avoir un enfant : être prêts ensemble

Transcription

avoir un enfant : être prêts ensemble
Magali Mazuy
Institut National d’études démographiques
<[email protected]>
Avoir un enfant :
être prêts ensemble ?
« 29 ans » : « Après 8 ans de vie de
couple… mais bon 2 ans d’essais bb
quand même. Au début j’ai dit non
j’ai pas fini mes études et mon zom
lui il gagnait pas bien sa vie. Puis ct :
je viens juste de commencer un job il
faut attendre. Puis : y’a un gros projet
au boulot faut que j’attende encore un
peu. Et un jour j’ai dit STOP ça suffit
comme ça (en plus une amie avait eu
des pb pour tomber enceinte et m’avait
dit : méfies toi attends pas trop on sait
jamais). Je crève d’envie d’avoir un bb
depuis des années le boulot passera
après. Du coup j’ai bien fait puisque
suite à des problèmes de fertilité (elle
avait raison ma copine) il nous a fallu
2 ans pour que je tombe enceinte.
Aujourd’hui j’ai une jolie biboune
auprès de moi et dès que j’ai perdu
le poids de ma grossesse, emménager
dans un nouvel appart… reparti pour
les essais bb (on espère bien encore
échapper à la FIV ce coup ci. Ct de
justesse la dernière fois on a eu une
chance incroyable) ».
30
C
es paroles reprises d’un forum
de discussion illustrent le cheminement par lequel peuvent
passer les couples français avant de se
décider à avoir un enfant. Les naissances sont à l’heure actuelle majoritairement programmées (Daguet 2002),
désirées (Leridon 1995, RégnierLoilier 2007), et le choix d’avoir un
enfant est fait moyennant un certain
nombre de conditions. À partir de
données collectées lors d’une enquête
sur les Intentions de fécondité réalisée
en France métropolitaine en 1998 et
2003, il a été possible d’analyser les
représentations masculines et féminines relatives à la parentalité, par
les biais des conditions qu’ils jugent
nécessaires de réunir avant de faire
un enfant. Ces données ont la particularité de se situer au carrefour du
qualitatif et du quantitatif, permettant
d’établir des hiérarchies dans les opinions déclarées et de confronter les
points de vue masculins et féminins :
Quelles conditions minimales doivent
être réunies avant d’avoir un enfant ?
Hommes et femmes ont-ils la même
vision de ce qu’implique la parentalité et des conditions qui lui sont
préalables ? Comme nous le verrons
en première partie, les déterminants
de la première naissance sont assez
différents de ceux des naissances de
rangs supérieurs. Les représentations
masculines et féminines sont quant à
elles très proches. Le fait de « se sentir
prêt-e » et l’accord du conjoint sont
les conditions perçues comme les plus
importantes. Se pose alors la question
du consensus, de la convergence des
souhaits des deux membres du couple,
qui sera traitée en deuxième et troisième parties. Si en effet le consensus sur
le fait que les deux membres du couple
doivent se sentir prêts est nécessaire,
la plupart des naissances devraient
alors être rétrospectivement perçues
comme étant arrivées au bon moment
dans le cycle de vie de l’individu, voire
trop tard si l’un des membres du couple attend l’autre. Cette situation de
consensus est-elle vraiment le cas de
figure dominant ? Enfin, si l’un des
membres du couple est plus pressé
que l’autre, cela a-t-il un impact sur
la probabilité de survenue d’une naissance, indépendamment du sexe : la
plus grande « impatience » des femmes, qui semble émerger du discours
commun se vérifie-t-elle ?
Conditions préalables
à la parentalité :
regards croisés
féminins et masculins
n
Deux questions portant sur les
conditions préalables à la parentalité étaient posées aux enquêtés
Magali Mazuy
Figure 1 : Éléments jugés très importants, pour une femme ou un homme qui veut avoir un
enfant, parmi les pères et mères, et parmi les hommes et femmes sans enfant
Déclarations des hommes
Pour une FEMME qui veut avoir un enfant,
% il est très important de...
100
Population
sans enfant
80
70
60
50
40
30
20
10
Être prêt à faire
des sacrifices
Avoir du temps
Vivre en couple
Avoir un travail stable
Couple stable
Avoir fini ses études
Se sentir prêt
Avoir vraiment
envie d'un enfant
Avoir un travail stable
Vivre en couple
Être prête à faire
des sacrifices
Avoir fini ses études
Couple stable
Se sentir prête
Avoir du temps
0
Se sentir prêt-e-… sous réserve d’un
travail stable pour les hommes et de
disponibilité pour les femmes
Déclarations des femmes
Pour une FEMME qui veut avoir un enfant,
% il est très important de...
Pour un HOMME qui veut avoir un enfant,
il est très important de...
Population
avec enfants
100
90
Population
sans enfant
80
70
60
50
40
30
20
10
Avoir du temps
Être prêt à faire
des sacrifices
Avoir fini ses études
Vivre en couple
Couple stable
Se sentir prêt
Avoir un travail stable
Avoir vraiment
envie d'un enfant
Avoir un travail stable
Vivre en couple
Avoir fini ses études
Être prête à faire
des sacrifices
Couple stable
Se sentir prête
Avoir du temps
0
Avoir vraiment
envie d'un enfant
La première constatation qui
se dégage est la forte similitude des
déclarations féminines et masculines
(figure 1), tant dans la hiérarchisation,
que dans les niveaux d’estimation d’un
élément, comme étant très important.
L’élément mis en avant par le plus
grand nombre de personnes, hommes
ou femmes, a un caractère individuel
et revêt une dimension à la fois sociale
et psychologique : avoir vraiment envie
d’un enfant et se sentir prêt-e, que ce
soit pour un homme qui veut avoir
un enfant, aussi bien que pour une
femme. On devrait alors poser comme
hypothèse que la situation idéale est
que chacun des membres du couple
se sente prêt. Cela pose la question du
consensus au sein du couple, qui sera
analysée plus loin.
