la construction des territoires touristiques en espagne interne

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la construction des territoires touristiques en espagne interne
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
LA CONSTRUCTION DES TERRITOIRES TOURISTIQUES EN ESPAGNE INTERNE :
L’EXEMPLE DE TRUJILLO EN ESTRÉMADURE
Christian JAMOT *
L’Espagne a connu une première phase de développement touristique appuyée sur le littoral. Née sous
la période franquiste, elle s’achève lors de la « movida » et se caractérise par une « bétonisation » des
rivages beaucoup plus lourde et destructrice que dans le cas français, contrôlé par un système étatique
et planifié. On pourrait même dire qu’il s’agit là d’un parfait anti-exemple de développement durable,
aujourd’hui doctrine officielle et pensée unique de l’aménagement…
Depuis les années quatre-vingt, le pays a pris conscience des effets pervers du système et du
déséquilibre existant avec un intérieur espagnol « vide et pauvre », que la manne touristique serait
susceptible de régénérer. Alors, la priorité au tourisme a pris le relais des politiques antérieures (et
prévues avant même l’aide européenne) destinées à relancer l’économie de l’intérieur.
Mais il ne s’agit plus, comme dans les années trente et surtout cinquante, de multiplier les paradors sur
des lieux ponctuels et emblématiques, pour attirer une élite et assurer une virginité politique à la
dictature franquiste. Le mot d’ordre est à la construction de véritables territoires touristiques. Le
mouvement se généralise aujourd’hui, très largement relayé par les régions espagnoles, à l’autonomie
large et leurs provinces.
Quoi qu’il en soit, et même si l’on fait feu de tout bois (du tourisme suscité par les parcs nationaux au
logement chez l’habitant…), il faudrait s’entendre sur la notion de territoire touristique. C’est ce que
nous tenterons d’analyser à travers le cas emblématique de Trujillo.
DE LA PRISE DE CONSCIENCE DE L’IDENTITÉ PATRIMONIALE AU TOURISME
Trujillo est, avec Ciudad Rodrigo, Béjar, Cacérès, etc., un bon support pour l’observation de cette phase
ultime de la « mise en tourisme » à l’espagnole. Elles se situent, en effet, dans la dernière des régions (au
sens géographique) atteinte par le phénomène, entre Madrid et la toujours étanche frontière
portugaise 1 , en Castille et en Estrémadure. La région (la Communauté autonome) d’Estrémadure ayant
même la réputation d’être la plus pauvre et la plus attardée d’Espagne. La plus isolée certainement.
Toutes notions qui sont en train d’exploser depuis l’arrivée massive des aides européennes et le
désenclavement routier entrepris par l’Etat espagnol.
Trujillo : un petit centre comarcal endormi
Trujillo est un prototype de la petite ville espagnole de l’intérieur, et plus précisément des zones de
plateaux (à l’altitude relativement élevée : 600 m) voués à la culture extensive des céréales ou à l’élevage,
dans le cadre du système latifundiaire.
De ce fait, elle a toujours fonctionné selon un système qui ferait le bonheur des géographes ruralistes
du siècle passé : la ville marché au service d’un territoire auquel elle propose ses prestations tertiaires.
En clair, Trujillo « végète », bien que l’autoroute l’ait désenclavée et permis une modeste relance de
l’activité productrice. Et bien que le tourisme soit déjà une réalité encore modeste. Bien que, surtout, la
régionalisation à l’espagnole lui ait permis de conforter son rôle de petit centre local. Bien que, encore,
la « vague immobilière » généralisée qui s’abat sur l’Espagne du Sud lui accorde une activité très
artificielle et proche d’une fièvre de l’or. Mais, dans ce domaine, Trujillo a une grosse expérience…
Prise de conscience patrimoniale et volonté de puissance
Trujillo est cependant connue, et dans le monde entier, à travers les guides touristiques, comme la patrie
des conquistadores. Lesquels lui ont légué un véritable ensemble patrimonial architectural. On peut
Université de Clermont-Ferrand.
