La réforme du traitement du surendettement des ménages : Bertrand

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La réforme du traitement du surendettement des ménages : Bertrand
La réforme du traitement du surendettement des ménages :
le point de vue de l'économie du droit.
Bertrand Chopard, Abel François et Christelle Mougeot (Université Nancy 2)
Le Ministre de la Ville a annoncé récemment une réforme importante de la législation sur le
surendettement des ménages, qui s'appuie sur l'introduction d'une procédure de faillite
personnelle inspirée des pratiques en vigueur dans les départements alsaciens et mosellan, et
qui viendrait compléter la procédure actuelle de négociation au sein des commissions
départementales. L'analyse économique du droit s’avère particulièrement pertinente pour
éclairer les arguments en faveur de la réforme et ceux de ses détracteurs.
En effet, l'économie du droit insiste sur les effets du cadre juridique sur les incitations et les
comportements des acteurs économiques. En d’autres termes, les réglementations doivent être
envisagées non seulement pour les possibilités de résolution de conflits qu'elles offrent, mais
également pour leur capacité à modifier les comportements des acteurs. En outre, l’économie
du droit intègre la qualité d’application du droit pour discuter de l'efficacité des modalités
d’une réforme, notamment la latitude, le pouvoir ou les moyens financiers accordés aux juges.
Concernant le surendettement des ménages, deux régimes distincts sont envisageables : la
négociation et la faillite avec effacements des dettes résiduelles. Or chacun de ces régimes a
des effets propres sur les comportements des emprunteurs et des prêteurs. Les études montrent
que sous le régime de la négociation les prêteurs ne sont pas incités à développer un niveau de
précaution permettant de limiter le surendettement, ce qui s'est traduit en France par l'octroie
de prêts à des ménages déjà endettés, voire surendettés. A l'inverse, sous le régime de faillite,
les ménages sans patrimoine, ne sont pas incités à avoir un comportement prudents face au
risque de surendettement, ce qui s'est traduit aux Etats-Unis par un développement des recours
opportunistes à la faillite personnelle. Tout le problème pour le législateur est alors de trouver
un mécanisme juridique limitant les deux écueils.
Au vu de l’aggravation des situations de surendettement, l'idée centrale de la réforme est
d'instituer pour les ménages effectivement insolvables et de bonne foi la possibilité sur
proposition des commissions d’une liquidation du patrimoine sous l'égide d'un juge avec
effacement des dettes. Les effets de la réforme sur le comportement des acteurs étant
contradictoires, l'effet global de la réforme, une réduction du nombre de cas de
surendettement, peut s’avérer difficile à atteindre.
Premièrement, la réforme va modifier le comportement des établissements prêteurs, dont la
politique de prêt sera plus prudente. Ainsi les ménages sans patrimoine risquent d'être exclus
de l'accès aux crédits, ce qui permettra de réduire l'occurrence du surendettement dans la
population.
Deuxièmement, l'ambivalence de la procédure, où la faillite sera réservée aux ménages
"effectivement" insolvables, risque de provoquer des comportements opportunistes. A partir
d'une situation d'endettement important mais qui ne relève pas de l'insolvabilité pour la
commission, la tentation pour le ménage d'accroître son endettement est forte pour d'une part
trouver des moyens de financement courants, et d'autre part pour bénéficier de la procédure de
faillite. On touche ici au second point critique : la qualité de l’application de la loi. Déléguer
aux commissions le pouvoir d’ordonner la mise en faillite d’un ménage surendetté suscite au
moins deux interrogations majeures : dans quelle mesure les commissions utiliseront-elles
cette nouvelle mesure, et comment s'assurer d'un traitement égalitaire des ménages selon le
département ? Ces questions appellent des réponses budgétaires en terme notamment de
formation des commissions et d'accroissement de charge de travail pour les juges.
En cela, l'analyse économique met en évidence la difficulté de modifier une réglementation
afin d'obtenir des effets désirés univoques, alors même que son évolution en matière de
surendettement des ménages apparaît préférable au statu quo qui ne parvient plus à traiter ce
problème.