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D O C U M E N T D E T R AVA I L ARRANGEMENT INSTITUTIONNEL ET FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ DU TRAVAIL : LES CABINETS DE CHASSEURS DE TÊTES JÉRÔME GAUTIÉ, OLIVIER GODECHOT ET PIERRE-EMMANUEL SORIGNET N° 38 mars 2005 «LE DESCARTES I» 29, PROMENADE MICHEL SIMON 93166 NOISY-LE-GRAND CEDEX TÉL. 01 45 92 68 00 FAX 01 49 31 02 44 MÉL. [email protected] http://www.cee-recherche.fr Arrangement institutionnel et fonctionnement du marché du travail : les cabinets de chasseurs de têtes J EROME G AUTIE j ero me .g au tie @en s.f r Centre d’études de l’emploi/Laboratoire de sciences sociales-ENS O LIVIER G ODECHOT o liv ier.god echo t@en s.f r Centre d’études de l’emploi/Laboratoire de sciences sociales-ENS P IERRE -E MMANUEL S ORIGNET p ierr e-emmanuel.sor ignet@en s.f r Université de Toulouse/Laboratoire de sciences sociales-ENS DOCUMENT DE TRAVAIL N° 38 mars 2005 ISSN 1629-7997 ISBN 2-11-094599-0 Arrangement institutionnel et fonctionnement du marché du travail : les cabinets de chasseurs de têtes Jérôme Gautié, Olivier Godechot, Pierre-Emmanuel Sorignet Résumé Le recours aux entreprises d’intermédiation constitue-t-il un arrangement institutionnel qui éloigne le fonctionnement économique réel de l’idéal marchand ou qui l’en rapproche en réduisant les coûts de transaction ? Nous étudions ici le déroulement et les effets de l’activité des consultants des cabinets de chasse de tête sur le marché du travail des cadres dirigeants. Loin d’être le vecteur passif de la rencontre de l’offre et de la demande, le consultant joue un rôle actif dans la construction de l’échange. Il contribue à la traduction marchande de la demande singulière des entreprises. Il suscite l’offre des candidats par la mobilisation de ses réseaux. Il met en œuvre des catégories idiosyncrasiques d’évaluation pour être au plus près des préférences des deux parties. Si un tel mode de fonctionnement diminue les coûts de recherche de l’information, il n’en produit pas moins des déformations par rapport à l’idéal marchand. Il introduit un biais notable en faveur des mobilités entre postes à fonction et secteur identiques et décourage les mécanismes de substitution. Son mode de tarification alimente alors des tensions inflationnistes sur des marchés de cadres dirigeants très segmentés. Mots-clefs : recrutement, cadres dirigeants, chasse de tête, intermédiaires, mobilité, institutions. Institutional Arrangements and the Labour Market Functioning: the Case of Executive Search Abstract Do head hunters firms improve the matching process, and therefore contribute to the efficiency of the labour market of top executives? Far from being a passive vector of labour and demand, on one hand they contribute to shape companies’ specific demand; on the other hand, they initiate the supply of candidates resorting to their networks. Head hunters implement idiosyncratic categories of evaluation in order to fit as well as possible both parties’ preferences. If such a type of transaction reduces information costs, it nevertheless produces distortions with regard to the market efficiency. It introduces a bias in favour of mobility between identical jobs (in terms of occupation and industry) and therefore participates to the labour market segmentation, which impedes substitution mechanisms. As a consequence, head hunters contribute to the inflationary pressures that characterise the top executives’ labour market. Key words: hiring, executives, head hunting, intermediates, mobility, institutions. 3 INTRODUCTION Dans le cadre du paradigme standard de la théorie économique, institutions et marchés sont généralement pensés comme deux concepts antagoniques. Ainsi, dans le chapitre de synthèse de référence du Handbook of Labor Economics, Blau et Kahn définissent les institutions comme « the laws, programs, conventions, which can impinge on the labor market behavior and cause the labor market to function differently from a spot market » (1999, p. 1 400). Les institutions sont alors pensées comme autant de sources d’imperfections perturbatrices. Elles renvoient à l’ensemble très vaste des facteurs qui éloignent la réalité du modèle walrasien de la concurrence pure et parfaite, allant, cas le plus typique, des règles législatives ou issues de la négociation collective, jusqu’à des phénomènes moins organisés comme les sentiments de justice (Solow, 1990). Cependant, cette approche occulte le fait que tout marché repose sur des arrangements institutionnels, eux-mêmes d’autant plus complexes que ce marché se rapproche du modèle théorique, comme, par exemple, le marché boursier (Muniesa, 2002) ou, dans le champ du travail, les « marchés professionnels » (Marsden, 1990). En outre, elle s’oppose directement à une vision néo-institutionnaliste qui pense les institutions comme des arrangements collectifs permettant de limiter les coûts de transaction et de favoriser la transmission d’informations (North, 1991). Aux institutions « entraves » à l’efficience du marché, on pourrait donc opposer les institutions « supports » de l’efficience du marché. Si parler « d’institutions » pour désigner les « intermédiaires » sur le marché du travail, comme les cabinets de recrutement, pourrait sembler excessif – par comparaison avec des organisations plus pérennes et plus adossées à la sphère publique –, il est heuristique de voir le recours à la chasse de tête pour le recrutement des cadres dirigeants comme un « arrangement institutionnel », c’est-à-dire comme « un mode d’organisation des transactions » (Ménard, 2003). Dans la catégorisation williamsonnienne (Williamson, 1994), ce recours à un tiers rapproche le recrutement des arrangements hybrides et s’oppose tant au recrutement direct sur le marché (externe) de candidats par l’entreprise qu’à la mobilité en interne de ses salariés. Des intermédiaires professionnalisés dans cette activité (gestion et alimentation de bases de données, professionnalisation de l’évaluation, etc.) bénéficieraient d’économie d’échelle et permettraient de diminuer globalement le temps et le coût de la recherche et d’améliorer l’appariement (« matching ») entre salariés et entreprises. Ils permettraient ainsi d’améliorer la qualité de l’information et d’en réduire le coût, et ils rapprocheraient le marché du travail d’un marché du travail parfait (Stigler, 1962). Dans cette optique, cet arrangement institutionnel concret réaliserait mieux que les arrangements institutionnels alternatifs (marché direct ou organisation) l’efficience marchande du modèle théorique. Des travaux ont cependant montré que, loin d’être de simples supports techniques de l’appariement entre une offre et une demande déjà constituées – dont on pourrait donc faire abstraction lors de la modélisation des « mécanismes de marché » –, ces cabinets ont un rôle important dans la définition même de l’échange et son expression en une offre, une demande et un prix (Bessy, 1997 ; EymardDuvernay, Marchal, 1997). Leur activité ne conduit peut-être pas à une réduction de l’écart entre la réalité du marché du travail, sur lesquels ils opèrent, et le modèle de marché idéal (transparence de l’information, efficience). Si ces travaux sur les cabinets de recrutement conduisent généralement à refuser une réponse unilatérale à l’alternative institution « entrave »/institution « support », ils analysent plus les effets d’exclusion de certaines catégories de salariés produits, au cours des différentes étapes du jugement, que la qualité du fonctionnement marchand généré. Notre objectif est de montrer comment le recours à des cabinets de chasseurs de têtes contribue à structurer le marché très particulier des cadres dirigeants. Selon Finlay et Coverdill (2002 : 3-5), la chasse de tête s’est fortement développée aux États-Unis depuis le milieu des années soixante-dix. En France, le recours à ce type d’intermédiation semble, moins actif qu’outre-Atlantique, mais les Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 données précises manquent sur ce point. Il s’impose essentiellement sur les marchés des cadres supérieurs, et plus particulièrement celui des cadres dirigeants ou ceux des cadres du secteur de l’industrie financière, du conseil ou de l’informatique. Si quelques grands cabinets internationaux comme Heidrick & Struggles, Spencer Stuart, Korn Ferry, Egon Zehnder…, dominent le secteur, celui-ci reste relativement concurrentiel1 et comporte de nombreux petits cabinets généralistes ou spécialisés2. En l’absence de recensement des cabinets de chasse de tête, il est difficile