Adair Bellache Bouznit - Université Paris-Est

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Adair Bellache Bouznit - Université Paris-Est
Le secteur informel en Algérie : déterminants et fonctions de gains
Youghourta Bellache1, Philippe Adair2 et Mohamed Bouznit3
Résumé
L’analyse d’un échantillon de 2026 actifs, tiré d’une enquête réalisée auprès de 1016 ménages dans la région de Bejaia
en Algérie en 2012 identifie les déterminants de l’accès à l’emploi informel, grâce à un modèle logistique multinomial,
et estime les fonctions de gains des salariés informels. Les caractéristiques sociodémographiques (âge, genre et
situation matrimoniale) et la faiblesse du capital humain jouent un rôle majeur dans l’accès des individus au secteur
informel. L’estimation de la fonction de gains des salariés informels met en évidence le rôle de l’expérience
professionnelle, de l’âge des salariés et du secteur d’activité (commerce) dans la détermination des niveaux de salaire
de ces derniers. Les différences entre les actifs formels et informels en matière de capital humain et des profils
sociodémographiques renforcent la thèse de la segmentation du marché du travail (formel/informel).
Mots-clés : Algérie, capital humain, fonction de gains, modèle logit, secteur informel
JEL: 017, J24, J62
The informal sector in Algeria: determinants and earnings functions
We analyse the determinants of access to informal employment upon a sample of 2026 active individual (collected
from 1016 households in Bejaia), thanks to a logistic model and estimated earnings functions of informal employees
in Algeria. Demographics (age, gender and marital status) as well as a weak human capital are major factors in the
access to informal employment for wage-earners as well as self-employed individuals. The estimated earnings
functions of informal employees highlight professional experience and the industry as key determinants. As regards
human capital and the socio-demographic profile, sharp discrepancies between the formal and informal active
population strengthen the assumption of segmented informal vs. formal labour market.
Keywords: Algeria, earnings function, human capital, informal sector, labour mobility, logistic model
Université de Bejaia et ERUDITE. [email protected].
Université Paris-Est Créteil, Equipe de Recherche sur l’Utilisation des Données Individuelles et Temporelles en Economie
(ERUDITE). [email protected].
3 Université de Bejaia. [email protected]
1
2
1
2
Introduction
L’accroissement de l’emploi informel dans tous les pays en développement au cours de la décennie 2000
(Jutting et Laiglesia, 2009) fait de celui-ci une composante structurelle du marché du travail. Cet
accroissement, qui intervient dans un contexte de faible création d’emplois par le secteur privé formel,
résulte à la fois de la forte croissance de la population en âge de travailler, supérieure à celle de la
population totale, et de la participation croissante des femmes au marché du travail.
L’emploi informel en Algérie a connu une croissance significative (Charmes, 2009) depuis le processus de
libéralisation de l’économie des années 1990, et conduit ainsi à la segmentation du marché du travail
(formel/ informel). Les quelques études réalisées (recensées in Adair & Bellache, 2008) se focalisent sur
l’évaluation quantitative du phénomène ; elles n’appréhendent pas les facteurs explicatifs de l’accès au
secteur informel ainsi que les déterminants des gains en son sein qui conditionnent les politiques publiques
de l’emploi (Archambault et Greffe, 1984 ; Adair et Bellache, 2009).
Notre étude identifie, grâce à un modèle logistique multinomial, les déterminants de l’accès au secteur
informel pour un échantillon de 2026 actifs, tiré d’une enquête représentative menée auprès de 1016
ménages dans la région de Bejaia en 2012, ainsi que les déterminants et l’estimation de fonctions de gains
d’un sous-échantillon de 541 salariés (informels et formels) du secteur privé.
La section 1 rappelle, dans un premier point, les définitions du BIT du secteur informel et de l’emploi
informel adoptées dans le cadre de cette étude et analyse, dans un deuxième point, l’évolution de la
situation de l’emploi en Algérie qui se caractérise par une forte progression de l’emploi informel. La
section 2 présente la méthodologie suivie pour identifier les déterminants de l’accès au secteur informel :
choix des variables et logit multinomial. La section 3 présente et analyse les résultats obtenus. La section 4
présente les résultats des fonctions de gains estimées pour les salariés formels et informels.
1. L’emploi informel en Algérie : définition et évolution
L’analyse de l’évolution du marché du travail en Algérie, sur la base des enquêtes emploi de l’ONS, révèle
la forte progression de l’emploi indépendant et du salariat non permanent qui relèvent essentiellement de
l’emploi informel au sens du BIT.
1.1. Définition du secteur informel et de l’emploi informel
Le secteur informel est, selon la résolution de la 15ème conférence internationale des statisticiens de travail
du BIT de 1993 (BIT, 1993), constitué des unités économiques (non agricoles) qui appartiennent, en tant
qu’entreprises individuelles, au secteur institutionnel des ménages, qui ne tiennent pas une comptabilité complète et
dont la personnalité juridique est confondue avec celle des ménages dont elles dépendent et qui ne sont pas enregistrées.
Il comprend ainsi les entreprises familiales n’employant aucun salarié permanent mais pouvant employer
des travailleurs familiaux et/ ou des salariés occasionnels et les micro-entreprises employant un nombre de
salariés permanents inférieur à un certain seuil (5 ou 10 salariés).
Ainsi, sont considérées comme relevant du secteur informel, les entreprises répondant, de façon séparée
ou combinée, aux critères suivants : le statut juridique (entreprises individuelles) ; la non tenue d’une
comptabilité complète ; la taille de l’unité économique4, inférieure à un certain seuil (5 ou 10 employés) ; le
non enregistrement (administratif, fiscal ou social) de l’entreprise ou le non enregistrement de ses salariés ;
la situation dans la profession (l’auto-emploi des employeurs et indépendants, les aides familiaux et
éventuellement les salariés occasionnels employés par ces employeurs et indépendants).
