Parents de mineurs délinquants, responsables mais pas coupables :

Transcription

Parents de mineurs délinquants, responsables mais pas coupables :
Ministère de la Justice
Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Yannick BALLET
Promotion 2011/2013
Parents de mineurs délinquants,
responsables mais pas coupables :
Comment les accompagner dans leur parentalité ?
Sous la direction de Monsieur Xavier PEREZ
Mémoire de validation de la formation d’éducateur de Protection Judiciaire de la Jeunesse
Master I – Mention Sciences de l’Education et de la Société
Spécialité « Travail éducatif et social »
UFR Sciences de l’éducation – Université Lille 3
Ecole Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Pôle territorial de formation Sud-Ouest
REMERCIEMENTS
Merci aux formateurs du PTF BORDEAUX, pour leur présence. Plus particulièrement à
Madame BOURGEOIS, pour son accompagnement et son suivi.
Je tiens à remercier très chaleureusement mes compagnons de bataille au PTF de
BORDEAUX, pour leur soutien, leur aide, et leur apport formatif ! Ensemble, nous y
arriverons !
Un grand merci à mon terrain de stage, Madame DASTE et Madame CUBIZOLLES (tout
le monde n’a pas eu la chance d’avoir 2 directrices), Monsieur CANDELA (mon
responsable d’unité éducative), Bénédicte, Marlène, Hélène, Béatrice, Juliette et Pierre
(mon guide). Merci à vous, votre soutien et votre patience m’ont permis de tenir dans les
moments difficiles. Votre accompagnement et votre confiance contribuent à faire de moi un
futur collègue qui va prendre du plaisir à travailler avec vous !
Un merci tout particulier à Monsieur PEREZ, mon directeur de mémoire, qui a su
m’accompagner dans la rédaction de ce mémoire et qui a toujours trouvé les bons mots
pour m’encourager !
Merci à Corine, Delphine et Sophie, pour leur relecture attentive, critique et bienveillante.
Un immense merci, enfin, à ma famille et mes amis pour leur présence (à distance), leurs
pensées toujours chaleureuses.
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION .................................................................................................................... 4
I. L'AUTORITE PARENTALE FACE A SES OBLIGATIONS ........................................ 10
A. OBLIGATION DES PARENTS ................................................................................................ 10
1. De la toute-puissance paternelle à l'autorité parentale ............................................... 10
2. Les obligations des parents par la loi, aujourd'hui ...................................................... 16
2.1 La notion d'autorité parentale ................................................................................. 16
2.2 Les obligations des parents à l'égard de leur enfant, induites par l'autorité
parentale ........................................................................................................................... 20
B. LE MANDAT DE JUSTICE ..................................................................................................... 23
1. Du magistrat à l’éducateur pour une priorité à la réponse éducative ......................... 23
1.1 Les magistrats spécialisés dans la justice des mineurs ............................................ 24
1.2 La décision du magistrat à l'encontre du mineur et de sa famille ............................ 27
2. La mise en œuvre de la décision de justice ................................................................... 29
2.1 Le cadre d'intervention ............................................................................................. 29
2.2 Les intervenants obligés par l'ordonnace judiciaire ................................................ 31
II. UN ACCOMPAGNEMENT A LA PARENTALITE ...................................................... 35
A. L’ADHESION DES PARENTS A LA PRISE EN CHARGE ............................................................. 35
1. La contrainte judiciaire et la rencontre éducative....................................................... 36
1.1 La contrainte judiciaire ............................................................................................ 36
1.2 La relation éducative ............................................................................................... 40
2. Une adhésion pour accompagner ................................................................................. 42
2.1 Pourquoi accompagner les parents? ........................................................................ 43
2.2 Tendre vers l'adhésion des parents à une aide imposée ........................................... 44
B. RESTAURATION DU LIEN DES PARENTS VERS L’ENFANT...................................................... 47
1. La parentalité à l’épreuve du terrain ........................................................................... 47
1.1 L'exercice de la parentalité ...................................................................................... 48
1.2 L'expérience de la parentalité .................................................................................. 49
1.3 La pratique de la parentalité .................................................................................... 50
2. L’accompagnement éducatif pour restaurer le lien entre parents
et enfant ............................................................................................................................ 51
2.1 Quel accompagnement pour les parents?................................................................. 51
2.2 Mettre ou remettre du lien entre parents et enfant .................................................... 56
CONCLUSION ....................................................................................................................... 60
ANNEXES ............................................................................................................................... 63
ANNEXE 1 : PRESENTATION DE L’ENCART METHODOLOGIQUE ............................................... 64
ANNEXE 2 : ENTRETIEN AVEC MADAME C., JUGE DES ENFANTS............................................. 68
ANNEXE 3 : ENTRETIEN AVEC MADAME M., ASSISTANTE SOCIALE A LA PJJ........................... 72
ANNEXE 4 : ENTRETIEN AVEC MADAME B., EDUCATRICE EN MILIEU OUVERT A LA PJJ .......... 76
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 80
Afin de préserver l’anonymat des jeunes pris en charge au sein du service, les noms et
prénoms des jeunes cités sont modifiés.
3
Introduction
Lorsqu’une personne mineure commet un acte de délinquance, ses parents sont eux aussi
confrontés à la justice. Ils ne sont pourtant pas coupables aux yeux du système judiciaire,
mais ils demeurent responsables de leur enfant. Le juge les renvoie systématiquement face
à leur autorité bien qu’ils ne sont pas les auteurs de l’acte. Les parents sont alors
accompagnés dans leur parentalité, c’est-à-dire en leur place et leur rôle, par un éducateur
de la Protection Judiciaire de la Jeunesse étant en charge du suivi de la mesure éducative
ou de la peine prononcée par le magistrat.
A. Une prise en charge des parents pour des faits commis par leurs enfants
Lorsque la justice entre dans la cellule familiale, elle bouleverse obligatoirement le lien
parents/enfants. Elle vient même presser les parents à respecter leur parentalité, cette
dernière s’entendant suivant la définition du Conseil National du Soutien à la Parentalité
comme : «l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent » 1.
L’accompagnement à la parentalité consiste en l’intervention de l’éducateur sur ce lien. Ce
dernier se trouve souvent être dans les familles rencontrées, distendu, affaibli ou
paradoxalement exacerbé.
Les parents ne sont, à priori, coupables de rien. Il s’agit bien pourtant d’une transgression
de la loi par leur enfant et eux – les parents – restent toutefois aux yeux de la loi
responsables civilement pour les actes commis.
L’autorité parentale appelle donc aux respects d’un certain nombre d’obligations dont
principalement celle qui leur est faite d’éduquer leur enfant. Lorsqu’un mineur commet un
acte délinquant, c’est l’éducation des parents qui se retrouve forcément remis en cause. La
1
« La parentalité désigne l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent. C’est un processus qui
conjugue les différentes dimensions de la fonction parentale, matérielle, psychologique, morale, culturelle,
sociale. Elle qualifie le lien entre un adulte et un enfant, quelle que soit la structure familiale dans laquelle il
s’inscrit, dans le but d’assurer le soin, le développement et l’éducation de l’enfant. Cette relation
adulte/enfant suppose un ensemble de fonctions, de droits et d’obligations (morales, matérielles, juridiques,
éducatives, culturelles) exercés dans l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu d’un lien prévu par le droit
(autorité parentale). Elle s’inscrit dans l’environnement social et éducatif où vivent la famille et l’enfant ».
(Définition de la parentalité adoptée par le Conseil National du Soutien à la Parentalité).
4
contrainte judiciaire imposée au mineur délinquant vient alors les obliger à respecter leurs
engagements parentaux envers la société et leur impose par ricocher une intervention
extérieure.
Au départ, cette intervention est souvent vécue comme une intrusion. Les familles ne lui
reconnaissent généralement pas son utilité pour le « bien de leur enfant ». Pour travailler
cette notion avec les parents, il devient donc important de se pencher sur la nécessité de
l’adhésion parentale à la prise en charge du mineur. Il faut également s’interroger sur la
manière d’intervenir pour travailler au plus près des familles. Ces dernières se retrouvent
entre une obligation extérieure au cadre familial alors même qu’eux en tant que personne
n’ont commis aucun acte de délinquance. Une contradiction s’installe en conséquence
entre cette obligation faite par la justice aux parents et leur non responsabilité pénale.
L’éducateur se situe de ce fait face à une contradiction à résoudre, d’où la problématique
suivante :
Comment un éducateur, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, peut-il accompagner
des parents, non responsables pénalement, pour travailler le lien avec leur enfant ?
B. Cadre d’étude
Étant pré-affecté sur une Unité Educative de Milieu Ouvert (UEMO) dans un département
rural, j’ai pu observer, au contact de mes collègues éducateurs et des familles, l’importance
et la nécessité des relations entre les professionnels et les parents pour travailler la mesure
ordonnée par le magistrat.
Les directives de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) demandent aux éducateurs en
charge du suivi d’une mesure judiciaire d’intervenir sur le système familial et
d’accompagner les parents dans la prise en charge.
Les éducateurs sont en accord avec ce postulat, en ce sens que selon eux, il faut intervenir
sur les parents pour permettre au jeune de changer et d’évoluer.
J’ai pu observer que ce travail avec les familles est parfois rendu difficile, en raison de
l’opposition de ces dernières à la prise en charge. Les parents refusent de se sentir
coupables pour des faits dont ils ne sont pas les auteurs.
5
Les professionnels doivent alors tout mettre en œuvre pour recueillir leur adhésion à
l’intervention. Cette adhésion doit être le point de départ de toute relation éducative. Si elle
s’avère impossible, elle doit au moins être recherchée, et l’éducateur doit s’en rapprocher
au maximum.
L’observation me fait remarquer que les parents se sentent d’autant plus coupables qu’ils
ont la sensation d’un dysfonctionnement du lien avec leur enfant. Ils ont l’impression, pour
certains, de ne plus réussir à le gérer et à le contrôler. Le travail des éducateurs semble
alors se diriger vers cette restructuration d’un lien entre les parents et l’enfant.
C. Hypothèse de travail
Lors de la phase d’exploration, tant sur le terrain, que dans mes recherches, j’ai vite dégagé
l’idée que les parents se sentent fréquemment démunis face au passage à l’acte de leur
enfant et à la procédure judiciaire.
Pour accompagner le mineur dans la mesure ordonnée par le magistrat, il est nécessaire
d’accompagner les parents. Les professionnels disent d’ailleurs à ce titre que : « si les
parents vont mieux, le jeune ira mieux ».
La justice met les parents face à la responsabilité de leur autorité parentale, ils sont
responsable de l’éducation de leur enfant et doivent assumer cette responsabilité. Cet
accompagnement doit donc se faire avec eux, en tentant au maximum de recueillir leur
adhésion à la prise en charge.
Accompagner les parents, comme des personnes responsables de leur enfant, doit
permettre d’aboutir à agir sur la prise en charge du jeune. Ils doivent être à l’origine de
l’amélioration de sa situation et de son mieux-être. L’action conjointe de l’éducateur et des
parents accompagnés a pour objectif d’orienter le jeune vers une meilleure trajectoire, afin
de lui permettre de devenir un adulte qui part sur de bonnes bases.
Dans l’objectif de répondre à la problématique, je vais par voie vérifier l’hypothèse
suivante :
6
Dans cet objectif, l’hypothèse de ce travail pose que les parents doivent être
accompagnés en tant que responsables de leur enfant, afin de l’aider à changer et à
grandir. Ils ne doivent pas être accompagnés par voie de conséquence en tant que
coupables et responsables des actes de leurs enfants.
D. Méthode de recherche
Dans le sens de ma problématique et afin de vérifier mon hypothèse, la méthode de
recherche que j’ai envisagée se décline en plusieurs axes:
 Le premier couvre toutes les phases d’observation et d’action de mon terrain de
stage. Il m’a permis d’être au plus près de la réalité et d’y être confronté.
 Je me suis ensuite dirigé vers des lectures d’ouvrages et d’articles, qui m’ont
permis de confronter le terrain à la théorie, mais également dans le sens inverse, il
m’a été possible de confronter certains concepts à la réalité du terrain.
 Troisième axe, j’ai enrichi mon mémoire par trois entretiens avec des
professionnels. Ces entretiens ont été réalisés auprès d’une juge des enfants, pour
me renseigner sur le côté juridique de la parentalité et de la prise en charge des
mineurs ; d’une assistante sociale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui
m’a permis d’avoir un regard d’experte, notamment dans le domaine du travail
avec les familles ; et d’une éducatrice de milieu ouvert qui m’a offert des
informations sur la pratique de l’éducateur (mon futur métier), en termes de travail
avec les parents.
 Enfin, le dernier axe a consisté en la mise en place d’une expérimentation. Celle-ci
porte sur l’organisation d’un groupe de parole avec des parents de mineurs pris en
charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Cette expérimentation va me
permettre de recueillir des éléments concrets sur l’accompagnement à la
parentalité, sur le terrain.
7
E. L’expérimentation
L’expérimentation proposée se devait d’être utile pour le service dans lequel je suis préaffecté, une Unité Educative de Milieu Ouvert de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Suite à de nombreux échanges avec les professionnels de l’unité, le service tombe d’accord
pour dire que la création d’un groupe de parole, pour les parents des jeunes pris en charge,
serait un outil de travail innovant sur le territoire et certainement utile pour les familles.
Il a fallu dans un premier temps réfléchir sur les modalités de mise en place d’un tel
groupe.
Un des objectifs de départ est de réussir à permettre aux parents de parler de leur situation
et leur expérience, sans être culpabilisés ou « étiquetés parents de jeunes délinquants ».
Je décide d’entrer en contact avec la Maison Des Adolescents (MDA), une structure
partenaire de la PJJ, travaillant également sur la question de la parentalité.
Nous
travaillerons conjointement, en intégrant dans un groupe de parole des parents issus des
prises en charges de la PJJ et des parents rencontrés par la MDA.
L’objectif de ce groupe de parole est de créer un espace de débat entre des parents
rencontrant des difficultés dans leur parentalité. Il permet d’offrir à des parents la
possibilité de se sentir comme responsables de l’éducation de leur enfant, mais pas
coupables des actes qu’ils commettent.
La session de travail est composée de 4 phases :
 Un entretien individuel, réalisé conjointement par les intervenants de la MDA et
de la PJJ. Cet entretien est important pour présenter le dispositif aux
participants et recueillir leurs attentes.
 Deux soirées collectives : Lors des deux soirées collectives, une psychologue
spécialiste en thérapie familiale vient en renfort des deux éducateurs. Son
intervention tend à rassurer les parents sur le domaine des relations
8
parents/enfants.
La première soirée se déroule autour du visionnage d’une vidéo traitant des relations
parents/adolescents. Elle permet aux parents de faire connaissance, sans entrer forcément
dans des échanges trop personnels, il s’agit une entrée en matière et en confiance.
Lors de la deuxième séance, les thèmes abordés sont au libre choix des participants. Il
s’agit pour eux de pouvoir échanger sur leurs pratiques et leurs expériences de la
parentalité. Les intervenants sont uniquement là pour animer les débats.

Enfin, suite aux soirées collectives, un entretien individuel est proposé aux
participants afin de leur permettre de faire le bilan sur cette expérience.
Cette expérimentation a été l’occasion pour ces familles de pouvoir être reconnus en tant
que parents, de pouvoir aborder leur responsabilité à l’égard de leur enfant.
F. Le plan
Pour vérifier l’hypothèse de travail, nous exposerons:
 les obligations de l’autorité parentale dans l’intervention de justice (I),
 Puis, nous tenterons de voir comment accompagner les parents pour restaurer du
lien avec leur enfant (II).
9
I.
L'autorité parentale face à ses obligations
L’autorité parentale est l’ensemble des droits et devoirs des parents exercés dans l’intérêt
de l’enfant jusqu’à sa majorité ou son émancipation. Pour traiter de cette question, je vais
en premier lieu redéfinir sur ce que sont les obligations des parents au regard de la loi
française et essayer d'en dégager les enjeux pour les parents dont les jeunes nous sont
confiés. Je vais ensuite me concentrer sur l'intervention de la justice avec des mineurs
délinquants et sur le travail de l'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,
notamment dans la mise en œuvre de la décision judiciaire. L’enjeu est de déterminer
comment l'éducateur investit le mandat édicté par le magistrat. Dans un premier temps, je
traiterai des obligations des parents (A) et dans un second temps des obligations de la
justice et de l'éducateur (B).
A. Obligations des parents
Les obligations des parents n’ont pas toujours été celles que l’on connaît actuellement. Une
brève description historique va permettre de comprendre comment nous sommes passés de
l’autorité du père à celle déléguée aux deux parents, des devoirs des enfants à la
responsabilité de leurs ascendants. En ce sens et afin de mieux saisir cette notion
« d’autorité parentale », il sera procédé à un historique de la question de l'autorité
parentale (1) avant de traiter les obligations qu’imposent la loi aux parents (2).
1. De la toute-puissance paternelle à l'autorité parentale
De 1804 à 1970, on parle de puissance paternelle. Cette notion est érigée dans le code civil
par Napoléon pour maintenir l'ordre dans les familles. Le père règne en maître sur sa
famille. Il possède tous les droits et c'est à lui que revient le choix des décisions concernant
celle-ci. La mère n'a alors qu'une autorité morale.
Dans le Code Civil de 1804, la notion de puissance paternelle fait l'objet du titre IX du
livre Ier, intitulé « De la puissance paternelle »2. Son article 373 énonce que « Le père seul
exerce cette autorité (parentale) durant le mariage ». Le code s'oriente vers une autorité
2
Code Civil des français: édition originale et seule officielle, de l'Imprimerie de République, an XII 1804,
Titre IX du livre Ier.
10
énergique, avec une puissance paternelle devant s'exercer dans l'intérêt de l'enfant. L'enfant
est effectivement reconnu comme incapable, il faut alors le protéger dans ses actes contre
lui-même et contre autrui. Cette protection est apportée par l'article 375 du code civil
donnant des moyens de correction au père sur son enfant, lorsque « celui-ci aura des sujets
de mécontentements très graves sur la conduite de l'enfant ». Ces moyens sont la
possibilité donnée au père, dans les articles 376 et 377, de faire détenir son enfant. Il lui
suffira, pour cela, de saisir le juge du tribunal d'arrondissement qui délivrera l'ordre
d'arrestation. Cette arrestation n'est en aucun cas motivée par le magistrat et ne donne lieu
à aucun écrit formel (hormis l'ordre d'arrestation). Ce qui procure une totale puissance du
père à l'égard de son enfant. A cette époque, l'homme demeure seul maître dans son foyer.
Bien que revendiqué par les révolutionnaires, le principe d'autorité parentale conjointe des
père et mère reste ignoré par le code civil.
