Compte-rendu formation le cameraman

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Compte-rendu formation le cameraman
Compte-rendu de la formation sur Le Caméraman, Buster Keaton
Intervention de Pierre-Alain Monneraye, enseignant de cinéma, à l’association Gros
Plan à Quimper, le 18 novembre 2009-11-18
1. Le Burlesque
Le terme vient de l’italien burla qui désigne une blague grossière. Le genre burlesque naît
avec le cinéma.
Le cinéma naît en 1895 avec les frères Lumière. La caméra étant un appareil très lourd,
tous les films réalisés sont d’abord des documentaires. Mais très vite, en 1896, est inventée la
fiction. L’arroseur arrosé est le premier film burlesque de l’histoire du cinéma et contient en
germe tous les gags du genre. On présente d’abord une scène du quotidien (un jardinier
arrose son jardin) puis vient la construction du gag avec un événement qui perturbe le réel
et qui occasionne des péripéties (un garçon appuie sur le tuyau d’arrosage). Le gag trouve
enfin sa résolution dans la violence (la correction du jeune garçon par des coups de pied aux
fesses).
D’autres inventions nourrissent le burlesque notamment par la mise en place de
personnages caractérisés. En 1905, Max Linder (acteur, réalisateur et scénariste de l’écurie
Pathé) invente son personnage. Cela permet de réaliser une série de films avec laquelle des
spectateurs vont avoir une histoire. Ce procédé est évidemment intéressant commercialement.
Max Linder vient du café théâtre et influence d’autres réalisateurs (Chaplin reconnaît ainsi
cette influence). Il connaît une carrière mondiale (le cinéma muet s’exportant facilement
justement parce qu’il est muet).
Le genre burlesque trouve son apogée aux Etats-Unis entre 1910 et 1930. Deux grands
réalisateurs marquent le genre :
- Mack Sennett qui crée une société de production dédiée au burlesque : Keystone. Tous
les grands comiques (Chaplin…) sont passés par Keystone. Sennett popularise les
courses-poursuites et invente le « slapstick ». Il travaille sur le mode de
l’improvisation (à partir d’une trame, on invente les gags sur place) et se sert du réel
pour créer ses films. Si un incendie se déclare en ville, il envoie son équipe de faux
pompiers. Le burlesque de Sennett est jaillissant et violent.
Kid auto races, en 1914, fait apparaître Charlot pour la première fois. La course est
réelle et l’équipe de Sennett en profite pour bâtir son film. Il est intéressant de noter
que cette première apparition du personnage amorce ce qu’il est en substance : le souci
permanent d’exister dans le cadre alors que tout le monde le pousse à l’extérieur.
Charlot a la nécessité de trouver une place dans la société mais s’en trouve toujours
exclu. Le personnage est caractérisé par sa gestuelle et son costume comme le seront
Keaton avec son masque de cire et Harold Lloyd avec sa naïveté derrière ses lunettes
rondes.
-
Hal Roach : il fait découvrir Laurel et Hardy et Harold Lloyd. Son burlesque est un
peu différent de celui de Sennett : il fonctionne surtout sur le mode de l’accumulation
et de la montée en tension (le fameux gag de Laurel et Hardy qui démolissent une
voiture sous les yeux du propriétaire). Tout est réalisé sans trucage, ce qui nécessite
des qualités d’acrobaties exceptionnelles de la part des acteurs.
Le burlesque s’éteint avec la venue du parlant. Il est bâti sur du visuel et le parlant impose
la présence d’une trame narrative (ce que sera la comédie).
Les débuts du parlant sont difficiles : les micros doivent être cachés dans le décor et la
caméra, très bruyante, doit être isolée dans une boîte en verre. Dès lors, la caméra perd sa
liberté de mouvement et devient fixe. Or, le cinéma muet est un cinéma en mouvement. Avec
le parlant, on revient à une expression plus théâtrale. C’est pour cette raison que l’on fait venir
à cette époque des gens de Broadway pour adapter des pièces de théâtre. Mais les scénarios
proposés sont plus intellectuels, moins populaires (ce qu’était le cinéma muet). Cela engendre
la mise en place du code Hays car les thèmes abordés sont différents. Un autre genre naît
alors : la comédie.
