Pédagogie de l`alternance : apprendre en pratiquant
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Pédagogie de l`alternance : apprendre en pratiquant
Pédagogie de l’alternance : apprendre en pratiquant MICHEL LE NIR Centre d’Etudes, de Recherche et de Recherche-Action de l’IUT LUMIERE IUT LUMIERE – Université Lyon 2 160 Boulevard de l’Université, Campus Porte des Alpes 69 676 Bron Cedex, France [email protected] http://iut.univ-lyon2.fr Résumé — La pratique de l’alternance se traduit par une succession de périodes de cours et de périodes d’immersion en entreprise. Si la plupart des responsables concernés par ce type de formation sont convaincus de la valeur ajoutée apportée par ces périodes d’acquisition par la pratique, il leur est souvent difficile de cerner les conditions à réunir pour que les périodes en entreprise se révèlent réellement formatrices. Nous tenterons d’apporter des premiers éléments de réponse à cette délicate question en nous appuyant sur l’observation et l’analyse des situations de travail vécues par nos apprentis et la mise en place de retours réflexifs sur leur pratique lors de séances organisées à l’IUT. Mots clés — «1+1», Alternance, Apprentissage, Diplôme Universitaire de Technologie, Insertion professionnelle, Parcours d’insertion, Projet personnel et professionnel. INTRODUCTION Outre le choix de former la totalité des étudiants en alternance, l’IUT LUMIERE a décidé de privilégier pour les Diplômes Universitaires de Technologie, une alternance de type «1+1» (ou «2 dont 1»). Cela signifie que l’alternance n’est effective qu’en seconde année, mais que la première année est largement mise à profit pour préparer les étudiants dans les meilleures conditions à cette alternance. Pour répondre à cet objectif, les équipes pédagogiques ont mis en place un parcours progressif de construction du projet personnel et professionnel en plaçant l’étudiant comme principal acteur de ce dispositif. Après dix années de fonctionnement les résultats obtenus sont globalement satisfaisants. Au fil des années, il est néanmoins apparu qu’un nombre significatif d’étudiants rencontraient des difficultés à réfléchir à l’après IUT. Ces difficultés témoignent de leur impuissance à recontextualiser en seconde année les démarches et processus construits sur la première année. Elles soulignent à quel point il leur est difficile d’estimer les réels apports de leur pratique professionnelle. Après avoir rappelé les principales mesures développées sur la première année et proposé un premier bilan de ces mesures, cette communication mettra en évidence la nature des difficultés rencontrées par les apprentis pour se projeter audelà des deux années de formation. Elle précisera les principes majeurs qui ont servis de socle à un renforcement de l’accompagnement des apprentis en deuxième année. Ce propos sera notamment illustré à partir de l’expérience menée au sein de la spécialité Gestion logistique et transport (GLT). La conclusion permettra de souligner les acquis de cette démarche et les pistes susceptibles de la conforter. A. Différer le choix d’une entreprise pour favoriser l’émergence d’un projet maîtrisé La sensibilisation des étudiants à l’importance de se construire un projet personnel et professionnel commence dès le recrutement. Le stage de rentrée du mois de septembre est l’occasion de prolonger ce premier questionnement en engageant une réflexion structurée avec l’aide d’une première équipe dont les missions sont transversales aux différents départements. Ce travail est progressivement relayé par celui d’une seconde équipe, spécifique à chaque département, possédant une bonne connaissance des milieux professionnels concernés par chaque spécialité. 1. Amorcer une réflexion individuelle dès le recrutement Dès le recrutement, l’IUT LUMIERE affirme les caractéristiques originales du processus de formation. Les candidats doivent remplir un dossier de présélection prenant en compte d’autres critères d’appréciation que les seuls résultats académiques : motivation aux études courtes et à l’intégration rapide en entreprise, expériences diverses (professionnelles, associatives, autres,...), capacité à s’investir dans l’extra scolaire, dynamisme, connaissance de l’alternance, projet professionnel. L’examen de ces dossiers donne lieu à une sélection de candidats qui sont auditionnés par des jurys composés de deux représentants d’entreprise et deux enseignants de l’IUT. Il s’agit, à travers ces deux étapes de valoriser des qualités appréciées des employeurs que l’approche académique marginalise, tout en instaurant une procédure de sélection posant le candidat comme acteur du processus et principal responsable du fait que nous l’avons retenu. Une telle pratique suppose que les candidats soient en mesure d’amorcer une véritable réflexion quant à leur candidature : pourquoi avoir choisi l’alternance ? pourquoi avoir privilégié telle spécialité ? pourquoi le choix d’études courtes ? quelle insertion envisager à l’issue des deux années de formation ? Pour beaucoup d’étudiants finalement retenus, le projet reste cependant flou. Subordonner l’entrée en formation d’un candidat à l’obtention préalable d’un contrat, et donc l’existence d’une entreprise d’accueil, présente alors le risque de déboucher sur un projet peu adapté à son profil, à un choix par défaut, voire à un choix d’opportunité (stage trouvé par relation personnelle). Pour autant, différer la recherche d’une entreprise n’a de sens que si l’on est en mesure de placer ce jeune dans une situation où son choix sera un choix véritablement maîtrisé. Cela suppose d’accompagner sa démarche et de lui fournir les outils adéquats. professionnel et la préparation à l’insertion professionnelle et au départ en stage. Plusieurs conditions doivent être remplies pour favoriser l’émergence d’un choix correspondant à un véritable projet personnel et professionnel : - Le projet ne peut être dynamisé qu’à partir d’une réflexion interne, partant de la personne elle-même mais nourrie