Lecture de lege ferenda de la proposition de loi sur la licence globale

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Lecture de lege ferenda de la proposition de loi sur la licence globale
FACULTÉS UNIVERSITAIRES NOTRE DAME DE LA PAIX – FACULTE DE DROIT – DEPARTEMENT
DE DROIT DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION
Lecture de lege ferenda de
la proposition de loi sur la
licence globale
Proposition de loi visant à adapter la perception
du droit d'auteur à l'évolution technologique
tout en préservant le droit à la vie privée des
usagers d'Internet
Sous la direction du Professeur Antoinette Rouvroy
01/06/2012
FUNDP - année académique 2011-2012
auteur : Christophe Petiau
2
Sommaire
Introduction ............................................................................................................................................................. 4
CHAPITRE I : Fondement philosophique de l’écologie politique en la matière: la notion de biens communs ..... 6
… Que sont les biens communs ? Une définition, une typologie ?... .............................................................. 6
Les biens communs numériques doivent être en libre partage sur les réseaux ................................................ 7
Vers une typologie des biens communs .......................................................................................................... 8
Traduction de la notion de biens communs dans une politique visant à une licence globale sur les échanges
dans les réseaux ............................................................................................................................................. 10
CHAPITRE II : Les différents modes de régulation envisageables pour une licence globale, dans le cadre de
l’échange interpersonnel non commercial des biens culturels sur internet ........................................................... 12
Section 1 : La licence globale au regard du droit de la propriété intellectuelle ................................................. 12
introduction : exemples de régulation sur base contractuelle ........................................................................ 12
La « riposte graduée » contre les téléchargements illégaux. Bilan de l’exemple français et son influence sur
le contexte juridico-politique belge ............................................................................................................... 12
L’urgence et la nécessité d’une nouvelle législation en la matière ............................................................... 14
Compatibilité de ces deux propositions de loi entre elles ............................................................................. 17
Quel régime juridique la licence globale peut-elle adopter ? ........................................................................ 19
Faisabilité de ce système au regard des engagements internationaux de la Belgique ................................... 21
Section 2 : Compatibilité de la licence globale avec le droit européen des communications électroniques ..... 22
Evaluation de la licence globale en regard de la neutralité du net et des droits fondamentaux ..................... 23
Le rôle des autorités règlementaires nationales, les ARN. ............................................................................ 24
Section 3 : Compatibilité avec la règlementation du droit européen de la concurrence .................................... 26
Licence globale, potentiellement responsable d’un abus de position dominante ? ....................................... 26
Licence globale, une aide d’Etat ? …............................................................................................................ 27
CHAPITRE III : Conséquences de l’adoption d’une législation relative à une licence globale ........................... 28
Section 1 : Qualification juridique du rôle des fournisseurs d’accès à internet ................................................. 28
En regard du débat à propos du traité ACTA et de l’évolution récente des jurisprudences nationales et
européenne sur la responsabilité des intermédiaires ..................................................................................... 29
Acteurs visés par la définition de FAI et l’impact sur les petits FAI ............................................................ 31
Section 2 : impact de la mesure sur le marché, le changement de comportement des utilisateurs suite à la
légalisation d’actes aujourd’hui qualifiés de « piraterie ». .................................................................................... 32
L’argument de la « banalisation des comportements de téléchargement illégal », un signal politique
3
risqué… ......................................................................................................................................................... 32
Impact sur le comportement des utilisateurs. ................................................................................................ 34
Licence globale : perçue comme « une taxe pour copie privée » ? ............................................................... 35
Licence globale : perçue comme « une vente forcée ? » ............................................................................... 36
Critique de la méthode de collecte des données statistiques de téléchargement ........................................... 37
Section 3 : Rôle et étude de responsabilisation potentielle des plates-formes de téléchargement, des moteurs de
recherche, de sites web 2.0 et de réseaux sociaux. ............................................................................................ 39
Section 4 : Angle de vue et arguments des sociétés de gestion collective, des auteurs, et de l’industrie des
contenus culturels sur ce mode de régulation. ................................................................................................... 40
Conclusion ............................................................................................................................................................ 42
Bibliographie......................................................................................................................................................... 45
Législation......................................................................................................................................................... 45
Internationale ................................................................................................................................................ 45
Européenne.................................................................................................................................................... 45
Belge ............................................................................................................................................................. 46
Jurisprudence .................................................................................................................................................... 46
Doctrine............................................................................................................................................................. 46
4
Introduction
Dans la présente étude, nous allons nous pencher attentivement sur une proposition de loi
déposée au Parlement le 2 mars 2010. Il s’agit de la proposition de loi « visant à adopter la
perception du droit d’auteur à l’évolution technologique tout en préservant le droit à la vie
privée des usagers d’internet » 1. Cette proposition de loi, déposée par les sénateurs Jacky
Morael et Freya Piryns dans un premier temps, ensuite devant la Chambre des représentants
par Zoé Genot et consorts 2, consiste à mettre en œuvre une licence globale destinée à
financer forfaitairement et équitablement les créateurs de contenu culturel distribué par
l’Internet, en sécurisant les activités des consommateurs sur le réseau mondial.
Elle porte également une proposition de modification de la loi du 22 janvier 1945 sur la
réglementation économique des prix, celle-ci devrait intégrer la fixation des prix de l’accès à
internet en plus de ceux du gaz et de l’électricité.
D’autre part, cette proposition prévoit un nouveau rôle qui serait dédié à l’IBPT, à savoir la
tenue à jour d’une cartographie des téléchargements de fichiers protégés par le droit d’auteur.
Enfin, cette proposition envisage la constitution d’une société de gestion collective assurant
une répartition de revenus entre auteurs et ayants droits.
Nous tenterons de comprendre les motivations philosophico-politiques constitutives de la
ratio legis de cette proposition. Nous tenterons ensuite d’évaluer l’efficacité potentielle des
moyens mis en œuvre afin de répondre aux objectifs affirmés. Nous envisagerons ensuite la
conformité de chaque mesure prévue dans cette proposition de loi, en regard de
l’environnement juridique national et européen en la matière. La question d’une licence
globale destinée à permettre le partage d'œuvres protégées sur internet touche en effet non
seulement à des aspects de propriété intellectuelle, mais également au droit des
communications électroniques ainsi qu’au droit européen de la concurrence.
Dans une première phase de ce mémoire, nous aborderons la notion de biens communs
numériques, qui sert de fondement à l’écologie politique afin de légitimer la diffusion du
savoir et des œuvres sur internet, tout en luttant contre une société de la surveillance. Nous
pourrons ensuite évaluer si les moyens juridiques que vise à mettre en œuvre la proposition de
loi ecolo seront bien en phase avec cette logique des biens communs. L’écologie politique
prône l’épanouissement dans le partage et la lutte contre la société de surveillance.
En revanche, parmi les partis situés plus à droite de l’échiquier politique, nous entendons les
slogans tels « Pirater tue les artistes », ou encore « le piratage c’est du vol ». Dans ce
contexte, comment une licence globale pourrait-elle alors résoudre ces dilemmes et
réconcilier les divers acteurs en présence. Nous verrons qu’une solution équilibrée est
pleinement envisageable, entre préservation des intérêts des auteurs et de leurs droits
exclusifs, et liberté d’expression des internautes dans le cadre d’une diffusion large de la
culture.
Nous ne devrons pas perdre de vue les réelles disparités de contexte entre œuvres
cinématographiques, littéraires, musicales, photographiques, vidéo, etc…
Nous évoquerons quelques exemples de mécanismes mis en place par le secteur lui-même sur
des bases contractuelles hors du champ de la régulation, afin de mieux cerner les logiques
1
Proposition de loi visant à adopter la perception du droit d’auteur à l’évolution technologique tout en
préservant le droit à la vie privée des usagers d’internet, Sénat de Belgique, session de 2010-2011, 9 décembre
2010, doc. 5-590/1.
2
Proposition de loi visant à adopter la perception du droit d’auteur à l’évolution technologique tout en
préservant le droit à la vie privée des usagers d’internet, Chambre des représentants, session de 2010-2011, 27
avril 2011, 2ème session de la 53ème législature. doc 53 1402/001.
5
d’échanges mises en place et leur efficacité ou au contraire leurs échecs.
En France, la Haute autorité dite « Hadopi » a été instituée pour, notamment, répondre aux
plaintes d’auteurs, ayants-droits ou leur représentants, par un système de riposte graduée
contre les téléchargements illégaux, et pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’accès internet
de l’utilisateur. Outre l’évaluation des actes de cette autorité administrative, et non judiciaire,
au regard du principe de neutralité de l’internet, de la liberté d’expression et des menaces de
flicage des internautes, nous nous servirons de l’exemple français afin de comprendre
pourquoi ce type de mesure n’est apparemment plus à l’ordre du jour en Belgique.
Une licence globale signifie-t-elle pour autant la liberté totale d’échange, de diffusion, de
mise à disposition de tout type d’œuvres dans l’environnement numérique ? Quels types de
droits de propriété intellectuelle sont-ils concernés, et quelles exceptions aux droits d’auteurs
devraient-elles être créées ?
D’autre part, si nous pensons aux récentes actions contre ThePirateBay.com ou encore
MegaUpload, quel sort faudrait-il réserver aux plates-formes de streaming, sites 2.0 et autres
annuaires de liens de fichiers à télécharger ? La proposition ecolo n’aborde pas ce sujet de
manière précise. Dans certains pays, on imagine d’ailleurs une imposition des acteurs du net
afin de faire justement contribuer ces derniers à la diffusion de la culture en ligne.
Ensuite, nous nous essaierons à une rapide comparaison entre cette proposition de loi, et une
proposition déposée par Richard Miller 3 relative à la « protection de la création culturelle sur
internet ». Outre leurs fondements idéologiques opposés, nous avons voulu nous interroger
sur leurs apports respectifs sur le plan des règles de droit que chacune d’entre elle envisage
afin de répondre aux appels des sociétés de gestion et lobbies culturels.
Et enfin, il nous a semblé important de passer cette proposition de loi au crible des principes
et mesures du droit européen de la concurrence, en regard des récents arrêts de la Cour de
Justice des Communautés Européennes, ou encore de la Commission. Le point particulier du
mécanisme de fixation du prix de l’internet retiendra à ce titre toute notre attention, ainsi que
la question de l’impact de cette mesure sur les fournisseurs d’accès à internet les moins
avancés dans l’échelle des investissements…
3
Proposition de loi favorisant la protection de la création culturelle sur internet, Sénat de Belgique, Session
2010-2011, 28 janvier 2011, déposée par Richard Miller
6
CHAPITRE I : Fondement philosophique de l’écologie politique en la
matière: la notion de biens communs
… Que sont les biens communs ? Une définition, une typologie ?...
La « parabole des chaises longues »
Un paquebot de croisière navigue de port en port. Sur le pont se trouvent des chaises longues. Il y en a trois fois moins que
de passagers à bord. Les premiers jours, les chaises changent constamment d’occupant. Dès qu’une personne se lève, la
place est considérée comme libre. Les serviettes et autres signes d’occupation ne sont pas reconnus. Il s’agit là d'un ordre
orienté en vue d’une fin: éviter une pénurie du bien de consommation «chaise longue», disponible en quantité limitée.
Cependant, suite à une escale où de nombreux passagers nouveaux montent à bord, cet ordre s’effondre. Les nouveaux
arrivants, qui se connaissent entre eux, se comportent différemment. Ils accaparent les chaises longues et en revendiquent la
possession permanente. La majorité des autres passagers sont dès lors réduits à récupérer les miettes. La pénurie règne, et le
conflit est à l’ordre du jour. La plupart des passagers se retrouvent moins bien lotis qu'auparavant. Cette histoire illustre la
perte de biens communs résultant d’un mauvais usage de la contrainte. A u départ, les chaises longues sont à disposition.
Pourtant, l’offre est restreinte et la demande importante; c’est pourquoi la communauté des passagers s’oriente tout d’abord
vers une règle d’utilisation libre, mais de courte durée. Dès qu’un nouveau groupe se permet d’accaparer les chaises
longues comme des possessions exclusives, cet espace de prospérité partagée ne fonctionne plus, et la zizanie s’installe.
L’enrichissement unilatéral prédomine désormais, et les exclus finissent par ne plus respecter les règles eux non plus. Il
importe peu à cet égard que l’accaparement des chaises longues se soit établi par la force, en jouant des coudes, par un
paiement à la compagnie maritime, ou par ordre du capitaine: pour la majorité des passagers, la croisière se poursuit
moyennant une perte de confort et de qualité. Cette parabole peut être appliquée à de nombreux cas: l’éducation et la
culture, l’eau, la terre, l’atmosphère. De même que la qualité d’une croisière se trouve amoindrie pour tous par un
accaparement unilatéral de chaises longues, de même notre qualité de vie s’en ressent lorsque des droits d’usage sur les
choses qui n’appartiennent à personne en propre sont accordés d’une manière qui n’est ni équitable ni soutenable. Les
processus de négociation sur ces droits peuvent d’ailleurs être si complexes et si conflictuels qu’il n’est possible de parvenir
4
à des solutions effectives qu’en travaillant ensemble, plutôt que l’un contre l’autre.»
Valérie Peugeot, présidente de l'association Vecam et chercheuse à l'Orange Labs, parle plutôt
d'une utopie pragmatique que constituent les biens communs de la connaissance. 5 L’auteure
caractérise les biens communs comme étant pensés tout à la fois comme un statut alternatif à
la privatisation du savoir et comme un mode de gouvernance par une communauté dédiée, qui
génère des mouvements de partage et de création construisant une « free culture ». « Les
communautés de biens communs du numérique qui ont vu le jour entre le début des années 80
et les années 2000 (depuis le logiciel libre jusqu’aux Creative Commons et aux revues
scientifiques ouvertes en passant par les archives en accès libre…) ont montré leur robustesse
et leur pertinence, gagnant toujours plus d’utilisateurs et/ou de contributeurs… » 6
Le projet « remixthecommons.org » propose la définition suivante des biens communs 7 :
chaque fois qu'une communauté de personnes est unie par le même désir de prendre en
charge une ressource dont elle hérite ou qu'elle crée et qu'elle s'auto-organise de manière
démocratique, conviviale et responsable pour en assurer l'accès, l'usage et la pérennité dans
l'intérêt général et le souci du 'bien vivre' ensemble et du bien vivre des générations à venir.
Les biens communs sont des biens dont l’utilisation n’est ni rivale ni exclusive. Il ne s’agit
pas des biens tombés dans le « domaine public » selon l’acception définie par le droit de la
propriété intellectuelle. Le chercheur Maxime Lambrecht de l’UCL, que nous avons
4
D’après Heinrich Popitz, Phänomene der Macht, Tübingen 1986, in Rapport de la Heinrich Bolt Stichtung,
BIENS COMMUNS, La prospérité par le partage, décembre 2009.
5
Valérie Peugeot, Les biens communs, une utopie pragmatique, in Produire collectivement, partager et diffuser
les connaissances au XXIe siècle. Libres Savoirs, Les biens communs de la connaissance, ouvrage coordonné par
l’association VECAM, 2011, p.15
6
Op. cit. p.16
7
url : http://wiki.remixthecommons.org/index.php/L%C3%A9gende_et_mode_d%27emploi
7
rencontré, estime que le bien commun ne se définit pas non plus de par son origine privée ou
publique, contrairement à la manière dont les conçoit Ugo Mattei 8, qui distingue les biens
communs des biens publics et des biens privés, telle une sorte de 3ème catégorie.
Les biens communs numériques doivent être en libre partage sur les réseaux
La thèse consiste donc à soutenir que les biens communs numériques présents sur la toile ne
peuvent être volés ni faire l’objet d’une appropriation exclusive. Sous l’influence du prix
Nobel d’économie Elinor Oström, malheureusement décédée le 12 juin 2012 pendant que
nous rédigions ces lignes, un certain nombre et types de savoirs numérisables entrent petit à
petit dans le champ des biens communs sur la toile. Prenons pour exemple le site de
publication de photos Flickr, qui encourage la mise en ligne de photos sous licence creative
commons, et qui, selon les théoriciens des biens communs, cassent la dualité entre Biens
communs et le marché, mais met en œuvre une collaboration positive qui rompt avec ce
dualisme réducteur vieux de 150 ans. Selon Valérie Peugeot, « La réaction du marché à la
diffusion des biens communs, notamment numériques, peut également considérablement
changer la donne. Car si les communs ne se construisent pas contre le marché, ce dernier
peut néanmoins les percevoir comme une menace. Cette réaction défensive est
particulièrement outrancière dans le champ des œuvres culturelles, où on a cherché à
disqualifier les communs et les logiques de partage en les assimilant à du vol 9
Lundwall s’est évertué à démontrer que l’euphorie de la gratuité dans le web n’était en rien
comparable psychiquement ni émotionnellement à un vol d’objet physique 10. Toute cette
réflexion sur les biens communs immatériels part du constat que l'économie libérale et sa
philosophie se sont approprié les règles gérant les conditions de propriété et de redistribution
des ressources informationnelles et des connaissances. On y observe la prédominance de la
logique du marché et le renforcement progressif des droits de propriété. Elle ne s’est pas
prononcée sur la question du vol, mais nous avons déjà un élément de la part de la cour de
cassation, qui a considéré qu’il ne pouvait en tout cas pas être question de recel dans le cadre
de la propriété intellectuelle. 11
Pourtant, selon les défenseurs de cette thèse des biens communs, tels Philippe Aigrain ou
Jérémie Zimmerman 12, la connaissance n'est pas comparable au pétrole ou à l'acier.
L'accaparement du savoir non seulement génère des inégalités, au détriment des populations
exclues de cette redistribution, mais de plus, une concentration des biens informationnels et
les limites à leur circulation réduisent la créativité et la diversité culturelle. Ainsi, les
investissements risquent de se concentrer dans les mains de quelques acteurs capables de
dépouiller les populations de leurs savoirs historiques et de priver les communautés de leurs
propres ressources. C'est face à cette logique que d'autres manières de penser la mise à
disposition de la connaissance, l'accès au savoir et la rémunération des créateurs ont vu le
8
Ugo Mattei, Le droit contre les privatisations, rendre inaliénables les biens communs, in Le monde
diplomatique, décembre 2011, p. 3.
9
Op. cit, p.18
10
LUNDWALL Gaspard, Le réel, l’imaginaire et internet, revue Esprit, décembre 2010, pp.25 à 40
11
Cass., 30 novembre 2004, N° P.04.0834.N, http://jure.juridat.just.fgov.be
12
Les fondateurs de la quadrature du net : Jérémie Zimmermann, ingénieur-consultant en technologies
collaboratives et responsable associatif à l'April, Philippe Aigrain, directeur d'une société de logiciels Libres. Il
est l'auteur de Sharing: Culture and the Economy in the Internet Age.
