padre nuestro - Tamasa distribution

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padre nuestro - Tamasa distribution
PADRE NUESTRO
Entretien avec Christopher Zalla
Comment vous est venue l’idée du film ?
Ce n’est pas simple de résumer la confluence entre l’inspiration et les évènements qui mènent à la concrétisation d’une
idée. L’idée de ce film a germé avec un ami Argentin. Lorsque son visa étudiant a expiré, il a dû travailler sans papiers
dans un restaurant de Brooklyn. Je le rejoignais après le travail, et j’en suis venu à rencontrer ses collègues, pour la plupart mexicains. En discutant avec eux, j’entendais les mêmes histoires émerger sur les raisons qui les avaient amenés à
New York. Ils venaient à 16 ou 17 ans en se disant qu’ils allaient travailler pendant 20 ou 30 ans, puis qu’ils retourneraient
chez eux pour prendre leur retraite, relativement aisés.
Pour le film, j’ai imaginé un personnage un peu plus âgé, proche de la retraîte, et qui pour une raison ou une autre n’envoyait plus d’argent chez lui, au Mexique. Sans papiers d’identité, avoir un compte en banque lui était impossible. Il devait
donc planquer son argent. J’avais cette image d’un monceau d’argent, ce tas d’argent étant la seule chose qu’une personne ait à montrer pour les dernières décénies de sa vie. De là est née l’histoire. Bien sûr je n’ai jamais imaginé un film
entier sur ce personnage, qui je le savais, serait un avare fils-de-pute. J’ai juste pensé qu’il était intéressant de l’intégrer
dans la trame secondaire d’un film. Ce n’est que plus tard que l’idée d’un fils émergant du passé m’est venue.
Pourquoi avez-vous choisi d’appeler le film « Padre Nuestro » ?
D’abord, je voulais insister sur la relation entre Juan (l’imposteur) et Diego. Le film parle de la recherche d’une famille, et
je voulais que le titre lui-même renforce leur relation. Diego devient un père et Juan un fils. Qu’ils ne soient pas liés par
le sang est une part essentielle de ma propre expérience familiale, comme sans doute pour beaucoup de New-Yorkais.
C’est le thème central du film : nous trouvons souvent cette situation dans les circonstances les plus improbables. Il y en
a qui résisteraient certainement aux ressentis de cette transformation, mais je suppose que le titre m’a permis d’ajouter
mon grain de sel à ce sujet. Une chose vraiment intéressante s’est développée après la projection de Padre Nuestro :
c’est le dialogue, le débat même, qui a semblé remuer les gens. Car beaucoup semblent avoir leur propre interprétation
du sens et du fonctionnement de la moralité.
Ensuite, j’ai toujours considéré les deux garçons comme êtant liés par une force invisible, et le « notre » du titre suggère
cela. Ils sont frères de destin. Les circonstances sont telles qu’ils échangent leurs places, bien au-delà du sens littéral.
Enfin, il y a certainement une influence générale biblique dans l’histoire (Caïn et Abel, Jacob et Esäu, le fils prodigue). Le
titre se réfère évidemment à la prière. Je la récitais tous les soirs quand j’étais enfant. Mis à part l’espoir qu’elle me donnait, j’étais toujours stupéfait par une phrase : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui
nous ont offensés ». Même enfant, j’étais frappé par cette supposition qui laisse entendre que je ferais du mal aux autres
et que les autres m’en feront aussi. C’est une idée qui amoindrit fondamentalement le paradigme moral qui domine notre
société, lourdement renforcée par Hollywood qui divise le monde en deux, bon contre mauvais, héros contre méchant.
Mon objectif principal était aussi de compliquer ce principe en faisant ce film.
Craignez-vous de banaliser la question de l’immigration en traitant cette histoire à la manière d’un thriller ?
En écrivant ce film, mon intention n’était pas de mettre le doigt sur « l’affaire de l’immigration ». J’ai écrit cette histoire
plusieurs années avant la récente vague de sensibilisation et de débat qui a explosé dans les médias à travers le monde.
