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Actes des congrès de la Société française Shakespeare
In Memoriam : Yves Bonnefoy
Pascale Drouet
Éditeur
Société Française Shakespeare
Édition électronique
URL : http://shakespeare.revues.org/3799
ISSN : 2271-6424
RÉFÉRENCE ÉLECTRONIQUE
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Ce document a été généré automatiquement le 4 octobre 2016.
© SFS
In Memoriam : Yves Bonnefoy
In Memoriam : Yves Bonnefoy
Pascale Drouet
L’œuvre que nous lègue Yves Bonnefoy est immense, immensément belle et plurielle.
Jeune poète, il publie son premier recueil en 1953, Du mouvement et de l’immobilité de Douve.
Viennent ensuite Dans le leurre du seuil en 1975, La vie errante en 1993, Les planches courbes
en 2001, La longue chaîne de l’ancre en 2008, L’heure présente en 2011 : quelques étapes dans
sa quête d’une présence authentique à soi, à l’autre, au monde. Dans son émouvant poème
testamentaire, Ensemble encore, publié quelques mois à peine avant qu’il ne s’éteigne, le
poète nous dit :
Accepte ce que je t’offre, cette nuit.
C’est mon besoin de continuer à croire
Qu’il y a du sens à être. Et même si
Dehors, c’est vent et pierre. À peine, au loin,
Quelques trébuchements de la lumière1.
Outre une œuvre poétique et une expérience de la poésie intimement liée à la présence,
Yves Bonnefoy nous offre aussi rien de moins qu’une soixantaine d’ouvrages, parmi
lesquels de très beaux écrits en prose (de L’Arrière-pays, en 1972, jusqu’au Digamma en
2012), de nombreux textes critiques, réflexions sur la pratique artistique, essais
d’esthétique sur la poésie (Rimbaud, Baudelaire, Breton, Celan, Leopardi) et les autres arts
(Giacometti, Goya, Ostovani). Enfin, l’amour d’Yves Bonnefoy pour la langue, la sienne et
celle des autres, se partage dans les traductions qu’il a faites des poèmes de Pétrarque,
Léopardi, John Donne, Keats et Yeats, et de l’œuvre de Shakespeare, aussi bien sonnets et
poèmes narratifs que pièces de théâtre.
Dans un entretien de 2007, Yves Bonnefoy revient sur sa première rencontre avec le
théâtre shakespearien, sur son émotion face au célèbre discours de Mark Antony sur les
marches du Capitole, et sur le désir de traduction qui s’ensuivit. Il précise alors : « Jules
César fut même la première traduction que j’aie achevée de Shakespeare, celle de Hamlet
progressant simultanément »2. Sa traduction d’Hamlet paraît en 1957, celle de Jules César
en 1960. Elles seront les premières d’une longue série, régulièrement rééditée : Le roi Lear
(1965), Romeo et Juliette (1968), Macbeth (1983), Le Conte d’hiver (1994), La Tempête (1997),
Antoine et Cléopâtre (1999), Othello (2001), Comme il vous plaira (2003), Henry IV, Première
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partie (2015). En 2007, Yves Bonnefoy traduit aussi Les Sonnet, Vénus et Adonis, Le Viol de
Lucrèce, Phénix et Colombe.
Ce qui contribue à la singularité de ses traductions, qui sont une poétique à la rencontre
d’une autre poétique, toujours soucieuse de rendre « l’allant iambique »3, ce sont ses
essais critiques qui toujours les accompagnent et éclairent les choix du traducteur-poète,
comme un dialogue qu’Yves Bonnefoy poursuivrait avec Shakespeare sur les enjeux de la
traduction et de l’interprétation. Ces essais critiques sont regroupés dans plusieurs
ouvrages : Théâtre et poésie. Shakespeare et Yeats (Mercure de France, 1998) Orlando Furioso,
Guarito. De l’Arioste à Shakespeare (Mercure de France, 2013), Shakespeare : théâtre et poésie
(Gallimard, 2014), et L’hésitation d’Hamlet et le choix de Shakespeare (Seuil, 2015) 4.
De l’œuvre de Shakespeare, on peut dire qu’elle est entrée en résonance intime avec celle
du grand poète français. Ainsi les personnages shakespeariens ressurgissent-ils sur une
scène tout autre, la scène poétique sur laquelle Yves Bonnefoy les accueille et leur donne
une nouvelle vie. Ce sont Hermione, Leontes et Perdita qui, Dans le leurre du seuil, se
retrouvent dans les cieux pourpres, la nuit étoilée qui rédiment le monde. C’est Ophélie à
qui il offre une ultime rencontre avec Hamlet dans L’heure présente : « Tu te penches sur
lui,/ Le prince fou, écartant ses cheveux/ Que colle la sueur de sa fièvre, tu touches/ Ses
tempes de tes lèvres »5. C’est le vieil Hamlet, le roi mort, qui porte par-dessus sa cotte de
maille une écharpe qui « a de beau mouvements jeune écriture »6, une écharpe de couleur
rouge dont le poète nous confie, dans son dernier ouvrage autobiographique, qu’elle
signifie « le rouge de l’être à dégager des grisailles de l’exister quotidien » 7.
Avec ce très grand poète de la présence, du tutoiement, de la générosité, ce n’est jamais la
nuit qui s’assombrit mais le soir qui vit, porté par une voix poétique qui toujours
s’élance :
Tu regardes vivre le soir. Le ciel, la terre
Nus, allongés sur leur couche commune.
Et lui, rien que nuées,
Il se penche sur elle, prend dans ses mains
Sa face respectée.
Dieu ? Non, mieux que cela. La voix
Qui se porte, essoufflée, au-devant d’une autre
Et riante désire son désir,
Anxieuse de donner plus que de prendre8.
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In Memoriam : Yves Bonnefoy
Yves Bonnefoy à la Fondation Hugot
du Collège de France en novembre 2015. © P. Drouet
NOTES
1. Y. Bonnefoy, Ensemble encore. Suivi de Perambulans in noctem, Paris, Mercure de France, 2016.
2. Y. Bonnefoy, « Yves Bonnefoy : Entretien avec John Naughton à propos de Shakespeare », dans
L’amitié et la réflexion, Tours, PU François-Rabelais, 2007, p. 138.
3. Y. Bonnefoy, « Les Sonnets de Shakespeare et la pensée de la poésie », in Les Sonnets, précédés
de Vénus et Adonis, Le Viol de Lucrèce, Phénix et Colombe, Présentation et traduction d’Yves
Bonnefoy, Paris, Gallimard, 2007, p. 34.
4. Curieux des travaux qui se faisaient en France sur Shakespeare, soucieux du devenir des
Sociétés Savantes, Yves Bonnefoy soutenait les activités de la Société Française Shakespeare et
participait régulièrement à ses travaux. Dernièrement, en 2014, il avait accepté d’ouvrir le
Congrès « Shakespeare 450 » avec une conférence inaugurale sur « Pourquoi Shakespeare ? ». On
peut retrouver quelques-uns de ses textes en ligne : http://shakespeare.revues.org/541
5. Y. Bonnefoy, L’heure présente, Paris, Mercure de France, 2011, p. 84.
6. Ibid., p. 78.
7. Y. Bonnefoy, L’écharpe rouge, Paris, Mercure de France, 2016, p. 91.
8. Y. Bonnefoy, L’heure présente, op. cit., p. 96.
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