Bo Breguet, debout sur l`aéroplane entre Mermoz et Led Zeppelin
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Bo Breguet, debout sur l`aéroplane entre Mermoz et Led Zeppelin
Bo Breguet, debout sur l’aéroplane entre Mermoz et Led Zeppelin Article de Denis CHOLLET, paru dans Le Patriote en 2005 Il eut des rêves d’enfant, il eut une poussée vers l’adolescence en forme de Zeppelin qui se dégonfla à cause d’une surcharge de principes d’éducation plus lourds que l’air. Or, il se trouve que Bo est né sous un signe d’air. Libre comme l’air. Ni protestant par ses origines, ni catholique par son baptême, il décide très jeune de renoncer au baptême de l’air dont il rêvait pourtant, descendant d’un constructeur d’aéroplane sur lequel Mermoz avait fait la traversée. Dans la galaxie à côté, Bo Breguet traverse un miroir déposé par les mains gigantesques du double de Cocteau. Rimbaud avait fui, Cocteau avait fui, Bo fuira. D’aviateur sans lendemains, il devient ymagier aux lendemains qui déchantent. Il dessine à la craie sur l’asphalte. Il se dessine une légende de sa propre aéropostale, de son moi intérieur. A peine plus de 14 ans, sur le goudron des jours et des nuits, ses aquarelles sont d’inspiration surréaliste. La route est longue. « On me donne une bagnole volée, le gars qui m’a pris en stop. Je fous la bagnole dans le fossé, c’est comme un signe du destin et je refuse de devenir un voyou, de faire carrière comme ça. » Il croise Mouna Aguigui, célèbre et irremplaçable agitateur aux pâquerettes dans la barbe et au pacifisme tonitruant, dans ces 70 rugissantes où les CRS tapaient à coups de matraque sur les manifestants à bicyclette. Les clochettes et les fleurs, ça commençait bien. Flower power. Bo tient un carnet de sa route à lui, un carnet fait de collages, de phrases dessinées dans le goût psychédélique, de moments d’indignation, de trips d’acid et d’instants magnifiques. Des ébauches de poèmes, des carnets pour revivre les années psychédéliques aujourd’hui. Il devient un fils de Kerouac, un « clochard céleste ». Son destin aurait pu être intimement lié à celui des géniteurs du Living Theater, Julian et Judith. Il aurait pu les suivre plus longtemps, plus loin. Paradise now, non le paradis n’est pas pour tout de suite. Bo y retiendra la conquête de son propre corps, l’animalité élégante et la contorsion révolutionnaire, toute une synthèse qui a trouvé dans la peinture de Bo l’espace idéal. Julian Beck écrivait dans son journal : « Nous qualifier pour les révolutions, nous préparer à prendre le monde, afin que nous ne soyons pas dépendants des systèmes économiques ou politiques… » Et puis le turbulent héritier Bréguet va entrer dans la vie d’un autre homme de théâtre, Hubert Deschamps, comédien par vocation, rescapé des mitraillages de la résistance, ayant appris son art chez Jean Dasté mais aussi dans la troupe des Branquignols, alterego de Christian Duvaleix, partenaires de bien d’autres artistes du rire. Des dizaines de pièces pour les tréteaux, le cabaret, la télévision, la radio et le cinéma. Du pire et du meilleur durant des années. De Roger Vitrac à Jacques Baratier, en passant par Averty et Claude Zidi. Un demi-siècle d’histoire du spectacle et du music-hall en France à lui tout seul. Bo va vivre une vie aisée durant quelques années de ce demi-siècle découpé dans le XX°. « Hubert Deschamps m’a apporté ce qui me manquait, l’autorité de substitution, le père et l’oncle protecteur, l’ami et l’amant si je puis dire. J’ai vécu chez lui. Il ne voulait pas que j’étudie le théâtre, je n’ai pas pu devenir comédien. Ni au théâtre, ni au cinéma. Les autres me disaient de ne pas insister : j’avais un acteur à la maison. Quand je me suis senti chez moi, j’ai foutu des