d’expériences analysées et confrontées par petits groupes à celle des autres étudiants, scandée aussi par des échéances fortes : soirée affiches en octobre, forum entreprises en février, stage en avril, etc. - Elaborer un projet professionnel suppose que l’étudiant ait une vision globale suffisante des opportunités qui peuvent lui être offertes. Le DUT est un diplôme généraliste. Il ne prépare pas à un métier particulier, mais à un champ de métiers ; lequel peut être plus ou moins large selon la spécialité. Le jeune doit disposer d’un degré de connaissances suffisant pour se situer dans ce milieu professionnel. Cette connaissance doit être graduelle (identification des secteurs d’activité, des entreprises, des métiers, des missions pendant le stage ou le contrat). Elle doit s’appuyer sur une variété des informations et des interlocuteurs (enseignants, professionnels parmi lesquels de nombreux anciens, étudiants de deuxième année). - Une meilleure connaissance de l’environnement économique et social ne suffit pas, il est également nécessaire de doter les étudiants d’une série d’outils incontournables pour mener à bien une prospection efficace auprès de futurs employeurs (sensibilisation à la collecte d’informations sur les entreprises et les métiers, préparation aux entretiens téléphoniques et aux entretiens d’embauche, formation à la rédaction de CV ou de lettres de motivation). La première étape donne à chaque étudiant pour mission d’approfondir ses idées et de réfléchir à un métier ou une fonction qu’il aimerait explorer. Il doit alors réaliser une enquête documentaire et interviewer au moins un professionnel correspondant à ce métier. En termes de communication il doit rendre compte de son travail sous quatre formes : - un dossier dactylographié (test de la maîtrise minimale de Word en principe acquise pendant le stage de rentrée) reprenant l’ensemble de l’enquête et ce qu’il en retire comme enseignement pour lui-même, - un exposé devant son groupe de TD, - une affiche réalisée à deux ou trois, résumant en quelques points forts leurs enquêtes, - une exposition des affiches dès la fin octobre au cours d’une soirée organisée par les étudiants eux-mêmes à laquelle sont conviés les enseignants de l’IUT, les professionnels qui auront reçu les étudiants et des personnalités de l’université et du conseil de l’IUT. Afin de répondre à ces exigences, l’IUT a été conduit à mettre progressivement sur pied un parcours d’insertion professionnelle [1]. La mise en œuvre et l’enrichissement de ce programme ont été confiés à deux équipes chargées d’œuvrer au sein de l’IUT en étroite collaboration : l’équipe du projet personnel et professionnel et le partenariat entreprises. 2. Initialiser un véritable projet personnel et professionnel Une équipe constituée de conseillères d’orientation, de spécialistes de bilans de compétences et d’enseignants de communication a élaboré un programme hebdomadaire. Ces séances commencent dès le stage de rentrée. Leur objectif est d’amener graduellement l’étudiant à mieux se connaître, à explorer l’environnement professionnel, à se projeter et faire des choix, à construire son propre itinéraire, à hiérarchiser ses priorités et à définir ce qui lui convient le mieux. Il construit progressivement un projet devant déboucher sur une première intégration en entreprise. C’est la raison pour laquelle le travail est réalisé à partir d’exercices pratiques et de mises en situation. Ces groupes doivent beaucoup, dans leur conception originelle, aux apports de l’éducation des choix tels qu’ils sont formalisés par TROUVER/CREER, association lyonnaise de professionnels de l’orientation et de l’emploi «dont l’objectif est de promouvoir une conception éducative de l’orientation qui redonne à la personne la maîtrise de ses choix dans un environnement complexe, mouvant et incertain» [2]. Le programme de travail proposé aux étudiants comporte deux parties principales : l’élaboration d’un projet personnel et La seconde étape repose sur un ensemble de mises en situation permettant aux étudiants d’être de plus en plus responsables de l’organisation de leurs études et de leur apprentissage. Par leur implication et leur réflexion au cours des séances, ils apportent le matériel (expériences personnelles et professionnelles, réflexions et questionnements) nécessaire au support du travail de l’équipe d’animation. Ce travail de bilan et de valorisation de leurs propres atouts sert à la préparation des lettres de motivation, de leurs CV, lesquels devront être prêts début décembre. A partir du mois de janvier, les séances sont centrées sur la préparation à l’entretien de recrutement, que celui-ci ait lieu avant, pendant ou après le forum entreprises de février ; journées au cours desquelles des responsables d’entreprises viennent faire passer des entretiens d’embauche aux étudiants en vue de les accueillir en stage puis en contrat. L’accompagnement des étudiants se poursuit à l’occasion du forum entreprises, du départ et du retour de stage. Toute au long de l’année, les étudiants réunissent, dans un carnet de bord qui fera l’objet d’une évaluation, l’ensemble des travaux de ces séances ainsi que toutes leurs activités périphériques (autres cours, visites d’entreprises, conférences métiers, expériences téléphoniques, échanges avec des professionnels) qu’il s’agit de transformer en véritables expériences participant à la clarification de leur propre système de valeurs et à l’élaboration de leur projet personnel et professionnel, à court (stage), moyen (contrat) et long (l’aprèsDUT) termes. C’est un moyen pour eux de prendre du recul par rapport à leurs actions, voire inactions, et d’en faire l’analyse. 