21 L`APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONTRÔLE FISCAL Marc

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21 L`APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONTRÔLE FISCAL Marc
L’approche sociologique du contrôle fiscal
L’APPROCHE SOCIOLOGIQUE
DU CONTRÔLE FISCAL
Marc LEROY
Professeur de sociologie
Directeur des études du CRDT
(GIS-GRALE/CNRS)
La sociologie fiscale a pour objet l’étude de l’impôt dans sa
relation à l’Etat et à la société. Elle consiste à théoriser les faits
fiscaux comme faits sociaux dans le cadre des problématiques
générales des sciences sociales. Elle propose un questionnement
politique de la société. La sociologie de l’impôt est née après la
seconde guerre mondiale (Goldscheid, éd. 1967 ; Mann, 1943 ;
Raynaud, 1947 ; Schumpeter, éd. 1984…), elle dispose d’un corpus de
recherches significatif, surtout si l’on adopte une définition large de la
discipline (Leroy, 2003a) en incluant les travaux de science politique,
de psychologie et de psychologie sociale, d’histoire. Elle bénéficie
d’une bonne visibilité institutionnelle dans les travaux anglo-saxons
(Lewis, 1982 ; Campbell, 1993, Blount, 2000) et s’épanouit
doucement en France (Ardant, 1965 ; Dubergé, 1962 ; Leroy, 2002),
en Allemagne (Schmölders, 1973 ; Backhaus, 2002).
Dans cette perspective :
- l’étude des réformes fiscales renvoie à la question des
variables et des modèles théoriques du changement social,
- la fraude fiscale est considérée comme une catégorie de
déviance,
- la révolte fiscale s’inscrit dans le paradigme de l’action
collective,
- la décision du contribuable est analysée par un modèle
général de la rationalité,
- l’élaboration de la politique fiscale est interprétée à partir des
fonctions sociologiques de l’impôt,
- l’acceptation sociale de l’impôt est rapportée à la légitimité
de l’Etat et de l’action publique…
Pour construire ses modèles, la sociologie fiscale utilise des
données empiriques issues des documentations officielles (notamment
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
de l’administration), des études juridiques et économiques, et bien sûr
des matériaux produits par la sociologie, la science politique, l’histoire
et la psychologie. Appliquée au contrôle fiscal, cette approche se
structure comme sociologie juridique, comme sociologie de
l’organisation du travail administratif et comme sociologie politique
de l’Etat fiscal.
I- LA SOCIOLOGIE JURIDIQUE DU CONTROLE FISCAL
Pour la sociologie du droit, le contrôle du respect des
obligations fiscales pose la question des mécanismes sociaux de la
qualification de la fraude par les autorités publiques, dans le cadre de
la procédure fiscale qui fait l’objet d’une dialectique de pouvoir entre
les divers antagonistes et qui suscite diverses représentations
« collectives ».
A- L’étiquetage de la fraude fiscale
J’ai élaboré une typologie générale de la déviance fiscale
(Leroy, 2003b), inspirée de la théorie de la déviance du sociologue
Becker (1985, p.220) pour montrer le lien avec le droit fiscal.
Quelques observations sont à rappeler ici. Plus le droit est complexe,
plus il laisse de possibilités aux acteurs du jeu de la déviance fiscale, à
savoir : les contribuables favorisés pour construire des montages
d’évitement de l’impôt qu’ils défendent comme catégorie d’évasion
légale ; l’administration pour étiqueter les décisions fiscales dans la
catégorie de fraude. Le jeu consiste pour ces acteurs à faire bouger les
frontières entre le légal et l’illégal, à la fois au stade de l’élaboration
de la loi fiscale, et, ce qui intéresse particulièrement notre sujet, dans
le cadre des vérifications fiscales.
Le problème est celui des « non acteurs », ceux qui ne font pas
de montage, mais se retrouvent labellisés, étiquetés comme fraudeurs.
L’erreur est sociologiquement désastreuse pour la légitimité de
l’impôt, car elle accroît l’idée d’un arbitraire administratif.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
Décision con- Décision
tribuable
Autorité
Montage pour éviter l’impôt
Pas de montage
Légal
Illégal
EVASION
FRAUDE
CONFORMISME
ERREUR
L’interventionnisme fiscal encourage le jeu d’étiquetage en
proposant des incitations fiscales, notamment dans le cadre d’une
concurrence accrue entre les Etats (BACCOUCHE, 2006). L’impôt est
utilisé comme instrument de politiques publiques pour des motifs
économiques, sociaux, territoriaux. Les grandes fonctions de la
politique fiscale sont diluées, brouillées, fragmentées dans cette
logique où l’électoralisme et le poids des groupes de pression
interviennent aussi. La conséquence est de favoriser structurellement
le jeu d’étiquetage de la déviance fiscale entre l’administration et les
milieux socio-économiques favorisés. Ainsi, les conseils poussent à
l’optimisation fiscale, tandis que l’administration tend à interpréter
restrictivement la portée des niches fiscales, ce qui conduit à la
dialectique de la procédure fiscale.
B- La procédure fiscale comme dialectique de pouvoir
Le droit fiscal est le terrain d’une dialectique de pouvoir qui
oppose les stratégies de l’administration à divers groupes de la société.
