Délégation de pouvoirs et responsabilité pénale du cadre

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Délégation de pouvoirs et responsabilité pénale du cadre
Janvier 2012
DELEGATION DE POUVOIRS ET RESPONSABILITE PENALE DU CADRE DIRIGEANT
Dans les structures importantes, le dirigeant ne peut piloter l’ensemble des activités et respecter lui-même les
obligations qui pèsent sur lui. Aussi, délègue-t-il sa signature, voire certains de ses pouvoirs. Il est donc
indispensable qu’il sache dans quelle mesure sa responsabilité pénale peut être engagée, parfois sans même
qu’il en ait conscience !
Cette synthèse a donc pour but de préciser les notions de responsabilité pénale du cadre dirigeant, de délégation
de signature et de pouvoirs, ainsi que les conséquences de leur application.
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LA QUESTION DE LA RESPONSABILITE PENALE DU CADRE DIRIGEANT
La responsabilité pénale des décideurs publics s'est traduite, à de nombreuses reprises dans le passé, par des
mises en cause excessives à l'occasion d'infractions commises de façon non intentionnelle. En effet, pendant
longtemps la responsabilité pénale d'un dirigeant était quasiment présumée en cas de dommage, au-delà même
de l'inobservation d'une règle de prudence prévue par la loi ou le règlement.
La loi du 13 mai 1996 a précisé la définition de faute involontaire, afin d'inciter les juridictions répressives à
tenir davantage compte des circonstances propres à l'exercice des missions de service public. Par cette loi de
1996, le législateur enjoignait ainsi le juge à apprécier de manière plus concrète la faute d'imprudence.
Cependant, dans son application, elle a davantage eu d'influence sur la qualité des motivations factuelles que
sur le sens des décisions, contrairement à ce qu'attendait le législateur dont l'objectif était de réduire les
poursuites à l'encontre des décideurs publics.
La loi du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, modifie le régime de la sanction des délits non-intentionnels.
Désormais, en cas de lien indirect entre la faute et le dommage, le délit ne sera constitué que s’il y a eu
« violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Le
prévenu ne peut être condamné que s’il a commis « une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une
particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ».
Cette loi opère un découplage entre la notion de responsabilité et celle de culpabilité. Il peut y avoir
responsabilité et donc dédommagement d'une victime sans pour autant que l’on reconnaisse la culpabilité d'un
décideur public. Par ailleurs, la loi distingue l’auteur qui était en situation directe du dommage de celui qui était
en position indirecte. En bref, la loi Fauchon impose notamment au juge :
− d’établir une distinction entre personne physique et personne morale auteur d’un délit non intentionnel ;
− de qualifier le lien de causalité : est-il direct ou indirect entre la faute et le dommage subi ;
− de vérifier s’il existe une faute caractérisée commise.
La loi Fauchon introduit ainsi une hiérarchisation des fautes non intentionnelles selon leur gravité, en
distinguant :
− d'une part, la faute délibérée qui correspond à la violation, en pleine connaissance de cause, d'une
obligation précise de prudence ou de sécurité définie par un texte de nature législative ou réglementaire
effectivement en vigueur (en matière d'hygiène et de sécurité du travail ou de respect de la
réglementation routière, par exemple) ;
− d'autre part, la faute qualifiée qui ne présente pas le caractère d'un manquement volontaire à une règle
écrite de discipline sociale mais qui constitue une défaillance inadmissible dans une situation nécessitant
une attention soutenue, en raison des dangers ou des risques qu'elle génère.
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DELEGATION DE SIGNATURE ET DELEGATION DE POUVOIRS
Il y a lieu de bien connaître, dans un premier temps, la distinction entre délégation de signature et délégation de
pouvoirs car ces deux actes ont des conséquences juridiques distinctes.
La délégation de signature
Une délégation de signature, est un acte juridique par lequel une autorité, le délégant, délègue non pas ses
pouvoirs, mais la faculté de signer des documents et actes énumérés strictement dans la délégation à une tierce
personne (le délégataire).
Contrairement aux délégations de pouvoirs, dans lesquelles le délégataire assume la responsabilité née des
pouvoirs ainsi délégués, la délégation de signature n'entraine pas délégation de la responsabilité administrative
ni ne dessaisit le déléguant de son pouvoir originel.
La délégation de signature doit respecter plusieurs obligations tant formelles qu'organiques :
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Publicité de l'acte (le caractère exécutoire ne peut naitre que de cette publicité) et doit donc être inscrit
au recueil des actes administratifs. Le défaut de publication entraînerait l’illégalité des décisions prises
par le délégataire.
