MEG/EEG et reconnaissance des visages

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MEG/EEG et reconnaissance des visages
MEG/EEG et reconnaissance des visages
Nathalie George, CNRS UPR 640 Ð LENA, H™pital de la Salp•tri•re, Paris
Les visages constituent une catŽgorie de stimulus unique par la richesse des
informations quÕils vŽhiculent (Young, 1997). Ils sont ˆ la fois les vecteurs visuels principaux
de lÕidentitŽ individuelle, et des vecteurs essentiels de communication (verbale et non
verbale), dÕintentions et dÕŽmotions entre individus, via, en particulier, la direction du regard
et les expressions faciales. Sur le plan perceptif, la reconnaissance des visages constitue une
des capacitŽs les plus Žtonnantes, et les plus performantes, du syst•me visuel humain. En
effet, lÕ•tre humain est capable de discriminer et de reconna”tre un tr•s grand nombre de
visages, alors m•me que les visages constituent une catŽgorie de stimulus homog•nes,
partageant un ensemble de traits similaires et une structure commune, et quÕils peuvent subir
dÕimportants changements avec lÕ‰ge par exemple, ou encore selon lÕexpression faciale
(Bruyer, 1983). Ces observations ont suscitŽ lÕintŽr•t des chercheurs de nombreux domaines,
et les donnŽes de la psychologie expŽrimentale, de la neuropsychologie, de la
neurophysiologie et des neurosciences cognitives ont amenŽ ˆ Žmettre lÕhypoth•se dÕune
spŽcificitŽ des syst•mes de traitement et de reconnaissance des visages, sur le plan
computationnel comme anatomique (pour revue, cf. Haxby et al., 2000). Dans le domaine des
potentiels ŽvoquŽs (PE) visuels, les recherches se sont emparŽes de la problŽmatique
concernant lÕexistence de rŽponses cŽrŽbrales spŽcifiques des visages, et la signification
fonctionnelle de ces rŽponses, depuis un peu plus dÕune dizaine dÕannŽes, et les Žtudes en
MEG ont dŽbutŽ d•s que cette technique a ŽtŽ mise au point.
Les premi•res Žtudes des PE en rŽponse aux visages se sont concentrŽes sur
lÕexistence dÕondes associŽes spŽcifiquement ˆ la prŽsentation de visages, par comparaison ˆ
dÕautres objets ou ˆ des formes sans signification. Elles ont ŽtŽ principalement rŽalisŽes par
les Žquipes de Bštzel et de Jeffreys. (Bštzel et GrŸsser, 1989Ê; Bštzel et al., 1989Ê; Jeffreys,
1989, 1993 1996Ê; Jeffreys et Tukmachi, 1992Ê; Jeffreys et al., 1992). Ces Žtudes, rŽalisŽes
avec pour rŽfŽrence de lÕenregistrement des PE une Žlectrode placŽe sur les lobes des oreilles
interconnectŽs ou sur les masto•des, ont montrŽ lÕexistence dÕune composante positive,
appelŽe P2 vertex ou Vertex Positive Potential (VPP), qui culmine au niveau du vertex entre
150 et 210 ms, et dont lÕamplitude est maximum et la latence minimum pour les visages, par
comparaison ˆ dÕautres catŽgories de stimulus (arbres, chaises, vases, chaussuresÉ). La VPP
rŽpond prŽfŽrentiellement, quoique non exclusivement, aux visages. De fa•on gŽnŽrale, de
nombreux objets testŽs semblent beaucoup moins efficaces que les visages - m•me
schŽmatiques -, sinon inefficaces, pour Žvoquer une VPP. En revanche, on peut Žvoquer une
VPP en prŽsentant un stimulus constituŽ dÕun objet qui, habituellement, nÕŽvoque pas de VPP,
mais dont on a modifiŽ la configuration de mani•re ˆ crŽer une ÇÊimpressionÊÈ de visage
(Jeffreys et Tukmachi, 1992). Selon Jeffreys, la VPP reflŽterait la perception de
configurations faciales globales et serait associŽe ˆ une Žtape relativement prŽcoce de
dŽtection de patterns faciaux, voire dÕencodage structural des visages (Jeffreys, 1996, 1989Ê;
Jeffreys et Tukmachi, 1992Ê; Jeffreys et al., 1992). NŽanmoins, elle ne para”t pas sensible ˆ la
familiaritŽ ni ˆ lÕexpression du visage (Bštzel et GrŸsser, 1989Ê; Jeffreys et Tukmachi, 1992).