8
jour. Des communautés se sont créées - dans des univers très variés - pour expérimenter une
autre gouvernance, autour des biens communs.
Selon Ph. Aigrain toujours, le partage serait bénéfique aux auteurs. Celui-ci repère en
revanche un problème dans le logiciel Bit Torrent, à savoir l’encouragement par des primes, à
partager les contenus les plus populaires, ce qui freine la logique de la diversité culturelle,
causant du tort aux artistes de plus faible notoriété. Il reconnaît que le partage légalisé
diminuerait le volume des achats, mais il s’agit pour l’industrie culturelle d’évoluer dans ce
nouveau modèle de société et trouver leurs revenus en innovant dans de nouveaux débouchés.
La licence globale est, selon Aigrain, une sorte d’achat de la paix, à savoir une manière de
stopper la guerre contre le piratage. La musique, à l’inverse du cinéma, pourrait survivre sans
financement en amont. Quant à la photographie, elle fonctionne et tire ses revenus d’un
modèle mutualisé et exclusivement numérique, un modèle qui fonctionne bien et pourrait
servir de source d’inspiration à un mécanisme de licence globale. 13 Aigrain estime que les
auteurs doivent choisir entre «le bénéfice d'une compensation des pertes» et «le bénéfice de la
contribution créative» 14.
Citons enfin le juriste américain de renom, Lawrence Lessig, professeur à la faculté de droit
d’Harvard et directeur du « Center for Ethics » de l’université américaine, célèbre pour
défendre la liberté sur internet, estime quant à lui, que le droit d’auteur en ligne a des limites
et qu’il faut en repenser l’architecture 15. La culture serait trop régulée par le droit d’auteur,
dont le champ d’action est devenu beaucoup trop large. L’auteur prône l’encouragement au
partage, au lieu de sa stricte régulation par les lois sur le droit d’auteur, qui doivent être
adaptées à l’ère numérique. Lessig constate enfin que seuls la Suède, le Royaume-Uni et
l’Allemagne ont mené un débat de fond sur cette question, alors que leurs gouvernements
tardent encore à prendre les mesures nécessaires. Les opérateurs télécom seraient de plus en
plus désireux d’intervenir sur le réseau, alors que preuve est faite que la neutralité du net
favorise pourtant une amélioration des conditions de concurrence. Lessig se demande si
l’Europe ne serait pas entrain de prendre le chemin d’une régulation du net à l’américaine.
Vers une typologie des biens communs
L’organisation « remixthecommons » 16 a lancé, au travers de son site web, un projet de
création d’une typologie des biens communs, qui doit reposer sur un système de valeurs qui
correspond à une même lecture critique de la réalité et à des pratiques sociétales (sociales,
économiques, culturelles). Une appropriation sociale et une contribution « Bottom up » des
communs doit être ancrée dans son contexte géographique-socio-historique. Elle doit partir
des pratiques, traditions et réflexions locales passées ou contemporaines tout en tenant
compte des apports extérieurs et en étant ouverte à l'hybridation. Elle amène à aborder les
biens Communs sous différents angles ou thématiques en fonction du contexte ou des
rencontres interculturelles de co-création. La typologie est donc en chantier, malgré les
quelques catégories que nous avons pu détecter ci-avant.
Le numérique a bouleversé les structures de marché traditionnelles qui se caractérisent
désormais par une quantité considérable de contenus culturels en ligne, après l’éclatement des
13
Podcast, interview de Philippe Aigrain, en consultation sur le site du journal Libération, 23/02/2011. url :
ecran.fr
14
Philippe Aigrain, Argumentaire efficace pour le partage non-marchand sur Internet, 15 fév. 2012, url : owni.fr
15
Lawrence Lessig, Code version 2.0, Perseus Books Group, New York, 2006, p. 293
16
Op. cit. p.6
9
filières du cinéma, du livre et de la musique 17. L’ère du numérique a également provoqué une
différentiation qualitative dans cette masse de contenus en ligne, avec pour preuve les très
nombreuses œuvres des artistes amateurs ou aspirants professionnels. Ces derniers courtcircuitent les intermédiaires traditionnels et tentent de se créer une réputation, à des coûts de
mise en ligne et de production dérisoires.
Ainsi sont nés les UGC, les User Generated Contents, à savoir des contenus textuels
(Wikipedia), vidéo (Vimeo, YouTube) ou photo (Flickr). Ces plates-formes 2.0 ne font pas
l’objet d’édition a priori, échappant par là à la sélection a priori de par des éditeurs
professionnels, mais fonctionnent sur base des « Buzz » a posteriori ainsi que des
recommandations des utilisateurs.
Ces UGC pourraient peut-être constituer une des catégories de biens dans le cadre d’une
typologie des biens communs numériques.
Ces contenus, pour la plupart autoproduits, sont non rémunérés, et ne servent généralement
qu’à justifier, comme nous l’écrivions plus haut, à rendre la plate-forme d’hébergement plus
attractive. YouTube s’enorgueillit de recevoir une nouvelle vidéo toutes les 3 secondes. Flickr
a d’autre part récemment prôné la notion de creative commons, non sans un certain cynisme,
dans le sens où plus le rythme de croissance quantitative des contenus hébergés par ces platesformes augmente, et plus celles-ci font peser sur les contenus culturels de qualité
professionnelle, d’importants risques de piraterie. Elles créent à la fois le danger mais nous
fournissent aussi l’antidote, au travers des outils de veille technologique qu’elles vendent aux
majors. Nous pouvons nous inquiéter de la catégorie intermédiaire, à savoir les artistes
amateur et aspirants professionnels, qui sont incités à publier totalement gratuitement leurs
contenus sur ces UGC 2.0, dans l’ultime espoir hypothétique de faire un jour « le BUZZ ».
Pour nous résumer, il existe de multiples nouveaux types de contenus, fabriqués par de
multiples catégories d’auteurs, coexistant sur la toile, et tous susceptibles d’être échangés
dans les réseaux peer-to-peer ou via Bit Torrent. Un nombre incalculable de ceux-ci n’ont pas
été rémunérés lors de leur publication en ligne, et ne le seront sans doute jamais. La question
de savoir si tel était l’objectif de leurs auteurs de voir ces œuvres tomber sous la définition de
« biens communs », rien n’est moins sûr… Des campagnes de sensibilisation auprès des
auteurs peuvent contribuer à leur bonne information à ce sujet, ainsi qu’une exigence de
meilleure visibilité des conditions légales sur les sites web faisant usage de ce type de
contenus.
Cependant, les plates-formes de contenus gratuits, les moteurs de recherche, les fournisseurs
d’accès à internet et autres intermédiaires, tirent leur épingle du jeu par la rémunération
publicitaire ou les frais d’accès. Les conditions générales de YouTube, Vimeo, ou encore
Flickr 18, … sont d’ailleurs édifiantes au point de vue des restrictions très importantes des
droits de propriété intellectuelle qu’elles régissent. Les auteurs y abandonnent la quasi-totalité
de leurs droits, tant de reproduction que de communication au public, et doivent accepter
l’atteinte à l’intégrité de leurs œuvres en ce que : « … en plaçant du contenu sur YouTube,
vous concédez le droit non exclusif, cessible (y compris le droit de sous-licencier), à titre
gracieux, et pour le monde entier d'utiliser, de reproduire, de distribuer, de réaliser des
œuvres dérivées, de représenter et d'exécuter le Contenu ,…… à chaque utilisateur du
Service, le droit non exclusif, à titre gracieux, et pour le monde entier d'accéder à votre
Contenu via le Service et d'utiliser, de reproduire, de distribuer, de réaliser des œuvres
17
Pierre-Jean Benghozi, Création et consommation : le choc numérique, in revue Esprit, Etat et internet : des
voisinages instables , Juillet 2011, p.113
18
YouTube.fr, Conditions générales, article 8.1., url : http://www.youtube.com/t/terms
10
dérivées, de représenter, d'exécuter le Contenu…». 19
Pourquoi ces plates-formes commerciales encouragent-elles la distribution sous licence
creative commons ?
Ce qui fait le succès d’une plate-forme de téléchargement en ligne, contrairement au marché
physique, c’est sa taille, la diversité et la quantité de contenus. A la logique de produits s’est
substituée une logique de services, telles par exemple les offres illimitées chez Deezer dans la
musique en ligne, Hulu, Apple TV ou encore Netflix pour l’audiovisuel. A ce sujet, si licence
globale il y a, encore celle-ci devrait-elle opérer une nécessaire distinction entre ces divers
types de contenus, répondant, dans le monde physique, tant que virtuel, à des réalités fort
éloignées les unes des autres…
Traduction de la notion de biens communs dans une politique visant à une licence globale sur les
échanges dans les réseaux
Dans son livre « Sharing: Culture and the Economy in the Internet Age », Philippe Aigrain,
par ailleurs co-fondateur de la Quadrature du net, une organisation de défense des droits et
libertés des citoyens sur Internet, préfère évoquer le partage plutôt que le piratage, en
rappelant que celui-ci a commencé dès 1993 sur internet, avec une explosion dès 1998 et la
création de Napster. Pour cet écrivain, porte-drapeau des défenseurs de la libre circulation des
copies d’œuvres numérisées dans le monde virtuel, et proche de la mouvance de l’écologie
politique, le partage n’est qu’une mutualisation de discothèques, l’acte de mise en commun
étant autorisé de par l’épuisement du droit de distribution sur une œuvre, après que celle-ci ait
été achetée sur un support physique. Or, la législation belge et européenne considère que le
droit de distribution n’a pas lieu d’être dans le monde numérique, celui-là ne pouvant
concerner que la revente ou le prêt de contenus gravés ou imprimés sur un support physique.
Aigrain estime que l’erreur consiste à considérer internet comme un outil de copie, et un
nouveau canal de distribution, alors qu’il devrait se voir comme un nouveau moyen
d’interagir avec l’information, que le net ouvre à tout le monde, avec de nouvelles pratiques
culturelles telles la recommandation aux autres, le remixage, la reprogrammation sur
mesure,… 20 D’autre part, cette philosophie politique aborde volontiers la logique des biens
communs culturels sur un modèle proche de celui des logiciels libres, dans la lignée de
Richard Stallman, fondateur de la licence GPL, le logiciel libre. Sur base de ce modèle, les
échanges de contenus numérisés en libre consultation et en libre partage, garantiraient la
liberté des citoyens, mais aussi le fait de ne pas être géo localisable et de ne pas être espionné
21
De fait, les échanges via le peer-to-peer, qualifiés aujourd’hui de piratage, garantissent plus
fortement l’anonymat et une certaine résistance au profilage des utilisateurs. En revanche, les
sites ou plates-formes de téléchargement payant collectent et conservent les coordonnées
19
Le site web de YouTube et leurs conditions générales d’utilisation encouragent clairement la publication sous
licence creative commons : « Les licences Creative Commons offrent aux créateurs de contenu la possibilité
d'autoriser une autre personne à utiliser leur travail. YouTube permet ainsi aux utilisateurs d'associer une
licence Creative Commons CC BY [paternité : réutilisation autorisée] à leurs vidéos. », url :
http://www.youtube.com/t/creative_commons
20
Philippe Aigrain, Sharing : Culture and the internet age, amsterdam university press, éd. 2012, page 21.
21
Boris Manenti, interview d’Eva Joly, candidate EELV aux élections présidentielles françaises, "Légalisons le
partage sur internet!" La candidate d'Europe-Ecologie-Les Verts prend une position forte sur le numérique et
contre les lois répressives Hadopi, Loppsi et Acta, in Le nouvel observateur, 15 novembre 2012.
11
bancaires et personnelles de leurs clients à l’instar d’Amazon ou i Tunes, experts en
profilage, datamining et ciblage marketing de leur clientèle. Ces derniers conseillent
désormais à leurs clients de s’identifier via leur compte facebook, créant par là une synergie
permettant d’exploiter encore plus efficacement toutes la valeur des données personnelles des
clients désormais identifiés en permanence via leurs login facebook ou encore Gmail.
Les écologistes belges souhaitent donc contribuer à traduire la théorie des biens communs
numériques, par une politique de licence globale en ce qui concerne le partage d’œuvres
littéraires, culturelles, artistiques et informatiques dans les réseaux. Une licence globale, à
savoir une autorisation particulière de tout acte de partage de contenu culturel, fait dès lors
naturellement écho à l’idée de l’existence de libres savoirs, de libre culture, mieux qu’une
politique répressive telle la riposte graduée, qui appartiendrait à une époque révolue.
Toutefois, la proposition de loi que nous étudions ne propose aucune classification d’objets
numériques, et ne distingue pas les biens qui seraient communs de ceux qui resteraient
protégés par le droit d’auteur. En effet, un bien commun, s’il s’agit d’un objet non susceptible
d’appropriation exclusive, devrait en toute logique être gratuit. Or, la licence globale instaure
une légalisation des partages de tous les types de biens, communs ou non, avec compensation
financière pour tous leurs auteurs. La loi pourrait donc par exemple identifier les œuvres sous
licence « creative commons », et décider de les exclure du champ d’application de la licence
globale…
Les logiciels, libres ou non, bénéficient d’un traitement particulier dans la LDA belge. Le
législateur pourrait décider que la licence couvre non seulement le droit de reproduction mais
également le droit de mise à disposition du public sans plus aucun droit à rémunération de la
part de l’auteur. Nous serions alors en phase avec l’idée que le droit de distribution peut être
épuisé également dans le domaine numérique. Mais il serait alors nécessaire d’amender
l’article 12 de la loi sur le droit d’auteur du 30 juin 1994 en y précisant que la première
diffusion d’une œuvre est assimilée à un transfert de propriété d’un objet avec le
consentement de l’auteur, de manière à cadrer avec l’article 4§2 de la directive européenne
sur certains aspects relatifs aux droits d’auteurs et droits voisins. 22
Il faudrait cependant tenir compte de l’exception prévue à l’article 12§1bis qui précise que
« les exemplaires d’une œuvre audiovisuelle ne peuvent être revendus ou loués qu’à partir du
moment où l’exercice du droit de représentation de l’auteur n’en est plus entravé ». En
revanche, il faudra étendre le type de fichiers pouvant accompagner le terme « logiciel » de
l’article 12§2 qui dit ceci : « Les logiciels qui ont été aliénés par l’auteur ou avec son
consentement peuvent être utilisés ou aliénés à nouveau ».
C’est dont ici la LDA qui devrait dès lors identifier précisément le type de fichiers et de
contenus culturels pouvant fonctionner sous le même régime que le logiciel et donc bénéficier
de l’épuisement du droit de distribution.
22
Directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits
voisins dans la société de l’information, article 4§2 : le droit de distribution dans la Communauté relatif à
l’original ou à la copie d’une œuvre, n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de
propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.
12
CHAPITRE II : Les différents modes de régulation envisageables pour
une licence globale, dans le cadre de l’échange interpersonnel non
commercial des biens culturels sur internet
Section 1 : La licence globale au regard du droit de la propriété
intellectuelle
Si les utilisateurs sont bien à l’abri d’atteintes à leurs droits fondamentaux, qu’en serait-il, par
contre, du respect des droits de propriété intellectuelle qui couvrent les intérêts des auteurs,
artistes, interprètes ou producteurs ?
introduction : exemples de régulation sur base contractuelle
L’entreprise Noank Media Inc., créée par des membres de la faculté de droit d’Harvard
propose un système de licences non obligatoires et non exclusives qui légalise le partage de
tous types d’œuvres en ligne qui génèrerait plus de revenus que les services en ligne actuels...
Noank media assure l’interface entre les titulaires de droits et les fournisseurs de services sur
internet ou opérateurs mobiles, afin de proposer aux utilisateurs finaux un service de
downloading illimité, de streaming avec la faculté de copie de toutes les œuvres composant
son catalogue. Aucune mesure technique de protection n’est accolée aux créations. En
contrepartie, les fournisseurs de service rémunèrent Noank Media, soit en absorbant les coûts
soit en répercutant le prix sur la facture de leurs utilisateurs. Finalement, Noank reverse 85%
des sommes perçues aux titulaires de droits sur une base individuelle grâce à l’installation
d’un logiciel sur le compte des utilisateurs tout en préservant leur vie privée. Le montant
restant est utilisé pour payer un service d’arbitrage en ligne destiné à résoudre des conflits de
titularité des droits, pour rémunérer les employés et pour cotiser à une association à but non
lucratif afin de soutenir les créateurs partout dans le monde.
Cette expérience ressemble au système des conventions de porte fort mis en place par la
fondation Anoniem aux Pays-Bas ou encore la SOFAM 23 en Belgique dans le cadre des arts
visuels, qui consiste à collecter des revenus de licences d’utilisation d’œuvres
photographiques ‘orphelines’ et ainsi protéger l’utilisateur contre un recours de l’auteur qui se
manifesterait, tout en redistribuant ces revenus à l’ensemble des auteurs inscrits à leurs
registres . 24 Mais voyons maintenant les modes de régulation envisageables…
La « riposte graduée » contre les téléchargements illégaux. Bilan de l’exemple français et son
influence sur le contexte juridico-politique belge
Evaluons les effets de la politique répressive sous l’angle des partisans ou non de la loi
« Hadopi » 25, suivant l’exemple français. La France a institué au 1er novembre 2009 une
Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Cette haute
autorité, créée par la loi du 12/06/2009 destinée à favoriser la diffusion et la protection de la
création sur internet, a pour objectif est de mettre un terme au partage de fichiers sur internet,
23
Société de gestion collective qui protège les créateurs d’arts visuels tels les photographes…
La Cour de Cassation a refusé cet arrangement contractuel de la SOFAM, à défaut d’un fondement juridique
permettant que les sociétés de gestion collective gèrent les droits des auteurs qui ne leur ont pas été confiés.
25
Loi française n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur
l'Internet, 10 juin 2009.
