l`experience mhs - Démarche compétence

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l`experience mhs - Démarche compétence
L'EXPERIENCE MHS
Les effets contrastés d’une démarche atypique
))))))) MHS Electronics Nantes )))))))
Secteur : Industrie – Haute technologie
Activité : Fabrication de composants pour le spatial, l’avionique et la bionique
Effectif : 260 salariés
Département : Loire-Atlantique
L‘entreprise MHS est soumise à de fortes contraintes de production nécessaires à la
fabrication de composants pour les marchés de la haute fiabilité (aérospatial,
aéronautique, matériel médical…). Depuis 2002, l’entreprise mise sur sa démarche
compétence pour asseoir sa position sur un marché hyper concurrentiel. Objectif :
développer la polyvalence des salariés et leur donner les moyens de produire sans
défaut.
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L’entreprise et sa stratégie
MHS est une PME de 257 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 27 Millions d’Euros (chiffres 2007).
Elle évolue sur le secteur de la haute technologie et produit des circuits intégrés sur des plaques de
silicium appelées « wafers ». La fabrication se fait dans 3600 m2 de « salle blanche », totalement hors
poussière.
MHS est « devenue » une PME en 2005, date de sa sortie du groupe industriel Atmel et de sa reprise
par la jeune société Xbybus. Il s’agit donc d’une PME qui a hérité des technologies de production et des
méthodes managériales d’un grand groupe américain.
L’usine actuelle a été créée il y a 27 ans par le groupe Matra Harris. Elle a suivi l’évolution
technologique du secteur jusqu’au début des années 2000. Depuis, ses équipements ne peuvent plus
suivre la course à la miniaturisation, et il faudrait investir l’équivalent de 2 milliards d’euros pour revenir
dans la compétition avec les géants du secteur. Dès 2000, l’usine était condamnée à la fermeture dans
le cadre du groupe Atmel. Elle ne doit son salut qu’à la mobilisation de cadres de l’entreprise et en
particulier au directeur de la production. Ce dernier a tout misé sur la capacité de l’usine à exploiter à
fond les technologies matures qu’elle maîtrise parfaitement pour convaincre des investisseurs
potentiels de sa capacité à produire sans défaut. Dès lors une stratégie de niche devenait envisageable
et un retour à l’équilibre financier possible. MHS opère aujourd’hui sur les marchés de niches, exigeants
des produits hautement fiables et zéro défaut comme l’aéronautique militaire, l’aérospatial ou le
matériel médical…
Bien que le pari stratégique et managérial de la direction actuelle ne soit pas gagné, le simple fait que
l’usine soit toujours en activité aujourd’hui et investisse dans des projets innovants constitue une
performance en soi dans un univers hyper concurrentiel à très haute intensité capitalistique. La maîtrise
de la production est donc au cœur de la stratégie de l’entreprise et, particulièrement, la démarche
qualité. C’est dans ce contexte très spécifique que s’inscrit la démarche compétence initiée en 2002
dans le secteur de la « fab ». Ses promoteurs estiment qu’elle participe directement à la réalisation de
la stratégie de l’entreprise : les deux facteurs-clés de succès mis en avant pas MHS dans son
raisonnement stratégique comme dans son argumentaire commercial sont la qualité de son
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organisation et la compétence de ses salariés dont l’ancienneté moyenne est de 19 ans. L’ensemble est
résumé dans le slogan « Reliability with Flexibility ».
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Le poids des contraintes industrielles
La production des wafers est prise en charge par les salariés de la « fab » répartis en 3 équipes de jour
et 1 équipe de nuit qui assurent une exploitation 24h/24 des installations. Le travail s’effectue en salle
blanche, à accès strictement restreint, dont tous les paramètres font l’objet d’un contrôle permanent
(température, hygrométrie, lumière, poussières) pour éviter de perturber le process de production et
d’endommager les wafers. Tous les personnels présents en salle blanche doivent obligatoirement porter
une tenue contraignante qui comprend une combinaison en tissu spéciale anti-poussière, des surchaussures, des gants, une cagoule, un masque et des lunettes. Dans cet univers submicronique où le
papier est interdit, tout déplacement, voire tout geste, peut être source de perturbation du process et
porter atteinte à la qualité des produits.