- Le Portugal, de son côté, a connu une évolution largement similaire, ce qui renforce le caractère isolé des régions qui
bordent la frontière entre les deux états.
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toutefois s’interroger sur la pertinence de la notion. Mais, on doit surtout se poser des questions sur la
prise de conscience de l’existence d’un patrimoine exploitable et, plus encore, sur la volonté d’en
assurer l’exploitation.
Héritages et identification d’un patrimoine
A l’heure actuelle, la municipalité et l’Office de Tourisme de Trujillo (relayés par la Junta
d’Estrémadure) communiquent sur l’existence d’un « véritable complexe patrimonial » formé par tout
l’ensemble du vieux Trujillo historique (ville haute et ville basse).
Il est cependant appuyé sur un point fort, dont la valeur architecturale, plus qu’urbanistique, dépasse
aujourd’hui la petite ville et s’inscrit dans un contexte mondial : la plaza Mayor. En effet, la ville basse,
construite hors les murs de la ville haute musulmane, pour symboliser l’extension urbaine liée à la
Reconquista, selon un plan vaguement radio-concentrique et sous l’égide de la bourgeoisie urbaine
n’aurait pas atteint son heure de gloire sans un événement fortuit. Lors de la conquête du Nouveau
Monde, plus que tous autres ressortissants des cités d’Estrémadure, les Trujillans se sont illustrés2 .
Et ces cadets de famille (C. Salinero, 2006) ont eu à cœur, sur trois générations, tout au long du 16e
siècle et au début du 17e siècle, de signifier leur nouvel état et leur richesse par la construction 3 , tout
autour de la plaza Mayor, de palais plus ou moins somptueux. Cependant, on s’est vite rendu compte,
au 20e siècle, que la plaza Mayor ne pouvait suffire à assurer un flux touristique à elle seule et deux
autres domaines sont devenus, en appui, les bases d’un tourisme patrimonial. On s’est alors rappelé que
Trujillo a été musulmane durant cinq siècles (713-1232) et qu’il en reste des traces notables, avec toute
la ville haute, qui d’ailleurs sert de toile de fond à la monumentalisation de la plaza Mayor. Et qu’il
existe aussi, ici, un castillo arabe.
La valorisation du patrimoine
A partir de 1960, il est apparu que l’héritage de Trujillo était loin de fournir un ensemble cohérent : des
monuments, certes de qualité, mais parfois dégradés au 20e siècle, et surtout disparates et « dispersés »
dans une pâte urbaine sans intérêt. Comment, dès lors, constituer un ensemble monumental, comment
lier et comment donner une âme ?
L’idée à retenir est que les habitants de Trujillo ont, globalement, correctement entretenu leur
patrimoine au cours des siècles. Ainsi, concernant la ville haute, les remparts, largement inutiles après la
Reconquête sont pourtant régulièrement restaurés. Il faut cependant noter que la perte de richesse
après le 17e siècle a été, en fait, une véritable bénédiction architecturale, « fossilisant » le bâti et le
préservant 4 pour les générations futures, selon un principe très classique en milieu urbain ! Sans elle,
Trujillo n’aurait sûrement pas son cachet actuel, et la remarque vaut pour tout le secteur de la plaza
Mayor et de la ville basse en général.
On se retrouve ainsi au 19e siècle, où la marche vers la patrimonialisation va s’enclencher sous une
double égide, celle des élus et celle des « Indianos », les descendants d’émigrants…
L’intérêt des descendants d’émigrés pour leur petite patrie est précoce et s’épanouit tout au long du 19e
siècle, pour culminer avec les années 1930. Elle se marque d’abord par la volonté de retrouver ses
racines et souvent un lien familial. Elle implique déjà l’idée de faire connaître la culture estrémadurienne
de ses ancêtres aux « jeunes générations » des transportés en Amérique latine. Surtout, dès l’entre-deuxguerres, un véritable courant touristique s’établit vers Trujillo, celui d’un tourisme d’élite, selon les
principes de l’époque et qui fait de la ville un lieu rare et sélectif. Et, l’idée de lieu touristique de qualité
(voire d’exception) est lancée. Elle sera notamment valorisée par l’implantation d’un parador (après
guerre) sur l’emplacement du couvent de Santa Clara ! Des guides existent, dès avant la Première
Guerre mondiale.