Par ailleurs cette notion de se
« sentir prêt-e » revêt une signification
variable d’une personne à une autre,
en termes d’âge idéal, de préalables
indispensables pour « faire famille »,
de désir d’enfant.
L’élément jugé comme très important qui se situe en troisième position
n’est pas le même pour une femme que
pour un homme : une femme qui veut
avoir un enfant doit disposer de temps
Pour un HOMME qui veut avoir un enfant,
il est très important de...
Population
avec enfants
90
Avoir vraiment
envie d'un enfant
lors de l’enquête sur les Intentions
de fécondité (encadré 1 en annexe).
Une première question concernait les
« éléments jugés importants » pour une
femme ou pour un homme qui veut
avoir un enfant (questions 24 et 27,
encadré 2 en annexe). Les réponses
fournies à cette première question renseignent donc sur les représentations
féminines et masculines relatives à
la parentalité, de manière générale.
Une deuxième question portait sur les
conditions jugées nécessaires pour les
individus eux-mêmes avant d’avoir un
(autre) enfant (question 73, encadré 3
en annexe). Une condition « satisfaite »
ne peut par définition plus être une
condition attendue : les réponses fournies à cette question permettent donc
de décrire les différentes logiques en
jeu, à des moments distincts du cycle
de vie.
Avoir un enfant : être prêts ensemble ?
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
31
(qu’il s’agisse des réponses masculines
et féminines), un homme qui veut avoir
un enfant doit avoir un travail stable
(d’après les femmes) ou avoir fini ses
études (d’après les hommes). On note
ainsi la persistance des représentations des rôles masculins et féminins
(Bajos & Ferrand 2006). La stabilité
professionnelle, pour une femme qui
veut avoir un enfant arrive en dernière position, que nous prenions les
réponses des hommes comme celles
des femmes. Toutefois, l’importance
du travail stable pour une femme souhaitant avoir un enfant est plus forte
d’après les déclarations féminines (respectivement 60 à 70% pour les femmes
avec et sans enfant) que d’après les
déclarations masculines (45 et 55%
pour les hommes avec et sans enfant).
Par contre, pour un homme qui veut
avoir un enfant, le travail stable est
cité comme très important à part égale
selon le sexe : 80% des hommes et des
femmes.
Ces représentations générales de
la parentalité se modulent en fonction du parcours propre à chacun :
quelles conditions les jeunes adultes
et les parents jugent-ils nécessaires à
la venue d’un enfant ?
Un nombre de conditions à réunir beaucoup plus élevé pour les étudiants
Les étudiants constituent, de
manière logique, le groupe pour lequel
le projet d’enfant est le plus lointain.
Une dizaine de conditions sont jugées
nécessaires par les étudiantes et les
étudiants avant d’avoir un premier
enfant (figure 2).
Les parents sont ceux pour qui le
moins de conditions restent à réunir
avant d’avoir un enfant. La décision
d’avoir un enfant n’a pas du tout les
mêmes implications quand il s’agit
de devenir parent pour la première
fois, que lorsqu’il s’agit d’agrandir une
famille.
Hommes et femmes ont la même
vision des conditions nécessaires,
hormis pour les personnes peu
diplômées : les hommes peu diplômés
ont un nombre de conditions à réunir
plus élevé que les femmes. On sait par
ailleurs que les hommes qui restent
plus souvent sans compagne, et sans
enfant, sont plutôt situés en bas de
la hiérarchie sociale (Toulemon &
Lapierre-Adamcyk 2000, Mazuy 2002).
La parentalité renvoie donc plus pour
les hommes à leur statut social, alors
Figure 2 : Nombre moyen de conditions à réunir pour avoir un enfant, selon les hommes et
les femmes (étudiants, ou non étudiantes distingués par niveau d’études)
10,0
Nombre moyen d'occasions attendues
9,5
9,0
8,5
8,0
7,5
7,0
6,5
6,0
5,5
5,0
femmes
hommes
4,5
4,0
3,5
3,0
2,5
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
avec enfants
sans enfant
sans enfant étudiants
sans enfant, ni=1
sans enfant, ni=2
sans enfant, ni=3
Population concernée
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
N.B. : Le niveau d’études « faible » (ni=1) comprend les CAP et BEP ou un niveau inférieur,
« intermédiaire » (ni=2) les personnes qui ont un diplôme de niveau bac, et « supérieur »
(ni=3) les personnes ayant entamé ou poursuivi des études supérieures.
32 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant »
que pour les femmes, elle renvoie
plus à des représentations identitaires
(de Beauvoir 1949, Héritier 1996,
Maggioni 2006, Maruani 2005).
Intéressons nous maintenant au
contenu de ces conditions. Nous distinguons, parmi les personnes sans
enfant, les étudiants des autres. Les
personnes qui ont fini leurs études
sont les plus susceptibles d’avoir un
projet à très court terme : ils sont en
moyenne plus âgés, plus souvent en
couple, plus souvent actifs. Il est donc
intéressant d’observer quelles conditions restent encore à réunir.
Se sentir prêts ensemble ?
Les réponses féminines et masculines sont là encore très proches (figures
3a et 3b). C’est l’envie d’un enfant et la
maturité psychologique, c’est-à-dire le
fait de se sentir prêt-e, qui arrivent en
premières positions pour les étudiants,
ainsi que le fait d’avoir fini ses études et d’acquérir une certaine stabilité
sociale et conjugale. Vient ensuite le
consensus dans le couple.
