"Contre le colonialisme numérique" de Roberto Casati

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"Contre le colonialisme numérique" de Roberto Casati
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"Contre le colonialisme numérique" de
Roberto Casati
par Franck Gombaud
Mise en ligne : dimanche 27 octobre 2013
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Numérique et histoire-géographie i Réfléchir
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"Contre le colonialisme numérique" de Roberto Casati
Roberto Casati nous offre un ouvrage limpide et qui manquaient pour comprendre et
interroger les conditions de l’arrivée massive du numérique dans la société et en
particulier à l’école. Face à la déferlante de la numérisation tout azimut il met en évidence les
enjeux et les difficultés auxquels nous sommes confronté en proposant des pistes de résolution des
problèmes.
Son statut de philosophe ne doit pas impressionner les professeurs d’histoire et de géographie.
L’ouvrage est remarquablement pédagogique : l’auteur prend son lecteur au début du
livre et le conduit pas à pas, avec une grande attention à ce qu’il ne perde pas le fil, vers
la conclusion du raisonnement. C’est un livre accessible au grand public cultivé et, je
crois, nécessaire aux enseignants qui s’intéressent aux TIC.
Colonialisme
Roberto Casati n’est pas un ennemi du numérique. Il revendique même explicitement de ne pas
faire partie des « luddistes » qui veulent s’opposer à toute forme de numérique. Je crois même qu’il
est par certains aspect un peu geek. C’est par contre un adversaire résolu du « colonialisme
numérique », c’est à dire de la volonté de rendre numérique tout ce qui peut l’être. Il résume le
credo des colons numériques par la formule « on peut, donc on doit ».
La question aujourd’hui n’est plus d’être pour ou contre le numérique. Il est présent presque
partout dans la société. La question est : doit-accepter le passage au tout numérique, dans tous les
domaines possibles de la société , ou doit-on le refuser, pourquoi, et dans quels domaines ? C’est à
cette interrogation fondamentale par ses enjeux à court et moyen terme que répond l’auteur. Le
danger est réel. Les « colons numériques » sont bien entendu portés par la formidable puissance de
l’industrie du numérique, mais pas seulement. On les trouve nombreux aussi à être poussé par la
fascination et presque une nouvelle forme de religiosité.
Design
Une des notions principale du livre est le « design » qu’il ne faut ici pas restreindre à la forme
physique de l’appareil mais penser comme l’ergonomie complète de l’appareil, de son contenu et
de son usage. Il n’est pas indifférent par exemple que le texte numérique soit présenté, non dans
des pages, mais dans des cadres, de manière à pouvoir s’adapter à des tailles et des formes
d’écrans différents. Pas indifférent non plus que ces cadres soient prévus pour être associés à des
sollicitations variées de l’œil et de l’esprit qui vont des vidéos aux bannières publicitaires. Dans ce
sens Casati étend la notion de design à l’organisation d’un cours ou d’une séquence pédagogique
par exemple.
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Il montre ainsi que le design des tablettes tactiles est pensé pour leur fonction première : être les
vitrines toujours à portée de main de magasins numériques. Surtout il invite pour chacun des
usages du numérique à l’école à réfléchir le design dans un but pédagogique, sans se laisser
imposer celui porté par les multinationales du numériques. Les intérêts de celles-ci et ceux de
l’école sont en l’occurrence totalement opposés : émietter l’attention pour rendre plus malléable le
consommateur d’un côté ; favoriser l’attention soutenue pour permettre la connaissance et l’esprit
critique de l’autre.
Négociation
Cela doit se faire, selon Casati – autre notion essentielle du livre – dans une démarche
pragmatique de négociation au cas par cas. Dans tel cas, le passage au numérique est la bonne
option. Casati développe longuement l’exemple de la numérisation de la photo qui lui a permis
avec l’arrivée sur les smartphones, et donc la disponibilité permanente de l’appareil, d’être
totalement désacralisée et de trouver une fonction de bloc-note, de pense-bête numérique.