gigolos dehors et suis devenu à mon tour celui qui protège. » Il vit au jour le jour. Il revient au petit matin. Il fréquente l’underground à Paris, Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti, Philippe Garrel, Jacques Robiolles, les Gazolines… Il suit le mouvement. Il a une démarche et une gueule de mannequin, il pourrait devenir cover-girl à ceci près qu’il est un garçon. Années de la remise en question garçon-fille et du comportement homosexuel. Tout le monde se met au travail, au théâtre comme au cinéma. « J’étais trop flemmard pour apprendre un rôle par cœur. Je les voyais tous s’engager avec détermination. Ils voulaient tous faire du cinéma, ça devenait comique. Un jour, Jean-Pierre Kalfon part à New York en nous disant qu’il allait tourner dans un film du cinéma indépendant. Sur place, pas de producteur, pas de contrat, pratiquement pas de logement. Le ticket d’avion non remboursé. Et donc, en comparaison, le monde où a évolué Hubert Deschamps était bien plus stable. Au final, j’étais meilleur en faisant répéter les scènes à Hubert, comme pour « Cher Antoine » de Jean Anouilh (1970) ». Parfois, il trouve un rôle de figurant, croisant Rita Cadillac ou Bernadette Laffont. Dans les 400 francs pour 48 heures. Dans les salles de montage, les femmes se crevaient les yeux sur les questions de l’étalonnage ou des séquences à assembler. Les films sont dans les poubelles de Georges Méliès. Films consternants et désopilants comme les aiment les amateurs de second degré. Au cours de ces va-et-vient incessants où l’un passe son appartement à l’autre pour partir à Ibiza, au Maroc ou à Katmandou, la drogue obsède les frères et les sœurs. Il faut aller la chercher là où elle est produite, c’est une occasion de voyager. MarieFrance, célèbre égérie de cette époque, déambulant entre Castel à l’Alcazar, actrice et chanteuse, a servi de marraine à Bo Breguet, celui qui s’est tenu debout entre Mermoz et Led Zeppelin, un instant sur l’aéroplane de la défonce. La Thaïlande comme cercle de l’enfer ? Tomber de fatigue, tomber pour trafic de, tomber de haut, Marie-France raconte : «… nous traversâmes la Thaïlande en car, jusqu’au vendeur en question. Il nous proposa tout de suite de la goûter en nous offrant une cigarette bien tassée. Je fumai et tombais comme une masse dans le hamac, à un pas de là. » Où en était la postérité de Jean Vilar ? Ce dernier avait joué grille fermée, gardée par les flics et Julian Beck était allé planter son bec ailleurs, loin de la cité des papes. Paris manquait de dope, les thaï faisaient miroiter un Dopaland. Les « freaks » voyagèrent vers l’un des paradis artificiels. Mais Dopaland existait déjà en d’autres contrées. Le voyage en Italie de 1971 est une façon d’y parvenir. Pierre Clementi, acteur de bien des films en fête et en déboussolage a aidé Bo en le faisant retourner à Paris, en lui ayant trouvé un logement, juste avant son arrestation à Cinecittà pour détention de stupéfiants. L’exposition Miro chez Maeght est déterminante. Bo le ressent. Pink Narcissus, baroque des surimpressions sur les corps masculins en mouvement, film au delà de l’homosexualité, sera aussi un moment déterminant chez les narcisses de Saint-Germain-des-Prés et satellites. Bo vit le répertoire des années pop en France, la musique électrique, la vie au jour le jour, l’enlacement des gens et des formes, la richesse intérieure dans le luxe de la juxtaposition des corps, des visages, des attitudes. Comme a résumé Kalfon en parlant de Clémenti et des proches : « On était un peu gourmands, un peu dilettantes parce que les choses nous sont arrivées très jeunes, et assez facilement ». Un jour Bo sent que tout cela est fragile, qu’il va tomber dans la tombe comme tant d’autres