Le XIXème siècle s'est révélé beaucoup plus favorable à l'enfant, ce qui se traduit par une
montée du pouvoir de l'État et un recul du pouvoir du père. D'une part, les tribunaux ont
tenté de remédier aux abus de puissance paternelle. D'autre part, le législateur, éprouve le
souci d'améliorer le sort des enfants, tant en matière de travail, que d'instruction ou de
protection de leur intégrité physique. On peut citer en exemple la loi du 28 juin 1793,
instaurant le droit de l'enfant à la survie, qui mentionne que la nation se charge de
l'éducation physique et morale des enfants abandonnés. Elle est complétée par le décret du
19 janvier 1811, qui constitue la première charte des enfants trouvés, avec l'institution du
tour dans les hôpitaux et les hospices, permettant à une mère de déposer son enfant de
manière anonyme et de prévenir les avortements et les infanticides : c'est l'apparition de la
notion de pupilles. La loi du 27 juin 1904, développe encore ce droit en confiant
définitivement l’assistance des enfants à un service d'État, organisé par le Département. La
tutelle des pupilles est enlevée aux hôpitaux pour être confiée aux Préfets et le système du
tour est définitivement aboli au profit de bureaux ouverts.
On peut également citer le droit à une protection de l'enfant dans ses conditions de travail,
en 1813 avec l'interdiction du travail pour les enfants de moins de 10 ans dans les mines et
en 1841 avec la loi GUIZOT qui instaure la limitation du temps de travail pour les enfants
et l'interdiction du travail pour les moins de 8 ans.
L'amélioration est aussi marquée par, le droit pour tous à une éducation en 1882, c'est la loi
11
Ferry, du 8 mars 1882, dans son article 4, qui instaure que :
« L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de 6 ans
révolus à 13 ans révolus, elle peut être donnée soit dans les établissements d'instruction
primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles,
par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu'il aura choisie. »3
Nous évoquerons enfin la loi du 24 juillet 1889 qui instaure le droit à une protection contre
les mauvais traitements, en instituant la « déchéance de la puissance paternelle »4 . Liés à
un comportement gravement fautif des parents, cette sanction était considérée comme
obligatoire et totale, dans la mesure où elle est conçue comme une peine.
Le XXème siècle va voir la société se transformer avec notamment l'émancipation des
femmes, une nouvelle conception de l'enfant qui devient une personne à part entière. On va
également envisager l'enfant dans le cadre de la notion de famille.
Nous retenons notamment, en 1912, la loi reconnaissant la particularité des enfants en
justice avec la création les tribunaux pour enfants ; en 1938, la suppression de la puissance
maritale, l’épouse n’est plus tenue au devoir d’obéissance au mari ; en 1945, l’ordonnance
du 2 février relative à l’enfance délinquante, qui créée les juges pour enfants et définit
clairement la primauté de l’éducatif sur le répressif dans la réponse judiciaire à l’encontre
des mineurs délinquants ; en 1946, l’inscription dans le préambule de la Constitution du
principe de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes ; en 1955, la création du
planning familial par Evelyne SULLEROT ; en 1965, la loi relative à l’autorité parentale
conjointe, les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille, la
notion de chef de famille est supprimée.
Les évolutions au cours du XXème siècle portent essentiellement au sein du droit de la
famille. Une définition de la famille est introuvable dans le code civil. Les auteurs ne
s'accordent pas sur une définition unique mais en déclinent plusieurs. Nous retiendrons que
juridiquement, la famille est l'ensemble des personnes unies en droit par le mariage, la
filiation, la parenté ou l'alliance.
3
4
Loi n° 11696 du 8 mars 1882, dite loi Ferry, rendant l'enseignement primaire obligatoire
Loi du 24 juillet 1889, loi sur la protection des enfants maltraités ou abandonnés, Titre Ier, Chapitre 1er
12
Ce siècle est marqué par la loi du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale, qui abolit la
puissance paternelle en la remplaçant par la notion d'autorité parentale. Cette notion
correspond à un ensemble de prérogatives (droits et devoirs) qui permet à ses titulaires de
protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, d’assurer son éducation et son
développement. Ce changement significatif de vocabulaire va assurer une égalité entre les
père et mère et modifier le rôle éducatif de chacun. La notion de pouvoir sur la personne et
les biens de l'enfant est effectivement transformée en devoir mis à la charge des parents.
Les termes de puissance ou de pouvoir, sur la personne de l'enfant, font place à ceux de
droits et de devoirs. Les parents n'exercent alors plus une domination. L'autorité parentale
n'est pas un droit, il s'agit d'une mission éducative. Les parents n'ont pas le droit de
propriété, ils ont une mission à remplir, une responsabilité à assumer.
Cette loi de 1970 entraîne trois conséquences:
 l'autorité parentale est une mission d'ordre public, cela signifie qu'elle échappe à la
volonté des parties et que les parents ne peuvent pas y renoncer, ni même la
déléguer. Seul un jugement peut la modifier.
 elle est aménagée dans l'intérêt de l'enfant, c'est à dire qu'elle appartient aux père et
mère pour protéger l'enfant. Elle peut donc être contrôlée par la société en cas de
maltraitance, de négligence par exemple.
 et la responsabilité première de l'éducation revient aux parents, et leur reste acquise
malgré la séparation et le placement éventuel de l'enfant.
Le droit de la famille et de l'autorité parentale est modernisé par touches successives, par la
suite, avec l'arrivée d'autres lois :
 La loi du 3 janvier 1972 réformant le droit de la filiation a créé un statut unique
pour l'enfant légitime et l'enfant naturel. Ce dernier a « en général les mêmes droits
et les mêmes devoirs que l'enfant légitime dans ses rapports avec ses père et
mère »5.
5
Code Civil, article 334, alinéa 1 et 2, abrogé par la loi du 4 mars 2002
13
 La loi du 11 juillet 1975, réformant le divorce, a posé le principe de l'attribution
exclusive de la garde de l'enfant à l'un des parents. La jurisprudence de la Cour de
Cassation admettant cependant la légalité de la garde conjointe après le divorce.
Ce n'est que dix ans plus tard que la loi du 23 décembre 1985 consacre l'égalité des
parents dans la gestion des biens de l'enfant mineur en disposant que « l'administration
légale est exercée conjointement par le père et la mère lorsqu'ils exercent en commun
l'autorité parentale et, dans les autres cas, sous le contrôle du juge soit par le père, soit
par la mère ».
La loi du 22 juillet 1987, dite « loi MALHURET », sur l'exercice de l'autorité
parentale a permis de franchir un nouveau pas décisif en assouplissant les effets du
divorce sur le partage de l'autorité parentale. Les père et mère exercent désormais
conjointement leur autorité, quel que soit le devenir du couple. Dans la famille naturelle,
les parents peuvent maintenant s'adresser au juge des tutelles et faire une déclaration
conjointe en vue de l'exercice commun de l'autorité parentale, rompant ainsi avec la
traditionnelle attribution de l'autorité parentale à la mère. Cette loi va supprimer
systématiquement toute référence à la notion juridique de droit de garde.
Avec la loi du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille, aux droits de l'enfant et
instituant le juge aux affaires familiales, tant la famille désunie que la famille naturelle
reconnaissent comme principe la notion d'autorité parentale. Cette loi tente de faire un pas
vers une justice unique de la famille, plus proche, plus spécialisée, plus humaine et
orientée vers la protection des intérêts de l'enfant. Elle va s'inspirer de la Convention
internationale des droits de l'enfant de 1989 et tenter de mettre en communication le
mineur et le juge aux affaires familiales. Claire Davidson et Hervé Hamon estiment que :
« Cette loi de 1993 a érigé en véritable principe l'exercice conjoint de l'autorité parentale
de la famille légitime, y compris en cas de dissolution du couple conjugal. Cependant,
cette loi au nom d'un principe louable, l'autorité parentale conjointe, vient complexifier le
rôle des parents et appauvrir les représentations de l'autorité parentale. On peut alors
considérer qu'en affaiblissant la valeur symbolique de l'autorité parentale, elle arrive au
résultat contraire de celui recherché »6.
6
Claire DAVIDSON (psychologue-psychanalyste) et Hervé Hamon (président du tribunal pour enfants de
Paris), Dialogue. Autorité parentale dans la famille et autorité dans le cadre de l'assistance éducative: une
14
Va alors s'engager en France un débat autour de la famille et de la parentalité, qui avoir
pour conséquence la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.
La loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, va être le résultat d'un groupe de
travail Droit de la Famille, conduit par Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ 7 , mis en
place en 1993 par le ministre chargé des affaires sociales. Cette loi de 2002 consacre le
principe de coparentalité que Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ définit comme « l'idée
selon laquelle il est de l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents, dans la famille
fondée sur le mariage comme dans la famille créée hors mariage, que le couple parental
soit uni ou désuni »8. L'article 371-1 du code civil est désormais comme suit:
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt
de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de
l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son
éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Les parents
associent l'enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de
maturité »9.
La référence à la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 est ici très
explicite dans le dernier alinéa. La loi ne fait plus désormais référence aux droits et devoirs
de garde, de surveillance et d'éducation. Désormais, la législation met en avant le principe
de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, que ce soit dans la famille légitime ou
naturelle, unie ou désunie.
L'autorité du juge des enfants est de fait modifiée par l'évolution du concept d'autorité
parentale, dorénavant les choses semblent pensées de telle sorte que les enjeux sont les
mêmes qu'il s'agisse d'une famille avec des parents se séparant ou d'une famille présentant
des dysfonctionnements pouvant entraîner un placement par décision de justice.
Avec cet historique, nous pouvons remarquer que la question de l'autorité parentale a
histoire de respect, 2004, n°165, p.24
7
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ est professeur de droit à l'université de Lille
8
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux
réalités et aux aspirations de notre temps, 1999, p.56
9
Code civil, article 371-1
15
traversé les temps. Nous sommes passés de la puissance paternelle à l'autorité parentale,
d'un enfant vivant dans l'intérêt de ses parents, on passe à des parents ayant avant tout pour
objectif l'intérêt de leur enfant.
2. Les obligations des parents par la loi, aujourd'hui
La loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a, comme expliqué ci-dessus,
profondément modifié le code civil pour redéfinir les droits et les obligations des parents
en matière d'autorité parentale. Le code civil traite de cette notion dans le titre IX du livre
1er 10 .Pour en comprendre la transformation, nous allons définir précisément la notion
d'« autorité parentale », entrée dans le langage juridique français avec la loi du 4 juin 1970
(2.1), avant d'étudier en détails les obligations imposées par cette dernière aux parents
(2.2).
2.1. La notion d'autorité parentale
L'autorité parentale, est l’autorité détenue par les parents jusqu'à la majorité ou
l'émancipation de leur enfant.
Du lien de filiation entre un enfant et ses parents en découle des droits et des devoirs. La
filiation désigne le rapport de famille qui lie un individu à une ou plusieurs personnes dont
il est issu. Le régime de la preuve du lien familial est régi, par la loi dans les articles des
titres VII et VIII du Livre 1er du code civil.
Les obligations liées à l'autorité parentale, sont assumées, en principe, par les deux parents
conjointement. Ces droits et devoirs visent à protéger l'enfant et doivent être exercés dans
l'intérêt de celui-ci.
Ces obligations ont pour but d'assurer la protection de l'enfant « dans sa sécurité, sa santé
et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect
dû à sa personne » (article 371-1 du code civil). Cela signifie que les parents doivent
élever leur enfant, le nourrir, l'éduquer et le soigner.
10
Code Civil, Livre 1er Titre IX
16
L'autorité parentale donne également aux parents une autorité sur les biens de leur enfant
jusqu'à sa majorité ou son émancipation.
En cas de séparation des parents, on parle d'exercice en commun ou conjoint de l'autorité
parentale, en ce qui concerne les décisions nécessaires à l'éducation de l'enfant. Le code
civil dispose, dans son article 372-2, que « la séparation des parents est sans incidence sur
les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale ». Cependant, le juge aux
affaires familiales peut décider des modalités de l'exercice de celle-ci, en cas de divorce ou
de séparation. Le juge prend sa décision dans le seul intérêt de l'enfant. Il fixe aussi le lieu
de résidence et les droits de visite et d'hébergement de l'autre parent.
Lorsque des circonstances particulières surviennent, l'un des deux parents ou même les
deux ont la possibilité de demander au juge aux affaires familiales, que les exercices de
l'autorité parentale dont ils sont titulaires soient délégués à un tiers. La délégation forcée
est, elle aussi, possible.
Les parents ont la possibilité de saisir le magistrat en charge des affaires familiales pour
demander la fin d'une telle délégation. Ils ne recouvrent cependant leurs droits que s'ils
apportent la preuve de circonstances nouvelles qui leurs permettent d'assumer l'enfant.
Cette délégation peut être totale ou partielle, les parents ne conservant parfois que certaines
prérogatives.
Il arrive que la délégation de l'autorité soit forcée, dans le cas par exemple où le juge
constate un désintérêt manifeste des parents pour l'enfant ou s'il est manifeste que ces
derniers ne peuvent exercer tout ou partie de celle-ci. Le juge décide alors, dans l'intérêt de
l'enfant de déléguer ou non, tout ou partie de l'autorité parentale. Le magistrat fixe alors les
modalités de cette délégation en tenant compte des sentiments de l'enfant.
Dans d'autres cas, les père ou mère ou les deux parents, peuvent se voir retirer l'exercice de
l'autorité parentale. Ce retrait est modulable, il peut être aménagé, ne concerner que
certains enfants d'une fratrie, être total ou partiel.
L'article 373 du Code Civil dispose qu' « est privé de l'exercice de l'autorité parentale le
17
père ou la mère qui est hors d'état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de
son absence ou de tout autre chose ».
Ce retrait peut être demandé par le ministère public, un membre de la famille ou le tuteur
de l'enfant.
Les cas de retrait de l'autorité parentale sont les suivants11:
 les parents se sont rendus coupables de mauvais traitements sur l'enfant ;
 l'un des parents ou les deux sont dépendants à l'alcool ou font usage de stupéfiant ;
 les parents ont des comportements délictueux qui mettent en danger la sécurité, la
santé ou la moralité de l'enfant ;
 les parents ne prodiguent pas les soins nécessaires à leur enfant ;
 les père et mère sont reconnus comme étant auteurs, coauteurs ou complices d'un
crime ou délit commis sur la personne de leur enfant ;
 les père et mère sont reconnus comme auteur ou complice d'un crime ou délit
commis par leur enfant.
Le juge décide alors de retirer l'autorité à l'un ou au deux parents, de manière partielle ou
totale. Les parents pourront recouvrer leurs droits, en présentant une demande auprès du
juge, après un an de retrait de l'autorité parentale. Pour cela, ils doivent apporter la preuve
d'un changement dans leur situation et donc de circonstances nouvelles.
Cette notion d'autorité parentale a profondément reconnu l'enfant comme un sujet de droit.
Il n'est plus considéré comme un être incapable, sur lequel le père et la mère ont tout
pouvoir. L'enfant a, désormais, le droit de s'exprimer sur les sujets le concernant en
étant « associé par ses parents aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré
11
Code Civil, Livre Ier, Titre IX, Chapitre 1er, Section 4, Articles 378 et 378-1
18
de maturité » (article 371-1 du code civil). De même, le fait que toutes les décisions
ordonnées par le magistrat doivent l'être dans l'intérêt de l'enfant, accentue cette place
privilégiée que la loi confère à ce dernier. Nous sommes loin ici des décisions prises sous
le régime de la puissance paternelle.
Cette notion met en place un lien qui va des parents vers l'enfant. Les démarches
effectuées, le sont dans le sens d'une décision ou d'une position des père et mère en
direction de leur enfant, dans le respect dû à sa personne. Cette notion d'intérêt de l'enfant
renforce le rôle éducatif des parents.
En France, il est question, depuis quelques années de remplacer le terme d'autorité
parentale par celui de responsabilité parentale. Une proposition de loi présentée devant
l'Assemblée Nationale le 7 février 2012 va dans ce sens. Le texte de la proposition de loi
justifie cette volonté de remplacement, dans son exposé des motifs, comme suit: « Les
évolutions successives du droit mettent aujourd’hui l’accent sur le rôle éducatif des parents
ainsi qu’en atteste la modification de l’article 371-1 du code civil (…) La loi du 31 mars
2002 relative à la protection de l’enfance permet d’affirmer la notion d’intérêt supérieur
de l’enfant et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance précise, à
l’article 375 du code civil, l’intérêt de l’enfant comme étant « son développement
physique, affectif, intellectuel et social ». La loi du 9 mars 2006 pour l’égalité des chances
introduit la notion de responsabilité éducative par la création du contrat de responsabilité
parentale. En prenant en compte cette évolution du rôle des parents, force est de constater
que le terme d’autorité parentale renvoie à une notion de « droit sacré » des parents et à
la subordination de l’enfant vis-à-vis de l’adulte. La notion d’autorité occulte trop souvent
la place centrale de la responsabilité des parents dans l’éducation des enfants et peut
conduire à des dérives brutales de la part des parents qui « justifient » les maltraitances
imposées à leur enfant au nom de l’autorité qu’ils ont sur lui. À l’inverse le terme de
responsabilité parentale renvoie à l’intérêt de l’enfant »12.
Les auteurs de cette proposition de loi excluent donc totalement le terme d'autorité au
profit de celui de responsabilité. Ce texte vient également mettre les parents devant un rôle
12
Henriette MARTINEZ et Christian MÉNARD, députés, Proposition de la loi visant à remplacer l'autorité
parenté parentale par la responsabilité parentale et à en préciser l'exercice, 7 février 2012, consultable sur le
site internet de l'Assemblée Nationale – www.assemblee-nationale.fr
19
éducatif et non plus devant une fonction. Le père et la mère ne sont par voie de
conséquence plus confrontés à une fonction qui leur est attribuée du fait même de la
naissance de leur enfant, mais ils doivent remplir un rôle. Les députés rédacteurs de cette
proposition souhaitent introduire le terme de responsabilité à la place de celui d'autorité
pour bien marquer que toute action doit se faire dans l'intérêt de l'enfant. Le terme de
responsabilité renforce l'idée que l'action éducative se fait des parents vers l'enfant et que le
lien dans la famille va dans ce sens.
Cet apport sur la notion de l'autorité parentale et son éventuelle évolution est important
pour situer le contexte qui va permettre d'étudier désormais les obligations que la loi
impose aux parents à l'égard de leur enfant, en matière d'autorité parentale.
2.2 Les obligations des parents à l'égard de leur enfant, induites par
l'autorité parentale
Nous allons ici étudier ce que la loi impose aux parents en matière d'autorité parentale.
Nous avons rappelé qu'elle consiste en l'ensemble des droits et devoirs des parents. Ces
derniers représentent les obligations imposées par le législateur à l'attention des parents.
Dans ce cadre, nous présenterons en premier lieu les prérogatives liées à l'autorité
parentale, puis les obligations induites par celle-ci.
Les prérogatives des parents
A la lecture directe du code civil, un seul article attribue explicitement les droits aux
parents édictés dans l'article 371-1, il s'agit de l'article 371-3 qui dispose que « l'enfant ne
peut, sans l'autorisation des père et mère, quitter la maison familiale ». Par contre, une
lecture indirecte, à partir de l'article 375 du code civil, permet de dire que les parents
doivent tout mettre en place afin d'assurer la santé, la sécurité, la moralité et l'éducation de
leur enfant.
Il est important que les parents, avec l'aide de l'autorité judiciaire si nécessaire, se voient
attribuer des prérogatives leur permettant de remplir leur fonction parentale.
20
Les prérogatives dévolues aux parents sont les suivantes :
 ils définissent le lieu de résidence de leur enfant et ont le droit de régler ses sorties,
tant au niveau du lieu que des horaires. Cette prérogative des parents tend à
sanctionner ceux qui soustraient l'enfant à ses parents.
