Fonction de Weierstrass et séries d`Eisenstein

Transcription

Fonction de Weierstrass et séries d`Eisenstein
Fonction ℘ de Weierstrass
et séries d’Eisenstein
Benoı̂t Pointet, [email protected]
October 4, 2007
0.1
Motivations
Nous avons, dans l’exposé précédent, découvert les fonctions (complexes)
double-périodiques et elliptiques. Or nous n’avons pas encore rencontré beaucoup de fonctions elliptiques ! Nous allons donc finir d’en produire une, la
fonction ℘ de Weierstrass, puis en étudier certaines propriétés et composants
remarquables, ce qui nous mènera à nous intéresser à une famille de fonctions
sur le réseau de périodes seul, les séries d’Eisenstein, et à leurs propriétés.
Nous découvrirons alors le discriminant ∆ et la fonction de Klein J. Finalement, le développement de Fourier de ces fonctions nous mènera à d’étonnantes
rencontres arithmétiques, alors que nous pensions naviguer en pleine analyse
fonctionelle.
1
La fonction ℘ (pé) de Weierstrass
Nous avons étudié dans l’exposé précédent la fonction
f (z) =
X
ω∈Ω
1
(z − ω)3
;
Ω = Zω1 + Zω2
(1)
qui est elliptique de périodes ω1 , ω2 et possède un pôle d’ordre 3 en chaque
ω = mω1 + nω2 . f est proche de la fonction elliptique avec double pôle d’ordre
2 recherchée par Weierstrass. On la transforme (et intègre) pour obtenir une
série aux propriétés voulues, la fonction ℘ de Weierstrass pour le réseau Ω :
X 1
1
1
℘(z) = 2 +
− 2
(2)
z
(z − ω)2
ω
ω∈Ω,ω6=0
Théorème :
La fonction ℘ possède les propriétés suivantes:
1. ℘ est une fonction paire,
2. ℘ est de périodes ω1 , ω2 ,
3. ℘ est analytique sauf en chaque période ω, pôle d’ordre 2.
1
2
SÉRIES D’EISENSTEIN, INVARIANTS G2 , G3 , ET ∆
2
Preuve (idée) : La parité est quasi-évidente car la sommation se fait sur
l’ensemble du réseau (infini), et l’ensemble des différences z − Ω est en bijection
avec −z − Ω. Si l’on dérive ℘(z) on obtient −2f (z), qui possède les périodes
ω1 , ω2 ; ℘(z) est donc également de période ω1 , ω2 . L’analyticité découle d’un
lemme présenté précédemment.
1.1
℘ et les fonctions elliptiques pour un réseau Ω
L’ensemble des fonctions elliptiques paires pour un réseau donné forme un
corps, où de par sa construction quasi-canonique, ℘ joue un rôle de “générateur”
à partir duquel on construit des fonctions elliptiques de mêmes périodes.
Propositions :
1. Toute fonction elliptique paire g est une fonction rationnelle de ℘, t.q. les
périodes de ℘ sont comprises dans celles de g.
2. Toute fonction elliptique h peut être écrite sous la forme
h(z) = R1 [℘(z)] + ℘0 (z)R2 [℘(z)]
(3)
où R1 et R2 sont des fonctions rationelles; h de mêmes périodes que ℘.
Preuves in [FB, p.271]
1.2
Développement de Laurent de ℘ autour de l’origine
Soit :
r = min{|ω|; ω ∈ Ω; ω 6= 0}
Dr = {z ∈ C; |z| < r}, dans lequel ℘(z) est holomorphe.
Alors : ∀z ∈ Dr , z 6= 0 ,
∞
℘(z) =
X
1
+
(2n + 1)z 2n G2n+2
z 2 n=1
(4)
où Gl est une série d’Eisenstein (déf. ci-dessous).
Preuve (idée) : Développer (z − ω)−2 en série entière (indice n), que
l’on permute avec la sommation sur Ω, et utiliser la parité de ℘.
2
Séries d’Eisenstein, invariants g2 , g3 , et ∆
Le développement de Laurent de ℘ fait apparaı̂tre clairement l’importance des
facteurs G2n+2 qui jouent un rôle de pondération déterminant pour la convergence de la série. Observons-les de plus près :
2.1
Séries d’Eisenstein et invariants g2 , g3
∀l > 2, la série
Gl :=
X 1
=
ωl
ω6=0
X
(m,n)∈Z2 \0
1
(mω1 + nω2 )l
(5)
2
SÉRIES D’EISENSTEIN, INVARIANTS G2 , G3 , ET ∆
3
est appelée série d’Eisenstein d’ordre l du réseau Ω; elle converge absolument.
