Séance 2
Transcription
Séance 2
1 SEANCE N°2 SUITE DE L’INTRODUCTION GENERALE LLPHI411 LECTURES D’ « AU-DELA DU PRINCIPE DE PLAISIR » DE FREUD. CLAIRE PAGES 2009 - Faire d’abord les trois exercices. II. PREMIER DUALISME PULSIONNEL, PREMIERE TOPIQUE PSYCHIQUE… 1.Le principe de plaisir a.Plaisir et déplaisir La motion pulsionnelle qui a été refoulée cherche une satisfaction, satisfaction qui procure du plaisir. L’inconscient est un système très rusé, habile à imaginer des tours lui permettant d’exprimer malgré la censure les revendications qui sont les siennes, et soumis au plaisir. Le principe de plaisir est la loi qui gouverne originairement le psychisme. Ce principe : poursuivre la satisfaction de ses motions : « l’activité des appareils d’âme même les plus hautement développés est soumise au principe de plaisir, c.-à-d. se régule automatiquement par les sensations de plaisir-déplaisir… »1 Les besoins pulsionnels qui composent l’inconscient représentent pour le système psychique une excitation, une inquiétude ou un inconfort. Ils sont supprimés par la satisfaction, satisfaction qui est source de plaisir. Mais il ne faut pas penser ce principe de plaisir à partir du modèle du plaisir obtenu lors de la réplétion d’un manque. Freud ne pense pas le plaisir et le déplaisir grâce au modèle du plein et du vide, mais de façon économique : le plaisir psychique n’est pas un plus, une augmentation, mais un équilibre. Les excitations qui exigent satisfaction créent en effet un état de tension psychique. C’est cette tension qui est déplaisante. Est plaisante, par suite, la diminution ou la disparition de cette tension. C’est pourquoi le principe de plaisir désigne plus exactement la loi qui décrit cette tendance de la psyché à chercher par tous les moyens à ramener au niveau le plus bas la quantité d’excitation. Il s’agit donc moins d’un impératif de jouissance que d’un principe d’évitement du déplaisir. Est plaisant psychiquement l’état qui n’est pas déplaisant, le déplaisir ayant le sens économique d’augmentation de la somme d’excitation interne. Par conséquent, le plaisir psychique est synonyme de constance, d’équilibre économique, et de basse tension, autrement dit d’un état de relatif repos : « la sensation de déplaisir a affaire avec un accroissement du stimulus, la sensation de plaisir avec un abaissement de celui-ci. »2 Le principe de plaisir rejoint donc un principe de constance : « Les faits qui nous ont amenés à croire à la domination du principe de plaisir dans la vie d’âme trouvent aussi leur expression dans l’hypothèse que c’est une tendance de l’appareil animique que de maintenir la quantité d’excitation présente en lui aussi basse que possible ou tout au moins constante. C’est la même chose, présentée seulement sous une autre version, car si le travail de l’appareil animique vise à maintenir basse la quantité d’excitation, tout ce qui est propre à accroître celle-ci est nécessairement ressenti comme opposé à la fonction, c’est-à-dire comme empreint de déplaisir. Le principe de plaisir se déduit du principe de constance ; en réalité, le principe de constance a été inféré des faits qui nous ont imposé l’hypothèse du principe de plaisir. »3 b.Le principe de réalité 1 « Pulsions et destins de pulsions », 1915, pp. 163-187, in Freud, S., OC XIII, p. 168. Ibid., p. 169. 3 « Au-delà du principe de plaisir », 1920, pp. 273-338, in Freud, S., OC XV, p. 279. 