La population occupée dans le secteur informel comprend toutes les personnes exerçant un emploi,
pendant la période de référence, dans au moins une unité du secteur informel, indépendamment de la
situation dans la profession (indépendant, salarié, aide familial …) et de l’exercice principal ou secondaire
de cette activité (Charmes, 1994). En se référant ainsi à l’emploi occupé au sein de l’unité économique et
non à l’individu, cette définition permet de cerner le phénomène de la pluriactivité.
L’Emploi informel (BIT, 2002) est une notion plus large que celle du secteur informel. Il englobe le
secteur informel et l’ensemble des emplois non déclarés des entreprises du secteur formel (schéma 1).
Alors que le secteur informel se définit par les caractéristiques de l’unité économique dans laquelle travaille
la personne, l’emploi informel se définit par les caractéristiques de l’emploi occupé (non déclaration,
absence de contrat…) (Charmes, 2002).
Le critère de la taille se réfère à l’établissement et non à l’entreprise (qui peut être composée de plusieurs établissements) dans la
mesure où un certain nombre de micro-entreprises croissent en créant de nouveaux petits établissements plutôt que d’agrandir
l’établissement originel (Charmes, 1997).
4
3
Schéma 1. Le secteur informel et l’emploi informel selon les définitions du BIT
Secteur institutionnel Ménages et Entrepreneurs Individuels (EI)
∑ EI enregistrées et
tenant une
comptabilité
complète
et
professions libérales
Secteur
formel
Travail déclaré
des entreprises
enregistrées
∑ EI non agricoles, non
enregistrées et ne tenant pas
de comptabilité complète
≡ entreprises familiales
n’employant aucun salarié
permanent (indépendants) +
micro-entreprises (< 5 ou 10)
salariés permanents)
Secteur
informel
Emploi
informel
Travail non déclaré des
entreprises enregistrées
Secteur institutionnel Sociétés et Quasi Sociétés
Source : élaboré par nos soins
1.2. Evolution de l’emploi en Algérie : une forte progression de l’emploi informel
L’expansion de l’emploi informel, qui intervient dans un contexte de faible création d’emplois par le
secteur privé formel, résulte à la fois d’un accroissement de la population en âge de travailler, supérieur à
celui de la population totale (FEMISE, 2006), et de la participation croissante des femmes au marché du
travail dont une proportion importante s’oriente dans le secteur informel.
L’analyse de l’évolution de l’emploi en Algérie, durant ces deux dernières décennies, met en évidence,
d’une part, la modification de la structure de l’emploi en faveur de l’auto-emploi et du salariat précaire qui
relèvent essentiellement du secteur informel et, d’autre part, une forte progression de l’activité féminine
dont près de la moitié appartient au secteur informel.
1.2.1. Une forte expansion de l’emploi informel salarié et indépendant
L’analyse des résultats des enquêtes emploi de l’ONS révèle une très forte progression de l’auto-emploi et
de l’emploi salarié non permanent qui relèvent essentiellement de l’emploi informel. Cette évolution a
induit une modification de la structure de l’emploi au détriment du salariat et en faveur de l’auto-emploi.
L’effectif des employeurs et indépendants, dont (86%) sont des indépendants selon l’enquête ménages de
2010 (ONS, 2012), a plus que doublé, tandis que l’effectif des salariés permanents augmente à peine alors
que sa part relative dans la population occupée baisse de plus de la moitié (59%) en 1992 (46,6%) en 2000
à un tiers (32,9%) en 2010.
Tableau 1. Répartition des occupés selon l’affiliation à la sécurité sociale en milliers et en % en 2010
Masculin
Féminin
Total non affiliés
Total
%
%
%
%
Employeurs
151
39,7
5
24
156
38,8
402
4,1
Indépendants
1576
77,1
414
96,4
1990
80,5
2473
25,4
Salariés permanents
111
4,1
16
3
127
3,9
3208
32,9
Salariés non permanents
2106
73,1
117
31,8
2223
68,4
3250
33,4
Aides familiaux
262
94
122
97,7
384
95,1
404
4,1
Total
4204
50,9
675
45,8
4879
50,1
9735
100
Source : établi à partir des données de l’ONS, 2012
Le salariat non permanent a connu une expansion considérable (son volume a été multiplié par 7,4 entre
1992 et 2010). Sa part relative dans la population occupée est passée de moins de 10% en 1992 (8,9%) à
un tiers (33,3%) en 2010, dépassant ainsi, pour la première fois, en 2010, le volume du salariat permanent.
Le taux de chômage (apparent), après une augmentation durant la décennie 1990, connait durant cette
dernière décennie une baisse considérable (29,7% en 2000 et à peine 10% en 2010). Il est frappant de
4
constater que cette baisse du taux de chômage s’accompagne d’une augmentation quasi-symétrique de
l’emploi salarié non permanent dont 68,4% est informel et aussi de l’emploi indépendant qui est informel
dans 3 cas sur 4 selon l’enquête emploi ONS de 2010 (graphique 1 et tableau 1).
Graphique 1. Evolution et structure de la population occupée (1992-2010)
70,00
60,00
50,00
40,00
30,00
20,00
10,00
0,00
1992
1996
1997
2000
2001
2003
2004
Employeurs et indépendants
Salariés permanents
Aides familiaux
Tx chômage
2005
2006
2007
2008
2009
2010
Salariés non permanents
Source : établi à partir des données des enquêtes emploi de l’ONS
Selon l’enquête emploi de 2010, 50,1% de la population occupée totale (4879000/9735000) n’est pas
affiliée à la sécurité sociale. Celle-ci est constituée pour près de moitié (45,5%) des salariés non permanents
et de 40,8% d’indépendants. Les salariés non permanents qui représentent 33,4% de la population
occupée totale en 2010 relèvent essentiellement du secteur privé (80,8%) ; 80,6% des ces derniers sont des
hommes et 19,2% des femmes. Le secteur public emploie 622000 salariés non permanents (67,2%
hommes et 32,8% de femmes). Sur les 368000 salariées non permanentes, 55,4% appartiennent au secteur
public. Les salariés non permanents dominent dans le secteur du BTP (43,6%) ; le commerce et les
services (32%). Par ailleurs, plus de 80% des indépendants sont informels et près de 70% des salariés non
permanents dont le nombre s’est accru fortement ces dernières années appartiennent au secteur informel.