Cette dialectique engendre des équilibres sociaux, variables selon les
époques et les pays, entre les pouvoirs d’investigation de
l’administration et les garanties du contribuable. Elle dépend, d’un
côté, de la demande de l’administration pour accroître ses pouvoirs
d’information, d’investigation et de contrôle, sans susciter de réactions
susceptibles de diminuer ses prérogatives ; de l’autre côté, du
mouvement d’amélioration des garanties du contribuable. Ce second
mouvement est souvent juridiquement, politiquement justifié dans ses
principes : garantir les droits du contribuable, c’est œuvrer aux droits
de l’homme et du citoyen.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
Pour certains pays, la balance penche nettement du côté de
l’administration1. Il est à noter que ce déséquilibre dépend du droit et
de la pratique2, l’administration peut aussi utiliser ses pouvoirs sans
discernement, parfois même de manière arbitraire. Dans beaucoup de
pays la lutte est incessante avec des modifications dans le sens d’un
accroissement des pouvoirs de l’administration, et dans le sens opposé
d’une amélioration des garanties. Par exemple, en France, la grande
réforme des années 1986 de la procédure fiscale a amélioré les
garanties du contribuable. A l’inverse, la validation législative des
positions de l’administration est une pratique courante3 qui porte
atteinte à la sécurité juridique du contribuable.
Il faut ensuite regarder sociologiquement quels sont les
groupes sociaux qui sont les mieux protégés ou les mieux à même
d’utiliser les droits et garanties du contribuable. Ici, le déséquilibre est,
à mon sens, manifeste au profit des entreprises et des classes les plus
riches. Les garanties visent surtout le contrôle fiscal sur place, c’est-àdire la vérification de comptabilité et la vérification des personnes
physiques (examen contradictoire de situation fiscale personnelle) qui
cible normalement les revenus importants4. Les contribuables
ordinaires font l’objet d’un contrôle sur pièces avec des garanties
moindres qu’ils ne savent pas utiliser et, en général, ne peuvent pas
économiquement recourir aux services d’un avocat fiscal.
En France, cette dialectique conduit paradoxalement
l’administration à instaurer des garanties au-delà de la loi ou, parfois,
à adopter une attitude de dialogue5. Toutefois, il ne s’agit pas de
1
2
3
4
5
Pour le cas de la Tunisie, cf. l’intervention du professeur Néji BACCOUCHE.
Cf. le cas de la Russie, à travers les publications sous ma direction des colloques
du programme TEMPUS.
Par exemple, en matière de vérification des personnes physiques, le Conseil
d’Etat estimait qu’un non-résident ne devait pas être vérifié3, mais la loi de
finances rectificative pour 1996 est revenue sur cette position.
L’organisation des services scinde aussi la fiscalité des entreprises, et même des
grandes entreprises qui disposent de leurs propres services, la fiscalité des
professions libérales, et celle des salariés : la négociation est facilitée pour les
entreprises et les plus privilégiés.
C’est la thèse de DRIE (J.C.), Procédures de contrôle fiscal. La voie de
l’équilibre, Paris, L’Harmattan, 2005. Par exemple, en matière d’impôts
locaux, l’administration applique une sorte de procédure contradictoire sans y
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
bienveillance, mais d’une volonté de faire accepter les redressements
pour éviter des contentieux, et, plus généralement, des réactions
susceptibles de limiter les pouvoirs juridiques de l’administration ou
de remettre en cause sa maîtrise de la décision. Ainsi, la création du
conciliateur fiscal français par l’administration peut s’interpréter
comme un moyen d’éviter l’intervention, réclamée par une partie de la
doctrine, d’un médiateur fiscal indépendant6. L’administration tend,
pour l’instant, à considérer la conciliation comme une étape du
contrôle ou de la procédure contentieuse, ce qui illustre l’importance
des représentations des acteurs.
C- La procédure fiscale comme représentation sociale
Diverses représentations sociales de la procédure fiscale, c’està-dire des conceptions partagées par un ou plusieurs groupes sociaux,
existent. La sociologie insiste sur l’importance des représentations
dominantes dans la sphère publique, notamment dans l’administration,
dont les principales s’appuient sur les propositions suivantes :
- Les droits et garanties du contribuable encouragent les
fraudeurs, surtout les riches qui peuvent se payer les services
d’avocats pour faire obstacle à l’action de l’administration. C’est le
cas au Brésil où une bonne partie des inspecteurs des impôts partage
cette représentation. Dans cette jeune démocratie (20 ans), il n’existe
pas de corpus spécifique des droits et garanties du contribuable.
- Une variante à la proposition précédente existe : les garanties
du contribuable ne sont pas prioritaires. Par exemple, les autorités en
Russie ont estimé que l’élaboration d’un code fiscal adapté à
l’économie de Marché devait d’abord traiter le problème prioritaire de
la collecte de l’impôt (assurer des recettes au trésor public), avant de
se préoccuper des droits du contribuable. Cette représentation est née
6
être obligée par les textes ; dans les procédures d’office, les arguments du
contribuable sont pris en compte ; ou bien encore, pour citer une mesure
récente, l’administration a instauré un conciliateur fiscal en matière de contrôle
sur pièces que le contribuable peut saisir à tout moment de la procédure.