La production de microcomposants électroniques s’accompagne en outre d’une grande informatisation
du processus afin de gérer la complexité technique de la fabrication : l’équipe d’opérateurs travaille sur
150 machines différentes pouvant chacune faire l’objet de 5000 paramétrages spécifiques. Toutes les
procédures et les modes opératoires sont donc pris en charge informatiquement. L’informatisation de la
production est d’autant plus nécessaire que la fabrication d’un wafer requiert en moyenne 300
opérations différentes qui comprennent de multiples boucles : une même plaque peut passer 5 - voire
10 fois sur une même machine. Seul le système informatique permet aux opérateurs de visualiser l’état
exact du « wip » (c'est-à-dire l’état d’avancement de chaque lot et le programme de travail de chaque
machine).
Dans un tel contexte industriel, la compétence des opérateurs se décline d’abord en termes de rigueur
et de respect des procédures.
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Une démarche compétence formalisée et fortement outillée
La démarche compétence déployée à partir de 2002 a bénéficié de tous les outils de GRH du groupe
Atmel. Portée par le DRH, la démarche n’a été déployée que dans la « fab ».
L’ambition était de fonder une véritable Gestion des Emplois et des Compétences (GEC) et de remettre
de la clarté et de la cohérence dans un système RH considéré comme une véritable « usine à gaz ». Il
s’agissait, en particulier, de rompre avec une conception de la compétence uniquement centrée sur une
logique de poste et d’équipement qui mettait l’accent sur la complexité technique de chaque matériel.
Le système était très instable car chaque changement de machine nécessitait une modification du
référentiel de compétences. Par ailleurs la polyvalence était freinée, et le système était vécu comme
injuste dans la mesure où les opérateurs ne choisissaient pas leur affectation sur les machines.
Le système actuel porte au contraire une logique de compétence générique, qui trouve sa traduction
dans une grille commune d’évaluation pour tous les opérateurs qu’elles que soient les machines sur
lesquelles ils travaillent. La compétence se décline désormais en capacité à « produire sans défaut ». Ce
système retient une définition très classique de la compétence fondée sur les savoirs, les savoir-faire et
les savoir être. Il se fonde également sur l’idée que la compétence se révèle dans la pratique et qu’elle
se perd en l’absence de celle-ci. Des fiches de poste, un dictionnaire des compétences, un référentiel de
compétences, des grilles d’évaluation et des fiches d’entretien d’évaluation ont été conçus dans ce sens.
Renseignées par les responsables d’équipe, ces deux dernières servent de base à la cotation GEC de
chaque salarié.
Par ailleurs, la démarche compétence s’appuie sur deux piliers que sont le système d’habilitation et la
base de données GEC. Les deux sont entièrement.
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La dimension technique de la compétence est gérée par un système d’habilitation : un opérateur ne
peut travailler sur un équipement que s’il est habilité à le faire. La certification est obtenue à l’issue
d’une formation interne d’une semaine et d’un tutorat de deux mois environ. La certification tombe au
bout de 6 mois si l’opérateur n’a pas travaillé sur la machine concernée. Il appartient donc à l’opérateur,
en accord avec son responsable, d’entretenir son portefeuille d’habilitations. Pour cela, le système
informatique GIH permet un suivi en temps réel des habilitations et possède un système d’alerte pour
signaler les habilitations qui arrivent en fin de validité.
La base de données GEC permet à la RH de suivre les affectations, les cursus, les cotations GEC
(définies avec un souci de compatibilité avec la classification de la convention collective de la
métallurgie), les entretiens annuels et le repérage des écarts entre la cotation GEC et le coefficient
actuel de la personne.
L’accent est mis sur le fait que chaque salarié est responsable de la gestion de son portefeuille
d’habilitation et qu’il lui revient de demander des formations et d’envisager une mobilité interne.
