Lopes de Carvalho ; le nom de Mahidi est sans doute une allusion à
l’instructeur de la milice, le général de division Mahidin Sibolaen
United Nations Mission of Support in East Timor – UNMISET – Mission
d’appui des Nations Unies au Timor oriental, qui a succédé à l’ATNUTO
United Nations Assistance Mission in East Timor UNAMET – Mission des
Nations Unies au Timor Oriental, dirigée par Ian Martin et chargée d’organiser
la préparation et la tenue du referendum, décidée sur la base des accords de
New York du 5.5.1999
Littéralement, dérouler une natte – Procédure de conciliation traditionnelle
au Timor oriental
Organização da Mulheres Timorense – Organisation féminine du Conseil
national de résistance timorais, le CNRT
Nations Unies
Organização Popular da Mulheres Timorense – Organisation féminine affiliée
au Fretilin
Kepolisian Republik Indonesia – Police de la République d’Indonésie
Serious Crimes Investigation Unit – Groupe d’enquête sur les crimes graves,
chargé des crimes contre l’humanité qui se sont déroulés au Timor oriental
en 1999
Tissu tissé traditionnel, qui détient un grand rôle dans les cérémonies
Tentara Nasional Indonesia – Armée nationale indonésienne, après la restructuration du 1er avril 1999
União Democrática de Timorense – Union démocratique du Timor oriental,
parti politique
Organisation de défense des droits de l’homme et d’assistance juridique au
Timor oriental
84
85
Bibliographie sélective de la littérature sur le Timor oriental
Osttimors Empfangs-,
Wahrheits- und Versöhnungskommission (CAVR)
Almeida, Ines
amnesty international
amnesty international
Braun von, Leonie
Braun von, Leonie
Braun von, Leonie/
Schlicher, Monika
Burgess, Patrick
Carey, Peter
Cristalis, Irena
Cohen, David
Evers, Georg
Fleschenberg, Andrea/
Flor, Alex/
Schlicher, Monika
Greenless, Don/
Garran, Robert
Häusler, Bernd
www.easttimor-reconciliation.org
Gewalt gegen Frauen in Ost-Timor, in: Indonesien-Information,
Nr. 1/1999, p. 12-15, http://home.snafu.de/watchin/II_1_96/
FetoRai.htm.
Menschenrechtsverletzungen in Osttimor, juin 1985.
Indonesien und Osttimor, Kein Paradies für Menschenrechte,
Bonn 1994.
Trading Justice for Friendship; An Analysis of the Terms of
Reference of the Commission of Truth and Friendship for Indonesia and East Timor, Information and Analysis, March 29, 2005,
Watch Indonesia!, http://home.snafu.de/watchin/CTF.htm.
Gerechter Schlaf des Krokodils? In Osttimor stößt die Durchsetzung des Völkerstrafrechts an politische Grenzen; in: Der
Überblick, Nr. 1/2005.
International Center
for Transitional Justice
International Center
for Transitional Justice
Kingsbury, Damien (Dir.)
Gerechtigkeit für Osttimor, Positionspapier zur Reform der
Strafverfolgung der Menschenrechtsverbrechen in Osttimor
und Indonesien, Ed.: Watch Indonesia!, Deutsche Kommission Justitia et Pax, Diakonisches Werk, Misereor, missio Aachen,
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Site Internet de la CAVR, www.easttimor-reconciliation.org, Quotable Quotes.
Commission allemande Justitia et Pax : Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit: Empfehlungen zum Umgang mit belasteter Vergangenheit, Schriftenreihe Gerechtigkeit und Frieden 102, Bonn, avril 2004, p. 7.
Site Internet de la CAVR, Quotable Quotes.
On trouvera une présentation générale dans le volume 4 de la collection « droits de l’homme » de missio, rédigé par
Georg Evers : Osttimor – der schwierige Weg zur Staatswerdung, Aachen 2001; traduction française : La situation des
droits de l’homme au Timor-oriental : la voie ardue de la fondation de l’État, Aix-la-chapelle, 2002, n° de commande
600 224, également consultable sur : http://www.missio-aachen.de/Images/MR%20Osttimor%20franz%C3%
B6sisch_tcm14-12080.pdf.
Cf. Thomas Hoppe (Dir.): Schutz der Menschenrechte – Zivile Einmischung und militärische Intervention, Analyse und
Empfehlungen, présentée par l’équipe chargée du projet « Paix juste » de la Commission allemande Justitia et Pax, mars
2004, p.142. Les pays d’Amérique latine montrent précisément que les sociétés ne parviennent jamais à la paix autrement et que les revendications visant à exhumer le passé ne diminuent pas avec les années qui passent.
