Le Journal d`un Poilu

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Le Journal d`un Poilu
Le Journal d’un Poilu
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Extraits des carnets de notes de Théode BONVALLET (né le 21/11/1886 à Ravenel - mort le 21/09/1918 à Doiran (Macédoine))
SUPPLEMENT AU BULLETIN « RAVENEL ACTUALITES » N° 67 DE MARS 2015
Dans ses notes, Théode BONVALLET décrit
de nombreux cimetières où reposent les
soldats tués lors des Batailles d’Artois. En
particulier il s’attarde sur celui d’Ecoivres,
situé au bas de la Commune du Mont Saint
Eloi. Cimetière militaire situé chemin de
Bray, au lieu-dit l'Enclos, il a une superficie
d'un hectare quarante cinq ares quatre vingt
quatorze centiares. Ce cimetière a d’abord
été établi par les français (près de 1.000
tombes françaises), puis utilisé par les unités
canadiennes et britanniques entre 1916 et
1918. Début 1916, l’armée britannique
relève les troupes françaises dans le secteur.
Dans le cimetière du hameau d’Ecoivres, au
pied de la colline, ces dernières ont ouvert
un carré militaire pour inhumer 888 de leurs
morts, notamment ceux des combats de
1915. Si la voie ferrée toute proche permet
d’acheminer le ravitaillement sur les zones
de combats, elle est également utilisée pour
en ramener les hommes qui y sont tombés.
C’est ce qui explique l’organisation si
particulière de l’Ecoivres Military Cemetery :
depuis le carré français en direction de la
Croix
du
Sacrifice,
les
soldats,
majoritairement britanniques et canadiens,
y ont été inhumés de façon chronologique.
Aux soldats de la 46th (North Midland)
Division qui ont assuré la relève en mars
1916, succèdent ainsi les hommes de la 25th
Division qui ont subi l’attaque allemande au
pied de Vimy en mai 1916, puis ceux de la
47th (London) Division tombés entre juillet
et octobre 1916 et enfin les Canadiens qui
ont péri lors de leurs assaut sur la crête de
Vimy en avril 1917. Dans l’enceinte de cette
nécropole, on observe la caractéristique
Croix du Sacrifice des cimetières britanniques. Il s’agit d’une croix portant sur sa
face une épée de St Georges, pointe tournée
vers le bas en signe de deuil. La pierre du
souvenir portant l’inscription « Leurs noms
demeurent à jamais », est également
présente. Dans ce cimetière sont ainsi
enterrés 888 Britanniques, 830 Canadiens,
787 Français, 4 Allemands, 4 Sud-Africains
et 2 australiens
.
Sonnet pour le Centenaire n° 0326
Près du mont Saint-Eloi, s’étend un cimetière
Au pied de sa colline où le passé se voit
Aussi bien qu’en ces tours d’abbaye qui, sans voix
Ni discours, disent tout de leur histoire entière…
Cette place, en effet, n’était que l’héritière
De celui du hameau qu’Ecoivres se prévoit
Pour enterrer ses morts au fil du lent convoi
Du temps se déroulant comme dune côtière…
Mais la guerre arrivant, ce « carré » communal
Accueillit tant de corps sur son sol qu’en final
Il devint militaire et poussa son emprise…
C’est le chemin de fer de combat des Français
Qui le rendit ainsi, grand témoin sans méprise
Des relèves d’Alliés condamnées sans procès !
Crédit photo: Internet
Crédit photo: Ravenel Actualités
Le Journal d’un Poilu (4)
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Dimanche 12 septembre 1915 :
Je dormis un peu et à 4 heures et demie
j’allais rendre compte du travail au lieutenant.
J’employais la matinée à l’amélioration de la
parallèle de Carency et je revins au bivouac
par Villers aux Bois.