Hors agriculture, l’emploi informel, au sens de la définition du BIT, représente 3921000 occupés en 2010,
soit 45,6% de l’emploi total non agricole. Il domine dans le secteur du BTP (37,4%), dans le commerce
(26,7%) et les transports et services (18,2%) mais aussi dans l’industrie (17,2%) (ONS, 2012). L’emploi
informel a connu une nette progression durant cette dernière décennie, passant de 33,5% en 2001, à
41,3% en 2005 et 45,6% de l’emploi total non agricole en 2010 (tableau 2).
Tableau 2. Evolution de l’emploi informel non agricole en milliers et en % (2001, 2005, 2010)
2001
2005
Emploi
Emploi
% emploi
Emploi
Emploi
% emploi
Emploi
total
informel
informel
total
informel
informel
total
Masculin
4143
1378
33,3
5568
2379
42,7
7221
Féminin
773
270
34,9
1096
373
34,1
1379
Total
4917
1648
33,5
6664
2752
41,3
8600
2010
Emploi
% emploi
informel
informel
3336
46,2
586
42,5
3921
45,6
Source : ONS, 2012
1.2.2. Progression du taux d’activité féminine et de l’emploi informel féminin
Le taux d’activité féminine connait un accroissement continu notamment en milieu urbain5 sous l’effet
conjugué de l’instruction des femmes et son corolaire la baisse de la fécondité 6 et de l’urbanisation
Le taux d’activité est le rapport entre la population active et la population en âge de travailler (15 ans et plus). Le taux d’activité
global, selon l’enquête emploi nationale 2010, est de 41,7% (60,9% pour les hommes et 14,2% pour les femmes). Le taux
d’activité féminine est de 16,3% en milieu urbain et 9,9% en milieu rural. Pour les hommes c’est en milieu rural que le taux
d’activité est plus élevé (71,5%).
5
5
croissante qui induit, d’une part, des opportunités d’emploi pour les femmes notamment dans les activités
de services et de commerce et d’autre part de nouveaux besoins dont la satisfaction nécessite souvent la
mise à contribution de la femme (Abramo et Valenzuela, 2005).
L’emploi féminin a ainsi connu une forte expansion durant ces quatre dernières décennies. Son volume a
été multiplié par plus de 10 entre 1977 et 2011 alors que l’emploi total a juste triplé durant la même
période (tableau 3).
Tableau 3. Evolution de l’emploi féminin (1977-2011)
Population active féminine
Population active totale
% population active féminine/population active totale
1977
159544
3047952
5,2
1987
430330
5341102
8,1
1991
623910
5958520
10,5
2001
2011
1288000
1885000
8568000
10662000
15,0
17,7
Source : ONS, 2013
Le taux d’activité féminine varie selon l’âge et le niveau d’instruction. Il atteint son niveau le plus élevé
chez les jeunes femmes -20-34 ans-(26,5% chez les femmes âgées de 25 à 29 ans et 21% pour la tranche
d’âge 30-34 ans) et faible chez les femmes de plus 35 ans (ONS, 2012). Il est aussi fortement corrélé au
niveau d’instruction. Il augmente de façon très nette et sensible avec le niveau d’instruction (il est de 4%
pour les femmes sans instruction, 7% pour les femmes ayant le niveau primaire, 12% pour celles ayant le
niveau moyen, 18% pour celles disposant d’un niveau secondaire et 43% pour celles ayant un niveau
supérieur) (ONS, 2012). Le niveau d’instruction apparait ainsi comme un facteur déterminant de
l’insertion des femmes sur le marché du travail notamment formel.
Près de la moitié (45,8%) des femmes occupées en 2010 (ONS, 2012) ne sont pas affiliées à la sécurité
sociale et relèvent ainsi du secteur informel, soit une augmentation de près de 8 points par rapport à 2005
(38,1%). L’emploi informel féminin est représentée essentiellement par l’auto-emploi : 61,3% des femmes
qui opèrent dans le secteur informel sont des indépendantes ; 18% sont des aides familiales et 17,3% sont
des salariées non permanentes (ONS, 2012). En outre, la quasi-totalité (96,4%) des femmes exerçant une
activité indépendante appartiennent au secteur informel (tableau 1).
2. Données et méthode d’analyse
2.1. Les données
L’étude économétrique a été réalisée sur un échantillon de 2026 actifs (non agricoles), tiré de l’enquête
ménages, réalisée en 2012 à Bejaia, une région située au centre est de l’Algérie, auprès d’un échantillon
représentatif de 1016 ménages, répartis sur 12 communes urbaines et rurales7.
La variable dépendante, que l’on tente d’expliquer est l’accès aux différents segments du marché du travail
définis selon l’approche dualiste (formel/informel). Cette variable comprend 5 modalités : chômeur,
salarié dans le secteur formel, salarié dans le secteur informel, indépendant formel et indépendant
informel. Le salarié informel correspond ici au salarié non assuré, c’est-à-dire non déclaré à la caisse
nationale de l’assurance sociale (CNAS) et l’indépendant informel8 est celui qui n’est pas affilié à la
CASNOS (caisse de l’assurance sociale des non salariés) et qui ne paie pas d’impôts.
Les variables indépendantes utilisées dans le modèle logistique multinomial se rapportent aux
caractéristiques sociodémographiques des actifs (âge, genre, situation matrimoniale), à leur capital humain,
approximé ici par le niveau d’instruction, au statut de l’emploi antérieur et au milieu de résidence
(urbain/rural).
2.2. Le modèle logistique multinomial
Nous avons utilisé le modèle logistique multinomial afin d’identifier les facteurs explicatifs de l’accès des
individus aux différents segments du marché du travail, particulièrement aux segments du salariat et du
travail indépendant informels.