de préciser le nombre et la concentration du secteur. Un Guide des professionnels du recrutement répertorie mille deux cent vingt entreprises d’intermédiation et détaille les cent vingt-cinq premières (qui effectuent 80 % des missions). Mais il a le défaut de ne pas respecter les frontières symboliques, fragiles mais essentielles, de la profession en mélangeant les cabinets de chasseurs de têtes et les cabinets de recrutement (qui ne font pas la vraie « chasse » par « approche directe »), les cabinets spécialisés dans le high management (sur lesquels nous nous focalisons ici) et les cabinets spécialisés dans le low management (même si les uns s’aventurent sur les terres des autres), les cabinets qui ne font que du recrutement et ceux qui offrent aussi des services de conseil en stratégie. Notre démarche repose sur l’analyse des pratiques des consultants, fondée sur une approche à la fois ethnographique et quantitative (cf. encadré 1). Dans un premier temps, nous suivrons les premières étapes d’élaboration de la transaction. Dans un second temps, l’analyse de la façon dont s’établit cette dernière (l’appariement) nous amènera à nous interroger – à un niveau plus agrégé – sur ses effets sur le fonctionnement du marché du travail. Encadré 1 Méthodologie Notre étude repose sur l’articulation étroite de trois éclairages complémentaires : une étude quantitative sur une base de données d’un des deux cabinets étudiés, une série d’entretiens approfondis, aussi bien avec des chasseurs de têtes qu’avec des cadres dirigeants qui ont été en contact avec ces derniers, et enfin, une observation participante de plusieurs mois (Sorignet, 2004). L’étude a porté plus particulièrement sur deux cabinets de chasseurs de têtes « haut de gamme » : cabinets ChasseTête_1 et ChasseTête_2. – Au sein du premier cabinet, l’un des auteurs a travaillé un an et demi comme « chargé de recherche » de 1997 à 1999. En 2000, le cabinet a accepté de nous céder une partie de sa base de données pour mener une étude quantitative. La base de données contient les dossiers (c’est-à-dire essentiellement le CV et l’appréciation du candidat par les consultants) de 2 723 personnes contactées sur une période de trois ans entre 1997 et 2000, dont 1 870 personnes ont été effectivement contactées dans le cadre de 239 missions commerciales. La base de données contient aussi des renseignements sur l’entreprise cliente (chiffre d’affaires, etc.) et sur les désirs du client. Dans ce cabinet, une dizaine d’entretiens (d’une heure trente à trois heures) ont été menés avec les consultants entre 2000 et 2003. – Au sein du cabinet ChasseTête_2, l’un des auteurs a travaillé trois mois pendant l’été 2002. Une dizaine d’entretiens ont été réalisés avec des consultants et des candidats en 2002 et 2003. – Enfin, lors d’une enquête portant sur le marché du travail dans l’industrie financière, certains aspects du recours à la chasse par les acteurs de l’industrie financière (banques ou salariés) ont pu 1 Ainsi par exemple, durant la seule année 1998, le département de marché d’une grande banque parisienne avait eu recours à quinze cabinets pour une trentaine de « chasses » et un coût global de cinq millions de francs 2 L’une des raisons importante limitant la concentration du secteur est la pratique des clauses « off-limits ». Lorsqu’un chasseur conclut une transaction avec un client, il s’engage à ne pas chasser de salariés de tout ou partie de l’entreprise de son client pendant une durée de deux ans. Une entreprise, qui veut protéger ses effectifs de la concurrence, peut avoir intérêt à diversifier ses chasseurs. En outre, un chasseur important risquera d’être moins intéressant, s’il est handicapé par de telles clauses auprès des concurrents de son client. 6 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 être observés (Godechot, 2004) et quelques consultants d’autres cabinets (i.e. ChasseTête_3) ont aussi été interrogés. À partir de la base de données de ChasseTête_1, on peut dégager le profil des cadres dirigeants contactés par le premier cabinet, et par-là, mieux spécifier le « segment » du marché du travail auquel on s’intéresse ici : la moyenne et médiane d’âge est de 41 ans, 86 % sont des hommes, et leur salaire net moyen (en 1998) – hors autres composantes de la rémunération – est de 740 000 FF (10 % percevant moins de 400 000 FF et 10 % plus de 1 200 000 FF). Pour ce même cabinet (ChasseTête_1), les missions durent en moyenne six mois (Godechot, Sorignet, 2001).. 1. INFORMER LA DEMANDE, SUSCITER L’OFFRE : LES PRATIQUES AU FONDEMENT DE LA TRANSACTION Pour analyser le rôle du cabinet de chasse de tête sur le marché du travail des cadres dirigeants, il convient de commencer par saisir comment il contribue à construire la demande et l’offre sur ce marché. Ce dernier est particulier : ne s’y échange pas un produit « standardisé », comme ce peut être davantage le cas sur d’autres marchés du travail, où ce sont les acteurs institutionnels de la relation formation-emploi3 qui formatent dans une grande mesure l’échange, et ce, plus particulièrement sur les marchés professionnels (Marsden, 1990). Si les certifications, notamment scolaires, sont des conditions souvent nécessaires, elles sont loin d’être suffisantes, car aussi bien le poste vacant que la personnalité de celui ou celle susceptible de l’occuper ne sont pas fixés ex ante mais plutôt le résultat de l’interaction entre le client (qui ouvre le poste) et le cabinet. Ce dernier, par les offres qu’il suscite et les candidats qu’il propose, influe aussi de façon cruciale sur le résultat de la transaction. 1.1. Construire la demande : la relation client-chasseur de têtes 1.1.1. L’initiative de la demande Pourquoi une entreprise passe-t-elle par un chasseur de têtes pour recruter un de ses cadres dirigeants plutôt que par ses ressources humaines ou par des petites annonces ? Finlay et Coverdill (2002 : 38) avancent deux sortes de raisons dans le cas de la chasse de tête américaine, qui sont valables aussi pour la France : des raisons d’efficacité économique et des raisons d’intérêts politiques. En raison de leur degré de spécialisation dans un créneau de recrutement et des rendements d’échelle liés à l’organisation d’une structure de recherche (base de données, etc.), les chasseurs de têtes auraient, tout d’abord, une meilleure capacité à chercher et à approcher des candidats potentiels adéquats et feraient preuve d’une plus grande rapidité. D’un point de vue politique, la chasse de tête permettrait ensuite de contourner en partie l’intervention du département des ressources humaines, dont les intérêts peuvent être différents des managers qui cherchent à recruter4. Dans le cas du créneau des cadres dirigeants étudié ici, les alternatives de recrutement n’existent pas toujours. Les ressources humaines ne sont pas supposées pouvoir recruter des personnes de niveau supérieur à elles et les opérations de recrutement doivent être entourées de la plus grande discrétion (par exemple, pour un remplacement), tant en interne qu’en externe, ce qui empêche aussi de passer par annonce5. Recruter à l’extérieur permet aussi d’éviter et de contourner la solution du recrutement interne, que ce soit la 3 Ces acteurs sont principalement le système de formation, qui définit les diplômes, et les partenaires sociaux, qui élaborent, à travers les conventions collectives, des classifications d’emploi et de « qualification ». 4 Les ressources humaines conservent parfois un rôle de sélection du cabinet de chasse de tête, ainsi que plus généralement un rôle administratif de règlement des prestations du cabinet. 5 Il peut arriver que ce soit directement l’actionnaire principal qui commande une chasse pour trouver un nouveau DG sans que les dirigeants en place en soient informés. 