Être prêt-e à faire des sacrifices est
déclaré parmi les étudiants par plus
d’un individu sur deux. Cela peut
revêtir plusieurs significations : tout
d’abord le sacrifice par rapport aux
études et à la formation, qui serait
remise en question par la formation d’une famille et par une charge
parentale. De plus, l’investissement
scolaire a pour corollaire un désir ou
une volonté d’épanouissement dans
la sphère professionnelle. La notion
de sacrifice peut aussi être pensée en
termes de niveau de vie (élever des
enfants entraînant une priorité des
dépenses vers les enfants et non plus
vers soi-même) ou d’organisation de la
vie quotidienne. En effet, l’arrivée d’un
enfant bouleverse un équilibre qui a pu
s’instaurer dans une relation à deux
sans enfant, qui peut être très ancienne, comme par exemple pour les couples qui font leur passage à l’âge adulte
ensemble tout en étant étudiants : les
personnes qui font des études longues
sont celles qui attendent le plus avant
d’avoir leur premier enfant, même
une fois les études terminées (RobertBobée & Mazuy 2005).
Magali Mazuy
Avoir un enfant : être prêts ensemble ?
Figure 3 : Conditions personnelles à réunir avant d’avoir un enfant, parmi les
personnes sans enfant : a) encore étudiantes au moment de l’enquête ; b) ayant
terminé leurs études au moment de l’enquête.
a)
Étudiants sans enfant
%
HOMMES
FEMMES
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
b)
%
100
Avoir vraiment envie d'un enfant
Se sentir prêt
Avoir fini les études
Vivre en couple
Couple stable
Travail stable
Accord du conjoint
Prêt à faire des sacrifices
Avoir plus de revenus
Avoir plus de temps à lui consacrer
Être en bonne santé
Logement plus vaste
Conjoint en bonne santé
Mariage
Travailler moins
Avoir vraiment envie d'un enfant
Avoir fini les études
Se sentir prête
Couple stable
Vivre en couple
Travail stable
Accord du conjoint
Prête à faire des sacrifices
Avoir plus de temps à lui consacrer
Avoir plus de revenus
Être en bonne santé
Conjoint en bonne santé
Logement plus vaste
Mariage
Travailler moins
Résolution de problèmes de
fertilité
0
Non étudiants, sans enfant
FEMMES
HOMMES
90
80
70
60
50
40
30
20
10
Avoir vraiment envie d'un enfant
Accord du conjoint
Couple stable
Se sentir prêt
Vivre en couple
Prêt à faire des sacrifices
Travail stable
Avoir plus de revenus
Logement plus vaste
Avoir plus de temps à lui consacrer
Être en bonne santé
Conjoint en bonne santé
Mariage
Travailler moins
Résolution de problèmes de fertilité
Avoir fini les études
Avoir vraiment envie d'un enfant
Accord du conjoint
Se sentir prête
Couple stable
Vivre en couple
Travail stable
Prête à faire des sacrifices
Avoir plus de revenus
Logement plus vaste
Avoir plus de temps à lui consacrer
Être en bonne santé
Conjoint en bonne santé
Mariage
Résolution de problèmes de fertilité
Travailler moins
Avoir fini les études
0
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
Champ : Personnes sans enfant, étudiants (a) ou non (b), n’ayant pas répondu de
manière négative à la question sur le souhait d’avoir un enfant.
Pour les hommes et femmes ayant
terminé leurs études, l’accord du
conjoint arrive en deuxième position.
Pour les hommes comme pour les
femmes, les facteurs psychologiques
sont directement suivis par la stabilité de l’union. L’importance du projet
parental est un fait connu (Donati et al.
2002, Kaufmann 2003, Leridon 1995).
L’idée de concevoir un « enfant sans
père » ne correspond pas à la norme
procréative actuelle (Boltanski 2004).
Dans les faits, avoir un enfant « seule »
est un mode d’entrée en parentalité
minoritaire, non revendiqué, et socialement différencié (Mazuy 2006).
À noter que ce sont les hommes
qui revendiquent le plus le fait d’avoir
vraiment envie d’un enfant. On peut
interpréter ce résultat de deux manières qui ne sont néanmoins pas en
opposition : le modèle tardif masculin (Galland 1995) sous-tend le fait
que l’entrée en parentalité correspond
avant tout, pour les hommes, à un
acte qui doit être volontaire, souhaité
mais sans doute aussi responsable
(l’impératif des attributs de la stabilité
étant encore plus souvent demandé
aux hommes). On peut se dire aussi
que les représentations de la maternité
sont plus prégnantes dans l’univers
mental féminin, le désir d’enfant serait
sous cette hypothèse plus précoce, et
constituerait alors une condition déjà
remplie.
Avoir un travail stable et être prêt(e)
à faire des sacrifices arrivent ensuite et
sont cités par quatre personnes sur dix.
Il y a donc bien l’idée que la venue de
l’enfant implique une responsabilité et
introduit des contraintes fortes dans la
vie quotidienne, dans l’esprit des hommes comme dans celui des femmes.
De manière commune à l’ensemble des personnes sans enfant (étudiants ou non), les critères matériels,
qui reviennent souvent dans le discours des individus, sont beaucoup
moins souvent cités comme étant très
attendus. Si une aisance matérielle
minimale doit être déjà acquise pour
une grande part des individus on peut
néanmoins se poser la question de la
primauté des aspects de l’épanouissement individuel, sur des aspects purement matériels.
33
Le mariage n’est pas une condition prioritaire. Deux raisons peuvent
expliquer cette faible importance. Les
personnes pour qui le mariage est
important sont déjà mariées : la condition est donc déjà remplie. Pour les
autres, il ne s’agit pas d’une condition
nécessaire à la venue d’un enfant, les
naissances hors mariage étant à l’heure
actuelle le cadre le plus classique dans
la société française actuelle.
Les problèmes d’infertilité sont évoqués par une minorité, mais tout de
même par 15% des femmes qui ne
sont pas sorties du système scolaire
(elles sont donc pourtant encore très
jeunes). Ces résultats rejoignent ceux
sur la diffusion du sentiment d’infertilité en France de manière générale :
un tiers des femmes déclarent avoir
rencontré des difficultés à concevoir
(Mazuy & La Rochebrochard 2008).
Notons que les femmes sont toujours
plus nombreuses que les hommes à
évoquer les problèmes d’infertilité,
quelle que soit l’enquête (ibid.).