J’ai été déçu que l’on décrive le film comme un « drame sur l’immigration ». Oui, le film dépeint des immigrants clandestins, mais ce n’est pas qu’une histoire sur l’immigration. Mon intention était simplement de raconter une histoire, pleine du
suspens, avec des personnages humains complexes et qui, avec un peu de chance, serait aussi divertissante. Dans le
film, l’Immigration n’est jamais vraiment traitée en tant que problématique. Même si j’ai utilisé ce contexte avec des mises
en périls constantes qui réhaussent les enjeux de l’histoire. Cela dit, si j’avais essayé de faire un film sur les problèmes
d’immigration, je pense que j’en aurait fait un thriller pour le rendre plus accessible. Je trouve que la pire chose pour un
réalisateur est de faire un film sur des problémes socio–culturels en les traitant d’une façon trop convenue. Lorsqu’on
sent qu’une personne nous fait un sermon, on a tendance à ne plus l’écouter.
Evidemment, une fois un film terminé, les gens en tirent ce qu’ils veulent.
Avoir été abordé par des organismes majeurs d’Amérique Latine et de travailleurs, des politiciens, et des groupes religieux, a été un résultat inattendu. Ils ont peut-être été accrochés parce qu’ils ont vu Padre Nuestro comme une ouverture
à la discussion. C’est peut-être parce qu’il y a peu de films qui parlent de cette population d’une façon si complète, complexe et humaine. C’est aussi peut-être parce qu’ils trouvent le film très divertissant, et donc accessible. Padre Nuestro
est considéré comme un événement à Mexico où il va être diffusé sur près de 250 écrans.
Un grand thriller comme Notorious est saisissant, précisément parce qu’il y a des personnages incroyablement complexes
et imparfaits. Cela rend le dénouement impossible à prédire, et autorise une fin défiant les conventions génériques. Nous
n’aurions pas déclenché toutes ces réactions si nous n’avions pas réalisé un film provocateur et avec du suspens.
D’un point de vue formel, tendiez-vous à un cinéma réaliste ou à quelque chose de plus stylisé ?
Peut-être à un réalisme stylisé... J’ai voulu une approche très visuelle de cette histoire. Padre Nuestro est un film sur le
besoin d’avoir une famille.
Mais l’idée essentielle est de briser les barrières et les frontières, géographiquement, culturellement, moralement… Je
voulais utiliser l’idée que ces frontières deviennent des obstacles pour la quête d’une famille, en montrant même certaines barrières visuelles que le spectateur doit franchir. Ainsi, j’ai souvent placé des objets au premier plan, qui parfois
obstruent presque tout le cadre et dissimulent ce qu’on a vraiment envie de voir. Cela crée un cadre dynamique, énergique et nous permet littéralement de mettre les personnages dans les marges. Cela permet également de faire sentir
viscéralement ce que vivent les personnages – cette sensation d’être extérieur. J’ai aussi appliqué ce concept dans la
façon de placer les acteurs. Nous les voyons souvent de l’arrière ou du côté, ne percevant pas clairement ce qu’on a
envie de voir, surtout avec Diego.
D’autre part, j’ai choisi de tourner essentiellement en caméra portée. Je voulais apporter une véritable atmosphère de
liberté pour les acteurs - ils étaient encouragés à improviser - et la caméra devait être disponible pour réagir rapidement.
Cassavetes travaillait de cette façon et pensait que l’image était secondaire dès l’instant qu’il avait capturé quelque chose
de vrai des acteurs. Je pense que si l’on développe un langage cinématographique, il n’est pas nécessaire de faire ce
sacrifice. Bien sûr, c’est ce parti pris qui a permis à Igor Martinovic, notre directeur photo, de sentir au plus près ce qui
se passait, même à des moments inattendus. C’est également vrai pour le travail avec les acteurs. J’ai donné une importance primordiale au temps dans cette production, quitte à sacrifier la plupart des autres luxes quand on en venait à
devoir faire un choix. En filmant de la sorte, nous avons pu être très mobiles et rapides, ce qui a optimisé notre travail.
Bien sûr, l’effet le plus important est celui de la vraisemblance. Je mentirais en disant que je ne voulais pas une sensation
d’immédiat pour le spectateur. Sentir quelque chose qui est vraiment en train d’arriver ne peut que contribuer au suspens.
Pour cela, il faut déchirer l’artifice. Le scénario nous donne des choses surprenantes, et cette approche ne peut qu’inciter
les spectateurs à penser que tout peut arriver à tout moment.