- Nous ne retiendrons ici que Pizarro, conquérant du Pérou ou Orellana qui explora le bassin de l’Amazonie. Presque tous
les actuels pays d’Amérique latine ont été « visités » par les Trujillans et ils ont fondé une bonne dizaine de Trujillo…
3 - Un fait tout à fait banal en soi. On pense ainsi aux « Barcelonnettes » de l’Ubaye aux Auvergnats de Mauriac, etc.
4 - Une ville vivante sur le long terme est un véritable palimpseste et une mosaïque. Et le paysage urbain ne peut s’étudier
que bâtiment par bâtiment (parcelle, périodes, matériaux, style…). Un paysage homogène ne peut provenir que d’une
fossilisation, ou d’une reconstruction volontaire ou forcée (des bastides, aux grands incendies).
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L’influx semble donc exogène à Trujillo. Cependant, il a suscité rapidement l’intérêt des locaux, en
particulier des édiles municipaux qui ont saisi l’intérêt de valoriser la plaza Mayor, symbole de toute la
ville, de son histoire, des liens avec l’Amérique. Il y a donc eu réappropriation de l’esprit urbain
conquérant avec transfert et focalisation sur un lieu, dont on renforce la symbolique 5 . Et ceci dès le 19e
siècle.
En effet, le premier remodelage de la place date de la fin du siècle… Mais il faut attendre l’après
seconde guerre pour le changement apportant une véritable volonté de monumentalisation et de mise
en valeur globale d’un ensemble architectural. L’opération se fait en deux temps (Ramos Rubio, a). Les
années soixante (1963 et 1968) voient la réfection des dallages sous les arcades et des trottoirs qui les
bordent, ainsi que le pavage partiel de la place elle-même, traditionnellement en terre battue. Sa
planimétrie est rectifiée par creusement et adjonction de gradins du côté nord. On obtient alors la mise
en valeur de l’église San Martin (et de la statue Pizarro !) et un effet de surélévation de la ville haute,
avec réalisation d’un superbe « amphithéâtre » intégré au cœur de la ville 6 .
Entre 1999 et 2002, l’œuvre est parachevée par une opération de restauration des façades. Au cours des
temps, depuis le XVIIe siècle, les parties peintes, les fresques, les effets polychromes, voire dorés,
avaient disparu. Le choix a été fait d’en tirer parti et de revenir à la pierre apparente, le granite, symbole
(sic) de l’Estrémadure. On en a profité pour supprimer les constructions parasitaires, les ajouts
stylistiques souvent incongrus, afin de tenter de retrouver la « pureté et la simplicité de l’origine ».
Au total, avec un cadre largement artificiel mais enjôleur, et une fréquentation élitiste avide d’un culturel
parfaitement convenu, les ingrédients sont prêts pour une tentative de mise en tourisme…
DU PRODUIT TOURISTIQUE TRUJILLO AU PRODUIT TERRITORIAL TRUJILLO
A partir des années soixante-dix, le tout tourisme devient le credo de Trujillo. Il est d’abord appliqué à la
ville où l’on tente de créer un territoire touristique urbain ; puis, à partir des années 1990, on essaie,
assez maladroitement, d’entraîner toute la comarca dans un véritable territoire (au sens spatial du terme),
focalisé sur la ville.
Trujillo : territoire touristique en soi ?
Volonté et discours touristiques
Il existe désormais à Trujillo une véritable volonté de se considérer comme une ville touristique. Elle
passe d’abord par le fait de se donner les moyens d’y parvenir. Ils sont cependant des plus classiques.