De manière générale, les conditions
nécessaires à l’agrandissement d’une
famille sont beaucoup moins nombreuses que pour l’entrée en parentalité, car la plupart sont déjà acquises :
c’est surtout le consensus au sein du
couple qui est déterminant (figure 4).
Viennent ensuite, de manière minoritaire, le logement, les revenus et l’espacement avec l’enfant précédent.
Un enfant
quand on l’a décidé
La nécessité du consensus dans le
couple, avant de se décider à avoir
un enfant, devrait avoir pour conséquence que la plupart des naissances
sont bien programmées. Si on consi-
Figure 4 : Conditions personnelles à réunir avant d’avoir un enfant parmi les
pères et mères
Population avec enfants
%
90
FEMMES
n
HOMMES
dère que les deux membres du couple
doivent être prêts, sous l’hypothèse
que celui des deux qui se sent prêt
en premier attend l’autre, cela devrait
générer une certaine attente, avant que
les deux membres du couple se sentent
tous les deux prêts.
On a aussi cherché à infirmer ou
confirmer l’hypothèse selon laquelle
les femmes seraient plus pressées que
les hommes dans leur projet d’enfant :
cette conclusion ressort de travaux
qualitatifs, il était donc intéressant de
la confronter à une mesure quantitative.
La perception de la programmation
des naissances peut toutefois avoir été
l’objet de rationalisations a posteriori
étant donné que les personnes sont
questionnées sur les enfants qu’elles ont eus, donc sur des grossesses
menées à terme. L’effet de cette rationalisation n’est sans doute pas nul,
d’autant plus que certains comportements sont plutôt stigmatisés. Dans
le cas des grossesses non prévues par
exemple, il est sans doute difficile de
déclarer une fois que l’enfant est là,
qu’il n’a peut-être pas réellement été
désiré.
Plus de 70% des premières naissances1
« bien programmées »
80
70
60
50
40
30
20
10
Accord du conjoint
Avoir vraiment envie d'un enfant
Logement plus vaste
Dernier enfant plus grand
Avoir plus de revenus
Avoir plus de temps à lui consacrer
Prêt à faire des sacrifices
Être en bonne santé
Conjoint en bonne santé
Travail stable
Couple stable
Travailler moins
Se sentir prêt(e)
Vivre en couple
Mariage
Résolution de problèmes de fertilité
Avoir fini les études
Accord du conjoint
Avoir vraiment envie d'un enfant
Logement plus vaste
Avoir plus de revenus
Dernier enfant plus grand
Avoir plus de temps à lui consacrer
Être en bonne santé
Prêt à faire des sacrifices
Travail stable
Conjoint en bonne santé
Couple stable
Travailler moins
Vivre en couple
Se sentir prêt(e)
Mariage
Résolution de problèmes de fertilité
Avoir fini les études
0
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
Champ : Personnes n’ayant pas répondu de manière négative à la question sur le souhait
d’avoir un autre enfant.
34 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant »
Aux différentes vagues de l’enquête
sur les Intentions de fécondité, on
demandait pour chaque naissance si la
grossesse était souhaitée à ce moment,
plus tard ou plus tôt, si elle était non
souhaitée ou non prévue (encadré 4
en annexe).
Un item était également réservé aux
situations d’adoption, un peu particulières étant donné que l’enfant adopté
est par définition un enfant attendu,
c’est pourquoi cet item n’a pas été
retenu pour la présentation des résultats qui vont suivre2.
Cette question sur le caractère programmé des naissances était posée à la
personne enquêtée, qui devait répondre pour elle-même, puis au nom de
son conjoint.
Pour les personnes qui auraient
hésité entre arrêter ou mener à terme
une grossesse, on peut penser qu’une
fois l’enfant né, les doutes, les hésitations préalables à la naissance sont
Magali Mazuy
Avoir un enfant : être prêts ensemble ?
sous-déclarés. Toutefois, cette population est fortement sélectionnée puisque les parents ont justement fait le
choix de ne pas interrompre la grossesse même s’ils y avaient fortement
songé. De ce fait, les personnes les
plus réfractaires au projet d’enfant
sont donc sous-représentées même au
sein de ce sous-groupe.
En termes d’indicateurs, on peut
alors s’attendre à ce que la majorité
des naissances soient déclarées comme
désirées et bien programmées, du fait
des comportements en eux-mêmes
Tableau 1 : Programmation des premières naissances
a : ensemble
Juste avant cette grossesse, souhaitiez-vous cet enfant…
Hommes
Femmes
à ce moment là
72,6
70,9
plus tard
7,6
9,8
pas du tout
2,0
2,1
plus tôt
8,8
7,3
vous n'y pensiez pas
8,3
9,1
ne sait pas
0,7
0,8
Total
100,0
100,0
b : personnes n’ayant pas déclaré de difficultés à concevoir
Juste avant cette grossesse, souhaitiez-vous cet enfant…
Hommes
Femmes
à ce moment là
77,8
72,6
plus tard
8,5
12,2
pas du tout
2,0
2,5
plus tôt
2,6
1,9
vous n'y pensiez pas
8,7
9,7
ne sait pas
0,4
1,1
Total
100,0
100,0
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
Champ : hommes et femmes ayant au moins un enfant au moment de l’enquête.
Tableau 2 : Programmation des naissances par le conjoint des personnes
ayant eu leur enfant au bon moment
Et votre conjoint(e) (le père / la mère de cet enfant) le souhaitait-il…
à ce moment là
plus tard
pas du tout
plus tôt
il (elle) n'y pensait pas
ne sait pas
Ensemble
Hommes
94,2
0,6
1,2
3,5
0,2
0,3
100,0
Femmes
88,2
5,5
2,2
2,0
1,0
1,1
100,0
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
Champ : personnes ayant au moins un enfant au moment de l’enquête, ayant déclaré
qu’elles désiraient leur premier enfant à ce moment là.