3. Renforcer la dimension professionnelle du projet L’étudiant n’a souvent qu’une idée imprécise des secteurs d’activités et des entreprises dans lesquelles il est susceptible d’évoluer par la suite. Il mesure mal les débouchés qui peuvent lui être offerts voire les passerelles pouvant lui garantir un large choix de trajectoires professionnelles. Il lui est enfin difficile d’évaluer les missions qui pourront lui être confiées dans le cadre d’un stage puis d’un contrat. Ces difficultés sont d’autant plus fortes que le DUT est un diplôme généraliste qui ne forme pas pour un métier, mais pour un ensemble de métiers. Chaque spécialité débouche en effet sur une palette plus ou moins large de métiers. Certains métiers peuvent être émergeants, d’autres ont pu connaître des mutations importantes depuis la création de la spécialité. Face à cette complexité, il a semblé opportun de mettre sur pied au sein de chaque département une équipe particulièrement sensibilisée à l’environnement professionnel du diplôme. Il s’agit de l’équipe du partenariat entreprises. Cette équipe est composée d’experts métiers. Il peut s’agir de professionnels (généralement sous statut de PAST), d’enseignants ayant une bonne connaissance de l’environnement professionnel de la spécialité, voire d’ingénieurs d’études ou de recherche. Lors des premières années d’existence de l’IUT, ce sont pour l’essentiel les membres des partenariats entreprises qui trouvaient les futurs employeurs de nos apprentis. Du coup, les étudiants devenaient par trop consommateurs et d’autant plus exigeants que nous les encouragions à formaliser leurs attentes sans pour autant réellement les confronter à la réalité de la recherche d’emploi. C’était contradictoire avec notre projet fort de les rendre acteurs de leur formation/insertion. Il a donc été décidé d’initier les étudiants à leur propre prospection, les membres de l’équipe épaulant cette recherche et ne fournissant des contacts qu’en fonction des efforts déployés par les étudiants. Chaque équipe partenariat a ainsi mis en place un parcours d’insertion progressif tenant compte des caractéristiques de l’environnement professionnel du diplôme (visites, journées métiers, etc.) mais également de la variété de maturation des projets individuels. L’approfondissement de l’environnement professionnel effectué, les étudiants présentent leur projet aux membres du partenariat et reçoivent, le cas échéant, leur approbation pour commencer leur prospection d’entreprises. Le forum entreprises, organisé à l’IUT en février, permet de confronter les étudiants à des entreprises prêtes à les accueillir en stage de sept semaines, puis en contrat de treize mois. Les contacts pris avec ces professionnels l’ont été par les étudiants pendant leur prospection ou par les membres du partenariat entreprises, chargés à la fois de gérer les relations avec des partenaires habituels de l’IUT, mais aussi d’initier de nouveaux contacts avec des entreprises intéressées par le projet de l’IUT. A l’issue du forum entreprises les étudiants qui n’ont toujours pas d’entreprise d’accueil entament une nouvelle prospection. Leur effectif plus réduit permet aux membres du partenariat entreprises d’entreprendre un travail de fond. La manière dont les entretiens du forum entreprises se sont déroulés est analysée ainsi que l’ensemble des démarches de prospection qu’ils ont pu mener jusque là. Au début du mois d’avril les étudiants partent en stage pour sept semaines, encadrés par un tuteur IUT et un tuteur entreprises. Ceux-ci définissent avec l’étudiant le programme d’activités à mener pendant le stage, puis à l’issue du stage évaluent le travail de l’étudiant. Dans la majorité des cas, les deux parties confirment leur engagement pour la deuxième année. Certains étudiants, pour lesquels le stage ne s’est pas déroulé conformément à ce qui était attendu, mènent une nouvelle prospection. A la fin du mois de juin le jury se prononce sur le passage en seconde année. B. Vers la mise en place d’un accompagnement renforcé en deuxième année La mise en place des différentes étapes du parcours de préparation à l’alternance, la constitution des équipes d’animation, la recherche et la fidélisation des entreprises ont eu tendance à concentrer une grande partie des efforts sur la première année. Certes plusieurs dispositions ont été prises dès l’origine afin d’accompagner l’alternance de deuxième année : désignation d’un tuteur IUT et d’un maître d’apprentissage et définition de leurs missions respectives, mise en place d’ateliers de discussion lors du retour en formation des apprentis, etc. Si un certain nombre d’indicateurs semblent confirmer le bien fondé de la démarche, la difficulté des étudiants à analyser leurs pratiques professionnelles et à en tirer des enseignements pour se projeter au-delà de l’IUT nécessite de s’interroger sur un renforcement du suivi des apprentis. 1. Un investissement en première année qui porte ses fruits Le parcours d’insertion, alliant le travail des équipes du projet personnel et professionnel et du partenariat entreprises, s’est progressivement enrichi constituant aujourd’hui un ensemble relativement cohérent. Plusieurs indicateurs nous paraissent confirmer l’intérêt de la démarche : - Quel que soit le département, on observe à l’occasion du recrutement une véritable fidélisation des candidats, avec un rapport entre appelés et inscrits oscillant entre 1,2 et 1,4 : lorsqu’un jeune a amorcé la réflexion imposée par l’ensemble de la procédure de recrutement, il a une forte propension à aller jusqu’au bout de la démarche. - Au moment du forum entreprises, une grande majorité d’étudiants est capable de formaliser un premier projet professionnel adapté aux exigences de la formation. Les responsables d’entreprises qui les auditionnent constatent, en général, la bonne représentation qu’ils se font des métiers et des postes de travail. - On aurait pu penser que lors d’un forum, les entreprises avaient tendance à sélectionner les mêmes étudiants. En fait, il n’en n’est rien. Le travail entrepris en amont avec les équipes d’encadrement, permet aux étudiants de limiter le nombre d’entretiens. Les profils de postes communiqués, la présentation des entreprises, et les informations amassées en amont du forum, permettent d’optimiser la recherche des adéquations entre les postes proposés et