2. Buster Keaton
Né en 1895, Keaton vient du théâtre. Ses parents sont comédiens itinérants (son père est
acrobate et sa mère est musicienne). Il apprend le métier sur les planches dès son plus jeune
âge. Il est en réalité un accessoire cascadeur pour son père qui le jette sur scène : de là vient
son surnom que lui aurait donné Houdini : Buster. Keaton apprend donc à chuter
convenablement, à se relever, à chorégraphier ses cascades et à millimétrer ses acrobaties.
A 17 ans, il quitte la troupe familiale pour se lancer dans le cinéma. Il rencontre Roscoe
« Fatty » Arbuckle qui a déjà une certaine renommée. Keaton fait ses premières armes avec
lui jusqu’en 1923 et tourne un certain nombre de films. A cette époque, la Paramount propose
à Arbuckle un contrat et Keaton part travailler avec Joe Schenck, producteur à la MGM qui
crée un studio pour lui. Jusqu’en 1930, Keaton a une grande liberté de création et produit ses
propres films. Puis le frère de Schenck lui propose d’être un acteur MGM : Keaton signe le
contrat et perd alors toute sa liberté.
Les conditions d’écriture du Caméraman, premier film MGM, en sont un parfait exemple.
Alors que Keaton commence l’écriture du script, la MGM lui envoie 22 scénaristes. L’auteur
commence même à douter de son talent. Il parvient à imposer le réalisateur mais il n’a pas le
choix du scénario. Heureusement, les conditions de tournage dans les rues de New-York
s’avèrent très difficiles en raison de l’extrême popularité de Keaton. Exceptionnellement, il
obtient l’autorisation de remanier le scénario à sa guise. Mais ce sera la dernière fois.
Keaton est alors expulsé du système hollywoodien, sombre dans l’alcoolisme. Il disparaît du
monde du cinéma et ne réapparaît que plus tard dans quelques films (Sunset Boulevard,
Limelight). Il est de nouveau embauché comme conseiller comique avant de devenir clown au
cirque Médrano. Il est redécouvert grâce aux Cahiers du Cinéma.
3. Le Caméraman
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Le personnage de Keaton est double : il a l’apparence d’un gringalet et en même se
révèle un athlète et un acrobate hors pair.
C’est un personnage rêveur, lunaire. Il est dans le monde, mais s’ennuie et subit les
choses. Mais il tombe toujours amoureux et cet événement va le mettre en
mouvement, le rendre ambitieux. C’est le cas dans Steamboat Bill Jr et Le
Caméraman. Dans ce dernier, il tombe amoureux de Sally et sa relation avec elle va
faire en sorte qu’il va affronter le monde.
Keaton est un personnage qui ne rit et ne pleure jamais. A ce propos, la MGM avait
demandé un plan avec un sourire de Keaton dans Le Caméraman. Lors de la
projection test, il y eut un tollé général et le plan a été éliminé.
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La construction de l’espace
L’occupation de Keaton dans le cadre est calculée au millimètre près. Il y a une
véritable géométrie de l’espace dans l’œuvre de Keaton qui fonctionne selon un
principe de base. 2 mondes parallèles sont en présence : le monde réel et le monde
propre à Keaton, un peu étrange. L’image est occupée par ces deux plans
horizontaux. Entre les deux, intervient un plan perpendiculaire. L’intérêt est alors de
voir comment ces deux mondes vont coexister pour créer du burlesque.