Preuve par un lemme précédent.
Définissons deux séries d’Eisenstein importantes :
g2 = 60G4
;
g3 = 140G6
(6)
sont les invariants liés à Ω.
Les invariants proviennent de la différentiation du développement de Laurent de
℘ autour de 0, qui nous livre par ailleurs une équation différentielle particulière:
2.2
Equation différentielle algébrique de ℘
Théorème : ℘ est solution de l’équation différentielle :
℘0 (z)2 = 4℘3 (z) − g2 ℘(z) − g3
(7)
Preuve (idée) : Depuis la forme de Laurent (4) de ℘(z), on calcul ℘0 (z)2 −
℘3 (z), qui ne possède plus de pôle en 0 ni dans un parallalélogramme de périodes,
et est donc constante.
2.3
Discriminant ∆
Considérons le membre de droite de l’équation différentielle comme un polynôme
cubique : 4℘3 − g2 ℘ − g3 . Il possède alors des racines distinctes ssi son discriminant ∆ est non-nul, avec
∆ = g2 3 − 27g3 2
2.4
(8)
Valeurs aux demi-périodes : e1 , e2 , e3
Nommons e1 , e2 , e3 les valeurs de ℘ aux demi-périodes :
e1 = ℘(
ω1
) ,
2
e2 = ℘(
ω2
) ,
2
e3 = ℘(
ω1 + ω2
)
2
(9)
Théorème :
1. e1 , e2 , e3 sont les racines de ℘0 (z), i.e. ∀z ∈ C
℘0 (z)2 = 4℘3 (z) − g2 ℘(z) − g3 = 4(℘(z) − e1 )(℘(z) − e2 )(℘(z) − e3 )
(10)
2. Les valeurs aux demi-périodes e1 , e2 , e3 sont distinctes (i.e. ∆ 6= 0)
Idée de preuve : ℘ est paire, ℘0 est donc impaire, et de mêmes périodes que ℘;
donc les demi-périodes sont soit des pôles soit des zéros de ℘0 . Or ℘0 ne possède
pas de pôles aux demi-périodes, donc ce sont des zéros. On s’intéresse alors aux
fonctions ℘(z) − ei dont le comportement aux demi-périodes garantit que les
trois valeurs e1 , e2 , e3 sont distinctes, donc que le polynôme cubique possède
des zéros distincts, i.e. ∆ 6= 0 .
3
FONCTION J DE KLEIN
2.5
4
homogénéité
Toute série d’Eisenstein Gl peut être vue comme une fonction de (ω1 , ω2 ) :
Gl (ω1 , ω2 ), et donc aussi g2 (ω1 , ω2 ), g3 (ω1 , ω2 ), et ∆(ω1 , ω2 ) .
Il est facile de voir que g2 , g3 et ∆ sont des fonctions homogènes de degrés -4,
resp -6 et -12, i.e. ∀λ ∈ C∗ :
g2 (λω1 , λω2 ) = λ−4 g2 (ω1 , ω2 )
(11)
g3 (λω1 , λω2 ) = λ−6 g3 (ω1 , ω2 )
(12)
∆(λω1 , λω2 ) = λ
3
−12
∆(ω1 , ω2 )
(13)
Fonction J de Klein
Définition : la fonction J de Klein est donnée par
J(ω1 , ω2 ) :=
g2 3 (ω1 , ω2 )
∆(ω1 , ω2 )
,
ω2 /ω1 ∈ C \ R
(14)
C’est une fonction rationnelle homogène de degré 0 : J(λω1 , λω2 ) = J(ω1 , ω2 )
4
Passage au demi-plan supérieur
L’homogénéité nous permet d’opérer le passage à un seul argument complexe,
le rapport des périodes τ := ω2 /ω1 . Nous nous restreindrons par convention à
des couples de périodes (ω1 , ω2 ) de rapport τ avec im(τ ) > 0 i.e. τ ∈ H, où H
est l’hémisphère supérieur du plan de Gauss.
g2 (τ ) := g2 (1, τ ) = g2 (
1
1
ω1 , ω2 ) = ω1 4 g2 (ω1 , ω2 )
ω1
ω1
g3 (τ ) := ... = ω1 6 g3 (ω1 , ω2 )
12
(15)
(16)
∆(τ ) := ... = ω1 ∆(ω1 , ω2 )
(17)
J(τ ) := J(τ, 1) = J(ω1 , ω2 )
(18)
Toute série d’Eisenstein passée au plan supérieur est une fonction de τ de période
1 , de la forme suivante :
Gl (τ ) =
X
(m,n)∈Z2 \0
4.1
1
(m + nτ )l
,
l>2
(19)
Invariance de J(τ ) par transformation unimodulaire
On a vu que si (ω1 , ω2 ) est de rapport non-réel, alors ce couple de périodes est
équivalent à tout couple (ω10 , ω20 ), en particulier si
0 a b
ω2
ω2
∃A =
∈ SL(2, Z), t.q.