Il est significatif que le conciliateur désigné soit, dans un certain nombre de cas,
le directeur départemental du contrôle fiscal et du contentieux, dont la fonction
est plutôt de défendre la position des services. La conciliation peut maintenir la
position du service d’assiette et de contrôle par rapport au contribuable en
utilisant par exemple la substitution de bases légales ou de motifs.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
dans un contexte de transition économique (crise financière) et de
mouvements mafieux. Les pouvoirs « musclés » de la police fiscale,
jusqu’à sa dissolution officielle en 2003, illustrent dans le domaine
organisationnel cette représentation.
- Une autre représentation prend la forme d’une norme
organisationnelle de type « attention aux vices de procédure », norme
qui est bien exploitée par certains avocats… C’est le cas de la France.
Pourtant (Baylac, 2002), le formalisme de contrainte, lié aux
obligations déclaratives et à la nécessité de répondre aux demandes de
l’administration, apparaît rigoureusement sanctionné, à la fois dans les
textes et par le juge, alors que le formalisme de protection, qui
concerne les droits et garanties du contribuable, a une portée relative7.
Sociologiquement, cette peur du vice de forme, souvent traquée par
les conseils, incite l’administration à négocier.
- La variante à cette idée est la suivante : si on améliore les
garanties du contribuable8, on accentue la complexité et donc la
fraude, car elle est source de vices de procédures utilisés par les
avocats sollicités par les contribuables favorisés.
- les garanties du contribuable vérifié constituent un élément
du corpus juridique des droits de l’homme et du citoyen ; cette
représentation, qui est, sur le plan des principes, celle d’un certain
nombre d’universitaires et de spécialistes, suscite néanmoins des
débats et controverses par rapport à son contenu concret et à sa portée
juridique. Un certain nombre de spécialistes admet que cette
représentation soit en retrait par rapport aux garanties liées à la
procédure pénale.
En France, l’analyse sociologique de la contrainte de
rendement négocié complète l’analyse juridique traditionnelle de
l’équilibre formel entre les pouvoirs de l’administration et les
garanties du contribuable (Lambert, 2003). Le pouvoir de négociation
7
8
Il suffit de voir le caractère variable, et parfois très restreint, de la sanction
prononcée par le juge à l’encontre de l’administration en cas de vice de forme
ou de procédure.
Exemple français : si la Commission des Infractions Fiscales (CIF)
communique le dossier transmis par l’administration au contribuable ou à son
conseil, et rend plus explicite les critères de poursuites.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
des groupes sociaux et la capacité stratégique d’utilisation de la
procédure fiscale ne sont pas identiques pour tous, sachant que la
possibilité économique et/ou culturelle de recourir à un conseil fiscal
n’est pas équitablement distribuée dans les catégories sociales. Le rôle
du juge est essentiel pour équilibrer l’action de l’administration9. Mais
quand le juge est rarement saisi, comme dans le cas du contrôle sur
pièces des contribuables ordinaires, le risque d’un déséquilibre est
d’autant plus probable que le cadre juridique (demandes de
renseignements) n’est pas contraignant. L’erreur d’appréciation de
l’administration est d’autant plus à craindre que la logique
organisationnelle pousse au rendement du contrôle fiscal.
II- LA SOCIOLOGIE DE L’ORGANISATION DU CONTROLE
FISCAL
Le contrôle fiscal met en œuvre une décision administrative
qu’il convient de caractériser en tant que bureaucratie travaillant selon
des méthodes qui, aujourd’hui, s’inscrivent dans un mouvement
généralisé de performance de la gestion.
A- Le modèle de la bureaucratie fiscale
Mes premiers travaux de sociologie fiscale portent sur le
fonctionnement du contrôle fiscal comme bureaucratie. L’approche est
appelée cognitive car elle consiste à étudier la manière dont les acteurs
du système décisionnel traitent les informations, construisent leur
jugement, élaborent leurs connaissances. Appliquée à la France dans
le cas des vérifications de comptabilité des entreprises, ces travaux
montrent que la décision administrative dans le contrôle fiscal
constitue un modèle original de bureaucratie (Leroy, 1993, 1994,
2002, p. 38 - 42).
Le vérificateur fiscal est au cœur de la logique organisationnelle qui relève d’un compromis entre le rendement statistique et la
négociation. Il exerce un métier, au sens sociologique du terme, qui
fait l’objet d’un contrôle des résultats et non de l’action. Le
vérificateur maîtrise largement le processus de contrôle fiscal sur
9
Par exemple, la procédure de visite et de saisie fait l’objet d’un encadrement
strict qui limite les risques d’atteinte arbitraire à la vie privée lors des
perquisitions.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
place : il intervient seul dans l’entreprise10 et dispose d’une
compétence d’expertise qui lui donne une indépendance certaine par
rapport à la hiérarchie.
Le vérificateur est soumis à une course au rendement
statistique, à « la fiche » : il doit rendre à sa hiérarchie un nombre
précis d’affaires (12 contrôles annuels) avec un montant annuel moyen
de redressements significatif. Cette « loi » du rendement apparaît plus
importante que les autres enjeux comme la qualité du contrôle, le
nombre de contentieux, la répression pénale de la fraude, la fréquence
des dossiers rendus.