Être strictement limitée dans sa durée ou son objet : interdiction des délégations générales ou
perpétuelles de signature.
Ne pas intervenir dans un domaine explicitement ou implicitement prohibé par une loi. Les pouvoirs de
police spéciale d'un Préfet, d'un maire ou d'une autorité ne peuvent, par exemple, faire l'objet d'une
délégation de signature.
Être donnée par le titulaire originel du pouvoir de signature (la délégation de signature ne peut intervenir
en situation de subdélégation).
La délégation de pouvoirs
Une délégation de pouvoirs, est un acte juridique par lequel une autorité (le délégant) se dessaisit d'une
fraction des pouvoirs qui lui sont conférés et les transfère à une autorité subordonnée (le délégataire). Le
délégataire assume alors les obligations et les responsabilités liées aux pouvoirs qui lui ont été délégués, aussi,
en cas de manquement à une obligation pénalement sanctionnée, le délégataire sera-t-il responsable en lieu et
place du délégant.
La délégation de pouvoirs définit une relation contractuelle entre le délégant (celui qui délègue) et le délégataire
(celui à qui on délègue la responsabilité).
Dans l’administration, il y a délégation de pouvoir - ou délégation de compétence - lorsqu'une autorité, à
laquelle certains pouvoirs ont été attribués, se dessaisit d'une partie de ces pouvoirs et les transmet à un
délégataire choisi parmi ses subordonnés directs.
Si elle remplit trois conditions, la délégation de pouvoir sera légale :
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Il faut d'abord - et c'est le point fondamental - que la faculté de délégation ait été prévue par un texte
législatif ou réglementaire ;
Il faut, ensuite, que la délégation ne soit pas, explicitement ou implicitement, prohibée par une loi ;
Il faut, enfin, que la délégation ne soit que partielle, car - comme l'a décidé le Conseil d'État - une
délégation complète et totale de pouvoir est « contraire aux principes généraux du droit français ».
La délégation de pouvoir, lorsqu'elle est régulière, modifie la répartition normale des compétences à l'intérieur
de l'administration. C'est ce qui la distingue de la délégation de signature, par laquelle - sans modifier cette
répartition - le titulaire d'une compétence se décharge, sur un fonctionnaire qui lui est subordonné, de la
formalité matérielle des signatures de certaines décisions.
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La délégation de pouvoir répond aussi à trois critères :
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l'obligation de rendre compte de ce que l’on fait ou de ce que l’on ne fait pas dans le cadre de sa
délégation ;
le pouvoir de substitution qu’a l’autorité délégante sur l’autorité déléguée ;
la possibilité qu’a toujours une personne subissant une décision d’une autorité déléguée d’effectuer un
recours hiérarchique auprès de l’autorité délégante.
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LES CONSEQUENCES D’UNE DELEGATION DE POUVOIRS
L’effet principal de la délégation de pouvoirs implique le transfert immédiat de compétences entre le déléguant
et le délégataire. Ainsi, lorsque les conditions de validité sont réunies, cette délégation implique un transfert de
responsabilité pénale.
En conséquence, ce transfert aura pour résultats que le délégataire pourra voir sa responsabilité pénale engagée
dans les mêmes termes que celle pesant de principe sur le dirigeant-délégant. A l’inverse, ce dernier pourra
s’exonérer de la responsabilité qu’il encourt pour infraction imputable à son délégataire et, de la sorte, mettre
fin aux poursuites qui seraient engagées à son encontre.
Les domaines d’application de la délégation de pouvoirs
La délégation est possible « sauf si la loi en dispose autrement ». Dans le domaine pénal, hors le cas des
infractions donnant lieu à une imputation exclusive, la délégation de pouvoirs est admise dans les nombreux
domaines où la responsabilité pénale du cadre dirigeant est susceptible d’être engagée.
Pour qu’une délégation de pouvoirs soit efficace, il est nécessaire que le niveau de qualification du délégataire
soit adapté aux responsabilités qui lui sont confiées dans le cadre de sa délégation. Ainsi, le niveau de
qualification exigée dépendra des domaines d’activité délégués.
Par ailleurs, le délégataire doit avoir un lien hiérarchique avec le délégant, sans pour autant que celui-ci soit
direct et préétabli. Le délégataire doit, en effet, être un subordonné investi par le cadre dirigeant et disposant
d’une compétence, de moyens ainsi que d’une autorité suffisante. Les juges du fond étant souverains dans
l’appréciation de l’existence de ces éléments.