24
13
en violation des droits d’auteur. Elle prévoit la mise en place de sanctions de plus en plus
lourdes à chaque récidive constatée dans le chef des auteurs d’actes de téléchargement illégal,
pouvant mener jusqu’à la coupure totale de l’accès à internet du contrevenant. Le contexte
politique belge est indéniablement influencé par le bilan de ce mécanisme au cours de ses 3
premières années d’existence, et remis en cause en permanence en France même, tant par les
commentateurs, experts en propriété intellectuelle, que par la nouvelle présidence de la
République. La commission Hadopi elle-même reconnaît qu’en 2011, le nombre des
internautes français qui se sont rendus sur quatorze sites mentionnés dans la note de l'Hadopi
a augmenté de 12%. La hausse a été de 100% en retenant les cinq sites en service entre janvier
2009 et décembre 2011, ou de 177% en élargissant à dix-neuf sites de streaming et de
téléchargement populaires. Quel que soit le périmètre retenu, les courbes d'audiences du peerto-peer et du streaming montrent un croisement à l'automne 2010, lors de l'envoi des premiers
avertissements. 26 Hadopi reçoit aujourd’hui 1,3 millions de saisines mensuelles de la part des
ayants droits et a déjà envoyé plus d’un million d’avertissements par courrier recommandé
aux internautes contrôlés. La baisse réelle du P2P se reporte sur une forte croissance des sites
de streaming qui échappent au champ de compétence de l’autorité Hadopi
Pour preuve de cette influence de l’expérience française dans notre contexte juridicopolitique, au début 2010 déjà, notre ministre Vincent Van Quickenborne, ministre belge pour
l'Entreprise et la Simplification sur "la protection des droits des internautes en Belgique",
déclarait, en réponse à une question parlementaire posée par David Lahaux, député CDH 27,
qu’« un système de poursuites systématiques et de tolérance zéro est impraticable car
l'évolution technique et technologique permettra indubitablement aux utilisateurs d'internet
de toujours avoir une longueur d'avance sur le législateur. » Le ministre se prononçait en
faveur du libre accès à internet mais rappelait qu’il y avait lieu de ne pas confondre libre accès
et accès à des contenus illégaux, tout en reconnaissant que la surveillance par les FAI du
comportement des internautes, tel qu’appliqué en France dans le cadre d’Hadopi, posait
problème. Deux ans plus tard, la position des partis libéraux du pays s’est confirmée par le
renoncement au 5ème pilier de leur proposition de loi « favorisant la protection de la création
culturelle sur internet ». Ce 5ème volet, annulé, visait la répression des internautes par un
mécanisme de riposte graduée, très proche du mécanisme français dit « hadopi ». L’article 18
alinéa 8 allait jusqu’à faire prononcer la suspension complète de l’accès à internet. L’attention
des dépositaires de cette proposition de loi se porte donc désormais plutôt sur les infractions
aux droits d’auteurs commises par des sociétés qui tirent des revenus publicitaires en
encourageant la piraterie, visant par là des agrégateurs de liens vers du contenu illégal, ou
encore les plateformes de téléchargement direct ou de streaming, plutôt que de stigmatiser les
internautes eux-mêmes. Précisons que l’expérience hadopi n’est pas le seul facteur explicatif
de l’abandon du 5ème pilier de la proposition MR, tant les autorités judiciaires que la
jurisprudence belge ayant toujours fait preuve d’une assez grande tolérance vis-à-vis du
téléchargement illégal dans le chef de l’utilisateur final.
A propos de la légalité de ce type de mécanisme répressif gradué, Eldar Haber 28 estime par
ailleurs que « la réponse graduée ne pourrait être légitime que si chaque avertissement était
précédé d'un examen au cas par cas pour vérifier qu'il y a bien eu contrefaçon d'une œuvre
(au regard y compris des exceptions au droit d'auteur dont peuvent se prévaloir les
26
Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, L’Hadopi, 1 an ½ après
son lancement, Mars 2012. url : hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/note17.pdf
27
Chambre des représentants, Commission de l’infrastructure, des communications et des entreprises
publiques, séance de questions-réponses du 10 février 2010.
28
Eldar Haber, professeur à l'Université de Tel Aviv, La Révolution Française 2.0 : le droit d'auteur et la
politique de réponse graduée, in Harvard Journal of Sports & Entertainment Law, 43pp.
14
internautes), et que la suspension de l'accès à internet ne peut valoir que pour les réseaux
P2P et non l'accès aux e-mails ou autres informations sur le web », cet accès à internet que
certains estiment d’ailleurs devoir l’ériger en droit fondamental, ce qui nous paraît un peu
excessif, dans le sens où les droits fondamentaux de liberté de la presse ou d’expression
suffisent amplement à protéger le citoyen d’une coupure de son accès au world wide web,
source de culture et d’informations.
Et enfin, le 29 janvier 2008, la Cour de justice européenne avait considéré que « les directives
2000/31, 2001/29, 2004/48 et 2002/58 n’imposent pas aux États membres de prévoir
l’obligation de communiquer des données à caractère personnel en vue d’assurer la protection
effective du droit d’auteur dans le cadre d’une procédure civile. 29 Cela signifie qu’un Etat
peut décider ou non d’imposer à un FAI de communiquer les données d’un client sur base de
son adresse IP, à une autorité judiciaire ou administrative de type Hadopi. L’UE ne tranche
donc pas cette question de l’équilibre à trouver entre intérêts des auteurs et respect de la vie
privée. Chaque Etat membre est libre de « positionner le curseur » entre l’un et l’autre de ces
grands principes.
L’urgence et la nécessité d’une nouvelle législation en la matière
Deux propositions de loi sont donc déposées devant les assemblées parlementaires. Il s’agit
donc de la proposition de loi Miller, MR « favorisant la protection de la création culturelle
sur internet », et d’autre part la proposition ecolo/groen «visant à adopter la perception du
droit d’auteur à l’évolution technologique tout en préservant le droit à la vie privée des
usagers d’internet » déposées par Zoé Genot devant la Chambre et Jacky Morael au Sénat.
Remarquons d’emblée que le flou législatif et le besoin exprimé par les divers acteurs
concernés, peuvent justifier la mise à l’étude de propositions législatives.
Mais faut-il absolument une loi règlementant spécifiquement les échanges non-commerciaux
d’œuvres soumises au droit d’auteur 30 dans l’environnement numérique ?
Voici quelques éléments qui démontrent l’inquiétude des divers acteurs en présence ...
1. Premièrement, une thèse norvégienne 31 publiée en 2010 démontre, chiffres de l’IFPI 32
à l’appui que les revenus de l’industrie de la musique a progressé de 4% entre 1999 et
2009 (vidéos et fichiers musicaux sur supports physiques et numériques). En revanche,
le revenu octroyé aux artistes aurait doublé en 10 ans, et le nombre d’artistes aurait
progressé de 30% pendant la même période. En analysant le dernier rapport (2012) de
29
CJCE 29 janv. 2008, Promusicae c/ Telefonica de Espana, aff. C-275/06
A propos de l’urgence d’une règlementation des DPI à l’ère numérique, une proposition de résolution du
Parlement insiste sur le fait qu'il est nécessaire de se doter d'un régime cohérent, efficace et équilibré de
protection des droits de propriété intellectuelle qui tienne compte des droits et des obligations des utilisateurs
ainsi que des libertés fondamentales, qui stimule l'innovation, qui crée de meilleures incitations et qui renforce
la sécurité juridique tant pour les ayants droit que pour les consommateurs sur le marché intérieur. Cfr Rapport
Gallo, Commission des affaires juridiques, 3 juin 2010, (2009/2178(INI)).
31
Richard Biekjoe, Anders Sorbo, The norvegian music industry at the age of digitalization, BI norvegian school
of Management, Thèse, 01 septembre 2010.
32
IFPI (International Federation of the Phonographic Industry) représente l’industrie mondiale de la musique
avec 1400 membres dans 66 pays et des associations de l’industrie affiliée dans 45 pays.
30
15
l’IFPI sur les chiffres de 2011 33, nous constatons que les ventes numériques viennent
de surpasser les ventes sur supports physiques, avec une progression de +5% dans les
ventes sur internet mobile, sous l’influence de l’effet iPad, iPhone, i Tunes
concurrencés par l’ascension des smartphones tournant sous Androïd…
L’industrie de la musique ne se porterait donc pas si mal. Pourtant, les partisans de la
répression ne démordent pas de l’idée que les artistes s’appauvrissent à cause du
téléchargement illégal, et répondent par des études tendant à prouver, comme en France par
exemple, que la riposte graduée porterait ses fruits.
2. Ainsi, la récente étude du comité Hadopi, « Hadopi, 1 an après son lancement »
affiche les chiffres suivants : -17% d’audience selon Nielsen -29% d’audience selon
Médiamétrie // NetRatings, -43%, de mises à disposition illicites, selon Peer Media
Technologies, -66% de mises à disposition illicites, selon l’ALPA.
3. En Belgique, la Sabam, quant à elle, a facturé Belgacom en arguant d’une perte de
revenus pour les artistes d’une valeur estimée de 20 millions d’euros entre 2010 et
2011, alors que l’IFPI publie une augmentation constante des revenus des sociétés de
gestion collective, à côté d’une chute de moitié, en dix ans, des revenus de la musique
enregistrée sur support physique ou numérique, et un doublement des revenus « live »
(concerts, droits de diffusion tv)… Cette apparente contradiction dans les chiffres
pourrait cependant s’expliquer par une chute de l’intermédiation des sociétés de
gestion collective entre consommateurs et auteurs, et d’une augmentation du revenu
des stars et de leurs maisons de disques qui ont développé des plans d’affaires dans
l’environnement numérique, excluant les traditionnelles sociétés de gestion collective.
4. D’autres études tendent à démontrer une forte corrélation entre les plus gros
téléchargeurs sur les réseaux peer-to-peer et les actes d’achat de contenus payants et
légaux 34. Ce paramètre renforcerait donc la motivation d’autoriser la libre circulation
non-commerciale, dont les résultats s’avéreraient positifs sur les ventes dans les
plates-formes de téléchargement légal. Bon nombre d’utilisateurs interrogés
reconnaissent écouter ou visionner de nombreux contenus sans les rémunérer afin de
découvrir de nouveaux albums, jeux, films, ou logiciels, avant de décider de les
acheter. Pensons notamment à la logique des logiciels gratuits pour une durée limitée
et/ou restreints dans leurs fonctionnalités dans le but de leur évaluation par le prospect.
Selon ces études, une légalisation du P2P permettrait en outre de réduire la fracture
numérique et assurer la diffusion de la culture à plus grande échelle.
5. La justice est impuissante face à l’ampleur du piratage dû à la numérisation et
l’étendue du réseau internet. L’algorithme Gnutella a notamment été conçu pour
mieux « résister » aux et poursuites judiciaires, de par la difficulté d’identification des
fraudeurs, ceux-ci ne partageant pas un fichier dans son entièreté, mais seulement des
segments de fichiers, saucissonnés, décomposés entre un certain nombre d’autres
33
IFPI, Recording Industry in Numbers (2012 edition), The recorded music market in 2011 Report structure and
contents at a glance.
http://www.ifpi.org/content/section_resources/rin/RIN_Contents.html
34
BOURNIE David, BOURREAU Marc, WAELBROEK Patrick, Pirates or explorers, an analysis of consumption in
French graduate school, 2005, cités par Christophe Poultier in Le téléchargement au Coeur d’une revolution
copernicienne, revue Multitudes, n°39.
16
« pairs », afin de recomposer le fichier à l’arrivée sur le PC du client qui a initié la
requête. Les utilisateurs chevronnés « s’anonymisent » grâce au logiciel « TOR »,
utilisent des VPN afin de crypter les communications, ou utilisent de nouveaux
logiciels tel Tribler, qui garantit un échange efficace même en l’absence de sites
d’indexation centralisés, ceux-ci étant sujets à des blocages par les ISP sur décision
judiciaire. 35 Ce fût le cas dans l’affaire The Pirate Bay en fin 2011, dans laquelle
Belgacom et Telenet ont été tenus de faire fermer ces domaines, laquelle
condamnation fût contournée immédiatement de par l’ouverture de nouveaux noms de
domaines reprenant le même contenu.
6. Le secteur culturel emploie près de 100.000 personnes en Belgique et représente
environ 3% du PIB ainsi que 3% des investissements, en conformité avec la moyenne
européenne révélée dans le livre vert sur la distribution en ligne d'œuvres
audiovisuelles dans l'Union européenne. (500 milliards d’euros et 6 millions de
personnes à l’échelle européenne) 36 L’investissement se monte ainsi à près de 1,2
milliards d’euros par an dans notre pays. Compte tenu du développement du marché
de la musique en ligne, l’industrie musicale, pour ne parler que d’elle, a perdu 39% de
son chiffre d’affaires 37 passant de 175 à 106 millions d’euros entre 2000 et 2008.
Depuis cette date, l’offre de contenus en ligne n’a cependant cessé de progresser, avec
l’arrivée de plateformes à succès telles que Deezer ou Spotify dans le domaine du
téléchargement légal de musique.
Dès lors, face à ces requêtes pressantes du secteur de la culture, les résultats des récentes
études de marché, et face à l’évolution des outils de piratage, une vraie pression s’exerce sur
les partis afin de légiférer de manière spécifique.
La nouvelle législation devrait cependant trancher d’importants sujets tels la nécessité d’une
source licite de fichiers qui permettrait d’accepter l’exception de copie privée dans les
échanges P2P. La seconde question méritant une décision tranchée est celle de la distinction
entre téléchargeur et « uploadeur » 38 Ce flou législatif belge en la matière pose en effet des
questions de difficulté d’identification de responsables d’actes couverts par le droit d’auteur,
mais rendent également difficile la qualification des faits. Cette problématique est un enjeu
politique important, car elle touche à l’autorisation ou non de la plus large diffusion de la
culture et à la diversité culturelle. Mais, sur le plan purement juridique, si l’on déclare que
l’acte de téléchargement induit nécessairement une mise à disposition sur les réseaux peer-topeer, cela qualifie de facto l’internaute qui fait usage d’un logiciel de peer-to-peer de
« personne qui fait usage d’un droit de reproduction et de communication à un public
nouveau », d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Or la LDA octroie ce droit à l’auteur, de
manière exclusive.
La proposition de loi Morael ne tranche pas cette question pourtant déterminante. Il faut en
effet pouvoir déterminer quels fichiers sont couverts par une licence globale et quels types
35
Parlement européen, Direction générale des politiques internes de l’Union, Département thématiques - B:
politiques structurelles et de cohésion, Culture et éducation, Le « Forfait sur le contenu »: une solution au
partage illégal des fichiers ?, juillet 2011, page 133.
36
COM(2011) 427, LIVRE VERT sur la distribution en ligne d'œuvres audiovisuelles dans l'Union européenne Vers un marché unique du numérique: possibilités et obstacles, Bruxelles, 13/07/2011.
37
IFPI , Rapport « Digital Music report », 2009
38
Au Canada, l’utilisateur d’un réseau peer-to-peer est d’office considéré comme un uploadeur potentiel. Car
pendant un acte de download, même si l’utilisateur a désactivé la fonction d’envoi, celui-ci peut avoir lieu, en
raison de la nature même de l’algorithme Gnutella, très répandu dans les divers logiciels P2P du marché.
L’utilisateur se rend dès lors coupable, même à son insu d’un acte de piratage.
17
d’utilisation sont autorisés. Or si la loi prévoit que l’acte d’upload est d’office assigné à
l’utilisateur d’un logiciel P2P du simple fait de son utilisation, la licence globale se devrait
dès lors de rémunérer l’auteur non seulement en échange d’une acte reproduction pour copie
privée, mais également en échange d’une utilisation d’un autre de ses droits exclusifs, à savoir
le droit de mise à disposition d’un public (le droit de communication). Dans cette hypothèse,
nous serions plus dans le cadre d’un échange de fichiers couvert par l’exception de copie
privée à des fins d’utilisation dans le cercle de famille, prévue à l’article 23 de la Loi belge sur
le droit d’auteur. La licence globale devrait dès lors créer cette nouvelle exception et la
compenser par une juste rémunération.
La fermeture des logiciels peer-to-peer n’est pas une solution qui permettrait de répondre à
l’urgence de légiférer en la matière, car ceux-ci ne servent pas exclusivement à télécharger
des œuvres protégées par des droits de propriété intellectuelle mais aussi tout autre type de
fichiers dans un but privé ou professionnel. De telles actions en cessation d’activité
s’avèreraient inefficaces et trop attentatoires à la liberté d’expression.
L’Union européenne manque d’ailleurs à ses obligations sur base de l’article 167 TFUE.
Celui-ci énonce en effet que « l’action de l’Union vise à encourager la coopération entre
Etats membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines
suivants : […] la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d’importance
européenne, les échanges culturels non commerciaux, et la création artistique et littéraire, y
compris le secteur de l’audiovisuel. » 39 Les termes « si nécessaire » évoquent le principe de
subsidiarité, et tant le MR qu’ecolo déclarent que cette nécessité est aujourd’hui absolument
justifiée.
Quant à la proposition de loi Miller, le préambule de celle-là déclare néanmoins que « si le
téléchargement est en soi un outil de développement culturel, le téléchargement illégal, lui,
est une véritable menace pour la création culturelle. … un vol généralisé et organisé…» 40
Outre le fait que ce texte confirme la prise en compte de cette urgence à légiférer, l’utilisation
du terme « vol » est le point de discorde fondamental entre les tenants d’une philosophie
politique conservatrice et les thèses progressistes qui contestent ce lien de causalité entre le
téléchargement illégal et perte de revenus pour les auteurs.
Compatibilité de ces deux propositions de loi entre elles
Posons-nous la question de savoir si les deux propositions de loi sont réellement en
contradiction sur le plan purement juridique, sachant qu’en ce qui concerne leur ratio legis et
leur motivation philosophico-politique, elles ne le sont manifestement pas. La proposition
déposée par ecolo/groen ne concerne que les échanges non commerciaux d’œuvres protégées
par le droit d’auteur. Cet aspect n’est traité que par les piliers 4 et 5 de la proposition MR. Le
5ème pilier, qui envisageait la mise en place d’un mécanisme de riposte graduée, ayant été
abandonné, comparons le 4ème pilier de la loi Miller avec la proposition de licence globale
proposée par J. Morael. Ce 4ème pilier entend fixer les conditions et limites des échanges.
Ceux-ci devraient faire l’objet de négociations entre les sociétés de gestion collective et les
fournisseurs d’accès 41. Au-delà des sites tels MegaUpload, l’article 7 de la loi viserait
39
Traité de Lisbonne, article 167.
À comparer avec les thèses de Lundwall qui réfute la qualification de « vol » d’œuvres numérisées, Cfr. supra
41
Sénat de Belgique, Session 2010-2011, 28 janvier 2011, Proposition de loi favorisant la protection de la
création culturelle sur internet, déposée par Richard Miller, page 13, et articles 7, 8
40
18
notamment aussi les plates-formes d’échange P2P, car il s’agit bien « d’opérateurs de bases
de données mises en ligne à titre onéreux ou gratuit, et permettant au public de réaliser le
chargement, la visualisation, l’échange d’œuvres ou de prestations, ou encore se mettre à
jour automatiquement selon un procédé informatique » auxquels seuls les auteurs et titulaires
de droits voisins peuvent autoriser l’usage de leur droit de communication ou de reproduction.
En l’état, cette disposition entrerait en conflit avec la mise en œuvre d’un mécanisme de
licence globale autorisant les partages d’œuvres contre rémunération des auteurs par une
société de gestion collective qui comptabiliserait ces partages, avec en plus une différence
dans la qualification du responsable de cette rémunération dans le cadre du peer-to-peer, qui
devrait être non plus le fournisseur d’accès à internet, mais le gestionnaire de la base de
données, à savoir la société éditrice du logiciel de P2P mis à disposition des internautes en
Belgique. Cela nécessiterait une surveillance par les SGC de l’existence de ces derniers.