les candidats. - Aucun des étudiants de l’IUT ne s’est trouvé au premier avril sans entreprise d’accueil pour le stage et moins de 1% des étudiants se sont trouvés sans entreprise d’accueil pour le contrat au premier septembre. - Le renforcement de l’accompagnement tout au long du parcours d’insertion de première année minimise le nombre de stages qui ne débouchent pas sur un contrat. Quel que soit le département, 70 à 80% des apprentis se trouvent dans l’entreprise où ils ont effectué leur stage de première année. - Le passage de première en deuxième année demeure relativement sélectif avec en moyenne 75 à 85% des étudiants présents en première année qui passent en deuxième année et deviennent apprentis. Toutefois, le taux de réussite à l’issue de la deuxième année est proche de 100%. - Le nombre de ruptures de contrat, tout département confondu, est particulièrement faible (moins de 1% des contrats depuis l’origine de l’IUT). Cette rareté a permis une fois encore d’analyser dans les meilleures conditions possibles les quelques situations ayant conduit à ces ruptures et permis de construire, lorsque c’était nécessaire, un nouveau projet avec les étudiants. - L’insertion professionnelle à la sortie est excellente et rapide. Nombreuses sont les entreprises engagées dans le processus qui proposent un emploi à la sortie. Les postes occupés par les diplômés sont tout à fait cohérents avec les cibles décrites par les programmes pédagogiques nationaux. En cas de recherche d’emploi, les durées excèdent rarement trois mois. Elles sont le plus souvent inférieures à un mois. - Les poursuites d’études constituent une autre orientation possible. Les étudiants se révèlent d’ailleurs très compétitifs lors des sélections et obtiennent par la suite d’excellents résultats. La plupart se font dans des voies professionnelles (IUP, MST, ...), de plus en plus souvent par alternance avec des taux de réussite supérieurs à 90%. Pour autant la proportion des poursuites d’études reste, selon les départements, les options et les promotions, comprise entre 15 et 35%. 2. Un bilan en partie contredit à l’approche du diplôme En dépit des bons résultats enregistrés, nous avons été progressivement alertés par les problèmes que rencontraient certains de nos apprentis de deuxième année, pour se projeter au-delà du DUT. Beaucoup ne parvenaient pas à mesurer réellement le parcours accompli depuis deux ans et sousestimaient la somme des compétences qu’ils avaient pu acquérir tout au long de leur année d’alternance. Ce sentiment était encore aggravé par leur difficulté à établir des passerelles entre ce qui se passait à l’IUT et ce qui se passait en entreprise. D’autres apprentis avaient le sentiment que l’expérience unique menée à travers un stage puis un contrat, dans la même entreprise, pouvait les desservir. Ils courraient le risque de se trouver enfermés dans un métier donné, sans possibilité de mobilité future, vers d’autres métiers constituant les débouchés de la spécialité qu’ils préparaient. Certains appréhendaient, en dépit de l’importance de l’accompagnement mis en œuvre, le moment où ils se retrouveraient sur le marché du travail ; quand bien même les indicateurs en matière d’emploi étaient encourageants (temps de recherche limité, offres d’emploi cohérentes par rapport aux cibles du diplôme, témoignages d’anciens confortant la bonne perception des diplômes et l’intérêt de l’alternance). Dans tous les cas beaucoup d’apprentis se trouvaient préoccupés à mesure que s’approchait la fin de leur formation. Force était de constater la difficulté des étudiants en deuxième année à recontextualiser, pour préparer leur sortie, un certain nombre de pratiques et de démarches mises en œuvre lors de la recherche d’un stage et d’un contrat. Très souvent la solution alors privilégiée consistait pour les apprentis à s’inscrire en poursuite d’études. Pour un nombre significatif d’apprentis il s’agissait davantage d’opportunité que de l’aboutissement d’une réflexion de fond telle qu’ils l’avaient pourtant menée en première année. Les phénomènes de grappes qui se développaient en constituaient une bonne illustration. Un apprenti ayant un véritable projet professionnel pouvant être avantageusement consolidé par une poursuite d’études, entraînait dans son sillage des apprentis sans véritable projet. Il est vrai que l’offre de formation s’adressant aux titulaires d’un bac + 2 est abondante et, surtout, que les apprentis doivent se prononcer en matière de poursuite d’études, au premier trimestre de l’année civile. A cette époque, ils n’ont pas encore accompli la moitié de leur temps effectif en entreprise. En outre c’est souvent sur la dernière partie de leur alternance, la période estivale qui va de début juillet à fin septembre, que les apprentis se voient généralement confier un poste de travail en autonomie complète. Toutes ces difficultés étaient constatées alors que, dès l’ouverture des premiers départements, un certain nombre de dispositions avaient été prises afin d’accompagner l’apprenti tout au long de son parcours de deuxième année. Comme en première année, dès lors qu’un jeune se trouvait en entreprise, il bénéficiait d’un double suivi (tuteur IUT et maître d’apprentissage). Cinq rencontres ponctuant l’année étaient organisées. Ces rencontres visaient à définir les missions du jeune pour la période à venir, mais également à faire un bilan des missions réalisées au cours de la période précédente. Le comportement professionnel du jeune et son intégration dans l’entreprise étaient également considérés. Les départements avaient également envisagés des séances de retour d’alternance. L’idée consistait à prévoir un sas entre la quinzaine en entreprise et la quinzaine IUT. Ces séances d’une durée de deux heures permettaient de revenir sur l’activité professionnelle des étudiants. Les retours d’alternance, s’ils fonctionnaient relativement bien en début d’année devenaient rapidement inefficaces et donnaient l’impression de se traduire le plus souvent par des