7 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 promotion d’un subordonné ou la mobilité latérale. Dans l’entreprise décentralisée organisée en centres de profits, le recours aux transactions externes plutôt qu’aux transactions internes est ainsi un moyen pour un centre de conserver son autonomie et d’éviter les relations politiques avec les autres centres (Eccles, Whyte, 1988). Ajoutons enfin que, dans bien des entreprises, le manager qui recrute bénéficie directement des avantages d’une recherche pointue et rapide, mais n’en supporte pas toujours les coûts, ceux-ci pouvant être dilués dans les coûts structurels de l’entreprise. Passer par un chasseur est ainsi, selon les termes mêmes de certains responsables des ressources humaines de l’industrie financière, une « solution de facilité » (Godechot, 2004). Pour ces raisons, ce manager deviendra le client d’un cabinet. C’est alors un consultant particulier qui, en son sein, assurera le suivi de la « mission ». L’enjeu crucial pour ce dernier est au départ de bien comprendre la « demande » qui lui est faite. Il lui faut d’abord bien situer le « sujet » de cette demande. Il peut être en effet confronté à plusieurs interlocuteurs dans l’organisation cliente (par exemple, le DRH et le chef de service où le poste est ouvert), qui n’ont pas forcément la même conception du poste et/ou du profil de la personne recherchée. Bien saisir ces divergences potentielles, leur degré d’explicitation et les rapports de force qui les sous-tendent (notamment pour savoir qui in fine décidera de l’embauche) est donc essentiel. À la suite d’un entretien avec le client, le consultant rédige un court document retraçant sa perception du profil du poste et de la personne. La construction de la « compréhension du poste » par le consultant est un enjeu décisif dans la stabilisation de la relation entre le chasseur et son client. Ce document fonctionne comme un signal rassurant envers ce dernier et doit témoigner de la compétence du cabinet et de sa capacité à remplir efficacement sa prestation de service. C’est pourquoi le délai entre le rendez-vous client et l’envoi de la définition du poste est souvent très restreint, car participant à l’effet signal adressé au client et à la construction d’une réputation. 1.1.2. Formater la demande Mais le consultant fait dans de nombreux cas bien plus que simplement « s’adapter » à une demande clairement explicitée du client. De fait, il transforme une demande singulière en une demande de « marché » ou, plus exactement, en une demande à laquelle il est susceptible de répondre6. Un des outils fondamentaux, au sein du cabinet ChasseTête_1 mais aussi dans d’autres cabinets de recrutement, est la base de données. Une des difficultés majeures pour l’entretien de cette base est la définition des nomenclatures des variables. Celles-ci doivent être à la fois précises et exhaustives. De nombreux problèmes de classification peuvent surgir, aussi bien pour les candidats potentiels (notamment ceux qui ont plusieurs diplômes7) que pour les types de postes. Fabriquer des catégories d’équivalence pour comparer des postes déclarés équivalents, dans des entreprises qui ne le sont pas forcément, impose de trouver des dénominateurs communs, d’établir des définitions, de trancher dans le vif pour établir des frontières. Dans ce travail de catégorisation, les nomenclatures des cabinets de chasse de tête (elles-mêmes non standardisées) peuvent entrer en conflit avec les classifications d’autres intervenants sur le marché (cabinets de conseil en stratégie RH, notamment). Il importe au chasseur de têtes de conserver le contrôle de la définition du poste (et donc d’essayer de le formater selon ses propres catégories). Ainsi par exemple, le cabinet ChasseTête_1 avait accepté de mener une recherche sur plusieurs postes pour une multinationale du luxe dont l’organisation venait d’être modifiée par un 6 Eymard-Duvernay et Marchal montrent ainsi comment un cabinet de conseil en recrutement transforme une demande floue de « bras droit » d’une PME en adjoint de direction, avec des critères d’âge et de diplôme très précis (1997, chapitre 2). 7 Ainsi, un candidat doté à la fois d’un BTS et d’un MBA avait suscité de nombreuses interrogations de la part des consultants du cabinet ChasseTête_1. Devaient-ils le considérer (tant pour la mise en forme statistique que pour l’analyse) plutôt au titre du premier diplôme ou au titre du second ? 8 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 grand cabinet de conseil en stratégie. Ce dernier avait proposé un nouvel organigramme basé sur la transversalité des postes. Comme le souligne l’un des consultants de ChasseTête_1, « on nous demandait de rechercher des profils qui n’existent pas. Ils ont inventé des noms de postes très pompeux, complexes et tendances, mais, nous, je ne vois pas ce qu’on peut faire avec cela ». Cependant, l’importance du contrat (plus de trois millions de francs) obligea ChasseTête_1 à accepter les définitions de postes établies par le cabinet de conseil en stratégie. Sa tactique a consisté alors à redéfinir progressivement et implicitement les postes pour y faire correspondre des candidats connus et qualifiés pour ce qui apparaît comme le noyau d’activité du poste, dont l’identification est brouillée par une appellation sophistiquée. Un consultant remarque pour un poste dont il est chargé de trouver le candidat : « En fait, ce qu’il voulait, c’était un bon directeur des achats et non un machin chose délirant. [Le cabinet de stratégie X] est passé avant et, nous, on décrypte par rapport à ce que l’on peut connaître des besoins de l’entreprise et de la réalité du marché. » De façon plus générale, la difficulté ne consiste pas seulement à « formater » un profil de poste, elle réside aussi dans le fait que le client émet parfois des conditions en termes de diplôme, de trajectoire professionnelle, d’âge, etc., que le consultant juge difficiles, voire impossibles, à satisfaire, notamment par rapport aux fonctions et à la rémunération proposées. Là aussi, toute la subtilité du consultant est d’amener le client à réviser la « demande » initiale. De ce point de vue, la stratégie de sélection, de préparation et de présentation de candidat peut jouer un rôle important. 1.2. Susciter l’offre : la recherche des candidats Le travail du consultant repose avant tout sur « l’approche directe », selon la terminologie utilisée. Celle-ci consiste à transformer en candidats des salariés, en poste à l’intérieur des entreprises, qui ne sont pas forcément en quête d’un nouvel emploi. L’approche directe constitue bien le cœur d’activité de la « chasse » ou du moins ce qui va constituer la réputation d’un bon « chasseur ». Pour repérer ces offreurs de travail, peu visibles et qui souvent s’ignorent comme tels, le consultant mobilise d’abord son capital social et/ou identifie des candidats potentiels par le biais des annuaires de grandes écoles, des revues spécialisées dans la diffusion des nominations des cadres dirigeants, des pages « économie » de la presse généraliste dans lesquelles sont cités les cadres de haut niveau. Pour découvrir des candidats potentiels, le consultant recourt aussi à des informateurs – les « sources » – susceptibles de lui indiquer des noms. Même si les sources sont en partie mutualisées au niveau du cabinet, elles constituent avant tout un capital individuel. La capacité à mobiliser met en jeu, d’une part, la trajectoire antérieure du consultant (qui a souvent occupé un poste à responsabilité en entreprise), d’autre part, la réputation dont il est crédité en tant que chasseur de têtes. Le chasseur peut s’adresser à des personnes avec lesquelles il entretient des liens forts : d’anciennes relations professionnelles censées disposer d’informations sur des candidats potentiels mais aussi des relations amicales tissées au long de son parcours de consultant (ancien candidat ou client devenu un ami). Cependant, l’essentiel de ses sources réside dans des liens que l’on peut qualifier de « faibles », à la suite de Granovetter (Granovetter, 2000), constitués d’anciens candidats placés, de candidats présentés, d’interlocuteurs privilégiés dans des entreprises clientes mais aussi de personnes recommandées par d’autres sources et contactées le plus souvent en leur nom. La relation entre le consultant et sa source se fait sur le mode du « don » : la personne susceptible de donner de l’information le fait généralement de bonne grâce, sur le mode de la gratuité, mais attend implicitement, à un horizon indéterminé, qu’on lui rende en échange un service (proposition de postes, recherche d’un candidat, fourniture d’information sur les prix du marché). Au total, l’accumulation de capital social, au niveau individuel comme au niveau du cabinet, est un élément clé de la transmission de l’information et, partant, du fonctionnement du marché du travail. Dans tous les cas, candidats, sources et clients donneurs d’ordres contactés au cours de la mission ou hors de celle-ci sont méticuleusement enregistrés dans la base de données du chasseur. Ils constituent un capital réutilisable lors des missions suivantes. Si, dans l’immense majorité des cas, la 9 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 consultation de la base de données ne donne au mieux qu’une première liste indicative de candidats potentiels pouvant correspondre au poste et devant être complétée par de nouveaux candidats, nous avons pu observer que certaines missions, tarifées à 40 000 euros, sont réalisées en quelques jours, voire en quelques heures par consultation de la base de données. Il s’agit à ce moment-là de mettre en scène cette rapidité et en faire un signe d’excellence et non de facilité de la démarche de recherche du candidat. Pour justifier sa rémunération, le cabinet a tout intérêt à faire croire que son travail réside toujours dans l’activité de « chasse ». Cela fait aussi partie du processus de personnalisation de la relation au client, qui attend du consultant que celui-ci s’adapte au mieux à sa demande spécifique et qu’il lui trouve « la perle rare », résultat d’une recherche acharnée et non de la simple consultation d’une base de données préconstituée. 