Cf. Georg Grossmann, Hildegard Lingau, Gunnar Theissen: Vergangenheits- und Versöhnungsarbeit, GTZ, Eschborn 2002,
http://www.gtz.de/de/dokumente/de-crisis-versoehnungsarbeit.pdf.
CAVR Update octobre-novembre 2003, Appendix: Report on Public Hearing on Massacres, Opening remarks by Mr. Aniceto Guterres Lopes.
Commission allemande Justitia et Pax: Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 9.
Commission allemande Justitia et Pax: Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 9. Dans son roman « La fête au bouc », Vargas
Llosa décrit de manière remarquable la tentation du pouvoir et les mutilations morales que laissent les régimes tyranniques, aussi bien chez les victimes que chez les auteurs d’exactions
Commission allemande Justitia et Pax: Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 12.
Cf. International Center for Transitional Justice (ICTJ): Crying without Tears: In Pursuit of Justice and Reconciliation in
Timor-Leste: Community Perspectives and Expectations, by Piers Pigou, New York, août 2003, http://www.ictj.org/downloads/Crying_Without_Tears_designed.pdf; Judicial System Monitoring Programme (JSMP): Unfulfilled Expectations: Community Views on CAVR’s Community Reconciliation Process, Dili, août 2004.
Cf. Bernd Häusler: Gerechtigkeit für die Opfer. Eine juristische Untersuchung der indonesischen Menschenrechtsverfahren zu den Verbrechen auf Osttimor im Jahr 1999, Commission allemande Justitia et Pax (Dir.), Schriftenreihe Gerechtigkeit und Frieden, Nr. 98, Bonn, avril 2003 ; la version imprimée est momentanément épuisée ; http://www.justitiaet-pax.de/de/shop/img/Heft98.pdf ou http://home.snafu.de/watchin/Open Society Institute / Coalition for International
Justice: Unfulfilled Promises: Achieving Justice for Crimes Against Humanity in East Timor, novembre 2004,
http://www.justiceinitiative.org/db/resource2?res_id=102368 ; David Cohen: Intended to Fail: The Trials before the Ad
Hoc Human Rights Court in Jakarta, International Center for Transitional Justice (Dir.), août 2003, http://www.ictj.org/downloads/IntendedtoFail_designed.pdf ; Monika Schlicher: Intended to Fail: Die Prozesse vor dem Ad-hoc-Menschenrechtgericht in Jakarta ; in: Indonesien-Information, Nr.1/2004, http://home.snafu.de/watchin/II_1_04/prozesse.htm.
Communiqué de presse du 14.08.2002 de Watch Indonesia! : Jenseits des Rechts - Urteil gegen ehemaligen Gouverneur
von Osttimor ist Rechtsbruch, http://home.snafu.de/watchin/Jenseits_des_Rechts14.08.02.htm.
Washington Post Foreign Service: Indonesian Military Applauds Human Rights Acquittals, 31.08.2004.
Citée d’après : Andrea Fleschenberg: Osttimors Wahrheitskommission, in : Indonesien-Information, Nr.1/2004, p. 45,
http://home.snafu.de/watchin/II_1_04/wahrheit.htm.
Bishop Belo: Much done but much still to do in East Timor, International Herald Tribune, 30.08.2002.
Marco Kalbusch, Friedenssicherung durch Recht: Die Verfolgung schwerer Straf-taten in Osttimor, in: Sicherheit + Frieden, 21 (2003), http://home.snafu.de/watchin/II_1_03/Verfolgung.htm.
Tempo Magazin, fév./mars 2004 ; Andrea Fleschenberg, Alex Flor und Monika Schlicher: Aussöhnung ohne Gerechtigkeit: Osttimors Regierung wünscht keine Prozesse, in: Indonesien-Information, Nr. 1/2003, http://home.snafu.de/watchin/II_1_03/Aussoehnung.htm.
Leonie von Braun: Gerechter Schlaf des Krokodils? In Osttimor stößt die Durchsetzung des Völkerstrafrechts an politische Grenzen, in: Der Überblick, Nr. 1/2005.
ABC, Militia leader among those charged over 1999 atrocities, Asia Pacific Program, 06.02.2003.
