La lettre de plainte du Parti libéral du Québec

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La lettre de plainte du Parti libéral du Québec
Montréal, le 6 juillet 2012 Monsieur John H. Gomery Président Conseil de presse du Québec 1000, rue Fullum, bureau A.208 Montréal (Québec) H2K 3L7 Monsieur Pierre Tourangeau Ombudsman de Radio-­‐Canada CBC/Radio-­‐Canada Case postale 6000 Montréal (Québec) H3C 3A8 Objet : Plainte contre l’ex-­‐journaliste de Radio-­‐Canada, monsieur Pierre Duchesne Messieurs, Le Guide de déontologie des journalistes du Québec, adopté lors de l’assemblée générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le 24 novembre 1996, stipule que l’information «est une des garanties les plus importantes de la liberté et de la démocratie ». Il s’agit d’une affirmation à laquelle nous souscrivons pleinement. Le Guide définit également les principes qui doivent guider le travail journalistique, les valeurs sur lesquelles il doit se fonder et les règles auxquelles il doit s’astreindre pour éviter des dérives dangereuses. Par la présente, nous souhaitons aujourd’hui vous soumettre le cas de l’ex-­‐journaliste de Radio-­‐
Canada, Pierre Duchesne, qui a récemment défrayé la manchette. À la lumière des faits et des informations divulguées publiquement, nous avons toutes les raisons de croire que le Guide de déontologie des journalistes du Québec et les Normes et pratiques journalistiques de Radio-­‐
Canada ont été enfreints et que monsieur Duchesne s’est retrouvé dans une situation de conflit d’intérêts grave. En effet, il aurait exercé ses fonctions de journaliste et d’analyste alors qu’il était en discussion avec le Parti Québécois dans le but d’être candidat lors de la prochaine élection générale. D’entrée de jeu, je tiens à souligner que nous sommes d’avis que toute personne a le droit de participer à la vie publique en se présentant comme candidat pour un parti politique de son 1 choix. Y compris les travailleurs de l’information. D’ailleurs, on sait que la scène politique québécoise compte déjà plusieurs acteurs qui ont œuvré dans la sphère médiatique. Par exemple, Christine St-­‐Pierre a travaillé de nombreuses années au service de la société d’État avant de joindre les rangs du Parti libéral du Québec. Dans son cas, il importe ici de rappeler qu’elle ne couvrait pas les activités de l’Assemblée nationale au moment de faire le saut en politique. Le cas de Pierre Duchesne est tout autre. L’idée qu’une figure importante de l’information ait été en onde à critiquer les partis politiques alors qu’elle avait elle-­‐même la volonté d’en découdre comme candidat lors d’une élection est extrêmement troublante et soulève des doutes sur son éthique et son impartialité. Rappelons que Pierre Duchesne était, bien avant les derniers épisodes, une figure controversée de l’information. Dans les semaines qui ont précédé la campagne électorale de 2007, des rumeurs voulant qu’il fasse le saut en politique active se sont faites tenaces. Lors de la campagne de 2008, son travail de couverture a également fait l’objet de plaintes qui ont été, selon nos informations, sources importantes de préoccupation à Radio-­‐Canada. De façon plus générale et sur toute la période où il a été sur la colline parlementaire à Québec, de nombreuses personnes, notamment des bloggeurs et des internautes, ont ouvertement questionné l’impartialité de Pierre Duchesne. Or, les événements des derniers jours sont de nature susciter un questionnement sur la qualité de l’information et la protection du public au cours des derniers mois. Dans l’édition du journal La Presse du samedi 30 juin, le journaliste Denis Lessard annonce la candidature de monsieur Duchesne et écrit ceci : Selon les informations obtenues par La Presse, la direction du PQ a prévenu il y a trois mois l'ex-­‐députée bloquiste Carole Lavallée, pressentie dans Borduas, que la circonscription était réservée « à un candidat-­‐vedette de Radio-­‐
Canada ». Tout récemment encore, la direction du PQ a répété au président de l'Association, François Gauthier, que cette circonscription de choix allait être « retenue pour un candidat d'envergure nationale ». Joint par La Presse, au début du mois de juin, M. Duchesne, qui avait déjà annoncé son départ de la société d'État, avait soutenu « ne pas avoir de scénario de politique active devant [lui] ». Une dépêche de la Presse canadienne publiée dans le journal Le Soleil du mercredi 4 juillet ajoutait : Jusqu’ici, le PQ a refusé de commenter l’information, et la chef Pauline Marois a assuré n’avoir eu aucun contact avec lui. Néanmoins, une source au PQ a confié que des discussions avaient été entamées avec M. Duchesne « en début d’année ». 