Le taux de fécondité en Algérie, défini comme le nombre moyen d’enfants vivants mis au monde par une femme, est passé de
plus de 7 dans les années 1960 et 1970, à moins de 6 durant la deuxième moitié des années 1980, à 3,45 en 1995 et 2,62 en 2010.
7 L’enquête sur le secteur informel dans la wilaya de Bejaia réalisée en 2012 et qui s’inscrit dans le prolongement d’une première
enquête réalisée dans la même région en 2007 auprès de 522 ménages, a porté sur un échantillon de 1016 ménages (5513
individus) dont 206 ménages déjà enquêtés en 2007. Les ménages enquêtés sont localisés essentiellement dans les grands centres
urbains de la région et répartis sur 12 communes (6 urbaines et 6 rurales). L’échantillon des ménages enquêtés a été tiré de façon
aléatoire au niveau des 12 communes retenues. Ces dernières représentent près d’un quart du total des communes de la wilaya et
regroupent plus de la moitié (53%) de l’ensemble des ménages de la wilaya recensés à l’occasion du recensement général de la
population et de l’habitat (RGPH) en 2008.
8 Les (45) aides familiaux qui sont tous informels ont été intégrés dans la catégorie des indépendants au titre de l’auto-emploi.
6
6
Nous estimons une équation de l’offre de travail grâce à ce modèle pour calculer la probabilité qu’un
individu s’insère sur l’un des segments du marché du travail plutôt que de rester au chômage. Cinq
alternatives sont offertes aux individus : rester au chômage, travailler comme salarié dans le secteur formel,
comme salarié dans le secteur informel, comme indépendant dans le secteur formel, et enfin comme
indépendant dans le secteur informel. En supposant que ces 5 alternatives soient indépendantes9 et que les
termes d’erreurs suivent une distribution logistique, le modèle logistique multinomial se présente sous la
forme ci-après.
Soit :
Dans l’équation (1) les (i) et (j) sont les indices, respectivement des individus et des choix, βj représente le
vecteur des paramètres liés aux caractéristiques xi. tel que modèle génère une indétermination levée par la
simple normalisation βj =0. Chaque probabilité (P) est comprise entre 0 et 1 et la somme de ces derniers
(se réfèrent à indices ou à paramètres), celles-ci (s’il s’agit des probabilités) équivaut à l’unité : le modèle
s’écrit alors :
Ce modèle permet d’identifier le rôle des déterminants de l’offre de travail de l’ensemble des (2026)
individus âgés de 15 ans et plus et qui sont regroupés en 5 classes correspondant chacune à un segment du
marché du travail : chômeur (467), salarié dans le secteur formel (849), salarié dans le secteur informel
(263), indépendant dans le secteur formel (207), indépendant dans le secteur informel (240)10. En
définissant la situation de chômeur comme classe de référence (dont les coefficients sont normalisés à 0),
on cherche à estimer l’effet de certaines variables explicatives sur la probabilité d’accéder aux quatre autres
segments du marché du travail.
Trois types de variables sont introduits dans le modèle, des variables continues (âge, âge2), des variables
binaires (genre, situation matrimoniale, milieu de résidence) et des variables qualitatives avec plus de deux
modalités (niveau d’instruction, statut dans l’emploi antérieur). Dans le modèle estimé où le groupe des
chômeurs est pris comme référence, les coefficients estimés pour les autres groupes (salarié formel, salarié
informel, indépendant formel, indépendant informel) indiquent la variation de la probabilité (logarithme
des chances de choix) d’accès à ces quatre groupes plutôt que de rester chômeur. En outre, on évalue la
probabilité (variation du logarithme de chances de choix) de s’insérer, par exemple, dans le salariat formel
plutôt que dans le salariat informel ou encore celle d’accéder à l’auto-emploi dans le secteur informel
plutôt qu’au statut de salarié dans le secteur formel, en comparant les coefficients estimés pour ces
groupes.
3. Les déterminants de l’accès au secteur informel
Pour cerner les déterminants de l’accès aux segments du secteur informel, nous avons estimé, à l’aide du
modèle logistique multinomial, une équation de l’offre de travail globale (tableau 3) et deux autres
équations partielles concernant respectivement l’accès à l’activité indépendante (formelle et informelle) et
l’accès au salariat (formel et informel) (tableaux 4 et 5).
3.1. L’accès au secteur informel : le rôle des variables démographiques et du capital humain
Les résultats du modèle estimé selon le maximum de vraisemblance (tableau 4) pour l’ensemble des actifs
(2026) sont de qualité acceptable. Les variables explicatives sont significatives (le χ2 est très significatif) du
positionnement des individus dans les différents segments. Le pouvoir explicatif (le pseudo R 2 est de
41,1%) est relativement élevé et la capacité prédictive du modèle est satisfaisante (50,4% des individus de
l’échantillon sont correctement classifiés).
Cette hypothèse parait réaliste dans la mesure où la pluriactivité, telle que mise en évidence par l’enquête de Bejaia mais
également par d’autres enquêtes (Adair, 2002), reste marginale.