Remarques : dans le chemin creux, des poilus
ont installé un véritable musée de choses
hétéroclites ramassées un peu partout. A
chaque objet il y a une étiquette
humoristique. Exemple : un bout d’écouvillon
de canon est étiqueté « lunette à grande
distance pour officier myope boche », un
débris de démêloir : « décrassoir des armées
boches » etc… Ces jours derniers le Général
Fayolle est passé au cantonnement de
Camblain l’abbé s’adressant aux troupes de la
55ème division et au 289ème d’infanterie et
leur dit à peu près ces paroles : « Soldats de la
55ème, vous avez déjà beaucoup mérité de la
Patrie. Je viens pour demander un nouveau et
dernier sacrifice – ou effort ? – il vous faudra
bientôt prendre la côte 119 et cet obstacle
franchi, nous irons jusqu’à Douai, l’arme à la
bretelle ». La côte 119 est celle où se trouve
le Bois de la folie où l’ennemi a, parait-il,
beaucoup de canons. Après avoir fait ma
toilette, je mangeais de bon appétit et vers
7 heures et demie, je me couchais.
Général Fayolle
(crédit photo "L'illustration" - Album de la Grande guerre 19141919 aimablement prêté par M. et Mme TIRON )
Lundi 13 septembre 1915 :
Après une nuit excellente, je me levais vers 7
heures et demie et à 8 heures j’allais avec
mes hommes à l’école de brêlage (Ecole de
différents nœuds) pendant une heure.
L’après-midi je fis une bague que j’envoyais à
Ravenel le jour même. Je fis quelques lettres
et me couchais de bonne heure.
Combat d’aéros : résultat nul. Nous
bombardons intensément les boches ne leur
laissant aucun repos. A 9 heures les pièces de
gros calibres tonnent. La terre tremble
jusqu’au bivouac nous avons eu un canon de
90 démoli par les boches. Quelques blessés.
Le Journal d’un Poilu (4)
Mardi 14 septembre 1915 :
J’ai eu un mal de dent terrible toute la nuit et
je me fais porter malade. Je vais voir le
dentiste, un spécialiste, à l’ambulance qui me
plombe la plus mauvaise. Je reviens vers midi
au bivouac et l’après-midi je m’amuse à faire
un briquet pour Anicet. Je ne monte pas aux
tranchées et me couche de bonne heure.
Mon mal de dent s’est un peu calmé. Il est
question que l’on doit partir et l’on nous
complète notre linge. J’ai touché une chemise
bien chaude en laine.
Mercredi 15 septembre 1915 :
Debout à 5 heures je me promène jusque 8
heures et fais quelques lettres. A 11 heures,
en compagnie de deux autres, je vais cueillir
du cresson. Je passe par Frévin-Capelle où se
trouve installée une grande ambulance. Le
cimetière, très bien arrangé sur le bord de la
route, contient déjà 140 corps environ. Il y a
des troupes nombreuses, notamment du 3ème
corps : 129ème, 74ème, 39éme et le 405ème,
beaucoup de compagnies de mitrailleurs. Je
visite l’église sans style ni goût. La route
départementale a été élargie d’au moins 2 à 3
mètres. Je vais à Acq, un assez grand village
bien tenu, épiceries bien garnies où on y
trouve même du champagne. Je vais chez un
ami, un ancien pompier mais il est toujours
aux armées. Dans les près, des compagnies de
mitrailleurs : c’est incroyable les quantités qui
s’y trouvent. Avant d’entrer dans Acq il y a
encore une ambulance avec le nom des salles
sur les portes et un dépôt d’éclopés de la
région. La canonnade rage du côté de La
Neuville St Vaast. Nous nous dirigeons sur
Ecoivres en suivant la rivière : de nombreux
soldats s’y baignent et lavent leur linge. Nous
croisons des détachements de travailleurs qui
reviennent de La Neuville. A Acq il y a aussi
plusieurs centaines de morts dans le
cimetière civil mais agrandi (voir photo en
première page). Arrivés au lieu, nous devons
cueillir du cresson. Je me mets en tenue bras
et jambes nues et je fais une bonne cueillette
en revenant par le bas du Mont St Eloi. Un
nouveau cimetière encore plusieurs centaines
d’ enterrés et à travers champ, nous revenons
au bivouac. Je mange une bonne salade et je
me couche de bonne heure.
Jeudi 16 septembre 1915 :
A 6 heures, réveil en fanfare : c’est Boucq qui
revient de permission et m’apporte un
paquet reçu avec grand plaisir. Je suis de jour
et j’installe mes équipes. A 11 heures, je vais
manger avec Boucq et l’après-midi au travail.
Un combat aérien : résultat nul. Le soir une
petite promenade et au pieu.
