« La psychose de l`adolescent et du jeune adulte », sous le regard
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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 Cas clinique « La psychose de l’adolescent et du jeune adulte », sous le regard croisé pédopsychiatrie – psychiatrie adulte “Young adult and adolescent psychosis” in a cross-over view between child and adult psychiatry C. Alexandre a,∗,b,c,d , A. Rampazzo a,b,c,d , G. Martinez a,b,c,d , Z. Prost a,b,c,d , D. Willard a,b,c,d , K. Kaye e , A. de Gaulmyn e , D. Durazzi f , C. Doyen a,e , R. Gaillard a,b,c,d , M.O. Krebs a,b,c,d , Y. Contejean a,b,c,d , I. Amado a,b,c,d b a Centre référent remédiation et réhabilitation psychosociale, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France Inserm, CPN U894, laboratoire de « physiopathologie des maladies psychiatriques », centre de psychiatrie et neurosciences, 75014 Paris, France c Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, faculté de médecine Paris Descartes, 75006 Paris, France d Service hospitalo universitaire, centre hospitalier Sainte-Anne, 75014 Paris, France e Service psychiatrique infanto-juvénile, intersecteur 6, 75014 Paris, France f Service psychiatrique infanto-juvénile, intersecteur 8, 75014 Paris, France Résumé En psychiatrie adulte, certains adolescents présentent une symptomatologie psychotique associée à une histoire marquée par des dysfonctionnements patents dans l’enfance, tels que des difficultés d’apprentissage associées à des troubles du comportement. Ces enfants et leurs familles consultent dès le plus jeune âge de nombreux praticiens, sont évalués, voire suivis par différentes équipes mais demeurent néanmoins dans un questionnement et une errance diagnostique. À l’âge adulte, leurs prises en charge apparaissent d’autant plus délicates pour les équipes soignantes et peu efficientes (aggravation de la symptomatologie clinique, mauvaise réponse ou intolérance aux antipsychotiques, comorbidité de troubles des apprentissages entravant le parcours scolaire et la réintégration socioprofessionnelle, difficultés interpersonnelles etc.). Nos échanges réguliers avec les équipes de pédopsychiatrie nous permettent actuellement de dégager une démarche diagnostique et thérapeutique pour ces jeunes adultes présentant une telle symptomatologie. En effet, ces tableaux cliniques complexes de « psychoses de l’adolescent » doivent être envisagés dans la continuité d’un développement atypique au terme de l’enfance. Il s’agit pour ces patients d’investir plus finement et de manière pluridisciplinaire la période développementale – de la petite enfance jusqu’à l’émergence de la symptomatologie psychotique – en analogie avec ce qui est fait pour l’enfant. Cette relecture sémiologique de l’ensemble des symptômes, que nous illustrons ici par la présentation d’un cas clinique, peut ainsi permettre de repenser le diagnostic et de proposer une prise en charge complète et efficiente, dans une perspective de réhabilitation psychosociale. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Jeune adulte ; Psychose ; Trouble du développement ; Évaluation neuropsychologique ; Troubles des apprentissages ; Prises en charge rééducatives ; Syndrome de Gerstmann développemental Abstract Adolescents referred to general psychiatry services sometimes present a psychotic state occurring in the outcome of learning skills impairments existing since the early childhood, behavioural disorders and emotional disturbances. These young patients and their families are usually wandering between numerous practitioners, but very often, their questions about diagnosis remain unanswered. These patients are a real challenge for a team specialized in adult psychiatry: the therapeutic strategies are difficult to define and often poorly efficient (poor response or side effects with antipsychotics, comorbidity of learning disorders that hampers schooling as well as social and occupational reinstatement etc.). These complex “adolescents psychoses” can be viewed in the continuum of an atypical development, in order to elaborate an harmonious, consistent and efficient care program. Our close partnership with child psychiatry practitioners enables us to elaborate an original diagnostic and therapeutic approach in adult psychiatry. For these patients, we conduct a comprehensive and multidisciplinary investigation of the neurodevelopmental period – since early childhood until the emergence of the first psychotic symptoms – in an analogy with what is done in children. We present here the clinical case of a ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (C. Alexandre). 