La mesure de l’action de la bureaucratie par les statistiques met
dans le même panier des situations très différentes : l’erreur, la
violation intentionnelle de la loi, l’abus de droit, le non-respect de
conditions de forme et de fond, le transfert de bénéfices… ; elle
additionne des fraudes importantes et/ou graves à des manquements
peu conséquents ; elle se préoccupe peu du recouvrement réel des
impôts redressés et des dégrèvements prononcés au contentieux.
La négociation complète la logique organisationnelle de
rendement du contrôle fiscal. Il s’agit d’éviter la multiplication des
conflits et de gérer les réactions des contribuables qui pourraient
remettre en cause les pouvoirs de l’administration. Un vérificateur
doit savoir faire accepter ses redressements et ne pas faire l’objet d’un
contentieux systématique pour ne pas soulever le doute sur sa
compétence et pour ne pas gaspiller son temps11. Les tactiques de
négociation sont diverses. Par exemple, le vérificateur majore ses
redressements pour mieux négocier l’accord avec l’entreprise vérifiée,
en abandonnant ensuite une partie des rappels ou des pénalités.
10
11
Le vérificateur est dans une position d’échange sociologique avec la hiérarchie
organisationnelle. Il se soumet à la contrainte de rendement mais voit son
expertise et sa liberté d’organisation de son travail reconnues. Il maîtrise les
informations et les résultats qui en découlent, tandis que son supérieur privilégie
son rôle d’animation sur son rôle hiérarchique qui peut se manifester néanmoins
par la notation et/ou l’évaluation…
Le contentieux est lourd à instruire et un vérificateur doit aussi conserver du
temps pour les opérations de contrôle, de formation, de rédaction des rapports
et… pour sa vie personnelle.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
Ces caractéristiques empiriques conduisent à deux leçons. La
première concerne la science sociale de l’impôt. Le contrôle fiscal ne
correspond pas aux théories classiques de la bureaucratie12. Ainsi, le
modèle classique de la bureaucratie à la française de M. Crozier
(1963, 1987, p.98) s’applique mal au cas du contrôle fiscal français.
Ce modèle comporte quatre caractéristiques générales13 et un trait
culturel spécifiquement français : l’impersonnalité des règles, la
centralisation des décisions, l’isolement de chaque catégorie
hiérarchique et la pression du groupe sur l’individu, le développement
de relations de pouvoir parallèles, la peur des relations face à face. Or,
la décision dans le contrôle fiscal dépend plus de la négociation entre
le vérificateur et le contribuable que de la hiérarchie; les règles sont
adaptées au cas rencontré ; une forme d’évaluation existe par la
mesure du rendement statistique ; le vérificateur opère sur place face
au chef d’entreprise et à son conseil et jouit d’une image d’expert.
La seconde leçon concerne l’efficacité du contrôle fiscal
comme politique publique. La logique des statistiques constitue une
dérive organisationnelle : a) par rapport au droit qui suppose
d’appliquer strictement les règles du droit fiscal sans chercher à
produire à tout prix des redressements ; b) par rapport à l’éthique et à
la gestion managériale qui suppose de cibler l’action administrative
sur la lutte contre la fraude importante et d’éviter les erreurs (qui sont
structurellement encouragées par cette logique de rendement). Ces
aspects participent aussi à l’égalité devant l’impôt, principe politique,
juridiquement reconnu, qui est une des bases sociologiques de la
légitimité du prélèvement.
Néanmoins, cette organisation évite assez bien les réactions
antifiscales des contribuables, notamment par la négociation avec les
milieux économiques ; elle est suffisante pour justifier l’action de
l’administration auprès des autorités en produisant des statistiques
globales « satisfaisantes » pour l’opinion publique. L’administration
12
13
On trouve quelques éléments structurels de la bureaucratie de Weber, ou de
Fayol, mais sans pouvoir rendre compte des spécificités de l’organisation du
contrôle fiscal.
En cela, c’est un modèle général d’organisation bureaucratique applicable aux
autres pays.
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L’approche sociologique du contrôle fiscal
conserve ainsi son autonomie et ses pouvoirs dans la décision et les
méthodes de travail.
B- Les méthodes de travail
L’organisation formelle du travail de vérification est bien
entendu importante, mais la sociologie de l’organisation étudie aussi
la représentation organisationnelle du problème de la lutte contre la
fraude.
Concernant l’organisation formelle du travail, le nombre
d’agents, leur formation, les moyens, les méthodes de programmation,
le portefeuille des services (répartition des agents et compétence
territoriale et matérielle), les modalités d’intervention (seul ou en
groupe), le poids du contrôle sur pièces, etc., sont des facteurs
structurants. Ces éléments formels varient d’un pays à l’autre, mais
dépendent désormais partout de la capacité informatique.
