Tristan Corbière - locationiledebatz
Transcription
Tristan Corbière - locationiledebatz
Poésie Edouard Corbière, père de Tristan Corbière, fût aspirant à bord d’une canonnière coulée par les Anglais, le 8 mai 1811 entre Perros et l’île de Batz, avant de fonder la compagnie des bateaux à vapeur du Havre à Morlaix, puis d’être attaché à la direction du port de Brest. Les récits de sa carrière maritime mouvementée inspirèrent son fils Tristan, poète excentrique, né en 1845, qui n’affronta jamais professionnellement la mer du fait de sa santé fragile. Sa maigreur et sa laideur étaient si épouvantables que les Roscovites disaient en le voyant «Voici l’ancou !», le spectre de la mort… Ses audaces en mer n’ont cependant rien d’exagéré dans ces contrées particulièrement dangereuses. A la barre du côtre Négrier, puis du Tristan, il sortait par tous les temps dans le chenal de l’Ile de Batz qui lui inspira ses plus beaux poèmes. Trou de flibustiers, vieux nid A corsaire !-dans la tourmente, Dors ton bon somme de granit Sur tes caves que le flot hante… Ronfle à la mer, ronfle à la brise; Ta corne dans la brume grise, Ton pied marin dans les brisans… - Dors : tu peux fermer ton œil borgne Ouvert sur le large, et qui lorgne Les Anglais, depuis trois cents ans. - Dors, vieille coque bien ancrée; Les margats et les cormorans, Tes grands poètes d’ouragans, Viendront chanter la marée… - Dors vielle fille à matelots ; Plus ne te soûleront ces flots Qui te faisaient une ceinture Dorée, aux nuits rouges de vin, De sang, de feu ! – Dors … Sur ton sein L’or ne fondra plus en friture. Noms de lascars ! noms de géants ! Crachés des gueules d’espignoles… Où battaient-ils ces pavillons, Echarpant ton ciel en haillons ! … - Dors ciel au ciel de plomb sur tes dunes… Dors : plus ne viendrons ricocher Les boulets morts, sur ton clocher Criblé ! –comme un prunier- de prunes… - Dors : sous les noires cheminées, Ecoute rêver tes enfants, Mousses de quatre-vingt-dix ans, Epaves des belles années… Il dors ton bon canon de fer, A plat-ventre aussi dans sa souille, Gêlé par les lunes d’hyver … Il dort son lourd sommeil de rouille. - Va : ronfle au vent, vieux ronfleur, Tiens toujours ta gueule enragée Braquée à l’Anglais !...et chargée De maigre jonc-marin en fleur. - Où sont donc tes amants ?... - La mer et la gloire étaient folles ! – Roscoff.-Décembre Tiré des Amours jaunes Tristan Corbière, 1873 Avec le respect orthographique et la ponctuation adoptée par l’auteur. Georges Crés & Cie Les maîtres du livre 21, rue Hautefeuille, Paris MCMXX