0222-9617/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.07.003 C. Alexandre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 423 young woman for whom the semiological review of all the symptoms and the neuropsychological evaluation allowed to rethink the diagnosis since a first diagnosis of schizophrenia to a pervasive development disorder and more particularly a Gerstmann Developpemental Syndrom. The latter associates the classical tetrad of the lesional syndrome (learning calculation impairment, dysgraphia, digital agnosia and right/left indistinction) with others various learning disabilities (constructive dyspraxia, dyslexia, attention disorders etc.) and behavioural disorders. Furthermore, this integrative approach allowed thinking an adapted and efficient care program, which combined a pharmacological treatment (chlorpromazine, mirtazapine et methylphenidate), the resumption of an orthophonic program (to mitigate the linguistic and logico-mathematical difficulties), a psychomotor program and subsequently, a cognitive remediation program for dysexecutive functions done concomitantly to the construction of a psychosocial rehabilitation project. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Adolescent; Neuropsychological examination; Psychosis; Development disorders; Learning disabilities; Cognitive remediation; Developpemental Gerstmann syndrome 1. Introduction 2. Cas clinique En psychiatrie générale, certains adolescents présentent sans antécédents nettement repérés, des « symptômes psychotiques » dont la présentation clinique invite à porter un diagnostic de schizophrénie par la durée et l’intensité des manifestations délirantes, les troubles cognitifs et l’altération fonctionnelle. À l’inverse d’autres tableaux, voisins dans leur expression psychiatrique à l’adolescence, comportent une histoire marquée par des difficultés durant l’enfance, telles que des troubles du comportement et des apprentissages. Souvent, ces enfants et leurs familles consultent de nombreux praticiens et sont examinés par différentes équipes dès le plus jeune âge. Selon une multiplicité de facteurs tels que le niveau d’efficience intellectuelle, l’étayage familial, le suivi en pédopsychiatrie, ces patients vont réussir à compenser en partie leurs difficultés. Ils demeurent néanmoins dans un questionnement quant à leurs troubles et en errance diagnostique. Ce n’est qu’au moment de l’adolescence, réelle période de bouleversement, que la symptomatologie s’aggrave (isolement, désinsertion, consommation de toxiques etc.) et qu’apparaissent les premiers symptômes psychotiques. Ces patients consultent alors en psychiatrie adulte. Ils constituent un réel défi pour les équipes soignantes, leurs prises en charge apparaissant souvent délicates et peu efficientes. Il existe en effet fréquemment, et de manière associée au trouble psychotique émergent, une intolérance et une mauvaise réponse aux traitements, une comorbidité de troubles des apprentissages entravant le parcours scolaire et la réintégration socioprofessionnelle ou encore des difficultés interpersonnelles anciennes favorisant la désinsertion du patient. Or, si l’on prête un regard plus attentif à ces jeunes, on observe un continuum entre les difficultés et les symptômes rapportés dans l’enfance et ceux présentés à l’âge adulte. Un regard croisé et des échanges entre professionnels de la psychiatrie adulte et de la pédopsychiatrie s’avèrent indispensables pour proposer une lecture intégrée de leurs troubles, adopter une démarche diagnostique et thérapeutique pertinente et faciliter leur réintégration socioprofessionnelle. Afin d’illustrer notre propos, nous présentons le cas de Mademoiselle B., patiente pour qui la confrontation des points de vue et des savoirs lors de réunions cliniques « enfant-adolescent », réunissant des équipes soignantes de pédopsychiatrie et de psychiatrie adulte, a permis de repenser le diagnostic et la prise en charge. Mademoiselle B. est hospitalisée pour la première fois dans notre unité à l’âge de 20 ans, à la suite d’une tentative de suicide par ingestion médicamenteuse volontaire (IMV). Le tableau clinique comporte des angoisses psychotiques de dépersonnalisation, un délire persécutif et une tendance à l’isolement. L’anamnèse