Editer des guides touristiques, même sous la plume d’un historien local (Ramos Rubio, b), les diffuser
dans les principales langues de l’Europe 7 , n’ayant rien d’exceptionnel. Le développement d’un Office
municipal de tourisme non plus. Et, même s’il est localisé dans un édifice emblématique de la plaza
Mayor. L’embauche de personnel polyvalent et polyglotte pour celui-ci n’est, après tout, qu’une
opération nécessaire mais non suffisante. Il faut dire, à la décharge des élus, qu’ils considèrent que tout
le travail antérieur sur le patrimoine est l’œuvre maîtresse qui, à elle seule, doit suffire pour un
entraînement touristique.
Le produit touristique
Quoi qu’il en soit, Trujillo a réussi à monter un véritable produit touristique, en dépit de ses lacunes et
imperfections. La ville dispose d’un ensemble de vingt-cinq hôtels et pensions, ce qui, en regard de la
population résidente de 9 400 hab., est des plus honorable. Mais la capacité d’accueil simultanée est
faible (816 places seulement). Par ailleurs, la qualité de cette hôtellerie laisse à désirer. Il existe un
groupe solide d’hôtels trois et quatre étoiles pour un tiers des effectifs et la moitié des places. Ils sont
un héritage du passé et d’un tourisme d’élite. Mais, l’hôtellerie de moyenne gamme est totalement
- Très involontairement, on a choisi un processus de développement classique et efficace : un lieu fort, pôle de centralité,
capable ensuite d’entraîner toute la ville (1960-1980) et même tout le secteur (2000-2007) du moins l’espère-t-on.
6 - On a accentué le côté fermé de la plaza Mayor et, bien qu’elle soit vaguement rectangulaire, son aspect de conque, dans
un esprit qui semble inspiré du campo de Sienne.
7 - Au moins du sud…
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déficiente ; en capacité plus qu’en nombre et en qualité. Le tourisme de masse n’est donc pas pour
demain à Trujillo, d’autant que l’hôtellerie est bien seule : pas de terrains de camping comme souvent en
Espagne intérieure, et quelques places dans le « rural » du pays de Trujillo (voir infra).
Mais cette situation se comprend mieux si l’on s’intéresse à un second aspect du produit mis en place
sous l’égide municipale. Trujillo a fort bien su développer un tourisme événementiel, lié à ses héritages.
Quelques fêtes rythment ainsi la vie urbaine et animent la plaza Mayor. Les plus connues sont d’origine
religieuses. Elles ont lieu lors de la Semaine Sainte, pour le 15 août 8 et pour la fête patronale de NotreDame de la Victoire. Le cadre architectural nouveau de la ville a donc relancé l’intérêt de ces
manifestations « patrimoniales », qui y gagnent en grandeur et constituent une attraction purement
touristique, qui attire une foule de non-croyants. Les Trujillans acceptent bien volontiers de se mettre
en scène, dans leur nouveau théâtre urbain ; et acceptent encore, temporairement du moins, de partager
ce qui (à la différence de nombre d’autres destinations touristiques) est encore, pour l’instant, une
tradition enracinée et vivante. D’ailleurs, ils ont fort bien compris l’intérêt de la chose et ont tenté de la
démultiplier… à travers des fêtes profanes, censées relever du même esprit d’offre d’une tradition
locale théâtralisée.
Le territoire touristique
Au total, il existe bien un produit touristique. Il est encore en évolution puisque la municipalité a
procédé à une demande pour le classement de la ville au patrimoine mondial de l’UNESCO. Plus qu’un
aboutissement de l’effort entrepris, il s’agit d’une tentative de redéploiement du produit, avec tout le
cortège de financements, la notoriété, la communication que l’on peut en espérer : un véritable
changement d’échelle, focalisé sur la notion de label.