2 Deux journalistes, de deux médias distincts, ont obtenu de deux sources la confirmation que Pierre Duchesne était, alors qu’il œuvrait comme journaliste et analyste, en discussion avec le Parti Québécois depuis plusieurs mois afin d’être candidat lors de la prochaine élection générale. De plus, à la suite de la publication de ces articles, un autre journaliste nous a fait la confidence qu’il était «au courant qu’il serait candidat depuis longtemps » mais ne pas l’avoir divulgué par respect pour lui. Considérant ces faits, nous croyons que les différents partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, mis à part le Parti Québécois qui a probablement tiré profit d’une telle situation, ont fait les frais d’une couverture médiatique biaisée. Nous croyons également et surtout que ce sont les téléspectateurs de Radio-­‐Canada qui en ont été victimes. Faut-­‐il rappeler que depuis le début de l’année 2012, Pierre Duchesne a commenté, analysé et rapporté l’information sur des dossiers aussi importants que le budget, les élections partielles, l’éthique et le conflit étudiant. D’ailleurs, sur ce dernier sujet, un jugement lapidaire s’est exprimé sur son travail par un de ses pairs. Le chroniqueur Richard Martineau écrivait, sur son blogue du 4 juillet 2012: « C’est confirmé : l’ex-­‐journaliste de Radio-­‐Canada Pierre Duchesne fera bel et bien le saut au PQ. Pas étonnant : sa couverture de la crise étudiante semblait avoir été écrite par l’attaché de presse de Pauline Marois ». Pierre Duchesne a rejoint les téléspectateurs quotidiennement à travers les émissions régulières d’information, mais également à travers sa participation à l’émission Les coulisses du pouvoir. D’ailleurs, même la chroniqueur politique Chantal Hébert, qui a commenté régulièrement aux côtés de M. Duchesne sur les ondes de Radio-­‐Canada, ajoutait ceci sur Twitter le 4 juillet dernier : « Difficile d'imaginer une situation qui corresponde davantage à celle d'un conflit d'intérêt quelque soit l'angle. » Il s’agit d’une situation grave en complète contravention avec le Code de déontologie des journalistes qui stipule dans son préambule : Les journalistes considèrent leur rôle avec rigueur. Les qualités déontologiques qu'ils exigent de ceux qui font l'actualité, ils les exigent d'eux-­‐mêmes. Ils ne peuvent pas dénoncer les conflits d'intérêts chez les autres et les accepter dans leur propre cas. Dans la section 9 concernant les conflits d’intérêts, on peut lire : Les journalistes doivent éviter les situations de conflits d'intérêts et d'apparence de conflits d'intérêts, que ceux-­‐ci soient de type monétaire ou non. Ils doivent éviter tout comportement, engagement ou fonction qui pourraient les détourner de leur devoir d'indépendance, ou semer le doute dans le public. 3 Il y a conflit d'intérêts lorsque les journalistes, par divers contrats, faveurs et engagements personnels, servent ou peuvent sembler servir des intérêts particuliers, les leurs ou ceux d'autres individus, groupes, syndicats, entreprises, partis politiques, etc., plutôt que ceux de leur public. Le choix des informations rendues publiques par les journalistes doit être guidé par le seul principe de l'intérêt public. Ils ne doivent pas taire une partie de la réalité aux seules fins de préserver ou de rehausser l'image de tel individu ou de tel groupe. Les conflits d'intérêts faussent ou semblent fausser ce choix en venant briser l'indispensable lien de confiance entre les journalistes et leur public. Les conflits d'intérêts ne deviennent pas acceptables parce que les journalistes sont convaincus, au fond d'eux-­‐mêmes, d'être honnêtes et impartiaux. L'apparence de conflit d'intérêts est aussi dommageable que le conflit réel. Il s’agit également d’une entorse aux Normes et pratiques journalistiques de Radio-­‐
Canada qui stipulent, dans la rubrique « Préserver notre indépendance » et « Intégrité » : Nous sommes indépendants des lobbies et des pouvoirs politiques et économiques. Nous défendons la liberté d'expression et la liberté de la presse, garantes d'une société libre et démocratique. […] La confiance du public est notre capital le plus précieux. Nous évitons de nous placer en situation de conflit d'intérêts réel ou potentiel. Cela est essentiel au maintien de notre crédibilité. Ce Guide formule les règles déontologiques qui doivent orienter le travail des journalistes. Elles fondent leur crédibilité, qui est leur atout le plus précieux. C’est dans ce contexte qu’aujourd’hui nous vous demandons de vous pencher rapidement sur le cas de Pierre Duchesne. En plus de susciter un questionnement important sur la qualité et l’objectivité de l’information, nous estimons que cette situation troublante rejaillit malheureusement sur le travail de l’ensemble des journalistes, et en particulier chez ceux œuvrant à Radio-­‐Canada, de même que sur toute la société d’État. Cela est d’autant plus vrai que le cas de Pierre Duchesne fait suite à celui de Bernard Drainville qui, en 2007 on se rappellera, avait interviewé longuement le chef du Parti Québécois, André Boisclair, alors qu’il était déjà pressenti candidat péquiste, confirmé d’ailleurs quatre jours après l’entrevue. Cette situation nous fait prendre conscience des conséquences et de la portée du travail journalistique et du devoir d'honnêteté auprès des auditoires. 4 Dans l’attente de vos nouvelles, je vous prie de recevoir, Messieurs, mes salutations distinguées. Karl Blackburn Directeur général Parti libéral du Québec c. c. : Monsieur Rémi Racine, président du conseil d’administration, Radio-­‐Canada Monsieur Hubert Lacroix, président-­‐directeur général, Radio-­‐Canada Parti libéral du Québec Secrétariat général Montréal 7240, rue Waverly Secrétariat général Québec 1535, ch. Sainte-­‐Foy, bureau 120 Montréal (Québec) H2R 2Y8 Québec (Québec) G1S 2P1 T 514 288 4364 1 800 361 1047 T 418 688 8910 F 514 288 9455 [email protected] F 418 688 1416 1 800 463 4575 5