personnelle révèle la présence de troubles du caractère anciens avec conduites agressives dans la sphère familiale, qui ont nécessité un important suivi médico-psychologique pendant l’enfance (suivi au CMPP jusqu’en troisième, moment où ses parents déménagent). À l’âge de 12 ans, émerge une symptomatologie phobique complexe (peur du jugement des autres, de parler ou manger en public etc.). Il existe également des conduites d’automutilation et trois tentatives de suicide dans un contexte dépressif et d’angoisse massive. Vers l’âge de 18 ans, apparaissent des troubles du comportement alimentaire (anorexie-boulimie) qui ont nécessité une hospitalisation dans un service spécialisé. Dans l’enfance, elle rapporte de nombreuses difficultés scolaires (redoublement du CE2 et de la 5e ; obtention du brevet des collèges à 17 ans seulement etc.) émaillées de troubles des apprentissages (dyslexie/dysorthographie), lesquels ont motivé plusieurs prises en charge rééducatives. Sur le plan professionnel, Mademoiselle B. est diplômée d’un CAP petite enfance mais n’a jamais pu réaliser de stage en raison de ses difficultés psychologiques. Elle est actuellement sans emploi. Sur le plan morphologique, elle présente une voix nasonnée et un strabisme découvert dès l’âge de trois ans, qui a été rééduqué par la suite. Au vu de la prédominance de symptômes d’allure phobique, qui coexistent avec une symptomatologie psychotique, le diagnostic de schizophrénie pseudo-névrotique est posé dans notre unité. En parallèle à un suivi psychiatrique régulier sont prescrits deux antipsychotiques (cyamémazine, jusqu’à 150 mg/j, puis olanzapine jusqu’à 30 mg/j) associés à un antidépresseur (paroxetine 20 mg/j). Ces traitements s’avérant peu efficaces, un traitement par clozapine 200 mg/j est introduit, lequel sera interrompu deux ans plus tard en raison de la survenue d’une neutropénie et de sa faible efficacité. À l’âge de 22 ans, la patiente est à nouveau hospitalisée dans le service pour une recrudescence d’hallucinations auditives intrapsychiques de thème persécutif, un automatisme mental et d’importantes idéations suicidaires. Un traitement par chlorpromazine 500 mg/j est alors instauré et sera relativement bien toléré par la patiente (l’augmentation 424 C. Alexandre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 des doses devant l’importance de la symptomatologie anxieuse entraînera des plafonnements oculaires, réduits par 1 à 2 cp de bipéridène). Sur le plan thymique, un traitement par carbamazépine 300 mg/j est introduit et sera remplacé par la suite par du divalproate 1 g/j. Une prise en charge en thérapie cognitivocomportementale (TCC) centrée sur l’affirmation de soi est également mise en place. Cela permet une nette amélioration de la symptomatologie clinique. Au cours du suivi, Mademoiselle B. rapporte une grande distractibilité ainsi qu’une impulsivité qui seraient apparues dès l’enfance, laissant suspecter une dimension de trouble attentionnel avec ou sans hyperactivité (TDAH), malgré l’impossibilité de porter un tel diagnostic de par l’existence de troubles cognitifs et psychopathologiques comorbides. Pour autant, le score total à l’échelle d’hyperactivité/déficit de l’attention de l’adulte de Conners est de 83, avec un score d’inattention de 26/27 et d’hyperactivité de 27/27, témoignant de l’aspect intense et exacerbé des troubles attentionnels. Un traitement par méthylphénidate est alors instauré progressivement, de manière exploratoire et avec précaution en raison de la symptomatologie psychotique (contreindication à la mise en place du traitement), jusqu’à une dose de 54 mg/j. Les capacités attentionnelles de la patiente apparaissent très améliorées, l’impulsivité comportementale est amendée. Parallèlement, l’équipe prend la décision de présenter le dossier de Mademoiselle B. à une réunion clinique « enfant-adolescent » réunissant des équipes soignantes de pédopsychiatrie et de psychiatrie adulte. Devant l’importance des troubles ayant existé dans l’enfance, la discussion est alors centrée sur la nécessité de reprendre les éléments biographiques de la petite enfance et d’effectuer un bilan neuropsychologique approfondi. L’entretien clinique centré sur la petite enfance réalisé avec la mère de la patiente a montré que, sur le plan du comportement, Mademoiselle B. pleurait beaucoup et jouait peu dès le plus jeune âge. Elle faisait d’importantes colères (cassait beaucoup