Par opposition, la proposition ecolo, quant à elle, n’évoque en rien les acteurs commerciaux,
et elle fait peser la responsabilité des échanges interpersonnels uniquement sur les FAI, ce qui
facilite certes cette surveillance, mais qui vise peut-être à côté des véritables responsables. Les
éditeurs de logiciels P2P ne versent en effet actuellement aucun montant aux FAI malgré
l’importance du trafic dont ils leur occasionnent la charge. Or, si l’on veut faire baisser le tarif
de l’accès, ne vaut mieux-t-il pas alléger le trafic sur les réseaux des FAI, tout en luttant
contre les sites de direct download, ou encore contre les utilisateurs qui créent leurs sites web
de mise à disposition de contenus illégaux, au préjudice de leur FAI, se réservant au passage
de plantureux revenus publicitaires reversés via Google adsense par exemple ? 42
A ce propos, l’article 8 de la loi Miller laisse à l’exclusive compétence d’une SGC le droit de
refuser ou d’interdire la mise à disposition d’œuvres, en y rajoutant le mécanisme de
l’extension aux auteurs qui n’en sont pas membres. Cette mesure révèle donc la mise en
œuvre d’une licence collective étendue que nous évaluons ci-dessous (page 16) à propos des
divers régimes juridiques que peut revêtir la notion de « licence globale ». L’article 12 de
cette proposition prévoit la négociation entre les fournisseurs d’accès et les sociétés de gestion
collective, des échanges d’œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins.
En conclusion, au prix d’un amendement de la proposition MR afin d’exclure explicitement
les logiciels P2P de son champ d’application, les deux lois pourraient coexister sans risque de
conflit porté devant le conseil d’Etat. En effet, la logique libérale insiste principalement sur la
sanction des sites ou des serveurs de téléchargement direct qui incitent les internautes à
échanger des contenus sans autorisation des auteurs, tout en encourageant les accords
concertés entre propriétaires de bases de données et sociétés de gestion collective. En
revanche, la proposition ecolo/groen ne concerne en rien ce domaine des plates-formes
commerciales légales ni illégales, mais vise à instituer une légalisation des échanges directs
de fichiers entre utilisateurs, sur une base non commerciale. Bref, si les deux propositions
étaient adoptées, la règlementation du téléchargement d’œuvres culturelles sur internet en
Belgique reviendrait, d’une part, à une légalisation du partage via les réseaux peer-to-peer, et,
d’autre part à une obligation de négociation avec des SGC imposée aux plates-formes de
téléchargement direct et autres sites web de contenus. Dans cette hypothèse, la quantité des
œuvres diffusées sur internet et la diversité culturelle seraient garantis, l’idée d’un internet
42
Certains utilisateurs particuliers font usage de lignes à volume d’upload illimité pour envoyer plusieurs
Terrabytes de données à destination de leurs « clients ». Les FAI sont dépourvus actuellement de moyens de
lutte contre ces fraudes. Ils pratiquent dès lors la mise en bande passante limitée des utilisateurs abusifs en
prétextant de difficultés techniques sur le réseau de Belgacom… Ce type de pratiques illégales et hypocrites,
tant du côté du client que du côté de son provider, doivent rapidement trouver une solution juridique adaptée,
car nous sommes là confrontés à un vide et une insécurité juridiques évidentes.
19
libre et gratuit autorisant le « partage », et non plus le « piratage », serait sauve, tout cela sans
préjudice des droits des auteurs et ayants droits, ceux-ci étant financés par une « licence
collective étendue » qui serait appliquée à tous les échanges sur toutes plates-formes.
Quel régime juridique la licence globale peut-elle adopter ?
La notion de « licence globale » peut revêtir diverses formes dans sa conception juridique. La
doctrine distingue généralement 3 régimes possibles. Tout d’abord la licence légale qui est st
une licence non volontaire. Les licences non volontaires permettent au public d’utiliser les
œuvres des auteurs en leur versant une contrepartie financière 43 Dans l’hypothèse de la
licence légale, le législateur a donné au pouvoir exécutif la mission de fixer la rémunération
même si les parties intéressées sont consultées. Dans le cas d’une licence obligatoire, le
second régime possible, la rémunération doit être négociée entre les parties.
Et enfin, le troisième mécanisme potentiel est la gestion collective obligatoire, qui consiste à
retirer à l’auteur l’exercice individuel de son droit exclusif pour le confier à une société de
gestion collective. L’auteur ne peut donc plus contrôler lui-même l’exploitation de ses œuvres
dans le cadre fixé par le système puisqu’un exercice collectif par une société de gestion lui a
été imposé. Toutefois et contrairement à la licence non volontaire, les sociétés de gestion
conservent un pouvoir de négociation des conditions de licence avec les utilisateurs
(conditions d’utilisation, tarifs). 44 La licence globale telle qu’imaginée dans le cadre de la
proposition de loi ecolo, serait à classer parmi les licences légales. 45
Selon l’article 1 § 1 de la loi sur le droit d’auteur et droits voisins, l’auteur seul dispose des
droits patrimoniaux exclusifs relatifs à l’utilisation et l’exploitation de son œuvre. Les droits
exclusifs des auteurs, malgré une licence globale, doivent rester protégés, en application de
cette loi. Cependant, une licence globale serait une nouvelle exception au droit d'auteur. Une
question centrale consiste à déterminer quels sont les types de droits d’auteurs qui seront
soumis à cette forme d’expropriation, autrement dit d’exclusion du champ d’action de l’auteur
sur son œuvre ? Les droits moraux sont en principe inaliénables mais la licence globale
transformerait ce droit exclusif en simple droit à rémunération, sans possibilité pour l’auteur
de s’opposer aux échanges en ligne de ses œuvres. Le paradigme de la sphère publique justifie
ces exceptions, dans le sens où, pour permettre de « préserver l’autonomie du public et
promouvoir la vivacité de l’espace public, le droit exclusif s’efface, dans certaines
hypothèses, pour permettre une libre utilisation des œuvres. » 46
Rappelons qu’une « licence », dans le domaine de la propriété intellectuelle, ne couvre qu’un
acte particulier et non tous les droits de l’auteur de manière générale. La licence globale doit
donc définir précisément les droits compensés par la rémunération. S’agit-il du droit de
reproduction, de communication ? Comment réglemente-t-on les droits moraux ?...
A ce propos, le droit moral de paternité sur l’œuvre devrait être garanti par la proposition de
loi relative à la licence globale. La présence de codes ou de signes d’identification des
œuvres, dans tous les fichiers soumis à licence, devrait être assurée et rappelée par la loi et ses
futurs arrêtés royaux d’exécution. Il en va non seulement du respect du droit de paternité de
43
S. Dusolllier, C. Colin, op.cit, p.21
S. Dusolllier, C. Colin, op.cit, p.25
45
S. Dusolllier, C. Colin, op.cit, p.24
46
S. Dusollier, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Bruxelles, Larcier, 2005,
p.466.
44
20
l’auteur, qui dispose de ce droit à ce que soit établi un lien permanent entre ses créations
artistiques et sa personne, mais également du bon fonctionnement du mécanisme de
redistribution des revenus, basé sur des statistiques dont la mission est confiée, d’après la
proposition de loi dans sa forme actuelle, à l’IBPT.
En termes de droits patrimoniaux, la numérisation de l’œuvre elle-même est un acte de
reproduction, au sens de l’article 1 de la LDA, qui indique que seul l’auteur en dispose du
droit. Quant à la diffusion en ligne, elle touche au droit de communication au public.
La proposition de loi devrait donc clairement identifier ces deux types de droits dont l’auteur
est réputé avoir perdu la jouissance exclusive en contrepartie d’une juste rémunération. Les
exceptions en droit d’auteur étant de stricte interprétation, il ne pourra y avoir de doute sur,
par exemple, l’illicéité d’un acte de reproduction destiné soit à modifier une vidéo originale,
portant par là atteinte au droit moral d’intégrité de l’œuvre. Il n’y aurait pas de doute non plus
sur l’illicéité d’une reproduction intégrale d’un titre mp3 copié sur une plate-forme payante,
ou même à titre gratuit mais financée par de la publicité de type Google « adsense » par
exemple. Le responsable de telle copie se rendrait par là coupable d’une atteinte aux droits de
propriété intellectuelle sur des fichiers qu’il aurait cependant acquis via les réseaux peer-topeer de manière parfaitement légale grâce à une licence qui, rappelons-le, ne concerne qu’un
acte particulier, pas l’ensemble des droits d’auteurs touchant à une œuvre protégée. Cet acte
particulier ne consiste en l’espèce qu’en un téléchargement du fichier depuis une plate-forme
d’échange non-commercial en peer-to-peer, destiné à un usage personnel, dans le cercle de
famille de l’utilisateur.
Le droit américain dispose du concept de « fair-use », une limitation du droit d’auteur dans le
cas d’une utilisation non commerciale et non démesurée, mais cette notion n’existe pas en
Europe. En effet, les directives et traités européens reconnaissent avec force le droit exclusif
de l’auteur, seul à pouvoir autoriser une utilisation de ses œuvres. Dès lors, pour admettre
l'exception de copie privée, il est nécessaire que l'œuvre ait été licitement divulguée par
l'auteur. En rapport avec notre sujet, la licence globale ne pourra donc concerner que les
œuvres ayant été délibérément divulguées par l’auteur, à moins que le législateur ne
détermine que le droit de divulgation compte lui-aussi parmi les droits soumis à exception
dans le régime de licence globale. La difficulté repose sur le caractère du droit de divulgation,
qui est un droit moral et donc en principe inaliénable, ne pouvant dès lors pas être soumis à
rémunération. Cependant, après une première divulgation, les copies pourront bien-entendu
avoir lieu sans autorisation préalable de l’auteur.
Dans l’état du droit actuel, l'exception de copie privée est compensée par une rémunération,
sur les CD vierges, graveurs, photocopieurs, dont les revenus sont perçus et redistribués par
reprobel ou auvibel, deux sociétés de gestion collective. En revanche sur internet, le P2P et
autres plate-forme d’échange non-commercial tels les réseaux sociaux ne sont pas (encore) en
mesure de garantir une compensation pour copie privée. Mais une partie de la doctrine
approuve l’idée qu’une licence globale serait somme toute une extension de la copie privée.
Cela est cependant très discutable au vu des accords internationaux. 47 En effet, la licence
globale ne fait pas partie de la liste exhaustive des exceptions dans la convention de Berne.
Donc il faut nécessairement la mettre à l’épreuve du « test des 3 étapes » pour que la loi
47
Communication de la commission européenne, Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance
19/10/2009
21
puisse l'intégrer comme exception.
Dans cette procédure que doit suivre le législateur, la première étape exige de déterminer une
raison valable pour créer la nouvelle exception, en dehors de tout arbitraire. Une exception
doit donc défendre un intérêt public particulier. La seconde étape consiste à vérifier si
l’utilisation des œuvres en question porte atteinte à leur exploitation normale, à savoir si les
auteurs seront ou non privés de gains économiques sur leurs œuvres à cause de l’exception,
suite notamment à une concurrence vis-à-vis des moyens économiques dont use l’auteur pour
se faire rémunérer, et le privant de ce fait de gains significatifs ou tangibles. 48 Le test des trois
étapes impose enfin que l’exception « ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes du détenteur de droit ». Ceci signifie qu’un préjudice peut être porté aux intérêts de
l’auteur, mais pas de manière disproportionnée ni déraisonnable.
Pour faire partie de l'OMC, il était obligatoire de ratifier les traités ADPIC. Or, le test des 3
étapes fait partie de ces traités. La Belgique adhérant à l'OMC, ce test doit donc être
impérativement effectué lors de toute réglementation souhaitant créer une nouvelle exception
au droit d’auteur.
Un mécanisme de « licence légale » ne passerait pas la 3ème étape du test, mais bien la
« licence collective étendue ». Par exemple, le législateur suédois a institué une licence
collective étendue dans le cadre des échanges non-commerciaux de fichiers sur les réseaux.
La licence collective étendue permet de faciliter les négociations et la gestion des montants
perçus. Même les auteurs n'ayant pas souscrit à la licence sont protégés d'office, de par la
notion d’extension de la licence collective. La licence collective étendue est une solution
équilibrée entre interventionnisme et autonomie, et respectent en cela mieux les intérêts des
auteurs autant que le droit à la culture et la diffusion la plus large des œuvres. Elle passe avec
succès le test des 3 étapes.
Mentionnons enfin que dans le cadre de la gestion des droits d’auteur dans la sphère digitale,
et cela afin de poursuivre l’objectif de conservation et d’étendue de la diversité culturelle,
l’Europe appelle de ses vœux une simplification de la procédure de négociation des droits, en
ne créant qu’une licence harmonisée à la fois pour le droit de reproduction et le droit de
communication 49
Faisabilité de ce système au regard des engagements internationaux de la Belgique
En Belgique, la SACD a commandité une étude auprès du CRIDS en 2011. Caroline Colin et
Séverine Dusollier 50 ont étudié la question de la compatibilité des mesures proposées par la
proposition ecolo de « licence globale » avec la Convention de Berne, les traités ADPIC,
OMPI et la directive européenne 2001/29 relative aux droits d’auteurs. Cette étude conclut
48
M. FICSOR, « How much of that ? The three-step test and its application in two recent WTO dispute
settlements cases », p. 136.
49
Creative Content in a European Digital Single Market: Challenges for the Future A Reflection Document of DG
INFSO and DG MARKT, 22 Octobre 2009, “The most immediate approach would consist in aggregating the two
indispensable digital copyrights", p. 16
50
Caroline Colin, sous la supervision et avec la participation de Prof. Séverine Dusollier, Etude de faisabilité de
systèmes de licences pour les échanges d’œuvres sur internet, Rapport pour la SACD/SCAM, Centre de
Recherche Information, Droit et Société (CRIDS), Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix,16 septembre
2011.
22
qu’une licence légale serait incompatible avec ces engagements de la Belgique, mais que, par
contre, un mécanisme de licence collective étendue pourrait l’être.
Les licences non volontaires répondent avant tout à des exigences pratiques suite aux progrès
de la technique et permettent de faire correspondre la protection du droit d’auteur à la
réalité. 51 En Belgique, une licence légale a été mise en œuvre dans les domaines suivants : La
confection d’une anthologie, la reprographie, la copie digitale, les bases de données, le prêt
public et la copie privée. La directive européenne donne une liste exhaustive des exceptions
au droit d’auteur, et les licences légales ou non-volontaires n’en font pas partie 52. La doctrine
du droit de propriété intellectuelle, parmi lesquels von Lewinski, Ficsor, André Lucas,
Séverine Dusollier, pense unanimement qu’un régime de licence légale sur les
téléchargements dans le cadre des échanges non-commerciaux, ne passerait pas le test des 3
étapes. 53 Les articles 9 et 11 de la convention de Berne déclarent que l’auteur doit jouir seul
des droits de reproduction et de représentation. Or, un système d’expropriation de ces droits,
tel que mis en œuvre par un mécanisme de licence légale, serait une négation de ceux-ci.
Intérêt juridique d’une formule optionnelle « Opt-Out ».
Selon Caroline Colin et Séverine Dusollier, l’option « opt-out » offerte aux auteurs qui
souhaiteraient continuer à exercer librement leur droit exclusif, permettrait à la loi sur la
licence globale d’encore mieux respecter les obligations internationales auxquelles la
Belgique est tenue. En effet, le critère de l’exploitation normale de l’œuvre aurait ainsi moins
de chances d’être enfreint. 54 La licence globale suédoise prévoit cette faculté d’Opt-Out,
appliquée endéans les 60 jours d’une déclaration de la part de l’auteur qui souhaite sortir de la
gestion collective.
Section 2 : Compatibilité de la licence globale avec le droit européen des
communications électroniques
Notre sujet d’étude ne concerne qu’en partie la question des droits de propriété intellectuelle,
malgré que l’objectif de ce type de réglementation ait pour objectif la levée de l’éventualité de
poursuites judiciaires à l’encontre des contrevenants aux lois sur les droits d’auteurs et la
contrefaçon. Nous allons voir dans cette section en quoi la légalisation d’échanges de fichiers
peut concerner le droit européen des télécommunications, plus précisément réintitulé droit des
« communications électroniques » depuis le réexamen du paquet télécom 2002. Nous
envisagerons l’impact des mesures envisagées sur le concept de neutralité de l’internet, pour
ensuite nous concentrer sur le rôle que pourraient jouer des instances telles l’IBPT en
51
P. LIECHTI, Les possibilités et les limites de licences légales ou obligatoires selon la Convention de Berne,
Stämpfli & Cie, Berne, 1986, p. 385.
52
Lorsque la législation prévoit une rémunération pour l’auteur en compensation de la suppression de son
droit exclusif, il s’agit d’une licence légale, cfr Valérie-Laure Benabou, Professeur à l’université de Versailles
Saint-Quentin, L’exception au droit d’auteur pour l’enseignement et la recherche ou la recherche
d’une conciliation entre l’accès à la connaissance et le droit d’auteur
53
André Lucas, Peer-to-peer et propriété littéraire et artistique, Etude de faisabilité sur un système de
compensation pour l’échange des œuvres sur internet, institut de recherche en droit privé de l’Université de
Nantes, p.55
54
A. PEUKERT, “A Bipolar Copyright System for the Digital Network Environment”, Hastings Communications
and Entertainment Law Journal, Vol. 28, No. 1, p. 1
23
Belgique dans cette matière.
Evaluation de la licence globale en regard de la neutralité du net et des droits fondamentaux
La notion de Neutralité de l’Internet (« net neutrality ») consiste, pour les opérateurs et
fournisseurs d’accès de ne pas pouvoir discriminer les contenus qu’ils transmettent. Evaluons
le respect de ce principe notamment énoncé par la Commission européenne dans diverses
directives du paquet télécom 2002, et tel que modifié en 2009. La séparation entre la
réglementation de la transmission et la réglementation des contenus ne porte pas atteinte à la
prise en compte des liens qui existent entre eux, notamment pour garantir le pluralisme des
médias, la diversité culturelle ainsi que la protection du consommateur. 55 Cette notion de net
neutrality a inspiré les décisions judiciaires que nous étudierons ci-dessous. Les
intermédiaires de réseau ne sont actuellement pas responsabilisés à l’égard des contenus qu’ils
transmettent ou hébergent, et n’ont pas d’obligation générale de surveillance 56. Or, un
mécanisme de licence légale ou collective sous-tend une analyse des contenus transmis, au
même titre qu’un mécanisme de riposte graduée, qui fait par ailleurs peser un coût important
pour les fournisseurs d’accès. D’ailleurs, en France, certains FAI ont récemment, produit une
facture à l’encontre du comité Hadopi. Le coût engendré par les demandes d’identification de
clients sur base de leur adresse IP, demandes effectuées par l’autorité hadopi aux FAI pourrait
occasionner à ceux-ci des désavantages concurrentiels.
