Chansons « The answer, my friend, is blowin` in the wind The

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Chansons « The answer, my friend, is blowin` in the wind The
Chansons
« The answer, my friend, is blowin’ in the wind
The answer is blowin’ in the wind »
(Bob Dylan)
Dans le journal algérien Al Watan du 21 octobre, Azeddine
Guerfi, éditeur et libraire, constate « l’absence de véritable lectorat au
niveau de la population de moins de quarante ans, y compris une part très
importante de la population scolaire et estudiantine qui n’a jamais lu un
livre ». Les études faites en France à ce sujet montrent que la
situation y est moins dramatique, mais il se peut que la littérature,
durement concurrencée par de nouveaux modes d’expression, ait
perdu une part de son importance, sinon de son audience. Il faut
dire que les institutions qui la représentent auprès du public la
servent assez mal.
Le Témoin gaulois ne peut avoir la moindre opinion sur la valeur
des Nobel de sciences, il croit seulement savoir que l’Institut
Karolinska, dont des professeurs désignent les Nobel de médecine,
s’est discrédité pour avoir protégé un dangereux charlatan, le
chirurgien Paolo Macchiarini, et estime que les prix de littérature,
Nobel ou pas, n’ont qu’un intérêt politique ou commercial. La
médiocrité a toujours été très majoritaire à l’Académie française,
et les erreurs de jugement des jurys Goncourt ou Nobel, pour ne
prendre qu’eux, sont atterrantes. La petite musique gentillette de
Modiano est sans doute plaisante, son œuvre appartient à la
littérature, mais ne méritait pas l’excès d’honneur qui lui a été fait
l’an dernier. Les paroles de Bob Dylan sont sympathiques et
rappellent sans doute à de vieux messieurs leur belle jeunesse, cela
ne fait pas, il s’en faut, un poète d’un parolier : autant élire Prévert
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ou Brassens ! On a objecté que Bob Dylan est un sujet d’étude et
même de thèses dans les universités anglophones ; on peut dire
aussi que Brassens et Prévert font l’objet d’études universitaires
dans le monde francophone. Pourquoi pas ? Selon quels critères
limiterait-on le champ de la recherche ? Cela prouve que des
chercheurs trouvent matière à réfléchir dans leurs textes, cela ne
prouve pas que ces textes relèvent de la littérature ! Que ces deux
derniers figurent aussi depuis longtemps parmi les « poètes »
proposés à l’admiration de nos écoliers ne prouve rien non plus,
sinon que cette institution, qui préfère souvent les « digests » aux
originaux et les romans de gare aux grandes œuvres, sous prétexte
qu’ils seraient d’un abord plus facile, peut se fourvoyer.
À la base de cette confusion des genres il y a, bien sûr,
l’ambivalence du mot « littérature », à la définition duquel on a
beaucoup réfléchi de la fin du XIX e siècle à la fin du XXe. On ne
tient plus compte de cette réflexion, à la fois par paresse
intellectuelle et par un parti-pris idéologique qui conduit à tout
mettre sur le même plan au nom de l’égalité, qu’elle s’applique
aux humains, aux idées ou aux catégories abstraites. Bien sûr, la
littérature c’est, en un premier sens, l’ensemble de tout ce qui est
écrit, et il faut y inclure non seulement les paroles des chansons,
mais aussi les recettes de cuisine, les journaux, les modes
d’emploi, les ouvrages techniques et scientifiques, les notes de
service, les slogans publicitaires, etc. Mais il est évident que quand
on institue ou décerne un prix de littérature, on parle d’une
activité artistique qui utilise les lettres comme matériau, et qu’on
introduit une hiérarchie entre les textes produits par cette activité.
La chanson relève, certes, de l’activité artistique, mais c’est un art
mineur : une chanson peut sans doute valoir par la qualité des
paroles, mais celles-ci ne sont rien ou bien peu de choses sans la
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musique. L’épopée, qui fut longtemps chantée, est un poème qui
se suffit parfaitement, sans rien perdre de sa puissance, et on peut
en dire autant de toute la poésie, obligatoirement chantée jusqu’à
la Renaissance, mais que l’imprimerie et la lecture silencieuse ont
détachée de la musique et, qui a parfaitement survécu à
l’opération. Au contraire la plupart des chansons, reprises par
d’autres interprètes que ceux qui les ont fait connaître (Cora
Vaucaire, Juliette Greco, Yves Montand pour Prévert), ou que
leur auteur (Brassens), mais dont le style vieillit rapidement,
perdent à peu près tout ce qui faisait leur charme, et qui était dans
l’interprétation : les chansons de Bob Dylan valent d’abord par
son interprétation et par l’écho qu’elles éveillent dans la société,
comme ce fut le cas de celles de Brassens et de Prévert. Elles ont
fait le bonheur d’un ou deux générations, mais ont toutes chances
de tomber dans l’oubli ou dans un certain folklore, comme les
chansons enfantines (Monsieur Dumollet, Nous n’irons plus au bois), le
répertoire des vieilles chansons populaires (Giroflé, Girofla), ou
celles de Béranger : qui prend encore l’auteur du Roi d’Yvetot et du
Dieu des bonnes gens pour « Un des plus grands poètes que la France ait
jamais produits » (Chateaubriand, Préface des Études historiques, 1831),
ou : « un poète de pure race, magnifique et inespéré » (Sainte-Beuve,
Béranger, in Revue des Deux Mondes, décembre 1832) ?
Seule la ratification des générations successives peut garantir la
qualité littéraire d’un texte. Quand on distribue des prix de
littérature, on prend nécessairement quelques risques. Ce qu’on
reproche ici aux Nobel n’est pas d’avoir pris ce risque, mais de
vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes, en
pratiquant une inadmissible et racoleuse confusion des genres.
Lundi 24 octobre 2016
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