Une démarche arrivée à maturité, appropriée par les salariés
Après 5 ans d’existence, la démarche compétence est arrivée à maturité. Elle a été appropriée par les
acteurs de la « fab ». Personne aujourd’hui ne remet en cause la légitimité de la démarche, pas même
les représentants du personnel, qui n’avaient pourtant pas soutenu le projet initial dans la mesure où il
ne prévoyait pas de déboucher sur un accord d’entreprise.
Les opérateurs gèrent effectivement leurs habilitations. Ils connaissent le système GIH et se
répartissent librement les postes de travail au sein de l’équipe, en tenant compte de la nécessité de
tourner au sein des différentes zones de la fabrication pour ne pas perdre leurs habilitations.
Les responsables d’équipes utilisent quotidiennement GIH et procèdent aux entretiens d’évaluation. Ils
participent collégialement aux commissions de changements des coefficients des opérateurs. Chaque
opérateur doit être revu au minimum tous les deux ans.
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Une démarche aux effets contrastés
La démarche a permis une montée en compétence et en polyvalence des équipes de « fab », reconnue
par tous. Cependant, on constate aujourd’hui que la démarche mise en place a davantage contribué à
l’atteinte des objectifs de l’entreprise en termes de productivité, de flexibilité organisationnelle et de
qualité qu’elle n’a profité aux salariés en termes de reconnaissance et de mobilité interne.
La montée en compétence et en polyvalence
La montée en compétence et en polyvalence des salariés est reconnue par tous. Les avancées portent
sur la programmation des machines, jusqu’alors prise en charge par la maintenance, mais aussi sur
l’accroissement du nombre de machines gérées. Autrefois concentré sur 3 machines, chaque opérateur
gère aujourd’hui un parc d’une dizaine de machines, ce qui suppose une bonne vision du « wip » (l’état
du process) et la capacité à s’organiser pour faire des choix locaux d’ordonnancement.
Les opérateurs ont également augmenté leur capacité à fiabiliser les process. Ils contribuent à
l’amélioration du système par les « blocs-notes » informatiques qu’ils renseignent à chaque fois qu’un
problème est détecté sur une machine. La qualité des informations qu’ils entrent dans le système
permet à la maintenance de mieux cibler ses interventions.
La montée en compétence s’est traduite par une montée en coefficient des salariés : la classe modale
des opérateurs de « fab » est passée de 170 à 180/190 ces dernières années, pour une embauche qui se
fait au coefficient 145. Le système n’a cependant pas encore complètement terminé sa transition : si
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92% du personnel de « fab » est correctement ou sur- coefficientés au regard de l’évaluation GEC, 8%
des effectifs restent sous-coefficientés. Ils sont prioritaires dans les demandes d’évolution.
Le déploiement de la démarche compétence ne s’est donc pas soldé par une inflation salariale dans la
mesure où les changements de coefficients et les augmentations individuelles ont été faits avant tout
en fonction des besoins de l’entreprise.
Des gains en productivité, en flexibilité et en qualité
La démarche est jugée robuste, dans la mesure où il n’a pas été nécessaire de la retoucher en 5 ans,
malgré les évolutions techniques et organisationnelles de l’entreprise.
Bien qu’il soit toujours délicat d’isoler les impacts propres de la démarche, les responsables et les
salariés s’accordent à dire que la nouvelle organisation n’aurait pu se faire sans la démarche
compétence. Or, les réorganisations successives, marquées par 6 plans sociaux consécutifs sur une
période de 10 ans ont débouché sur des améliorations significatives et simultanées de la productivité et
de la qualité sur des séries pourtant plus petites et plus variées.
L’amélioration de la productivité apparaît dans l’évolution des effectifs des équipes de fabrication : elles
sont passées de près de 40 personnes environ à 15 aujourd’hui. L’indicateur de productivité s’établit en
moyenne à 200 « logs » par heure et par opérateur, contre 120 logs 5 ans plus tôt. Une telle évolution
n’aurait pas été possible sans une très forte augmentation de la polyvalence des opérateurs.
L’amélioration de la qualité est tracée par l’évolution de l’indicateur synthétique utilisé par l’entreprise.