Vendredi 17 septembre 1915 :
Levé de bonne heure, je vais laver et
confectionner des colis avec les objets que j’ai
de trop ici puis je me repose. Je fais quelques
lettres et à 17 heures je pars aux travaux
« Abris de secours 152 » du boyau neuf où
j’arrive très tard. Je pose les claies sur l’abri
n° 1 avec mon équipe, nous entamons le
n° 2 mais sur le n° 1 une marmite arrive et
pousse les terres et je suis obligé de le
démolir et de mettre toute la charpente
bas – l’équipe qui suit le remettra en état.
Dans
le
numéro
précédent
nous
évoquions
la
mémoire
du
Caporal
Charles Anicet Jérôme DEBOVES, né à Ravenel le
16 avril 1879, mort de ses blessures le 1er juillet
1915 au hameau des quatre vents (Pas de Calais),
sur la tombe duquel Théode BONVALLET avait
porté une fleur. Il était affecté au 1er Régiment
du Génie. Nous avons retrouvé sa tombe à la
nécropole française de Notre Dame de Lorette
(62).
(Crédit photo : Ravenel Actualités)
Samedi 18 septembre 1915 :
Vers 3 heures, je reviens me coucher sur les
marches de l’escalier d’un abri parallèle de
Béthune J’étais tellement bien que vers
une heure je revenais au parallèle de Carency
où je finis mon somme sur une banquette de
bois jusque 8 heures. Il commence à faire
froid et les matinées sont très fraîches. La
matinée se passe à de menus travaux
d’appropriation d’une tranchée et à 13 heures
je reviens et rentre au bivouac bien fatigué. Il
fait un temps chaud. Duel d’artillerie. Sans
cesse les avions n’ont pas cessé de part et
d’autre d’explorer les lignes ennemies. Plus
de 1000 coups de canon ont été tirés sur les
avions sans résultats. Je me couche et m’endors de bonne heure.
Dimanche 19 septembre 1915 :
La nuit fut des meilleures mais manquant de
couvertures j’eus froid le matin. Il fait frais
toute la journée. Je ne fais pas grand-chose
que de faire une boite à allumettes et diverses bricoles. Je reste toute la journée au
bivouac. Le soir j’assistai à la descente d’une
« saucisse » ballon d’observation long
d’environ 25 à 30 mètres diamètre de 5 à 7
mètres, retenu à terre par un treuil à porteur,
trainé par 6 à 8 chevaux. Un téléphone est
relié à l’observateur. Nous en avons une qui
fut prise aux boches parait-il pendant la
Page 2
Gonflage d’une « saucisse » à Beauvais (1914-1918)
Crédit photo : http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/oise14_18/affiche4.php
bataille de la Marne : elle n’a pas tout à fait la
même forme que les autres et est un peu plus
grosse.
tombent sur la route à quelques mètres de
moi. Cela ne me fait rien et je ne ressens
aucune palpitation de cœur.
Lundi 20 septembre 1915 :
Rien d’anormal de toute la journée que la
canonnade qui se poursuit avec la même
intensité. A 6 heures je pars aux travaux. Je
dois aménager un chemin pour le passage de
l’artillerie, abattre des rideaux et les faire en
rampe, boucher des trous d’obus et combler
de vieux boyaux. Mais à peine sommes nous
arrivés que les boches se mettent à répondre
et les marmites de pleuvoir sous la pluie de la
mitraille. Mes 15 auxiliaires d’infanterie se
sauvent et je ne les revois plus de la nuit. Les
hommes de mon escouade ont des intentions
de s’enfuir aussi mais je les retiens quand
même. Prenant le styx nous arrivons au
parallèle de Béthune entre deux marmites et
nous nous casons dans la sape du bois droit
sous-secteur Nord. Là je vois passer plusieurs
morts et blessés du 46ème, mon ancien
régiment ,et ma Compagnie ensuite. Pendant
une accalmie je reviens au poste de commandement ne pouvant exécuter le travail commandé et on me confie le déchargement de 3
voitures. Malgré la mitraille, je les conduis
route de Béthune au petit chantier, ne
pouvant aller les déposer là où je devais, le
bombardement étant trop intense à cette
place-là. Les artilleurs ne pouvant plus tenir
leurs chevaux et eux-mêmes étaient apeurés.