d’objets, tapait violemment dans les portes etc.) et présentait des conduites à risque (ingestion de lessive vers 2 ans, assise sur le parapet d’un balcon à 3 ans etc.). L’importance des difficultés de caractère, surtout avec sa sœur, a nécessité un long suivi psychologique. La mère n’a pu récupérer aucun bilan des suivis de Mademoiselle B. et les tentatives d’appel de l’équipe en ce sens se sont soldées par un échec. Cependant, la mère rapporte qu’un psychiatre qui l’aurait suivie quelques années vers l’âge de neuf ans, aurait évoqué un diagnostic de psychose. Sur le plan du développement, la mère ne signale pas de retard de la marche, du langage, ni de l’acquisition de la propreté. Elle rapporte cependant une dyslexie/dysorthographie avec prises en charge orthophoniques multiples dès l’âge de neuf ans. Il existe également des troubles de la latéralisation ainsi que des difficultés praxiques (coordination bimanuelle), pris en charge par une psychomotricienne jusqu’en CE1. Concernant l’examen neuropsychologique, l’évaluation de l’efficience intellectuelle générale (WAIS III) met en évidence de bonnes capacités d’abstraction et de raisonnement (verbal et non verbal), excluant toute déficience intellectuelle. Il existe cependant une différence (non significative) entre l’« indice de compréhension verbale » (ICV = 99) et l’« indice Encadré 1: Le Syndrome de Gerstmann développemental (SDG). La cooccurrence d’une agnosie digitale, d’une confusion droite-gauche, d’une dyscalculie et d’une dysgraphie évoque un syndrome de Gerstmann, habituellement associé à une lésion du gyrus angulaire de l’hémisphère dominant chez l’adulte. Plusieurs formes développementales de ce syndrome sont décrites dans la littérature. Dans une étude de cas multiple, Poovathinal et al. [1] en décrit la manifestation clinique chez dix enfants âgés de six à 16 ans et propose la distinction d’une nouvelle entité de trouble des apprentissages : le Syndrome développemental de Gerstmann (SDG) alliant une agnosie digitale, une confusion droitegauche, une dysgraphie ou dysorthographie et une dyscalculie. Chez ces dix enfants, d’autres symptômes associés sont relevés, parmi lesquels : un quotient intellectuel (QI) hétérogène en faveur des compétences verbales, une dyspraxie constructive, une dyslexie, des troubles attentionnels, et des troubles du comportement. d’organisation perceptive » (IOP = 89), attribuable à de mauvaises performances au subtest des « cubes », laissant présager des difficultés constructives. Il n’y a pas de ralentissement psychomoteur (indice de vitesse de traitement = 94). Cependant, d’importantes difficultés de mémoire de travail sont relevées (Indice de Mémoire de Travail = 50). L’approfondissement de l’évaluation cognitive permet d’objectiver, au premier plan, une altération des fonctions instrumentales dans les champs du langage, des praxies et du calcul. En effet, le bilan corrobore la présence d’une dyslexie-dysorthographie (avec perturbation de la voie d’assemblage). Il existe par ailleurs, des difficultés praxiques dans la réalisation de séquences motrices de gestes fins et une altération des praxies constructives (expliquant les mauvaises performances à l’épreuve des « cubes »). Ces perturbations sont associées à un défaut de latéralisation et une mauvaise reconnaissance de la droite et de la gauche (sur soi et sur autrui). On relève une agnosie digitale. Les compétences numériques sont également perturbées (opérations orales et écrites, dictée de nombres, jugement de parité, conversion nombres-lettres/lettres-nombres). Par ailleurs, des troubles attentionnels ayant un retentissement sur le fonctionnement exécutif et les capacités mnésiques ont été confirmés. Ces derniers se seraient accrus à l’adolescence aux dires de la patiente. Sur le plan paraclinique, un caryotype est effectué mais aucune maladie génétique connue à ce jour n’est retrouvée. Une IRM encéphalique est également demandée, dont le résultat ne révèle aucune anomalie. Au terme de cette investigation clinique et neuropsychologique, le diagnostic est repensé en faveur d’un trouble neuro-développemental et, plus particulièrement, un syndrome de Gertsmann développemental (Encadré 1) est évoqué. De C. Alexandre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 nouvelles stratégies thérapeutiques ont ainsi pu être envisagées. En effet, la reprise du suivi orthophonique et une prise en charge en psychomotricité sont préconisées. Un programme de remédiation cognitive est également proposé pour les aspects attentionnels et exécutifs. Le suivi psychiatrique, psychothérapeutique (TCC) et le traitement médicamenteux (chlorpromazine, mirtazapine et méthylphénidate) sont maintenus. En parallèle de ce suivi, Mademoiselle B. sera accompagnée par les acteurs du médico-social afin de construire un projet de réinsertion socioprofessionnelle adapté à ses potentialités. 