Primo, cette préoccupation de charge de travail excessive pesant sur les opérateurs fait partie
des motivations desquelles a surgi la notion de neutralité de l’internet et s’exprime notamment
à l’article 8.2 b) de la directive cadre : « Les autorités réglementaires nationales promeuvent
la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services
de communications électroniques et des ressources et services associés, notamment: b) en
veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des
communications électroniques, y compris pour la transmission de contenu».
En outre, un mécanisme de riposte graduée ferait peser un risque sur la protection du citoyen
et le respect de sa vie privée 57. Et troisièmement, la nouvelle directive « Mieux légiférer » du
paquet télécom 2009, stipule que l’accès à Internet est essentiel pour l’éducation et pour
l’exercice pratique de la liberté d’expression et l’accès à l’information 58. Lors des
négociations au Parlement européen sur ce paquet télécom, en pleine campagne électorale
européenne et en réaction au lancement d’Hadopi en France, la rédaction des directives a dû
intégrer l’obligation faite aux Etats de lier l’éventuelle décision de coupure d’un accès internet
particulier à une décision juridictionnelle, pour autant que cette mesure soit « appropriée,
proportionnée et nécessaire dans une société démocratique » 59, plutôt que de laisser ce type
55
Considérant 5 de la Directive 2002/21/CE du parlement européen et du conseil du 7 mars 2002 relative à un
cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive
«cadre») (JO L 108 du 24.4.2002, p. 33)
56
CJCE affaire C-70/10, Sabam c.Tiscali, 2011, http://curia.europa.eu/ ; voy aussi CJCE affaire C-360/10, Sabam
c. Netlog nv., 16 février 2012, http://curia.europa.eu/.
57
Brett Danaher, Wellesley College, Department of Economics, Michael D. Smith Carnegie Mellon University,
Heinz CollegeRahul Telang Carnegie Mellon University, Heinz CollegeSiwen Chen Wellesley College, Department
of Economics, The Effect of Graduated Response Anti-Piracy Laws on Music Sales: Evidence from an Event Study
in France
58
Directive « Mieux légiférer », considérant 4.
59
Directive 2009/140/CE, 25 novembre 2009, amendement n° 138 adopté : «Les mesures prises par les Etats
24
de décision entre les mains d’une simple autorité administrative. En revanche, nous pouvons
admettre sans difficultés qu’un régime de licence globale qui autoriserait les échanges non
commerciaux de fichiers protégés par le droit d’auteur contre une compensation pour les
auteurs, n’enfreindrait plus en rien ni la liberté d’expression, ni l’accès à l’information, et ne
risque pas non plus de porter atteinte au respect de la vie privée des internautes.
D’autre part, la proposition de loi Morael envisage que la cartographie des échanges d’œuvres
sur le réseau devrait être confiée à l’IBPT et non aux fournisseurs d’accès. Le principe de la
net neutrality serait sauf, car malgré la liaison de la rémunération à la proportion d’œuvres
téléchargées, du côté des artistes, la taxe licence globale serait, du côté du consommateur,
forfaitaire et non établie sur base du type de fichiers et de leur quantité échangée dans les
réseaux peer-to-peer. La net neutrality n’est pas respectée lorsqu’un FAI discrimine
individuellement l’utilisateur et le surtaxe par des options sur l’abonnement principal, en
compensation des communications skype, le gaming online ou encore l’utilisation de logiciels
P2P…
La perception légale ou non volontaire d’une somme non directement perçue en échange d’un
service particulier, ne nécessite en aucun cas la surveillance du contenu des transmissions.
Par contre, certains s’interrogent sur la légitimité de percevoir un montant forfaitaire sur
l’abonnement de tous les internautes, que ceux-ci téléchargent beaucoup, peu ou pas du tout…
De deux maux, faut-il donc choisir le moindre, entre la non discrimination des contenus ou
celle des consommateurs quelle que soit leur fréquence d’usage du téléchargement d’œuvres
culturelles.
La licence globale serait donc en phase avec le concept de neutralité du net et certains droits
fondamentaux.
Le rôle des autorités règlementaires nationales, les ARN.
A la lecture du livre vert sur la distribution en ligne des œuvres audiovisuelles, primo, de la
déclaration « CREATIVE CONTENT in an european digital single Market: Challenges for
the future. », secundo, et de la directive SMA tertio, quels sont les objectifs liés à
l’harmonisation de la gestion des œuvres, en vue de l’optimisation du bien-être économique
du citoyen européen, et dans le respect des prérogatives des auteurs ?
Les FAI sont règlementés par les Autorités réglementaires nationales, les ARN, telles
l’IBPT, le VRM, le CSA et le Medienrat. La directive cadre en son article 8 (objectifs et
principes de réglementation) stipule que les ARN doivent veiller à ce que la concurrence ne
soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques, y compris pour
la transmission de contenu, mais aussi, article 8.5.b, veiller à ce que, dans des circonstances
similaires, il n’y ait pas de discrimination dans le traitement des entreprises fournissant des
réseaux et services de communications électroniques et, 8.5.c, préserver la concurrence au
profit des consommateurs et promouvoir, s’il y a lieu, une concurrence fondée sur les
infrastructures. Si celle-ci n’est pas possible à cause d’une infrastructure trop difficilement
duplicable, doit alors être promue une concurrence par les services. Or les petits FAI ne
peuvent envisager la duplication de l’infrastructure de Belgacom. La concurrence doit donc
être encouragée dans les services. La proposition de loi Morael ne respecterait les objectifs et
membres concernant l’accès des utilisateurs finaux ou l’utilisation de services et d’applications à travers des
réseaux de communications électroniques doivent respecter les droits et libertés fondamentales des
personnes privées tels que garantis par la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et
des libertés fondamentales et par les principes généraux du droit communautaire. »
25
principes de la recommandation NGA relative aux next generation accesses, que pour autant
qu’elle ne mette pas à mal la concurrence entre les fournisseurs d’accès à internet. 60 Seule
une réelle concurrence favorisera le développement de l’internet à haut débit en termes
d’investissements européens, de création d’emplois et de relance générale de l’économie.
Dans le cadre de la stratégie Europe 2020 et de l’agenda digital européen, la «stratégie
numérique pour l’Europe», présentée en mai 2010, « consiste en des propositions d'action
qu'il faut entreprendre d'urgence pour mettre l'Europe sur la voie d'une croissance
intelligente, durable et intégratrice. » 61
Un marché en duopole avec 1 acteur de réseau xDSL face à un acteur de réseau internet par
cable TV déjà embryonnaire avec le rapprochement que nous constatons entre Telenet et
VOO-Tecteo 62, ne favorisera pas l’investissement dans les réseaux, d’autant plus si l’on
élimine les opérateurs situés plus bas dans l’échelle des investissements, qui sont non
seulement concurrents de Belgacom mais également clients de Belgacom.
La décision CRC d’ouverture du marché du câble au 1er juillet 2011, n’avait d’autre objectif
que l’activation d’une saine concurrence au profit du bien-être économique du consommateur.
Telenet et Voo devront désormais proposer une offre WholeSale aux ISP qui leur font
concurrence. Les accords BRUO et BROBA cultivent depuis 10 ans cette ambiguïté voulue
entre concurrent et client, facilitant de ce fait un marché ouvert et compétitif.
Ainsi, en faisant peser la perception de la compensation à cette nouvelle exception au droit
d’auteur que serait la licence globale, sur le propriétaire du réseau au lieu du FAI au sens
commun du terme, le législateur belge enfreindrait de manière moins importante les objectifs
et principes développés tant dans la recommandation NGA, la stratégie numérique pour
l’Europe, l’évolution du scoreboard du Digital Agenda, et les politiques mises en œuvres par
les ARN.
En revanche, si la nouvelle mesure réglementaire ne pèse pas sur les « fournisseurs d’accès à
internet », mais plutôt sur les propriétaires de la boucle locale (dénommés « opérateurs de
réseau »), il devrait y avoir moins de freins à la création de contenu et de services en ligne
attrayants et leur libre circulation à travers les frontières intérieures de l'UE sont essentielles
pour activer le cercle vertueux de la demande … 63
En effet, l’incitation à l’émergence de nouveaux fournisseurs d’accès et du maintien des petits
opérateurs existants, ne peut qu’accroître la concurrence sur les contenus, suivant l’exemple
de Belgacom, qui vient de conclure un partenariat avec la plate-forme de téléchargement légal
Deezer le 7 novembre 2011, après avoir aussi mis à disposition 20 millions d'euros dans le
cadre de recherche et développement de plates-formes digitales interactives 64. La tendance
actuelle est donc bien à la mise à disposition des clients et partenaires (notamment les petits
FAI), d'applications et de contenus de divertissement en ligne. A titre d’exemple de ce cercle
vertueux entre convergence et développement de contenus, ce type d’investissement fait par
Belgacom, répond à une stratégie de différentiation des ses produits vis-à-vis de la
concurrence, en parallèle des nouvelles possibilités que lui ont offerte la convergence entre
60
Recommandation de la commission du 20 septembre 2010 sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de
nouvelle génération, NGA, Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE, 2010/572/UE.
61
Commission de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen
et au comité des régions, Une stratégie numérique pour l'Europe, COM(2010) 245, page 3
62
Telenet et VOO-Tecteo ont notamment investi en commun dans l’obtention da la 4ème licence mobile belge
et remporté ensemble les droits de retransmission des matches de football de 1ère division pour 3 saisons.
63
Op.Cit., page 8.
64
Communiqué de presse Belgacom et SRIW, Belgacom, S.R.I.W., P.M.V. et S.R.I.B. mettent €20 millions à
disposition pour accélérer le développement d'entreprises locales actives dans le domaine des nouvelles
applications digitales. 20 novembre 2011, url : http://www.belgacom.com/regionalpartnership/fr/
26
internet, télévision et terminaux sans fils. Ces nouveaux contenus permettent de rendre les
offres de Belgacom plus attrayantes, mais qui lui permettent aussi d'augmenter l'ARPU
(average revenue per user).
Une légalisation des échanges non-commerciaux aurait-elle pour effet de démultiplier les
contenus disponibles, parallèlement à une diminution des tarifs, ou au contraire à une
concurrence déloyale et fatale à la survie des modèles de téléchargement commercial ?... Ce
risque financier devrait être évalué, ainsi que l’aspect déloyal ou non de cette concurrence
entre peer-to-peer légalisé et marché des plates-formes commerciales. C’est donc l’aspect
« concurrence » que nous abordons de suite…
Section 3 : Compatibilité avec la règlementation du droit européen de la
concurrence
La proposition de loi ecolo/groen que nous étudions, envisage la fixation des prix d’internet,
en justifiant celle-ci : « Ainsi, on peut considérer que le prix des abonnements internet est
notoirement trop élevé en Belgique, ceci à cause du caractère quasiment monopolistique de la
société Belgacom sur le marché des lignes ADSL (téléphones) et des câblodistributeurs sur
celui du câble » 65
Licence globale, potentiellement responsable d’un abus de position dominante ?
Nous avons déjà conclu qu’une taxe non répercutable renforcerait le monopole sur le marché
de détail des communications électroniques. Mais la question que nous abordons ici est
d’évaluer l’impact en droit de la concurrence d’une interdiction de répercussion de la taxe sur
le client final, par une interdiction d’augmentation du tarif de l’abonnement par les FAI au
prétexte que les abonnements internet sont plus chers qu’ailleurs en Europe, faute de
concurrence efficace.
Peut-on craindre une condamnation par la CJUE ou par décision de la Commission sur base
de l’abus de position dominante pour prix d’éviction ou prix prédatoires ?
Evaluons le respect des principes du droit de la concurrence par notre proposition de loi,
notamment la conformité à l’article 102 du traité fondateur de l’union européenne. Plusieurs
conditions et étapes devraient se cumuler avant d’en arriver à une obligation de suppression
de la loi licence globale. En cas de litige ou question préjudicielle porté devant la CJUE,
pourrait-on tout d’abord mettre en doute que les plates-formes légales et les logiciels P2P
protégés par une licence globale, sont bien sur le même marché ? Auquel cas il y aurait lieu,
pour la Cour de Justice ou la Commission, de démontrer que le P2P et les plateformes légales
constituent un marché défini. Une étude de marché devrait effectuer entre autres le test
SNIPP, l’analyse de la substituabilité de la demande et de l’offre pour enfin conclure à la
définition d’un marché pertinent en cause, à savoir celui de la gestion des droits des œuvres
culturelles numériques offertes au téléchargement sur internet.
Dans un second temps, il serait nécessaire de déterminer une position dominante de la société
de gestion collective responsable de la collecte des contributions liées à la perception de la
licence globale, en partenariat entre la société de gestion collective et les providers internet.
La détermination des parts de marché nous semblerait difficile à déterminer. En effet, de par
la gratuité des téléchargements et dès lors en l’absence de données relatives à de quelconques
ventes et au vu de l’absence de données financières provenant de l’administration fiscale,
65
Proposition de loi Morael, Op.cit., préambule, p.7 in fine, et article 3 portant proposition de modification de
la L'article 2, § 1er, de la loi du 22 janvier 1945 sur la réglementation économique des prix.
27
comment la commission européenne pourrait-elle déterminer que la part de marché des
logiciels peer-to-peer dépasse bien les 40% et ainsi en conclure une position dominante ?
Et enfin, à supposer que la position dominante soit reconnue, encore faudrait-il en démontrer
un abus…
L’arrêt Wanadoo 66 de 2007 avait confirmé la décision de la Commission de 2003
sanctionnant Wanadoo Interactive S.A. pour abus de position dominante par la pratique de
prix prédateurs, au motif que les pratiques abusives de Wanadoo restreignaient l'entrée sur le
marché de concurrents, portant ainsi préjudice aux consommateurs. Des opérateurs dominants
ne peuvent utiliser leur puissance de marché pour étouffer la concurrence et les marchés
vitaux pour le développement de la société de l’information doivent pouvoir développer
librement des services concurrentiels. Un prix prédatoire est un abus de position dominante
ayant pour effet d’éliminer des concurrents, d’empêcher l’accès d’une nouvelle entreprise sur
le marché ou encore par des comportements qu’une entreprise ne pourrait adopter sans
compromettre son propre intérêt sur un marché concurrentiel ou si elle ne disposait pas d’une
position dominante. 67 Les cas les plus connus devant la CJUE sont ceux de Wanadoo, Akzo et
GlaxoSmith Kline, tous trois condamnés à une amende de 10 millions d’euros en
compensation de cette pratique anticoncurrentielle. Nous pensons donc que le risque de
procès du chef d’abus de position dominante pour prix prédatoire, est réel, mais qu’en
revanche les éléments de preuve seraient très complexes à réunir par la partie demanderesse,
dans le cadre d’une procédure « significative market power » dite SMP. Cette procédure tend
notamment à définir un marché, ensuite la part de marché respective de chacun des acteurs de
celui-ci.
Licence globale, une aide d’Etat ? …
L’analyse devrait aussi se focaliser sur le respect du système de licence globale belge en
regard de l’article 107 du TFUE, car il est possible de défendre la thèse d’une aide d’Etat
illicite, car répondant à la définition d’aides accordées par les États ou au moyen de
ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la
concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions 68
Dans le cadre de son partenariat avec l’entreprise « Deezer », Belgacom sera-t-elle
responsabilisée de l’échange de contenus par leurs clients ou ne seront-ils considérés que
comme intermédiaires commerciaux avec les sociétés de gestion collective de la licence
globale ?
La proposition de loi déclare veiller à ce que « la contribution créative transférée vers les
ayants droits des œuvres concernées ne soit pas répercutée sur la facture de connexion de
l'usager, déjà trop élevée en Belgique, par manque de concurrence dans ce secteur. » 69 Nous
avons déjà évalué un risque de « market failure » en faisant peser la taxe sur les petits FAI
sans répercussion possible sur la facture du client final. Une autre défaillance de marché ne
pourrait-elle pas être exploitée par les grands concurrents du système de licence globale, à
savoir les plates-formes de téléchargement légal ? Belgacom a proposé et mis en œuvre sa
solution au téléchargement illégal, en offrant gratuitement à ses clients abonnés à certains
packs, un abonnement complet au catalogue de Deezer. Si la proposition de loi ecolo est
votée, nous ne pouvons pas exclure l’éventualité d’une action devant les autorités judiciaires
66
CJUE affaire Wanadoo, C-2002/07
Elsa Thauvin, Les prix prédateurs, sous la direction de Louis Vogel, université Panthéon Assas, Année
universitaire 2009/2010
68
TFUE, article 107§1.
69
Proposition de loi ecolo/groen, op.cit., p.1.
67
28
européennes arguant de l’article 107 TFUE par une de ces sociétés qui s’estimeraient lésées
dans leur compétitivité à cause de la fixation, par l’Etat fédéral belge, des prix de l’accès à
internet. La société de gestion collective de la licence globale pourrait être considérée comme
bénéficiaire d’une aide d’Etat. Comme nous allons le voir ci-dessous, une SGC est une
entreprise. Elle peut être déclarée en position dominante, car très souvent, elles constituent
même un monopole. L’article 107 pourrait servir de base juridique à l’interdiction de l’Etat à
aider la SGC, car celui-ci ferait peser un risque disproportionné de perte de revenus aux
entreprises privées présentes sur le même marché. Il en serait autrement si, par contre, les
fournisseurs d’accès à internet proposaient une option « licence de téléchargement illimité en
PZP » par exemple en supplément de l’abonnement principal. Cette option octroierait une
licence de téléchargement de fichiers, à un tarif concurrentiel par rapport aux plateformes de
téléchargement légal, dans le respect des articles 102 et 107 du TFUE. Cette idée d’une option
payante est envisagée par « l’Alliance Public artistes » en France, dans son projet de mise en
place d’un système de licence globale.
CHAPITRE III : Conséquences de l’adoption d’une législation relative à
une licence globale
Section 1 : Qualification juridique du rôle des fournisseurs d’accès à
internet
Au vu de la jurisprudence récente, les FAI auront-ils plutôt tendance à être responsabilisés à
l’égard de l’échange de contenus par leurs clients ou n’être qualifiés que d’intermédiaires
commerciaux avec les sociétés de gestion collective ?