1.3. Évaluer les candidats : les dessous d’une transaction intime 1.3.1. Objectiver l’évaluation La première requête de sélection de candidats dans la base de données, ou le premier contact téléphonique avec le candidat, consiste à vérifier que les candidats putatifs répondent aux « spécifications » globales du poste par le donneur d’ordres. C’est à cette étape que les variables dites « objectives » (formation, expérience, âge) vont jouer le rôle le plus fort8. Après cette première étape de sélection, le consultant invite les candidats potentiels à un entretien, où il évalue leur qualité, leur présente le poste et les prépare parfois même à l’entretien final avec le client. À ChasseTête_1, le consultant attribue au candidat deux notes (l’une générale, l’autre par rapport à la mission) et effectue un petit compte-rendu écrit de la rencontre, qui a un rôle à la fois évaluatif et mnémotechnique. C’est à l’issue de cette rencontre qu’il choisira de proposer ou non à son client de rencontrer le candidat. Une régression montre que le rôle des variables dites objectives (déterminantes à l’étape de la présélection) joue à cette étape un rôle bien moindre (cf. annexe). Hormis l’adéquation du poste offert par le client et du poste occupé par le candidat (à savoir le fait que les candidats occupent la même fonction dans le même secteur – nous y reviendrons), il ressort de cet exercice que très peu de coefficients sont significatifs au seuil de 10 % : les « catégories de jugement » des consultants se laissent difficilement objectiver au niveau collectif. Elles doivent être appréciées au niveau de chaque consultant, mais aussi en « acte », étant donné l’importance de l’entrevue dans la détermination de la note de valeur personnelle. De fait, lorsqu’on les interroge, les consultants soulignent que la quintessence de leur travail consiste justement à aller au-delà de la simple mobilisation de critères objectifs définis a priori (comme l’âge, le sexe ou le diplôme) pour apprécier une personne dans son individualité et son adéquation à un poste, saisi lui aussi dans son unicité. 1.3.2. Une évaluation objective ? La relativisation du rôle des variables « objectives » (i.e. qui apparaissent dans le CV) a automatiquement pour corollaire la valorisation des aspects plus subjectifs. Dans la plupart des entretiens avec les consultants, le parallèle avec l’appariement sur le marché matrimonial est explicité, et renvoie, plus qu’à une simple métaphore, à une analogie revendiquée. Dans ce cadre, c’est bien la personnalité des candidats qu’il s’agit de saisir, au-delà de compétences plus directement professionnelles (liées à la formation et à l’expérience). 8 La base de données exploitée, limitée aux seuls candidats rencontrés par le chasseur de tête, ne permet toutefois pas de mesurer les modalités de cette première sélection. 10 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 Encadré 2 : Analyse statistique du vocabulaire des consultants L’analyse statistique du vocabulaire porte sur les notes rédigées par les consultants sur les candidats qu’ils reçoivent. La base de données contient des notes pour 2 541 personnes formant au total un texte de 172 845 mots. En supprimant les accents et en mettant le texte en majuscule, on compte 11 723 formes graphiques distinctes – sachant que les différentes orthographes (genre, nombre, conjugaison) d’un même mot sont distinguées et les noms de personnes et d’entreprises ont été anonymisés et désignés par le même code par le cabinet ChasseTête_1 lors de la cession du fichier. Les formes graphiques les plus fréquentes sont, comme dans tout texte de langue française, les « mots outils », articles, prépositions, pronoms, etc. (« DE », « ET », « LE ») qui n’apportent que peu d’information dans une analyse statistique. La liste des 1 641 formes graphiques (hors mots outils) apparaissant plus de dix fois (et représentant plus de 52 % du vocabulaire), celles des 2 012 segments de deux mots et des 8 870 segments de trois mots ont constitué une base de travail pour la sélection des mots et expressions les plus intéressantes. Les quinze formes graphiques les plus fréquentes (hors mots outils) Forme graphique SS (= codage d’un nom d’entreprise) TRES II (= codage d’un nom d’individu) STECLIENT (= codage d’un nom de client) PEU CONTCLIENT (= codage d’un nom de contact chez le client) ANS EXPERIENCE CC (= codage d’un nom de consultant) BONNE BIEN BON YEUX ASSEZ KF N 3 222 2 199 1 665 1 246 1 066 1 037 882 875 827 802 691 659 630 583 500 À la différence de la statistique de corpus qui explore les corrélations entre l’ensemble des formes graphiques, nous avons sélectionné, dans cette première exploration – appelant des prolongements –, une liste de mots ou d’expressions qui, hors de la phrase, étaient le moins ambigus possible (« GRAND » est ainsi ambigu, car il sert à qualifier un grand nombre de substantifs), ceux qui traduisaient le plus l’activité d’évaluation du consultant et ceux qui étaient les moins redondants par rapport à l’information disponible par ailleurs (les mots désignant le poste occupé par le candidat sont ainsi redondants avec le CV). On trouvera ci-dessous une liste d’expressions classées par thèmes qui, dans le cadre de l’analyse exploratoire présente, nous ont paru pertinentes. Registre Expressions Carrière EXPERIENCE INTERNATIONAL POSTE CARRIERE COMMERCIAL DIRECTION BONNE EXPERIENCE PAS D’EXPERIENCE N 11 875 394 383 246 237 230 135 39 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 Réseau Surface du candidat Appariement Éléments de négociation Manières de se présenter Compétence Compétences morales Corps Esthétique SS (= nom d’une entreprise) II (= nom d’un individu) STECLIENT (= nom du client) CONTCLIENT (= contact Client) CC (= nom d’un consultant) PAR II REFERENCE* DEVELOPPEMENT MF PROFIT RESULTAT* REALISE* / REALISATION* INTERESSE PAS ASSEZ PAS INTERESSE PAR TROP GROS POUR KF SALAIRE SOUHAIT* VOITURE STOCK OPTIONS PRESENTATION BONNE PRESENTATION PARLE A L AISE MANQUE DE CHARISME CONNAI* INTELLIGENT FORMATION CONNAIT PAS ESPRIT DE SYNTHESE SYMPA / SYMPATHIQUE DYNAMIQUE SERIEUX RAPIDE HONNETE YEUX CHEVEUX BRUN VISAGE BLEUS YEUX BLEUS CHAUVE/DEGARNI BLOND ELEGANT BELLE BEAU 3 222 1 665 1 246 1 035 827 246 128 235 141 79 46 46 223 77 24 13 500 335 232 180 35 289 147 306 75 17 433 262 135 34 17 412 197 182 131 70 630 458 312 196 169 166 122 80 106 102 49 L’analyse statistique a consisté ensuite à étudier les corrélations entre cette première liste d’expressions et les caractéristiques des candidats ou du client. Outre les limites propres à l’analyse statistique du vocabulaire (appauvrissement du sens par extraction de mots ou d’expressions hors de leur contexte, mauvaise prise en 12 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 compte des multiples façons linguistiques d’exprimer une même chose – synonymie –, et des multiples choses exprimées par une même expression – polysémie –), signalons ici un biais propre à la base : nous ne connaissons pas l’identité des consultants qui rédigent la note. Chacun a son propre style de rédaction et peut faire attention à certaines caractéristiques du candidat que d’autres notent moins systématiquement. Le biais propre au style du consultant ne peut être ici malheureusement contrôlé. Il est de ce point de vue intéressant d’analyser, à côté des notes qui synthétisent deux formes de jugement, les remarques écrites des consultants sur les candidats rencontrés, et ce, grâce à l’analyse statistique du vocabulaire utilisé (cf. encadré 2). Le vocabulaire relatif à la description de la carrière est bien entendu fort présent, ce que l’on voit à travers l’importance des occurrences « EXPERIENCE » (875), « INTERNATIONAL » (394). Il côtoie aussi des mots