tours de table répétitifs. En outre les étudiants se sentaient peu concernés par les expériences vécues par d’autres collègues dont les environnements professionnels leur paraissaient éloignés du leur. Ils avaient du mal à percevoir les liens pourtant réels entre leur propre activité et celle de certains des autres alternants. Au final, ce temps de restitution et d’exploitation comportait le risque de glisser progressivement vers ce que certains auteurs qualifient de «bavardage institutionnalisé» [3]. Les différentes pistes explorées initialement se sont donc révélées insuffisantes et peut-être avons nous eu inconsciemment le sentiment qu’une fois que l’apprenti se trouvait en entreprise, le plus dur était fait. D’autant que, comme nous l’avons souligné, les ruptures de contrat conservaient un caractère tout à fait exceptionnel et que le taux de réussite en deuxième année se révélait excellent. C. Vers la mise en place d’un accompagnement renforcé en deuxième année Il était donc nécessaire de repenser l’accompagnement des étudiants de deuxième année. Ceci passait, tout d’abord, par l’énoncé des principes sur lesquels serait bâti un programme capable de valoriser davantage l’alternance et les pratiques professionnelles qui en découlent. 1. Des principes confortés par l’expérience acquise en première année Les réflexions menées par les équipes pédagogiques, complétées par des réunions avec les étudiants nous ont permis de dégager un certain nombre de principes sur lesquels nous avons décidé de rénover l’accompagnement de deuxième année : - Encouragés par nos pratiques de première année et attachés à l’idée déjà évoquée, qu’un projet individuel ne peut se développer que sur la base d’un engagement fort de la personne, nous avons réaffirmé le rôle d’acteur principal dévolu à l’apprenti. Quelle que soit la formule retenue celui-ci doit être le principal artisan de la démarche. Cette démarche doit donc s’appuyer au maximum sur ses expériences et les enseignements qu’il est capable d’en tirer. Pouvoir reformuler, s’exprimer, indiquer les difficultés auxquelles il se trouvait confronté constituent autant d’étapes incontournables pour que l’étudiant intègre pleinement ses apprentissages. - Un tel retour réflexif sur des pratiques professionnelles ne peut se faire sans le concours d’un médiateur et suppose d’avoir prévu dans les emplois du temps un moment permettant de faire le point. Chaque apprenti bénéficie déjà du soutien d’un maître d’apprentissage et d’un tuteur IUT, mais leur rôle a tendance à se focaliser sur l’expérience immédiate vécue en entreprise. - Dans les discussions qui ont précédé la mise en place d’un nouveau programme d’accompagnement nous avions été sensibles à l’importance accordée par les étudiants aux nombreuses échéances qui jalonnent le parcours de première année. Celles-ci présentent notamment l’avantage de permettre aux étudiants de se situer dans leur progression. L’accompagnement de deuxième année doit se baser sur un programme d’actions précises et progressives, si possible ponctuées par des étapes permettant aux apprentis de mieux se situer. - En ce qui concerne la progression, nous avons souhaité là encore tirer parti des enseignements de la première année. En première année, les réflexions individuelles des étudiants sont précédées de nombreux échanges collectifs destinés à dresser un panorama complet des orientations professionnelles qui peuvent leur être offertes. En deuxième année, il nous a semblé pertinent de partir à nouveau d’une démarche collective visant à faire prendre conscience aux apprentis de la richesse des trajectoires professionnelles possibles, avant de les inciter à se centrer à nouveau sur leurs propres perspectives. - Nous tenions, en revanche, à éviter l’un des effets pervers de la construction du parcours d’insertion de première année. Celui-ci conduit le jeune à préciser, affiner son projet pour aboutir, comme par un processus en forme d’entonnoir, au choix d’une entreprise et d’un poste de travail particuliers. Ce processus donne parfois aux jeunes l’impression qu’un choix s’effectue sans retour possible. Il faut donc encourager l’enrichissement mutuel des étudiants afin de favoriser leur prise de distance à travers la comparaison de chaque expérience personnelle avec celle des autres apprentis [4]. Il est indispensable d’offrir à chaque alternant l’occasion d’entendre les autres membres du groupe commenter et interpréter son expérience et de lui fournir l’opportunité de participer, à son tour, à l’analyse des expériences des autres. En outre, cette construction ne doit pas, au risque de retomber dans les travers de la première année, se limiter à la seule sortie immédiate de l’IUT. Les réflexions engagées doivent conduire les étudiants à se projeter à différents termes : court (la fin du diplôme) ou moyen (de deux à cinq ans). En tout état de cause il apparaît vital que le processus élaboré permette une meilleure valorisation du diplôme préparé et de l’alternance. 2. Une illustration du parcours de deuxième année : la spécialité GLT A titre d’illustration, nous allons pour finir nous intéresser à la manière dont la démarche a été déclinée par l’équipe du département Gestion Logistique et Transport. Ce département forme des techniciens supérieurs du transport et de la logistique, appelés à occuper des postes aussi variés qu’exploitant transport, gestionnaire de parc, gestionnaire de stocks, assistant logistique, assistant qualité, assistant marketing, etc. Le rythme d’alternance privilégié est de quinze jours à l’IUT pour quinze jours en entreprise. Le parcours d’accompagnement de deuxième année en GLT se compose de trois périodes. La première se déroule de septembre, début de l’alternance, à décembre. Elle met l’accent sur une première prise de recul des apprentis quant aux missions exercées en entreprise. Elle commence par la composition de groupes de travail qui tiennent compte de l’activité des apprentis. Ceux-ci doivent se positionner à partir de deux axes