2 2 Mais le principe de plaisir ou tendance à rechercher inconditionnellement la satisfaction, s’il se présente ainsi à l’origine, est progressivement infléchi par le principe de réalité, car le programme du principe de plaisir est non seulement dangereux pour la psyché, du fait de l’augmentation de la tension provoquée, mais aussi incompatible avec les exigences sociales et culturelles dont le moi se fait le porte-parole. La constitution d’un principe de réalité informe singulièrement le sens du principe de plaisir tel qu’il peut exister pour le moi-plaisir originel qui ignore le réel, car celui-ci n’a évidemment pas à lutter contre des motions pulsionnelles inconciliables avec une réalité qui n’a tout simplement pas encore d’existence claire pour lui. Une fois le monde extérieur rencontré, ne pas se soumettre aux exigences de la réalité que fait connaître l’expérience et continuer à n’obéir qu’au seul principe de plaisir en cherchant à satisfaire toute motion pulsionnelle équivaudraient pour le moi à s’enfermer dans le narcissisme et à risquer de ce fait la mort : « Le principe de plaisir originel connaît au cours du développement une modification, de par la prise en considération du monde extérieur (principe de réalité), l’appareil psychique apprenant ici à ajourner les satisfactions de plaisir et à supporter pour un certain temps des sensations de déplaisir. » 4 Principe de plaisir et principe de réalité ne sont donc pas vraiment opposés : le principe de réalité ne vient pas contredire le principe de plaisir, et c’est plutôt le principe de plaisir qui se transforme en principe de réalité avec le temps. Plus exactement, le principe de réalité pourrait se définir comme la modification que connaît le principe de plaisir sous l’influence du monde extérieur. Pourtant, il y a un domaine psychique qui ne connaît pas l’inflexion du principe de plaisir en principe de réalité, c’est le fond pulsionnel. Si le moi est le porte-parole psychique du principe de réalité, l’inconscient ne répond qu’au principe de plaisir : « Le caractère le plus déconcertant des processus inconscients (refoulés) […], tient l’examen de réalité ne vaut rien en ce qui les concerne, que la réalité de pensée est assimilable à la réalité effective externe, le souhait à l’accomplissement, à l’événement, comme cela découle tout droit de la domination du vieux principe de plaisir. » 5 2.Le premier dualisme pulsionnel a.La notion de pulsion Une excitation externe L’inconscient est composé par un ensemble de pulsions. Triebe qui vient de treiben, pousser (drive en anglais, d’où l’idée de « dérive » chez Lacan). L’inconscient est un ensemble de mouvements qui poussent de l’intérieur. Alors que l’excitation physiologique est apportée de l’extérieur et déchargée vers l’extérieur sous forme d’action, ce qui entraîne une baisse de la tension, la pulsion, au contraire, est une tension qui vient de l’intérieur de l’organisme. Il n’y a pas de fuite possible à son égard. On ne peut pas la satisfaire ou y échapper par une action. Pour qu’il y ait satisfaction, il faut une modification de la source interne d’excitation. On a besoin de ramener l’excitation au niveau le plus bas. Freud invoque le principe de plaisir : la loi fondamentale à laquelle est soumis le psychisme = faire baisser la tension pour éviter le déplaisir. Le principe de plaisir est en fait une tendance à éviter le déplaisir. Dans le psychisme, se joue une opération de transformation : il va régler son intensité au moyen de la censure qui va distribuer l’énergie psychique entre ce qui peut passer dans la conscience et ce qui va être refoulé. L’énergie psychique va être 4 5 « Psychanalyse », 1926, pp. 287-296, in Freud, S., OC XVII, p. 292. « Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique », 1911, pp. 11-21, in Freud, S., OC XI, p. 20. 3 répartie entre ce qui passe la porte de la conscience et ce qui est écarté. Cette division des quantités d’énergie affaiblit l’énergie pulsionnelle. Tout ce mécanisme de modification consiste à tourner vers l’extérieur ce qui est une affaire interne. Un concept limite entre le psychique et le somatique « Si, en nous plaçant d’un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de « pulsion » nous apparaît comme un concept limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l’exigence de travail qui est imposée au psychique en conséquence de sa liaison au corporel. » (Métapsychologie, p. 17.) De quelle nature est l’excitation interne ? Force somatique, organique ou purement une énergie