Sur 100 plaques vierges de silicium qui entrent dans la « fab », 95,6% en sortent sans défaut. Ce chiffre
était inférieur à 90 % en 2000. L’évolution est d’autant plus significative que la base de calcul est
aujourd’hui beaucoup plus pénalisante que l’ancienne : le chiffre actuel tient compte de toutes les
nouveautés et des petites séries qui autrefois étaient exclues du calcul. Par ailleurs, les deux premiers
trimestres de 2007 ont été marqués par l’absence de « miss-process » ou de défauts détectés par les
clients (qui se livrent pourtant à des tests très poussés, en particulier dans le domaine militaire et
aérospatial). Enfin la fiabilisation des process se concrétise également par une moindre variabilité du
nombre de défauts et un lissage de la performance autour de la moyenne.
Des salariés pas suffisamment impliqués
La démarche compétence n’a pas été un vecteur de participation des salariés. Ils n’ont pas été associés
à son élaboration ni aux modalités de son déploiement. Cette position est assumée par la direction
dans la mesure où les IRP (Instances représentatives du personnel) conditionnaient leur implication à la
signature d’un accord d’entreprise.
Les partenaires sociaux, et en particulier la CGT, majoritaire, participent chaque semaine à une
« commission de négociation » qui pose les normes sociales de l’entreprise. Les IRP sont de fait le
principal relais de communication de la direction vers les salariés.
Mais beaucoup de salariés interviewés dans le cadre de l’étude estiment que les décisions relatives à la
gestion des compétences sont peu lisibles et que seules les habilitations sont réellement transparentes :
•
les opérateurs - comme les managers - ne connaissent pas le mode de conversion des scores
attribués lors des évaluations individuelles en coefficients GEC. D’où une certaine opacité du
système.
•
Certains salariés expriment leur souhait de participer davantage au processus de changement
de coefficients : « Pour les augmentations de coefficient tous les 2 ans, un jury apprécie nos
compétences. Une réévaluation des compétences permet un changement de coefficient, c’est
le système GEC. Le problème c’est que l’opérateur ne peut pas intervenir au cours de
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l’évaluation par le jury et discuter cette évaluation. Il serait plus logique que la personne
concernée soit présente. » (OP)
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•
Certains opérateurs ayant développé leur polyvalence au-delà des attentes n’ont pas changé de
coefficient pour autant. Pire, ceux qui jouent le plus le jeu de la polyvalence, notamment entre
le « front end » et le « back end », courent le risque de perdre certaines de leurs habilitations,
et donc de se trouver bloqués dans l’évolution de leur coefficient.
•
Les mêmes salariés estiment que l’évolution des coefficients reste à la traîne de l’évolution
réelle des compétences : « J’estime que nous devrions tous être au coefficient 215 ».
•
Finalement, le sentiment qui domine est celui d’un système bloqué qui offre peu de
perspectives d’évolution car les parcours professionnels sont peu lisibles et que les
compétences développées en interne sont peu valorisables à l’extérieur de l’entreprise compte
tenu de la spécificité du travail en salle blanche et de l’absence d’usine comparable en France.
Des perspectives d’évolution
La direction a conscience que le second souffle de la démarche compétence viendra d’une meilleure
prise en compte des aspirations des salariés.
Des mesures ont déjà été prises pour valoriser davantage la polyvalence : le système informatique
garde désormais la trace des habilitations plusieurs fois renouvelées mais perdues par un opérateur du
fait de l’exercice de sa polyvalence. Cet effet de cliquet facilite la montée en coefficient.
La question se pose également d’une extension de la démarche aux autres catégories de personnel et
en particulier à l’ingénierie de R&D (43 personnes).
Auteurs :
Eric MELCHIOR, Cnam des Pays de la Loire
Benoît JOURNE, IEMN-IAE, Nantes
Ce retour d’expérience a été réalisé en octobre 2007 par une équipe de recherche pluridisciplinaire
auprès de l’entreprise MHS Electronics. Ont été interviewés les directeurs, les représentants des salariés,
l’encadrement et 15 salariés des différentes équipes.
Cette analyse a été présentée et validée par la direction et les salariés interviewés.
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