majeurs : - le caractère plutôt fonctionnel (études et projets) ou plutôt opérationnel (gestion au quotidien) de leurs missions en entreprise, - la nature plutôt à dominante transport ou logistique de ces missions. Les groupes (trois à quatre groupes pour une quarantaine d’étudiants) sont constitués en fonction de la réponse des apprentis. Chaque groupe se voit alors confier la création d’un support de communication visuel, complété par un exposé oral destiné à décrire les missions des apprentis du groupe en les rendant compréhensibles et claires pour des étudiants de première année. Une manifestation est organisée début décembre entre les promotions de première et deuxième années, dont l’organisation est confiée aux apprentis. Pour les étudiants de première année, il s’agit d’une étape du parcours d’insertion de première année. Pour les apprentis c’est l’aboutissement d’un premier retour réflexif collectif sur leur activité entreprise. Cette réflexion suppose en amont une analyse de leur propre expérience, mais également une confrontation avec les expériences vécues par les apprentis de leur groupe. La journée de rencontre permet ainsi d’offrir un descriptif complet des activités professionnelles vécues par les apprentis. Les échanges portent non seulement sur les missions, métiers, entreprises, secteurs que côtoient les alternants, mais aussi sur leur expérience en matière de prospection d’entreprises, de définition de leur projet personnel et professionnel, de première insertion ou de gestion de l’alternance. La matinée est réservée aux exposés des apprentis. Même si le cahier des charges qui leur est confié est précis (temps d’exposé limité à vingt minutes, présentation vivante et dynamique, déroulement logique, détermination d’un fil conducteur, échange avec le public à l’issue de l’exposé), une grande latitude est donnée aux étudiants quant à la présentation elle-même. Cette latitude permet aux étudiants de faire preuve d’originalité et débouche sur la réalisation de produits de grande qualité. Certains groupes se filment en situation en entreprise, d’autres proposent un diaporama animé, beaucoup constituent de la documentation d’appoint (lexique des termes du transport et de la logistique à maîtriser avant le stage, descriptif des postes de travail, etc.), certains organisent des quiz ou des «duels» permettant de révéler les écarts existants entre des apprentis occupant un même poste de travail mais dans des entreprises de natures différentes. L’après-midi, il est procédé à la constitution de groupes mixant des étudiants des deux années. Les tours de table proposés permettent un questionnement plus direct des participants. Un étudiant de première année essaiera d’expliquer où il en est de sa réflexion et ce qui l’a incité à suivre cette formation, tandis qu’un étudiant de deuxième année lui donnera des conseils quant à la manière de conduire sa prospection et de se préparer au forum ou au stage. Il lui indiquera les apprentis pouvant lui servir de référents compte tenu du projet qu’il envisage de mener à bien. Cette première étape reste malgré tout très descriptive. Il était donc essentiel de la compléter. La seconde étape du travail se déroule de janvier à avril. Elle prend la forme d’ateliers d’échanges et d’expériences et a pour objectif l’identification des aspects formateurs du parcours en entreprise. L’objectif est de mettre en évidence à partir du vécu d’un apprenti, ce que l’on entend lorsque l’on dit de façon vague et imprécise que «l’entreprise est formatrice». Chaque atelier se construit autour d’un thème et donne lieu à quatre exposés en rapport avec ce thème. Ces exposés doivent être précédés d’une introduction commune et suivis d’une conclusion commune. L’exposé comprend une présentation succincte de l’entreprise. La mission principale de l’étudiant, sa finalité, les moyens mis à disposition pour l’accomplir, les outils théoriques et méthodologiques utilisés, les problèmes rencontrés et les solutions adoptées, doivent être précisés. Les éléments de connaissances abordés à l’IUT pouvant constituer des pré-requis mobilisables pour l’exécution de la mission doivent être soulignés. Enfin, l’apprenti doit s’interroger sur la valeur ajoutée de l’alternance. Quelles sont les compétences techniques, méthodologiques, mais également relationnelles développées en entreprise ? A l’issue des exposés, le groupe d’animation propose un débat aux apprentis ou donne la parole à un conférencier (professionnel ou enseignant) afin d’apporter des compléments d’informations sur le thème retenu. Le rôle d’un enseignant est particulièrement utile pour souligner les articulations entre les cours et l’activité en entreprise. Il est à noter que les deux premières étapes de l’accompagnement de deuxième année donnent lieu à une évaluation du travail des apprentis. La dernière étape qui se déroule d’avril à juillet, constitue une réactivation du projet personnel et professionnel. L’idée est d’assister les étudiants en les aidant à tirer un bilan de leur expérience passée et présente. Ce bilan est destiné à leur permettre de mieux se projeter dans le futur et leur offre l’opportunité de clarifier leurs propres critères de choix et d’analyse. Pour les étudiants, réfléchir à leur future carrière c’est d’abord être capable de faire le point sur ce qu’ils sont, ce qu’il souhaite devenir, puis de confronter ces souhaits à la réalité. Ils doivent définir les moyens pour y parvenir et être en mesure de lire les opportunités ou analyser les propositions qui leur sont faites. Les bilans doivent donc permettre aux apprentis de faire à la fois le point sur les compétences qu’ils ont acquises au cours des deux années et sur celles qu’il leur reste à acquérir. Ils doivent favoriser la constitution d’un portefeuille de compétences individuel. Une telle réflexion doit être précédée d’une présentation générale sur la notion de carrière professionnelle, sur la façon dont celle-ci se construit, sur la méthodologie de questionnement utilisée