psychique ? Elle est les deux à la fois (une limite entre les deux). - Ancrage organique : Le pulsionnel est lié au vivant. Tout ce qui est vivant est animé d’excitations. Le psychisme humain connaît en plus des pulsions. La pulsion est ce qui anime, met en mouvement de l’intérieur la psyché. Le lieu de la pulsion, c’est la sexualité : il faut redéfinir la sexualité. Freud a distingué l’instinct et pulsion. L’instinct désigne un comportement animal, prédestiné, préformé dans son déroulement et adapté à son objet (il connaît son objet). L’instinct sexuel aurait alors un but et un objet spécifiques (la recherche de l’autre sexe). De plus, il serait localisé, somatiquement, dans l’appareil génital. Freud attaque cette conception de la sexualité. Au contraire, la pulsion, y compris la pulsion sexuelle, n’a pas d’objet assigné au départ et n’a pas de localisation anatomique précise. Si la pulsion est une force somatique, d’origine organique, elle n’est pas pour autant un instinct. L’ancrage somatique de la pulsion, n’implique pas qu’elle soit inscrite dans telle ou telle zone. Au contraire, elle est répartie dans tout le corps de manière diffuse comme « une somme de forces », un mouvement, une quantité d’énergie. La pulsion travaille dans tout le corps (ce qui maintient le corps en vie, ce qui l’anime) La sexualité attache un sujet, un corps (attache érotique) à son monde. Cette pulsion n’a pas d’objet préalable ; son objet est « variable » et ne lui est pas originairement lié. Cet objet est remplaçable tout au long des destins que connaît la pulsion. L’objet (variable) = ce qui permet à la pulsion d’être satisfaite. - Destin psychique : « Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l’excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. Nous ne savons pas si ce processus est régulièrement de nature chimique ou s’il peut aussi correspondre à une libération d’autres force, mécaniques par exemple. L’étude des sources pulsionnelles déborde le champ de la psychologie ; bien que le fait d’être issu de la source somatique soit l’élément absolument déterminant pour la pulsion, elle ne nous est connue, dans la vie psychique, que par ses buts… » (Métapsychologie, p. 19.) Dans la conception populaire de la sexualité, il n’y a aucun destin psychique du sexuel à proprement parler : la conscience réprime les désirs érotiques, qui sont tenus pour des instincts qui attachent l’homme à l’animalité. Au contraire, Freud va montrer que la pulsion est une exigence de travail imposée à l’appareil psychique, car la pulsion n’a ni localisation anatomique précise, ni objet établi : elle travaille de manière diffuse. C’est une énergie mobile qui exige une traduction psychique. C’est le psychisme qui va permettre de diriger la pulsion vers un objet, qui va permettre qu’elle se centre sur un objet. Le psychisme va « lier » le pulsionnel à un objet pour permettre la satisfaction (et faire baisser la tension). Le destin de la pulsion est essentiellement psychique, car il tient au rapport établi à l’objet. Au début, la pulsion est une énergie. Or, ce qui va assurer la liaison entre l’énergie quantitative aveugle et un objet précis, c’est le psychisme (double travail de l’inconscient et de la conscience). Premier travail de conversion, de liaison de ce moteur pulsionnel avec un objet (cad ce à quoi va s’attacher la pulsion). Il faut que la pulsion puisse être représentée 4 dans le psychisme par « les représentants de la pulsion ». Il faut que cette force soit convertie psychiquement (en représentation) : la pulsion doit être susceptible de représenter son objet, de pouvoir lui donner une forme psychique. La pulsion, quand elle connaît un destin psychique, c’est comme si elle devenait représentable (représentation inconsciente), elle se transforme en système de signes. C’est comme si la pulsion s’assignait à elle-même une image. Sans cette transcription psychique, il n’y a pas de rapport entre un objet et la pulsion. Attention : la représentation dont on parle est encore inconsciente (ex. dans le rêve) Deux forces se lient pour assigner à la pulsion un système de signes : une forme. La conversion se fait de deux manières : 1)la représentation (scène primitive, traumatisme originaire qui structure le psychisme dès la naissance) Transformation en un élément de représentation. 