L’application pédagogique semble tout aussi évidente. Par exemple, lors d’une sortie de
géographie, on peut imaginer les élèves utilisent leurs smartphones pour prendre des photos qui
vont être le support d’un exposé ou compte-rendu écrit. A l’inverse l’arrivée massive des tablettes
tactiles semble pour Casati extrêmement problématique et être le cheval de Troie de l’industrie
pour entrer dans l’école avec la collaboration active des « colons numériques ». Entre les deux, au
cas par cas, il faut négocier. Cela peut conduire après expérience à des retours en arrière – chose
qu’aucun colon numérique n’envisage. Casati prend ici un exemple personnel et qui peut servir
d’image : il a abandonné son smartphone pour revenir à un simple téléphone portable offrant
moins de sollicitations.
Tarte au chocolat
Négociation me semble un autre terme pour réflexion dialectique, mais plus adapté étant donné la
revendication de l’auteur de participer à une philosophie qui soit en lien avec la vie quotidienne.
Faute de cette négociation, les intérêt des « colons numériques » s’imposeront et cela sera
clairement au détriment des apprentissages. Casati prend l’image simple mais parlante de la tarte
au chocolat. Si vous voulez apprendre à un enfant à manger de la salade, vous ne la présentez pas
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au milieu de quatre parts de tarte au chocolat. Dans le domaine cognitif la tarte au chocolat
correspond aux images animées pour lesquelles le cerveau a une appétence forte et immédiate et la
salade qui correspond à la lecture approfondie d’un texte, ce qui demande un travail long et lent.
Si par le biais du numérique ces deux activités sont mises en concurrence il est évident que cela ne
sera pas bon pour la salade. Encore une fois c’est une question de design global.
Livre
Pour Casati, les deux principaux lieu de négociation face à la déferlante numérique sont le livre et
l’école, deux sujets qui nous concernent directement et qui sont lié l’un et l’autre. Le livre comme
support privilégié des apprentissages ; l’école comme lieu d’apprentissage de la « lecture
approfondie », celle dont la complexité du sujet ne permet pas le zapping et impose temps et effort.
Casati conduit une longue réflexion sur les avantages du livres et identifie les atouts de cette forme
de l’écrit qui ne sont pas transposable dans le numérique. Ce qui est présenté comme progrès dû
au numérique, et donc comme des limitations du livre, sont au contraire pour l’auteur sa force
pour tout une série d’usages liés à la connaissance : linéarité d’un récit que l’auteur conduit,
matérialité, sélection d’un nombre réduit d’informations...
Reprenant sa notion clé, l’auteur montre que le livre a un « design » parfaitement abouti pour un
usage, pour lequel il est irremplaçable : « la lecture approfondie ». Il convient de distinguer les
livres et, comme toujours pragmatique, Casati estime que le dictionnaire, l’encyclopédie ou le livre
de recettes peuvent parfaitement être numérisés avec profit. La structure linéaire importe en effet
peu pour ces ouvrages. Reste que la matérialité du livre papier reste importante dans les échanges
symbolique liés au livre, et effectivement on offre souvent des dictionnaires ou des livres de
cuisine, plus encore que des applications pour mobile qui peuvent les remplacer.
natifs numériques
Casati déconstruit méthodiquement cette notion. On parle aussi souvent de génération Y, ces
jeunes nés avec le numérique et qui auraient acquis de sa fréquentation précoce une forme de
super-pouvoirs qui rendraient immédiat et facile l’usage des outils numériques. Il n’en est rien,
bien entendu. La facilité avec laquelle les personnes âgées utilisent les smartphones ou les tablettes
tactiles montre s’il était besoin que la facilité d’usage est le fruit d’énormes recherches de
« design » pour rendre les appareils intuitifs et donc accessible au plus vaste marché possible. Cette
déconstruction est important car l’idée de « natifs numérique » est essentiels pour permettre aux
idéologues du « colonialisme numérique » de justifier, en les présentant comme des avantages, les
limites du numérique. Les jeunes sauraient lire aussi vite sur écran que sur papier ; ils seraient
capable – comme la machine – de réaliser plusieurs tâche à la fois, par exemple. Il n’en est rien et
les sciences cognitives sont là pour le prouver. Encore fallait-il qu’un auteur puisse mettre ces
informations au service du grand public. C’est d’autant plus important que les idéologues qui
colportent cette désinformation sont pour certains des personnalités quasi intouchables du monde
médiatico-intellectuel comme Michel Serre et son « Petite poucette ».
Un ouvrage que je conseille donc vivement de lire.
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