pour parvenir à des choix, sur la part d’aléas et les opportunités qui peuvent se présenter par rapport aux choix réalisés. Lors d’une première séance, les apprentis sont regroupés en binôme. Chaque membre du binôme interroge son collègue afin de l’aider à formuler et expliciter ses paramètres de décision et ses choix. Ce travail en miroir permet d’introduire un regard extérieur et bénéficie de la discussion qui s’engage entre les deux apprentis. Afin de faciliter ce travail, une grille de questionnement est proposée aux deux acteurs. Par exemple, pour visualiser la trajectoire passée, l’apprenti précise ce qu’il voulait faire initialement et ce qu’il a été vraiment capable de faire. Il s’interroge ensuite sur les écarts constatés. Il confronte ensuite l’idée qu’il se faisait du secteur ou du métier qu’il a approchés et du contexte professionnel dans lequel ces actions ont été expérimentées. Une fois encore les écarts sont mesurés, puis l’apprenti s’interroge, via son partenaire, pour évaluer si l’expérience qu’il a vécue l’a, ou non, rapproché de son objectif initial. Il se questionne sur les enseignements qu’il en a tiré et sur la capacité qu’il a démontré pour réduire les éventuels écarts. Une fois ce travail accompli, il va s’efforcer de se projeter dans le futur en précisant ses objectifs en termes de carrière professionnelle à deux, trois, voire cinq ans. Il lui est nécessaire de repréciser ses attentes, ses motivations et d’expliciter le secteur d’activité et le métier qui ont sa préférence. Pour y répondre, il est nécessaire de faire le point sur l’état de son projet personnel et professionnel (par rapport au métier qu’il souhaite exercer et au contexte professionnel dans lequel il s’imagine évoluer, quelles sont les compétences sur lesquelles il est en mesure de s’appuyer ? comment peut-il définir son rôle professionnellement ? Quelles sont les composantes de son projet qui concernent sa vie extra professionnelle et comment concilier l’ensemble ?). L’apprenti peut ensuite formaliser sa trajectoire «idéale» à moyen terme. Parallèlement au renforcement de l’accompagnement de deuxième année, l’équipe GLT s’est également intéressée à la manière d’adapter la pédagogie à des jeunes qui sont passés d’un statut d’étudiant à celui de professionnel. Le morcellement des enseignements, l’insuffisante valorisation de la transversalité des problématiques de ces enseignements, la tendance des apprentis à attendre des cours qu’ils apportent des éléments de réponse immédiats aux problèmes qu’ils rencontrent lors des quinzaines en entreprise, le caractère plus passif des étudiants confrontés à des enseignements dont la présentation reste en partie magistrale, constituent autant d’obstacles qu’il faut dépasser. Pour tenter de répondre à certaines de ces difficultés, le département à mis en place des quinzaines thématiques. Chaque quinzaine apparaît comme un module de formation homogène, construit autour d’un enseignement «phare» et de quelques enseignements «supports». Au cours de la quinzaine, les étudiants se voient confier un projet en début de quinzaine. Le cas posé, véritable «fil rouge» de la quinzaine, nécessite de mobiliser des connaissances dans diverses disciplines dont les cours sont dispensés lors de la quinzaine. Cette démarche a été peu à peu généralisée. Lorsqu’un module est élaboré, il s’efforce de tenir compte des contraintes posées par le programme pédagogique national, mais également du déroulement de l’accompagnement de deuxième année. Lorsque c’est possible l’articulation entre enseignements et projet personnel et professionnel des étudiants est renforcé. La dernière quinzaine thématique proposée est, à ce titre, tout à fait exemplaire. Cette quinzaine met l’accent sur la gestion des ressources humaines. L’une des principales missions confiée aux étudiants vise à leur faire définir des profils de poste associés à des entreprises fictives. Partant de documents présentant ces entreprise, ils s’efforcent de déceler les besoins en personnel. Ils définissent alors des profils de poste de techniciens supérieurs en transport et logistique et conçoivent des petites annonces. Les apprentis issus des autres équipes peuvent se porter candidats sur ces postes. Les volontaires élaborent CV et lettres de motivation. Ceux qui sont finalement sélectionnés passent des entretiens d’embauche animés par les apprentis qui ont élaboré les profils de poste. Cet exercice présente un double intérêt. Pour le candidat au poste c’est l’occasion de mettre en pratique les méthodologies présentées au cours de la troisième étape du parcours d’accompagnement de deuxième année. Ils doivent en particulier valoriser les compétences acquises au cours de l’alternance et mesurer leur adéquation au poste proposé. Pour les apprentis qui jouent le rôle des employeurs, l’exercice est également très enrichissant. Ils mesurent à cette occasion les difficultés auxquelles peuvent être également confrontés des recruteurs : élaboration d’une fiche de poste, détermination d’une grille d’analyse permettant la sélection des CV, animation des entretiens de sélection, etc. CONCLUSION Il est encore un peu tôt pour prendre la pleine mesure des actions engagées. En ce qui concerne la première étape qui se termine par la rencontre entre promotions, les objectifs initiaux semblent atteints. En exprimant leurs questionnements et leurs doutes, alors qu’ils sont en pleine initialisation de leur projet professionnel, les étudiants de première année permettent à leurs aînés de prendre la pleine mesure du chemin que ces derniers ont déjà parcouru. Les typologies élaborées par les apprentis lors de leurs présentations démontrent une vision tout à fait juste de leur environnement professionnel. Elle leur a incontestablement permis d’amorcer une réflexion de fond sur leur activité professionnelle et a enrichi la vision qu’ils ont de leur diplôme et de ses débouchés. Leur référentiel s’est étendu. Il devrait concourir ultérieurement à favoriser leur mobilité professionnelle. Les