2)apparition du « quantum d’affect » (quantité d’affect). Naissance des catégories de l’agréable et du désagréable (sentiments qui sont des traces psychiques). La pulsion est alors ressentie subjectivement sous forme d’affect. b.Le « dualisme » Freud a élaboré conjointement à cette élaboration de la notion de pulsion un dualisme pulsionnel, celui qui affirme l’existence de deux types de pulsion, les pulsions du moi et les pulsions sexuelles. Le grand remaniement conceptuel du début des années 1920 opérera une double modification : révision de la topique (de la détermination des lieux ou instances psychiques) (et donc de la métapsychologie) et transformation de la théorie des pulsions. Freud est très attaché à la dualité des pulsions. Il lui semble impossible qu’existe seulement une seule forme de pulsions, si bien que toute théorie moniste du pulsionnel lui paraît erronée. Ainsi, lorsqu’il abandonnera la première théorie des pulsions, ce sera pour un autre dualisme : « Notre conception était dès le début dualiste et elle l’est aujourd’hui de façon plus tranchée qu’auparavant, depuis que nous dénommons les opposés, non plus pulsions du moi et pulsions sexuelles, mais pulsions de vie et pulsions de mort. La théorie de la libido de Jung est au contraire moniste… »6 Pour le comprendre, il faut revenir au caractère conflictuel du fonctionnement psychique : « Il importe de tenir compte sans plus attendre de ce que la vie d’âme est une arène et un champ de bataille de tendances opposées ou, pour l’exprimer de façon non dynamique, qu’elle est faite de contradictions et de couples d’opposés. »7 Cette formulation est néanmoins légèrement ambiguë, car, s’il y a conflit, à strictement parler les pulsions ne se contredisent pas entre elles. Mais l’important est de saisir que le conflit implique la dualité. Si le conflit préside au destin psychique, destin alimenté d’abord par la libido, quelque chose doit s’opposer à la sexualité, sans quoi on ne peut comprendre comment il y aurait un conflit psychique. Freud présente d’abord un tel conflit comme un conflit entre la libido et le moi : « Car, pour qu’apparaisse la névrose, il faut un conflit entre les souhaits libidinaux d’un être humain et cette part de son être que nous appelons son moi, qui est l’expression de ses pulsions d’autoconservation et inclut ses idéaux quant à son être propre. Un tel conflit pathogène ne se produit que si la libido veut se lancer sur des voies et vers des buts qui sont depuis longtemps surmontés et proscrits par le moi, que celui-ci a donc aussi interdits à tout jamais, et la libido ne fait cela qu’à partir du moment où lui est retirée la possibilité d’une satisfaction idéale conforme au moi. Ainsi la privation, le refusement d’une satisfaction réelle, devient la première condition de l’apparition de la névrose, même si elle n’est pas, à beaucoup près, la seule. »8 c.Pulsions sexuelles et pulsions du moi 6 « Au-delà du principe de plaisir », 1920, pp. 273-338, in Freud, S., OC XV, p. 326. Freud, S., OC XVI, Leçons d’introduction, p. 75. 8 « Quelques types de caractères dégagés par le travail psychanalytique », 1917, pp. 13-40, in Freud, S., OC XV, pp. 20-21. 