=
A
(20)
c d
ω10
ω1
5
DÉVELOPPEMENTS DE FOURIER
5
i.e. (ω1 , ω2 ) et (ω10 , ω20 ) génèrent le même ensemble de périodes Ω, et donc
g2,3 (ω10 , ω20 ) = g2,3 (ω1 , ω2 ), ∆(ω10 , ω20 ) = ∆(ω1 , ω2 ), J(ω10 , ω20 ) = J(ω1 , ω2 ).
Soit :
τ0 =
aτ + b
cτ + d
;
ad − bc = 1; im(τ 0 ) > 0; a, b, c, d ∈ Z
(21)
Alors :
J(τ 0 ) = J(
aτ + b
cτ + d
= J(τ )
(22)
i.e. J est invariante par transformation unimodulaire. L’ensemble de ces
transformations forment le groupe modulaire.
1τ +1
= J(τ ), et
De cela, on obtient facilement que J(τ + 1) = J( 0τ
+1
donc que J(τ ) est de période 1. J(τ ) est notre premier specimen de fonction
modulaire.
4.2
Analyticité dans H
Théorème:
Les fonctions g2 (τ ), g3 (τ ), ∆(τ ) et J(τ ) sont analytiques dans H.
Preuve (Esquisse): L’analycité de ∆(τ ) et J(τ ) découle de celle de
g2 (τ ) et g3 (τ ). Il suffit donc de prouver la convergence absolue dans H des
séries qui définissent g2 (τ ) et g3 (τ ), et qui sont de la forme (19). Preuve
analogue à celle du Lemme 1, Exposé 1.
5
Développements de Fourier
g2 (τ ), g3 (τ ), ∆(τ ) et J(τ ) étant des fonctions de τ ∈ H périodiques de
période 1, ll est intéressant d’en produire une expression “simple” en série de
Fourier. L’analyse des coefficients entiers obtenus révèle alors quelques surprises
arithmétiques.
5.1
Série de Fourier de J(τ )
Théorème: J(τ ) possède une représentation en série de Fourier absolument
convergente :
J(τ ) =
∞
X
an e2πinτ
(23)
n=−∞
Preuve (Idée): Par le changement de variable x = e2πiτ on transforme H en
le disque unité pointé D \ 0 dans lequel tout x possède une infinité de préimages
dans H. On vérifie que f (x) := J(τ ) est analytique dans D \ 0 et on produit son
développement de Laurent, avant de rechanger de variable.
5
DÉVELOPPEMENTS DE FOURIER
5.2
6
Développements de Fourier de g2 et g3
En préparation, calculons le développement de Fourier pour les simples
sommations sur m (fixant n) :
Lemme : ∀τ ∈ H, n > 0
∞
X
∞
8π 4 X 3 2πirnτ
1
=
r e
(m + nτ )4
3 r=1
m=−∞
(24)
∞
8π 6 X 5 2πirnτ
1
=
r e
(m + nτ )6
15 r=1
m=−∞
(25)
∞
X
Preuve (idée) : La preuve est bien sûr similaire pour les deux invariants. On
passe vers D la fonction πcot(πτ ), dont on connaı̂t la décomposition partielle.
Ce changement de variable fait apparaı̂tre une série que l’on dérive jusqu’au
degré nécessaire (3 pour g2 , 5 pour g3 ) ... puis on effectue un passage de τ à
nτ .
Théorème :
4π 4
g2 (τ ) =
3
8π 6
g3 (τ ) =
27
où σα (k) =
P
d|k
1 + 240
∞
X
!
σ3 (k)e
2πikτ
(26)
k=1
1 − 504
∞
X
!
σ5 (k)e2πikτ
(27)
k=1
dα , α ∈ N
Preuve (idée) : On utilise les résultats du lemme pour transformer la
double sommation, que l’on oriente (par symétrie des termes) vers une double
sommation à indices positifs.
5.3
Développements de Fourier de ∆ et J
Théorème :
12
∆(τ ) = (2π)
∞
X
τ (n)e2πinτ
(28)
n=1
123 J(τ ) = e−2πiτ + 744 +
∞
X
c(n)e2πinτ
(29)
n=1
où τ (n) est la fonction tau de Ramanujan, abordée plus tard dans ce proséminaire, et c(n) une fonction de comptage vers Z.
Preuves in [A, pp. 20-21].

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