(on attend d’être prêt-e, ce qui implique souvent le report du projet de
grossesse, ou même le recours à une
interruption volontaire de grossesse),
renforcés par la rationalisation a posteriori.
Les réponses des hommes et des
femmes sur la programmation des
naissances sont assez similaires
(tableaux 1a et 1b). Et comme nous
en avions fait l’hypothèse, plus de sept
personnes sur dix déclarent avoir eu
leur premier enfant au bon moment.
La fréquence des personnes qui
ont eu leur premier enfant plus tard
qu’elles ne le désiraient est différente
selon que l’on s’adresse à l’ensemble
de la population ou à celle n’ayant pas
déclaré de difficultés à concevoir :
– au sein de la première, sept à neuf
personnes sur cent auraient souhaité
avoir leur enfant plus tôt (tableau 1a).
Cette part est un peu plus élevée pour
les hommes, mais cette catégorie
regroupe sans doute des situations
hétérogènes : personnes qui ont eu
des difficultés à concevoir, personnes
qui ont attendu que le conjoint soit
prêt, personnes qui ont vécu en couple
à un âge tardif ;
– si on ôte les personnes qui ont
eu des difficultés (tableau 1b), alors
cette proportion chute fortement mais
n’est pas nulle et elle est toujours plus
élevée pour les hommes que pour les
femmes.
À l’inverse les naissances survenues trop tôt (celles qui sont déclarées comme souhaitées plus tard),
concernent plus souvent les femmes
que les hommes. Ce résultat paraît
contre intuitif. Mais rappelons que les
femmes sont globalement plus jeunes
que les hommes à la naissance de leur
premier enfant. Par ailleurs ce groupe
est peut-être un peu particulier : y sont
sans doute incluses des femmes seules
au moment de la naissance (beaucoup
plus fréquemment que pour les hommes). Il s’agirait alors de grossesses
pas vraiment programmées et jugées
comme trop précoces, surtout s’il s’agit
de femmes jeunes. La monoparentalité
à la naissance est plus fréquente parmi
les femmes peu diplômées, qui sont
mères à un âge plus précoce (Mazuy
2006).
35
Huit à dix pour cent des personnes
sont concernées par des grossesses non
prévues. Cette proportion paraît assez
élevée, eu égard à la norme parentale et
au contexte de planification des naissances en France. Dans ce contexte,
les écarts à cette planification, même
légers, peuvent être considérés comme
des accidents. On peut illustrer cette
situation en reprenant les propos
d’une femme enquêtée, concernant les
éventuels éléments déclencheurs de la
décision de grossesse : « On était prêts
et on en avait envie, mais c’est un accident qui est quand-même bien arrivé ».
Certains couples peuvent déclarer ne
pas chercher à concevoir, sans pour
autant utiliser de méthode fiable de
contraception, prouvant bien qu’ils ne
font pas « tout » pour ne pas en avoir.
Les naissances déclarées comme
non désirées sont très minoritaires :
moins de 2,5% des hommes et des
femmes déclarent qu’ils ne voulaient
pas du tout d’enfant juste avant la
grossesse.
Deux tiers des enfants de rang
un nés « au bon moment »,
pour les deux membres du couple
Sept personnes sur dix ont donc
déclaré qu’elles ont eu leur premier
enfant au bon moment, plus de sept
sur dix si on exclut celles qui ont rencontré des difficultés pour concevoir.
Parmi ces dernières, environ 90%
disent que leur conjoint souhaitait
cette grossesse à ce moment là également (tableau 2).
Les hommes qui déclarent avoir eu
leur enfant au bon moment déclarent
plus souvent que les femmes que leur
conjointe désirait cette grossesse à ce
moment là (94% contre à peine 90%
pour les femmes dans le même cas de
figure).
Parmi les hommes qui ont eu leur
premier enfant au bon moment, 3,5%
d’entre eux déclarent que leur conjointe aurait souhaité avoir cet enfant plus
tôt. À l’inverse, parmi les femmes qui
ont eu leur premier enfant au bon
moment, 5,5% d’entre elles déclarent
que leur conjoint aurait souhaité avoir
leur premier enfant plus tard. Parmi
les hommes qui ont eu leur enfant au
bon moment, 1% déclarent que leur
conjoint n’en voulait pas, cette proportion reste peu élevée bien qu’elle
double pour les femmes.
On peut au final retenir un indicateur de programmation des naissances
au sein du couple, qui varie légèrement
selon le sexe du déclarant (tableau 3).
D’après les réponses des femmes,
un peu moins de deux tiers (64%)
des naissances sont correctement programmées par les deux membres du
couple. D’après les réponses des hommes, cette part est légèrement plus
élevée et dépasse les deux tiers (69%).
Il y a donc un sentiment de satisfaction
face à la programmation des naissances assez similaire quoique légèrement
plus fort pour les hommes que pour
les femmes. Cette différence peut sans
doute être expliquée en partie par le
fait que les femmes parlent plus souvent des enfants qu’elles ont eu après
une séparation de leur conjoint parce
qu’elles sont relativement plus nombreuses que les hommes à élever des
enfants nés et / ou élevés sans que le
père soit présent.
Les situations consensuelles :
largement majoritaires
Si nous reprenons l’ensemble des
combinaisons il est possible de mesurer
le degré de consensus ou au contraire
de désaccord au sein des couples, et
de catégoriser les naissances selon leur
caractère plus ou moins attendu : par
l’un des membres du couple, par les
deux, ou par aucun des deux membres du couple (tableau 3). D’après les
hommes, près de 80% d’entre eux ont
eu leur enfant au bon moment ou trop
tard : enfant arrivé au bon moment
pour les deux (68,9%), grossesse souhaitée plus tôt par les deux (7%), au
bon moment pour l’un des deux mais
souhaitée plus tôt par l’autre (2,8% et
1,2%).
Les femmes sont moins nombreuses
à estimer les naissances programmées
que les hommes : 72% contre 80%.