10 Sur les 240 indépendants informels, il y’a 91 travailleuses à domicile (37,9%).
9
7
Tableau 4. Estimation logistique multinomiale des déterminants de l’accès aux segments du marché du travail
Variables
Démographie
Sexe masculin
Age
(Age)2
Marié
Education
Sans-primaire
Moyen
Secondaire
Emploi
Milieu urbain
Salarié formel
Salarié informel
Indépendant
formel
Indépendant
informel
Constante
-2 Log de
vraisemblance
χ2 (sig)
Pseudo R2
(Nagelkerke)
Cas correctement
prédits (%)
N
Salarié formel
B
Exp(B)
salarié informel
B
Exp(B)
indépendant formel
B
Exp(B)
Indépendant informel
B
Exp(B)
-,150
,202***
-1,74E-03**
1,039***
,861
1,224
,998
2,826
8,648E-02
2,099E-02
-5,41E-05
,526**
1,090
1,021
1,000
1,693
,549**
5,673E-02
-1,47E-04
1,457***
1,731
1,058
1,000
4,293
-,106
,123**
-1,28E-03*
1,078***
,899
1,130
,999
2,939
-1,498***
-,982***
-,420**
,224
,375
,657
1,214***
1,428***
,737**
3,368
4,171
2,091
-1,288***
-,971***
-,162
,276
,379
,850
1,817***
1,661***
1,744***
6,152
5,266
5,719
-2,86E-02
19,278***
19,758
19,177***
,972
2,4E+08
3,8E+08
2,1E+08
-,146
19,185***
20,000
18,676***
,864
2,1E+08
4,9E+08
1,3E+08
-,119
19,792***
19,845
19,666***
,888
3,9E+08
4,2E+08
3,5E+08
-8,7E-02
19,563
19,581
20,086
,917
3,1E+08
3,2E+08
5,3E+08
19,480***
2,9E+08
19,669***
3,5E+08
20,403***
7,3E+08
20,175
5,8E+08
-4,082***
3686,723
-2,699**
-3,304**
-5,431***
997,372 (,000)
0,411
50,4%
2026
a) La modalité de référence est : chômeur. b) * = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : Enquête secteur informel dans la région de Bejaia, 2012
Les déterminants de l’accès aux différents segments du marché du travail et particulièrement aux segments
du secteur informel reposent sur l’influence des variables relatives à la démographie et au niveau du capital
humain quant à l’accès au secteur informel.
3.1.1. Le rôle des variables sociodémographiques
Les variables sociodémographiques (genre, âge et situation matrimoniale des actifs) exercent une influence
quant à l’accès à tel ou tel segment du marché du travail. En effet, le fait d’être un homme accroit le
logarithme des chances de choix d’accéder au marché du travail comme indépendant dans le secteur
formel plutôt que de rester au chômage (les hommes ont 1,73 plus de chances relativement aux femmes).
L’âge augmente la probabilité de s’insérer sur le marché du travail (formel et informel) relativement aux
chômeurs. Les individus âgés ont plus de chances d’appartenir au secteur formel comme salariés plutôt
qu’au secteur informel comme salariés ou comme indépendants On note également que les individus âgés
ont plus de chances d’exercer comme indépendants que comme salariés dans le secteur informel.
Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’être marié augmente considérablement la probabilité d’accès à
un emploi particulièrement dans le secteur formel (salarié ou indépendant) relativement aux chômeurs. On
observe également que les individus mariés ont plus de chances d’accéder au statut de salarié ou
d’indépendant dans le secteur formel plutôt que de travailler comme salarié dans le secteur informel. Dans
le secteur informel, les individus mariés ont plus de chances de travailler comme indépendants que comme
salariés. Ainsi, les célibataires ont plus de chances de rester chômeurs ou de s’employer dans le secteur
informel particulièrement comme salariés plutôt que dans le secteur formel. Le fait que les individus
mariés aient plus de chances que les célibataires d’accéder au marché du travail (notamment formel) peut
s’expliquer par une recherche plus active d’emploi (via notamment les réseaux personnels et familiaux)
dictée par la nécessité de subvenir aux besoins de leur ménage.
3.1.2. Le rôle du capital humain
Le niveau du capital humain, approximé par la variable niveau d’instruction, joue un rôle important dans
l’accès aux segments formel et informel du marché du travail. Par rapport au niveau d’instruction le plus
élevé (niveau supérieur), le fait d’avoir un faible niveau d’instruction augmente la probabilité de s’insérer
sur le marché du travail informel particulièrement comme indépendant relativement aux chômeurs, d’une
part, et réduit le logarithme des chances de choix d’accès aux segments formels du marché du travail
d’autre part. Ainsi, lés individus ayant au plus un niveau d’instruction primaire ont 4 fois moins de chances
de travailler comme salarié ou indépendant dans le secteur formel par rapport aux chômeurs. Ces mêmes
8
individus ont respectivement 6,1 et 3,3 fois plus de chances de travailler comme indépendant et salarié
dans le secteur informel.
3.1.3. La mobilité socioprofessionnelle et le milieu de résidence
Le modèle estimé montre que la mobilité socioprofessionnelle agit positivement sur l’accès à l’emploi aussi
bien dans le secteur formel que dans le secteur informel. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’avoir
exercé un emploi antérieur notamment comme salarié dans le secteur formel accroit la probabilité de
trouver un emploi particulièrement comme indépendant dans le secteur formel, relativement aux
chômeurs. Enfin, le milieu de résidence (urbain ou rural) n’exerce aucune influence sur la probabilité
d’accès au marché du travail (formel ou informel).
3.2. Les déterminants de l’accès au secteur informel selon les équations partielles
Afin de vérifier les résultats obtenus pour l’ensemble des individus-salariés et indépendants- (équation de
l’offre de travail globale), nous avons estimé deux équations partielles, l’une spécifique aux indépendants
(447) et l’autre aux salariés (1112).
3.2.1. Les déterminants de l’accès à l’activité indépendante selon le logit multinomial
L’estimation des déterminants de l’accès à l’activité indépendante -formelle ou informelle- (tableau 5)
s’avère assez satisfaisante : χ2 significatif, pseudo R2 de 52,0% et taux de classification correcte 66,6%
attestent de la pertinence et du pouvoir explicatif et prédictif élevé du modèle. Elle confirme l’importance
des variables sociodémographiques (âge, situation matrimoniale et genre) et éducatives qui agissent de
façon significative sur la probabilité d’accéder à une activité indépendante dans le secteur formel ou
informel et qui a été mise en évidence par l’estimation précédente (équation de l’offre globale).