 Les père et mère règlent les relations de l'enfant avec d'autres personnes. Des
parents peuvent ainsi interdire à l'enfant de voir ou d'être en relation avec telle ou
telle personne. La loi limite cette possibilité d'interdiction aux grands-parents ou
toutes personnes que le juge désigne et impose. Dans cette dernière condition, le
magistrat peut définir les dispositions d'une telle relation. Ces droits des parents de
régler les relations de leur enfant induit également le droit de contrôler sa
correspondance.
 Les parents ont droit et devoir d'éducation. Ceci signifie que si les parents ont le
choix du mode d'éducation, ils ont l'obligation de donner à l'enfant une instruction,
du point de vue scolaire. Cette instruction peut se faire sous toute forme, être
dispensée dans un établissement scolaire, ou à domicile, sous le contrôle d'un
inspecteur de l'éducation nationale.
 Les parents ont le choix de la religion de leur enfant. Cette liberté de choix permet
aux parents d'intégrer avec leur enfant le groupe religieux de leur souhait, même si
celui-ci est sectaire. Cette liberté parentale ne doit cependant pas conduire à des
actes pénalement répréhensibles concernant les enfants (mauvais traitements par
exemple) ou empêcher leur éducation nécessaire.
Ces prérogatives ne sont cependant pas absolues. Elles doivent d'une part prendre l'avis de
l'enfant, et d'autre part les parents peuvent faire l'objet d'une procédure judiciaire, si en cas
de négligences ou d'impossibilité d'agir de ces derniers, les enfants sont mis en danger ou
si l'exercice de leur éducation est gravement compromis.
Les obligations des parents
Les devoirs relatifs à l'autorité parentale sont traduits dans quelques articles du code civil
21
tel que l'article 371-2 ou encore dans les textes du code pénal qui mettent un frein à la
toute-puissance parentale.
Les obligations qui touchent les parents d'un enfant sont les suivantes:
 Les parents ont l'obligation de surveillance et d'éducation à l'égard de leur enfant.
En plus de mesures de protection qui pourraient être prononcées par un magistrat, à
l'égard d'un enfant, sous la forme d'une assistance éducative, les parents encourent
des risques de poursuites en termes de sanctions pénales. Ce qui présente autant de
limites à leurs prérogatives.
 Les parents ont l'obligation d'entretien. On considère dans ce cadre la prise en
charge des frais occasionnés par l'enfant: nourriture, habillement, éducation, soins.
Quand les père et mère vivent ensemble, cette obligation d'entretien se fait dans la
prise en charge des besoins de l'enfant au quotidien. Quand les parents sont séparés,
celui qui n'héberge pas l'enfant de façon habituelle verse à l'autre une pension
alimentaire, dont le montant de la valeur sera évalué par le juge aux affaires
familiales.
 Les parents ont l'obligation d'administrer les biens de leur enfant, sous le contrôle
du juge des tutelles.
 Les parents sont responsables des dommages causés par leur enfant. Ce qui signifie
qu'ils doivent indemniser les victimes de tout acte dommageable causé par celui-ci.
Il ne leur est pas possible de déroger à cette responsabilité en montrant qu'ils n'ont
commis ni faute de surveillance, ni faute d'éducation. Cette responsabilité peut
même être mise en œuvre à l'égard du parent qui n'a pas la « garde » de l'enfant,
lorsque le couple parental est séparé.
 Les parents ne peuvent infliger à leur enfant des sanctions qui pourraient être
juridiquement qualifiées de « mauvais traitement ».
Les parents sont mis face aux obligations de l’autorité parentale. Ils sont donc responsables
civilement des agissements de leur enfant. A partir du moment où celui-ci enfreint la loi, ils
22
vont devoir assumer leur responsabilité de parents et seront confrontés au mandat de
justice.
B. Le mandat de justice
Le dictionnaire LE PETIT LAROUSSE définit le mandat comme suit: « Pouvoir qu’une
personne donne à une autre d’agir en son nom »13. Le mandat de justice, dans le cadre de
la Protection Judiciaire de la Jeunesse, serait de ce fait une fonction ou une charge confiée
par un magistrat à un service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, pour exercer une
action en son nom. En l’occurrence, le magistrat va donner mandat à l’éducateur de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse pour mettre en œuvre la décision de justice auprès du
mineur et de sa famille. Nous allons aborder le sujet du mandat de justice en explorant
deux points de vues, celui du magistrat ordonnateur (1) et celui de l’éducateur mandaté (2).
1. Du magistrat à l’éducateur pour une priorité à la réponse
éducative
Depuis 1945, une justice spécifique s’applique en France aux enfants et aux adolescents de
moins de 18 ans. Elle comprend des magistrats, des juridictions spécialisées (juge des
enfants, tribunal pour enfants, tribunal correctionnel pour mineurs, cour d’assise des
mineurs) et des services éducatifs. Elle fonctionne selon des règles de droit et de
procédures différentes de la justice des majeurs, adaptées aux mineurs et à leur tranche
d’âge.
La justice des mineurs concerne deux volets principaux. Elle peut intervenir dans le cadre
de la protection de l’enfance en danger, sur un volet civil, mais également dans le cadre de
l’enfance délinquante, sur un volet pénal.
Les magistrats s’adressent essentiellement aux services de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse dans le cadre de l’action au pénal. Le juge des enfants peut encore les saisir dans
un cadre civil pour ordonner des mesures judiciaires d’investigation éducative. Mon propos
portera donc principalement sur l’action au pénal en lien avec les missions de l’éducateur à
la Protection Judiciaire de la Jeunesse, sans toutefois ignorer l’action au civil dans laquelle
13
Dictionnaire LE PETIT LAROUSSE, édition 2005
23
nous pouvons être amenés à intervenir.
Afin de définir l’action des magistrats spécialisés dans la justice des mineurs, une
présentation, en premier lieu, des acteurs de la chaîne judiciaire, semble importante (1.1).
Ensuite, il sera possible de s’attarder sur la décision du magistrat à l’égard du mineur et de
sa famille (1.2).
1.1 Les magistrats spécialisés dans la justice des
mineurs
Le principe de spécialisation des juridictions pour mineurs, qui interdit que les mineurs
auxquels est imputé un crime, un délit ou une contravention de cinquième classe soient
déférés aux juridictions de droit commun, a été qualifié «d’idée la plus féconde de
l'ordonnance de 1945 »14(J. - M. BAUDOUIN, Le juge des enfants, punir ou protéger,
1990).
L'idée qui fonde ce principe est que les magistrats doivent juger les mineurs, en prenant
davantage en compte que ne le font les juridictions pour majeurs, les éléments de contexte
(structure familiale notamment) et de personnalité qui sont propres aux mineurs. Ce
principe de spécialisation permet de plus aux magistrats de suivre l'évolution des mineurs
qu'ils sont amenés à connaître afin de tenir compte des éventuels progrès accomplis par
certains d'entre eux.
Il est important de noter que les débats qui se déroulent devant ces juridictions spécialisées
sont fermées au public, par dérogation au principe de droit commun de publicité de la
justice, et que les jugements rendus par ces juridictions ne portent pas mention du nom du
mineur concerné.
Les magistrats spécialisés que nous sommes amenés à rencontrer dans notre fonction
d’éducateur, sont de plusieurs ordres. Les magistrats du « parquet des mineurs » sont les
substituts du procureur de la République en charge des mineurs. Les magistrats du siège
sont les juges des enfants.
14
BAUDOIN Jean-Marie. Le juge des enfants, punir ou protéger
24
On s’attachera d’évoquer l’action des magistrats du parquet des mineurs, point de départ de
la procédure judiciaire. Ils vont effectivement décider d’engager ou non des poursuites
judiciaires suite à une infraction commise par un mineur.
Le substitut du procureur de la République a également la possibilité de mettre en place
des alternatives aux poursuites. La mise en place de ce type d’action permet à un mineur de
pouvoir réparer sa faute aux yeux de la société et de la victime, sans pour autant faire
l’objet de poursuites judiciaires devant le juge des enfants. Dans cette démarche, les
parents doivent être très largement mobilisés, puisque la loi du 5 mars 2007 (article 7-1 de
l’ordonnance de 1945) rend obligatoire leur convocation. Ils doivent même donner leur
accord dès lors que leur enfant se voit proposer de remplir certaines conditions.
Le juge des enfants est apparu avec l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance
délinquante. Son champ d’attribution est double, il protège les mineurs en danger et il juge
les mineurs délinquants. En matière civile, il est compétent dans le domaine de l’assistance
éducative. En matière pénale, il est à la fois compétent pour instruire et juger les mineurs
ayant commis une infraction délictuelle.
Le juge intervient pour juger les mineurs lorsqu’il préside le tribunal pour enfants, ou
lorsqu’il siège en cabinet. Dans ce dernier cas, concernant en principe les affaires les moins
graves, il juge seul le mineur, assisté d’un greffier.
Il est également compétent lorsqu’un mineur a été condamné à une peine de sursis avec
mise à l’épreuve. Dans ce cas, il contrôle les conditions d’exécution du sursis, il décide
d’un allongement du délai de mise à l’épreuve, ou d’une révocation totale ou partielle du
sursis.
Depuis le 1er janvier 2005, le juge des enfants s’est vu confier les prérogatives jusque-là
exercées par le juge d’application des peines et suit à ce titre les personnes condamnées par
les juridictions spécialisées pour mineurs.
Sur la juridiction où je suis en fonction, pour la majeure partie de mon activité d’éducateur
en formation à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’exercice de la justice des mineurs
sur le tribunal de grande instance est exercée par un substitut du procureur de le
25
République en charge des mineurs et une juge des enfants. L’activité judiciaire au pénal en
relation avec les mineurs, sur ce département rural, reste secondaire par rapport à l’activité
au civil. Madame C., juge des enfants sur ce territoire, me confie lors d’un entretien qu’elle
m’a accordé, « je ne gère pas et je n’ai jamais géré un cabinet en tant que juge des enfants
avec un gros secteur délinquant »15.
Le magistrat est également dépositaire d’un important pouvoir sur le mineur auteur d’un
acte de délinquance et sur sa famille. Ce pouvoir est le fait de l’expression de la justice et
de la loi, il va donc être en mesure de sanctionner le mineur et de lui imposer de se
conformer à la loi. Cette autorité naturelle du magistrat va être utilisée différemment en
fonction de son détenteur. Pour le juge C., au pénal, elle va « plus s’en servir comme un
tremplin, un relais, une aide à la compréhension »16. Elle évoque, ici, son pouvoir à l’égard
des parents, lorsqu’elle agit dans un cadre pénal. Pour ce qui est du mineur, bien entendu,
elle a la force de la loi avec elle, pour lui permettre de contraindre ce-dernier.
Concernant l’action du parquet des mineurs, comme indiqué précédemment, il peut s’agir
d’une décision de poursuite judiciaire, dans ce cas, le mineur sera convoqué chez le juge
des enfants. Ici, le jeune et ses parents n’ont pas leur mot à dire et n’ont pas d’autre choix
que d’exécuter la décision du magistrat. Le substitut du procureur de la République peut
également décider de proposer au mineur et à ses représentants légaux une alternative aux
poursuites. Dans cette situation, l’intéressé doit reconnaitre les faits pour lesquels il est
présenté au magistrat. Il doit également, ainsi que ses parents, donner son accord pour la
mesure qui lui sera ordonnée. On peut alors considérer dans ce cas, qu’il n’y a pas de
contrainte, le jeune et sa famille ont la possibilité de refuser la proposition d’alternative
aux poursuites. Dans la réalité, cela semble un peu plus compliqué dans la mesure où s’ils
refusent, des poursuites devant le juge des enfants seront engagées. Dans notre juridiction,
cette procédure d’alternative aux poursuites est largement utilisée, afin de donner une
réponse judiciaire au plus grand nombre d’infractions commises par des mineurs.
15
16
Propos recueillis lors de l’entretien avec Mme C., juge des enfants, cf. annexe 2
Madame C., juge des enfants, Ibid.
26
1.2 La décision du magistrat à l’encontre du mineur et
de sa famille
Au pénal, la décision du magistrat, spécialisé dans la justice des mineurs, survient suite à
une infraction à la loi par un mineur. Celle-ci va en premier être dirigée à l’encontre du
jeune, auteur d’un acte de délinquance. Elle va cependant nécessairement impliquer les
responsables légaux de ce dernier et avoir des répercussions pour eux. C’est en ce sens,
que nous pouvons dire que la décision du magistrat opère à l’encontre du mineur et de sa
famille.
Au civil, le magistrat intervient dans le cadre de la protection de l’enfance, sa décision va
alors porter davantage sur la famille. En ce sens, Madame C., juge des enfants va dire « au
civil, je regrette souvent de ne pas être le juge des parents, parce que finalement c’est à eux
qu’on s’adresse, c’est à eux qu’on demande de modifier un certain nombre de choses, pour
qu’il y ait une protection de l’enfant »17.
Au civil, la notion prioritaire qui doit orienter la décision du magistrat est l’intérêt de
l’enfant. L’article 375-1 du code civil l’énonce de la sorte : « Il (le juge des enfants) doit
toujours s'efforcer de recueillir l'adhésion de la famille à la mesure envisagée et se
prononcer en stricte considération de l'intérêt de l'enfant ». En ce sens lorsque le juge des
enfants ordonne une mesure judiciaire d’investigation éducative, pouvant être mise en
œuvre par le service de milieu ouvert de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le
magistrat doit statuer dans l’intérêt de l’enfant. Son ordonnance doit être motivée en ce
sens. Pour la juge des enfants C., au sein de son tribunal de grande instance, « évidemment,
l’intérêt de l’enfant doit nous conduire tous, mais après, concrètement, j’essaie de faire la
part des choses pour que mon intervention soit commandée par le constat d’une situation
de danger »18. Elle estime donc, que son intervention doit évaluer la situation de danger
dans l’intérêt de l’enfant. Dans ses décisions, le juge des enfants ne statue que dans le
cadre de la protection de l’enfance.
Au pénal, la notion d’intérêt de l’enfant doit toujours rester au centre de la pensée du
magistrat, même si, nous sommes dans un autre cadre. La décision prise est cependant une
17
18
Madame C., juge des enfants, Ibid.
Madame C., juge des enfants, Ibid.
27
décision-sanction, suite à un acte de délinquance commis.
Au pénal, l’ordonnance du 2 février 1945 a posé, la primauté de l’éducatif sur le répressif,
comme un des principes fondateurs de la justice des mineurs en France. En quelque sorte,
cette primauté de l’éducatif relève de l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où le magistrat
va prendre des décisions dans l’objectif d’accompagner le mineur dans sa construction
personnelle. Il y a donc une recherche pour faire évoluer l’enfant dans une visée non
répressive. Les mesures éducatives, préférées aux peines, ont pour but de protéger, de
surveiller et d’éduquer le mineur et l’accompagner dans son insertion ou sa réinsertion.
Pour ordonner une mesure éducative à l’encontre d’un mineur délinquant, le juge des
enfants va considérer sa situation globale. La situation familiale et le contexte de vie du
mineur, le positionnement des parents sont autant de paramètres qui font que le magistrat
va adapter une réponse plutôt qu’une autre.
La décision prise par le substitut du procureur en charge des mineurs ou le juge des enfants
va forcément impacter les parents du mineur mis en cause. Le seul responsable pénalement
est effectivement le mineur auteur de l’infraction. Mais les parents sont responsables
civilement des actes commis par leur enfant.
Même s’ils ne sont pas responsables pénalement, ils vont être sollicités et impliqués dans
l’accompagnement de la mesure pénale de leur enfant. Bien souvent, il est nécessaire aussi
pour les éducateurs de travailler avec les parents sur des conflits familiaux avant de
pouvoir travailler la mesure avec le jeune.
Dans le cadre de la mesure de liberté surveillée par exemple, la loi prévoit de sanctionner
les incidents dus aux parents : « l’entrave systématique par les parents à la mission de
liberté surveillée et le défaut de surveillance caractérisé sont définis comme incidents par
l’article 26 de l’ordonnance du 2 février 1945. Dans ce cas, le juge des enfants ou le
tribunal pour enfants peut condamner les parents à une amende civile de 75€
maximum. » 19 . Même si cette amende peut sembler symbolique, elle met en avant
l’importance de l’intervention des familles dans l’application de la décision judiciaire
19
Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la direction de la protection judiciaire de
la jeunesse. 2005, p. 46
28
touchant un mineur.
Il est désormais de la mission du magistrat de faire appliquer la décision de justice. C’est
alors qu’il va mandater les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse pour mettre
en œuvre la mesure ou la peine ordonnées à l’encontre d’un mineur en danger (dans le
cadre civil) ou auteur d’un acte de délinquance (dans le cadre pénal).
2. La mise en œuvre de la décision de justice
Le magistrat spécialisé dans la prise en charge des mineurs procède à l’ordonnance de sa
décision de justice, il s’agit désormais de mettre en œuvre celle-ci et de veiller à son
exécution par le mineur concerné.
Etant pré-affecté sur un service de milieu ouvert dans le cadre de ma formation d’éducateur
à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, je vais axer mon propos sur les mineurs et leurs
familles pris en charge par une unité éducative de milieu ouvert.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de la décision de justice, je vais dans un premier temps
expliquer le cadre d’intervention (2.1), puis j’évoquerai les acteurs obligés par celle-ci
(2.2)
2.1 Le cadre d’intervention
Le référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la direction de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse, dans son avant-propos définit l’intervention des
services et établissements de la direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse comme
étant « fondée sur des décisions judiciaires prises en application de l’ordonnance du 2
février 1945, relative à l’enfance délinquante, et l’ordonnance du 23 décembre 1958,
relative à l’enfance en danger, deux textes majeurs organisant la protection judiciaire de
l’enfance. L’un des principes généraux, qui sous-tend l’ensemble de cette législation, est
celui de la primauté accordée à l’éducation dans la réponse judiciaire. ».20
20
Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la direction de la protection judiciaire de la
jeunesse. 2005, p. 1
29
Cet avant-propos rappelle surtout que le socle commun qui traverse l’ensemble des
mesures, des peines et des missions exercées par les services et établissements du secteur
public en application de cette législation est bien la mission d’éducation.
Le travail de l’éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse se situe de ce fait bien
dans la cadre de la mise en œuvre de la décision de justice, qui incombe par voie de
conséquence à l’éducateur, mandaté en ce sens par le magistrat.
Comment le mandat de justice engage-t-il l’éducateur dans sa mission ?
Dans le cadre des entretiens engagés pour ce travail de recherche, une éducatrice, que nous
nommerons Madame B., a accepté de répondre à mes questions. Elle est titulaire d’un
poste sur l’unité éducative de milieu ouvert de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dans
laquelle je suis pré-affecté. Je me suis tourné vers elle afin de pouvoir confronter son
expérience et sa pratique professionnelle à mon terrain de professionnalisation. Selon elle :
« Il y a une décision judiciaire, une ordonnance […] La décision du magistrat, c’est ce
qui légitime mon intervention […] elle nous lie aux personnes soumises à cette
ordonnance, puisque ni elles, ni nous ne pouvons choisir. C’est une décision qui
s’impose. L’ordonnance est utile puisqu’on peut s’appuyer dessus pour savoir quel
type de mesure est ordonnée, et les attendus du magistrat. »21.