7 5 Freud commence par distinguer et opposer les pulsions sexuelles et les pulsions du moi. Dans le cadre du premier dualisme pulsionnel, existent deux types de pulsions : les pulsions du moi (pulsions d’auto-conservation) et les pulsions sexuelles. Ces dernières ont la libido pour énergie et sont dirigées vers des objets, alors que les pulsions du moi sont dirigées vers le moi. Ces deux formes pulsionnelles viennent en réalité d’un clivage au sein des buts sexuels eux-mêmes, clivage entre la fonction de reproduction de l’espèce (but des pulsions du moi : la conservation) et la fonction plaisir (jouissance de l’individu) liée à la trouvaille d’un objet sexuel : « Ce qui a une significativité toute particulière pour notre tentative d’explication, c’est l’indéniable opposition entre les pulsions qui sont au service de la sexualité, de l’obtention du plaisir sexuel, et les autres, qui ont pour but l’auto-conservation de l’individu, les pulsions du moi. Nous pouvons, selon les paroles du poète, classer en « faim » ou « amour » toutes les pulsions organiques à l’œuvre dans notre âme. […] nous avons trouvé qu’elle [la pulsion sexuelle] est composée de nombreuses « pulsions partielles » qui sont attachées aux excitations des régions du corps ; nous nous sommes rendu compte que ces pulsions isolées doivent nécessairement par un développement compliqué avant de pouvoir se subordonner d’une manière appropriée aux buts de la reproduction. […] Le « moi » se sent menacé par les revendications des pulsions sexuelles et se défend d’elles par des refoulements qui n’ont pas toujours le succès souhaité mais ont pour conséquence de menaçantes formations substitutives du refoulé et d’importunes formations réactionnelles du moi. C’est de ces deux classes de phénomènes que se compose ce que nous appelons les symptômes des névroses. » 9 Cette dualité entre pulsions sexuelles (libido) et pulsions du moi (intérêt) provient aussi du conflit entre les revendications pulsionnelles et les exigences du moi, conflit qui est pour Freud à la source de nombreuses névroses (de transfert en particulier). Le premier dualisme pulsionnel oppose les pulsions sexuelles et les pulsions du moi. Les premières ont la libido pour énergie, sont dirigées vers des objets et poursuivent le plaisir attaché à la trouvaille d’un objet, alors que les secondes sont dirigées vers le moi et visent sa conservation et la reproduction de l’espèce. 3.Les trois point de vue et la première topique psychique a.Les trois points de vue (métapsychologie) Dans la Métapsychologie (1915), on peut lire : « Je propose de parler de présentation métapsychologique lorsque nous réussissons à décrire un processus psychique sous les rapports dynamique, topique et économique. »10 et dans Sigmund Freud présenté par luimême (ou l’ « auroprésentation ») : « Plus tard, je me suis lancé dans la tentative d’une « métapsychologie ». J’ai ainsi dénommé un mode d’analyse dans lequel chaque processus psychique est apprécié en fonction des trois coordonnées de la dynamique, de la topique et de l’économie, et j’ai vu en elle l’objectif ultime auquel puisse parvenir la psychologie. »11 Suivant le point de vue dynamique, la psyché est décrite comme un ensemble de forces jouant les unes contre les autres, forces d’origine organique mais qui cherchent des représentants psychiques. Freud le rattache directement à la théorie des pulsions – quoiqu’il faille reconnaître que la théorie des pulsions est aussi très liée au point de vue économique : « En ce qui concerne le premier [il s’agit du point de vue dynamique], elle [la psychologie des profondeurs ou psychanalyse] ramène tous les processus psychiques – à l’exception de la réception de stimuli extérieurs – au jeu 9 « Le trouble de vision psychogène dans la conception psychanalytique », 1910, pp. 177-186, in Freud, S., OC X, p. 183. 10 Métapsychologie, p. 89. 11 Ibid., p. 99. 