Il y a beaucoup d’humour dans le film, qui est très drôle mais aussi très cynique. Il suggére que beaucoup de clandestins
sentent qu’ils n’ont pas droit au même rêve américain que les autres.
Il y a une chose problématique dans la plupart des films qui dépeignent des étrangers migrant aux Etats-Unis, c’est le
renforcement implicite du rêve américain. Les personnages sont souvent montrés comme mièvres, politiquement correctes, persuadés que si l’on poursuit ce rêve on doit avoir un coeur pur et être noble d’esprit. Je trouve que la plupart
de ces films ressemble à des cartoons. Là, comme dans toute société, la jalousie et la compétition entre les groupes
peuvent coexister avec la solidarité.
Entrez dans n’importe quelle cuisine de restaurant et vous verrez sans cesse ce genre de situation. Il y a un jeu de force
constant entre employés, où chacun ridiculise l’autre sans pitié. Mais il y a aussi le rire et l’amour. Surtout quand on parle
d’immigrants qui travaillent loin de chez eux, et pour qui l’équipe de travail devient leur famille.
Quant au cynisme, c’est drôle, car la seule phrase sur « le rêve », n’est pas une chose que j’ai écrite. Armando l’a improvisée et le rire de Jesus était une véritable surprise, et une approbation. Et c’est un rire qui agit à chaque fois avec le
grand public en Amérique. J’aimerai pouvoir penser que ceci est aussi une des raisons pour laquelle les Mexicains à qui
on a montré le film ont réagis si vivement. Cela ne renforce ni n’impose le mythe américain sur leur expérience. Mais cela
les laisse être ce qu’ils sont simplement.
Les scènes de Brooklyn sont remarquables, En suggérant cet univers parallèle nous voyons combien ces personnages
sont invisibles aux yeux de chacun. Comment avez vous obtenu cette sensation ?
Si vous racontez l’histoire de quelqu’un qui est perdu, vous le mettez dans un labyrinthe hostile. Si vous racontez l’histoire d’un homme qui s’est coupé du monde et a une vie vide de sens, vous l’exilez dans un coin reculé d’un terrain vague
urbain. Créer une atmosphère renfermée, marginale, peu accueillante, renforce les enjeux du voyage. Surtout quand les
personnages sont tous fondamentalement perdus et qu’ils cherchent à créer des liens, même inconsciemment. Faire de
ce lieu un obstacle à cet objectif est vital. Bien sûr, quand le lien se fait, la beauté peut surgir de la dureté. J’ai toujours
pensé que si on veut faire un film sur le bleu, il faut le remplir d’orange et y ajouter des petites touches de bleu. Une des
choses les plus troublantes à New york, c’est l’indifférence à l’individu. Probablement parce qu’il y a une agression sensorielle. L’attention qui en résulte fausse notre perception de ce qui est extérieur à nos propres objectifs. Pourtant, être à
New York est la meilleur expérience de vie, précisément parce que c’est un lieu où des réalités incroyablement uniques
co-existent et s’influencent.
Quelle a été votre réaction en gagnant le grand prix à Sundance ?
J’aime que le festival essaye encore de porter son attention sur les films. Mais la réalité est aussi que Sundance est devenu une sorte de ruée vers l’or. Des célébrités qui n’ont rien à voir avec les films innondent le lieu pour ne pas manquer
une occasion d’être vues. L’ampleur de l’attention portée à ces gens est considérablement plus grande que celle portée
aux films. En terme de paparazzis, presse people, je peux comprendre cette approche. Quand vous savez que vous allez
être publié, que cherchez-vous ? Une bande de Mexicains que vous ne connaissez pas, ou une grosse star de cinéma,
même si son film est nul ? Mais, ne serait-ce pas cette mode sans fin qui est responsable de la déterioration du cinéma
américain ?
Heureusement, nous avons été réjouis par les articles positifs écrits par des grands critiques. Et après le week-end,
quand il restait seulement les amoureux du cinéma. Le bouche à oreille s’est vite répendu, et c’était incroyable de voir le
succès du film, de discuter et débattre avec le public.
Distribution TAMASA - www.tamasadiffusion.com - Presse MAGALI MONTET - [email protected]