Elles sont plus nombreuses à les
estimer non programmées (c’est-à-dire
qu’aucun des deux conjoints n’y pensait) : 7,1% d’après les femmes et 5,1%
d’après les hommes. « Ne pas penser à
Tableau 3 : Indicateurs du caractère programmé ou non des premières
naissances, au sein du couple
Hommes
Femmes
Naissances programmées
Bien programmées pour les deux
Naissances souhaitées plus tôt par les deux
79,9
72,0
68,9
7,0
64,0
5,6
Bon moment pour ego, trop tard pour le
conjoint
2,8
1,1
Souhaitées plus tôt pour ego, bon moment
pour le conjoint
1,2
1,3
Bon moment pour ego, conjoint ne voulait pas,
n'y pensait pas ou voulait plus tard
Bon moment pour conjoint, ego ne voulait pas,
n'y pensait pas ou voulait plus tard
Naissances non programmées
Naissances non désirées
Naissances arrivées trop tôt
Ni consensus, ni programmation
Ensemble
1,2
6,0
5,4
2,9
5,1
0,3
5,1
3,0
100,0
7,1
1,5
5,8
4,7
100,0
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998).
36 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant »
Magali Mazuy
Avoir un enfant : être prêts ensemble ?
une naissance » peut toutefois traduire
une réalité très variable d’un individu à
l’autre. Les naissances arrivées trop tôt
sont minoritaires : elles représentent
environ 5% des naissances.
Lorsque les deux conjoints déclarent tous deux que les naissances sont
arrivées trop tard, il s’agit sans doute
en partie de couples qui ont rencontré
des difficultés pour concevoir. Mais
aussi, la perception des hommes et des
femmes des événements relatifs à la
procréation est sans doute différente.
Les hommes déclarent plus souvent
que la naissance est arrivée au bon
moment pour leur conjointe mais pas
pour eux (5,4% d’après les hommes
contre 2,9% d’après les femmes). De la
même manière, les femmes déclarent
plus souvent que les hommes que la
naissance est arrivée au bon moment
pour elles mais pas pour leur conjoint
(6% pour les femmes et 1,2% pour les
hommes).
Les naissances non désirées sont
rares : de l’ordre de 1%. On retrouve ici
l’effet de la norme du projet parental
(peu d’enfants naissent en dehors d’un
projet impliquant le couple). Cet effet
peut être amplifié dans les déclarations des personnes, qui vont tendre à
minorer le caractère non désiré d’une
grossesse, une fois que l’enfant est là.
Un enfant plus fréquemment quand
l’impatience est féminine ?
Qui des deux attend l’autre ?
Nous avons comparé les réponses
formulées sur le souhait d’enfant aux
comportements effectifs lors des cinq
années qui ont séparé la première de
la dernière vague de l’enquête. Un travail un peu comparable a été mené
sur le sujet, dont le but était plutôt
de mesurer l’impact de la fermeté des
intentions de fécondité sur les comportements (Toulemon & Testa 2005).
Notre démarche est plus restrictive : il
s’agit de comparer les effets de l’impatience au sein du couple, parmi ceux
souhaitant (éventuellement) avoir un
enfant dans le futur3. Une majorité des
personnes interrogées ont eu un enfant
au cours de la période. Cela s’explique
du fait qu’il s’agit d’une population
potentiellement très encline à avoir
un enfant. Le niveau de fécondité est
le plus faible lorsqu’aucun des deux
conjoints n’est déclaré comme plus
pressé d’avoir un enfant (tableau 4)4.
Il est le plus élevé lorsque les deux
conjoints sont tous deux pressés. Le
fait que la femme soit plus pressée
augmente la probabilité d’avoir un
enfant au cours de la période : l’effet
La précédente section était réservée
à la mesure quantitative des effets de
l’impératif consensuel. Cette mesure
était effectuée après la naissance, les
réponses ne reflètent donc pas strictement le sentiment des individus
au début de la grossesse en question.
Toutefois, on peut imaginer que les
désaccords entre conjoints sur le sujet
ne s’oublient pas si facilement.
Une autre manière de saisir les différences entre hommes et femmes et
les arbitrages qu’il peut y avoir au sein
du couple est d’interroger les individus sur leurs souhaits d’enfants à
venir et d’observer leur comportement
dans les années qui suivent l’enquête.
Cela est possible grâce aux données de
l’enquête sur les Intentions de fécondité. Toutefois, signalons que comme
toute enquête prospective, une partie de l’échantillon n’a pu être suivi
(Razafindratsima et al. 2006). Il s’agit
donc là de résultats à consolider par
des études plus spécifiques, sur des
données nouvelles.
Tableau 4 : Probabilité d’avoir un enfant quand l’un des conjoints est plus pressé (personnes avec ou sans enfant)
Qui est plus pressé ?
ni l'un ni l'autre
homme
femme
les deux
Nombre d'enfants
avec enfant
sans enfant
% ayant eu un enfant
dans la période
OR
brut
61,9
68,8
77,7
77,9
p<0,0001
1
1,6
1,7
2,2
[1,62 - 1,65]
[1,69 - 1,72]
[2,15 - 2,20]
1
1,6
2,0
1,6
[1,56 - 1,59]
[2,01 - 2,05]
[1,59 - 1,63]
59,6
88,4
p<0,0001
1
5,2
[5,13 - 5,22]
1
5,3
[5,23 - 5,32]
IC95
OR
ajusté
IC95
Source : Enquête INED-INSEE « Intentions de fécondité » (1998 et 2003).
Champ : ensemble des personnes en couple cohabitant en 1998, dont les deux membres souhaitent un jour avoir un enfant.
37
de l’impatience féminine est même
plus fort, dans l’analyse ajustée, que
l’effet de l’impatience du couple, qui a
le même effet que celui de l’impatience
masculine.