décrivant des caractéristiques moins professionnelles et moins objectivées des personnes. Les occurrences fortes de « BONNE PRESENTATION » (147), « PARLE » (bien ou mal) (306), « S’EXPRIME » (76), montrent que les manières de parler, qui sont indissociablement des compétences sociales et des compétences techniques et stratégiques au sein de l’entreprise, retiennent tout particulièrement l’attention. De même, la fréquence de mentions renvoyant à des caractéristiques physiques, de taille, de couleur des « YEUX » (630) et des « CHEVEUX » (458), montrent que les atouts corporels, même dans les métiers intellectuels d’encadrement ne sont pas indifférents pour le chasseur de têtes et le client. En particulier quand ces attributs corporels conduisent à des jugements positifs (« BEAU », « ELEGANT », etc.). Enfin, le jugement est aussi un jugement « personnel » au sens où les affinités que le candidat suscite chez le consultant (« SYMPA », « SYMPATHIQUE », 412) ou les qualités morales qu’il réussit à se faire attribuer (« SERIEUX », « HONNETE ») comptent dans le jugement. Faut-il voir dans ces annotations la preuve des dérives de la pratique des consultants, donnant libre cours à leurs a priori ou à ceux de leurs clients (renvoyant pour certains aux affinités « d’habitus »)9 et psychologisant excessivement le rapport au candidat ? On pourrait alors à juste titre, comme le font Eymard-Duvernay et Marchal (1997 et 2000) interroger la pertinence de leur démarche, aussi bien en termes d’efficience que d’équité. 1.3.3. Les raisons de la psychologisation du rapport au candidat Plusieurs considérations amènent à nuancer cette vision négative. Il faut d’abord souligner que la prise en compte de la personnalité du candidat est inévitable pour ce type de poste sensible (cadre dirigeant), la compatibilité de sa personnalité avec celles de ses collègues directs (et notamment ceux qui le recrutent) étant une condition nécessaire de l’adéquation au poste. Ainsi, par exemple, nous avons pu observer des missions au cours desquelles la personnalité du candidat et son adéquation avec celle du client sont particulièrement cruciales. C’est le cas d’une recherche réalisée pour un grand groupe américain de sportswear qui souhaite recruter son directeur marketing. Le directeur général, 36 ans, américain, explique au consultant que la moyenne d’âge dans l’entreprise des cadres dirigeants est de 35 ans, qu’il faut donc quelqu’un de jeune et enthousiaste, simple et direct dans les rapports hiérarchiques et capable de s’investir en dehors du travail dans la sociabilité locale. Ainsi, le consultant recherchera au-delà des compétences techniques du poste proposé, des candidats à l’image de ce jeune directeur général, sans cravate, souvent en jeans et systématiquement le sourire aux lèvres. Lors de cette mission, la dimension 9 Interrogés sur l’importance attachée aux annotations sur l’aspect physique et la présentation, les consultants ont tendance à les relativiser fortement, et précisent qu’elles servent avant tout d’aide-mémoire pour identifier le candidat. Cette dénégation n’est certes que relative, puisque les consultants peuvent objectiver ces variables soit par rapport à la définition du poste, soit par rapport aux exigences du client. 13 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 « psychologique » de la personnalité du candidat sera explicitement présentée par le consultant comme une « compétence » professionnelle au même titre que l’expérience antérieure et le niveau de diplôme. Si le consultant n’est sans doute pas totalement insensible aux affinités qu’ils développent avec certains candidats en raison de la possession d’une caractéristique commune10, l’enjeu primordial pour lui est surtout de savoir si le candidat qu’il présente va plaire au client, aussi bien par ses caractéristiques objectives que subjectives. Cet exercice repose, d’une part, sur sa bonne connaissance des préférences du client et, d’autre part, sur un exercice d’inférence, avéré ou erroné. Les caractéristiques consignées par les consultants varient ainsi fortement selon le secteur du donneur d’ordres. Ainsi, 22 % des candidats lors des missions pour des entreprises du luxe, du parfum et de la cosmétique sont décrits comme « ÉLÉGANT », alors qu’ils ne sont que 5 % dans l’ensemble des missions. Les caractéristiques corporelles comme les « YEUX » ou les « CHEVEUX » y sont aussi systématiquement plus consignés. Au contraire, dans des secteurs de l’industrie classique, le registre de la description physique et de son appréciation esthétique sera moins mobilisé et le vocabulaire plus classique de la vie d’entreprise mobilisé : « INTERNATIONAL » lors des missions pour des entreprises agroalimentaires, « DIRECTION », « MF », « PROFIT » dans le secteur du matériel électrique. De même, la mention du dynamisme du candidat est surreprésentée dans le secteur du commerce et la rapidité (« RAPIDE », « VIF », « VITE ») dans celui de la finance. Au total, ce n’est peut-être pas au niveau de l’évaluation des candidats qu’il faudrait chercher un éventuel dysfonctionnement qui amènerait à douter de la contribution des cabinets de chasse de tête à l’efficience du marché. Les caractéristiques de la transaction, ponctuelle et idiosyncratique, contribuent à expliquer la nature de l’évaluation (et notamment la forte personnalisation sur laquelle elle repose, conférant un caractère intime à la transaction, pour reprendre la notion introduite par Zelizer [2002]). Ces caractéristiques sont justement celles qui justifient, selon Williamson, le recours à des arrangements institutionnels « hybrides », avec recours à un tiers, dont relèvent les cabinets de chasse de tête. 2. L’APPARIEMENT : DE LA TRANSACTION AU MARCHÉ La mise en contact des candidats retenus et du client est un moment clé de la transaction. C’est au cours de son processus que se négocie le prix – i.e. la rémunération –, négociation à laquelle le consultant peut lui-même prendre part. Toujours en partant des pratiques au niveau « micro », l’analyse de ces étapes de la transaction permet de mieux comprendre, à un niveau plus agrégé, le rôle des cabinets de chasse de tête dans le fonctionnement d’ensemble du marché. 2.1. La mise en relation : une contribution au cloisonnement et à la segmentation du marché du travail ? Même si le processus d’appariement est présenté (en premier lieu par les consultants eux-mêmes) comme une mise en adéquation idiosyncrasique (trouver la personne unique pour un poste unique), on peut s’interroger sur ses résultats en termes de « (ré-)allocation des ressources » sur le marché du travail des cadres dirigeants. Les chasseurs de têtes sont souvent accusés de recruter des « clones » pour pourvoir les postes vacants – i.e. privilégier les candidats qui occupent le même type de poste dans le même secteur – et par là, de favoriser le cloisonnement et/ou la segmentation du marché du travail. 10 Par exemple, à ChasseTête_1, les consultants utilisent significativement plus le terme INTELLIGENT pour juger un candidat qui est comme eux un consultant. 14 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 De fait, à analyser la base de données du cabinet ChasseTête_1, concernant un certain nombre de missions menées entre 1996 et 1999, il est frappant de voir l’espace des transferts possibles sur le marché du travail se réduire, au cours des différentes étapes, à un mouvement entre deux postes équivalents. On analyse la correspondance entre, d’une part, la fonction et le secteur du poste offert par le client et, d’autre part, les fonctions et les secteurs des postes occupés par le candidat au cours de sa carrière, en prenant comme nomenclature les listes particulièrement détaillées du chasseur (une centaine de catégories pour les fonctions, dont une quarantaine effectivement utilisée ; mille catégories pour les secteurs, dont deux cent cinquante effectivement utilisées). Lorsque des mouvements se produisent à fonction et secteur identique, le niveau de détail des catégories conduit à définir des déplacements du même vers le même11. Le processus de recrutement organisé par le chasseur de têtes favorise des déplacements très circonscrits sur le marché du travail et contribue à l’étanchéité de chacun des micro-marchés du travail. Correspondance entre le profil du candidat et le profil du poste chez un chasseur de têtes Étape dans le processus de recrutement Correspondance entre poste offert et poste(s) occupé(s) Candidats Candidats interviewés présentés par le chasseur par le chasseur pour un client au client Candidats présentés