3. Discussion Intolérance au traitement par antipsychotique, éléments dysmorphiques discrets, prises en charge rééducatives durant l’enfance, difficultés interpersonnelles anciennes etc., tous ces éléments sont autant d’indices qui, associés à une décompensation psychotique à l’adolescence, doivent être un point d’appel pour aller rechercher une origine développementale au trouble psychotique émergent. Comme le soulignent McClellan et Werry [2], il est parfois difficile de différencier d’authentiques troubles psychotiques ayant un début insidieux, d’une longue histoire de troubles du développement. Pour cela, face à des patients présentant une symptomatologie d’allure psychotique et pour qui l’on suspecte des anomalies neuro-développementales, nous proposons une démarche diagnostique et thérapeutique issue de nos échanges avec les professionnels de la pédopsychiatrie et que nous illustrerons au travers du cas clinique que nous venons d’exposer. 3.1. Traitement de la phase aiguë (i.e. symptômes psychotiques, anxio-dépressifs, addictions etc.) via l’association de traitements médicamenteux et psychothérapeutiques prenant en compte l’intolérance et la mauvaise réponse aux psychotropes souvent retrouvées chez ces patients Sur le plan du traitement médicamenteux, Mademoiselle B. a présenté une tolérance médicamenteuse médiocre (sédation, plafonnements oculaires notamment). De manière plus générale, les enfants présentant un trouble psychiatrique (schizophrénie ou trouble bipolaire entre autre) tolèrent mal les psychotropes et en particulier les antipsychotiques. Davantage d’effets extrapyramidaux, de sédation et d’effets métaboliques sont mis en évidence chez ces jeunes patients [3]. Notre expérience clinique laisse penser que cette mauvaise tolérance des antipsychotiques, en particulier sur le plan neurologique, concerne surtout les patients ayant une charge neuro-développementale importante. Ainsi, le repérage d’anomalies dans le développement va permettre le choix d’une meilleure pharmacopée prenant en considération le risque d’intolérance aux traitements et l’hétérogénéité des symptômes associés à l’exemple de manifestations anxieuses, de symptômes dépressifs, d’addictions, évoluant pour la plupart depuis l’enfance. Il a par ailleurs été prescrit à Mademoiselle B. un traitement par chlorhydrate de méthylphénidate afin d’amender ses capacités attentionnelles. En effet, la grande fréquence de 425 troubles attentionnels existant chez ces patients présentant des anomalies neuro-développementales doit soulever la question d’adjoindre un traitement pharmacologique pour réduire ces troubles. Cette approche qui vise à traiter un déficit attentionnel associé à une symptomatologie psychotique chez l’adolescent est innovante en psychiatrie de l’adulte et son usage mériterait d’être élargi. La littérature scientifique révèle des cas d’enfants âgés de sept à 12 ans traités par l’association rispéridone – méthylphénidate [4], ou de 12 à 16 ans par quétiapine et OROS méthylphénidate en raison de l’existence d’un TDAH et de comportements agressifs [5]. Ces associations sont peu décrites chez l’adulte et inexistantes dans le champ de la psychose en raison d’importantes contre-indications. Notre expérience clinique laisse penser qu’à la condition d’une introduction graduelle, d’un usage précautionneux et avec une surveillance très régulière, ces associations sont bien tolérées et peuvent aboutir à de réels succès cliniques. 