Cette éducatrice nous rappelle l’importance de l’ordonnance judiciaire, qui est le
fondement du travail de l’éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, puisque celuici ne peut pas intervenir auprès d’un mineur et de sa famille, sans avoir été missionné par
le magistrat.
Si l’ordonnance du juge est le point de départ de l’action du service éducatif, elle revêt
également une importance non négligeable, puisque c’est elle qui va déterminer le cadre
d’intervention du professionnel dont la mission sera de la faire appliquer. Madame B.,
éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, dans le cadre de l’entretien accordé,
m’indique que : « L’ordonnance nous donne un cadre d’intervention, mais elle ne nous dit
pas ce que l’on doit faire. Le cadre des mesures nous donne l’espace d’accompagner le
21
Propos recueillis lors de l’entretien avec Madame B., éducatrice dans une Unité Educative de Milieu
Ouvert, cf. annexe 4
30
jeune et sa famille »22. La professionnelle ne néglige pas d’indiquer que sa mission va
l’amener à accompagner le jeune et sa famille, elle inclut les parents du mineur dans la
prise en charge qui sera la sienne et dans la mise en œuvre de la décision judiciaire.
2.2 Les
intervenants
obligés
par
l’ordonnance
judiciaire
Bien entendu, le premier intervenant est le magistrat ordonnateur. Il apparaît utile de
préciser que même après la décision de justice, le magistrat reste un interlocuteur majeur
dans la mise en œuvre de celle-ci. Il conserve un rôle de contrôle sur la bonne application
de la décision de justice, et le service éducatif, dans ce sens doit le tenir informé en
permanence du déroulement de la mesure ou de l’application de la peine. Il peut tout au
long de la mise en œuvre de la décision de justice, intervenir en fonction du cadre
législatif.
Le plus obligé par l’ordonnance de justice est le mineur concerné, tant au civil qu’au pénal,
il est l’objet principal de la décision du magistrat.
Au civil, on s’intéresse plus à son environnement et aux conséquences provoquées par
celui-ci dans l’évolution et la construction de l’enfant.
Au pénal, le jeune est le point central de l’action éducative, il va être sollicité directement
et devoir être l’acteur de la mesure ou de la peine ordonnée à son encontre. L’ordonnance
de 45, demande à ce titre aux magistrats de statuer sur les actes de délinquances des
mineurs en prenant en compte leur personnalité. Dans la mise en œuvre de la mesure,
l’éducateur doit nécessairement s’adapter au mineur, en s’adaptant à ses possibilités. Les
capacités, la personnalité, l’histoire de l’adolescent doivent être des éléments incluent dans
la prise en charge.
La première situation, par exemple, qui m’a été confiée sur l’unité éducative de milieu
ouvert était une mesure de réparation, ordonnée par le substitut du procureur de le
République en alternative aux poursuites, à l’encontre d’un mineur que je nommerai
Damien. Il se trouve que ce jeune adolescent, âgé de 14 ans est scolarisé en Institut
22
Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ, Ibid.
31
Thérapeutique Educatif et Pédagogique (ITEP), il ne sait ni lire, ni écrire et souffre
d’aphasie. Il m’a donc été essentiel d’adapter le travail éducatif aux difficultés de ce jeune.
J’ai alors orienté mon travail vers une mise en valeurs de ses compétences acquises, et un
accompagnement important de ses parents. En résumé, dans la mise en œuvre de la
décision de justice, il faut avant toute chose évaluer les capacités du mineur pris en charge
et adapter notre accompagnement.
Les troisièmes artisans de l’application de l’ordonnance judiciaire sont les parents. Il est
impossible pour l’éducateur de travailler sans eux. La juge des enfants, Madame C.,
lorsque je lui demande si elle attend que l’éducateur travaille nécessairement avec les
parents, me répond :
« Ça tombe sous le sens, parce qu’on part du principe que votre intervention est
ponctuelle, donc elle doit recadrer un certain nombre de choses et elle doit également
aussi trouver des relais jusqu’au moment où elle va s’arrêter. Donc, naturellement, on se
retourne vers les parents pour essayer de comprendre à un moment donné pourquoi il y a
eu un acte posé »23.
Ici, le rôle du parent est donc de permettre d’essayer de comprendre ce qui a pu se passer
pour leur enfant au moment où il a posé un acte de délinquance.
Pour Madame B., l’éducatrice en milieu ouvert interviewée, le travail avec les parents est :
« Fondamental […] je pense qu’on en peut pas faire sans. [ …]. Ils doivent pouvoir avoir
la parole, pouvoir échanger avec quelqu’un. Ils doivent eux aussi être accompagnés pour
être parents. Je pense que quand des parents vont mieux, les enfants vont mieux aussi
[…] c’est aussi leur accorder l’importance qu’ils ont de leur place de parents et remettre
ce qui est de leur rôle et de leur compétence aussi. »24.
Du point de vue de l’éducatrice, le rôle des parents dans la prise en charge est primordial
pour les accompagner à retrouver leur place de parents et assumer leur rôle parental. Vu de
cet angle, les parents ont une part importante à prendre pour retrouver leur place au sein de
la cellule familiale, une position permettant d’accompagner leur enfant dans le bon
23
24
Madame C., juge des enfants, Op. Cit.
Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ, Op. Cit.
32
déroulement de la mesure.
Selon Madame M., assistante sociale à l’unité éducative de milieu ouvert voisine, pour
répondre à la même question, portant sur la nécessité de travailler avec les parents dans le
cadre de la prise en charge d’un mineur auteur d’un acte de délinquance, « C’est
fondamental ! Je ne vois pas comment on ne peut pas travailler avec les parents. D’une
part, les parents ont l’autorité parentale, donc ils sont en droit de savoir ce que leur enfant
fait, avec qui et comment. Même s’ils sont maltraitants, c’est l’autorité parentale ! C’est
nous qui ne respecterions pas la loi si on fait sans les parents, on serait hors la loi. »25. Le
propos est sans appel. L’assistante sociale centre son argument sur la législation, et
l’obligation qui est la nôtre d’inclure les parents à l’action éducative.
Le travail avec les parents est effectivement un paramètre incontournable dans la mise en
œuvre de la décision de justice, et ce à plusieurs titres.
D’abord, nous avons vu précédemment que la loi, en termes d’autorité parentale, impose
aux père et mère d’assurer l’éducation de leur enfant. Il est de leur responsabilité de
l’accompagner et de l’aider à assumer la mesure ou la peine ordonnée à son encontre.
Ensuite, l’intervention auprès des parents peut dans certaines situations être la charnière de
la prise en charge du mineur. Celui-ci vouant une loyauté sans fin à ses père et mère, il sera
primordial d’avoir l’adhésion des parents pour que le jeune lui-même accepte nos
propositions de travail. L’intervention judiciaire ne peut se faire sans une sollicitation forte
des parents. Les circulaires du 2 février 2010 relation à l’action d’éducation dans un cadre
pénal et du 31 décembre 2010 relative à la mesure judiciaire d’investigation éducative,
posent l’obligation d’associer les parents tout au long du processus d’intervention et de
prendre en compte la dimension familiale, quelle que soit la décision du magistrat en
matière de mesure éducative, de sanction éducative ou de peine.
Le dernier intervenant est l’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Son rôle
consiste en l’articulation du travail éducatif autour de l’ordonnance de justice. Madame B.
explique ses missions d’éducatrice en milieu ouvert à la Protection Judiciaire de la
Jeunesse sous deux angles :
25
Propos recueillis lors de l’entretien avec Madame M., assistante sociale à la PJJ, cf. annexe 3
33
« Il y a à la fois le cadre que l’on nous pose, d’éducateur, de ce que l’on attend d’un
éducateur, et après il y a l’identité que l’on s’est construite au fur et à mesure. Ce que
l’on attend de nous c’est de remplir des missions d’accompagnement auprès de mineurs
qui ont commis des actes de délinquance, entre autre, puisqu’on a encore des mesures
d’investigation qui sont dans un cadre civil. Après, il y a ce que l’on se construit comme
identité, ce que l’on projette de notre fonction, de notre place et de ce que l’on a envie de
transmettre, puisque pour moi, il y a le lien, la mise en relation avec l’autre, et pour moi
le B.A-BA, c’est ça. »26.
La difficulté dans le travail de l’éducateur va résider dans sa capacité à tout mettre en place
pour que la décision de justice soit effective. Il va devoir tout faire afin de réussir à
mobiliser le jeune et ses parents. Dans le cadre pénal, l’objectif principal est
d’accompagner le mineur et sa famille dans la mise en œuvre de la mesure éducative ou
dans l’accomplissement de la peine, et de construire avec eux pour éviter la récidive.
Il existe d’autres intervenants pour accompagner les mineurs sous-main de justice, pris en
charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, tels que les psychologues, les assistants
sociaux, et l’ensemble du réseau partenarial sur le territoire.
26
Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ, Op. Cit.
34
II. Un accompagnement à la parentalité
La justice par la décision du magistrat et la mise en application de celle-ci par les
professionnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ordonne, soutient et accompagne
les parents dans cette parentalité.
Le schéma départemental des actions éducatives du département de l'Ain pour la période
2011-201427, définit la notion d’accompagnement comme :
« L’acte de se joindre à quelqu’un pour faire un parcours en commun. Il s’agit d’éviter
l’infantilisation des parents en tant qu’accompagnés. Il faut leur permettre de « faire » et
non « faire à leur place » ».
L’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, en ce sens, va devoir se joindre au
jeune et à ses parents pour cheminer ensemble. Il va les accompagner en faisant avec eux.
Dans un premier temps, il va devoir faire le nécessaire pour aller chercher l’adhésion des
parents à la prise en charge (A), avant d’accompagner ces derniers pour restaurer du lien
vers leur enfant (B).
A. L’adhésion des parents à la prise en charge
Selon le dictionnaire LE PETIT LAROUSSE 28 , la définition du verbe adhérer signifie
« souscrire à une idée, une opinion». Cela revient-il à dire que l’éducateur doit
accompagner les parents pour qu’ils s’emparent de la prise en charge éducative ? Souvent,
au départ, les parents refusent cette prise en charge. Le rôle premier de l’éducateur consiste
alors à rechercher cette adhésion, sans laquelle le travail avec le mineur sera compliqué.
Pour assurer cette action de recherche de l’adhésion, la première phase de l’intervention va
se faire dans le cadre d’une relation éducative sous contrainte judiciaire (1). L’engagement
du professionnel va ensuite consister à recueillir l’adhésion des parents pour effectuer un
27
Schéma départemental des actions éducatives. [en ligne].Conseil Général du département de l’Ain, janvier
2011 [consulté le 14 avril 2013]. Disponible sur : http://www.ain.fr/upload/docs/application/pdf/201101/sdae_-_doc_final_-_version_carte_15_12_10.pdf
28
Dictionnaire LE PETIT Larousse, édition 2005
35
accompagnement (2).
1. La contrainte judiciaire et la relation éducative
La prise en charge des mineurs par les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse se
fait dans le cadre de la contrainte judiciaire. Cette intervention éducative auprès des jeunes
ne peut se concevoir sans une implication des parents ou des titulaires de l’autorité
parentale et, plus largement des familles.
L’intervention sera donc envisagée dans un premier temps sous la forme de la contrainte
judiciaire imposée par le magistrat (1.1), puis, une fois le stade de la contrainte passé, il
faut envisager celui de la relation éducative essentielle à la mise en œuvre de la mesure
judiciaire (1.2).
1.1 La contrainte judiciaire
Guy HARDY, dans son ouvrage, S’il te plait ne m’aide pas !, énonce que dans le cadre
judiciaire :
« La contrainte réside d’abord dans l’aide qu’un intervenant est tenu de fournir en vue
de résoudre un problème. Pour ces jeunes et adultes amenés à se positionner face à cette
aide – une aide qu’ils n’ont pas demandée, voire peut-être jamais désirée -, il s’agit de
décider de s’y soumettre ou non en tenant compte des conséquences inhérentes à l’une ou
l’autre position. Dès la contrainte d’aide émise, la personne qui l’énonce, celle qui en fait
l’objet et l’intervenant sont plongés dans un jeu relationnel. »29
Dans cette approche, la contrainte est envisagée comme une aide. Elle est pourtant souvent
perçue au départ par les usagers de la chaîne judiciaire comme une obligation, une
situation venant porter atteinte à leur liberté.
Si dans le cadre civil de la protection de l’enfance en danger, le sujet de l’intervention est
la famille dans l’intérêt de l’enfant, au pénal, c’est le mineur.
29
HARDY Guy. S’il te plaît, ne m’aide pas !. 2012, p.17
36
En matière pénale, l’intervention de la justice, pour les mineurs, prend ses fondements sur
les principes et les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance
délinquante.
Au pénal, ce qui est au centre, c’est le jeune et son acte. L’ordonnance de 1945 impose,
toutefois, dans son article 5-1 que :
« Avant toute décision de surveillance et d’éducation ou, le cas échéant une sanction
éducative ou une peine à l’encontre d’un mineur pénalement responsable d’un crime ou
d’un délit, doivent être réalisées les investigations nécessaires pour avoir une
connaissance suffisante de sa personnalité et de sa situation sociale et familiale et, ainsi,
pour assurer la cohérence des décisions pénales dont il fait l’objet ».
L’intervention éducative auprès des mineurs, ne peut alors se concevoir sans une
sollicitation importante des parents.
Les circulaires du 2 février 2010 relative à l’action d’éducation dans un cadre pénal 30 et du
31 décembre 2010 relative à la mesure judiciaire d’investigation éducative 31 , posent
l’obligation d’associer les parents tout au long du processus d’intervention et de prendre en
compte la dimension familiale, quelle que soit la décision du magistrat en matière de
mesure éducative, de sanction éducative ou de peine.
A partir du moment où l’intervention éducative doit associer les parents et prendre en
compte la dimension familiale, elle s’impose à eux. La contrainte du cadre judiciaire
destinée à donner une réponse de justice à leur enfant, vient les obliger. Il est alors difficile
pour certaines familles d’accepter de répondre de cette obligation de la justice pour un acte
qu’ils n’ont pas commis personnellement.
Dans le cas du jeune Damien, cité précédemment, j’ai le souvenir de son père, qui a
plusieurs reprises a évoqué devant moi le fait que c’est bien son fils qui a commis un acte
de délinquance, mais que les parents doivent en porter la conséquence, dans la mesure où
ils doivent effectuer des trajets pour lui permettre d’honorer ses rendez-vous au service.
30
Circulaire d’orientation sur l’action d’éducation dans le cadre pénal, n° NOR : JUSF 10 50 001.
Circulaire d’orientation relative à la mesure judiciaire d’investigation éducative, n° NOR : JUSF 10
34 029C.
31
37
Cette conséquence était parfois lourde pour lui, puisqu’il doit poser une demi-journée de
travail à chaque entretien. Il a pu l’exprimer concrètement en disant qu’il se sentait puni
pour son fils.
Il s’agit là d’un exemple pour lequel les parents acceptent cette situation. Dans les
situations confiées par l’unité éducative de milieu ouvert, il est des cas où cette contrainte
est beaucoup plus mal vécue. Il peut s'agir notamment de familles présentant déjà un lourd
passé institutionnel, avec d’autres services éducatifs (comme l’aide sociale à l’enfance par
exemple).
Les parents du jeune Joakim, confié par le Juge des Enfants dans le cadre d’une mesure de
Liberté Surveillée pour des faits de violence, semblent en difficulté pour accepter
l’intervention d’un travailleur éducatif supplémentaire. Le parcours de leur fils devient
compliqué à gérer et à assumer pour eux. Le passage à l’acte délinquant de ce dernier leur
devient alors insupportable. Ils se sentent désemparés et vont refuser la contrainte
judiciaire d’un acte qu’ils n’ont pas posé. La traduction de cette attitude se fait, dans un
premier temps, en refusant notre intervention dans leur cellule familiale, ils n’honoreront
aucun des rendez-vous proposés, en justifiant qu’ils n’ont rien fait.
Il semble qu’avec ce type de situation, nous sommes plus dans le rejet d’une accumulation
de prises en charges ayant, sinon échouées, apportées des résultats ne correspondant pas
aux attentes des parents. L’arrivée de la justice dans un cadre pénal, vient mettre un terme à
la puissance parentale pour éduquer leur fils.
Dans le cadre d’une prise en charge d’un jeune que nous appellerons Mickaël, confié à
notre service pour une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve,
le magistrat a ordonné une obligation de soins. Le mineur et sa mère ont répondu présents
à la convocation de l’éducateur. Durant toute la durée de l’entretien, ils ont montré la
difficulté posée par la contrainte judiciaire, marquée ici par des obligations strictes dues au
cadre de la justice. Pour chaque obligation énoncée, leur réponse était du style « certes il y
a l’obligation, mais… ».
La réponse à la contrainte de la décision judiciaire peut alors aussi se faire de manière plus
méfiante, avec des parents qui vont se présenter devant le professionnel et poser leurs
38
conditions, en sachant très bien qu’ils sont tenus par la décision de justice.
Guy HARDY, dans S’il te plait ne m’aide pas !, explique que :
« Théoriquement, et bien que nous soyons conscients des différences profondes de
contextes, l’injonction administrative ou judiciaire d’aide […] comporte toutes les
caractéristiques des injonctions paradoxales qui alimentent les situations de double lien.
Visant en effet un changement que la personne ne peut produire que sur base d’une
décision volontaire, elle laisse transparaitre, à un niveau implicite, une injonction qui se
résume comme suit : « Je veux que tu changes mais tu ne te changeras que si tu le veux,
donc je veux que tu veuilles te changer ». Comme l’aide qui pourrait mener à ce
changement nécessite tout autant d’être voulue, l’injonction se compléterait de la sorte :
« Je veux que tu veuilles te changer et pour cela, je veux que tu veuilles de l’aide ». ».32
Ce passage de l’ouvrage d’HARDY traduit des situations que l’on rencontre au quotidien
de notre expérience d’éducateur. Pour tenter de faire face à ce paradoxe de l’injonction, le
professionnel doit tout mettre en œuvre dans sa prise en charge, afin de recueillir
l’adhésion du jeune et de ses parents. Si l’éducateur ne réussit pas à recueillir cette
adhésion, il risque de se retrouver face à une situation de refus ou de repli, ou à une
adhésion « stratégique ».
La position de refus, de la part des personnes objets de l’injonction, a de grandes chances
de conduire à l’effet inverse de celui souhaité au départ.
L’adhésion « stratégique » consiste pour les personnes prises en charge à « jouer le jeu » et
faire croire qu’elles adhèrent à l’accompagnement proposé, afin d’être tranquilles. Par
exemple, dans le cadre d’une prise en charge d’un sursis avec mise à l’épreuve assorti
d’une obligation de soins, il suffit au condamné de présenter un justificatif de présence
dans un lieu de soins. Il adhère, à la prise en charge proposée, mais s’il le souhaite,
l’intéressé n’investit pas les soins.
Pour Madame B., éducatrice en milieu ouvert, lors d’un entretien, « l’adhésion fictive,
c’est très compliqué, plus compliqué qu’un parent qui n’adhère pas du tout, puisque c’est
lisse, on n’arrive pas à tisser quelque chose »33.