D•s 1989, Jeffreys a notŽ que lorsqu'on enregistre les PE avec une Žlectrode de
rŽfŽrence placŽe sur le nez, et non pas sur les masto•des ou les lobes des oreilles
interconnectŽs (qui sont proches des sites probablement actifs dans le traitement et la
reconnaissance des visages), la VPP tend ˆ sÕinverser au niveau temporal. Les Žtudes
suivantes ont permis de mettre en Žvidence lÕexistence de nŽgativitŽs occipito-temporales
bilatŽrales, ou N170, qui culminent vers 150-200 ms, et sont particuli•rement amples en
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rŽponse aux visages par comparaison ˆ des visages d'animaux, ˆ d'autres objets visuels, et ˆ
des patterns sans signification (Figure 1Ê; Bentin et al., 1996Ê; Bštzel et al., 1995Ê; George et
al., 1997, 1996, 1994Ê; nŽanmoins, voir aussi Rossion et al., 2000, 1999). La N170 semble
reflŽter des processus spŽcifiques de lÕencodage structural des visages. En effet, contrairement
au traitement de nombreux objets visuels, encodŽs ˆ partir des ŽlŽments les composant
(traitement analytique), le traitement des visages semble reposer de fa•on cruciale sur
lÕencodage des relations entre les traits faciaux (traitement configural). Cependant, il faut
souligner que les effets associŽs au traitement configural et ˆ la perception des visages ne se
limitent pas ˆ la fen•tre temporelle o• culmine la N170, et quÕils sont gŽnŽralement de longue
durŽe (George et al., 1997, 1996). DiffŽrentes mŽthodes dÕŽtude des sources des PE ont
permis de montrer la complexitŽ et lÕŽtendue des rŽseaux de neurones impliquŽs dans
lÕencodage des visages, au cours du temps. Ces rŽseaux impliquent diffŽrentes rŽgions du lobe
temporal, comprenant probablement les gyrus infŽro-temporal, fusiforme,
parahippocampique, le sillon occipito-temporal latŽral, et le sillon temporal supŽrieur (Allison
et al., 1999Ê; Gauthier et al., 2000Ê; George et al., 1997, 1996Ê; Puce et al., 1996). En
particulier, une source principale de la N170 serait lÕactivation du gyrus fusiforme en rŽponse
aux visages (Allison et al., 1994Ê; Bentin et al., 1996Ê; George et al., 1996Ê; Puce et al., 1997).
Figure 1 Ð Cartes de potentiel au moment du pic de la N170 en EEG, observŽ dans les rŽgions
occipito-temporales (en bleu) vers 184 ms, en rŽponse ˆ des figures en deux tons per•ues comme
visages (ˆ gauche) et aux m•mes figures mais prŽsentŽes ˆ lÕenvers et alors per•ues comme non
signifiantes (ˆ droite). Dans les deux cas, des vues arri•res gauche et droite des cartes de potentiel ˆ
la surface du scalp sont reprŽsentŽs, avec les valeurs positives du potentiel en rouge, les valeurs
nŽgatives en bleu, et les valeurs nulles en noir. En-dessous des cartes de potentiel, le potentiel ŽvoquŽ
(en µV, en ordonnŽe) est reprŽsentŽ au cours du temps (en ms, en abscisse), sur les Žlectrodes occipitotemporales PO10 (en noir) et PO9 (en gris).