difficultés interviennent plutôt au cours des deux phases suivantes. Lors des réflexions menées en ateliers, on constate une certaine hétérogénéité des apprentis. Certains ont du mal à passer d’une démarche descriptive sur leurs missions à une démarche analytique sur les compétences qu’ils ont acquises. Une fois encore le rôle des animateurs est alors essentiel. Il reste que la multiplication des témoignages, organisée de manière structurée, enrichit les participants. La troisième étape est la plus délicate à mener. Le simple fait d’imposer le moment de la réflexion à une personne quant à son parcours et ses aspirations n’est pas naturel en soi. Mais c’est aussi parce que ce travail n’est pas spontané qu’il est nécessaire d’en faire un passage obligé. Le travail en binôme permet de contourner en partie les inhibitions ressenties pas certains apprentis pour évoquer leur avenir. Mais la possibilité offerte aux responsables pédagogiques de s’appuyer sur les expériences des uns et des autres pour alimenter la réflexion collective tend parfois à produire l’effet inverse. Il est également délicat de trouver le juste équilibre entre une démarche trop simple qui présenterait le risque d’aboutir à des descriptions pauvres et une démarche trop ambitieuse qui risquerait de dépasser les apprentis. C’est une des raisons pour lesquelles plusieurs supports méthodologiques ont été élaborés afin de faciliter leur réflexion sur les aspects formateurs de leur pratique professionnelle (lexique des concepts clés, liste de verbes d’action pour la construction du descriptif d’activités). Cette dernière étape souffre enfin d’un calendrier défavorable. La réflexion sur les poursuites d’études démarre très tôt. L’idéal serait que la troisième étape la précède. Actuellement, un apprenti préfèrera jouer la carte de la sécurité en posant sa candidature à une poursuite d’études dès les mois de février ou mars. Il lui sera dès lors difficile d’envisager sereinement d’autres scénarios et surtout d’accepter de les confronter. En outre, peu d’études permettent aujourd’hui de mesurer l’avantage relatif à poursuivre ses études. Du fait de l’allongement de la période qui s’étend de l’obtention du dernier diplôme à une certaine stabilité professionnelle, il serait nécessaire d’enquêter des titulaires de DUT, cinq ans après leur sortie du système éducatif et de comparer leur situation avec celles des titulaires de diplômes homologués à bac + 3, bac + 4 ou bac + 5, respectivement quatre, trois et deux ans après leur sortie de formation. Outre le renforcement des outils de suivi et l’implication plus systématique d’enseignants et de professionnels, notamment les maîtres d’apprentissage, lors de la tenue des ateliers d’expériences et d’échanges, plusieurs pistes peuvent être envisagées pour alimenter la démarche. Le parcours de première année a été très largement enrichi par la capacité d’expertise des membres des partenariats entreprises. Il a également été complété par plusieurs travaux auxquels ont participé les membres des équipes pédagogiques des départements. Les études menées par le département GLT en collaboration avec les autres départements de la spécialité (deuxième et troisième enquêtes nationales sur les diplômés de la spécialité [5], [6], analyse nationale des métiers de la spécialité [7]) ont permis de clarifier les cibles du diplôme et d’initier une lecture des trajectoires professionnelles des anciens. Cette préoccupation est très largement partagée par les autres départements de l’IUT LUMIERE. Les études produites, complétées par un suivi fin des diplômés et une analyse des situations de travail, menée avec le concours des apprentis, devraient permettre de constituer progressivement un référentiel des trajectoires professionnelles. D’une mission de stage de première année à une situation professionnelle après deux ou trois années d’expériences, en passant par le contenu d’un contrat ou d’un poste occupé lors d’une primo insertion, les départements pourront disposer ainsi d’une série de photographies très précises. Bien qu’elle n’ait été qu’à peine évoquée dans cette communication, l’articulation entre la progression des enseignements et le déroulement du parcours progressif d’insertion constitue l’une des réussites de la première année. Cette articulation est tout aussi essentielle pour la seconde année et méritera d’être examinée avec une grande attention. L’exemple de quinzaine évoqué précédemment témoigne d’opportunités qu’il est nécessaire de savoir saisir. Enfin, la démarche présentée devrait bénéficier des réflexions en cours à l’IUT LUMIERE sur la délicate question du transfert des apprentissages. Une équipe d’enseignants - chercheurs est actuellement en constitution autour de cette thématique. REFERENCES [1] Le Nir Michel, Michel Jacques-André, Nérieux Carol, «Deux démarches d’insertion par et pour l’alternance», Colloque sur l’Enseignement professionnel court postbaccalauréat : enjeux sociaux, enjeux territoriaux, Le Mans, décembre 1998. [2] Gilles Dominique, Saulnier-Cazals Josette, VuillermetCortot Marie-Josée, «Socrate, le retour…, pour accompagner la réussite universitaire et professionnelle des étudiants», Trouver-Créer, Lyon, 1994, 185 p. [3] Mauduit-Corbon Michelle, Martini Franck, «Pédagogie de l’alternance», Pédagogies pour demain, Nouvelles approches, Paris, 1999, 96 p. [4] Tilman Francis, Delvaux Etienne, «Manuel de la formation en alternance», Ed. de la Chronique Sociale, Lyon, 2000, 174 p. [5] Beckerich Christophe, Le Nir Michel, «Insertions immédiate et différée des diplômés du DUT Gestion Logistique et Transport», Congrès International de l’AECSE, Lille 5-7 septembre 2001. [6] Le Nir Michel, «Troisième enquête nationale sur les diplômés de la spécialité GLT», Assemblée Générale de l’ADIUT, 30-31 mai et 1er juin 2001. [7] Bourgeay Sophie, Dubrion Benjamin, Le Nir Michel, «Vers l’élaboration d’une cartographie des métiers de la spécialité GLT», Assemblée des chefs de département GLT, Lyon, mars 2001, 90 p.