Une semaine à peine après l’annonce du partenariat privé entre Belgacom et Deezer, la
SABAM avait réagi de manière ostentatoire en envoyant une facture de 30 millions d’euros à
Belgacom. Selon la SABAM, la diffusion des œuvres musicales ne cesserait de croître, mais,
en revanche, leurs revenus, à savoir les revenus des auteurs, ont diminué de près de 20
millions d'euros par an. Belgacom conteste cette facture, en ce qu'elle ne reposerait sur aucune
base juridique valable. En effet, la Sabam n'avance qu'une présomption, et non une preuve
tangible 70. Belgacom fermerait les yeux sur le téléchargement illégal, en se retranchant
derrière son rôle de pur transporteur de données, ce qui, selon la loi sur le droit d'auteur et les
droits voisins et la LSSI (loi sur certains aspects de la société de l’information du 11 mars
2003) 71, l’exonère en effet de toute responsabilité en cas de violation du droit d'auteur ou des
droits voisins. Les négociations de Belgacom avec Deezer, YouTube ou encore Spotify,
tiennent compte d'une juste rémunération des sociétés de gestion collective des droits d'auteur.
Mais en l'espèce, la Sabam désire ici faire payer une facture ne reposant que sur une
présomption de téléchargement illégal qui vise un autre marché, celui du peer-to-peer. Cette
illustration nous montre que dans le cadre du peer-to-peer, les FAI jouissent du statut de
transporteur, et ne peuvent donc être tenus pour responsables d’atteintes à la propriété
intellectuelle même s’ils étaient avertis de telles atteintes. La ne pourra donc obtenir gain de
cause. Les affaires Sabam c. netlog et Sabam c. tiscali ont toutes deux été perdues par la
70
Cfr à ce sujet l’analyse d’Etienne Wery, Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (cabinet (ulys) in Droit &
Nouvelles Technologies, 11/10/11
71
Article 21 §1 : dans le cadre d’activités de simple transport, les prestataires intermédiaires n’ont aucune
obligation de surveillance générale.ni aucune obligation générale de rechercher activement des faits ou
circonstances relevant d’activités illicites.
29
société de gestion collective.
En regard du débat à propos du traité ACTA et de l’évolution récente des jurisprudences nationales
et européenne sur la responsabilité des intermédiaires
Que prévoit au juste le traité ACTA 72 à propos des « moyens de faire respecter la propriété
intellectuelle dans l’environnement numérique » en son article 27 ? … Que chaque Etat doit
prévoir « des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle, afin
de permettre une action efficace contre tout acte y portant atteinte, y compris le
contournement des mesures techniques de protection... » En Belgique, la LDA sanctionne
déjà le contournement de mesures techniques anti-copies, comme les protections anti-piratage
des jeux ou des DVD 73, après transposition des traités OMPI de 1996 et de la directive
européenne « société de l’information » 74. L’article 80 de cette même loi sert de base
juridique pour qualifier le piratage de délit de contrefaçon… Et le téléchargement en peer-topeer constitue une contrefaçon, selon une jurisprudence constante en Europe 75 Quant aux
procédures à mettre en place, ACTA n'impose pas le type de procédure qui devrait être
adoptée, ni une riposte graduée de type HADOPI à la française, pas plus qu'une autre mesure
de protection... Si une licence globale voit le jour chez nous, dont la ratio legis est strictement
opposée à une logique de riposte graduée contre la piraterie, en termes de philosophie
politique, la ratification d'ACTA par la Belgique n'en constituerait pas un frein.
En effet, la proposition de loi sur la licence globale, telle que déposée au Sénat et à la
Chambre par Ecolo/Groen, consisterait à rendre légaux les téléchargements en peer-to-peer.
Or ACTA n'impose que de lutter contre ceux qui resteraient éventuellement illégaux. En l’état
actuel de la proposition, plus aucun fichier ne serait en circulation illégale. Il pourrait en être
autrement si celle-ci s’amende en envisageant la mise en place d’une procédure d’opt-out
dans le chef des auteurs. La faculté d’opt-out, le cas échéant, permettrait à des auteurs de ne
pas accepter la compensation financière en échange de la nouvelle exception au droit d’auteur
que constituerait la licence globale. Les auteurs qui souhaiteraient pouvoir continuer à
protéger leurs droits exclusifs par voie judiciaire, pourraient faire usage de leur droit exclusif
au travers de la procédure d’Opt-Out. Les dépositaires de la proposition de loi ecolo/groen,
semblent cependant farouchement opposés à ce mécanisme d’Opt-Out en l’état actuel de la
question.
Une loi instaurant une licence globale sur les téléchargements n'entrerait donc pas en conflit
avec ce nouvel engagement international de la Belgique, que par ailleurs notre pays respecte
déjà avant même ratification de celui-ci, qui déclenche irrationnellement les passions telle une
tempête dans un verre d'eau. ACTA prévoit d'autre part que les procédures à mettre en place
préservent les principes de liberté d'expression et le respect de la vie privée.
En outre, toute la jurisprudence européenne va dans le sens de l'interdiction du flicage par les
ISP (affaire Scarlet/, Netlog/ 76). Une licence globale mettrait en œuvre une procédure,
72
ACTA :Anti conterfeiting trade agreement,
url:http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/may/tradoc_147937.pdf
73
Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, article 79 bis.
74
Directive 2001/29/CE du Parlement et du conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du
droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O.C.E, 22 juin 2001, n° L 167/10.
75
TGI Vannes, ch. corr., 29 avr. 2004, PI juill. 2004, n° 12, chron. pp. 779-782
76
CJCE affaire C-360/10, Sabam c. Netlog nv., 16 février 2012, http://curia.europa.eu
30
consistant à calculer le ranking des œuvres les plus téléchargées, de manière statistique et
anonyme, comme le stipule le traité ACTA en son article 28 alinéa 2: "Chaque Partie favorise
la collecte et l'analyse de données statistiques et d'autres renseignements pertinents
concernant les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, ainsi que la collecte de
renseignements sur les pratiques exemplaires visant à prévenir et à contrer ces atteintes." On
ne parle en aucun cas ici d'identification des auteurs de faits contraires à l'intégrité des droits
d'auteurs. Nos lois sont donc déjà en bonne partie conformes à ACTA, qui ne constitue en
aucun cas une obligation de mettre en place une loi qui prévoirait une riposte graduée ou tout
autre mécanisme nécessairement répressif. Au contraire, il ne pourra qu'accélérer l'adoption
de la loi pour l'instauration d'une licence globale, autrement dite de légalisation des peer-topeer et autres échanges privés de biens culturels sur internet. En revanche, ACTA autorisera
toujours les Etats à lutter contre des sites tels que MegaUpload, qui ne concernent pas les
échanges privés en peer-to-peer. Ces derniers pourraient être légalisés prochainement en
Belgique si la proposition de loi pour la licence globale est un jour votée au Parlement. Si
nous évoquons les positions des sympathisants du mouvement des hacktivistes du
groupuscule « anonymous », n’est-il pas un peu paradoxal de lutter pour la sauvegarde d’un
« internet libre et gratuit », tout en érigeant en héros des temps modernes Kim Dotcom, le
fondateur de MegaUpload, que des millions d’utilisateurs ont aidé à se constituer une fortune
personnelle sur le lit piétiné des créateurs. Ces 9,99€, pourquoi ne pas les payer aux sociétés
de gestion collective de droits d'auteur, qui encourageront alors nos artistes créatifs à nous
concocter de belles œuvres littéraires, films et œuvres musicales. Une société de gestion
collective sous le contrôle direct de l’Etat gérerait sans aucun doute ces fonds de manière plus
saine et transparente. Nous relevons ici la proposition française de l’ »Alliance
public/artistes » qui envisage le paiement d’un supplément, une option payée par le client du
FAI. D’après l’étude de ces derniers, l’utilisateur aurait déclaré une disposition à payer d’une
moyenne de 4,5€ par mois afin d’êtres à l’abri de poursuites judiciaires mais surtout de se
sentir en parfaite conformité avec les lois. 77
Initiée en 2004 et enfin close en 2011 par la réponse de la CJUE à une question préjudicielle,
l’affaire Affaire Sabam contre Scarlet conclut que les FAI ne sont pas obligés de filtrer les
contenus ni de fliquer leurs clients.
Dans l’affaire contre The Pirate Bay, les prévenus ont été condamnés à 4 ans de prison, car
leur rôle dépassait le cadre d’un simple outil. Ils géraient et éditaient les contenus présents sur
leur plate-forme. Notre loi sur « certains aspects de la société de l’information » (La LSSI),
responsabilise les hébergeurs pour autant que ceux-ci jouent ce rôle d’éditeur de contenu.
Les fournisseurs d’accès à internet Telenet et Belgacom ont été condamnés suite à une action
en cessation, à empêcher l’accès de leurs abonnés au site web thepiratebay.org. La justice a ici
innové, en faisant peser la condamnation sur le fournisseur d’accès, alors même que celui-ci
n’était pas le responsable de la violation des droits d’auteur au premier chef. On a donc
condamné l’outil afin de viser des échanges de contenus. S’agit-il là d’une évolution
jurisprudentielle majeure en la matière ?...
On ne pourrait en aucun cas reconnaître à cette licence le statut d’exception de reproduction
provisoire dans le cadre de la transmission sur les réseaux. La CJUE dans l’arrêt Fifa Premier
League en octobre 2011, a encore confirmé une jurisprudence naissante, consistant à refuser
l’argument d’exception de reproduction provisoire si la copie octroie un quelconque avantage
économique au responsable d’un acte de communication envers un public.
La SACEM, la société de gestion collective, fût condamnée en 1989 par la Cour de Justice
des Communautés européennes pour abus de position dominante, en infraction de l’article 102
du TFUE. Une société de gestion collective est en effet considérée comme une entreprise, tel
77
Cfr page 17 ci-dessous.
31
que défini en 1971 dans l’affaire GEMA et confirmé dans l’affaire SABAM/BRT en 1974 78,
et s’expose dès lors à la sanction de l’article 102 a) « ces pratiques abusives peuvent
notamment consister à imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou
d’autres conditions de transaction non équitable ». Nous pourrions donc bien être confrontés
à un procès intenté par une plate-forme de téléchargement légal, contre la société de gestion
collective gérant la perception de droits d’auteurs, pour cause de concurrence déloyale, fûtelle décidée et organisée par une loi belge. Pour autant que P2P et plates-formes légales soient
définies comme un même marché pertinent, les opposants au système de licence globale, qu’il
s’agisse des ayants droits, sociétés d’auteurs ou encore plates-formes légales (Deezer, Spotify,
…) pourraient arguer de l’abus de position dominante par application de prix d’éviction, dû au
fait que le prix en question serait tout simplement nul, ou encore d’une aide d’Etat, dans le
sens où l’Etat financerait une SGC dont l’activité entraînerait un faussement du jeu de la
concurrence et affecterait le commerce entre états membres. La loi serait plus résistante à une
condamnation européenne en permettant une réelle concurrence entre plates-formes légales et
les logiciels P2P, si l’abonnement d’accès à internet prévoyait un supplément d’une valeur
compétitive et permettant à l’internaute de choisir son mode de téléchargement.
Acteurs visés par la définition de FAI et l’impact sur les petits FAI
Une taxe sur les FAI serait contraire à l’article 12 de la directive 2002/20/CE « autorisation ».
Celui-ci impose que « les taxes imposées aux opérateurs de télécommunications ne peuvent
couvrir que certains coûts administratifs et réglementaires (essentiellement liés aux régimes
d'autorisation et aux travaux de réglementation) et doivent être objectives, transparentes et
proportionnées. En outre, les parties intéressées doivent aussi être consultées de manière
appropriée avant toute modification des taxes imposées aux opérateurs de
télécommunication. En d’autres termes, une taxe imposée aux FAI et destinée à financer une
compensation pour copie privée entrerait en conflit avec la directive 2002/20/CE. Quand bienmême pourrait-elle être considérée comme un coût « administratif », passerait-elle l’obstacle
du critère d’objectivité, transparence, et proportionnalité ? Nous pouvons en douter, si nous
nous référons notamment aux estimations de l’impact financier d’une telle taxe qui nous ont
été communiquées par certains fournisseurs d’accès belges, surtout parmi ceux qui sont les
moins avancés dans l’échelle des investissements, et qui pourraient être poussés à la faillite
par une taxe non répercutable de seulement quelques euros.
Mais, la proposition de loi ecolo/groen ne définit pas la notion de FAI. S’agit-il de
l’interlocuteur direct avec le client dans le cadre du contrat d’accès à internet, la société qui
facture le client, ou le gestionnaire du réseau utilisé, ADSL sur lignes de cuivre Belgacom, ou
HFC par câble Telenet, numéricable ou Tecteo ? Cette notion doit être définie précisément. Si
la directive autorisation consacre dans son article 3 le principe de l’autorisation générale et
l’interdiction faite aux Etats d’empêcher une entreprise de fournir des réseaux et services de
communication électroniques 79, toutes les entreprises n’ont nécessairement pas le même degré
d’évolution dans l’échelle des investissements. Sur le marché belge, des acteurs de taille
moyenne tels Billi, Edpnet ou encore Belcenter, qui disposent bien du statut de « Fournisseur
d’Accès à Internet ». Ces entreprises inscrites auprès de l’ISPA, nous ont déclaré qu’une
perception sur chaque abonnement d’accès leur serait préjudiciable au point de mettre en
78
Affaire 71/224, GEMA, J.O. L 134 du 20 juin 1971 p.15 ; arrêt de la cour du 21 mars 1974, BRT/SABAM, affaire
127/73, Rec 1974 p 313.
79
Directive 2002/20/CE du parlement et du conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de
services de communications électroniques (directive «autorisation»), JO L 108 du 24.4.2002, p. 21
32
danger leur existence même. Ainsi, Billi nous informe que son break-even point n’est atteint à
l’heure actuelle qu’au 17ème mois d’abonnement de chaque client abonné. Une taxe non
répercutable de 3€, dans leurs conditions de coûts actuels, consisterait en une perte de 50% de
leur profit avant impôts. Belcenter, un FAI qui ne revend pas de produits en pack, mais
uniquement l’accès à l’ADSL, serait à ce niveau de taxation menacé de faillite. Ces derniers
ne pourraient donc même pas répercuter une proportion du coût de la licence mensuelle sur
d’autres produits, alors que Belgacom pourrait par contre assumer ce coût parce qu’elle
commercialise des solutions packagées. Belgacom possède son infrastructure dont elle facture
l’accès dans une proportion d’environ 75% du prix unitaire facturé au client par le FAI
dépendant de Belgacom.
Nous recommanderions dès lors de faire peser la taxe sur la licence globale compensatrice de
l’exception aux droits d’auteur, sur le propriétaire de la boucle locale défini dans les termes
d’ »opérateur de réseau », en ce que celui-ci perçoit in fine la majeure partie de la somme
facturée au client final.
Le préambule de la loi Morael déclare en effet que la concurrence est déjà trop faible en
Belgique. Ne faudrait-il pas tâcher à garantir la subsistance d’un plus grand nombre de
fournisseurs sur ce marché, et ne pas entraver leur processus d’élévation dans l’échelle des
investissements, dans un objectif de concurrence à long terme basée sur les infrastructures. 80
Certes, les Autorités de régulation nationales (ARN) pourraient alors rectifier les inégalités
concurrentielles par des remèdes imposant des obligations de baisse de tarifs d’accès aux
propriétaires de boucle locale (Belgacom, Telenet et Tecteo/Brutélé), mais la loi pourrait
court-circuiter cette étape régulatoire a posteriori par les ARN. Elle pourrait anticiper les
conséquences nuisibles voire fatales sur les petits FAI d’un délai trop long entre l’entrée en
vigueur de la loi et la mise en œuvre des remèdes imposés par les ARN.
Section 2 : impact de la mesure sur le marché, le changement de
comportement des utilisateurs suite à la légalisation d’actes
aujourd’hui qualifiés de « piraterie ».
L’argument de la « banalisation des comportements de téléchargement illégal », un signal politique
risqué…
La Karel de Grote-Hogeschool d'Anvers, dans une enquête menée auprès de 1 621 jeunes
entre quinze et vingt-neuf ans, publie un taux de 68% de jeunes qui avouent télécharger de la
musique en ligne, alors que seulement 3% le font sur une plate-forme légale. La moitié des
répondants arrêterait de télécharger illégalement s’il y avait un risque réel d’amendes et 35%
si le téléchargement illégal était contrôlé 81. Egalement, l’association Calysto démontre que la
banalisation est une réalité qui ne fait que s’accentuer chez les plus jeunes :
«Le téléchargement de musique est en nette baisse chez les plus âgés. 65% des 15-17 ans
(contre 75% l’an passé) et 56% des 13-15 ans (contre 69% en 2010) disent télécharger
régulièrement de la musique... En revanche, le chiffre explose chez les plus jeunes puisque
83% disent télécharger de la musique contre 48% l’année dernière. Peut-on y voir un effet
Hadopi chez les plus âgés qui sont plus informés que les plus jeunes ? » 82 Une autre étude
80
Cons. 13, recommandation «NGA»
La même étude est citée tant dans le projet ecolo que dans le projet MR. Le présent résultat est utilisé dans
la proposition de loi Miller, page 5.
82
Calysto, «Enfants et internet» baromètre 2011 de l’opération nationale de sensibilisation : “Génération
81
33
fait état d’un résultat de 91% de réponses négatives à la question suivante : » La fermeture du
site MegaUpload vous a-t-elle dissuadé de continuer à télécharger ?». Le consommateur est
donc catégoriquement favorable à un internet libre et gratuit. Toutefois, il est parfaitement
prêt à rémunérer la création à hauteur d’une moyenne évaluée à 4,5€ par mois en supplément.
Cette somme peut être interprétée comme le coût de sa sécurité juridique en équilibre avec sa
disposition à payer pour du contenu légalisé. Pour mémoire, un grand nombre d’internautes
payaient récemment 9,9€ par mois au site MegaUpload... Nous avons également réalisé un
sondage via les réseaux sociaux, qui conforte ce respect des consommateurs pour le travail
des artistes. Plus des ¾ d’entre eux ont répondu positivement à la question suivante : « Seriezvous prêts à payer un supplément sur votre abonnement à internet en contrepartie de la
légalisation du téléchargement ?». Malgré cette propension à payer, exprimée par le
consommateur, la proposition ecolo est ferme à propos d’une fixation des prix de la
connexion à internet, en son article 3 : « L'article 2, § 1er, de la loi du 22 janvier 1945 sur la
réglementation économique des prix, modifié par la loi du 23 décembre 1969, est complété
par un alinéa 2 rédigé comme suit : « Il fixe à tout le moins un prix maximum pour la
fourniture de gaz, d'électricité et d'accès à Internet. Pour la fourniture d'accès à internet il
détermine trois catégories distinctes d'abonnement en fonction du volume mensuel d'upload et
de download auquel l'abonnement donne accès. » A propos des 3 catégories, nous signalerons
seulement qu’il n’en existe déjà plus que deux dans la réalité. En effet, les abonnements
qualifiés de « moyen-débit », à savoir dont le volume de téléchargement est situé entre 5 et
30GB (gigabytes), n’existent plus en Belgique 83 D’autre part, le texte de la proposition
confond la caractéristique technique de « volume », qui représente une mesure de quantité, et
la caractéristique de « débit », qui représente une mesure de vitesse. Or, seul le volume
compte pour justifier la différence de taxation. Il n’existe pas de corrélation dans les offres
des opérateurs entre débit et volume. En effet, certains abonnements, dont le débit est tantôt
faible, tantôt élevé, proposent soit un volume limité, soit illimité. Nous ne voyons plus de
justification d’une catégorie « moyen-débit », ni de raison de citer des chiffres en termes de
GB vu l’évolution rapide du marketing dans ce secteur. D’autre part, le consommateur qui
télécharge beaucoup, sera dans une large mesure plutôt intéressé par des offres illimitées en
volume, qui tendent d’ailleurs à se multiplier sur le marché. Ceci justifie une somme plus
élevée dans la perception de la compensation au titre de licence globale sur des abonnements
à volume illimité. La distinction « volume limité / illimité » serait plus judicieuse et en phase
avec les tendances du product management moderne.