Conclusion
n
Le projet parental doit précéder la
naissance et on voit bien dans les revendications des étudiants que beaucoup
d’étapes doivent être franchies avant
même de penser à avoir un enfant. Les
résultats sont assez homogènes selon
le sexe et certains stéréotypes ont la vie
dure, tels ceux sur l’importance d’être
inséré de manière stable dans le monde
du travail, critère considéré comme
plus important pour les hommes, que
l’on prenne les déclarations des hommes et des femmes. L’insertion stable
des femmes sur le marché du travail est
considérée comme moins importante,
surtout d’après les déclarations des
hommes.
Pour les hommes peu diplômés, qui
appartiennent à des milieux sociaux
moins favorisés que les plus diplômés,
la fréquence de déclarations des critères matériels n’est pas négligeable et
peut traduire des difficultés concrètes
au sein des milieux économiquement
plus précaires. On aurait pu supposer
que du fait de l’homogamie, hommes
et femmes des milieux moins favorisés aient des réponses assez similaires,
mais au contraire les réponses sont
plus contrastées. Les handicaps sociaux
jouent sans doute plus fortement pour
les hommes moins diplômés que pour
les femmes moins diplômées. Ce sont
justement les hommes situés en bas de
la hiérarchie sociale qui sont plus souvent exclus du marché matrimonial.
L’ensemble des résultats sur la
programmation des naissances vont
dans le sens du discours tenu par les
locuteurs eux-mêmes. Les naissances
sont effectivement considérées comme
ayant été bien programmées par la
majorité des couples et par les deux
membres du couple : environ les deux
tiers (un peu plus pour les hommes).
Dans le cas où les personnes enquêtées
ont eu leur enfant au bon moment,
environ 3% des hommes déclarent
que leur conjointe aurait voulu avoir
leur enfant plus tôt et environ 5% des
femmes déclarent que leur conjoint
aurait souhaité la grossesse plus tard.
Une tout petite minorité déclare ne pas
avoir souhaité la grossesse. Environ 5 à
7% des hommes et des femmes déclarent ne pas avoir programmé du tout
la naissance dans le couple.
Le fait que l’un des deux conjoints
soit plus pressé que l’autre augmente la
probabilité d’avoir une naissance dans
les cinq années qui suivent, d’autant
plus si c’est une femme. Ainsi on peut
dire que la gestion des attentes se fait
dans les deux sens : à la fois une attente
de certains conjoints et à la fois des
personnes qui ont leur enfant plus
tôt que souhaité. L’effet du sexe est
donc vérifié dans les deux séries de
résultats. Cependant, il est important
de garder en mémoire que les cas de
figure où les femmes voulaient leur
enfant plus tôt et les hommes plus tard
restent des situations minoritaires, la
situation de consensus étant largement majoritaire. Enfin, soulignons
que la part des naissances arrivées trop
tard peut confondre une muliplicité
de situations. Il serait intéressant de
pouvoir distinguer dans les prochaines
enquêtes s’il s’agit de problèmes liés à
une infertilité dans le couple, ou bien
d’un parcours qui a fait que les deux
membres du couple auraient aimés
être parents de manière plus précoce
mais n’ont pas pu, ou bien s’il s’agit
plus d’un sentiment d’impatience, une
fois que la décision d’avoir un enfant
a été prise.
38 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant »
Magali Mazuy
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Notes
1. Les enjeux consécutifs à la naissance d’un
premier enfant ou à l’agrandissement
d’une famille sont assez différents. Nous
avons vu que les conditions préalables,
lorsqu’il s’agit d’avoir un enfant en plus,
sont beaucoup moins nombreuses que
pour une première naissance et elles sont
assez différentes. Nous avons donc fait
le choix, dans cette section, de présenter uniquement des résultats concernant
les premières naissances des personnes
enquêtées.
2. Les situations d’adoption sont très minoritaires (au maximum 2%). Dans le cas
des adoptions plénières, la notion de
programmation de la grossesse perd son
sens. Par ailleurs, les adoptions sont plus
fréquentes pour les hommes (il s’agit de
situations d’adoption simple, de beauxenfants notamment). Pour ces deux raisons, nous avons fait le choix de retirer
l’item « enfant adopté ».
3. Dans cette section nous avons mené une
analyse sur toutes les naissances, quel que
soit leur rang. Une analyse par rang n’était
pas envisageable en raison des faibles
effectifs (nous avons seulement pu tenir
compte du fait d’avoir ou non des enfants
dans le modèle).
4. La fréquence de personnes qui ont eu un
enfant au cours de la période est particulièrement élevée. Cela s’explique par
la structure de la population : il s’agit de
personnes en couple cohabitant à IF1,
qui ont répondu au volet sur la discussion au sein du couple (questions 76 à 80
du questionnaire de IF1 reportées dans
l’encadré 5) et qui ont été ré-enquêtées
à IF3 : soient les personnes potentiellement les plus fécondes. La régression est
faite sur l’ensemble de la population car
les effectifs étaient trop faibles pour ne
prendre en compte que les enfants de
rang un. La question du désir d’enfant et
de la programmation des naissances pour
les couples non cohabitants, qui ne peut
être traitée avec ces données, est toutefois
intéressante et mériterait d’être étudiée à
l’aide d’une autre source de données.
39
Annexes
Encadré 1 : l’enquête sur les Intentions de fécondité
L’enquête « Intentions de fécondité » (IF) est une enquête à quatre passages (IF1, IF2, IF3 et IF4) à deux
volets, un volet quantitatif (IF1, IF2, IF3) suivi d’un volet qualitatif (IF4). Son objectif est de comparer les
intentions de fécondité aux comportements effectifs cinq années plus tard. La première vague a eu lieu en
1998. Le questionnaire de 1998 fut élaboré suite à une étude qualitative de faisabilité. La collecte a été réalisée
par des enquêteurs de l’Insee en face à face. L’enquête fut proposée aux 2 776 personnes ayant répondu à
l’enquête permanente sur les conditions de vie, âgées de 15 à 45 ans et résidant en France métropolitaine. Le
questionnaire de IF1 portait sur la situation de famille de l’enquêté, le nombre idéal d’enfants dans une famille,
l’âge idéal pour avoir un enfant, l’histoire génésique de l’enquêté et de son conjoint, sa situation de couple,
ses difficultés pour avoir un enfant, ses intentions de fécondité (passées, présentes et futures).