32
33
HARDY Guy, Op. Cit.2012, p.30
Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ, Op. Cit.
39
Dans le cadre de notre intervention, nous allons donc tout faire pour nous approcher au
maximum d’une adhésion effective du mineur, mais également de ses parents.
1.2 La relation éducative
Avant même la recherche de l’adhésion, un évènement important se produit, il s’agit de la
création de la relation éducative, tant avec les parents qu’avec le jeune.
Cette relation éducative, il faut l’élaborer, la maintenir, l’évaluer et l’enrichir pour tendre le
plus possible à réduire la fragilité du sujet.
Jean ROUZEL, propose une approche singulière de l’action éducative, partant de la
psychanalyse, laquelle fonde sa pratique sur la relation et la parole :
« Si la relation engagée par un éducateur avec une personne en souffrance obéit aux
aléas de toute relation humaine, cette rencontre singulière prend, en revanche, une toute
autre dimension qu’une relation d’amitié ou de camaraderie. D’une part, elle prend en
compte la demande singulière des personnes. D’autre part, elle s’inscrit dans un projet,
obéit à une mission, est garantie et contrôlée par une institution, étant elle-même sous la
tutelle d’un organisme d’état ou d’une collectivité locale […]. Du coup, la relation
éducative est au service de ces différents niveaux d’objectifs […]. La relation éducative
est le moyen d’agir dans le sens d’un changement des personnes en vue d’une meilleure
insertion pour elles dans la communauté des citoyens. »34
ROUZEL nous rappelle que l’action de l’éducateur intervient dans un cadre bien définit, et
que la rencontre avec les familles s’opère dans un but précis, ordonné par l’institution (le
magistrat dans notre cas).
Madame M., assistante sociale à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, à la question :
comment entre-t-elle en relation avec les familles ? me répond :
« Moi, je ne suis pas juge, je suis là pour comprendre avec eux, j’insiste sur le mot avec,
34
Joseph ROUZEL, Le travail d’éducateur spécialisé, DUNOD, 2000, page 10.
40
pas sur eux, mais avec, c’est toute la nuance et c’est très différent ».35
Il s’agit dans cette démarche de se mettre dans une position d’écoute et de respect.
J’attache, en tant qu’éducateur, une grande importance au premier entretien, qui est le point
de départ de la relation éducative. J’essaie dès le départ de recueillir l’adhésion à la
mesure, ou au minimum de tout mettre en œuvre pour recevoir la confiance des personnes
que je vais accompagner. Une grande importance est alors portée sur la notion de respect
des personnes. Il est nécessaire de se positionner de telle sorte que les parents n’aient pas
l’impression d’être jugés ou montrés du doigt. Un temps doit être prévu pour leur expliquer
la manière dont nous souhaitons travailler avec eux, et leur permettre de comprendre qu’ils
vont être les acteurs principaux de la prise en charge de leur enfant.
La mère du jeune Mickaël, suivi dans le cadre d’une peine d’emprisonnement assortie d’un
sursis avec mise à l’épreuve, est une personne présentant un passé institutionnel, avec les
services de l’aide sociale à l’enfance, très conflictuel. Elle a mis en place des relations
d’opposition et de tension fortes avec la quasi-totalité des travailleurs sociaux qu’elle a pu
rencontrer. Ces relations aboutissent dans la plupart des cas à une rupture, pouvant être
violente et induire l’intervention des magistrats.
Lors du premier entretien, dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, j’ai ressenti une
grande méfiance de la part de cette maman, confrontée à un éducateur de plus. Dès le
départ, il a été important de pouvoir trouver des « outils », afin de détendre l’atmosphère et
de pouvoir mettre en place des axes de travail pour faire progresser son fils. Je me suis
refusé lors de ce premier entretien de lui parler de son passé institutionnel. Lors de ce
premier rendez-vous, j’ai essayé d’entrer en relation, de créer quelque chose, avec cette
mère et ce jeune. La première chose que j’ai souhaité exposer est l’importance de sa
présence dans la prise en charge de son fils. Je lui ai fait comprendre que je ne pourrais rien
faire sans elle.
Après quelques entretiens, cette femme m’a confié que pour le moment, selon elle, « tout
se passe bien dans la prise en charge ». Il lui est important de ne pas se sentir jugée, mais
au contraire de se sentir respectée dans son histoire de vie personnelle. Pour l’anecdote,
elle m’a dit qu’elle s’était « jurée de ne plus jamais raconter son histoire de vie » et
35
Madame M., assistante sociale à la PJJ, Op. Cit.
41
pourtant elle a accepté sur plusieurs entretiens de le faire une dernière fois avec moi, en
disant « avec vous, ce n’est pas pareil, vous êtes respectueux de ce que je suis ».
Si j’ai choisi de citer cet exemple, c’est pour conforter l’idée selon laquelle, il est important
pour l’éducateur de ne pas enfermer les personnes dans des cases. Il faut, autant que faire
ce peu, essayer de résister aux représentations, notamment concernant les parents. Il
semble qu’il n’y ait pas de bons ni de mauvais parents.
Il parait nécessaire de partir de ce postulat lorsqu’il s’agit d’engager un travail avec les
familles. Il est alors plus simple de travailler avec les ressources des personnes, leurs
capacités, leurs potentiels, plutôt qu’avec les représentations que le professionnel peut
avoir les concernant.
Pour terminer sur la relation éducative, je rejoins dans sa réflexion Madame B., éducatrice
à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, dans l’entretien accordé lorsqu’elle me
dit : « C’est à nous de leur expliquer le sens, et pourquoi le magistrat a décidé un
accompagnement »36. Lors des premiers entretiens, il est important de poser et d’expliquer
le cadre dans lequel l’éducateur intervient, les obligations imposées par le magistrat et de
définir avec le jeune et ses parents les objectifs de la mesure.
Il s’agit d’être clair et honnête avec les familles, ne pas leur mentir même si ce qui doit leur
être énoncé, n’est pas simple à entendre pour elles. Cette position contribue à l’instauration
de la confiance entre les différents acteurs.
2. Une adhésion pour accompagner
La contrainte judiciaire reste une obligation qui vient entraver la liberté des personnes.
Elles n’ont par principe pas le choix de s’y soustraire, puisqu’il s’agit d’une intervention de
justice.
La contrainte judiciaire, en ce qui nous concerne, est également une aide imposée par le
magistrat au jeune et à sa famille. Cette aide sera, dans la majeur partie des situations un
accompagnement pour évoluer, afin d’éviter la récidive. Pour accompagner le mineur, il
36
Madame B., éducatrice à la PJJ, op. cit.
42
faut accompagner ses parents pour les renforcer dans leur parentalité, et donc s’interroger
sur les motivations d’un tel accompagnement (2.1), puis sur la nécessité de l’adhésion à
une telle prise en charge (2.2).
2.1. Pourquoi accompagner les parents ?
Un accompagnement de mineurs ne peut se faire sans un soutien aux parents.
Madame M., assistante sociale à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, lors de notre
rencontre dit ceci : « (le travail avec les parents quand on prend un jeune en charge) c’est
fondamental ! Alors là, je ne vois pas comment on peut ne pas travailler avec les
parents. »37.
Madame B., éducatrice en milieu ouvert, pour sa part explique:
« Ils (les parents) doivent aussi être accompagnés pour être parents. Je pense que quand
les parents vont mieux, les enfants vont mieux aussi, donc très souvent c’est aussi les
choses en parallèles, soit parce qu’il y a reproduction de l’histoire familiale, où parce
que des parents ne vont pas bien et ça se ressent dans toute l’histoire familiale, ou parce
que des parents ne vont pas bien et ça se ressent dans l’environnement familial et du coup
un jeune adolescent ne se sent pas sécurisé dans cette sphère familiale et c’est
fondamental. Et puis c’est aussi leur accorder l’importance qu’ils ont de leur place de
parents et remettre ce qui est de leur rôle et de leurs compétences aussi. »38
Dans la situation du jeune Joakim, suivi par l’unité éducative de milieu ouvert, dans le
cadre d’une mesure de Liberté Surveillée Présentencielle, le mineur est placé dans un lieu
de vie du sud de la France, afin de permettre à la fois un éloignement du quartier dans
lequel il vit pour limiter la tentative d’actes de délinquance, mais également pour l’éloigner
de sa cellule familiale qui pour le moment ne semble pas en mesure de fournir un cadre
sécurisant et contenant pour ce mineur en difficulté.
Le jeune éprouve une grande loyauté à l’égard de ses parents. Il ne supporte pas la remise
en cause de la manière dont ils peuvent s’occuper de lui. Jusqu’à présent, ses parents ont le
37
38
Madame M., assistante sociale à la PJJ, Op. Cit.
Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ, Op. Cit.
43
sentiment d’être jugés et disqualifiés par les services sociaux. Il est apparu nécessaire aux
éducateurs, en charge de cette mesure, d’accompagner le couple parental, pour en quelque
sorte les « requalifier » en tant que parents dans le parcours de leur fils.
Si nous voulions que Joakim accepte le placement et investisse ce suivi, afin de se
construire dans un projet personnel, il était indispensable de travailler avec ses parents.
L’accompagnement de ces derniers était primordial, dans la mesure où ils avaient assimilé
cette disqualification et s’étaient totalement désengagés du suivi éducatif de leur fils.
Nous sommes face à un accompagnement à la parentalité pour redonner aux parents leur
place dans le système familial. Souvent cet accompagnement consiste à leur permettre
d’utiliser leurs ressources et leurs capacités propres. Nous allons essayer, avec eux, de
délimiter leurs champs de compétences et leurs possibilités pour assumer leur fonction
parentale.
L’accompagnement des parents consiste à les aider à se resituer dans leur rôle, les remettre
dans une place parentale à l’encontre de leur enfant. Si les parents se sentent investis de
cette fonction, il est possible qu’ils acceptent plus volontiers d’en assumer la
responsabilité, notamment à l’égard de leur fils ou de leur fille. Le mineur pourra alors plus
facilement reconnaitre leur légitimité.
Dans la notion d’accompagnement réside l’idée de « faire-avec les parents » et de ne pas
« faire à leur place ». Pour permettre au jeune, concerné par la mesure de justice, d’être
réellement accompagné dans son évolution, il a besoin de la reconnaissance de ceux qui
assurent son éducation. Si l’éducateur fait à la place des parents, le mineur ne reconnaitra
pas ces derniers comme « auteurs » de son éducation, alors que si le professionnel fait avec
les parents, les accompagne, le regard du jeune peut être différent à leur égard.
Cet accompagnement ne semble possible et opérant que si les parents du jeune l’acceptent.
2.2. Tendre vers l’adhésion des parents à une aide
imposée
Michel BOUTANQUI, dans l’article « Pratiques de la relation d’aide » dit que « les
44
notions de bonne relation, d’adhésion à l’intervention influencent le regard porté sur
l’objet et le pronostic d’avenir »39. Autrement dit, pour que les parents (dans notre cas),
portent un regard positif sur l’accompagnement que nous leur proposons, ainsi que sur la
potentialité d’un apport pour eux, il est important que leur relation avec l’éducateur soit
bonne et qu’ils adhèrent à l’intervention.
Cette adhésion n’est pas seulement le simple fait de l’accord des parents à la prise en
charge. Elle doit bel et bien être recueillie par le professionnel, et c’est donc lui qui doit
mettre en œuvre les pratiques d’un tel recueil.
Dans la situation du jeune Joakim, déjà évoqué, son père et sa mère présentent des
difficultés avec les services de l’Aide Sociale à l’Enfance. Si les éducateurs de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse attendent une adhésion spontanée de la part de cette
famille, il y a de fortes chances qu’elle n’arrive jamais.
L’important est d’évaluer rapidement les parents, afin de les connaitre, de les percevoir en
tant qu’individus singuliers, et de comprendre leur itinéraire.
La démarche mise en place consistera, dans un premier temps à permettre à ses parents de
reconnaitre les éducateurs en tant que professionnels, et d’être identifiés en tant que tels.
Une fois cette reconnaissance acquise dans le savoir-être et le savoir-faire, les parents
cernent les apports que nous pouvons leur fournir. Dès à présent, il est possible d’envisager
la construction d’un projet pour leur fils, auquel ils prennent part et dans lequel ils
s’investissent.
Michel BOUTANQUOI, dans son article expose le fait que :
« La mise en œuvre d’une relation d’aide repose donc fondamentalement et de manière
prédominante sur la possibilité pour le travailleur social d’un renforcement, et au moins
sur la possibilité d’exercer son art, l’art de la relation. […] Cela transite non seulement
par l’adhésion mais également par la demande, par la relation positive qui autorise la
tolérance. Parce que l’autre me reconnaît dans ce que je peux lui donner, dans ce que je
39
Michel BOUTANQUOI. « Pratiques de la relation d'aide », Connexions 2/2001 (no76), p. 159
45
suis, dans ce que je veux être, alors quelque chose entre nous devient possible. »40.
Il semble nécessaire, pour créer l’adhésion à la relation d’aide, que l’éducateur soit
reconnu dans ses compétences, ses capacités et ce qu’il est en tant que personne. Cette
reconnaissance va alors permettre un travail en coopération.
Pour permettre à des parents d’adhérer à la prise en charge voulue par le magistrat, le
positionnement et la posture du professionnel vont jouer un rôle décisif.
« Ce champ du possible renvoie expressément, pour Michel BOUTANQUOI, à la mise en
scène d’un soi comme outil, un soi professionnel accomplissant le vœu d’aide »41.
Dans la situation de Joakim, il s’est produit pour les parents la construction d’une relation
positive entre eux et les éducateurs. Cette relation s’est construite du moment où ces
derniers ont mobilisé leurs ressources personnelles et professionnelles.
Dans l’expérimentation mise en place dans le cadre de ce travail de recherche, consistant
en la création d’un groupe « débat de parents », les parents participants adhèrent
pleinement à l’initiative.
Lors des entretiens individuels préalables aux ateliers collectifs, l’objectif des
professionnels est de s’assurer de cette adhésion, ou alors de tenter de la recueillir. Ils ont
adopté une posture rassurante pour les parents, en faisant preuve d’empathie et de non
jugement à l’égard de ce que leurs enfants ont pu commettre comme acte.
Le postulat de travail est de leur proposer un espace au sein duquel ils seraient reconnus
comme parents et non comme parents d’enfants délinquants. Cette reconnaissance est un
axe majeur de leur acceptation à participer aux ateliers proposés.
Pour conclure sur ce point, je citerai Madame M., assistante sociale à la PJJ, qui dit dans
l’entretien accordé : « Il faut vérifier si nous, en premier lieu, dans notre premier contact,
on ne s’est pas planté, et aller voir les gens là où ils sont. »42.
40
41
Michel BOUTANQUOI, Ibid. p.163
Michel BOUTANQUOI, Ibid. p.165
42
Madame M., assistante sociale à la PJJ, Op. Cit.
46
En quelque sorte, la possibilité de l’adhésion des parents à une aide imposée semble
principalement relever de l’approche du professionnel intervenant. Il est sans doute plus
simple pour un parent d’adhérer à une aide contrainte, en étant reconnu en tant que parent
sans être jugé pour les actes de son enfant.
B. Restauration ou renfort du lien des parents vers l’enfant
L’intervention des professionnels, auprès des parents de mineurs acteurs d’un acte de
délinquance, a pour objectif premier de renforcer ces derniers dans les relations avec leur
enfant. Il est souvent indiqué par les éducateurs que si les parents vont mieux, les enfants
iront mieux. L’autorité parentale, remet également aux parents la responsabilité de la prise
en charge de leur enfant, en ce sens, la direction du lien doit bien se faire du parent vers
l’enfant.
Pour restaurer ou renforcer ce lien, souvent rompu ou fragilisé avec les familles
rencontrées à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, des outils peuvent être utilisés. La
parentalité sera alors soutenue, des actions d’aide sont proposées à des parents pour leur
permettre de retrouver une place au sein de la cellule familiale.
L’action de l’éducateur est comparable à la prescription de béquilles pour une personne
présentant des difficultés motrices. Ici, l’éducateur sera la béquille de parents qui ont des
difficultés pour avancer dans leur parentalité. D’abord, le professionnel va agir sur la
parentalité et ses composantes (1), puis il va accompagner les parents dans le but de
pouvoir « se retirer » (2).
1. La parentalité à l’épreuve du terrain
Les parents des jeunes pris en charge, à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, sont très
souvent en prise avec leur parentalité. Ils l’expriment différemment, soit ils peuvent être
dans le déni total et refuser l’idée qu’ils sont en difficulté, soit ils sont totalement paniqués,
démunis et totalement dévalorisés dans leurs compétences parentales.
Nous allons confronter à notre expérience de terrain les trois axes déclinant la parentalité,
47
selon Didier HOUZEL, dans son ouvrage, Les enjeux de la parentalité43 : l’exercice (1.1),
l’expérience (1.2) et la pratique (1.3) de la parentalité.
1.1. L’exercice de la parentalité
HOUZEL définit ainsi l’exercice de la parentalité dans son ouvrage :
« L’exercice de la parentalité a trait aux droits et devoirs qui sont attachés aux fonctions
parentales, à la place qui est donnée dans l’organisation du groupe social à chacun des
protagonistes, enfant, père et mère, dans un ensemble organisé et notamment, dans une
filiation et une généalogie. L’exercice de la parentalité inclut l’autorité parentale, mais
ne se résume pas à elle. »44
Lorsque le juge confie un mineur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, il souhaite que
l’on travaille avec les parents afin de les responsabiliser dans leur autorité parentale et le
leur permettre de l’exercer. La décision judiciaire, indirectement, nous demande de rétablir
cet exercice de la parentalité.
L’ensemble des parents participant au projet d’accompagnement à la parentalité de mon
expérimentation sont concernés par des doutes concernant leur exercice de la parentalité.
Les six, à un moment ou à un autre, sont remis en cause, par la justice, dans leur exercice
de l’autorité parentale.
Cette remise en cause est directe, dans le cas d’une mère dont le fils a été placé, dans un
cadre civil, par le juge des enfants. Ce placement est intervenu pour protéger un mineur
contre lui-même et permettre à ses parents d’occuper leur place.
A partir du moment où le juge des enfants demande l’intervention des éducateurs,
l’exercice de la parentalité est en défaut. Même si au pénal, les parents n’ont pas commis
l’acte délinquant, la justice les oblige dans la surveillance et l’éducation de leur enfant.
L’exercice de la parentalité peut interroger, les pères et mères, personnellement. Ils
reconnaissent être en difficulté et sollicitent de l’aide. Ils expriment le besoin de connaître
43
44
HOUZEL, Didier. Les enjeux de la parentalité. 1999
HOUZEL, Didier, Ibid. 1999, p. 115
48
leurs droits et leurs devoirs pour l’éducation de leur enfant. Dans le groupe de parole de
notre expérimentation, plusieurs mères ont interrogé les intervenants en ce sens.
Les parents semblent avoir besoin, dans ce groupe expérimental, des informations légales
quelques fois pour se sentir confortés dans l’exercice de leur parentalité ou pour prendre
conscience de leur défaillance.