6 de forces qui s’activent ou s’inhibent, se combinent, entrent dans des compromis, etc. A l’origine, toutes ces forces sont de nature pulsionnelle, donc d’origine organique, caractérisées par une formidable capacité(somatique)(compulsion de répétition), et trouvent leur délégation psychique dans des représentations affectivement investies. La doctrine des pulsions est un domaine obscur même pour la psychanalyse. L’analyse de l’observation conduit à poser deux groupes de pulsions, ce qu’on appelle pulsions du moi dont le but est l’affirmation de soi, et les pulsions d’objet qui ont pour contenu la relation à l’objet. Les pulsions sociales ne sont pas reconnues comme élémentaires et irréductibles. La spéculation théorique laisse supposer l’existence de deux pulsions fondamentales qui se cachent derrière les pulsions manifestes du moi et de l’objet : la pulsion aspirant à une unification toujours plus vaste, l’Eros, et la pulsion de destruction qui conduit à la désintégration du vivant. En psychanalyse, on appelle libido l’expression de la force d’Eros. » 12 Le second point de vue, le point de vue économique, conduit le psychologue des profondeurs à considérer que ces forces qui ont un destin psychique ne sont pas toutes équivalentes, mais possèdent une grandeur, une intensité. Il étudie les quantités de ces forces et les incidences de ce facteur quantitatif sur la vie d’âme. Le point de vue économique : cette façon d’expliquer les phénomènes psychiques se déduit du principe de plaisir, progressivement modifié en principe de réalité. Tout cela part du constat que l’appareil psychique recherche le plaisir et que celui-ci se situe dans une diminution du niveau d’excitation du système. L’accroissement des sollicitations internes paraît une gêne et la suppression de cette gêne un plaisir. Mais le déplaisir est aussi souvent analysé comme étant issu du conflit dynamique des pulsions. Freud dit déduire tout cela d’une interprétation du principe de constance emprunté à Fechner qui avait déjà établi un principe de stabilité. Ce principe définirait cette tendance du système psychique à maintenir constant la quantité d’excitation qu’il contient. Le point de vue économique se rattache d’ailleurs à l’idée en physique qu’une force se définit par la mesure d’une quantité de travail. Le troisième et dernier point de vue est le point de vue dit topique ou la topique : « Le point de vue topique envisage l’appareil psychique comme un instrument composé [de parties] et cherche à établir en quels lieux de celui-ci se produisent les différents processus psychiques. »13 Attention : ce point de vue ne revient pas à une localisation anatomique des fonctions psychiques. En dépit du matérialisme freudien, de l’ancrage corporel de la pulsion, il demeure néanmoins que la psyché garde une autonomie à l’égard du corps. Freud répétera toujours que l’inconscient n’a pas de localisation anatomique précise. Il précise donc bien que le lexique géographique est un adjuvent pour la réflexion, car « En psychologie, nous ne pouvons décrire qu’à l’aide de comparaisons. » Ce faisant, il ne s’écarte pas pourtant du matérialisme scientifique qui est le sien. En effet, il rappelle souvent qu’il n’exclut pas, par principe, la possibilité de cette localisation : « on peut prévoir que viendra le jour où s’ouvriront les voies à notre connaissance et, espérons-le, aussi à notre influence, voies menant de la biologie des organes et de la chimie au domaine phénoménal des névroses. Ce jour paraît encore lointain, actuellement ces états de maladie nous sont inaccessibles par le versant médical. »14 Et dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse : « L’édifice doctrinal de la psychanalyse que nous avons créé est en réalité une superstructure qui devra un jour ou l’autre être placée sur ses fondations organiques ; mais nous ne connaissons pas encore ces dernières. »15 b.Les trois instances psychiques ou la première topique Les représentations freudiennes de l’appareil psychique s’appellent des topiques. Pourquoi ? Topique vient du grec topos (τοπος) qui signifie le lieu. Freud va caractériser le 12 Freud, « Psycho-Analysis », p. 155. « Psycho-Analysis », p. 156. 14 Freud, « La question de l’analyse profane », p. 58. 15 Freud, Œuvres complètes, Psychanalyse, XIV, 1915-1917, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 402. 