Pour plus de détails sur ce point, cf. : Leonie von Braun & Monika Schlicher: Gerechtigkeit für Osttimor, Positionspapier
zur Reform der Strafverfolgung der Menschenrechtsverbrechen in Osttimor und Indonesien, Ed. : Watch Indonesia!, Deutsche Kommission Justitia et Pax, Diakonisches Werk, Misereor, missio Aachen, mars 2005, http://home.snafu.de/watchin/Gerechtigkeit.htm.
Judge Philipp Rapoza: The Serious Crimes Process in Timor-Leste, Speech delivered on 28 April 2005 in Dili at the « International Symposium on UN Peacekeeping Operations in Post-Conflict Timor Leste: Accomplishments and Lessons Learned », p. 7, 15.
Cf. JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 27.
Cf. Versöhnung ohne Strafe?, Kirchenamt der EKD, décembre 2004, p. 8, 21 ; Hoppe, p. 129sq.
Il s’agit des organisations de femmes Fokupers et ET Wave, du bureau d’assistance juridique Yayasan Hak, de la Commission Justitia et Pax de l’Église catholique, de l’Association des anciens prisonniers politiques ASSEPOL et de Presidium
Juventude.
Patrick Burgess: The Contribution of the East Timor Commission for Reception, Truth and Reconciliation (CAVR) to the
Fight against Impunity, 11.12.2003.
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Nous avons choisi de traduire par Procédure pour redonner en français les deux dimensions du terme anglais de process
(« Prozess » en allemand qui n’utilise également qu’un terme), à la fois procès et processus, qui nous semblent sciemment présentes dans l’appellation de cette instance. Pour ne pas la confondre avec le terme courant de « procédure »
nous le signalerons par une majuscule (NDT).
CAVR Bulletin, mai 2002.
CAVR Bulletin, mai 2002.
CAVR Homepage, Comarca ; CAVR, Comarca – From Colonial Prison to Centre for Reconciliation and Human Rights,
février 2003.
CAVR Homepage, Comarca.
Entretien de l’auteur avec Ben Larke, collaborateur et conseiller de la Commission de vérité lors des Procédures de réconciliation dans les communautés.
The Community Reconciliation Process of the Commission for Reception, Truth and Reconciliation, Report for UNDP
Timor-Leste by Piers Pigou, avril 2004, p. 79.
Sur les milices et sur la réaction militaire à la politique est-timoraise du président Habibi, cf. : Jörg Meier: Der OsttimorKonflikt (1998-2002), Berlin 2005, p. 46sq.; Monika Schlicher: Intervention in Asien: Das Beispiel Osttimor – Konfliktlösung ohne ausreichende Prävention, in: Thomas Hoppe (Dir.): Schutz der Menschenrechte – Zivile Einmischung und
militärische Intervention, Analyse und Empfehlungen, présenté par l’équipe de travail « paix juste » de la Commission
allemande Justitia et Pax, mars 2004, p. 267sq.
Entretien de l’auteur avec Ben Larke, collaborateur et conseiller de la Commission de vérité lors des Procédures de réconciliation dans les communautés.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 14.
CAVR Update août-septembre 2002.
CAVR Update octobre-novembre 2002.
CAVR Update octobre-novembre 2002, Appendix: Report on a Community Reconciliation Process by Kieran Dwyer, Advisor to CAVR.
Cf. Judicial System Monitoring Programme: Unfulfilled Expectations, p. 39-41.
Pigou, p. 77-78.
Patrick Burgess: Justice and Reconciliation in East Timor ; in: Criminal Law Forum, Vol. XV, No.1-2/2004, p. 135-158.
Pigou, p. 81.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 26.
Cf. JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 25.
Pigou, p. 58 ; JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 15.
Information du juge Siegfried Blunk, 26.11.2004.
Pigou, p. 81.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 16-18.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 20.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 22.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 23-24.
International Center for Transitional Justice (ICTJ): Crying without Tears: In Pursuit of Justice and Reconciliation in TimorLeste: Community Perspectives and Expectations, by Piers Pigou, New York, août 2003, p. 39.
L’assemblée constituante décida que les langues officielles du Timor oriental seraient le portugais, l’ancienne langue coloniale, et le tetum, langue locale. Cette règle linguistique est controversée, car le portugais n’était parlé et compris que
par 5% de la population en 2002 selon le Plan de développement national du gouvernement.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 45 ; cf. également Pigou, p. 100.
JSMP: Unfulfilled Expectations, p. 44.
Extending CAVR, Comments by Aniceto Guterres; in: JSMP: Justice for East Timor, Civil Society Strategic Planning, Conference Proceedings, Dili octobre 2004, p. 39.