embauchés par le client Changement de poste hors cabinet* 1. Secteur et fonction toujours différents 22 % 18 % 1% 34 % 2. Même secteur mais fonction toujours différente 8% 7% 10 % 11 % 3. Même fonction mais secteur toujours différent 49 % 50 % 14 % 36 % 4. A occupé au moins une fois dans sa carrière un poste dans le même secteur et un poste dans la même fonction (mais jamais les deux ensemble) 4% 5% 8% 4% 5. Même secteur et même fonction au moins une fois dans la carrière mais pas dans le dernier poste occupé 8% 9% 13 % 8% 6. Même secteur et même fonction lors du dernier poste occupé 8% 12 % 55 % 8% Total 100 % 100 % 100 % 100 % Effectif 1 796 721 110 3 925 * Changements d’entreprise contenus dans les deux premières lignes de CV des candidats. Lecture : 22 % des candidats interviewés par le chasseur de têtes n’ont jamais occupé de postes de même fonction ni de postes dans le même secteur. Ils sont 18 % dans ce cas parmi les candidats présentés par le chasseur au client et 1 % parmi les candidats embauchés par le client. Au contraire, dans le cas des changements d’entreprise constatés dans les CV des candidats, 34 % se sont faits vers des postes dont le candidat n’a jamais occupé ni la fonction, ni le secteur. Les évolutions au cours du processus de recrutement sont très nettes. La part des personnes qui n’occupent pas (ou n’ont jamais occupé) un poste exactement dans le profil du poste défini par le client (ou défini conjointement par le client et le chasseur) diminue fortement. Les personnes les plus 11 La catégorie fonctionnelle la plus utilisée (« EXEC DIRECTOR » équivalent à directeur général au sens large – y compris directeur de filiales –) regroupe 18 % des candidats de ChasseTête_1 (toutes lignes de CV confondues) et 27 % des candidats en poste. La catégorie sectorielle la plus courante, « MANAGEMENT CONSULTING SERV » – i.e. conseil en management –, recouvre 7 % des candidats. 15 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 éloignées de la définition passent de 22 % des candidats à la phase des premières interviews des candidats par le chasseur à 18 % des candidats lors des présentations des candidats aux clients et à 1 % des candidats finalement retenus par les clients. Ce processus commence même en amont. À l’étape de la requête dans la base de données et du tri par le consultant des résultats de la requête, on définit un ensemble de candidats potentiels relativement restreint par rapport aux possibilités réelles de mobilité entre fonctions et/ou entre secteurs. Ce résultat est visible, lorsque l’on met en regard la part relative beaucoup plus faible des candidats ne partageant pas les propriétés sectorielles et fonctionnelles lors des interviews (22 %) que lorsqu’on analyse des mouvements de recrutement sur la même population avec d’autres types d’intermédiation que le cabinet de chasse de tête ChasseTête_1 (34 %)12. Le travail d’élimination lors d’un recrutement de tous les membres des marchés du travail connexes, entamé à l’étape de la requête de recherche des candidats potentiels dans une base de données, se poursuit aussi lors des phases plus qualitatives du recrutement, interviews, présentation, entretiens d’embauche, recrutement. Les « clones », ceux qui occupent exactement la même fonction dans le même secteur, en particulier à la date du recrutement, sont particulièrement favorisés lors du processus de recrutement : 8 % parmi les interviewés, 12 % parmi les présentés, 55 % parmi les embauchés, alors que ce n’est pas, dans ce monde-là, hors de la médiation de ChasseTête_1, le seul mode de transfert sur ce marché du travail (8 % d’après les lignes de CV). Les chasseurs de têtes ne font-ils pas un effort de diversification et ne proposent-ils pas encore à leurs clients à l’étape des présentations une certaine variété de profils ? Selon eux, ce sont les clients qui ne seraient pas prêts à la nouveauté alors que les cabinets de chasse essaieraient de mettre davantage de fluidité dans le marché. De fait, si on analyse les résultats des propositions des consultants (toujours à partir de la base de données de ChasseTête_1), le cloisonnement du marché semble plus le résultat du choix du client que de la politique du chasseur de têtes. Lorsque ce dernier propose lors d’une même mission plusieurs types de candidat, le candidat éventuellement embauché est toujours l’un de ceux ayant le plus proche degré de proximité avec le poste : un candidat de la ligne 6 du tableau est préféré à un candidat de la ligne 5, un de la ligne 5 à un de la ligne 4, etc. On s’aperçoit toutefois que le chasseur accompagne ce mouvement en présentant un panel de personnalités soigneusement dosé. 33 % des missions où le chasseur ne présente au client que des « atypiques »13 rencontrent le succès. Le taux s’élève à 50 % lorsque le consultant ne présente que des « typiques » et à 84 % lorsqu’il propose à la fois des « atypiques » et des « typiques », sachant que le recrutement se fait toujours dans ce cas à la faveur de ces derniers. Introduire des candidats atypiques dans l’échantillon qui sera présenté au client peut relever plus d’une stratégie commerciale éprouvée, d’ailleurs explicitement assumée et revendiquée comme telle en interne par les consultants, que d’un souci de vouloir élargir l’éventail de choix et, par-là, fluidifier le marché. En présentant un petit échantillon différencié et hiérarchisé, on fait croire, dans une logique gaussienne, que l’extremum (i.e. le « typique ») de la hiérarchie présentée est particulièrement rare et précieux et qu’il est impératif de saisir l’occasion14. Au contraire, si on propose plusieurs spécimens répondant parfaitement au cahier des charges du client, on plonge ce dernier dans l’embarras du choix. Celui-ci, devant l’absence de candidat émergeant du lot, peut 12 On ne sait évidemment pas comment s’est produit le changement d’entreprises marqué sur les CV des candidats. Il peut avoir été organisé, dans certains cas, par un cabinet de recrutement (y compris ChasseTête_1) ou par tout autre canal. La relation directe entre le recruteur et le recruté permet peut-être de prendre plus de risque et de s’affranchir de l’adéquation entre le poste d’origine et le poste d’arrivée. 13 Les candidats que nous qualifions d’ « atypiques » sont des personnes qui n’ont jamais occupé un poste don’t, à la fois, la fonction et le secteur sont identiques à ceux définis par le client (ils correspondent aux personnes de la ligne 1 à 4 du tableau). Les candidats « typiques » sont des personnes qui ont déjà occupé un poste identique en termes de fonction et de secteur à ceux définis dans le profil du poste offert (ligne 5 et 6 du tableau). 14 Une stratégie peut consister aussi à introduire parmi les atypiques une « star », selon la terminologie interne au milieu, – i.e. un candidat exceptionnel, dont le consultant a conscience qu’il peut être surdimensionné pour le poste, mais qui lui permettra d’impressionner le client en illustrant la qualité de son « vivier » de candidats. 16 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 préférer reporter sa décision, croyant, à partir de l’abondance de candidats dans le profil, qu’on peut attendre et essayer de trouver par une autre méthode un candidat qui affleure, pour avoir finalement la satisfaction d’arrêter sa décision sur une perle rare. Ainsi, lors d’une recherche pour un poste de directeur de production chez un grand équipementier automobile, le consultant donne les consignes suivantes au chargé de recherche : « Il nous faut cinq candidats à présenter. Sur les cinq, j’en veux deux qui correspondent parfaitement aux « specs » (i.e. aux caractéristiques demandées par le client). Les trois autres un peu moins bons pour mettre en valeur les deux autres. » Le chargé de recherche sélectionnera alors essentiellement en fonction de l’expérience antérieure et du diplôme. Dans ce secteur et cette fonction où les « autodidactes » ne sont pas rares, le consultant présentera d’abord des candidats avec des diplômes de grandes écoles d’ingénieurs, ses deux favoris étant respectivement diplômés de Polytechnique et de l’École des mines de Nancy. Les trois autres seront moins diplômés (deux d’écoles d’ingénieurs de second rang et l’un d’un DESS), bien qu’ayant l’expérience professionnelle requise. Cette gestion du portefeuille de candidats permet au consultant de participer activement au choix du client, voire même de l’orienter, ce qui procure de plus grande chance de succès de clore la mission rapidement. 