3.2. Investigation approfondie et multidisciplinaire du développement du patient, en reprenant minutieusement les éléments de la petite enfance, dans le but d’affiner le diagnostic et de mieux caractériser les dimensions du trouble psychiatrique actuel Dans un premier temps, il convient au cours du recueil anamnestique d’aborder les antécédents de nos patients de manière analogue à ce qui est fait dans un service pédopsychiatrique ou pédiatrique. Un entretien spécifique doit avoir lieu avec le parent qui possède le plus de souvenirs sur la petite enfance, muni du carnet de santé, en posant des questions sur le premier âge, les premiers gestes, les premiers jeux, les premières interactions sociales notamment. La confrontation des éléments anamnestiques recueillis avec des films familiaux s’avère aussi très enrichissante. Il est également judicieux de compléter ces entretiens à l’aide de questionnaires investiguant les troubles du spectre autistique et/ou plus largement les troubles du développement. La passation de l’échelle Autism Diagnostic Interview (ADI) peut être très informative, bien que cet outil soit coûteux en temps de formation et de passation. L’usage d’autoquestionnaires comme l’Empathy Quotient (EQ) [6] et l’Autism Quotient (AQ) [7], d’hétéro-questionnaires destinés aux parents tels que le Social Communication Questionnaire (SCQ) [8] ou d’échelles comme la General Developmental Scale (GDS) [9] peut également être pertinent. Toutefois, certains de ces outils ne sont pas traduits ou validés en français. Ces entretiens cliniques peuvent être complétés par l’avis de différents spécialistes : généticiens, neuropsychologues, orthophonistes, psychomotriciens etc. Dans le cas de notre patiente, si l’analyse génétique n’a objectivé aucune anomalie connue à ce jour, c’est le bilan neuropsychologique qui a permis de conforter l’hypothèse neuro-développementale via la mise en évidence de troubles des apprentissages. Pour Horreard et al. [10], ces difficultés constituent les troubles développementaux les plus fréquemment rencontrés dans la clinique de l’enfant et de l’adolescent. Cinquante pour cent des enfants avec des troubles des apprentissages ont également un diagnostic de problème mental sur l’axe 1. Ces derniers génèrent dans 426 C. Alexandre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 l’enfance une anxiété de performance, de mauvaises relations avec les pairs, des conflits familiaux, un échec scolaire etc., et peuvent ainsi constituer de réels facteurs de vulnérabilité à la transition psychotique. Dans le cas de Mademoiselle B., les troubles instrumentaux étaient, de plus, compliqués par un trouble de l’attention/hyperactivité, accentuant les difficultés comportementales et masquant l’essentiel du tableau clinique. Les troubles attentionnels sont fréquemment retrouvés dans les troubles du développement [11] ; il convient, de ce fait, de les évaluer au même titre que les fonctions exécutives dont les troubles sont aussi souvent tributaires d’un développement cérébral atypique. Enfin, le bilan neuropsychologique se doit d’être exhaustif et d’évaluer également la cognition sociale (processus cognitifs sous-tendant les interactions sociales comme la reconnaissance d’émotions faciales, la théorie de l’esprit etc.) afin de mieux comprendre la nature des difficultés interpersonnelles présentées par les patients. 3.3. Parcours de soin individualisé via des démarches qui n’hésitent pas à emprunter des pratiques cliniques de l’enfant comme de l’adulte, des prises en charges rééducatives ciblées sur les différentes dimensions du trouble, et ce dans une perspective de réhabilitation psychosociale L’arsenal thérapeutique offert dans le champ de la psychothérapie doit évidemment faire partie intégrante du parcours de soin. Il est nécessaire que ces patients (et leurs familles) soient aidés de la phase aiguë à l’annonce diagnostique, jusqu’au processus de réhabilitation. Souvent, en errance diagnostique et thérapeutique depuis le plus jeune âge, c’est avec leurs familles qu’ils ont du composer et dépasser leurs difficultés face à un système scolaire peu adapté et, bien souvent, au regard hostile de leurs pairs. L’annonce diagnostique d’anomalies développementales évoluant vers la psychose, mais aussi les possibilités de prises en charge et le processus de réintégration qui en émanent, constituent un réel bouleversement qu’il convient d’accompagner. En ce sens, Mademoiselle B. a pu bénéficier d’un suivi psychiatrique et psychothérapeutique régulier, afin de l’aider dans l’acceptation de ses difficultés. Un autre élément novateur dans le cas de Mademoiselle B., est le rôle majeur donné aux prises en charge rééducatives dans le parcours de soin. Une prise en charge complète ne saurait être envisagée pour ces patients sans le recours de neuropsychologues, d’orthophonistes ou encore de psychomotriciens. Il a ainsi été proposé à Mademoiselle B. un programme de remédiation cognitive afin d’amender ses capacités attentionnelles