ICTJ: Crying without Tears, p. 37, p. 31, p. 28.
Commission allemande Justitia et Pax: Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 22, p. 28.
Entretien de l’auteur avec Santina Fernandez.
Entretien de l’auteur avec Mary Barreto, collaboratrice de l’organisation de femmes « Fokupers ».
Entretien de l’auteur avec Hugo Fernandez.
Cf. CAVR, Update déc. 02-janv. 2003.
Entretien de l’auteur avec Susana Barnes.
Entretien de l’auteur avec Aniceto Neves.
Cf. Thomas Hoppe (Dir.): Schutz der Menschenrechte, p. 23.
Entretien de l’auteur avec Akihisa Matsuno.
Entretien de l’auteur avec Christine Schenk.
CAVR Update juin-juillet 2003, Victim Community Profiles.
Cf. The La’o Hamutuk Bulletin, Vol. 4, nov. 2003/CAVR.
Entretien de l’auteur avec Kieran Dwyer.
CAVR, The Final Report, Message from Ancieto Guterres Lopes, Chairperson.
CAVR, The Final Report, Message from Ancieto Guterres Lopes, Chairperson.
Entretien de l’auteur avec Carmen da Cruz.
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CAVR: Update octobre-novembre 2002, 1. Victims national hearing.
Les sources utilisées ici sont : CAVR: Summary of Narrations of those giving Testimony « Hear Our Voices », Dili, 11-12
November 2002 ; CAVR: Update oct.-nov. 2002: Victims National Hearing.
amnesty international: Menschenrechtsverletzungen in Osttimor, juin 1985, p. 26.
Political Prisoners in East Timor 25 April 1974 – September 1999: Introduction on behalf of ASSEPOL, p. 4.
Political Prisoners in East Timor 25 April 1974 – September 1999: Introduction on behalf of ASSEPOL, p. 7.
CAVR: Summary of Statements (English) Day 1, 17 February 2003: Maria José Franco Pereira.
Elle fait sans doute référence ici à Dom Jose Ribeiro, le chef de l’Église est-timoraise à cette époque.
CAVR: Summary of Statements (English) Day 2, 18 February 2003: Maria da Silva.
Cf. amnesty international: Indonesien und Osttimor, Kein Paradies für Menschenrechte, Bonn 1994, p. 131sq.
CAVR: Summary of Statements (English) Day 2, 18 February 2003: Gregorio Saldanha.
Cf. amnesty international: Indonesien und Osttimor, Kein Paradies für Menschenrechte, Bonn 1994, p. 133sq.
CAVR: Summary of Statements (anglais) Day 2, 18 February 2003: Gregorio Saldanha ; Par la suite, Gregorio se plaignit
qu’il avait été forcé de faire une déclaration qui correspondait aux voeux des fonctionnaires qui menaient l’interrogatoire mais pas aux faits. Cf. ai, p. 132.
John Roosa: Trügerische Erscheinung: Der alltägliche Widerstand der Osttimoresen gegen die indonesische militärische
Besetzung; in: Indonesien-Information, Nr. 3/2000, http://home.snafu.de/watchin/II_Dez_00/Truegerische_Entscheidung.htm.
CAVR: Summary of Statements (English) Day 1, 17 February 2003: Ade Rostina Sitompul.
Entretien de l’auteur avec Licinha Gonsalves.
Entretien de l’auteur avec Manuela Leong Pereira.
CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing on Women and Conflict.
Cf. Monika Schlicher: Frauenrechte sind Menschenrechte: Frauen in Osttimor, in: Indonesien-Information, Nr. 1, avril
1996, Ed.: Watch Indonesia!, http://home.snafu.de/watchin/II_1_96/FetoRai.htm.
CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing on Women and Conflict ; CAVR: Public Hearing
on Women and Conflict.
Cf. ai, Frauen in Aktion – Frauen in Gefahr, Bonn 1995, p. 37sq.
Ines Almeida, Gewalt gegen Frauen, in: Indonesien-Information, Nr. 1/1999, Watch Indonesia!, p. 13,
http://home.snafu.de/watchin/II_1_99/Almeida.htm.
Entretien de l’auteur avec Maria Tschanz.
CAVR: Public Hearing on Women and Conflict ; CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing
on Women and Conflict.
CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing on Women and Conflict.
CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing on Women and Conflict.
Entretien de l’auteur avec Maria Baretto.