2.2. La détermination de la rémunération : un rôle inflationniste ? Le chasseur de têtes ne se contente pas de mettre en relation : très souvent, il joue un rôle important dans la fixation des modalités du contrat d’embauche, et notamment dans la négociation de la rémunération. 2.2.1. Les attentes des candidats En ce qui concerne les attentes des candidats, il ressort des entretiens un apparent paradoxe : de nombreux cadres dirigeants, au cours d’un même entretien, peuvent à la fois affirmer que, pour eux, l’argent n’est pas important et se décrire comme très exigeants dans leur négociation de rémunération d’embauche. Au-delà de la possible dissimulation15, cette contradiction apparente se résout si on conçoit ces affirmations comme se situant dans deux registres différents. En termes absolus, on a affaire à une population qui déclare ses besoins matériels largement couverts et dont la priorité dans le travail se situe plutôt au niveau de l’épanouissement. En revanche, c’est en termes relatifs que le niveau de la rémunération importe : sur ce marché très concurrentiel, la rémunération est un signal de la qualité (Spence, 1973)16. Être relativement peu rémunéré et/ou peu exigeant sur la rémunération peut révéler directement de faibles compétences et/ou performances, ou indirectement une mauvaise connaissance du marché et/ou un faible pouvoir de négociation, caractéristiques qui sont aussi considérées comme des défauts. La rémunération passée et présente du candidat est donc une information stratégique, néanmoins relativisée par les différences de rémunération selon les secteurs (à diplôme et poste équivalents, le monde du luxe paie beaucoup mieux que l’industrie automobile), généralement connues par le chasseur de têtes. Le consultant essaie toujours d’obtenir cette information, en l’exigeant parfois de façon assez brutale (injonction de présenter des bulletins de salaire) quand le rapport de force le permet. Tout autant que son montant, les composantes de la rémunération – qui peuvent être très diverses pour la population ici étudiée – importent ici. De fait, la rémunération recouvre un champ très large (salaires, primes, avantages divers en nature), si bien qu’il existe pratiquement un continuum entre la rémunération stricto sensu et l’ensemble des caractéristiques positives d’un poste. Par ailleurs, plus que pour les autres professions, les considérations symboliques (par exemple, la taille ou la marque 15 Face aux chercheurs comme face au consultant, il n’est évidemment pas conçu comme décent ou stratégique de s’avouer trop motivé par l’argent. 16 Ce rôle de signal est d’ailleurs explicité dans les entretiens aussi bien par les consultants que par les cadres. 17 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 de la voiture de fonction) interfèrent avec des calculs strictement monétaires. Mais, en conséquence, il existe un certain flou sur ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. Les prétentions monétaires ou extra-monétaires des candidats sont autant de « signaux » qui peuvent être décryptés de façon positive ou, au contraire, négative par le consultant. Ainsi, un candidat avait pu obtenir que l’entreprise qui désirait le recruter s’engage à lui payer l’inscription à un club de sport très huppé. Interrogé sur une telle demande – pour laquelle il avait pourtant servi d’intermédiaire –, le directeur du cabinet ChasseTête_2 l’a qualifiée de « indécente ». 2.2.2. Le rôle du consultant Le chasseur de têtes joue souvent le rôle d’intermédiaire dans la détermination de la rémunération. De fait, les cabinets que nous avons étudiés ont une certaine marge de manœuvre de négociation avec le client pour fixer la rémunération offerte. Cette marge de négociation varie selon le type de poste. Plus le profil cherché exige des compétences estimées comme « rares » sur le marché, plus le chasseur de têtes peut négocier à la hausse la rémunération du candidat et, partant, ses honoraires. Symétriquement, les consultants négocient les rémunérations avec les candidats. Si le chasseur de têtes défend d’abord les intérêts de son client, il peut aussi défendre les intérêts du candidat quand celui-ci combine le profil idéal pour le poste. Il peut, dans ce cas, suggérer au client de décerner une forme de prime à l’excellence au candidat idéal. Que l’activité de chasse de tête génère des pressions à la hausse sur les salaires est souvent rapporté. Un responsable des ressources humaines d’une grande banque a souligné que les chasseurs de têtes, en facturant la mission proportionnellement au salaire de la personne recrutée, ont un intérêt direct à une augmentation du prix des personnes chassées. De leur côté, les consultants prétendent simplement répercuter les « prix du marché ». Ainsi, un consultant du cabinet ChasseTête_3 nous a expliqué qu’il doit faire un important travail d’éducation de ses clients, pour leur faire accepter les montants facturés17. « Beaucoup de clients, explique-t-il, pensent que le chasseur a intérêt aux enchères ; car ils sont stupéfaits par les prix », réaction qui témoignerait d’une certaine « immaturité des comportements » [des clients]. La facturation de la mission ex ante, en fonction des caractéristiques de la mission et non du prix de la personne finalement embauchée, permet, selon lui, d’éviter une distorsion des prix. Ces nouvelles pratiques de facturation n’annihilent toutefois pas les pressions haussières. Lors de la définition du profil du poste par le client (laquelle est, dans une large mesure, une coproduction du client et du chasseur), le consultant a doublement intérêt à faire pression à la hausse sur la fourchette de rémunération proposée. D’une part, il tarifiera la mission en se fondant sur ce prix ex ante, tarification qui s’élève généralement entre 25 et 35 % d’une année de salaire (fixe + bonus) du profil du candidat. D’autre part, si la fourchette définie est élevée, il sait qu’il lui sera plus facile de trouver un candidat rapidement et cette mission s’avérera pour lui finalement moins coûteuse. La rapidité de la rotation des missions est en effet un facteur essentiel de la rentabilité des cabinets de chasse de tête. CONCLUSION Les cabinets de chasseurs de têtes jouent un rôle important sur le marché des cadres dirigeants. En interaction avec les entreprises clientes, ils contribuent à formater la demande, en termes de profil de poste et de personnalité. Du côté de l’offre, les consultants suscitent et font une première sélection de candidatures, mobilisant des stratégies et des catégories d’évaluation qui se laissent difficilement 17 Comme le soulignent aussi Finlay et Coverdill, « Headhunters will frequently let client know it they think the salary and/or fee is too low », (Finlay, Coverdill, p. 404). 18 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 appréhender à un niveau agrégé. À suivre le déroulement d’une transaction, transaction dont on a vu le caractère très singulier, voire intime, on peut avoir l’impression que le cabinet de chasse de tête, au prix certes d’opérations de traduction, de séduction et d’influence des deux parties, ne ménage pas ses efforts pour proposer des candidats qui répondent aux préférences les plus secrètes du donneur d’ordres. Avec sa logistique perfectionnée (base de données, « sources », réseaux, etc.) et avec son sens stratégique, il participe ainsi effectivement à la réduction sensible des coûts de recherche, et partant des coûts de transaction. Faut-il pour autant faire des cabinets de chasse de tête une institution « support » à l’efficience du marché ? De fait, l’agrégation des transactions singulières laisse plutôt penser que ces « arrangements institutionnels » ne sont pas des institutions servant simplement de soubassement à un fonctionnement de marché proche de celui de la théorie économique standard. Il semble au contraire que, par certains aspects, ces « arrangements institutionnels » contribuent à éloigner la réalité du modèle : ils participent en effet, sans en être entièrement responsables, à la segmentation du marché du travail. Ce mode de fonctionnement tend à décourager les mécanismes de substitution entre les différentes fonctions et les différents secteurs, et à accroître le sentiment de rareté. Ce dernier – ajouté aux modalités de tarification de la mission et de négociation du salaire du candidat par le cabinet – participe aux tensions inflationnistes, qui se sont notamment traduites par une forte hausse des rémunérations des cadres dirigeants au cours de la dernière décennie. BIBLIOGRAPHIE BESSY C., 1997, « Cabinets de recrutement et formes d’intermédiation sur le marché du travail », in Bessy, C., EymardDuvernay F. (éd), Les intermédiaires du marché du travail, Puf, Paris, 103-142. BLAU F., KAHN L. 1999, “Institutions and Laws in the Labor Market”, in Ashenfelter, O. 