13 7 psychisme à partir d’une théorie des lieux : le psychisme est à concevoir comme un ensemble de lieux où chaque système, chaque instance, occupe un espace propre. Attention : il s’agit de lieux imaginaires, métaphoriques. Cette représentation topique n’a rien à voir avec l’anatomie cérébrale. Ces espaces psychiques ne correspondent pas à l’espace concret du cerveau. Pas de localisations anatomiques des instances psychiques. Représentation heuristique.La première topique est exposée en particulier dans la Métapsychologie, (chap « L’inconscient » (1915)) ; la deuxième topique est développée dans les Essais de psychanalyse (chap « Le Moi et le Ca » (1920)). Trois instances (trois systèmes) composent le psychisme : L’Inconscient, le Préconscient et la Conscience. Le psychisme est comme une maison, un ensemble de pièces. Chaque instance est comme un lieu dans le lieu psychique ou l’espace psychique, comme une région. Chacune de ces instances occupe une région et rassemble un ensemble de forces, de tendances (énergie pulsionnelle). Entre ces systèmes, se dressent des censures ou frontières qui contrôlent le passage d’une instance à l’autre. Le psychisme est ainsi composé d’énergies qui circulent d’une instance à l’autre à condition de parvenir à franchir des douanes. Ce point de vue fait alors de la psyché un ensemble de pièces. Dans cette maison psychique : - La conscience (Cs) : à la surface de l’appareil psychique, en relation avec le monde extérieur. Contient les perceptions du monde extérieur, les connaissances et souvenirs conscients… - Le préconscient (Pcs) : ce qui est latent, ce qui peut devenir conscient si la conscience y fait attention, mais qui peut aussi ne jamais le devenir. - L’inconscient (Ics) : Le composent les tendances pulsionnelles originaires d’origine somatique, les tendances refoulées et l’instance de censure (dont l’appartenance à l’inconscient reste discutée), celle qui garde le passage entre inconscient et conscient. « Le noyau de l’Ics est constitué par des représentants de la pulsion qui veulent décharger leur investissement, donc pas des motions de désir. » (Métapsychologie) Dans l’inconscient, qui occupe la plus grande des pièces, on trouve toutes les tendances, le gardien et le refoulé. La place de la conscience est petite, car ce qui a subi avec succès l’épreuve de la censure ne devient pas forcément conscient, mais séjourne d’abord dans le préconscient. Ce qui est préconscient se définit alors comme ce qui peut devenir conscient, mais reste latent. Le préconscient recouvre en partie le sens traditionnel de l’inconscient. Pour que les représentations préconscientes deviennent conscientes, il faut « attirer sur elles le regard de la conscience ». La conscience est alors comprise comme un regard qu’il faut attirer. Attention : 1. « inconscient » et Inconscient. Pourquoi parler d’une entité – l’inconscient – et non simplement – au pluriel – de pensées inconscientes ? Dans ses premiers textes et même assez tard dans ses écrits, Freud entend l’inconscient comme une qualité. Les trois substantifs – adjectifs substantivés – que sont la conscience, le préconscient et l’inconscient servent à désigner trois qualités psychiques. L’idée est que les pensées possèdent une qualité contingente – elles sont conscientes, préconscientes, inconscientes. Les qualités « préconscient » et « inconscient » désigneraient un degré d’éloignement par rapport à la qualité « conscience », désignant des pensées immédiatement disponibles. L’inconscient peut alors n’être qu’un état, une étape, dans l’histoire d’une pensée. Pourtant, à côté de ce 8 discours, Freud emploie un autre langage, plus familier, dans lequel l’inconscient ne désigne pas une qualité mais une réalité. En effet, dans L’interprétation des rêves, il va soutenir que l’inconscient est l’essence du psychisme. Cela signifie que l’inconscient n’est pas une qualité de la pensée mais son en soi. Si l’inconscient est l’essence du psychisme, toute pensée est en soi inconsciente, l’inconscient une forme de chose en soi et une réalité, par principe, inconnaissable en son fonds. Si l’inconscient devient un en soi, la conscience reste une simple qualité : « tout ce qui est psychique était d’abord inconscient, la qualité de conscience pouvait s’y rajouter ensuite ou aussi bien rester absente. »16 S’installe petit à petit l’idée que la psyché n’abrite pas simplement une multiplicité de pensées inconscientes, mais une réalité ou une instance – l’Inconscient – qui est inconscient par nature. Cette thèse soulève de graves difficultés : quel sens y a-t-il par exemple à tenter de se réapproprier ce qui est inconscient par essence ? 