1.2 L’expérience de la parentalité
Dans Les enjeux de la parentalité, Didier HOUZEL entend par expérience de la
parentalité :
« L’expérience subjective de ceux qui sont chargés des fonctions parentales. C’est le
niveau d’analyse qui correspond à l’expérience affective et imaginaire de tout individu
impliqué dans un processus de parentification. Les ramifications de cette expérience sont
très nombreuses et impliquent des mécanismes psychiques conscients, mais aussi
inconscients. […]C’est aussi là que se joue la relation affective et imaginaire de chaque
parent avec son enfant, qui implique des confrontations complexes entre plusieurs
niveaux de représentations : enfant fantasmatique, enfant imaginaire, enfant réel. »45.
Cet axe est celui du ressenti, le fait de se sentir ou non parent d’un enfant. Il implique
l’affectif et l’imaginaire, rend compte des décalages qui peuvent exister entre l’enfant
imaginaire et l’enfant réel.
Nous rencontrons régulièrement des parents qui face aux difficultés avec leurs enfants
n’arrivent plus à se considérer comme parents. Ils ne comprennent pas leurs agissements
délinquants, et sont perturbés car ils ne projetaient pas ce schéma dans le parcours espéré
de la « famille idéale ».
Dans le groupe de parents constituant l’expérimentation d’aide à la parentalité, lors des
échanges, plusieurs évoquent le fait que leur enfant n’a pas grandi comme ils le voulaient.
Certains expriment même un regret dans la mesure où leur enfant n’a pas suivi le même
parcours qu’eux en devenant adolescent. D’autant plus, que s’il avait suivi cette trajectoire,
le mineur leur poserait moins de soucis.
45
HOUZEL, Didier, Ibid. 1999, p. 115
49
L’expérience de la parentalité, selon Alain BOUREGBA, dans son ouvrage Les Troubles
de la parentalité, « équivaut à une étape du développement psychique, et elle implique des
transformations durables dans le rapport à soi et au monde »46.
Si certains parents n’arrivent pas à vivre cette expérience de la parentalité, s’ils n’opèrent
pas les transformations dans le rapport à soi et au monde, il peut s’agir aussi d’un manque
de reconnaissance de leur statut parental, tant de leur entourage (leur conjoint, leur enfant)
que de leur environnement (institutions).
Dans les situations rencontrées pour l’expérimentation, nombreux sont ceux évoquant un
besoin de reconnaissance, ils ont l’impression d’être souvent considérés comme des
personnes coupables des actes de leurs enfants, mais jamais comme des parents
responsables.
Certains de ces parents pourront même dire, que le groupe de parole leur a permis de se
sentir parents et respectés en tant que tel.
1.3 La pratique de la parentalité
Dans son ouvrage, HOUZEL explique le troisième axe de la parentalité ainsi :
« La pratique de la parentalité concerne les tâches effectives, objectivement observables,
qui incombent à chacun des parents : soins à l’enfant, interactions comportementales,
pratiques éducatives, etc. Chaque fois qu’un enfant est séparé de ses parents, ces
pratiques sont déléguées à d’autres adultes »47.
Il s’agit dans ce texte, des actes concrets de la vie quotidienne. La pratique de la parentalité
est de manière générale le fruit de l’histoire et de l’éducation des personnes. Ces dernières
vont engager leurs ressources, leurs capacités, leurs connaissances. Les parents utilisent
aussi l’exemple de leurs propres parents, pour reproduire ou non ce qu’ils ont vécu.
Par définition, la pratique de la parentalité va également être adaptée en fonction de
l’enfant, de sa personnalité.
46
47
BOUREGBA, Alain. Les troubles de la parentalité. 2007, p.28
HOUZEL, Didier, Op. Cit. 1999, p. 116
50
Lors de notre expérimentation, les parents rencontrés pour le groupe de parole sont pour
certains d’entre eux très démunis. Une mère, par exemple, lors de l’entretien individuel
préalable aux séances collectives, a craqué, en disant : « je ne sais plus quoi faire, j’ai tout
essayé, j’appelle au secours partout, aidez-moi ».
D’autres parents, dans le même cadre, sont convaincus de bien faire au quotidien, mais que
le problème vient de leur enfant qui n’accepte pas leur autorité. Au final, une mère s’est
déclarée être autant démunie que la précédente « puisqu’elle n’arrive à rien avec son fils ».
En termes de pratique de la parentalité, il semble qu’il n’y ait pas de positions universelles.
Il n’y a pas une bonne façon de faire avec son enfant, chacun fait selon ses moyens et sa
personnalité. Pour les parents en difficultés, l’important est dans un premier temps de
pouvoir recenser ces ressources afin de les utiliser à bonne escient.
Ces trois axes constituant la parentalité selon HOUZEL, sont indissociables et
interdépendants les uns des autres. Ils s’articulent les uns avec les autres et permettent une
lecture de la parentalité.
2. L’accompagnement éducatif pour restaurer le lien entre
parents et enfant
Afin de permettre aux parents de mettre ou de remettre du lien avec leur enfant, il peut être
nécessaire de les accompagner, en gardant toujours à l’esprit que cet accompagnement doit
avoir un caractère ponctuel. L’objectif est de restaurer un lien assez solide, lui permettant
de perdurer lorsque les parents seront autonomes dans l’éducation de leur enfant.
Nous aborderons d’abord en quoi peut consister l’accompagnement pour les parents (2.1),
puis nous verrons comment remettre ou mettre du lien entre parents et enfant (2.2).
2.1 Quel accompagnement pour les parents ?
Lors des soirées collectives du groupe de parole pour les parents ayant rejoint
l’expérimentation réalisée pour ce mémoire, ces derniers ont spontanément souhaité parler
de leur relation aux services éducatifs. Certains expriment pouvoir très mal vivre cette
51
intervention.
Soit parce que dans un premier temps ils ont le sentiment d’être disqualifiés. Une mère
peut dire : « on nous considère comme des mauvais parents, incapables et les gens veulent
faire à notre place, je suis sa mère quand même ! ».
Soit ils peuvent se sentir abandonnés à eux-mêmes, sans en avoir les ressources, nous
avons pu avoir comme réflexion : « On me dit occupe-toi de ton enfant, c’est bien mais je
fais comment moi, si je demande de l’aide c’est parce que j’y arrive pas et on me dit que
j’ai qu’à faire comme je peux ».
Dans son article Coopération, coéducation entre parents et professionnels de la protection
de l’enfance, dans la revue Vie Sociale, Catherine SELLENET48relève que « Saül KARSZ
distingue trois formes d’interactions possibles entre les parents et les professionnels »49.
Nous reprendrons ces trois formes, en les illustrant avec des exemples concrets évoqués
par les parents participants à l’expérimentation « débat de parents », réalisée dans le cadre
de ce mémoire.

Travailler pour les familles (charité) :
SELLENET, dans son article, décrit le travail pour les familles ainsi :
« C’est globalement faire à leur place. […] Travailler pour les familles c’est les
remplacer, même si elles ne le souhaitent pas. […] Travailler pour les familles, c’est aussi
dire ce qui convient le mieux pour les enfants, imposer des choix, des goûts, même si
ceux-ci entrent en contradiction avec les attentes des intéressés. […] Le travail pour les
familles se préoccupe peu des désirs et des oppositions des usagers, le travail pour les
familles sait ce qui est bon pour elles, à quels besoins il faut répondre et comment. Le
travail « pour les familles » fait à la place de, définit le bon et le bien, en extériorité des
bénéficiaires. »50
48
Professeur d’université en sciences de l’éducation, chercheur au Labécd (Laboratoire de psychologie
éducation cognition développement), université de Nantes.
49
SELLENET Catherine. « Coopération, coéducation entre parents et professionnels de la protection de
l’enfance ». Vie Sociale, 2008, n°2, p.17
50
SELLENET Catherine. Ibid. p.18
52
Lors des séances collectives organisées pour notre expérimentation, des parents peuvent
exprimer ce sentiment de disqualification, d’être considérés comme des mauvais parents
dans la mesure où l’éducateur fait à leur place.
Une mère, un peu agacée, dit par exemple : « D’accord le juge m’oblige à accepter
l’intervention d’un éducateur, mais ce n’est pas pour ça que je ne suis pas une bonne
mère. Je suis encore capable de choisir l’heure à laquelle mon fils doit se lever le matin.
L’éducateur venait des fois le matin pour lever mon fils, j’avais l’impression de ne plus
exister. C’est quand même pas à lui de faire ça, je suis encore sa mère quand même. »
Cet agacement de cette mère est partagé par d’autres parents présents. Il semble important
pour ces personnes de pouvoir continuer à exercer leur rôle de parents, même s’ils sont en
grande difficulté avec leur enfant.
L’intervention de l’éducateur qui « travaille pour » les parents est orientée fortement par
les représentations, les modèles et les références idéologiques de ce dernier. Une telle
intervention intervient de fait sans prendre en compte les données des personnes
accompagnées.
Nous avons retrouvé cet aspect des choses dans le discours d’un père inscrit dans le groupe
de l’expérimentation, lorsqu’il dit :
« Mon fils, je l’autorise à sortir jusqu’à 23h le soir, l’éducatrice dit que c’est trop
tard, qu’un adolescent doit être rentré à 20h à la maison. Elle me dit que mon fils
est en danger à cette heure-là dehors, mais elle est là elle pour voir si c’est
dangereux, je sais mieux qu’elle. De toute façon, ce n’est pas elle qui va décider à
ma place, mon gamin s’il veut rentrer à 23h, c’est moi qui lui dit oui ou non. »
On remarque aussi bien souvent, un certain blocage de la part des parents lorsque
l’éducateur veut faire à leur place. Nous pouvons imaginer que ce genre de situation
entraîne des relations difficiles entre les professionnels et les parents.
On peut également rencontrer des situations à l’opposé où les parents vont laisser
l’éducateur faire à leur place, et ne pas s’investir, ils acceptent la disqualification. Cette
position pose le danger d’éloigner les parents de l’enfant, et il est très difficile pour eux
53
ensuite de reprendre la main lorsque l’éducateur se retire de la situation.
Pour terminer sur ce point, citons Catherine SELLENET, dans l’un de ses articles sur
l’éducateur:
« Attention donc de ne pas nous substituer de façon trop massive à des familles qui ont
encore les ressources nécessaires pour se positionner. »51

Travailler sur les familles, suppose un changement de position (prise en
charge)
SELLENET évoque aussi le travail sur les familles:
« Cette fois les familles sont prises en charge, on suppose qu’elles ont des demandes,
qu’elles font des appels, qu’elles sont prises au piège de fonctionnements qu’elles ne
maîtrisent pas. Dans la prise en charge il va s’agir de « travailler sur » des
problématiques qui sont censées poser problèmes, pas seulement à la société mais aux
intéressés eux-mêmes. […] on considère les familles comme une « cible thérapeutique
inavouée ». Il s’agit, non plus de faire à leur place, mais de faire en sorte que ces familles
se rapprochent du modèle proposé. […] il s’agit de guider le parent pour qu’il parvienne
à bon port, là où il est censé à peu près aboutir, autant que possible de son plein gré. […]
Le travail sur les familles élabore pour eux un projet censé leur correspondre, et si cela
ne marche pas on parlera des résistances des parents, de leur immobilisme, de leurs
positions ancrées d’assistés… »52
Il s’agit de réussir à mettre en place un projet pour les parents et ensuite de faire en sorte
qu’ils l’utilisent pour progresser. Il faut faire en sorte d’accompagner les parents pour
qu’ils acceptent de mettre en place le projet proposé. On va prendre en compte les
problématiques de la famille pour élaborer ce projet. Cependant, en cas d’échec, la faute en
incombera à la famille, il sera considéré comme la responsabilité des parents n’ayant pas
investi le projet.
Nous avons rencontré des parents pour lesquels un tel échec est parvenu, dans le travail
51
52
SELLENET Catherine, Ibid. p.19
SELLENET Catherine, Ibid. p.19
54
expérimental mis en place pour ce mémoire. Nous pouvons citer l’exemple de cette mère,
qui demande de l’aide, n’y arrivant plus avec son fils. Le travail mis en place avec les
services sociaux n’a pas abouti aux résultats escomptés.
La première question posée par cette mère est : « Est-ce que c’est de ma faute si mon fils
fait des bêtises ? J’ai l’impression que comme rien n’a marché, c’est de ma faute… ».
Cet échec engendre visiblement un sentiment de culpabilité important chez cette mère, qui
se sent montrée du doigt.

Travailler avec les parents, c'est-à-dire passer de la prise en charge à la
prise en compte
Catherine SELLENET explique également la notion de « travail » avec les parents :
« La préposition avec marque un rapport de relations, un accompagnement, une
association. […] Pour travailler avec les parents, il faut renoncer à vouloir trop vite le
bien d’autrui, il ne faut pas considérer qu’ils ont des problèmes à résoudre mais qu’ils
viennent travailler des questions, qu’on va chercher avec eux des voies possibles, mais
que les voies trouvées sont les leurs, pas forcément les nôtres. Dans la prise en charge, on
emmène les parents vers un but préalablement fixé, dans la prise en compte on les
accompagne vers une voie à trouver. Dans le travail avec les familles, l’intervenant doit
se départir d’une position d’expert, refuser d’être celui qui sait, il doit accepter d’être
interpellé sur ses propres repères, ses valeurs, tout ce qu’il véhicule à son insu dans toute
intervention. Pour travailler avec les familles, l’intervenant doit accepter d’être travaillé
par elles, d’être interrogés sur ses principes, ses certitudes, ses savoirs, il doit accepter
de douter, ce qui n’est pas toujours une position confortable et qui met à mal ces fausses
notions que l’on propose en protection bien fragile aux intervenants comme les notions de
« neutralité bienveillante » ou de « bonne distance ». »53
Dans le cadre du groupe de parole réalisé pour l’expérimentation, nous sommes arrivés
avec un support, en l’occurrence une vidéo parlant des relations parents-adolescents de
manière très large.
53
SELLENET Catherine, Ibid. p.20
55
Nous n’avons imposé aucun thème aux participants, ce sont eux qui ont pu apporter ce
qu’ils voulaient. Notre place reposait sur la simple fonction d’animateurs. Les
professionnels présents se sont fixés comme règle-postulat de ne pas prendre position dans
les échanges entre les parents et surtout de ne pas se poser en experts de l’éducation.
Dans les retours des parents à l’issu des deux soirées de débat, la majorité a relevé cette
liberté qui était la leur dans leur propos, ils disent s’être sentis respectés dans leur propos et
dans leur fonction de parents. Une mère pourra dire : « je remercie l’équipe pour son
regard bien veillant ».
Catherine SELLENET l’indique lorsqu’elle écrit, « travailler avec les parents suppose une
nouvelle alliance entre le professionnel et les parents. »54 .
L’accompagnement des parents nécessite d’éviter deux écueils :
 démissionner les parents et se substituer à eux trop fortement et ainsi les amputer de
leurs compétences propres, si minimales soient-elles ;
 obliger les parents à tenir un rôle qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas tenir.
Pour accompagner les parents, il est important de pouvoir évaluer les besoins et les
potentialités des personnes concernées. Cette évaluation permet de définir le mode d’action
adoptable, entre travailler pour, sur ou avec. En fonction de l’éducateur et des parents en
présence, l’une ou/et l’autre des « façons de faire », ou la combinaison de plusieurs,
conviendra plus ou moins.
2.2 Mettre ou remettre du lien entre parents et enfant
Leticia SOLIS-PONTON, dans son ouvrage La parentalité, évoque que :
« La parentalité impliquerait, selon le suffixe ité, la notion d’étude, de connaissance.
Ainsi on pourrait dire que la parentalité est l’étude des liens de parenté et des processus
psychologiques qui en découlent. »55.
Si on considère que la parenté selon le Petit Larousse est « la relation de consanguinité ou
54
55
SELLENET Catherine, Ibid. p.22
SOLIS-PONTON Leticia. La parentalité, défi pour le troisième millénaire.2002, p.24
56
d’alliance qui unit des personnes entre elles »56, la parentalité porterait sur des liens qui
unissent des personnes liées par une relation de consanguinité ou d’alliance.
En ce sens, soutenir et accompagner des parents dans leur parentalité, c’est les
accompagner dans le lien qui les unit à leur enfant.
Ce lien existe toujours, selon Madame M., assistante sociale à la Protection Judiciaire de la
Jeunesse. Interviewée dans le cadre de ma recherche, elle explique:
« Il (le lien) existe quelle que soit la situation. Le problème, c’est que le lien, il peut être
particulièrement carencé, il peut être perturbé, il peut être fagocité par des tas de choses,
il peut être mal construit, mais il y a toujours un lien. Il y a toujours un lien parentsenfant, je crois. […] Nous rencontrons essentiellement des familles où pour le lien, y’a
quelque chose qui a perturbé l’évolution de l’enfant. »57.
Avec l’expérimentation dans le cadre d’un accompagnement à la parentalité, mis en place
en partenariat par la PJJ et une Maison des Adolescents, l’objectif est d’accompagner les
parents dans une parentalité difficile. Lors des entretiens individuels préalables aux soirées
collectives, ils mettent tous en avant des relations difficiles avec leur adolescent.
Une mère peut dire qu’elle souhaiterait que son fils soit placé, parce qu’elle n’en peut plus,
elle ne sait plus « par quel bout le prendre ».
Un père, lui dira que le passage de son fils dans un Centre Educatif Renforcé, a permis de
retrouver son enfant, et de recréer du lien avec lui.
Lors des échanges entre parents, beaucoup disent qu’ils se sont sentis moins seuls. Ils ont
pris conscience du lien entre eux et leur enfant.
Ce qui parait important pour ces parents, réside dans le fait de ne pas se sentir jugés. Une
mère peut dire : « Nous avons pu échanger de notre expérience et de nos impressions de
parents, sans nous sentir jugés, avec une étiquette de mauvaise mère. »
56
57
Dictionnaire LE PETIT LAROUSSE, édition 2005
Madame M., assistante sociale à la PJJ, Op. Cit.
57
Une maman prononce ces paroles: « le fait de rencontrer d’autres parents dans la même
situation m’a énormément rassuré sur moi-même ».
Les thématiques étant laissées à la libre décision des participants, sont tout de suite
orientées vers les liens de ces parents et de leurs adolescents. Certains d’entre eux, en
début de discussion, étaient catégoriques. Ils disaient ouvertement qu’il n’y avait aucun
lien entre eux et leurs enfants. Une mère a même utilisé l’expression de liens rompus, dans
la mesure où elle n’arrive plus à communiquer avec son fils. Au cours de l’échange avec
les autres parents, elle a évolué dans sa perception, pour finir en disant : « mais en fait il y
a du lien entre mon fils et moi, cela passe par des contradictions, de l’opposition, mais
c’est un lien quand même. Il peut être douloureux, mais il existe ». Pour poursuivre avec un
père qui lui répond : « tant qu’il y a cette possibilité d’être en liaison, c’est que rien n’est
perdu ».
Cet échange fort lors des discussions, rappelle les propos de l’assistante sociale.
Ce groupe de parole semble avoir eu comme effet de permettre à des parents de réaliser
qu’ils ne sont pas isolés avec leurs problèmes.
Une mère, lors de l’entretien individuel pour faire le bilan explique: « cela m’a presque
redonné une identité de mère que j’ai perdue quand mon enfant a dérivé ».
L’utilité de ce groupe semble avoir permis à cette mère de se sentir reconnu en tant que
parents.