Il y avait de quoi. Il tombait 3 à 4 marmites
par minute et à 100 m et même moins de
nous. Je réussis à les calmer et montant sur
ma voiture avec mes hommes, je la
rechargeais de même que les deux autres
rapidement. Nous n’avons eu aucune perte
en hommes ou en chevaux. Je suis obligé de
me terrer dans une guitoune, les marmites
Mardi 21 septembre 1915 :
Je quitte le chantier et reviens à la parallèle
de Carency où je fais quelques améliorations.
Bien fatigué j’arrive au bivouac vers 4 heures
et demie et je me couche de bonne heure .
Le Journal d’un Poilu (4)
Mercredi 22 septembre 1915 :
La nuit fut épouvantable dans les lignes. Ce
fut un bombardement ininterrompu de part
et d’autres, les aéros, au petit jour volaient
par dizaine cherchant à repérer les batteries
boches nouvellement placées. Toute la
journée, je fais faire des claies et des fascines.
Le soir, je vais faire une petite promenade
jusque 19 heures. A peine rentré, en tenue,
nous partons pour faire une piste entre la
première et la deuxième ligne. Je pars seul à
20 heures avec mon escouade. Pendant deux
heures à travers champs nous nous rendons à
notre chantier. Je passe sur la route de
Béthune Là je remarque un arbre truqué
servant d’observatoire à l’artillerie, imitant à
s’y méprendre le vrai arbre qui fut coupé par
un obus à 4 m de terre. Ce faux arbre, en
acier, creux, fut amené là un soir. On scia le
vrai et on mit le faux à sa place. Arrivé à
l’intersection de la route des Pylônes et du
boyau neuf, une rafale de marmites nous
renverse dans le boyau. Je vais reconnaitre le
chantier, traverse le boyau de la bravoure,
celui de Saint Eloi et j’arrive le premier de
l’équipe avec mes hommes au point indiqué.
Nous devons aménager une piste entre la
deuxième et la première ligne c’est-à-dire
boucher les trous des marmites, abattre des
rideaux et cela à 300 m des boches qui sont,
eux, sur la côte 119 et dans la plaine par un
clair de lune superbe. A peine suis-je monté
sur le parapet pour reconnaitre les jalons
plantés la veille qu’une nouvelle rafale arrive.
La piste a dû être reconnue par les boches
dans le jour et toutes les 20 à 30 minutes, une
rafale de marmites nous arrive dessus. Je
saute dans le boyau, une marmite arrive en
plein sur la passerelle, la coupant en deux et
bouchant le boyau. La violence de l’explosion
me renverse et comme un bolide je suis
précipité dans une guitoune. Je ne me
rappelai de la chose que deux ou trois
minutes après. Je n’avais rien. La rafale
passée, je fais sortir mes hommes de leur abri
et en 5-7 le boyau est déblayé des morceaux
de passerelle. L’équipe arriva commandée par
un adjudant qui, jugeant le travail impossible
nous fait attendre. Je me fourre dans le fond
d’un abri et nous attendons pendant presque
une heure la fin du bombardement qui ne
cesse pas. Pendant une accalmie, nous
revenons en arrière et de là au bivouac où
j’arrive vers 4 heures et ¼ après avoir fait une
vingtaine de kilomètres au risque de se faire
zigouiller et de n’avoir fait aucun travail.
Jeudi 23 septembre 1915 :
Je dors deux heures et après avoir fait un brin
de toilette, je fais quelques lettres et me mets
à finir mes briquets. Vers 10 heures je vois
passer 14 aéros ensemble. Le canon ne cesse
pas un instant. La journée se passe sans trop
d’ennuis. Dans les régiments qui montent aux
tranchées, les hommes chantent. Ils ont tous
un sac, chacun 180 cartouches, 2 grenades ou
pétards et deux jours de vivres en réserve en
prévision de l’attaque qui va avoir lieu ces
jours ci. A 18 heures je dois aller voir un
copain mais on ne doit pas bouger : nous
devons nous tenir prêts à partir. A 19 heures il
éclate un orage subit. Epouvantable ! La pluie
tombe toute la nuit sans discontinuer. On
croirait par moment, avec ces rafales et coup
de canon se trouver en quelques coins de
l’enfer.
Vendredi 24 septembre 1915 :
Je suis réveillé plusieurs fois dans la nuit par la
pluie
qui
ne
cesse
de
tomber.
