1-Précarité-Historique

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1-Précarité-Historique
Un aperçu de l'histoire de la précarité en France1
La grande question sociale des sociétés pré industrialisées est la mendicité des
personnes n'ayant ni ressource personnelle ni revenu lié au travail. Depuis le moyenâge, de nombreuses tentatives ont été mises en place pour résoudre ce fléau auquel
on associe volontiers la criminalité. Ces tentatives ont abouti à une distinction
fondamentale entre mendicité acceptable qui était le fait de personnes sans revenu
parce qu'inaptes au travail mais domiciliées et sédentaires, et une mendicité non
tolérable parce que pratiquée par des personnes valides, qu'il fallait mettre au travail
ou châtier sévèrement.
Dans notre société, l'intégration passe par la stabilité géographique où le travail fixe
l'individu à un territoire., comme le paysan à sa terre et l'artisan à son échoppe. (à
l'exception des marchands).
Depuis toujours et c'est souvent le cas aujourd'hui encore, la dynamique de
marginalisation trouve son origine dans une dimension économique liée à l'instabilité
et la fragilité des situations de travail. Les exclus de l'époque médiévale sont des
paysans ruinés ou des individus exerçant des petits métiers urbains non protégés
par les systèmes corporatistes, obligés de partir de chez eux pour trouver du travail
ailleurs.
On remarque déjà que ces phénomènes de marginalisation concernent des individus
qui ont été complètement intégrés à l'ordre social pendant un certain temps.
A la fin du XVIIème siècle et après le développement de l'ère industrielle, une
nouvelle organisation se profile. Les franges les plus populaires de la société féodale
constituent le gros de la première main d'œuvre ouvrière et, plus que de pauvreté, on
parle alors de prolétariat ouvrier et de « paupérisme ».
S'installera ensuite, petit à petit, la société salariale, avec l'ensemble de son système
de protections sociales et d'assurance (chômage, maladie, accident, vieillesse
etc…), système censé garantir à chacun des protections minimales en cas d'accident
de parcours.
Cette organisation connaîtra son apogée au cours des « trente glorieuses ». On a pu
penser que seules les personnes inaptes au travail pouvaient se trouver encore dans
le besoin. Ils étaient alors pris en charge par le système d'assurance comme cela
s'est organisé avec la construction progressive d'un véritable statut social pour les
personnes handicapées, statut équivalent à celui du « pauvre intégré » de la société
médiévale .
Les évolutions des dernières décennies remettent en question cette idéologie et
notamment les évolutions rencontrées dans la sphère du travail.
On peut les présenter sous trois axes :
* La montée du chômage et notamment d'un chômage de longue durée.
* Les difficultés pour les jeunes à accéder à un premier emploi.
* La précarisation de l'emploi lui-même, avec le développement des contrats à
durée déterminé, des contrats à temps partiels.
1
– revue « La santé de l'homme. Pauvreté, précarité, quelle santé promouvoir ? » N° 348. Paris.
INPES. p 12-14 – éléments rassemblés par Odile Choukroun http://www.cyes.info/themes/precarite/historique_precarite.php#n3
Ainsi, les parcours professionnels et les formes d'emploi s'éloignent de plus en plus
de l'emploi en contrat à durée indéterminé et à plein temps qui constituait jusqu'ici la
norme de référence.
Par ailleurs, les difficultés d'insertion ne s'expriment pas seulement dans le rapport à
l'emploi mais aussi dans certaines formes d'affaiblissement des liens sociaux et
relationnels. D'une part, les mutations de l'organisation salariale rendent difficile la
constitution de réseaux relationnels fondés sur l'entourage de travail, et, d'autre part,
le rôle intégrateur et stabilisateur de la famille nucléaire tend à disparaître.
« La précarisation ou l'exclusion sociale se définissent comme des processus
multidimensionnels, se déclinant à la fois dans le domaine professionnel et
relationnel. Ils peuvent également toucher d'autres domaines sociaux comme le
logement, l'accès aux soins par exemple. Les individus les plus touchés par ces
processus de précarisation sont d'abord ceux qui vivent dans des situations de
grande vulnérabilité sociale : enfants déscolarisés, jeunes non qualifiés, chômeurs
de longue durée, populations travaillant avec de bas revenus, jeunes ayant des
emplois précaires, mères célibataires vivant avec de bas revenus etc… Mais au delà
de ces situations, la précarité concerne aussi un nombre de personnes qui sont objectivement ou qui se sentent - menacées par l'évolution d'une société dont les
règles ont été brutalement modifiées et qui risquent, si la précarité de leur emploi se
cumule avec d'autres handicaps, de glisser progressivement vers la grande pauvreté
et l'exclusion, compromettant ainsi gravement leurs chances de réinsertion sociale.2
»
A l'instar de la promotion de la santé, il est essentiel de raisonner en terme de
dynamique et non d'état.
L'exclusion peut donc être définie comme la manifestation extrême et parfois
l'aboutissement, de différents processus de fragilisation des liens sociaux (facteurs
individuels comme l'histoire familiale, le réseau social, le niveau culturel et de
qualification et facteurs contextuels et sociaux comme les restructurations de
l'emploi).
Si la précarité a longtemps été considérée comme un phénomène marginal et a
souvent été confondue avec l'exclusion ou la grande pauvreté, elle a atteint une telle
ampleur qu'elle touche aujourd'hui, directement ou indirectement, une partie de la
population française qui va bien au-delà des plus défavorisés.
Entre l'intégration totale et l'exclusion complète, il existe évidemment une palette de
situations bien différentes. En parlant des exclus, on risque d'uniformiser une
représentation de l'exclusion . Entre le chômeur de longue durée de plus de
cinquante ans et la femme seule avec enfant qui travaille à temps partiel, il n'y a pas
d'amalgame possible. La notion d'exclusion impliquerait une frontière entre l'inclus et
l'exclu que R. Castel dénonce3.
2
Haut Comité de Santé Publique. La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé.
ENSP. 1987, p 11-27
3
CASTEL. R. Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat. Paris,
Gallimard., 1999, 816 p.
Il lui semble plus approprié de parler de précarisation ou de désaffiliation pour parler
des processus que l'on observe aujourd'hui.
Le précaire désigne ce qui n'est pas fait pour durer. C'est bien cette dimension
d'instabilité qui caractérise les parcours des personnes en situation d'exclusion, dans
une société ou le niveau de vie de la population globale a progressé comme jamais
auparavant.
Il est fondamental alors de replacer les phénomènes actuels au cœur de la question
sociale et notamment, comme le dit P. Bourdieu4 : « il faut substituer aux images
simplistes et unilatérales […] une représentation complexe et multiple. […] il faut
évidemment remonter jusqu'aux véritables déterminants économiques et sociaux des
innombrables atteintes à la liberté des personnes, à leur légitime aspiration au
bonheur et à l'accomplissement de soi, qu'exercent aujourd'hui, non seulement les
contraintes impitoyables du marché du travail ou du logement mais aussi les verdicts
du marché scolaire […] ou les agressions insidieuses de la vie professionnelle. »
« Ne voir et ne vouloir traiter que l'exclusion et la grande pauvreté revient à occulter
le fait que la précarité est la traduction d'un renforcement des inégalités sociales qui
est devenu en quelques années le problème le plus considérable que la société
française ait eu à affronter depuis longtemps. Ses causes et ses effets vont bien au
delà de la population visible des exclus. »5
4
5
BOURDIEU.P. La misère du monde. Paris. Seuil. 1993. p 943
Haut Comité de Santé publique, op.cit. p 15

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