On peut percevoir cette construction dans Steamboat Bill Jr, au cours de la scène
pendant laquelle le père attend son fils à la gare. Le quai de la gare est le premier
espace, celui du monde réel. Mais Keaton, le fils, ne s’y trouve pas. Il est dans un
second plan, de l’autre côté près de la rivière. On ne le découvre qu’une fois le train
parti. Le personnage de Keaton a sa propre logique : son père doit se trouver sur l’eau,
pas avec les autres sur le quai de la gare.
De la même manière, dans Le Caméraman, Sally et Keaton quittent l’immeuble côte à
côte, Sally à sa droite. En bas des marches, ils prennent des directions opposées : lui
va à droite et elle à gauche. Sa logique conduit à de l’absurde.
A partir du moment où Keaton tente de rejoindre le monde réel, c’est-à-dire quand il
franchit le plan perpendiculaire, cela est source de catastrophes.
Un peu plus loin dans Steamboat Bill Jr, la façade de la maison s’écroule : c’est le
moment où les deux mondes coexistent.
Plusieurs exemples de ce procédé interviennent dans Le Caméraman. Ainsi, dans les
bureaux de la MGM, on retrouve les deux plans horizontaux séparés par une rambarde.
Sally est à son bureau, Keaton est assis de l’autre côté. Cette séparation crée
l’impression que Keaton assiste au réel comme à une représentation de cinéma et qu’il
essaie de se projeter dans le réel. Dès lors qu’il franchit cette frontière (la rambarde qui
matérialise la séparation entre les deux mondes), il y a gag. Ici, il va voir la caméra de
plus près et se fait rabrouer par Stagg qui lui assène deux coups de caméra. Le
franchissement induit l’intervention du problème. Keaton cohabite difficilement avec
le réel.
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Le rapport avec les objets
Keaton a un problème d’adaptation avec les choses qui viennent du réel : la caméra
d’occasion, la tirelire. Mais le statut change dans la scène à Chinatown. A ce moment,
Keaton devient metteur en scène du réel, trouve des points de vue, maîtrise le réel
comme un professionnel. Il n’y a d’ailleurs plus d’horizontalité et de perpendicularité
dans cette scène : les scènes de bagarres montrent l’anarchie la plus complète. Keaton
prend le dessus avec le réel, adapte les objets à son besoin, à son monde (on pense
ainsi aux pieds amputés de la caméra)
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Le running gag
Il intervient à deux reprises : la vitre de la porte des bureaux de la MGM, la relation
avec le policier. Cette répétition a une fonction rythmique et joue en même temps avec
l’attente du spectateur. On note une évolution dans le gag à chaque fois.
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Le Caméraman parle du cinéma
Le film parle du cinéma de deux manières. Tout d’abord, en racontant l’histoire d’un
caméraman puis par sa structure en miroir. Ce dernier point mérite d’être étudié plus
précisément. On constate en effet que le film est fait d’échos inversés (le négatif
devenant positif). Plusieurs exemples le montrent :
● La première séquence et la dernière séquence se répondent. Toutes deux se déroulent
lors d’une fête mais dans la première Keaton est séparé de Sally et n’est que photographe
alors que dans la dernière les personnages sont réunis et Keaton est devenu un reporter.
● L’incendie et la régate. Dans le premier cas, il cherche l’accident sans le trouver
(accroché au camion, il se retrouve à la caserne) et dans le second il ne cherche pas
l’accident mais le trouve.
● Le stade de Base-Ball et la régate : un faux événement et un vrai événement.
● Keaton trempé jusqu’aux os à l’arrière de la voiture et Keaton dans le même état lors du
sauvetage : le premier événement est négatif, l’autre est positif.
● Le film cassé et la redécouverte du film
● Le singe mort puis le singe vivant.
A la fin du film, un élargissement du champ nous montre le singe qui filme la scène du
sauvetage. On croyait avoir une image du réel, mais c’était une image filmée. Pourtant
c’est le cinéma qui révèle la vérité et le véritable héros.

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