Tenue
d’un
soldat
d’infanterie
en
1915
(Crédit photo : Internet)
Page 3
A 10 heures, un détachement de 40 hommes
du génie, part à Saint Pol, affecté à un équipage de pont avec autos et camions. Je rends
les outils portatifs de l’escouade. A 11 heures,
je touche un casque d’infanterie. Le canon
tonne sans cesse. Comme outil, j’ai une paire
de cisailles. Vers 15 heures revue de vivres de
réserve, fusil et cartouches. A 19 heures je
monte aux tranchées avec mon escouade
pour terminer l’abri du général entre les 26
et 27 – parallèle de Carency – 3 obus tombent
à une cinquantaine de mètres de nous, mais,
s’enfonçant dans la terre mouillée, ils
n’éclatent pas. A une heure du matin, j’ai fini
le travail et à 3 heures et demie je suis de
retour au bivouac bien mouillé et bien
fatigué.
Samedi 25 septembre 1915 :
Je dors bien jusque 7 heures ensuite je
termine le petit souvenir pour Albertine. Je
me repose jusque 11 heures. La canonnade
est moins intense que d’ordinaire. Cependant
l’attaque doit bien avoir lieu aujourd’hui. La
cavalerie est arrivée pendant la nuit : il en
campe dans tous les près, les caissons de
munitions montent sur St Eloi et ailleurs ce
n’est qu’un défilé continu de voitures et de
chevaux. Il pleut toujours et de bonne heure
je me couche. Le matin, en rentrant, je fais
toutes les tranchées au moins 10 ou 12 lignes
remplies de soldats, entassés dans la boue ou
enroulés dans leur toile de tente, couchés sur
les
parapets
ou
dans
la
plaine.
sacrifiant pour le pays. Au revoir ! La cavalerie
commence à se répandre dans la plaine. Allons-nous
enfin
voir
les
boches
enfoncés et rendre gorge ? Les aéros
voltigent sans cesse. Partout de la troupe et
tous prennent la même direction. Il est
19 heures pas encore d’ordre pour nous.
Nous sommes section de réserve. 20 h je
viens de faire quelques lettres au lit !!!
Néanmoins je suis mieux que là-bas dans les
tranchées. Il est arrivé cet après-midi en
camion et débarqué ici le 413ème et 414ème de
ligne. Il parait que nous avons un sergent et
un commandant de tués ainsi que plusieurs
hommes en coupant des fils de fer. Nous
sommes prêts à partir. Nos sacs sont faits
mais nous n’avons pas touché nos vivres de
réserve et il serait imprudent de partir ainsi.
Toujours les caissons de munitions montent
vers St Eloi. La canonnade ronfle par instant
de même que les mitrailleuses.
Lundi 27 septembre 1915 :
Après une nuit excellente et après avoir bu
mon café, je me lève fumer une bonne pipe et
la journée toute entière se passe à fabriquer
2 briquets. A 6 heures et demie je reçois une
couronne que je porte de suite sur la tombe
de Jérôme. Je suis obligé de passer à travers
champs pour éviter les sentinelles postées à
chaque jonction de routes et de chemins.
Partout dans la plaine des régiments campent. Il commence à pleuvoir vers 7 heures.
Comme c’est triste ce cimetière – seul – dans
la nuit tombante, au milieu d’une plaine mais
je vais remplir un devoir sacré. Plus loin en
revenant, une mandoline jette de dessous
une tente ses notes aigües. Bizarre le temps
que nous vivons où des vivants - les morts de
demain – chantent en même temps que celui
passé et présent, leurs litanies pour la mort
qui les couchera.
Dimanche 26 septembre 1915 :
A 4 heures on vient prévenir la 3ème section de
partir immédiatement pour la deuxième ligne.
Quel réveil ! Je suis confortablement allongé
dans mon sac de couchage et je ramène ma
capote sur mon nez – il ne pleut plus – mais
un brouillard intense remplit toute la vallée.