En MEG, la contrepartie magnŽtique de la N170 a ŽtŽ observŽe sous la forme dÕun
champs magnŽtique ŽvoquŽ (Evoked Field, EF) majoritairement bipolaire, culminant au
niveau des rŽgions pariŽto-occipito-temporales, avec un pic positif dans lÕhŽmisph•re gauche,
et nŽgatif dans lÕhŽmisph•re droit (Figure 2Ê; Halgren et al., 2000Ê; Linkenkaer et al., 1998Ê;
Liu et al., 2000). Cet EF est appelŽ M170 ou OT165. Il est particuli•rement ample en rŽponse
aux visages, et ses gŽnŽrateurs semblent situer au niveau des gyrus fusiformes. La M170 est
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moins ample en rŽponse ˆ des visages prŽsentŽs ˆ lÕenvers, ainsi quÕˆ des traits faciaux (yeux,
bouche) prŽsentŽs isolŽment. La modŽlisation des sources de cette onde sugg•re la mise en jeu
de rŽgions occipito-temporales ventrales, incluant le gyrus fusiforme. Cependant, il faut
souligner que la relation entre N170 et M170 nÕa pas encore ŽtŽ ŽtudiŽe de fa•on
systŽmatique. Dans la mesure o• EEG et MEG prŽsentent des sensibilitŽs diffŽrentes aux
sources cŽrŽbrales de courant, en fonction de leur orientation par rapport au centre de la t•te,
et de leur profondeur, il est possible que N170 et M170 ne refl•tent pas exactement les m•mes
processus cŽrŽbraux.
Figure 2 - Cartographie MEG au moment du pic de la M170, en rŽponse ˆ des visages. A gauche
un exemple de stimulus utilisŽ est prŽsentŽ. A droite, la cartographie de la M170 en rŽponse ˆ ces
visages est reprŽsentŽe sur une t•te vue du haut (nez ˆ lÕavant). LÕŽchelle de couleurs utilisŽe est
figurŽe ˆ droite. En dessous de la carte de la M170, les EF (en fentotesla, fT) enregistrŽs au cours du
temps (en secondes) sur tous les capteurs sont superposŽs. Un curseur est positionnŽ au pic de la
M170.
Par ailleurs, diffŽrentes recherches se sont intŽressŽes aux PE liŽs ˆ la reconnaissance
des visages, suite ˆ la prŽsentation rŽpŽtŽe dÕun m•me visage, ou bien ˆ la prŽsentation de
visages connus du sujet (gŽnŽralement des visages de personnes cŽl•bres). Ainsi, lÕŽtude en
EEG des effets de la rŽpŽtition de visages et de formes non signifiantes montrent un effet
prŽcoce de la rŽpŽtition (d•s 80 ms), non spŽcifique des visages, culminant au niveau des
Žlectrodes temporales et pariŽto-occipitales, alors quÕun effet de rŽpŽtition spŽcifique des
visages est observŽ plus tardivement, vers 300 ms, au niveau centro-pariŽto-occipital (George
et al., 1997). Par ailleurs, les processus liŽs ˆ la reconnaissance des visages familiers sont
reflŽtŽs par des variations dÕamplitude dÕondes tardives, ˆ partir de 350 ms post-stimulus,
dont une partie des gŽnŽrateurs semble situŽe dans des rŽgions infŽro-temporales impliquŽes
spŽcifiquement dans la reconnaissance des visages (Jemel et al., 1999a,bÊ; voir aussi Bentin et
Deouell, 2000Ê; Eimer 2000Ê; Olivares et al., 1999Ê;ÊPuce et al., 1999). LÕextension de ces
Žtudes en MEG devrait permettre de prŽciser lÕensemble des gŽnŽrateurs mis en jeu dans les
diffŽrentes Žtapes du traitement des visages, et en particulier dans les processus de
reconnaissance des visages connus.
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