Les Technologies de l’Information et de la Communication
permettent de stocker et de traiter des données nombreuses sur le
contribuable pour sélectionner les contrôles à réaliser. L’efficacité du
contrôle fiscal pousse à établir des connexions informatiques avec les
fichiers bancaires, les données de la sécurité sociale, avec la carte
d’identité et le passeport (recoupement des déplacements), etc. Le Big
Brother orwellien n’est plus une fiction, si l’on suit les progrès des
nanotechnologies qui rendent concevable la fabrication de puces
électroniques à implanter sur chaque citoyen au nom de la sécurité
publique pour suivre ses faits et gestes14…
La représentation organisationnelle du problème de la fraude est
essentielle, sachant que les facteurs de temps et de rendement tendent
à déformer le déroulement objectif de la vérification. Il s’agit alors,
selon cette représentation organisationnelle, de privilégier les
informations qui conduisent à des redressements en appliquant des
méthodes de construction de la fraude selon les modèles suivants :
14
Dans certains pays, comme la Russie, les comptes bancaires sont
systématiquement examinés, ce qui ne serait pas admis dans nos pays et conduit
d’ailleurs paradoxalement à renforcer le poids des transactions en espèces. Le
risque est à terme de créer un ordre répressif qui fiche tous ses citoyens, premier
pas vers une société totalitaire. D’où l’importance des garde-fous juridiques,
éthiques et politiques pour écarter ce risque.
30
L’approche sociologique du contrôle fiscal
-
Le modèle mathématique concerne la fraude sur recettes, à savoir
plutôt les petites entreprises dont le chiffre d’affaires est
reconstitué par le vérificateur à partir des dépouillements des
achats revendus et d’un calcul de la marge réalisée.
-
Le modèle juridique ne renvoie pas au principe de légalité, mais
restrictivement à une violation indiscutable de la loi : non respect
d’une formalité de délai ou de déclaration, exclusions précises de
la déduction de la TVA…
-
Le modèle gestionnaire consiste à apprécier les conséquences de la
gestion de l’entreprise : l’administration ne peut s’immiscer dans
la gestion de l’entreprise qui est libre de ses décisions, mais elle
peut en critiquer les conséquences (frais non conformes à l’intérêt
de l’entreprise, acte anormal de gestion).
-
Le modèle mixte utilise des données de plusieurs modèles, de la
gestion et du droit par exemple : par exemple, la déduction d’une
provision pour clients douteux suppose que la perte soit probable
(aspect juridique) et que les diligences de poursuite du client
défaillant soient épuisées (aspect gestionnaire).
Ces différents modèles de contrôle fiscal, qui construisent la
réalité organisationnelle de la fraude, structurent la négociation. Le
modèle mathématique tire sa force de son caractère quasiment
scientifique lié à l’objectivité des chiffres ; en réalité, la saisie des
données est délicate et la quantification de certaines informations
aléatoire (exemple des « offerts » dans un bar). Le modèle juridique,
mission évidente du contrôle fiscal, a la force du droit, mais est parfois
discuté par rapport à la légitimité des dispositions juridiques en cause.
Le modèle gestionnaire a une force moins évidente car il relève de la
sphère de compétence de l’entreprise, et non plus seulement de
l’expertise fiscale du vérificateur ; sa légitimité est fragile dans un
contexte de valorisation économique et sociale de l’emploi.
Une évolution est à souligner. Le nouveau système des normes
comptables internationales IFRS renforce le modèle gestionnaire, en
particulier avec l’évolution des notions de fidélité des comptes et de
valorisation de l’actif. Il implique à terme une transformation de
l’équilibre entre les différents modèles au profit de la logique de
négociation « gestionnaire », et donc un recul du modèle juridique
31
L’approche sociologique du contrôle fiscal
classique, comme contrôle de la conformité. On peut établir sur ce
point un parallèle entre cette réforme, propre aux entreprises, et la
généralisation du référentiel de performance dans les pays de l’OCDE,
avec en France la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois
de finances (LOLF) qui s’applique aux missions de l’administration
fiscale.
C- L’impact du nouveau référentiel de la performance
Le référentiel de la performance s’étend à tous les pays (Leroy,
2007). En France, l’administration fiscale est désormais soumise au
budget de performance dans le cadre de programmes qui sont évalués
sur des indicateurs (LOLF 2001).
L’action du ministère de
l’économie et des finances s’inscrit désormais dans 9 missions, dont 3
interministérielles, déclinées en 21 programmes. La Direction générale
des impôts est impliquée dans 2 missions ministérielles : « la gestion
et le contrôle des finances publiques » ; « les remboursements et
dégrèvements » (Projet de loi de Finances 2006). Chaque mission
comprend 2 programmes pour 23 objectifs. Chaque objectif est assorti
d’indicateurs pour l’évaluation15.
Ici seuls les 2 objectifs de « civisme fiscal » et de « lutte contre
la grande fraude » intéressent le contrôle fiscal. Pour ces objectifs,
selon le Projet de loi de finances 2007, les indicateurs sont repris dans
le tableau qui suit.
Objectif Nature de l’indicateur (Projet de loi de finances 2007)
Civisme - % d’entreprises payant dans le délai légal
fiscal
- % des particuliers respectant les obligations à l’impôt sur
(PR 156) le revenu
- taux de recouvrement des impôts sur rôle
Lutte
- % des contrôles réprimant les fraudes les plus graves
contre
- taux de recouvrement des droits et pénalités du contrôle
la fraude fiscal (en n+2)
(PR 156) - taux de recouvrement contentieux des amendes et
condamnations
15
Pour une discussion, cf. Leroy, 2007 (dir.) L’administration fiscale, à paraître.