Les échanges produits au cours de cette expérience, ont essentiellement porté sur la
pratique de la parentalité présentée précédemment. Lorsqu’ils échangent entre eux, les
parents parlent de leur expérience, de ce qu’ils arrivent ou pas à faire avec leur enfant. Il
semble que ce soit important pour eux de partager cette pratique avec d’autres parents.
Pour l’ensemble des participants, c’est la première fois qu’ils ont participé à une telle
expérience. Il s’agit aussi d’une situation inédite au cours de laquelle ils peuvent évoquer
ce qu’ils font de manière personnelle pour avancer avec leur adolescent.
58
Une mère présente pourra dire : « pour une fois on parle de nous, de ce que l’on fait et pas
de ce que nos enfants ont fait ».
Si l’on considère que pour suivre les parents, il faut les accompagner dans leur parentalité,
il faudrait alors étendre cet accompagnement aux trois axes définis par HOUZEL.
Lors de cette expérimentation, l’action des professionnels a abordé avec les parents l’axe
de la pratique de la parentalité. Les parents participants, pour la grande majorité, sont issus
des familles prises en charge par les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse,
l’axe de l’exercice de la parentalité est alors traité dans ce cadre avec les éducateurs du
service
Il est proposé aux parents concernés par le groupe de parole de pouvoir utiliser les services
de la Maison Des Adolescents (MDA), avec notamment l’intervention de psychologues.
Tous les parents ont souhaité poursuivre un travail avec les professionnels de la MDA.
Dans le cadre de cette intervention, c’est l’axe de l’expérience de la parentalité qui sera
abordé.
Cette expérimentation propose donc, dans sa globalité, aux parents concernés de pouvoir
être accompagnés sur divers plans afin d’essayer de remettre du lien avec leur adolescent.
Nous sommes bien dans le cadre d’une intervention avec les parents, pour permettre à leur
adolescent de « changer » et d’évoluer.
Une maman conclut en ces termes lors de son entretien individuel :
« Ces soirées ont déclenché en moi de véritables questions, et surtout, un regard différent
sur le ressentir de mon enfant. Je me rends compte qu’entre nous il y a surtout de
l’incompréhension, je vais essayer de communiquer plus ou différemment avec lui. »
Il semble que le groupe de parole ait réussi à lui faire prendre conscience des choses
pouvant lui permettre de mettre du lien de manière différente avec son adolescent. Cette
expérience a bien eu, pour cette maman, l’objectif recherché, d’agir sur la pratique de sa
parentalité pour restaurer du lien avec son fils.
59
Conclusion
Les parents dont les enfants sont auteurs d’un acte de délinquance, vivent de plus en plus
difficilement cette situation. Ils se sentent culpabilisés pour des faits qu’ils n’ont pas
personnellement commis.
L’intervention de la justice accentue ce sentiment. Dans la mesure où ils sont présents à
chaque moment de la procédure judiciaire. Les autorités judiciaires leur rappellent leurs
obligations dans le cadre de l’autorité parentale. Même si ce sont les mineurs qui sont
concernés, les parents sont rapidement ramenés à leur statut de responsable légal.
L’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, mandaté par le magistrat, a pour
mission l’application de la décision de justice avec le mineur et sa famille. Son rôle va être
de réussir à mobiliser les parents dans la prise en charge du mineur.
Même si les textes obligent le professionnel à travailler avec les parents, à intervenir sur le
milieu familial du mineur, les parents, eux, n’ont aucune obligation d’investir la mesure
mise en place pour leur enfant. Le travail de l’éducateur va donc être très important dans la
recherche de l’adhésion des familles à la mesure de justice.
Cette recherche m’a permis au contact des professionnels de terrain, suite à mes
possibilités d’action, mais aussi grâce aux lectures engagées, de me rendre compte que le
travail avec les familles demande un investissement personnel de l’éducateur. Pour réussir
à travailler avec les parents, il faut en quelque sorte montrer « patte blanche ». Ils ont
besoin de savoir « à qui ils ont à faire », avant de pouvoir entamer une relation de
confiance éventuelle.
Afin de pouvoir travailler avec des familles, l’éducateur doit être reconnu par celles-ci en
tant que professionnel. Cette reconnaissance peut prendre du temps, notamment avec des
parents qui ont déjà un important passif avec les services sociaux.
Si les parents adhèrent, il est alors possible de les accompagner dans leur parentalité. Cet
accompagnement doit permettre de réussir à travailler le lien avec l’enfant.
60
Cette notion de lien est très complexe, parce qu’il semble que le lien existe toujours entre
les parents et les enfants. Seulement, pour de nombreuses familles, il est important de
pouvoir travailler ce lien, qui peut être rompu, distendu ou encore fusionnel.
Lors des réunions du groupe de parole de parents de notre expérimentation, nous avons
rencontré tous ces types relations. Au final, quelle que soit la situation, les parents se
retrouvent sur le fait qu’ils sont en difficulté avec leur enfant. Ces relations sont le fruit de
la manière pour les parents de réaliser les trois axes de la parentalité, selon HOUZEL, que
sont l’exercice, l’expérience et la pratique de la parentalité. Ces trois axes doivent pouvoir
être travaillés avec les parents, car ils sont interdépendants les uns des autres.
Ce travail doit être réalisé en partenariat, parce que la seule PJJ, dans le terrain rural de ma
pré-affectation, ne peut assumer un tel suivi. C’est alors que je saisis l’importance, en tant
que futur éducateur, du travail avec les partenaires, notamment, avec la MDA dans le cas
présent, pour permettre d’ouvrir la réflexion avec les parents. Cette collaboration avec
d’autres services assure la possibilité d’ouvrir un maximum de champs d’action en termes
de parentalité. Elle permet aussi de diriger les parents vers des structures de droit commun
leur permettant de déculpabiliser et de se sortir de ce qu’ils nomment « l’étiquette PJJ ».
Cette recherche m’a permis de prendre conscience de la nécessité du travail avec les
parents, dans le cadre d’une mesure judiciaire engagée à l’encontre de leur enfant. J’ai pu
réfléchir sur l’importance de la posture et du positionnement, du futur éducateur que je
suis, pour entrer en relation éducative avec des parents hostiles. J’ai pu m’interroger aussi
sur la façon dont je voulais entreprendre ce travail avec les parents, qui m’apparait encore
plus important que jamais. Même si les parents peuvent, quelque fois, paraitre hostiles à
notre intervention, la pratique me permet de réaliser que c’est souvent ceux, qui une fois
rassurés sur les objectifs, seront les plus engagés dans le travail réalisé.
L’expérimentation, m’a permis de réaliser l’importance que l’éducateur peut avoir pour
certains parents. L’ensemble des participants à cette expérience, suite aux entretiens bilans,
reconnait l’importance pour eux de pouvoir s’exprimer et de pouvoir échanger sur leur
parentalité. La nécessité d’une reconnaissance en tant que parents d’enfant, avant d’être
reconnu comme coupable d’avoir des enfants délinquants, semble leur avoir permis de
61
prendre du recul sur leur façon de vivre leur parentalité. Certes, il ne s’agit que d’un début,
mais tous ont demandé de pouvoir poursuivre un travail sur leur parentalité en individuel
avec la MDA.
Comment par voie de conséquence un éducateur, de la protection judiciaire de la
jeunesse, comme nous nous le demandions en début de ce mémoire, peut-il
accompagner des parents, non responsables pénalement, pour travailler le lien avec
leur enfant ?
L’hypothèse, alors émise selon laquelle les parents doivent être accompagnés en tant que
responsables de leur enfant pour l’aider à changer (et non en tant que coupables et
responsables de ses actes malveillants) se vérifie.
Les parents sont effectivement responsables civilement pour les actes posés par leur
adolescent, mais à aucun moment la justice ne les reconnait responsables pénalement.
L’accompagnement des parents semble nécessaire pour leur permettre de travailler le lien
avec leur enfant.
62
ANNEXES
63
Annexe 1
PRESENTATION DE L’ENCART METHODOLOGIQUE
Méthodologie de la recherche
a) De la question de départ à la problématique :
Dès la prise en fonction sur mon terrain de stage, j’ai été confronté à la réalité que vivent
les parents d’un mineur ayant accompli un acte délinquant. Concrètement, l’implication
des parents dans la mesure décidée par le juge, apparaissait comme un atout indéniable. La
question de départ était par voie de conséquence :
Comment accompagner les parents à exercer leur parentalité, alors que j’agis dans un
cadre contraint ?
En parallèle, du suivi du mineur auteur d’un acte délinquant, on me demande en effet
d’accompagner des parents dans leur « parentalité » alors qu’ils ne sont eux coupables de
rien.
J’en suis venu par la suite, à conforter cette question de départ en interrogeant la
contradiction fondamentale entre l’obligation faite par la justice aux parents et leur non
responsabilité pénale. Ce paradoxe amène la problématique suivante :
Comment un éducateur, de la protection judiciaire de la jeunesse, peut-il
accompagner des parents, non responsables pénalement, pour travailler le lien avec
leur enfant ?
b) De l’exploration à l’hypothèse :
Lors de la phase d’exploration, tant sur le terrain, que dans mes recherches, j’ai vite dégagé
l’idée que les parents sont bousculés par l’intervention de la justice. Très vite, ils peuvent
se sentir démunis face au passage à l’acte de leur enfant et à la procédure judiciaire.
64
Pour accompagner le mineur dans la mesure ordonnée par le magistrat, il est nécessaire
d’accompagner les parents. Les professionnels disent que si les parents vont mieux, le
jeune ira mieux.
La justice met les parents face à la responsabilité de leur autorité parentale, ils sont
responsable de l’éducation de leur enfant et doivent assumer cette responsabilité. Cet
accompagnement doit donc se faire avec eux, en tentant au maximum de recueillir leur
adhésion à la prise en charge.
L’action conjointe de l’éducateur et des parents accompagnés a pour objectif d’orienter le
jeune vers une meilleure trajectoire.
Afin de répondre à la question problématique, je me suis fixé de vérifier l’hypothèse
suivante :
Les parents doivent être accompagnés en tant que responsables de leur enfant, afin de
l’aider à changer et à grandir. Ils ne doivent pas être accompagnés en tant que
coupables et responsables des actes de leurs enfants.
c) Méthode de recueil et analyse de données :

Méthode de recueil
J’ai tout d’abord choisi la méthode d’observation participante pour débuter mes recherches
et repérer la réalité de l’accompagnement des parents sur mon terrain d’étude.
Ensuite, je me suis rapproché de la théorie sur ce sujet, en lisant de nombreux articles et
quelques ouvrages, afin de confronter mes observations de terrains à la théorie.
J’ai également réalisé trois entretiens avec des professionnels différents en relation avec la
prise en charge des familles et des jeunes à la PJJ. La première est une juge des enfants
pour l’interroger sur l’aspect juridique de la justice des mineurs et de la parentalité. J’ai
interrogé, ensuite une assistante sociale de la PJJ, pour avoir un point de vue expert sur le
travail avec les familles. J’ai enfin interviewé une éducatrice en milieu ouvert à la PJJ,
65
pour avoir son regard de professionnel éducatif sur l’accompagnement à la parentalité en
milieu ouvert à la PJJ. Les trois entretiens ont été enregistrés sur un dictaphone pour être
ensuite retranscrits.

Méthode d’analyse des données :
Une fois les données recueillies, je les ai comparées entre elles. C'est-à-dire que j’ai
confronté la théorie à la pratique et vis-versa. J’ai pu ainsi comparer le prescrit et le réel du
terrain, sur un service éducatif de la PJJ en milieu rural.
d) Hypothèse d’action :
L’exploration, la définition de mon hypothèse à vérifier, et les données recueillies m’ont
permis de mettre en place une action expérimentale engageant un travail avec les parents
pour les accompagner dans leur parentalité.
J’ai mis en place, en collaboration avec la Maison des Adolescents voisine, un groupe de
parole de parents, qui puisse reconnaitre les parents comme responsables de l’éducation
leur enfant, et non responsables de leurs actes.
e) Descriptif de la phase d’expérimentation et évaluation :

Descriptif de l’expérimentation
L’expérimentation proposée se devait d’être utile pour le service dans lequel je suis préaffecté, une Unité Educative de Milieu Ouvert de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Suite à de nombreux échanges avec les professionnels de l’unité, le service tombe d’accord
pour dire que la création d’un groupe de parole, pour les parents des jeunes pris en charge,
serait un outil de travail innovant sur le territoire et certainement utile pour les familles.
Les modalités de mise en place ont été décidées en commun. L’objectif était de permettre
aux parents de s’exprimer sur leur vécu et échanger sur leur expérience.
66
Cette initiative a été mise en place avec la Maison Des Adolescents (MDA), une structure
partenaire de la PJJ.
Cette expérimentation a été l’occasion pour ces familles de pouvoir être reconnus en tant
que parents, de pouvoir aborder leur responsabilité à l’égard de leur enfant.

Evaluation
Dans le temps imparti pour la réalisation de ce mémoire, l’expérimentation a pu être
achevée peu de temps avant la date de rendu de l’écrit. La phase d’évaluation n’est donc
pas encore réalisée. Cependant, le contenu de l’expérimentation est largement utilisé et
analysé dans le cadre de la recherche.
f) Points forts et limites de la méthodologie :
Points forts :
 Cette recherche pose une base pouvant être testée sur d’autres terrains
 l’apport d’une réflexion sur un travail au quotidien, sur mon futur terrain d’action.
Cette réflexion permet d’enrichir ma professionnalité.
Limites :
-
La recherche réalisée n’est pas exhaustive et ne permet d’aborder que certains
aspects de l’accompagnement à la parentalité.
-
La méthodologie utilisée ne prend en compte que mon terrain d’action et ne permet
pas de généralisation autre que ce terrain.
67
Pour des raisons techniques et de longueur de des entretiens (annexes 2, 3 et 4), j’ai
sélectionné les extraits de ceux-ci qui me sont apparus comme les plus importants et les
plus en lien avec notre sujet.
Annexe 2
Entretien avec Madame C., juge des enfants
Yannick BALLET : Dans un premier temps, je vais vous poser quelques questions sur
votre travail de magistrat. Depuis combien de temps êtes-vous magistrat ?
Madame C.: Je suis entrée en fonction en septembre 2004, pour mon premier poste j’étais
Juge d’Application des Peines à AUXERRE, pendant 2 ans. Ensuite, j’ai été Juge des Enfants de septembre 2006 à septembre 2010, à MACON, sur un petit cabinet de juge des
enfants, donc je faisais beaucoup d’autres choses au sein du tribunal. Et puis ensuite, j’ai
fait 2 ans d’instruction à LIMOGES, de 2012 à 2012. Et je suis arrivée ici, à GUERET, en
septembre 2012.
Y.B : Est-ce que vous attendez que l’éducateur travaille avec les parents, nécessairement ?
MADAME C. : Ben à la fois ça tombe sous le sens, parce qu’on part du principe que votre
intervention est ponctuelle, donc elle doit recadrer un certain nombre de choses et elle doit
aussi trouver des relais jusqu’au moment où elle va s’arrêter. Donc, naturellement, on se
retourne vers les parents pour essayer de comprendre à un moment donné pourquoi il y a
eu un acte posé.
Y.B : Au niveau du pouvoir du juge, comment situez-vous la position et la place du juge
des enfants dans la relation parents-enfant, quand vous les recevez dans votre cabinet ?
MADAME C. : Au civil, je regrette souvent de ne pas être le juge des parents, parce que
finalement c’est à eux qu’on s’adresse, c’est à eux qu’on demande de modifier un certain
nombre de choses, pour qu’il y ait une protection de l’enfant.
Au plan pénal, je m’adresse naturellement beaucoup plus au mineur, qu’aux parents. Et
après, tout dépend de la problématique du mineur.
[…]Autant je peux malmener les parents sur le plan civil, autant au pénal, je vais plus m’en
servir comme d’un tremplin, d’un relais, d’une aide à la compréhension.
68
Y.B : Pensez-vous représenter un certain pouvoir sur eux, pensez-vous avoir du pouvoir
sur les parents ?
MADAME C. : Il y a une chose que je ne vous ai pas dite concernant mon parcours, je
n’ai jamais gérer un cabinet en tant que juge des enfants avec un gros secteur délinquant.
Donc les réponses que je vous donne sont orientées par cela.
Dans ce que je vois, très souvent les gamins sont morts de trouille quand ils arrivent dans
mon bureau et les parents sont très honteux. Parce que la mise en avant du parcours des
délinquants, est l’opprobre jeté sur la famille. Et souvent les parents le vivent comme ça.
Soit ils sont dans l’incompréhension et complètement désemparés, parce qu’ils n’auraient
jamais pu imaginer que leur gamin fasse ça. Soit ils sont vraiment beaucoup dans la honte.
Y.B : Pensez-vous que les parents comprennent toujours le sens de vos décisions ?
MADAME C. : J’essaie de leur expliquer ce que cela veut dire, quel sens il y a, s’il y a
une mesure présentencielle ou si dans le cadre de la condamnation, il va y avoir un suivi
avec la PJJ, j’essaie de leur expliquer ce qui va se passer, mais ça reste sur un temps relativement court où on vient d’annoncer quelque chose.
Y.B : Prenez-vous en compte ce domaine de la parentalité dans vos décisions ?
MADAME C. : Evidemment, et d’ailleurs, tout ce qui est fait en amont de la première
audience, et notamment le RRSE, est une aide évidente. C'est-à-dire que si l’avis éducatif
me dit qu’il y a un cadre familial contenant, que tout va bien, qu’il n’y a pas de questions
d’inquiétudes … Je ne vais pas forcément ordonner une mesure éducative, y’aura une réponse point. Si on me dit que ça a été l’occasion d’aborder un certain nombre de chose ou
pour l’éducateur, même sur un entretien court de se rendre compte de… Forcément le positionnement des parents, je vais le prendre en lien, je vais faire un ensemble de l’infraction
en tant que telle, le cadre dans lequel elle a été commise, dans quelles circonstances, la
personnalité du mineur du peu que je le connais, est ce que c’est la première fois que je le
vois et puis du positionnement éducatif des parents. En fonction de ça je vais essayer
d’adapter ce qui me semble être la meilleure réponse.
Y.B : Dans votre rôle de magistrat vous devez décider en fonction de l’intérêt supérieur de
l’enfant, on demande aussi d’essayer au maximum de laisser l’enfant au sein de sa famille.
N’êtes-vous pas des fois prise entre les deux ?
69
MADAME C. : Oui, oui, oui… Je ne peux que confirmer. […]Evidemment, l’intérêt de
l’enfant doit nous conduire tous, mais après, concrètement, j’essaie de faire la part des
choses pour que mon intervention soit commandée par le constat d’une situation de danger.
Y.B : On entend souvent parler de parents démissionnaires, de parents défaillants. Comment travaillez-vous dans ces conditions, avec ce type de parents ? Quel est votre champ
d’action pour tenter de les remobiliser ou les obliger à se remobiliser ?
MADAME C. : Je n’oblige à rien. Les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent. Moi, je
constate et du coup, après j’ordonne la décision qui me semble être utile.