si… et il fait la rencontre de son actuelle compagne, Sharon. Les photographies du mariage font penser à un film non tourné avec les Beatles pour témoins. Une calèche, des costumes, de l’élégance dans un désir de fabriquer de la féerie et la survivance de l’utopie. Tous les deux partent en Floride. Puis au Mexique. Ils ont eu James Rosenquist comme voisin, ce qui a pu faire écrire à certains sur le pop art de Bo. Il se rapprocherait de certains que Gassiot-Talabot avait jadis classé dans la « figuration narrative » par la faculté qu’il a de résumer une bande dessinée en une seule image élaborée. L’esprit des comics est là, une métaphysique née du règne animal et humain confondus sert de scénario général, d’amorce à sa mythologie. Plus question de jouer quelques secondes dans « Inspecteur La Bavure » où il sort d’un véhicule de police en travesti. La gravité est en lui. L’humour oui, la rigolade forcée non. Après la réalisation de mobiles, d’assemblages, Bo a poursuivi sa route. Certains délires de Salvador Dali, rencontré à Cadaquès, ont laissé l’exemple de comportements extravagants. Au Mexique, les ânes étaient nombreux. On pouvait se déplacer ainsi, sur un mulet ou un âne. Lentement. Vivant sur une petite commune près de Guadalajara, il visite un jour une galerie où Nall exposait des assemblages. « Il n’était pas encore la célébrité d’aujourd’hui, ce que j’ai vu dans les cartons à dessins m’a impressionné, le détail des scènes et des obsessions sur le papier. Aux murs, je me souviens d’objets rouillés formant des assemblages personnels… Les années passent. Les préoccupations artistiques de Bo ont pris du poids. Se libérer de la rigidité d’une éducation reçue dans son enfance en est une, aujourd’hui couchée par écrit, en voisin de son expression picturale. « Je transformai un petit tableau noir en chevalet m'affublant d'une grande blouse et d'un chapeau melon à plume de d'Artagnan, maniant le pinceau comme un fleuret. C'était des petits bonheurs arrachés à une enfance aussi austère que solitaire. » A Nice où il vit depuis le début des années 90, il élabore sa série des « zen puzzles », façon de reconstituer une cohérence narrative, une combinaison personnelle de courbes, de yin et de yang, d’aplats, de sourires énigmatiques. C’est une reconstitution de moments autrefois dissolus. Présent à de nombreux vernissages, il balade sa silhouette de rocker et participe à un rire de groupe. La légèreté de ses anecdotes, la façon dont il s’en amuse, témoignent de son amour de la vie dans un quotidien devenu simple. Percing au-dessus du menton, bagues et tatouages en hommage au Petit Prince de St Ex, cet aviateur sans avion plane avec fantaisie et sérieux au-dessus de ses toiles. Sa générosité a permis il y a peu de renforcer l’organisation d’un coup de chapeau à l’ex cabaret satirique Le Bonnet d’âne, qu’il fréquenta régulièrement aux côtés de Jacques Barbarin ou de Jean-Claude Perrouin. L’ex-patron Philippe De, ce soir là, au Boogaloo où avait lieu cette chaleureuse soirée, dessina de son écharpe blanche une scène animalière pour un futur tableau de Bo Breguet. Les critiques d’art ont déjà analysé cette peinture (relire celles de Jacques Simonelli pour le PCA-hebdo) que de nouveaux collectionneurs achètent. Il ne vous reste plus qu’à découvrir d’autres compositions comme on dit en jazz, à l’occasion de sa prochaine exposition à Nice. Denis Chollet A consulter : Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy, l’aventure hippie, Le Lézard, 2000 Geneviève Latour, Monsieur Hubert Deschamps de Saint-Germain-des-Près, J.-M. Place, 2001 Jean-Jacques Lebel, entretiens avec Julian Beck et Judith Malina, Living Theatre, Belfond, 1969 Marie France, Elle était une fois…, Denoël, 2003