32
L’approche sociologique du contrôle fiscal
L’objectif civisme fiscal est libellé sous la forme « Favoriser
l’accomplissement volontaire des obligations fiscales (civisme
fiscal) ». Ce libellé, et les indicateurs associés, sont décevants. Le
premier indicateur mesure le respect du délai légal de paiement par les
entreprises, ce qui constitue un élément de base de toute stratégie
d’optimisation fiscale, d’autant que le respect des échéanciers de
délais de paiement pour les entreprises en difficulté sont probablement
à comprendre dans la notion de délai légal. Le deuxième indicateur est
relatif au respect des obligations à l’impôt sur le revenu. On peut
penser que là aussi il s’agit d’une mesure formaliste qui ignore le
contrôle au fond du contenu des déclarations : ainsi, la fraude
intentionnelle, certes difficile à mesurer, n’est pas de l’incivisme. Le
troisième indicateur, le taux de recouvrement des impôts sur rôle, n’a
rien de révolutionnaire non plus : l’administration fiscale affiche
d’ailleurs des indicateurs supérieurs à 95 %. Il serait intéressant de
mesurer et d’expliquer les différences régionales qui persistent pour
établir une géographie de la fraude et tester l’impact des variables
économiques (chômage par exemple), sociales, religieuses…
L’objectif de lutte contre la fraude est libellé sous la forme
« renforcer la lutte contre la fraude fiscale et le recouvrement offensif
des impôts et des amendes » : cet objectif est important pour justifier
l’efficacité du contrôle fiscal, la crédibilité du régime déclaratif,
l’égalité devant l’impôt, la légitimité de l’Etat fiscal. Les indicateurs
de taux de recouvrement sont ici pertinents et aideront peut-être à
remettre en cause la logique du rendement statistique rappelée dans
cette contribution. L’indicateur du % des contrôles réprimant les
fraudes les plus graves est également justifié dans son principe ; il
mesure le nombre de contrôles aboutissant à des sanctions de
mauvaise foi et/ou donnant lieu à des propositions de poursuite
pénale. C’est un progrès, même si cet indicateur reste trop général
pour éviter une construction bureaucratique d’un amalgame
statistique16.
16
Il conviendrait de proposer des indicateurs sur le contentieux : contribuables
concernés, classes et formes de fraude, résultats…. La gravité de la fraude
dépend aussi du montant et de la nature des procédés de fraude. Il serait
intéressant de connaître le pourcentage de fraudes internationales, le
pourcentage de trafics (drogue, prostitution, terrorisme…), les redressements
acceptés et contestés, etc. Il est important aussi d’évaluer ce que l’on ne trouve
33
L’approche sociologique du contrôle fiscal
Par rapport à l’ensemble des objectifs mis en avant par
l’administration fiscale française, on constate que des progrès restent à
faire pour mettre en œuvre une conception globale de la politique
fiscale, notamment dans sa relation à la légitimité politique de l’impôt.
III- LA SOCIOLOGIE POLITIQUE DU CONTROLE FISCAL
Par rapport au pouvoir, la sociologie de l’impôt s’ancre sur les
moments décisifs de l’évolution de l’Etat fiscal. Historiquement, en
Europe occidentale les facteurs financiers sont constitutifs du
mouvement de transformation de la féodalité vers l’Etat moderne, qui
se construit sous des formes variées du XIII au XVIII siècle (Ardant,
1965, p.7 ; Schumpeter, 1984, p.249). L’Etat dépensier, poussé
notamment par les besoins de financement de la guerre, entraîne la
naissance de l’Etat fiscal moderne. La dépense était prioritaire devant
la recette tirée à l’origine du domaine royal, puis d’une fiscalité qui
deviendra permanente. Dans le contexte historique de la construction
de l’Etat moderne, l’impôt reflète la tension entre les idées d’une
contribution légitime à l’Etat et d’une obligation au souverain17.
A - Le civisme fiscal
Concernant le civisme, au sens de la sociologie fiscale (Leroy,
2002), l’intérêt économique (utilitariste) d’éviter l’impôt ne joue pas
uniquement : dans le raisonnement concret face à l’impôt, des valeurs
interviennent (Leroy, 2003). Les normes sociales jouent, surtout quand
le contribuable s’identifie au groupe qui porte ses normes (Wenzel,
2004). Les données des enquêtes mondiales sur les valeurs, comme les
expérience en laboratoire vont dans ce sens (Torgler, 2004) : la
moralité fiscale18 varie d’un pays à l’autre19 (Alm, Torgler, 2006). Des
17
18
pas (nombre d’entreprises non identifiées, bulletins orphelins…), en rapportant
les résultats du contrôle fiscal à la mesure (certes difficile) de l’économie
souterraine. Finalement, le mieux serait de proposer une analyse complète des
résultats du contrôle fiscal.
En France, la monarchie ne parvient pas à légitimer l’impôt qui devient une
contrainte lourde et injuste. La Révolution française a ainsi une cause fiscale. A
l’inverse, l’Angleterre réussit mieux la légitimation de l’impôt en formalisant
les pouvoirs de consentement fiscal du parlement (Magna Carta au Moyen Age
et Bill of Rights du XVIII siècle).