Le contenu de la délégation de pouvoirs et ses conséquences
En cas d’engagement d’une responsabilité pénale, la délégation doit avoir été consentie avant la commission de
l’infraction et avoir été acceptée par le délégataire (une note de service adressée à divers subordonnés et non
acceptée expressément par ceux-ci ne saurait constituer une délégation valable).
En toute logique, le délégataire doit avoir eu connaissance de l’étendue des pouvoirs délégués, des
réglementations qui sont inhérentes à ses activités, ainsi que des conséquences pénales du non-respect de cellesci. Cette connaissance permet ainsi une pleine efficacité de cette délégation.
Le contenu de la délégation sera donc identifié parmi les activités développées au sein de la structure et ce en
parfaite adéquation avec le statut du délégataire. Il convient donc de raisonner par domaine d’activité (Juridique,
Ressources Humaines, Finances, Communication, Systèmes d’information, etc…) pour ensuite identifier les
actes à déléguer et les risques attachés à ceux-ci. L’ensemble des missions confiées au délégataire sera ainsi
précisément défini dans l’objet de la délégation.
La délégation implique une certaine autonomie du délégataire. L’autonomie supposera un pouvoir de décision
et d’initiative de ce dernier (sans procédure d’autorisation préalable). Le délégataire aura donc intérêt à
informer périodiquement le délégant des conditions d’exercice de sa délégation, des difficultés rencontrées et,
le cas échéant, des moyens qui lui feront défaut.
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Le délégataire devra, en outre, disposer de moyens juridiques (pouvoir de décision), matériels (équipements),
humains (collaborateurs), financiers (pouvoir budgétaire) et adaptés à l’exercice de sa délégation. La nature et
l’importance de ces moyens dépendront donc, en grande partie, de l’objet de la délégation de pouvoirs.
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LA SITUATION PARTICULIERE DES DIRIGEANTS
La responsabilité pénale du dirigeant est liée aux pouvoirs qu’il détient sur le fonctionnement de la structure
qu'il dirige : ce sont ces pouvoirs qui permettent de lui reprocher ne n’avoir pas agi ou d’avoir laissé commettre
une infraction. On ne saurait dissocier cette responsabilité des qualités des pouvoirs du décideur. Il en résulte
que la délégation de pouvoirs à un tiers reporte sur ce tiers la responsabilité pénale. Cette solution logique a été
entérinée par la Cour de cassation dès le début du XXe siècle (Crim. 28 juin 1902).
La délégation de pouvoir est un acte consensuel entre le dirigeant délégant et son préposé délégataire ; l’écrit
n’est utile qu’à titre de preuve. On peut envisager des sous-délégations dans les mêmes conditions de validité et
d’efficacité que la délégation initiale. Par contre, toute « co-délégation » est exclue : le délégataire doit jouir
d’une autonomie de pouvoir incompatible avec l’exercice collectif de la délégation. La validité et l’efficacité de
la délégation de pouvoirs dépendent de plusieurs critères, dégagés par la jurisprudence :
1. La délégation n’exonère que de la responsabilité ès qualités : en aucun cas, un dirigeant qui a pris
personnellement part à la commission de l’infraction ne peut se prévaloir d’une délégation. Le dirigeant qui
prend personnellement part à l’infraction est responsable de son fait personnel, et comme tout auteur matériel
de l’infraction il peut être puni. Seule la responsabilité encourue pour avoir manqué aux obligations incombant
spécifiquement à ses fonctions peut bénéficier de la délégation de pouvoirs.
2. La délégation de pouvoirs est rendue nécessaire par la structure : seul le dirigeant qui ne peut pas
effectivement assumer ses obligations légales peut déléguer ses responsabilités à un tiers. Le mécanisme de la
délégation de pouvoirs n’est pas un moyen pour le dirigeant d’échapper à sa responsabilité pénale mais un
mécanisme visant à assurer l’effectivité des prescriptions légales. C’est lorsque la taille ou l’organisation
matérielle d’une entreprise ne permet pas au dirigeant de faire face à ses obligations que la délégation de
pouvoir est autorisée, et même souhaitée. Dans le même esprit, la délégation ne peut être générale mais doit
concerner un secteur d’activité précis. Ce caractère spécial de la délégation est apprécié de manière stricte par
les juges (exemple : Crim. 14 octobre 2003, la délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité faite à
un cadre administratif, président du CHSCT, ne transfert pas la responsabilité pour non-consultation du
CHSCT : le délit d’entrave reste commis par le dirigeant de la société. La Cour de cassation semble distinguer
la délégation en matière d’hygiène et de sécurité « technique », concrète, et une délégation quant aux
obligations « juridiques » ou « administratives » liées au fonctionnement du CHSCT).