Tableau 5. Estimation logistique multinomiale des déterminants de l’accès à l’emploi indépendant formel et informel
Variables
Indépendant formel
Indépendant informel
B
Exp(B)
B
Exp(B)
Démographie
Sexe masculin
,462**
1,588
-,146
,864
Age
1,118*
1,125
,155**
1,168
(Age)2
-8,44E-04
,999
-1,65E-03**
,998
Marié
1,334***
3,798
,990***
2,690
Education
Sans-primaire
-1,257***
,285
1,879***
6,547
Moyen
-,884**
,413
1,759***
5,808
Secondaire
-,171
,842
1,748***
5,742
Emploi
Milieu urbain
-,290
,748
-,149
,861
Salarié formel
20,326***
6,7E+08
20,241
6,2E+08
Salarié informel
20,464***
7,7E+08
20,473
7,8E+08
Indépendant formel
20,026***
5,0E+08
20,668
9,5E+08
Indépendant informel
20,632***
9,1E+08
20,470
7,8E+08
Constante
-4,268***
-6,026***
-2 Log de vraisemblance
1101,483
χ2 (sig)
553,385 (,000)
Pseudo R2 (Nagelkerke)
,520
Cas correctement prédits (%)
66,6
N
914
a) La modalité de référence est : chômeur. b) * = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : Enquête secteur informel dans la région de Bejaia, 2012
3.2.2. Les déterminants de l’accès au salariat selon le logit multinomial
L’estimation du modèle logistique multinomial uniquement pour les (1112) salariés s’avère plus
satisfaisante : un χ2 significatif, ainsi que le taux de classification correcte (65%) montrent la pertinence et
la robustesse du pouvoir prédictif du modèle (pseudo R2-44,5- plus élevé). Elle confirme le rôle des
variables démographiques (âge et situation matrimoniale) et du niveau du capital humain dans l’accès au
statut de salarié dans le secteur informel (tableau 6).
Concernant l’âge, toutes choses égales par ailleurs, chaque année supplémentaire accroit la probabilité de
travailler comme salarié dans le secteur formel plutôt que de rester chômeur. Le fait d’être marié accroit
fortement la probabilité d’accéder au salariat formel plutôt que de rester chômeur ou d’exercer comme
salarié dans le secteur informel. Le fait d’avoir un faible niveau d’instruction réduit la probabilité d’accéder
au salariat formel et accroit la probabilité d’accéder au salariat informel. Les individus ayant au plus le
9
niveau primaire ont 3,2 fois plus de chances de travailler comme salariés dans le secteur informel
comparativement aux chômeurs. Comme pour les indépendants, le fait d’avoir exercé un emploi antérieur
comme salarié dans le secteur informel accroit la probabilité de retrouver un emploi comme salarié dans le
secteur formel (les chômeurs ont moins de chances de trouver un emploi).
Tableau 6. Estimation logistique multinomiale des déterminants de l’accès à l’emploi salarié formel et informel
Variables
Salarié formel
Salarié informel
B
Exp(B)
B
Exp(B)
Démographie
Sexe masculin
-,125
,882
9,751E-02
1,102
Age
,156**
1,169
-5,58E-03
,994
(Age)2
-1,15E-03
,999
3,263E-04
1,000
Marié
1,099***
3,001
,554**
1,740
Education
Sans-primaire
-1,544***
,214
1,186***
3,275
***
Moyen
-1,046
,351
1,381***
3,978
Secondaire
-,480*
,619
,714**
2,043
Emploi
Milieu urbain
,125
1,134
-,118
,888
Salarié formel
19,521
3,0E+08
19,377
2,6E+08
Salarié informel
19,945***
4,6E+08
20,096
5,3E+08
E
Indépendant formel
19,206
2,2 +08
18,637
1,2E+08
Indépendant informel
19,819***
4,0E+08
19,984
4,8E+08
Constante
-3,378***
-2,274**
-2 Log de vraisemblance
1680,066
χ2 (sig)
763,859 (,000)
Pseudo R2 (Nagelkerke)
,445
Cas correctement prédits (%)
65,0
N
1579
a) La modalité de référence est : chômeur. b) * = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : enquête secteur informel, 2012
4. Les déterminants des gains des salariés formels et informels
En se basant sur le modèle de Mincer (1958, 1974), nous pouvons identifier les déterminants des revenus
des salariés à travers l’estimation d’une fonction de gains. Le modèle standard de Mincer (1974) décrit
l’évolution du logarithme des salaires par une fonction de gains avec, comme variables explicatives, la
scolarité (le nombre d’années d’études initiales) et le nombre d’années d’expérience professionnelle
(encadré 1).
A cette spécification standard qui met en évidence les deux composantes principales du capital humain, en
tant que principaux déterminants de la productivité, on peut rajouter d’autres variables relatives à l’offre de
travail (sexe, âge, situation matrimoniale) et d’autres relatives à la demande de travail (secteur d’activité) et
à l’environnement (milieu urbain ou rural).
L’analyse en coupe instantanée porte sur l’échantillon de salariés du secteur privé (541) extrait de l’enquête
ménages de 2012. Cet échantillon est scindé en deux sous-échantillons : les salariés informels (263) et les
salariés formels (305) pour estimer deux fonctions de gains spécifiques.
Le modèle de gains consiste en un ensemble d’estimations du modèle de base de Mincer où la variable
dépendante est représentée par le logarithme du salaire mensuel des salariés et les variables indépendantes se
rapportent, outre les composantes du capital humain (éducation et expérience professionnelle), aux
caractéristiques individuelles de l’offre de travail (sexe, âge, situation matrimoniale…) et à celles de la
demande de travail (secteur d’activité) et du milieu (urbain/rural).
L’analyse est menée en deux temps. Nous avons d’abord estimé une fonction de gains réduite,
conformément au modèle de base de Mincer, où seules les deux variables caractérisant le capital humain
de l’individu sont prises en compte (l’éducation et l’expérience professionnelle, approximée ici par
l’ancienneté dans le travail). Ensuite, nous avons estimé une fonction de gains qui prend en considération
d’autres variables indépendantes, susceptibles d’influer sur la fonction de gains des salariés, comme le
genre, l’âge, la situation matrimoniale, le secteur d’activité et le type de milieu. Les résultats des tests
économétriques, pour les salariés informels et formels, sont présentés dans les tableaux ci-après.