A 6 heures je bois mon café tranquillement et
je ne me lève qu’à 9 heures. Je mange de bon
Mardi 28 septembre 1915 :
appétit et je fais la sieste jusque midi au soleil
A la compagnie, nous avons eu 4 tués et plucar il réapparait et réchauffe les effets et le
sieurs blessés. Des troupes, surtout de la cacœur. Sans cesse les camions remplis de
valerie, arrivent sans cesse. Hier, nous avons
troupes et de caissons de munitions montent
fait plusieurs centaines de prisonniers dont
vers le front. Le canon recommence à tonner
300 environ sont à Comblain. Ils
à midi 30. Puis l’attaque est esquissée à
paraissent tout jeunes à l’exception de
14 heures par un bataillon du 204ème et un du
quelques-uns et pas trop fatigués. Chose cu246ème mais aussitôt sortis des tranchées, ils
rieuse, ils se grattent tous, couverts de poux.
sont fauchés par les mitrailleuses
ce qui les oblige à rentrer. Ils font
une quarantaine de prisonniers
qui sont ramenés à Camblain
l’abbé. Nous en avons laissé à peu
près autant aux boches et de
nombreux morts et blessés qui
restent sur le terrain. A l’heure
où je termine ce carnet, il est 15
heures 30 et il tonne avec fracas.
La cavalerie est prête à partir .Les
aéros par escadrille volent sans
cesse. Il passe toujours des soldats, les camions arrivent sans
cesse et rechargent leurs hommes
au pied de la côte ou je suis
La chasse aux poux dans les tranchées en 1915 à Souchez
bivouaqué. Nous, pas d’ordre,
Crédit photo : Collection personnelle Gérard LEROY
nous restons à flâner pendant que
d’autres sont à leur poste , se
Le Journal d’un Poilu (4)
Nous avons parait-il deux compagnies du
97ème Régiment d’infanterie alpine et une
cinquantaine du 246ème. Toute la nuit il a plu.
Réveil
à
4
heures.
Aussitôt
distribution de vivres pour 3 jours et un quart
de
mauvais
rhum
par
homme.
A 5 heures nous partons à environ
40 pionniers. Chaque homme de mon escouade porte un sac contenant 4 kg 700 de
cheddite (La cheddite est une classe d’explosifs à base de chlorates fabriqués en Haute
Savoie). Pour une mine que nous devons faire
exploser sous les boches. Moi, je porte un
paquet de clous. A la sortie de Villers-auxBois, nous prenons le boyau de Bavière pour
rejoindre la parallèle de Carency. En
chemin je vois deux soldats étendus dans un
petit boyau adjacent. De la parallèle nous
prenons
le
boyau
de
l’Arbre
Isolé qui traverse sous la route de
Béthune à Arras et nous arrivons à la route
des Pylônes. 20 bus arrivent sur le bord de
l’abri servant de poste d’eau. Nous prenons
chacun deux outils et à travers les boyaux
remplis de boue, nous arrivons à la tranchée
allemande qui est complètement bouleversée. Nous passons à découvert à travers les
balles et les Schnapels et les saucisses boches
nous observent de près. Je marche sur plusieurs morts enlisés dans la boue des boyaux
et je vois sur le parapet les cadavres de
plusieurs des nôtres qui sont là depuis les
attaques de mai et juin. Après la descente
rapide et la traversée du ravin j’arrive sur
l’autre versant du coteau tout essoufflé.
Mon cher Papa,
Je t’envoie ces quelques mots pour te
donner quelques nouvelles. Elles sont
bonnes très bonnes. Comme tu le vois sur les
communiqués tu peux croire que le secteur
est rudement mauvais. Ces jours derniers
nous avons chargé cinq fois à la baïonnette
et sur douze sous-officiers qui sommes
montés nous sommes revenus deux
survivants. C’est effrayant. Mon pauvre
Papa, j’ai vécu des minutes horribles.
J’espère avoir un de ces quatre matins le
plaisir de vous raconter ces moments.
Jamais au dire des anciens du
début, on n’avait vu pareille chose. Tous
mes copains, sous officiers, caporaux ou
soldats sont ou blessés ou morts. Quant à
moi, mon cher Papa, j’ai eu trois balles dans
mon sac, deux dans ma musette et une qui a
coupé la visière du casque. Je me demande
encore comment j’ai pu en réchapper. Nous
allons probablement être mis en arrière
pour reformer le régiment. Excuse mon
style, je suis encore un peu hébété des
spectacles que je viens de voir. Notre colonel estime que la guerre est sur sa fin,
puisse-t-il dire vrai ! Mille baisers pour tous
de ton fils affectionné.
Jean
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