La deuxième vague (IF2) a eu lieu en 2001 par questionnaire auto-administré envoyé par voie postale. Elle
avait pour objectif de garder le contact avec les enquêtés afin d’augmenter le taux de réponse à la vague de
2003 (c’est-à-dire au point à cinq ans qui est l’objectif de l’étude).
Enfin, la troisième vague (IF3) a eu lieu en 2003 par questionnaire auto-administré, envoyé par voie postale.
Ce questionnaire recueillait des informations sur les grossesses et les naissances survenues depuis la première
vague, sur la situation de couple de l’enquêté, sur ses intentions de fécondité, sur les raisons des évolutions de
ses intentions de fécondité, sur la situation professionnelle, sur les difficultés pour avoir un enfant.
Une dernière phase qualitative de l’enquête (IF4) a été menée fin 2004. L’objectif était de recueillir des
informations permettant d’expliquer plus précisément les évolutions des intentions de fécondité grâce à une
dizaine d’entretiens semi-directifs. Les personnes enquêtées lors de cette dernière phase ont été sélectionnées
parmi les 358 enquêtés ayant donné leur accord pour recevoir un enquêteur à domicile lors du questionnaire
de 2003 (IF3).
Encadré 2 : Volet sur les préalables à la parentalité
(Q.24) : « A votre avis, pour une femme qui veut avoir un enfant, est-ce qu’il est très important, assez important, ou peu important… »
(Q.27) : « A votre avis, pour un homme qui veut avoir un enfant, est-ce qu’il est très important, assez important, ou peu important… »
1-Très
2-Assez
3-Peu (ou pas)
4-Ne sait pas
A. D’avoir fini ses études
B. De vivre en couple
C. D’être sûr(e) que le couple est stable
D. D’être assez mûr(e), de se sentir prêt(e)
E. D’avoir du temps à lui consacrer
F. D’avoir un travail stable
G. D’être prêt(e) à faire certains sacrifices
H. D’avoir vraiment envie d’un enfant
Encadré 3 : Volet sur les conditions attendues avant d’avoir un enfant
Question 73 : « Attendez-vous une occasion particulière pour avoir un (votre prochain) enfant ? Je vais citer
quelques occasions et, pour chacune, vous me direz si vous l’attendez ou non »
Pour avoir un enfant, attendez-vous…
Oui
Non, c’est déjà le cas
Ne sait pas
ou pas concerné
A. d’avoir fini vos études
B. de vivre en couple
C. d’être sûr(e) que le couple est stable
D. d’être marié(e)
E. d’être assez mûr(e), vous sentir prêt(e)
F. d’avoir vraiment envie d’un enfant
G. que votre conjoint(e) soit d’accord
H. que vous (ou votre conjoint(e)) ayez un travail stable
J. que l’un des deux travaille à mi-temps, ou arrête de travailler
K. d’avoir un logement plus vaste
L. d’avoir plus de revenus
M. d’avoir plus de temps à lui consacrer
N. d’être en bonne santé (vous-même)
P. que votre conjoint soit en bonne santé
Q. que d’éventuels problèmes de fertilité soient résolus
R. d’être prêt(e) à faire certains sacrifices
S. Si l’enquête a au moins un enfant : que le dernier soit assez âgé
T. une autre occasion
Cette question s’adressait aux personnes ayant déclaré souhaiter avoir (encore) des enfants un jour, maintenant
ou plus tard, éventuellement un enfant adopté.
40 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 41, « Désirs de famille, désirs d’enfant »
Magali Mazuy
Avoir un enfant : être prêts ensemble ?
Encadré 4 : Volet sur le caractère souhaité des grossesses
Questions 36 et 37 du questionnaire IF1
Le premier enfant
Le deuxième enfant …
Juste avant cette grossesse,
souhaitiez-vous cet enfant…
à ce moment
Plus tard
Pas du tout
Plus tôt
Vous n’y pensiez pas
C’est un enfant adopté
Ne sait pas
☐ 1
☐ 2
☐ 3
☐ 4
☐ 5
☐ 6
☐ 7
☐1
☐2
☐3
☐4
☐5
☐6
☐7
Et votre conjoint(e) (le père / la mère de cet enfant),
le souhaitait-il….
à ce moment
Plus tard
Pas du tout
Plus tôt
Vous n’y pensiez pas
C’est un enfant adopté
Ne sait pas
☐ 1
☐ 2
☐ 3
☐ 4
☐ 5
☐ 6
☐ 7
☐1
☐2
☐3
☐4
☐5
☐6
☐7
Encadré 5 : Volet sur la discussion au sein du couple
Questions 76 à 80 du questionnaire IF1
Filtre enquêteur : Si l’enquêté(e) ne vit pas en couple cohabitant passer au volet suivant. Sinon :
76. Avez-vous discuté avec votre conjoint(e) du nombre d’enfants que vous voulez avoir ?
1. Oui
2. Non
3. Ne sait pas
77. Votre conjoint(e) souhaite-t-il (elle) avoir un (autre) enfant, maintenant ou plus tard ?
1. Oui
2. Non
3. Ne sait pas
78. Actuellement lequel de vous deux est le plus pressé d’avoir un (autre) enfant ?
1. Plutôt vous
2. Plutôt lui (elle)
3. Tous les deux également
4. Vous n’êtes pressé ni l’un ni l’autre
5. Ne sait pas
79. Est-ce un sujet de discussion fréquent entre vous ?
1. Oui
2. Non
3. Ne sait pas
80. Pensez-vous que vous vous mettrez finalement d’accord sur ce sujet ?
1. Oui
2. Non
3. Ne sait pas
41