10
4.1. Les déterminants des gains des salariés informels : investissement professionnel, âge et
secteur d’activité
L’estimation de la fonction de gains de l’échantillon de (263) salariés informels porte sur le logarithme du
salaire mensuel. Elle ne retient que deux variables (éducation, expérience professionnelle) conformément
au modèle élémentaire de Mincer (1974). La variable éducation (variable discrète) est segmentée selon le
nombre d’années d’études (sans instruction-primaire, moyen, secondaire, supérieur) et la variable
expérience professionnelle est approximée ici par l’ancienneté dans le travail et exprimée en nombre
d’années (tableau 7).
Le pouvoir explicatif du modèle est relativement faible (14,2%) en raison de la spécification élémentaire de
celui-ci. La variable éducation (niveau d’instruction) n’est pas significative et ne contribue donc pas à
l’amélioration des gains des salariés informels. En revanche, la variable expérience professionnelle est
significative. Une année de travail (et d’apprentissage) supplémentaire permet, en moyenne, d’améliorer le
salaire de 3,9%. Ceci est congruent avec le fait que les salariés qui exercent dans ce secteur disposent d’un
faible niveau d’instruction qu’ils compensent par l’apprentissage sur le tas.
Tableau 7. Estimation du modèle élémentaire de fonction de gains des salariés informels
Variables explicatives
Coefficient
Standard Error
t-Statistic
(estimé)
(variance du
(Student)
coefficient)
Constante
9.648810***
0.511938
18.84761
Sans instruction-primaire
-0.091777
0.510129
-0.179909
Moyen
-0.027503
0.505422
-0.054417
Secondaire
-0.032104
0.513572
-0.062511
Supérieur
-0.043900
0.492838
-0.089075
Expérience professionnelle
0.039042***
0.007472
5.225269
Expérience professionnelle2
-0.000643***
0.000189
-3.399219
R2
0.142224
R2 ajusté
0.122120
* = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Prob
(significativité)
0.0000
0.8574
0.9566
0.9502
0.9291
0.0000
0.0008
Source : nos calculs
Encadré 1. Le modèle élémentaire de la fonction de gains de Mincer
Le modèle élémentaire de la fonction de gains (Mincer, 1974) met en évidence l’importance du capital humain dans la
détermination des revenus des salariés. Il permet ainsi d’estimer les taux de rendement des deux principales composantes du
capital humain, l’éducation et l’expérience professionnelle.
Le modèle élémentaire retient tout d’abord l’effet de la scolarité (l’investissement éducatif) sur le revenu (équation 1). Il inclut, par
la suite, l’expérience professionnelle pour en estimer le rendement (équation 2) et une variable quadratique de l’expérience
professionnelle pour tenir compte de l’hypothèse de la décroissance de la productivité marginale de l’investissement professionnel
(équation 3).
Le modèle élémentaire se présente comme suit :
: salaire de l’individu (i) à la période (t)
: logarithme du salaire
: nombre d’années d’études passées dans le système éducatif par l’individu (i)
: rendement de l’investissement éducatif
: ensemble des éléments aléatoires intervenant dans la détermination du salaire
La contribution de l’investissement éducatif à l’accroissement du salaire de l’individu (ris) exprime de combien, en moyenne, une
année d’études augmente le salaire en %.
L’introduction de la deuxième composante du capital humain, l’expérience professionnelle de l’individu (les apprentissages réalisés
au cours de la vie active) aboutit à la formulation suivante de la fonction de gains :
: rendement de l’expérience professionnelle de l’individu i à la période t
La contribution de l’investissement professionnel à l’accroissement du salaire de l’individu à la période t (
) exprime de
combien, en moyenne, une année d’expérience augmente le salaire en %. L’hypothèse de décroissance de la productivité marginale
de l’investissement professionnel, lequel diminue avec l’âge, conduit à introduire une variable quadratique dans la fonction de
gains.
Source : Mincer (1974), composé par nos soins
L’introduction de nouvelles variables dans le modèle, relatives aux caractéristiques individuelles (âge, genre
et situation matrimoniale), à la demande de travail (secteur d’activité) et au type de milieu (urbain ou rural),
conformément à l’analyse de Mincer (1974), permet de mettre évidence l’influence d’autres variables sur la
11
fonction de gain des salariés informels (tableaux 8 et 9). Il s’agit des variables âge et du secteur d’activité (le
commerce).
Une année d’âge supplémentaire accroit, en moyenne, le salaire de 6,5%. De même, une année
supplémentaire d’ancienneté dans le travail permet d’améliorer le salaire de 1,6%. La variable genre ainsi
que la situation matrimoniale (marié ou célibataire) ne sont pas significatives. L’effet du secteur d’activité
est significatif : le fait de travailler dans le secteur du commerce permet d’augmenter les gains des salariés
informels de 19% par rapport aux autres secteurs.
Tableau 8. Estimation du modèle étendu de fonction de gains des salariés informels (offre et demande de travail)
Variables explicatives
Coefficient
Standard Error
t-Statistic
Prob
(estimé)
(variance du
(Student)
(significativité)
coefficient)
Constante
8.492539***
0.608242
13.96244
0.0000
Sans instruction-primaire
-0.011896
0.507828
-0.023424
0.9813
Moyen
0.062577
0.503518
0.124279
0.9012
Secondaire
0.040608
0.510697
0.079515
0.9367
Supérieur
0.030384
0.490896
0.061894
09507
Expérience professionnelle
0.016192**
0.005574
2.905037
0.0040
Age
0.065900***
0.015962
4.128565
0.0000
Age2
-0.000860***
0.000207
-4.160623
0.0000
Homme
0.040040
0.060636
0.660333
0.5096
R2
0.163782
R2 ajusté
0.137445
* = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : nos calculs
Tableau 9. Estimation du modèle étendu de fonction de gains des salariés informels (offre et demande de travail)
Variables explicatives
Coefficient
Standard Error
t-Statistic
Prob
(estimé)
(variance du
(Student)
(significativité)
coefficient)
Constante
9.834101***
0.533534
18.43201
0.0000
Sans instrution-primaire
-0.231722
0.535185
-0.432975
0.6654
Moyen
-0.130559
0.530260
-0.246217
0.8057
Secondaire
-0.192543
0.541026
-0.355885
0.7222
Supérieur
-0.170505
0.518524
-0.328827
0.7426
Expérience professionnelle
0.015353***
0.002886
5.320401
0.0000
Commerce
0.190148**
0.090075
2.111003
0.0358
Industrie
0.067415
0.141365
0.476885
0.6339
BTPH
0.013418
0.074330
0.180521
0.8569
R2
0.123540
R2 ajusté
0.095493
* = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : nos calculs
4.2. Les déterminants des gains des salariés formels : âge et ancienneté
L’estimation de la fonction de gains pour les (305) salariés formels permet d’identifier les principaux
déterminants des revenus de ces derniers (tableaux 10 et 11).