En conclusion du présent thème, la proposition de loi tire donc argument de la banalisation
des téléchargements illégaux afin de les légaliser. 84 Plutôt que de donner l’impression de plier
l’échine et laisser à penser que la désobéissance généralisée conduit à la suppression effective
des lois, l’Etat fédéral et ses représentants ne devraient-ils pas plutôt exprimer leur volonté de
changement de paradigme, motivée plus par un objectif de « mieux adapter la perception du
droit d’auteur face à l’explosion de la fréquence des copies de fichiers et l’extensivité
impressionnante des réseaux sociaux », que par la banalisation du sentiment de gratuité dans
Numérique”, p. 48
83
D’après une consultation commanditée auprès de www.speed.be, site de comparaison des tarifs télécom
belges.
84
Proposition de loi ecolo/groen, op. cit. : « le téléchargement de biens culturels protégés par le droit d'auteur
(musique et vidéos) s'est complètement banalisé, en particulier chez les plus jeunes. », page 2, « Parallèlement,
les offres commerciales disponibles sur le Web ont tardé à émergé et pendant ce temps-là, les usagers
d'Internet ont pris l'habitude de la gratuité », faute de grammaire à corriger sur « emergé », remplacer par
« émerger », p. 2. ; « Mais ce mode d'acquisition électronique d'œuvres culturelles s'est tellement banalisé chez
des millions d'internautes belges qu'il apparaît vain d'envisager de tels recours, à une si grande échelle. », p.4
34
le net. Dans les années ’80, une copie sur cassette VHS pouvait toucher au maximum
quelques dizaines de personnes par source de copie. A l’heure actuelle, facebook permet de
toucher rapidement des dizaines de milliers de personnes par source de copie. C’est à cette
réalité que devrait répondre la loi, et non à la constatation d’une violation systématique des
droits d’auteurs devenue banale pour les citoyens. Pour que cette proposition de loi puisse être
votée, dans le contexte d’un des gouvernements les plus multipartites que la Belgique ait
connu, celle-ci doit anticiper les positions des négociateurs des partis adverses, qui forment ce
gouvernement. La justification de l’autorisation du téléchargement encore actuellement
qualifié de piraterie, par sa banalisation dans les comportements des utilisateurs, est-elle une
thèse à ce point fondamentale pour l’écologie politique, au point d’amoindrir les chances d’un
vote de la loi au Parlement ?...
Impact sur le comportement des utilisateurs.
En ce qui concerne l’impact d’une éventuelle légalisation du peer-to-peer sur les
comportements, une étude menée par l’institut de sondage français SPEDIDAM 85, tend à
démontrer que trois quarts des utilisateurs ne changeraient en rien leur comportement en ce
qui concerne leurs achats de musique légale. Pour être plus précis, il apparaît qu’un
changement de comportement aurait bien lieu, mais dans une proportion identique dans le
sens d’une diminution, que dans le sens d’une augmentation de leurs achats. Le type de
connexion internet ne serait corrélé en rien à un changement de comportement éventuel. En
revanche, l’impact serait sensiblement positif sur les acheteurs d’au moins 1 CD par mois,
dans une proportion de +6% (Diminutions dues à la légalisation : -18% et augmentations :
+12%). Cette même enquête calcule la somme moyenne que seraient prêts à payer les
internautes en contrepartie d’une option de licence légale sur leurs téléchargements en peerto-peer. Ce montant est évalué à 4,5€ par mois. 86
85
Médiamétrie – Enquête sur la consommation des œuvres en ligne des internautes français, SPEDIDAM,
Ocotbre 2005, p.13.
86
Op. Cit. p.12
35
Licence globale : perçue comme « une taxe pour copie privée » ?
Les détracteurs du régime de licence globale avancent les arguments suivants : sur quel
fondement peut-on forcer les gens qui ne téléchargent pas du tout à payer tout de même ; et
comment tenir compte les multiples connexions (mobiles) à Internet qu’une famille a
normalement… 87 Ensuite, la répartition des revenus serait inégale, si celle-ci se base sur les
statistiques de passage radio et tv, à l’instar du mécanisme mis en place dans le cadre de la
collecte et de la répartition des revenus issus de la compensation pour exception de copie
privée. Celle-ci est gérée en Belgique par Auvibel 88 (copie privée prélevée sur la vente de
supports de mémoire de stockage) ou encore Reprobel (copie privée relative aux
reprographies de livres). La perception de la rémunération pour la copie privée est organisée
de manière forfaitaire et tient en principe déjà compte de la piraterie, lit-on dans le FAQ du
site internet d’Auvibel 89. Dès lors dans le cadre de la licence légale gérée par Auvibel, il est
intéressant de remarquer que cette dernière fait explicitement l'aveu que la compensation
financière perçue sur l'achat de supports de copie physique et de graveurs, disques durs
externes etc... pour exception de copie privée aux droits d'auteur, tient bien compte du
piratage. Or, la compensation pour exception de copie privée n'est pas censée viser le
piratage. Elle n'a pour objectif que de compenser le manque à gagner dû au fait de copier une
œuvre achetée légalement, afin de pouvoir la consommer dans son cercle de famille, dans "sa
sphère privée".
L'article 14 alinéa 2 des conditions générales de VOO dit: "VOO doit, en application des
législations en vigueur, payer des droits d’auteurs. Ceux-ci sont mis à charge du Client en tout
ou en partie et sont inclus dans le prix de l’abonnement payé par le Client. Il en va de même
des contributions obligatoires imposées par la Communauté française dans le cadre du décret
sur la radiodiffusion." Ce décret prévoit en son article 79: " La contribution annuelle du
distributeur de services visée au § 1er est fixée soit à 2 euros par utilisateurs de l’année
précédente. Ce montant est indexé tous les deux ans à partir du 1er janvier 2005 en fonction
de l’indice santé, l’indice du mois de septembre précédent étant pris en considération, soit à
2,5% des recettes de l’année précédente, hors TVA et droits d’auteur, engendrées par le
paiement des utilisateurs pour l’obtention des services offerts."
Ainsi, les clients de VOO, ou de Belgacom TV, Billi, Mobistar TV et autres, payent bien des
droits d'auteur inclus dans le prix de l'abonnement à la télévision numérique. Or, dans les
catalogues de vidéo à la demande de ces derniers, il est impossible de copier les contenus
téléchargés sur un support autre que le décodeur numérique lui-même. Et ceci est conforme à
l'article 23bis de la loi sur le droit d'auteur, qui admet que malgré que les exceptions au droit
d’auteur fussent déclarées « impératives » (art 23), l'exception de copie privée peut lui-même
souffrir d'une exception dans le cadre des contenus proposés "à la demande"... En ce sens, les
exceptions au droit d'auteur ne sont pas vraiment "impératives contrairement à l'alinéa 1er du
même article 23...
Nous constatons là qu’une série de mesures tendent déjà à compenser le phénomène du
téléchargement illégal, en répartissant la charge des atteintes aux droits d’auteur, sur
l’ensemble des consommateurs, engendrant par là une certaine discrimination envers les non87
Christian Engström, député du parti pirate suédois, « Cultural flat-rate: A non-solution to a non-problem »,
16/06/2011
88
http://www.auvibel.be/fr/repartition/la-repartition-de-la-remuneration-pour-la-copie-privee
89
http://www.auvibel.be/userfiles/files/20100104FAQAuvibelQuestionsnouveauxtarifs.pdf, questions 8 et 10.
36
utilisateurs des peer-to-peer et autres torrents.
C’est pourquoi nous recommanderions que si une licence globale voit le jour dans le cadre du
peer-to-peer, il serait peut-être désormais judicieux de prévoir une interdiction de mesures
techniques de protection (MTP ou Digital Rights Management) des œuvres ainsi couvertes
par la licence, afin d’éviter de retomber dans cet écueil du paiement d’une compensation pour
cause d’exception à un droit d’auteur qui est empêché par un DRM, tel que révélé dans le
cadre des autres régimes de licences légales actuellement déjà en application.
En outre, un des objectifs politiques de la proposition du sénateur Morael, consiste à favoriser
l’accès du grand public à toutes les œuvres et la réduction de la fracture numérique. Dans le
cadre du prêt public l’article 23 de la Loi sur les droits d’auteur définit l’exception de prêt
public. Celle-ci pourrait être étendue à la mise à disposition d’œuvres sur les réseaux
d’échanges privés, contre droit à rémunération pour l’auteur, ce qui légitimerait cet acte
aujourd’hui qualifié de contrefaçon 90.
Licence globale : perçue comme « une vente forcée ? »
Si la licence globale n’est pas une taxe, est-elle plutôt une redevance ou, est-ce que la
perception obligatoire d’une redevance sur l’abonnement au service d’accès à internet de
chaque utilisateur, pourrait être assimilée à une vente forcée ?
Le fait d’assimiler la licence globale à une vente forcée, selon les termes de la loi sur les
pratiques du marché et la protection du consommateur du 10 avril 2010 à l’article 46 §1, 2°,
autoriserait le consommateur à conserver le bien ou bénéficier du service, sans devoir ni le
restituer ni le payer…
Une taxe se distingue des impôts de par le fait que celle-là n’est perçue qu’en échange d’un
service rendu, comme l’est par exemple la redevance sur l’audiovisuel, qui est en réalité une
taxe malgré son appellation, qui n’est perçue par les Communautés que si l’on possède un
téléviseur, et donc que l’on jouit du service de radiodiffusion. D’autre part, La redevance se
distingue d'une taxe en ce que la première est un prélèvement non obligatoire payé par
l'usager d'un service, alors que la taxe est un prélèvement obligatoire au profit d'un service
public déterminé duquel le débiteur de la taxe est usager. Ainsi, la licence globale telle que
présentée dans la proposition de loi étudiée ici, est une taxe. Or, une taxe ne peut jamais être
considérée comme une « vente forcée » malgré que la loi rende obligatoire la fourniture d’un
service au consommateur sans demande préalable de sa part…
L’exemple de l’Alliance Public Artistes française démontre de la possibilité d’échapper à la
notion de taxe. Le régime de licence globale proposé par cette association, diffère notamment
de notre proposition de loi, en ce que le consommateur pourrait librement décider de souscrire
une option complémentaire à son abonnement internet, sur base libre et volontaire. Le
contexte français influe sur cette proposition, car la loi Hadopi, mettant en application dans ce
pays un système de riposte graduée aux échanges non commerciaux de fichiers protégés par le
droit d’auteur, exerce une pression sur le consommateur qui se refuserait à payer ladite
redevance de licence globale à son FAI tout en continuant à échanger des fichiers de manière
alors illégale. L’Alliance Public Artistes écrit d’ailleurs ceci : « il s’agit d’une proposition de
licence globale optionnelle. A ce titre, elle ne sera souscrite et payée que par les internautes
90
C. Colin, S.Dusollier, op.cit, p.7.
37
qui continuent à échanger des contenus culturels à des fins non commerciales. Il ne s’agit
donc pas d’une augmentation automatique du prix de l’abonnement pour tous, mais seulement
pour ceux des abonnés qui utilisent leur connexion internet pour ce type d’activités. La
redevance ne sera pas appliquée aux internautes qui s’engageront formellement à n’effectuer
aucun téléchargement. Quant à la fracture numérique, il faut commencer par s’intéresser à la
question de l’équipement du territoire en haut débit, de la formation des citoyens, de
l’équipement des lieux publics en accès internet, avant de rendre la licence globale
responsable de son éventuel renforcement. 91 Il s’agirait donc ici d’une vente librement
consentie sur base contractuelle, et donc, ni ne taxe, ni une vente forcée…
Critique de la méthode de collecte des données statistiques de téléchargement
L’IBPT serait censée créer un « Observatoire de l'Internet » pour objectiver le flux Internet
via des enquêtes de terrain strictement anonymes menées auprès d'internautes volontaires.
Au nombre des 5 critiques majeures qu’il adresse aux licences légales dans le P2P, Christian
Engström du parti pirate 92 s’oppose à un système d’analyse de la fréquence des
téléchargements laissé à la merci des internautes eux-mêmes. Il s’agirait d’une source de
revenus pour les développeurs de virus. Les pirates informatiques pourraient désormais créer
des bot nets pour détourner des fonds à leur profit, grâce à la manipulation des données
statistiques relatives à la fréquence de download des œuvres via les réseaux peer-to-peer.
Pour Engström, « tout ce dont le possesseur d’un bot net illégal a besoin, c’est d’un ami qui a
enregistré une chanson protégée par le copyright. Il peut ensuite ordonner aux milliers
d’ordinateurs du bot net de télécharger la chanson encore et encore. Grâce au système de
licence globale, ces téléchargements résulteront automatiquement en vraie monnaie que lui
paiera l’ami qui a les droits sur ce morceau.
Dans sa forme primitive la police sera peut-être capable de détecter cette activité criminelle
et d’y mettre un terme, mais il est facile d’imaginer comment des criminels plus sophistiqués
peuvent élaborer le complot. Le système de la licence globale, qui pompera des milliards
d’euros par an sur la base de statistiques automatiques de téléchargement, deviendra une
cible très intéressante pour les criminels. Écrire de dangereux virus informatiques
deviendrait une activité bien plus profitable que ce qu’elle est aujourd’hui. » Nous sommes
en accord complet avec cette critique.
La lutte anti-piratage a toujours une longueur de retard sur les hackers, sur l’ingéniosité
desquels nous pouvons compter pour fausser les données de ce qu’ecolo dénomme la
« cartographie des échanges ». D’autant qu’à la question qui sera posée lors de la
configuration du logiciel P2P « Acceptez-vous la collecte anonyme des fichiers que vous
téléchargez ? », la proportion, sans aucun doute très faible, des répondants positifs risquerait
d’être disproportionnée parmi ceux qui tenteront de manipuler les ratings que parmi les
internautes lambda n’ayant aucune visée frauduleuse mais qui ne voudra courir aucun risque
pour sa vie privée. Le risque de faussement du jeu est tout à fait réel, et techniquement
Alliance Public Artistes, Projet de loi DADVSI, L’Alliance Public-Artistes répond à 10 idées fausses sur la
licence globale optionnelle, Communiqué de presse, 17 janvier 2006, page 2, url :
http://alliance.bugiweb.com/usr/Communiques/ALLIANCEIdeesFausses17012006.pdf
92
Christian Engström, Cultural flat-rate: A non-solution to a non-problem , Pirate MEP, 16 juin 2011.
91
38
incontournable. Il ne faudra même pas être un hacker expérimenté pour faire monter
artificiellement le rang de son chanteur favori, auquel un fan voudra octroyer plus de revenus,
pour autant que le fan et l’artiste ne soient pas la même personne et ses amis complices.
Pourquoi favoriser un nouveau type de comportements déviants ? Ce serait un moindre mal
que de ne pas laisser le choix à l’internaute, et tirer les statistiques des logiciels P2P, pour
contrer l’efficacité du hacking prévisible.
A titre de solution à ce problème, les données pourraient provenir de la SABAM, de la SACD,
et autres sociétés de gestion collective, des radios, des chaînes de télévision, des plateformes
de téléchargement légal telles Deezer au travers de son partenariat avec Belgacom, des
instituts de médiamétrie et d’audience… Est-il nécessaire de générer des coûts
supplémentaires pour le contribuable en multipliant les ressources dédiées au calcul des
audiences ? Certains rétorqueront à cela que certains petits artistes ne passant pas à la radio
ne dégageront toujours pas de revenus issus de la licence globale. Certes, mais l’internet a
démultiplié la quantité d’artistes qui peuvent lutter à moindre frais pour se constituer une
notoriété et accéder, sur base de leur talent reconnu par les internautes, aux grilles de
programmation des médias telles les radios ou les télévisions, ou les maisons d’édition. Faut-il
rémunérer les buzz ? Ceux-ci sont-ils toujours l’expression d’un talent exceptionnel qui
mérite une reconnaissance financière ? Le débat reste ouvert, mais la volonté de rémunération
des buzz nous semble disproportionnée par rapport aux risques de fraudes d’envergure et la
difficulté qu’aurait ecolo à convaincre les citoyens de l’absence de risque sur leur vie privée.
En ce qui concerne le respect de la vie privée des internautes qui auraient accepté ce type de
surveillance, malgré que la proposition de loi édicte bien, envers l’IBPT, l’interdiction de
conserver la moindre donnée personnelle, ecolo prêterait trop facilement le flanc à ses
adversaires politiques, qui pourraient tirer profit de la très probable confusion découlant de
l’ambigüité de cette position politique qui, d’un côté, déclare vouloir protéger la vie privée
des internautes tout en leur proposant, d’un autre, d’accepter la surveillance de leurs
téléchargements, malgré la promesse de l’anonymat garanti... Imaginons les messages postés
sur les forums de la part de citoyens qui auront mal interprété cette loi, n’y prêteront pas le
crédit qu’elle mérite, ou encore d’adversaires politiques qui feront usage à mauvais escient de
cette confusion généralisée.
Pour ces deux raisons, à savoir le risque d’abus par les hackers et la bonne compréhension par
le public de la garantie du respect de la vie privée, la cartographie devrait donc se faire de
manière anonyme, mais sans nécessiter le consentement volontaire des internautes, et dans la
préservation du secret quant à la méthode de calcul qu’utilisera l’IBPT.
L’Etat belge va-t-il financer la pornographie ? …
D’autre part, comment résoudre la question du financement de la pornographie, riche et
autonome, par l’Etat ? En effet, 35% des contenus culturels échangés sont de nature
pornographique 93 Soit la licence globale finance ce secteur au même titre que tous les autres,
soit on décide de ne pas le financer, en créant une autorité de censure dont le rôle serait de
déterminer la limite entre l’art et la pornographie. Nous pencherions pour la première solution
vu l’anachronisme et le nombre de litiges qu’engendrerait le retour de cette forme de censure.