3. Le délégataire est un membre de la structure qu'il dirige, pourvu de la compétence, de l’autorité et des
moyens nécessaires : le dirigeant doit désigner l’un de ses subordonnés qui a la compétence technique,
l’autorité et les moyens matériels lui permettant, en pratique, de mener à bien la mission qui lui est confiée par
délégation. Ces conditions sont destinées à éviter toute délégation fictive. Pour que le préposé assume la
responsabilité pénale attachée à certaines responsabilités, encore faut-il que le dirigeant le mette en position
d’assurer le respect effectif de la loi. Le dirigeant qui procéderait à une délégation juridique sans transmettre
effectivement ses pouvoirs resterait ainsi responsable pénalement ès qualités. L’appréciation de l’existence et
de la régularité d’une délégation de pouvoirs relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, qui
souvent se montrent assez sévères contre les dirigeant, se défiant des délégations fictives (exemple : Crim. 10
septembre 2002, en matière d’amiante, qui juge irrégulière la délégation générale de surveillance et
d’organisation de la sécurité sur les chantiers).
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LA RESPONSABILITE ET L’ABSENCE DE RESPONSABILITE PENALE D'UN DIRIGEANT
Le cas d'absence de responsabilité
Une des premières décisions rendues sous l'empire de la loi du 10 juillet 2000, a relaxé un maire du fait de
dommages corporels causés par la chute d'une cage de foot au motif qu'il "n'était pas démontré que son
attention ait été attirée de manière précise et certaine sur la présence sur le terrain de football de buts
amovibles". Toutefois, le juge pénal peut décider, en application de l'article 470-1 du Code de Procédure Pénale,
que sa responsabilité "civile" reste engagée du fait de la négligence qu'il a commise en ne prenant pas
d'initiative de vérification (TGI La Rochelle, 7 septembre 2000, Dalloz 2000, I.R. p.250).
Cette décision découlant de la loi du 10 juillet 2000, illustre l'atteinte portée par ce texte au principe de l'unicité
des fautes civiles et pénale. Cette distinction est nécessaire pour permettre à la victime d'obtenir réparation sur
le fondement de l'article 1383 du Code Civil, malgré la décision de relaxe.
Le cas de responsabilité retenue
En matière d'atteinte involontaire à l'intégrité de la personne, il est nécessaire que la faute d'imprudence, de
négligence ou le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ait
directement causé le dommage et que son auteur n'ait pas accompli les diligences normales, compte tenu de la
nature et des moyens dont il disposait (art. 222-19 et 121-3 CP modifiés par la loi du 10 juillet 2000).
Lorsque l'auteur est une personne physique et que son fait n'a qu'indirectement contribué au dommage, il
n'encourt de condamnation que s'il a :
1. soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement,
2. soit commis une faute caractérisée, exposant autrui à un risque dont il connaissait la particulière gravité.
En l'espèce, la culpabilité d'un chef d'entreprise a été retenue sur ce fondement au motif qu'il ne pouvait ignorer,
en raison d'accidents précédents, que l'absence de supports en nombre suffisants exposait un conducteur d'engin
de levage non qualifié à un risque d'accident (C.A. Paris, 11e ch.A, 4 décembre 2000, Dalloz 2001, I.R. p.433).
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CONCLUSION
La délégation de pouvoirs a pour objet de protéger un cadre dirigeant, en opérant un transfert de la
responsabilité pénale sur le délégataire lorsque toutes les conditions de la délégation sont réunies.
De son côté, la loi du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, modifie le régime de la sanction des délits nonintentionnels. Cette loi opère un découplage entre la notion de responsabilité et celle de culpabilité. La
jurisprudence qui suivi l'entrée en vigueur de cette loi démontre ainsi que les catégories légales ont été
conçues avec une habileté et une précision suffisantes pour que, conformément aux souhaits des promoteurs de
la réforme, la répression ne soit pas affaiblie dans deux domaines : les accidents de la route, car la causalité
directe y est la règle, et les accidents du travail, du fait de l'obligation de sécurité très rigoureuse qui pèse sur
le dirigeant et laisse peu de place à l'allégation d'une ignorance des risques.
C'est au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'il appartient de qualifier le
lien de causalité et la faute. En tout état de cause, le cadre dirigeant doit s’assurer de la pertinence et de la
légalité de sa délégation de pouvoir, ainsi que des mesures prises pour en contrôler l’application.
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