Cependant, on notera que le produit s’appuie sur un véritable territoire touristique, matérialisé par une
ville désormais perçue comme un tout par des touristes bien conditionnés. Ils sont d’ailleurs invités à se
l’approprier par des circuits thématiques (rutas) leur permettant de fractionner la lecture du global (selon
un processus très classique), tout en renforçant le contact matériel avec la nature, la diversité et la vie du
territoire. Identification et émergence de la spécificité étant les deux mamelles de la territorialisation.
Quant aux habitants qui font partie du cadre recherché par le touriste, ils jouent la carte de
l’interactivité avec lui et, surtout, ils se sont également appropriés le contexte théâtralo-touristique de
leur propre cité. Ils sont les premiers spectateurs-acteurs de l’animation de la plaza Mayor et de son
illumination nocturne.
Trujillo : pôle central d’un territoire touristique ?
Selon un processus des plus classiques, l’existence d’une réussite, focalisée sur un pôle touristique,
suscite des émulations. Dans le cadre de la « touristification » de l’intérieur, de la politique du « tout
tourisme » et de l’intercommunalité à l’Espagnole, un territoire touristique tente de se mettre en place
autour de Trujillo.
L’appétit comarcal
Les nouvelles comarcas mises en place dans certaines régions d’Espagne s’apparentent, par de nombreux
traits, aux communautés de communes françaises, voire aux pays. Grâce à l’aide au développement
reçue dans le cadre européen, l’Associación para el Desarollo Integral de la Comarca Miajadas Trujillo
(ADICOMT) a lancé tout un programme de mise en tourisme de ce nouveau territoire, somme toute
artificiel et disparate. Les thèmes choisis sont eux-mêmes d’une banalité affligeante, au regard de
l’Espagne intérieure et même de tous les intérieurs européens. La pensée unique touristique et les
directives européennes l’expliquant très largement.
Ainsi, les références vont-elles, en priorité, à l’exploitation du patrimoine, ce qui passe par un
recensement de toutes les ruines, les églises, les châteaux et les ponts, de toutes les époques (même si
une priorité semble donnée à l’art baroque), sans oublier le petit patrimoine. A côté, on met en avant les
paysages, auxquels on accole parfois l’épithète de « naturels ». Ensuite, on passe directement du paysage
au contact possible avec la faune et la flore, la pratique de la pêche et cette « spécialité » espagnole
8
- Ce qui n’a rien d’une spécificité en Espagne.
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qu’est la baignade en rivière. Logiquement, les références suivantes vont à l’exploitation des produits du
terroir et aux fêtes populaires. Les fêtes religieuses ouvrant la porte à une kyrielle de fêtes profanes au
relent de paganisme rural.
La seule originalité (bien que revendiquée par d’autres régions espagnoles de sierras) est l’observation
des oiseaux. En raison de ses terroirs variés et de la présence des grands barrages issus du plan de
Badajoz, toute l’Estrémadure se situe sur une voie de migration de nombreuses espèces entre Afrique et
Europe du Nord.
L’absence de territoire touristique
Il existe certes de forts beaux dépliants touristiques vantant les mérites du pays de Trujillo, d’un pur
style catalogue. Certes, on a créé, selon un modèle galvaudé, et sous l’égide de la région, des itinéraires
(rutas) permettant de ne rien oublier de ce qui est théoriquement à voir. Ils relient matériellement tous
les lieux et tous les thèmes, sans rien omettre, à l’opposé des guides touristiques dont la mission est
justement de sélectionner.
Cependant, cela ne suffit pas pour créer un territoire touristique. D’abord parce que l’hébergement ne
suit pas. Les quelques hôtels, avec l’appellation « rurale » sont dispersés, de petite taille et de qualité très
ordinaire. Ils n’offrent donc aucune « sécurité » au touriste et n’intéressent qu’une clientèle limitée,
régionale, souvent pour les week-ends. « L’hébergement rural » 9 , type chambre d’hôtes est en plein
essor, mais demeure limité avec une quinzaine d’unités, pouvant aller jusqu’à une demi douzaine de
chambres. De plus, la moitié des équipements se situe autour de Trujillo, pour pouvoir profiter de la
clientèle urbaine !