2.L’inconscient n’est ni une privation de conscience ni un degré de conscience (même si c’est une qualité psychique). Il y a des motions par soi inconscientes (le fond pulsionnel, le refoulé originaire…) Freud, S., Le moi et le ça, Première partie : Conscience et inconscient, in Œuvres Complètes Psychanalyse, volume XVI (1921-1923), PUF, 1991, p. 261 : « Une tournure récente prise par la critique de l’inconscient mérite à cet endroit d’être considérée. Certains chercheurs, qui ne se ferment pas à la reconnaissance des faits psychanalytiques, mais ne veulent pas admettre l’inconscient, se procurent une issue grâce à l’aide du fait incontesté que la conscience aussi – en tant que phénomène – permet de reconnaître une grande série de gradations d’intensité ou de netteté. De même qu’il y a des processus qui sont conscients de façon très vive, éclatante, tangible, de même nous faisons aussi l’expérience d’autres processus qui ne sont conscients que d’une façon faible, même à peine décelable, et ceux qui sont conscients de la façon la plus faible seraient précisément ceux pour lesquels la psychanalyse prétendrait utiliser le mot impropre d’inconscient. Mais ils seraient pourtant eux aussi conscients ou « dans la conscience » et se laisseraient rendre pleinement et fortement conscients si on leur accordait suffisamment d’attention. Pour autant que la décision, dans une telle question dépendant soit de la convention, soit de facteurs de sentiment, puisse être influencée par des arguments, on peut ici faire la remarque suivante : le renvoi à une échelle de netteté de la consciencialité n’a rien qui oblige et n’a pas plus force de preuve que par exemple les propositions analogues : il existe tant de gradations d’éclairement depuis la lumière extrêmement éclatante, aveuglante jusqu’à la terne lueur, par conséquent il n’existe absolument pas d’obscurité. Ou bien : il existe divers degrés de vitalité, par conséquent il n’existe pas de mort. Ces propositions peuvent bien d’une certaine façon avoir un sens, mais elles sont à rejeter en pratique, ainsi qu’il apparaît si l’on veut en déduire des conséquences déterminées, par exemple : donc il n’y a pas besoin d’allumer la lumière ; ou bien : donc tous les organismes sont immortels. En outre, par la subsomption de l’indécelable sous le conscient, on n’aboutit à rien d’autre qu’à se gâter l’unique certitude immédiate qui en tout état de cause existe dans le psychique. Une conscience dont on ne sait rien me semble pourtant bien plus absurde qu’un animique inconscient. Enfin, une telle assimilation de l’indécelable à l’inconscient a été manifestement tentée sans prise en considération des rapports dynamiques qui furent déterminants pour la conception psychanalytique. Car deux faits sont là négligés ; premièrement, qu’il se rencontre beaucoup de difficulté, qu’il y a besoin d’un grand effort pour apporter à cet indécelé suffisamment d’attention, et deuxièmement, que, quand on y est parvenu, ce qui était auparavant indécelé n’est pas maintenant reconnu par la conscience, mais lui paraît souvent complètement étranger, opposé, et est abruptement récusé par elle. En appeler de l’inconscient au peu décelé et au non décelé n’est donc malgré tout qu’un rejeton du préjugé selon lequel l’identité du psychique avec le conscient est établie une fois pour toutes. » 16 « Autoprésentation », 1925, pp. 51-122, Freud, S., OC XVII, p. 78.