Le pouvoir explicatif du modèle élémentaire est médiocre : la prise en considération des deux variables du
capital humain (éducation et ancienneté) ne permet d’expliquer que 4,8% des différentiels de gains des
salariés du secteur formel. Seule la variable expérience professionnelle est significative. Ainsi, une année
supplémentaire dans le travail permet d’améliorer le salaire de 3,4%.
La prise en considération des autres variables (âge, genre, situation matrimoniale, secteur d’activité…)
permet d’améliorer légèrement la qualité du modèle (tableau 10). L’ensemble des estimations effectuées
mettent en évidence uniquement l’influence de l’âge ; les autres variables ne sont pas significatives. Une
année d’âge supplémentaire accroit, en moyenne, le salaire des salariés formels de 7,8%.
12
Tableau 10. Estimation du modèle élémentaire de fonction de gains des salariés informels
Variables explicatives
Coefficient
Standard Error
t-Statistic
(estimé)
(variance du
(Student)
coefficient)
Constante
9.486922***
0.588038
16.13317
Sans instruction-primaire
0.273595
0.586670
0.466353
Moyen
0.223023
0.584191
0.381764
Secondaire
0.298148
0.577600
0.516184
Supérieur
0.307879
0.578288
0.532398
Expérience professionnelle
0.034450***
0.009551
3.607087
Expérience professionnelle2
-0.000769***
0.000249
-3.089604
R2
0.048863
R2 ajusté
0.029713
* = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Prob
(significativité)
0.0000
0.6413
0.7029
0.6061
0.5948
0.0004
0.0022
Source : nos calculs
Tableau 11. Estimation du modèle étendu de fonction de gains des salariés informels (offre et demande de travail)
Variables explicatives
Coefficient
Standard Error
t-Statistic
Prob
(estimé)
(variance du
(Student)
(significativité)
coefficient)
Constante
8.086931***
0.734428
11.01120
0.0000
Sans instruction-primaire
0.262257
0.583839
0.449193
0.6536
Moyen
0.246099
0.581879
0.422939
0.6726
Secondaire
0.290682
0.574977
0.505554
0.6135
Supérieur
0.304504
0.575489
0.529123
0.5971
Expérience professionnelle
0.002001
0.006208
0.322353
0.7474
Age
0.078507***
0.021660
3.624532
0.0003
Age2
-0.000886***
0.000259
-3.413518
0.0007
R2
0.059984
R2 ajusté
0.037828
* = significatif à 10% ; ** = significatif à 5% ; *** = significatif à 1%
Source : nos calculs
Conclusion
L’analyse de régression logistique multinomiale a permis de mettre en évidence le rôle discriminant des
caractéristiques sociodémographiques et du capital humain des actifs dans l’accès à l’emploi dans le secteur
formel ou informel. Le fait d’être une femme réduit la probabilité d’accès à un emploi dans le secteur
formel particulièrement comme indépendante. La situation matrimoniale des actifs joue également un rôle
discriminant dans l’accès au marché du travail. Ainsi, le fait d’être célibataire accroit la probabilité de rester
chômeur ou de s’employer dans le secteur informel plutôt que dans le secteur formel. Les actifs mariés,
poussés par la nécessité de subvenir aux besoins de leur ménage, chercheraient de façon plus active un
emploi et ont de ce fait plus de chance d’en trouver un, de préférence dans le secteur formel où les
emplois sont généralement mieux protégés. L’âge agit de façon significative et positive sur la probabilité
d’accès à l’emploi dans le secteur formel plus que dans le secteur informel, relativement aux chômeurs. Le
niveau du capital humain des individus constitue également un facteur discriminant dans l’accès au secteur
formel ou informel. Le faible niveau d’instruction des actifs réduit la probabilité d’accéder à un emploi
dans le secteur formel et accroit sensiblement le logarithme des chances de choix d’accès au secteur
informel, particulièrement au segment auto-emploi. La mobilité socioprofessionnelle des actifs favorise
également l’accès des individus à un emploi dans le secteur formel notamment.
L’estimation de la fonction de gains pour les salariés informels mais aussi pour les salariés formels met en
évidence l’expérience professionnelle, l’âge et le secteur d’activité (commerce) comme déterminants de la
productivité des salariés informels. L’expérience professionnelle, qui compense la faiblesse du niveau
d’instruction des actifs informels, l’âge ainsi que l’appartenance au secteur du commerce contribuent à
l’amélioration des gains des salariés informels. Pour les salariés formels dont la fonction de gains estimée
est trop peu significative (le pouvoir explicatif du modèle est médiocre), deux variables (expérience
professionnelle et l’âge) constituent les facteurs essentiels des gains salariaux.
Les nettes différences en matière de capital humain et des profils sociodémographiques entre les actifs
formels et informels confortent la thèse de la segmentation du marché du travail (formel/informel). En
revanche, la segmentation au sein du secteur informel parait moins prononcée et accrédite globalement
l’idée d’un secteur informel de subsistance.
13
Références bibliographiques
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