On a donc la preuve que le tourisme de pays (au sens géographique) n’est pas encore une réalité et que
seule une petite clientèle amenée par Trujillo déborde sur la comarca. Cela ne suffit pas à créer un
territoire animé par Trujillo, dont les touristes ne débordent guère les limites urbaines. Trujillo reste
donc un kyste touristique urbain. Quant à l’espace comarcal, il n’a absolument rien d’un territoire
cohérent. La volonté ne suffit pas pour créer un produit (spécifique, séduisant, novateur…) ; le seul
répertoire des lieux et des thèmes ne peut en tenir lieu. Le territoire touristique ne se décrète pas ; il se
construit patiemment, à l’épreuve de son originalité, reconnue par une clientèle nettement identifiée.
CONCLUSION
L’exemple de Trujillo n’est pas unique en Espagne, même si la ville dispose de l’un des meilleurs
patrimoines architecturaux du lot. Il lui faut compter avec Cacérès très proche d’elle, spatialement et
patrimonialement ; mais aussi avec Plasencia, Béjar, Cuidad Rodrigo au nord et Merida, Zafra au sud.
Sans parler des grands classiques nationaux du type d’Avila ou Ségovie et encore des places de niveau
international (Tolède, Salamanque, Grenade, Cordoue, Séville,…). Plus tard venue, elle doit s’en
démarquer par quelque originalité.
Plus que sa spécificité de base (la ville des Conquistadores), elle a su mettre en place un processus
spontané, puis volontariste de création d’un système touristique complet, allant du produit au territoire,
pour l’instant urbain et encore incapable de s’étendre sur l’espace environnant. L’intérêt de Trujillo est
donc dans la logique et dans la cohérence de la mise en place. Au départ, il faut des bases, avec un
patrimoine (ici urbain, mais il pourrait être naturel) digne d’intérêt. De ce fait, la ville participe au
mouvement qui, au 19e siècle, sous le regard cultivé de la clientèle de l’élite, a sélectionné des lieux
remarquables pour en faire des lieux remarqués. L’apport du 20e siècle a cependant été de comprendre
que, sur ces bases, on pourrait faire de la construction de produit touristique. Mais il a encore fallu le
déclic de l’appropriation de la construction par les populations pour en faire un nouveau territoire,
construit autour du thème touristique.
Cependant, la chose a ses limites. Ce qui marche pour le ponctuel ne réussit pas à l’échelle de l’étendue
spatiale. Trujillo n’anime pas un « territoire » autour d’elle. Il lui faudrait une tout autre stature, et une
saturation de ses sites. La volonté de création, totalement arbitraire, d’un « territoire touristique », pensé
dans le cadre du tout tourisme et du tourisme rédempteur de toutes les économies en difficulté en
paraît d’autant plus illusoire.
9
- Appellation commode et qui ne signifie rien, comme en France…
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Bibliographie
JAMOT C. et EDOUARD J.-C., 2001, « Commerces et services des petites villes en vieille Castille et
Portugal central », Commerces et services dans les campagnes fragiles, Presses Universitaires Blaise-Pascal,
CERAMAC, Clermont-Ferrand, pp. 169-284.
JAMOT C., 2007, « Bejar : du kyste industriel au pôle tertiaire », actes du colloque Nouvelles attractivités
des territoires, Presses Universitaires Blaise-Pascal, CERAMAC, Clermont-Ferrand.
RAMOS RUBIO J.A. (sans date) (a), La plaza Mayor de Trujillo, Officina de Desarollo y Promoción
Turística, Trujillo.
RAMOS RUBIO J.A., 1999 (b), Guia de Trujillo, éd. 2005, Estito Estugraf Impresones.
SALINERO G. (2006), Trujillo d’Espagne et les Indes au XVIe siècle, Casa de Velazquez, Madrid, 541 p.
Compte rendu par Alain Hugon, Les Clionautes (http://www.clionautes).
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