Terme moins connoté que celui de « mentalité fiscale » de Schmölders (1973)
34
L’approche sociologique du contrôle fiscal
études particulières montrent que la croyance en une religion20, la
fierté (par rapport à son pays) et la confiance dans le gouvernement,
influencent positivement le civisme fiscal (Torgler, 2003).
Il apparaît aussi que les citoyens sont capables d’altruisme.
Contrairement à la conception utilitariste des valeurs, il est établi par
des données empiriques que beaucoup de personnes sont prêtes à
payer des impôts supplémentaires pour des programmes qui leur
paraissent importants (et non pas égoïstement utiles : Mueller, 1963,
p.224, Beedle, Taylor-Gooby, 1983, p.29, Welch, 1985, p.316).
Certains citoyens sont favorables à une taxe sur l’essence pour des
raisons éthiques (Brodsky, Thompson, 1993), alors qu’ils utilisent
souvent leur véhicule. Sans nier que l’intérêt peut jouer, les usagers
des services publics, tout en étant plus opposés que les contribuables à
la taxation des services, sont néanmoins prêts à une tarification de
certains services qu’ils utilisent (Winter, Mouritzen, 2001, p.126). Un
consensus existe pour admettre la nécessité d’un financement par
l’impôt des services de base pour les plus défavorisés. Cet altruisme
envers les groupes défavorisés joue dans le cas des dépenses de
protection sociale. Le montant du revenu semble produire un effet
limité sur la demande de dépenses (Schokkaert, 1987, p.179), et ne
joue pas du tout dans le cas de dépenses spécifiques ciblant bien les
bénéficiaires (Jacoby, 2000, p.761).
La sociologie financière montre aussi, à l’opposé de la théorie
de l’illusion fiscale21, que l’individu ne revendique pas toujours plus
19
20
21
Les Etats-Unis sont en tête de la moralité fiscale (taux de morale fiscale de 70
%), la Belgique en fin de classement (< 40 %), la France se plaçant
moyennement (50 %).
Pour l’influence de la religion sur l’impôt, cf. aussi l’étude de Bin, 2006.
La théorie de l’illusion fiscale (Buchanan, Tullock, 1962) soutient que les
électeurs sous-estiment le niveau de taxation et sont plus demandeurs de
services publics. Cette théorie se prévaut de certaines enquêtes (Lewis, 1982,
p.49 ; Winter, Mouritzen, 2001, p.120), ou de l’argument de Downs (1960) qui
veut que l’impôt fait l’objet d’une aversion en démocratie car on voit l’argent
sortir de sa poche, alors que les services publics reçus sont moins visibles.
Cependant, d’autres enquêtes réfutent cette théorie : la solution qui rend compte
des données empiriques apparemment contradictoires consiste à reconstituer le
raisonnement concret du contribuable selon une approche par la rationalité
cognitive (Leroy, 2003).
35
L’approche sociologique du contrôle fiscal
de dépenses et moins d’impôt, et que ses attentes ne sont pas
illogiques. Le citoyen considère que sa demande de services publics
peut se financer par divers moyens : l’impôt certes, mais aussi
l’emprunt, la réduction des gaspillages, la réaffectation des crédits, les
subventions d’autres collectivités, la tarification des services…
La démocratie financière, définie comme la participation des
gens aux choix de finances publiques, a des effets positifs sur le
civisme fiscal. Des travaux empiriques récents (Torgler, 2004, p.34)
montrent, à partir d’expériences, que le fait de pouvoir choisir le
niveau de dissuasion (nombre de contrôles et niveau de pénalités)
améliore le respect des obligations fiscales (compliance). Cette étude
confirme d’autres expériences (Alm, McClelland, Schulze, 1999 ;
Feld, Tyran, 2002) sur la relation entre le pouvoir de décider et le
civisme fiscal. L’impôt met en jeu la légitimité des institutions
publiques (Leroy, 2002), la relation aux institutions expliquant alors,
selon des expériences menées à partir des enquêtes mondiales sur les
valeurs des gens, les différences de civisme fiscal (Cummings,
Martinez-Vasquez, McKee, Torgler, 2004). La démocratie directe
apparaît aussi plus positive pour l’obligation fiscale (Pommerehne,
Weck-Hannemann, 1996).
B- La légitimité du système fiscal
Parmi les différentes figures sociologiques de l’impôt, c’est-àdire les représentations pertinentes pour un individu, un groupe social
ou une société, l’impôt-contribution est à encourager pour des raisons
morales et politiques évidentes. L’impôt-contribution vise la forme
politique du consentement à l’impôt au sens où le contribuable juge
légitime de financer les institutions publiques et/ou les politiques
publiques (même celles qui ne lui profitent pas personnellement).
L’impôt-obligation, cher aux juristes, ne suffit pas. L’impôt-contrainte
et l’impôt-tribut (situations où le fardeau fiscal est considéré comme
insupportable) sont à proscrire bien sûr car ils incitent à l’évasion, la
fraude ou la révolte.