Moi je constate, c'est-à-dire que les gens ont toujours la possibilité d’exister en tant que
parents, d’exercer leur autorité parentale, puisqu’une mesure de placement, une mesure
éducative ou une sanction éducative ne leur ôtent pas l’autorité parentale. Ils ont donc toujours la possibilité de l’exercer, ça leur est dit, c’est repris par les équipes éducatives, si
après y’a un constat de démission ou de complète passivité, moi j’estime que ce n’est pas
ni à moi, ni à vous d’aller leur courir après
Y.B : Sur quel plan peut-on dire que les parents sont responsables pénalement dans les
actes posés par leurs enfants ?
MADAME C. : Ils ne sont pas responsables pénalement des actes posés par leurs enfants.
Sinon, la responsabilité des parents est civile. Elle est civile au niveau financier.
Y.B : Si les parents vous disent, c’est mon enfant qui a agi, ce n’est pas moi, donc ce n’est
pas mon problème ! Comment réagissez-vous ?
MADAME C. : A partir du moment où ils assument la garde quotidienne, l’entretien et
l’éducation de leurs enfants, c’est eux qui sont civilement responsables.
Y.B : Il y a la notion d’adhésion autour de la prise en charge, vous travaillez dessus, vous
ou pas ?
MADAME C. : C’est ce que nous demandent les textes, et ça tombe sous le sens qu’une
mesure comprise et une mesure acceptée est beaucoup plus profitable pour le mineur.
Après on cherche la collaboration, en fait c’est lié, on va expliquer le but de l’intervention,
le but de la réponse pénale, les objectifs pour arriver à une adhésion.
Après l’adhésion, elle peut être de façade, elle peut exister, elle peut ne pas exister, mais
cette problématique est exactement la même qu’a le corps médical, avec l’obligation de
70
soins imposée dans le cadre pénal. Et dans le cadre des suivis de sursis avec mise à
l’épreuve que vous avez, la question se pose aussi.
A partir du moment où il y a intervention de l’autorité judiciaire, il y a de la contrainte.
Après tout est dans la manière de la faire accepter, de la faire comprendre, parce que nous
même on ne comprend pas l’utilité de quelque chose qu’on n’a pas comprise, on ne peut
alors pas le demander aux autres.
Y.B : Considérez-vous, au pénal, que les parents sont des partenaires dans le travail que
vous faites avec les mineurs ?
MADAME C. : Evidemment. Après je leur dit, voilà ce qui s’est passé, voilà la réponse,
voilà ce que l’on peut proposer, bien souvent ça ne sera que ce que vous en ferez.
Quel que soit la peine ou la sanction, la contrainte pour les parents est la contrainte de tout
parent qui assume sa responsabilité de parent.
71
Annexe 3
Entretien avec Madame M., assistante sociale à la PJJ
Yannick BALLET : Mon entretien va porter sur « Comment un éducateur mandaté par la
justice peut-il accompagner des parents pour rétablir du lien avec leur enfant ? ».
MADAME M. : Le lien, il existe, il existe. Il existe quelle que soit la situation, je pense
que le lien existe. Alors le problème, c’est que le lien, il peut être particulièrement carencé,
il peut être perturbé, il peut être fagocité par des tas de choses, il peut être mal construit,
mais il y a toujours un lien. Il y a toujours un lien parents-enfants je crois. Mais nous on
intervient, quand il y a, le terme est à mettre entre guillemets, quelque chose de « pathologique » dans ce lien. C’est là où la justice intervient surtout. Quand il y a maltraitance, il y
a quelque chose qui dans le lien ne fonctionne pas bien, mais le lien existe. La maltraitance, c’est un lien, c’est un lien pathologique, entre les parents et l’enfant, mais c’est un
lien.
Nous rencontrons essentiellement des familles où le lien, y’a quelque chose qui a perturbé
l’évolution de l’enfant, y’a quelque chose au niveau du lien.
Y.B : Comment définiriez-vous le travail d’assistante sociale à la Protection Judiciaire de
la Jeunesse ?
MADAME M. : On a une fiche de poste. Le travail et la place de l’AS est cerné et repéré
et inscrit dans le marbre depuis 2002.
Y.B : Vous êtes assistante sociale à la PJJ depuis combien de temps ?
MADAME M. : 82, ce qui est reconnu dans le travail de l’assistante sociale est jusqu’à
l’année dernière l’intervention dans le cadre de l’enquête sociale. Seule l’assistante sociale
pouvait mener les enquêtes sociales. Ça c’était la spécificité de l’AS, c’était la mesure
d’investigation, et c’est la spécificité depuis 1912, puisque l’enquête sociale a été créée en
même temps que les tribunaux pour enfants. Le paradoxe, c’est qu’elle est supprimée en
2012, 100 ans après.
Y.B : Comment en tant qu’assistante sociale êtes-vous amenée à travailler avec les parents ?
72
MADAME M. : Dans le cadre de la MJIE. Je pars du principe, dans cette institution où
nous travaillons uniquement sur mandat judiciaire, avec des parents qui ont eu uniquement
à faire avec le juge des enfants, qui ont été quelque part symboliquement déjà en partie
disqualifiés. Même si le juge ne les a pas disqualifiés, le fait d’arriver dans le bureau du
juge des enfants, il y a l’idée que à un moment donné c’est eux qui sont condamnés, parce
qu’ils ont mal fait leur travail de parents.
Donc, mon travail avec les parents d’abord c’est d’éviter de les disqualifier plus, de leur
expliquer qu’on est là pour comprendre avec eux, analyser, réfléchir avec eux, sur ce qui
s’est passé, et trouver avec eux des solutions.
Y.B : Donc, est-ce que dans votre travail vous essayez dès le début d’instaurer un certain
climat de confiance avec les parents ?
MADAME M. : Ben oui, bien sûr. Moi je ne suis pas juge, je suis là pour comprendre
avec eux, j’insiste sur le mot avec, pas sur eux, mais avec, c’est toute la nuance et c’est très
différent.
Dans les entretiens, j’évite d’utiliser les formules « il faut » « il faudrait » « vous devriez »… Evitez ce genre de choses. Par contre, j’utilise beaucoup les formules « mais
qu’est-ce que vous pensez » « comment vous imaginez ? » « Comment vous expliquez ? ».
Y.B : Pensez-vous nécessaire, voir même obligatoire, de travailler avec les parents quand
on prend un jeune en charge ?
MADAME M. : C’est fondamentale ! Alors là, je ne vois pas comment on peut ne pas
travailler avec les parents.
D’une part les parents ont l’autorité parentale, donc ils sont en droit de savoir ce que leur
enfant fait, avec qui et comment. Même s’ils sont maltraitants, c’est l’autorité parentale,
c’est nous qui ne respecterions pas la loi si on fait sans les parents, on serait hors la loi.
Y.B : Comment qualifieriez-vous le rôle des parents lorsqu’un jeune est pris en charge à la
PJJ ?
MADAME M. : Si on est vraiment dans une logique de respect de l’autorité parentale,
c’est responsabilité des parents. On doit être bienveillant à ce que les parents exercent leur
autorité parentale, mais il faut qu’on puisse travaille sur cette autorité parentale et sur leur
positionnement face à l’enfant. Mais travailler de manière bienveillante, pas de manière
jugeante, pas dans l’imposition de normes.
73
Y.B : On entend souvent parler de parents démissionnaires, de parents défaillants, comment travaillez-vous dans ces conditions ?
MADAME M. : Ça c’est facile, c’est vraiment les formules, les mots valises. Ça évite
comme ça de se poser soi-même des questions et d’interroger la société.
Y.B : Par exemple, je pense qu’il peut arriver qu’il y ait des parents qui bloquent par rapport à la PJJ et qui refusent notre intervention, bien que ce soit un mandat de justice, que
pouvez-vous mettre en place dans ces situations en tant qu’assistante sociale pour essayer
de recueillir leur adhésion ?
MADAME M. : Alors c’est très rare d’une part.
Il faut travailler sur le premier contact, sur la manière dont on a pris contact. Il faut vérifier
si nous, en premier lieu, dans notre premier contact, on s’est pas planté, et aller voir les
gens là où ils sont.
Y.B : On a des parents aussi qui peuvent nous dire, « c’est mon gamin qui a fait une bêtise,
ce n’est pas à moi de payer pour lui, donc je n’ai pas à venir vous voir »
MADAME M. : On peut avoir ça. Dans ce cas-là, on leur rappelle qu’ils ont l’autorité
parentale, et qu’ils sont responsable de l’éducation de leurs enfants, sans les culpabiliser.
Ils ont à rendre compte en tant que responsables civils au magistrat.
Y.B : Pensez-vous que les parents comprennent toujours le sens de votre intervention en
tant qu’assistante sociale à la PJJ ?
MADAME M. : Si le cadre est suffisamment bien expliqué, si d’abord le magistrat explique bien dans son bureau ce qu’est la mesure d’investigation, si quand on reçoit la famille la première fois, on reprend l’ordonnance de justice et on explique bien pourquoi on
intervient, à priori ça devrait être assez clair.
Y.B : Quand vous qualifiez votre travail avec les parents, peut-on parler de partenariat, de
collaboration, de coéducation ?
MADAME M. : Je parle de coopération, on coopère. Coopération, y’a l’idée de faire-avec
et je tiens beaucoup à cette idée.
74
Y.B : Une autre question par rapport au futur professionnel que je vais être, en tant
qu’assistante sociale, que pourriez-vous attendre de moi éducateur ?
MADAME M. : Cette idée de faire-avec, je crois. Prendre le temps de se poser, d’écouter
les gens, les parents, les jeunes. D’écouter ce qu’ils ont à dire, sans leur imposer les
normes. On peut leur rappeler les règles, mais d’abord écouter ce qu’ils ont à dire. Prendre
le temps d’écouter pourquoi ils en sont là ? Comment ils se positionnent par rapport à ce
qu’ils ont fait ? Et pourquoi ils se positionnent comme ça ?
Les aider à cheminer à partir de ce qu’est leur positionnement sur un autre positionnement.
Mais ne pas les disqualifier, ne pas les dévaloriser à priori.
75
Annexe 4
Entretien avec Madame B., éducatrice en milieu ouvert à la PJJ
Yannick BALLET : Depuis combien de temps êtes-vous éducatrice à la PJJ ?
MADAME B. : Je suis entrée à la PJJ en septembre 2001. J’ai suivi une formation de 2
ans, et je suis titulaire depuis septembre 2003.
Y.B : Quelles sont vos missions d’éducateur PJJ en milieu ouvert ?
MADAME B. : C’est compliqué parce qu’il y a à la fois le cadre que l’on nous pose,
d’éducateur, de ce que l’on attend d’un éducateur, et après il y a l’identité que l’on s’est
construite au fur et à mesure. Ce que l’on attend de nous c’est de remplir des missions
d’accompagnement auprès de mineurs qui ont commis des actes de délinquance, entre
autre, puisqu’on a encore des mesures d’investigation qui sont dans un cadre civil. Après
il y a ce que l’on se construit comme identité, ce que l’on projette de notre fonction, de
notre place et de ce que l’on a envie de transmettre, puisque pour moi il y a le lien, la mise
en relation avec l’autre, et pour moi le BABA, c’est ça. Il faut pouvoir créer un lien et une
relation avec un jeune ou une famille, des parents, des institutions aussi parce que selon la
situation des jeunes mineurs que l’on accueille, ça peut être aussi avec des partenaires etc
etc… Mais en tout cas, ce qui est au cœur de tout c’est le lien et comment créer une relation, quelle qu’elle soit.
Y.B : Comment définissez-vous le mandat de justice ?
MADAME B. : Dans ma formation, on m’a toujours dit qu’il y avait une décision judiciaire, une ordonnance, mais pas de mandat. La décision du magistrat, c’est ce qui légitime
mon intervention, premièrement. Ensuite, c’est elle qui nous lie, aux personnes soumises à
cette ordonnance, puisque ni elles, ni nous ne pouvons choisir. Cette une décision qui
s’impose.
L’ordonnance est utile puisqu’on peut s’appuyer dessus pour savoir quelle type de mesure
est ordonnée, et les attendus du magistrat.
Y.B : Concernant l’ordonnance, pouvez-vous vous en éloigner pour travailler avec le jeune
et sa famille ?
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MADAME B. : L’ordonnance nous donne un cadre d’intervention, mais elle ne nous dit
pas ce que l’on doit faire. Le cadre des mesures nous donne l’espace d’accompagner le
jeune et sa famille.
Y.B : Quelles sont les relations que vous avez avec les magistrats en tant qu’éducatrice ?
MADAME B. : La première relation est sa décision, ensuite, il s’agira de communiquer
avec eux avec l’écrit ou par téléphone, puisque nous sommes dans une juridiction où c’est
encore possible.
Y.B : Comment se passe votre premier contact avec les parents ?
MADAME B. : Ils sont convoqués. Ils arrivent qu’ils s’inquiètent et qu’ils appellent, mais
en général on les convoque.
Y.B : Selon vous, la famille doit-elle être présente lors du premier entretien ?
MADAME B. : Oui cela me semble important puisque l’on accueille des mineurs et ce
sont leurs représentants, qui sont garants du fonctionnement éducatif, de tout ce qui peut se
passer dans la vie de leur enfant, pour nous l’expliquer et nous donner un avis et accompagner leur enfant.
Y.B : Le travail de l’éducateur avec les parents, vous le qualifieriez de fondamental ? Nécessaire ? Obligatoire ? Ou pas du tout ?
MADAME B. : Fondamental. Dans le sens où l’obligation ce n’est pas la réalité. C’est
fondamental, parce que c’est ce vers quoi il faut tendre et que je pense qu’on ne peut pas
faire sans. Ça ne veut pas dire toujours vouloir créer un lien familial.[…] Ils (les parents)
doivent pouvoir avoir la parole, pouvoir échanger avec quelqu’un. Ils doivent eux aussi
être accompagnés pour être parents. Je pense que quand des parents vont mieux, les enfants
vont mieux aussi, donc très souvent c’est aussi les choses en parallèles, soit parce qu’il y a
une reproduction de l’histoire familiale, ou parce que des parents ne vont pas bien et ca se
ressent dans tout l’environnement familial et du coup un jeune adolescent ne se sent pas
sécurisé dans cette sphère familiale et du coup c’est fondamentale et puis c’est aussi leur
accorder l’importance qu’ils ont de leur place de parents et remettre ce qui est de leur rôle
et de leur compétence aussi.
Y.B : Qu’est-ce qui vous paraît être le plus difficile dans le travail avec les parents ?
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MADAME B. : Ce qui est difficile, c’est le fait d’être relativement intrusif dans la vie familiale et on réveille souvent des souffrances qui leur sont propres
Y.B : Pensez-vous que certains parents peuvent mal vivre votre intervention ?
MADAME B. : Complètement, et je pense que c’est même au départ incontournable.
La mesure et notre travail est d’essayer de comprendre pourquoi on en arrive à ces difficultés, et ça gratte sur certains points douloureux.
Y.B : Sur votre intervention, pensez-vous que les parents en comprennent toujours le
sens ?
MADAME B. : Non, mais c’est à nous de leur expliquer le sens, et pourquoi le magistrat a
décidé un accompagnement.
Y.B : Comment faites-vous pour vous protéger de certains préjugés sur certaines familles ?
MADAME B. : C’est compliqué comme question. On ne peut pas s’en protéger complètement. C’est dur de s’en détacher. On ne s’en détache pas complètement puisque l’histoire
revient. Je dis souvent aux familles c’est vous qui travaillez le plus, ce n’est pas moi.
Y.B : On entend parler de défaillance des parents, de parents démissionnaires, comment
travaillez-vous dans ces conditions et quel est votre champ d’action pour tenter de les mobiliser ou de les remobiliser ?
MADAME B. : Au moins les investir d’être informés de ce qui se passe pour leur enfant.
Parce qu’il y a eu des fois des ruptures de liens avec leur enfant. Vouloir à tout prix remettre du lien n’est pas forcément bénéfique, il faut des fois du temps pour que tout le
monde soit prêt. Après y’a des parents qui refusent de dire qu’ils ne sont plus en lien avec
leur enfant, c’est compliqué. Il faut quand même continuer à les appeler pour leur demander, les investir de leur rôle.
Y.B : Doit-on toujours recueillir l’adhésion des parents pour travailler avec leur enfant ?
MADAME B. : Elle n’est jamais recueillie au départ. Il n’y a pas d’adhésion au départ, il
y a une ordonnance qui oblige.
En pratique, c’est l’idéal de réussir de recueillir l’adhésion. Sauf que l’on peut avoir une
adhésion fictive, c'est-à-dire des parents qui sont toujours d’accord mais qui finalement
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n’adhèrent pas. C’est très compliqué, plus compliqué qu’un parent qui n’adhère pas du
tout, puisque comme c’est lisse on arrive pas à tisser quelque chose.
Un parent qui n’adhère pas, au moins on s’explique, on se donne des points de repère, de
jusqu’où on va, jusqu’où on ne va pas, sur moi mon travail ce que ça implique et ce qu’on
me demande, et on fixe des règles et un espace où ça sera pas possible. Moi je leur dit
jusqu’où je peux aller. C’est aussi tout ce temps de définition qui permet que l’adhésion
arrive finalement.
Y.B : Si des parents vous disent « c’est mon enfant qui a agi et pas moi, donc je ne vais pas
payer pour lui », comment réagissez-vous en tant qu’éducatrice ?
MADAME B. : Ben malheureusement, je leur rappelle le cadre de la loi. On refait un petit
point sur la responsabilité civile et la responsabilité pénale. Je rappelle les devoirs de
l’autorité parentale.
Y.B : Vous avez votre boîte à outils, justement pour travailler l’adhésion avec les parents,
est ce que dans cette boîte vous avez des outils que vous pouvez utiliser ?
MADAME B. : Je n’ai pas d’outils type. C’est un peu s’apprivoiser. Pour recueillir
l’adhésion, il faut qu’ils comprennent le sens, le bénéfice que leur enfant et eux vont en
tirer.
Y.B : Vous est-il déjà arrivé d’avoir le sentiment d’avoir plus à travailler avec les parents
qu’avec le mineur qui vous est adressé ?
MADAME B. : Oui, parce que c’est parfois en prenant les parents en considération, qu’ils
seront rassurés et se sentir plus en confiance et dans leur mission de parents. Du coup, y’a
beaucoup d’angoisses qui sont transmises dans une sphère familiale, donc le travail avec
les parents permet à l’enfant de se poser aussi.
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BIBLIOGRAPHIE
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Editions PUF, 425 p.
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Les parents n’étant pas responsables pénalement des actes commis par leur enfant,
l’éducateur doit alors recueillir leur adhésion pour mettre en place la relation éducative
induite par la contrainte judiciaire.
Une fois l’adhésion présente, ou en cours d’acquisition, pour accompagner les familles,
les professionnels agissent alors sur les trois axes de la parentalité que sont l’exercice,
l’expérience et la pratique de la parentalité.
La mission de l’éducateur auprès des parents, en les accompagnants dans leur parentalité,
consiste en la en place une action pour la restauration ou l’aménagement du lien avec leur
enfant.
C’est ce que demande le magistrat lorsqu’il confie un mineur à un service de la Protection
Judiciaire de la Jeunesse. Il souhaite engager un travail avec ses parents, titulaires de
l’autorité parentale.
Mots clés : parents, autorité parentale, responsables, justice, éducateur, adhésion,
accompagner, parentalité.