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Les résultats d’un modèle de régression (moindres carrés ordinaires) Variable Modalités Paramètres Constante Grand MBA (14 %) IEP-Paris ou ENA (10 %) Autres MBA (15 %) Polytechnique - Mines Paris - Centrale Paris (11 %) Écoles de commerce moyennes (12 %) Écoles de commerce parisiennes (15 %) Autres grandes écoles d’ingénieurs (11 %) Formation (plusieurs formations Écoles d’ingénieurs moyennes (12 %) possibles) Petites écoles de commerce ou d’ingénieurs (10 %) Faculté de droit, d’économie ou de gestion (34 %) Autres formations scientifiques (14 %) Divers Lettres (8 %) Autres formations anglo-saxonnes (4 %) École professionnelle (ex. école des achats) (2 %) Diplôme inconnu (3 %) Âge Sexe < 35 ans (17 %) 35-39 ans (25 %) 40-44 ans (26 %) 45-49 ans (19 %) > 50 ans (12 %) Homme (86 %) Femme (14 %) Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non 3,27 +0,10 * -0,02 * +0,10 * -0,01 * +0,08 * -0,01 * +0,08 -0,01 +0,05 -0,01 +0,01 -0,00 +0,01 -0,00 +0,00 -0,00 -0,01 +0,00 -0,01 +0,01 -0,04 +0,01 -0,04 +0,00 -0,05 +0,00 -0,14 +0,00 -0,21 * +0,01 * +0,08 * +0,03 -0,01 -0,01 -0,14 ** -0,01 +0,07 Document de travail CEE, n° 38, mars 2005 Direction (28 %) Commercial (8 %) Métiers de la finance de marché (5 %) Audit / divers (8 %) Ressources humaines (5 %) Fonction d’origine Financier (10 %) Métiers intellectuels et autres (1 %) Non déterminé (9 %) Production (8 %) Partner (8 %) Agro-alimentaire (4 %) Finance – Immobilier – Assurance (11 %) Matériel électrique (7 %) Métallurgie – Automobile (9 %) Consultant (9 %) Matériel de communication (6 %) Commerce & transport (6 %) Secteur d’origine Culture & État (6 %) Chimie et énergie (12 %) Autre matériel & bâtiment (8 %) Matériel informatique (2 %) Cosmétique (4 %) Textile (3 %) Autres services aux entreprises (11 %) Non déterminé (0,5 %) Salaire offert inférieur à celui du candidat (17 %) Salaire offert supérieur de 0 à 40 % à celui du candidat (19 %) Adéquation du salaire du candidat Salaire offert supérieur de 40 à 100 % à celui du candidat (12 %) avec celui offert Salaire offert supérieur de 100 % à celui du candidat (4 %) Informations manquantes (48 %) Même secteur & fonction (14 %) Secteur différent & même fonction (32 %) Adéquation des Même secteur & fonction différente (6 %) postes Secteur & fonction différents, information manquante ou candidat hors mission (48 %) +0,08 ** +0,04 +0,01 +0,01 +0,01 -0,00 -0,03 -0,04 -0,17 ** -0,22 ** +0,11 +0,05 +0,05 +0,04 +0,03 +0,02 +0,01 +0,01 +0,00 -0,01 -0,02 -0,05 -0,09 -0,13 ** -0,67 * +0,11 ** +0,12 *** -0,05 -0,11 -0,07 ** +0,14 ** +0,03 -0,02 -0,06 ** Lecture : La moyenne de la note de valeur personnelle (variant de 1 à 5) s’élève à 3,27 pour la population des 2 723 candidats. Le fait d’avoir fait un grand MBA (caractéristique possédé par 14 % de notre population) augmente, toutes choses égales par ailleurs, de 0,1 la note par rapport à la note moyenne. Au contraire, ne pas avoir fait de grand MBA conduit à une baisse de -0,02 de cette note par rapport à la note moyenne. L’étoile indique que la variation est significative au seuil de 10 %. Deux étoiles et trois étoiles marquent respectivement des seuils de 1 % et 0,1 %. Pour éviter les difficultés de lecture propre à la « situation de référence », on calcule ici un effet différentiel par rapport à la moyenne d’ensemble et non par rapport à une situation de référence. Le R2 est de 85 %. On voit ici que les variables décrivant les caractéristiques des personnes sont globalement peu significatives. Au contraire, les deux dernières variables décrivant l’adéquation entre le poste occupé et le poste offert le sont beaucoup plus. 22 NUMEROS DEJA PARUS : téléchargeables à partir du site http://www.cee-recherche.fr N° 37 Les 35 heures et la préférence pour le loisir HERVE DEFALVARD janvier 2005 N° 36 Genèse et transformations de la notion « durée de travail effectif » PIERRE BOISARD janvier 2005 N° 35 Les a priori de la sélection professionnelle : une approche comparative EMMANUELLE MARCHAL, GERALDINE RIEUCAU décembre 2004 N° 34 Working Time Policy in France PIERRE BOISARD octobre 2004 N° 33 La nouvelle économie irlandaise NATHALIE GREENAN, YANNICK L’HORTY septembre 2004 N° 32 Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne EDWARD LORENZ, ANTOINE VALEYRE juin 2004 N° 31 Informatique, organisation du travail et interactions sociales NATHALIE GREENAN, EMMANUELLE WALKOWIAK mai 2004 N° 30 Quelle troisième voie ? Repenser l’articulation entre marché du travail et protection sociale JEROME GAUTIE septembre 2003 N° 29 Le travail collectif chez les salariés de l’industrie. Groupes sociaux et enjeux de la coopération au travail MIHAÏ DINU GHEORGHIU, FRÉDÉRIC MOATTY septembre 2003 N° 28 How Do New Organizational Practices Shape Production Jobs? Results from a Matched Employer/Employee Survey in French Manufacturing NATHALIE GREENAN, JACQUES MAIRESSE septembre 2003 N° 27 Vers une stabilisation des niveaux de formation en France ? CATHERINE BEDUWE, JEAN-FRANÇOIS GERME juillet 2003 N° 26 Economic Globalization and Industrial Relations in Europe: Lessons from a Comparison between France and Spain ISABEL DA COSTA mai 2003 N° 25 Formes d’intensification du travail, dynamiques de l’emploi et performances économiques dans les activités industrielles ANTOINE VALEYRE mai 2003 N° 24 Insécurité de l’emploi : le rôle protecteur de l’ancienneté a-t-il baissé en France ? LUC BEHAGHEL avril 2003 N° 23 Devising and Using Evaluation Standards. The French Paradox JEAN-CLAUDE BARBIER avril 2003 N 22 La théorie aokienne des institutions à l’épreuve de la loi de 1841 sur le travail des enfants HERVE DEFALVARD mars 2003 N° 21 Pourquoi les entreprises évaluent-elles individuellement leurs salariés ? PATRICIA CRIFO-TILLET, MARC-ARTHUR DIAYE, NATHALIE GREENAN février 2003 N° 20 Représentation, convention et institution. Des repères pour l’Économie des conventions CHRISTIAN BESSY décembre 2002 N° 19 A Survey of the Use of the Term “précarité” in French Economics and Sociology JEAN-CLAUDE BARBIER novembre 2002 N° 18 Is there a Trap with Low Employment and Low Training for Older Workers in France? LUC BEHAGHEL mai 2002 N° 17 From Negotiation to Implementation. A Study of the Reduction of Working Time in France (19982000) JEROME PELISSE mai 2002 N° 16 Paradoxe, dysfonctionnement et illégitimité de la convention financière TRISTAN BOYER avril 2002 N° 15 Déstabilisation des marchés internes et gestion des âges sur le marché du travail : quelques pistes JEROME GAUTIE mars 2002 N° 14 Métissage, innovation et travail. Un essai à partir de l’étude d’activités artistiques et culturelles MARIE-CHRISTINE BUREAU, EMMA MBIA mars 2002 N° 13 Politique de l’emploi et mise au travail sur des « activités utiles à la société » BERNARD SIMONIN février 2002 N° 12 Activité réduite : le dispositif d’incitation de l’Unedic est-il incitatif ? MARC GURGAND décembre 2001 N° 11 Welfare to Work Policies in Europe. The Current Challenges of Activation Policies JEAN-CLAUDE BARBIER novembre 2001 N° 10 Is the Reproduction of Expertise Limited by Tacit Knowledge? The Evolutionary Approach to the Firm Revisited by the Distributed Cognition Perspective CHRISTIAN BESSY octobre 2001 N° 9 RMI et revenus du travail : une évaluation des gains financiers à l’emploi MARC GURGAND, DAVID MARGOLIS juin 2001 N° 8 Le statut de l’entrepreneuriat artistique et culturel : une question d’économie politique MARIE-CHRISTINE BUREAU avril 2001 N° 7 Le travail des femmes en France : trente ans d’évolution des problématiques en sociologie (19702000) MARTINE LUROL mars 2001 N° 6 Garder et accueillir les enfants : une affaire d’État ? MARIE-THERESE LETABLIER, GERALDINE RIEUCAU janvier 2001 N° 5 Le marché du travail des informaticiens médiatisé par les annonces d’offres d’emploi : comparaison France/Grande-Bretagne CHRISTIAN BESSY, GUILLEMETTE DE LARQUIER AVEC LA COLLABORATION DE MARIE-MADELEINE VENNAT novembre 2000 N° 4 Le travail : norme et signification YOLANDE BENARROSH octobre 2000 N° 3 À propos des difficultés de traduction des catégories d'analyse des marchés du travail et des politiques de l'emploi en contexte comparatif européen JEAN-CLAUDE BARBIER septembre 2000 N° 2 L’économie des conventions à l’école des institutions HERVE DEFALVARD juillet 2000 N° 1 La certification des compétences professionnelles : l’expérience britannique CHRISTIAN BESSY mai 2000