36
L’approche sociologique du contrôle fiscal
La relation entre l’impôt et la dépense caractérisant le type
d’Etat fiscal est fondamentale pour la légitimité politique des
prélèvements obligatoires. L’Etat gaspilleur ou corrompu prélève trop
d’impôt par rapport au niveau et à la justification des interventions
publiques. La Russie constitue un bon exemple : selon une étude
empirique (Alm, Martinez-Vazquez, Torgler, 2005) utilisant des
données de l’enquête mondiale sur les valeurs (il existe une question
sur la moralité fiscale), le manque de confiance des citoyens dans
l’Etat, considéré comme corrompu et incapable de lutter contre la
fraude fiscale et les pratiques maffieuses, explique la baisse de la
moralité fiscale entre 1991 et 1995. Par la suite, selon des données de
1999, la moralité fiscale remonte un peu avec le renouveau de la
confiance dans l’Etat. L’étude montre aussi que la moralité fiscale
varie d’une Région (Oblast) à l’autre en fonction du degré de
confiance dans l’Etat fédéral.
L’Etat en crise financière ne parvient pas à légitimer de
nouveaux prélèvements pour financer les dépenses publiques. L’Etat
libéral, au sens de la limitation des recettes et des interventions, est
une configuration dépassée historiquement, même si l’idéologie néolibérale critique les interventions de l’Etat et le poids des impôts.
L’Etat légitime est donc résolument interventionniste car les citoyens
sont en général demandeurs de services publics, notamment dans le
domaine de la santé et de l’éducation (Lewis et Jackson, 1985 ; Kemp,
2002).
Pour financer les interventions, il faut donc légitimer les
prélèvements fiscaux en rendant les choix transparents. De ce point de
vue, la dépense budgétaire est préférable à la dépense fiscale qui
limite les recettes et crée des opportunités de montage et d’arbitraire
administratif. Les fonctions de la politique fiscale doivent être
clairement définies et débattues.
37
L’approche sociologique du contrôle fiscal
Les fonctions sociologiques de l’impôt
FONTION FINANCIERE
TRADITIONNELLE
FONCTION REGULATION
ECONOMIQUE
FONCTION
SOCIALE
FONCTION
TERRITORIALE
FONCTION
POLITIQUE
- Recettes fiscales pour financer les
dépenses
- Action économique par l’impôt :
secteurs prioritaires, exportations,
recherche industrielle…
- Redistribution par l’impôt progressif
vers les plus pauvres
- Catégorisation fiscale de la société :
fiscalité de la famille, de certaines
catégories, de certains produits (tabacs,
alcools, jeux...), de certains secteurs
socialement valorisés (culture…)
- Territoire de compétence juridique en
droit fiscal
- Inégalités fiscales sur le territoire
national
- Fiscalité de l’aménagement et du
développement du territoire : en faveur
des territoires fragiles (rural, quartiers
urbains) ; en faveur du renforcement
des zones de compétitivité
- Impôt-obligation à l’autorité publique
- Impôt-contribution du citoyen au
financement des politiques publiques
d’intérêt général
- Légitimité politique
- Démocratie fiscale : consentement à
l’impôt
La réflexion sur les fonctions de la politique fiscale est
nécessaire aussi pour éviter une instrumentalisation politique de
l’impôt et du contrôle fiscal à des fins injustes.
38
L’approche sociologique du contrôle fiscal
C- La politisation du contrôle fiscal
Je voudrais ici poser quelques questions, sans prétendre les
résoudre totalement. La politisation du contrôle fiscal entraîne parfois
des dérives évidentes. Le contrôle fiscal est alors instrumenté dans les
mains du pouvoir politique. L’exemple type est donné par la Russie
avec le contrôle du groupe pétrolier Ioukos, dont le dirigeant
Khodorkovski est en prison, du groupe TNK-BP22 (3ème producteur de
pétrole en Russie), des contrôles fiscaux des ONG qui dérangent23.
Dans d’autres cas, la politisation du contrôle fiscal prend la forme plus
discrète des interventions politiques en faveur des amis du pouvoir
pour éviter le contrôle fiscal ou en réduire la portée.
Mais la politisation du contrôle fiscal est aussi à penser dans
son rapport à la légitimité de l’Etat, à la justice du système fiscal et au
contenu du droit fiscal. Doit-on payer l’impôt si l’Etat est corrompu ?
Quel est le sens du contrôle fiscal si le système fiscal est
injuste ? Doit-on contrôler les contribuables petits ou moyens quand
les riches échappent largement à la taxation ?
Au Brésil, le développement économique est attesté par les
indicateurs, mais les inégalités sociales restent fortes. Malgré sa
richesse, ce pays émergent se situe parmi les pays les moins bien
classés selon l’indice de développement humain. Le système fiscal
n’est pas assez redistributif et le secteur informel reste important. Quel
est le sens éthique du contrôle fiscal dans une société qui maintient les
privilèges fiscaux ?
En conclusion, il convient de poser deux observations
générales. La première est de nature empirique et éthique et s’énonce
comme suit : seule la démocratie fiscale exercée par des citoyens
éduqués est à même de fonder une légitimité fiscale. La seconde se
rapporte au programme scientifique de la sociologie fiscale dont les
résultats et les modèles sont à prolonger et à tester sur le terrain des
pays en voie de développement, notamment par rapport à la
fiscalisation du secteur informel, la légitimité de l’Etat et l’impact des
valeurs religieuses.
22
23
Le Monde du 14 novembre 2006, p. 6.
Une loi relative aux organisations non gouvernementales a été promulguée en
2006 pour contrôler leurs activités.
39
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