CAVR: Public Hearing on Women and Conflict.
Cf. Timor Sun: Birth Pangs of a new Nation, 25. June-1 July 2004 ; Miranda E. Sissons: From One Day to Another, Violations of Women’s Reproductive and Sexual Rights in East Timor, Ed.: East Timor Human Rights Centre, Melbourne
1997; Andrea Fleschenberg: Das Gestern im Heute: Frauen in Osttimor; in: Südostasien, Nr. 3/2001.
CAVR, Update avril-mai 2003, Appendix: Report from Public Hearing on Women and Conflict.
Les sources utilisées pour ce paragraphe sont : CAVR Update juin-juillet 2003, Appendix: Report from Public Hearing on
Famine and Forced Displacement ; CAVR: Public Hearing: Forced Displacement and Famine, 28-29 July 2003.
Cf. John G. Taylor: Indonesia’s Forgotten War, Londres 1991, p. 88, 89.
Julius Pour: Benny Moerdani: profil prajurit negarawan, Yayasan Kejuangan Panglima Besar Sudirman, 1993, chapitre
19.
CAVR Update octobre-novembre 2003, Appendix: Report on Public Hearing on Massacres ; sauf mention contraire, toutes les citations de dépositions sont extraites de ce rapport.
CAVR Update avril-mai 2003.
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CAVR: Media Release, The Timorese Political Conflict of 1974 – 76, 9.12.2003.
CAVR, Update déc. 2003-janv. 2004, Appendix 2: Report on Hearing on Internal Political Conflict; sauf mention contraire, toutes les citations des témoignages sont extraites de ce rapport.
CAVR, Update déc. 2003-janv. 2004 ; Timor-Leste International and Local Media Monitoring 18.12.2003, Suara Timor
Leste: Rogério Lobato not responsible for violence in 1975 ; Asia Times, Jill Jolliffe: East Timor faces historic wrongs,
23.12.2003.
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Asia Times, Jill Jolliffe: East Timor faces historic wrongs, 23.12.2003.
Asia Times, Jill Jolliffe: East Timor faces historic wrongs, 23.12.2003.
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Cf. Asia Times, Jill Jolliffe: East Timor faces historic wrongs, 23.12.2003.
Toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Timor oriental sont disponibles sous : www.un.org/
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Pour plus de détails sur ces questions se référer à : Catholic Institute for International Relation (CIIR) / International Platform of Jurists for East Timor (IPJET) : International Law and the Question of East Timor, Nottingham 1995.
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Associated Press: Ex-Diplomat: Australia Shares Blame for East Timor Occupation, 16.03.2004.
Cf. Schlicher, Intervention in Asien: Das Beispiel Osttimor; in: Thomas Hoppe (Dir.): Schutz der Menschenrechte.
D’Allemagne sont entre autre citées : Misereor, missio Aachen et Watch Indonesia!
CAVR Update, février-juillet 2004, Public Hearing on Children. Toutes les citations suivantes de ce paragraphe sont également extraites de ce rapport.
Cf. Justitia et Pax: Erinnern, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 15.
Pour plus de détails sur ces questions, se référer à : Leonie von Braun: Trading Justice for Friendship; An Analysis of the
Terms of Reference of the Commission of Truth and Friendship for Indonesia and East Timor, Information and Analysis, March 29, 2005; Watch Indonesia!, http://home.snafu.de/watchin/CTF.htm.
Timor Leste National Alliance for International Tribunal, 21.12.2004.
Lusa: East Timor: Catholic bishops blast gov't for causing 'great offense' to church, 11.04.2005.
ICTJ: Crying without Tears, p. 34.
On peut ici citer en exemple l’Espagne, où le débat social et politique a récemment débuté, 25 ans après la fin de la dictature. Cf. Julia Macher: Verdrängen um der Versöhnung willen?, Friedrich-Ebert-Stiftung, Reihe Gesprächskreis Geschichte, Nr. 48.
Georg Grossmann, Hildegard Lingau, Gunnar Theissen: Vergangenheits- und Versöhnungsarbeit, GTZ, Eschborn 2002,
p. 24.
Guatemala: Nie wieder – Nunca más, Ed. REMHI und Menschenrechtsbüro des Erzbistums Guatemala, Aix-la-Chapelle, p. 361; cité in: Justitia et Pax: Erinnerung, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 31.
Justitia et Pax: Erinnerung, Wahrheit, Gerechtigkeit, p. 31.
Entretien de l’auteur avec Hugo Fernandez.
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