et exécutives et d’optimiser ses ressources cognitives par la mise en place de stratégies efficaces dans son quotidien. Cette thérapie innovante devient un traitement indispensable visant à réduire le handicap psychique [12,13]. Il est également important que les programmes de remédiation cognitive puissent préparer les patients à une réinsertion socioprofessionnelle en les aidant à s’organiser notamment pour les tâches quotidiennes. Si la remédiation se popularise dans le champ de la schizophrénie, et plus largement en psychiatrie, la rééducation des troubles des apprentissages est peu fréquente en psychiatrie générale. En effet, les indications de prise en charge en orthophonie ou en psychomotricité chez l’adulte sont surtout préconisées lors de la survenue d’un syndrome neurologique [14,15]. Pourtant ces jeunes adultes suivis en psychiatrie souffrent de difficultés d’apprentissage persistantes depuis l’enfance. Les mêmes indications doivent donc être poursuivies dans un continuum entre enfance et âge adulte, si ces difficultés n’ont pas été compensées. Dans le cas de Mademoiselle B., la reprise de rééducations orthophonique (langagière et logico-mathématique) et psychomotrice a été conseillée. De plus, concernant les difficultés d’interaction sociale, il est intéressant de pouvoir également proposer aux patients, en fonction de la nature des troubles objectivés, des prises en charge rééducatives (remédiation des émotions faciales, de la théorie de l’Esprit etc.) ou encore des TCC centrées sur les habiletés sociales (entraînement aux habiletés sociales – EHS). Enfin, la prise en charge se doit d’être accompagnée d’un volet psychosocial chez ces jeunes adultes se trouvant dans un moment charnière de leur intégration sociale. Le soutien à l’emploi a en effet un rôle crucial pour ces patients qu’il convient de développer en parallèle du suivi médical. Les équipes hospitalières ont comme enjeu d’être davantage en lien avec les membres des structures de réhabilitation sociale qui vont aider ces adolescents à élaborer un projet professionnel et construire avec eux des trajectoires de réinsertion adaptées. L’ensemble de ces prises en charges ne doit évidemment pas être fait de manière simultanée. Il convient ainsi de souligner l’importance d’avoir un « référent » (psychiatre, acteur du médico-social etc.) qui coordonne le parcours de soins, en respectant les besoins et les souhaits du patient qui devient alors un véritable acteur dans sa prise en charge. De manière plus générale, un point fondamental à évoquer est le délai très important au terme duquel un diagnostic a pu être posé. Cela tient vraisemblablement en une multiplicité de facteurs : des symptômes pléomorphes dont l’éclosion a lieu plus volontiers lors de la maturation pubertaire, le rôle d’éléments aggravants comme la prise de toxiques, mais également comme dans le cas de notre patiente, les ruptures dans les prises en charge qui sont survenues dans l’enfance liées aux circonstances contextuelles (déménagements, conflits familiaux, arrêt de certaines prises en charge chez des patients qui grandissent et évoluent etc.). C’est dans ce contexte que ces patients arrivent dans les services de psychiatrie adulte. Il convient ainsi d’accroître les liens entre spécialistes de l’enfant et de l’adulte et d’adopter une approche inspirée de celle de la pédopsychiatrie afin de mieux comprendre la symptomatologie clinique adulte et d’aider au mieux les patients et leurs familles. 4. Conclusion L’exposition de ce cas et les éléments d’analyse et de prises en charge qui ont émergé (proposition d’une démarche diagnostique et thérapeutique) soulignent l’impérieuse nécessité d’une réflexion pluridisciplinaire et croisée entre spécialiste de l’enfant et l’adulte. Ces tableaux cliniques complexes de « psychoses de l’adolescent », survenant au terme de difficultés C. Alexandre et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 422–427 évoluant depuis l’enfance, doivent être envisagés dans la continuité d’un développement atypique pour construire une prise en charge complète, harmonieuse, cohérente et in fine efficiente. [6] [7] Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. [8] [9] Références [1] Poovathinal AS, Swapna S. Developmental Gerstmann’s syndrome: a distinct clinical entity of learning disabilities. Pediatr Neurol 2000;22(4):267–78. [2] McClellan J, Werry J. 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