Notons que la musique ne représenterait que seulement 3% du montant à redistribuer.
93
Envisional, Technical report: An Estimate of Infringing Use of the Internet, janvier 2011, p.10, url:
http://www.scribd.com/doc/48336443/Envisional-Internet-Usage-Jan2011
39
Richard Stallman nous apporte peut-être une bonne solution. Le fondateur du logiciel libre
défend la notion de « mécénat global », avec une clé de répartition fonctionnant sur le calcul
de la « racine cubique, ce qui permet d'appuyer les artistes en fonction de la popularité de
chacun, mais pas en proportion linéaire. Ainsi, une œuvre téléchargée 1000 fois plus ne
recevrait que 10 fois plus de revenus. 94
Section 3 : Rôle et étude de responsabilisation potentielle des platesformes de téléchargement, des moteurs de recherche, de sites web 2.0 et de
réseaux sociaux.
La proposition de loi constate que « Le réseau est devenu une gigantesque médiathèque
multimédia, et ce au bénéfice de l'accès à la culture pour le plus grand nombre et de la
circulation de l'information. » Posons-nous dès lors la question de savoir quels sont les
acteurs qui tirent profit de cette « médiathèque ». Ne s’agit-il que du fournisseur d’accès, qui
vend certes plus d’abonnements à volume illimité aux gros téléchargeurs. Les réseaux sociaux
ne sont-ils pas eux aussi de grands bénéficiaires de cette réalité du téléchargement illégal ?
Facebook aurait-il été valorisé à hauteur de 100 milliards de dollars lors de son entrée en
bourse en mai 2012, s’il ne favorisait pas la communication et la mise à disposition de
millions de vidéos protégées par le droit d’auteur sur les « murs » des utilisateurs ? Rappelons
à cet égard que la valorisation d’un site internet dépend du nombre d’utilisateurs uniques et du
temps moyen passé par chacun de ceux-ci sur ce site web. Si les réseaux sociaux
n’échangeaient aucun contenu couvert par le droit d’auteur sans l’autorisation de celui-ci,
quelle seraient leur valeur boursière ? Nous pensons qu’elle serait largement inférieure. Or,
nous restons bien ici sur le terrain des échanges non-commerciaux d’œuvres protégées par le
94
Richard Stallman, The danger of ebooks », 9/01/2011, url : http://stallman.org/articles/internet-sharinglicense.en.html
40
droit d’auteur. La justification du paiement de la taxe de licence globale par le fournisseur
d’accès à internet, peut être adressée de la même manière tant aux moteurs de recherche
qu’aux réseaux sociaux.
Les fournisseurs d’accès se déclarent bien en faveur d’un mécanisme de licence globale mais
contre une taxe, tel qu’ils l’ont exprimé lors des débats parlementaires qui ont eu lieu au Sénat
le 11 mai 2011. 95 En termes juridiques, nous comprenons donc que ces derniers plaideraient
donc plutôt en faveur d’une option payante au cas par cas, proposée sur base volontaire en
complément de l’abonnement d’accès à internet facturé à leurs clients 96. Le groupe ecolo au
Sénat réfute catégoriquement cette alternative, arguant que les abonnements sont déjà plus
élevés qu’en regard de la moyenne européenne, ce qui est démontré dans la récente étude de
marché publiée par le CRC, et que d’autre part, tous les internautes, ainsi que tous les auteurs,
doivent participer au système de gestion découlant de cette proposition, afin que celui-ci
puisse être réellement efficace et justement supporté par l’ensemble des acteurs. Cependant,
en la matière, ecolo/groen ne pousse pas le raisonnement aussi loi que la proposition d’Eva
Joly, candidate présidentielle française d’Europe Ecologie Les Verts, qui déclare que la
perception des droits d’auteur dans le cadre des échanges non-commerciaux devraient être
proportionnels aux revenus des consommateurs des accès à internet, et cela, que ceux-ci
téléchargent, ou pas… La licence globale sur les téléchargements deviendrait dès lors un
impôt, plutôt qu’une taxe. Cet impôt pourrait être justifié par la poursuite de la diffusion de la
culture, son accès à toutes les couches socio-économiques de la population, qui
contribueraient à hauteur de leurs moyens à la réduction de la fracture culturelle sur les
réseaux.
Section 4 : Angle de vue et arguments des sociétés de gestion collective, des
auteurs, et de l’industrie des contenus culturels sur ce mode de régulation.
Pour susciter la confiance des détenteurs de droits et des utilisateurs la commission
européenne appelle de ses vœux l'octroi de licences transnationales, le régime et la
transparence de la gestion collective des droits doivent être améliorés et adaptés au progrès
technique. Des solutions plus simples, plus uniformes et technologiquement neutres pour
l'octroi de licences transnationales et paneuropéennes dans le secteur audiovisuel stimuleront
la créativité et aideront les producteurs et diffuseurs de contenu, dans l'intérêt des européens.
Ces solutions devraient préserver la liberté contractuelle des détenteurs de droits. Ces derniers
ne seraient pas tenus d'accorder une licence pour l'ensemble des pays européens, mais
resteraient libres de limiter leurs licences à certains territoires et de fixer contractuellement le
niveau des redevances. 97 Il importe de libérer les obstacles à la diffusion, la libre circulation
des contenus au niveau européen et l’émergence plus facile et rapide à la fois de plates-formes
de téléchargement légal 98, mais aussi de contenus couverts par une licence légale, dans un
respect de l’équilibre entre les ayants-droits et l’accès du plus grand nombre des citoyens à la
culture en ligne. Dans ce contexte, la SABAM a clairement pris position pour un système de
licence globale. La SABAM se positionne en faveur du recours à la gestion collective
obligatoire, qui est une modalité d’exercice du droit exclusif de l’auteur, afin de
95
ISPA (internet service providers association), Hoorzitting Commissie Financiën en Economische
Aangelegenheden, présentation powerpoint, dia n°4.
96
Projet de l’Alliance Public Artistes française dans ses propositions relatives à une licence globale.
97
Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social
européen et au comité des régions, Une stratégie numérique pour l'Europe, COM(2010) 245, page 8
98
Mario Monti , Une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l’économie et de la société
européennes, Rapport au Président de la Commission européenne José Manuel Barroso, 9 mai 2010.
41
responsabiliser financièrement les exploitants de contenus protégés sur internet et les platesformes-web 2.0, qui bénéficient directement ou indirectement de la diffusion et de l’échange
d’œuvres protégées. La gestion collective obligatoire a déjà fait ses preuves en matière de
câblodistribution et se justifie pleinement en cas d’utilisation massive d’œuvres protégées. La
SACD et la SCAM vont dans le même sens et insistent sur un vote le plus rapidement
possible afin de freiner la chute des revenus dans la création. 99
99
Audition de la Commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat, Mercredi 11 mai 2011 à 15h
42
Conclusion
Le téléchargement,… partage ou piratage ? L’écologie politique considère que la mise à
disposition des œuvres créatives soumises au droit d’auteur n’est qu’une mutualisation de
discothèques, l’acte de mise en commun étant autorisé de par l’épuisement du droit de
distribution sur une œuvre, après que celle-ci ait été achetée sur un support physique. Dans la
foulée de l’idéologie qui a régi la notion de logiciel libre, les échanges de contenus numérisés
en libre consultation et en libre partage, garantirait la liberté des citoyens. L’écologie politique
prône l’épanouissement dans le partage et la lutte contre la société de surveillance.
La proposition pour une licence globale, dans le cadre des échanges non-commerciaux, serait
une sorte d’achat de la paix, à savoir une manière de stopper la guerre contre le piratage, tout
en permettant à des « petits artistes » de recevoir une digne rémunération de leur travail de
création.
Le juriste américain Lawrence Lessig prône l’encouragement au partage, au lieu de sa stricte
régulation par les lois sur le droit d’auteur, qui doivent être adaptées à l’ère numérique
Prenons garde, car cette belle idée des creative commons d’apparence très désintéressée, est
insidieusement récupérée par des « cyber-multinationales » totalement cyniques. La notion de
biens communs culturels en libre circulation sur les réseaux numériques est louable, mais il
revient au droit d’en surveiller le détournement de ses buts premiers.
Certaines expériences de régulation sur base contractuelle nous ont intéressées, comme par
exemple celle qui fût mise en œuvre par Noank media aux USA, qui gère les droits d’auteur
sur une base individuelle grâce à l’installation d’un logiciel sur le compte des utilisateurs tout
en préservant leur vie privée.
En revanche, en ce qui concerne la régulation par les pouvoirs publics, il semble aujourd’hui
très probable que la Belgique n’adoptera pas une loi de type « riposte graduée » similaire au
mécanisme HADOPI français. En effet, le volet répressif, à savoir le cinquième pilier de la
proposition de loi du 28/01/2011 déposée par le député Richard Miller, et destinée à
« favoriser la protection de la création culturelle sur internet » a été écarté en janvier 2012.
Un mécanisme de riposte graduée s’avère très couteux et finalement peu efficace si l’on en
croit les études qui démontrent une augmentation du téléchargement sur les plates-formes de
streaming et de téléchargement direct, un an après le lancement de la « haute autorité » hadopi
en France.
Des études démontrent que l’industrie musicale a progressé ces 10 dernières années. Or, des
sociétés d’auteurs se mettent cependant à facturer leurs manques à gagner aux fournisseurs
d’accès à internet, prétextant de fortes pertes de revenus annuels… Cette apparente
contradiction de chiffres s’explique toutefois par 2 facteurs : la forte baisse de
l’intermédiation des sociétés de gestion collective entre consommateurs et auteurs et la forte
augmentation des revenus des stars qui gèrent leurs droits sur base individuelle, ce qu’internet
leur facilite. Il n’empêche qu’une corrélation existe entre téléchargements aujourd’hui
toujours qualifiés d’« illégaux » et actes d’achat.
Pourtant, la Justice condamne de plus en plus lourdement les intermédiaires qui facilitent le
téléchargement illégal tout en détournant ainsi à leur profit les revenus des auteurs. Nous nous
sommes référés aux affaires MegaUpload, The Pirate Bay.
Dans ce contexte, les deux propositions de loi belges envisagent des problématiques
distinctes, à savoir d’une part les échanges non-commerciaux en peer-to-peer, et d’autre part
la mise à disposition de contenus culturels par des sites web ou plates-formes de streaming qui
n’en n’ont pas négocié les licences. Au prix d’un léger amendement de l’article 7 de la
proposition MR, si les deux propositions de loi étaient adoptées, la règlementation du
téléchargement d’œuvres culturelles sur internet en Belgique reviendrait, d’une part, à une
légalisation du partage via les réseaux peer-to-peer, et, d’autre part à une obligation de
43
négociation avec des SGC imposée aux plates-formes de téléchargement direct et autres sites
web de contenus 2.0. Dans tous les cas, la quantité des œuvres diffusées sur internet et la
diversité culturelle seraient garantis, l’idée d’un internet libre et gratuit autorisant le
« partage », et non plus le « piratage », serait sauve, tout cela sans préjudice des droits des
auteurs et ayants droits, ceux-ci étant financés par une « licence collective étendue » qui serait
appliquée à tous les échanges sur toutes plates-formes. Ce type de régulation reposerait alors
sur une certaine tolérance vis-à-vis du consommateur final, tout en sanctionnant lourdement
les plates-formes de téléchargement direct qui tirent le gros de leurs revenus de l’exploitation
non négociée des droits d’auteur. Elles seraient d’autant plus compatibles et résistantes face à
l’environnement juridique européen si la notion de licence globale, dans la proposition
ecolo/groen, se définissait explicitement comme une licence collective étendue. Ce dernier
régime met est une solution équilibrée entre interventionnisme et autonomie, et respecte en
cela mieux les intérêts des auteurs autant que le droit à la culture et la diffusion la plus large
des œuvres.
D’autre part, le régime de licence globale qui autoriserait les échanges non commerciaux de
fichiers protégés par le droit d’auteur contre une compensation pour les auteurs, n’enfreindrait
plus en rien ni la liberté d’expression, ni l’accès à l’information, et ne risquerait pas non plus
de porter atteinte au respect de la vie privée des internautes, tout en préservant en outre le
principe de neutralité du net.
A propos de la question de la banalisation des téléchargements, surtout chez les jeunes, plutôt
que de donner l’impression de plier l’échine et laisser à penser que la désobéissance
généralisée conduit à la suppression effective des lois, l’Etat fédéral et ses représentants
devraient plutôt exprimer leur volonté de changement de paradigme, motivée plus par un
objectif de « mieux adapter la perception du droit d’auteur face à l’explosion de la fréquence
des copies de fichiers et l’extensivité impressionnante des réseaux sociaux », que par la
banalisation du sentiment de gratuité dans le net.
Une licence globale serait une nouvelle exception au droit d'auteur. Une question centrale
consiste à déterminer quels types de droits d’auteurs seront soumis à cette forme
d’expropriation, autrement dit à l’exclusion du champ d’action de l’auteur sur son œuvre.
Une « licence » ne couvre qu’un acte particulier et non tous les droits dont l’auteur est réputé
avoir perdu la jouissance exclusive en contrepartie d’une juste rémunération. Ceci devrait être
précisé dans la loi, sanctions à l’appui en cas de non respect.
Selon Caroline Colin et Séverine Dusollier, l’option « opt-out » offerte aux auteurs qui
souhaiteraient continuer à exercer librement leur droit exclusif, permettrait à la loi sur la
licence globale de mieux respecter les obligations internationales auxquelles la Belgique est
tenue. En effet, le critère de l’exploitation normale de l’œuvre aurait ainsi moins de chances
d’être enfreint.
En ce qui concerne le respect du droit de la concurrence par la licence globale, le mécanisme
de fixation du prix de l’internet pourrait être attaqué pour abus de position dominante par la
pratique des prix prédatoires, ou encore pour infraction à l’article 107 relatif à l’interdiction
des aides d’Etat. Un prix prédatoire est un abus de position dominante ayant pour effet
d’éliminer des concurrents, d’empêcher l’accès d’une nouvelle entreprise sur le marché ou
encore par des comportements qu’une entreprise ne pourrait adopter sans compromettre son
propre intérêt sur un marché concurrentiel ou si elle ne disposait pas d’une position
dominante. Les sociétés de gestion collective sont reconnues en tant qu’entreprises, en
capacité de disposer et donc abuser d’une position dominante, et ont déjà été condamnées à
cet égard. Quant à l’aide d’Etat, les conséquences d’une interdiction de répercussion du prix
d’une taxe sur le consommateur pourrait être considérée comme une aide accordée par l’Etat
belge au moyen de ressources d'État qui fausse ou qui menace de fausser la concurrence en
favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
44
La troisième partie de ce mémoire s’est intéressée à l’impact que pourrait avoir une nouvelle
loi sur les divers acteurs concernés, et en premier lieu, les fournisseurs d’accès à internet.
Ceux-ci ne jouissent pas du même degré d’évolution dans l’échelle des investissements. Ainsi
une perception sur chaque abonnement d’accès leur serait préjudiciable au point de mettre en
danger l‘existence même des petits et moyens FAI belges, dans un paysage déjà peu
concurrentiel. Nous recommanderions dès lors de faire peser la taxe sur la licence globale
compensatrice de l’exception aux droits d’auteur, sur l’opérateur de réseau, qui est
propriétaire de la boucle locale, en ce que celui-ci perçoit in fine la majeure partie des frais
facturés au client final.
A propos de l’impact de la loi sur les consommateurs cette-fois, nous constatons
premièrement qu’une série de mesures tendent déjà à compenser le phénomène du
téléchargement illégal, en répartissant la charge des atteintes aux droits d’auteur, sur
l’ensemble des consommateurs, engendrant par là une certaine discrimination envers les nonutilisateurs des peer-to-peer et autres torrents. Afin de répondre à cet argument relatif à une
« taxe pour copie privée », il serait peut-être désormais judicieux de prévoir dans la loi une
interdiction de mesures techniques de protection des œuvres ainsi couvertes par la licence,
afin d’éviter de retomber dans l’écueil du paiement d’une compensation pour cause
d’exception à un droit d’auteur qui est empêché par un DRM, tel que révélé dans le cadre des
autres régimes de licences légales actuellement déjà en application.
De par le risque d’abus par les hackers et la bonne compréhension par le public de la garantie
du respect de la vie privée, la cartographie du téléchargement prévu par la loi Morael devrait
se faire de manière anonyme, sans nécessiter le consentement volontaire des internautes, et
dans la préservation du secret quant à la méthode de calcul qu’utilisera l’IBPT. Malgré que la
proposition de loi édicte bien, envers l’IBPT, l’interdiction de conserver la moindre donnée
personnelle, ecolo prêterait trop facilement le flanc à ses adversaires politiques, qui pourraient
tirer profit de la très probable confusion découlant de l’ambigüité de cette position politique
qui, d’un côté, déclare vouloir protéger la vie privée des internautes tout en leur proposant,
d’un autre, d’accepter la surveillance de leurs téléchargements, l’anonymat fût-il promis…
Quant à l’argument de financement par l’Etat de la pornographie, Richard Stallman vient à
notre secours avec la notion de « mécénat global », qui consiste en une clé de répartition
fonctionnant sur le calcul de la « racine cubique, ce qui permet d'appuyer les artistes en
fonction de la popularité de chacun, mais pas en proportion linéaire.
Un terrain trop peu exploré est celui de la responsabilisation potentielle des plates-formes de
téléchargement, des moteurs de recherche, de sites web 2.0 et de réseaux sociaux, qui, bien
plus que les FAI, tirent de plantureux revenus de cette « gigantesque médiathèque multimédia
au bénéfice de l'accès à la culture pour le plus grand nombre et de la circulation de
l'information », qu’est internet, selon certains.
Enfin, Il y aura lieu d’évaluer le risque financier d’une légalisation des échanges noncommerciaux qui aura pour effet de démultiplier les contenus disponibles, parallèlement à une
diminution des tarifs, ainsi que le risque d’augmentation de la concurrence déloyale qui
pourrait être fatale à la survie des modèles de téléchargement commercial, sur ce nouveau
champ de bataille qui verrait s’opposer les réseaux peer-to-peer nouvellement légalisés et le
marché des plates-formes commerciales en pleine croissance…
45
Bibliographie
Législation
Internationale
•
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9
septembre 1886, http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/trtdocs_wo001.html.
•
Traité de l’OMPI sur le droit d'auteur du
http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html.
•
Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes du 20
décembre 1996, http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wppt/trtdocs_wo034.html.
•
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce du
15
avril
1994
(Accords
ADPIC
ou
TRIPS),
http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/27-trips.pdf.
•
Anti-Counterfeiting
Trade
Agreement
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/may/tradoc_147937.pdf.
20
décembre
1996,
(ACTA),
Européenne
•
•
•
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