L`empereur Où - InvestigacionesHistoricaseuroAsiaticas
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L`empereur Où - InvestigacionesHistoricaseuroAsiaticas
@ Léon WIEGER S. J. TEXTES HISTORIQUES Histoire politique de la Chine TOME II [a. De 420, début de la dynastie Song, à 906, fin de la dynastie des T’ang] Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole, [email protected] Dans le cadre de la collection : “Les classiques des sciences sociales” fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, http://classiques.uqac.ca Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi. http://bibliotheque.uqac.ca Textes historiques. II.a : de 420 à 906. à partir de : TEXTES HISTORIQUES, Histoire politique de la Chine. depuis l’origine, jusqu’en 1929. par Léon WIEGER S. J. (1856-1933) Imprimerie de Hien-hien, 3e édition, 1929, 2 tomes, 2103 pages. Présente section : de la dynastie Song (période Sud et Nord, 420) à la fin de la dynastie des T’ang (906), (Tome II, pages 1068-1524). Police de caractères utilisée : Verdana, 10 pts. Mise en page sur papier format Lettre (US letter), 8.5’x 11’’. Cartes Les cartes des Textes Historiques sont disponibles sur le site. Les deux cartes de repérage XIV et XX sont à utiliser par défaut, lorsqu’un numéro de carte n’est pas précisé dans le texte : XIV, de l’an 317 à l’an 626. XX, depuis l’an 627. Édition complétée le 1er septembre 2007 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec. 2 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. TABLE DES SECTIONS TOME I : jusqu’en 87 av. J.-C. de 86 av. J.-C. à 419 SÉCESSION SUD et NORD Dynastie SONG. Famille Liôu. 420-478. L’empereur Où, 420 à 422 : Fin du royaume de Sī-Leâng. — Culte. Liôu i-fou, 423 : Taoïsme. L’empereur Wênn, 424 à 453 : dans le Nord. — Cochinchine. — Yûnn-nan. — Culte. — Astronomie. [— Mort.] L’empereur Hiáo-Où, 454 à 464 : Personnages. — Culte. — Mœurs. Liôu tzeu-ie, 464. L’empereur Mîng, 465 à 472. Liôu-u, 473 à 476. L’empereur Choúnn, 477 à 479. Dynastie NAN-TS’I. Famille Siáo. 479-501. L’empereur Kāo, 479 à 482. L’empereur Où, 483 à 493. Anecdotes. — Culte. L’empereur Mîng, 494 à 498. Siáo pao-kuan, 499 à 501. L’empereur Hoûo, 501 à 502. Dynastie LEANG. Famille Siáo. 502-556. L’empereur Où, 502 à 549. Culte. — Heôu-king. L’empereur Kièn-wenn, 550 à 551. L’empereur Yuân, Siáo-i, 552 à 554. Les Turcs. L’empereur Kíng, Siáo fang tcheu, 555 à 556. DYNASTIE TCH’ENN. Famille Tch’ênn, 557 à 588. L’empereur Où, 557 à 559. L’empereur Wênn, 560 à 566. Tch’ênn pai-tsoung, 567 à 568. L’empereur Suān, 569 à 582. Tch’ênn chou-pao, dit Heóu-tchòu, 583 à 588. 3 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. UNIFICATION DÉFINITIVE DYNASTIE SOEI. Famille Yâng, 589-617. L’empereur Wênn, 589 à 604. Culte. L’empereur Yâng, 605 à 618. DYNASTIE T’ANG. Famille Lì, 620 (618)-907. L’empereur Kāo-tsou, 620 (618) à 626. L’empereur T’ái-tsoung, 627 à 649. Anecdotes. — Politique extérieure et Guerres — Culte. Sectes (Buddhisme, Taoïsme, Fōng-chán, Zoroastrisme, Nestorianisme, Mahométisme, Mênn-chenn, Conclusion) L’empereur Kāo-tsoung, 650 à 683. Politique extérieure et Guerres — Culte L’empereur Tchoūng-tsoung, 684 à 710. L’empereur Joéi-tsoung, 710 à 712. L’empereur Huân-tsoung, 713 à 755. Politique extérieure, Guerres. — L’empereur Sóu-tsoung, 756 à 762. L’empereur Tái-tsoung, 763 à 779. L’empereur Têi-tsoung, 780 à 804. L’empereur Choúnn-tsoung, 805. L’empereur Hién-tsoung, 806 à 820. [Hân-u] L’empereur Móu-tsoung, 821 à 824. L’empereur King-tsoung, 825 à 826. L’empereur Wênn-tsoung, 827 à 840. L’empereur Où-tsoung, 841 à 846. [Manichéisme]. L’empereur Suān-tsoung, 847 à 859. L’empereur Í-tsoung, 860 à 873. Arabes. L’empereur Hī-tsoung, 874 à 888. L’empereur Tchāo-tsoung, 889 à 904. Tchāo-Suān-ti, le dernier des T’âng, 905 à 907. Notes : Le voyage en Inde de Sóng-yunn et Hoéi-cheng. — Le devin Koàn-lou. — Le magicien Tsoùo-tseu. — Le médecin Hoâ-t’ouo. — Les Hoâ. — Les Ephthalites. — L’Empire grec d’orient. — Mœurs des Turcs. — Turcs et Grecs. — Itinéraires. @ 4 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE SONG. Famille Liôu. 420-478. L’empereur Où, 420 à 422. Carte XIV — @ p.1068 Kién-k’ang (Nankin, K) continue d’être la capitale de l’empire. Fin du royaume de Si-Leâng... En 420, tandis que Tsōu-k’iu Mông-sunn roi de Pèi-Leâng guerroyait contre les Sī-Ts’inn, son cher voisin Lì-hinn jugea devoir l’attaquer par derrière. Ses conseillers le blâmèrent. La reine douairière Yìnn-cheu lui dit : — Ton royaume vient à peine de naître. Il est étendu et peu peuplé. Tu auras bien du mal à te maintenir. Cela étant, convient-il que tu cherches noise aux autres ? Ton père mourant ne t’a-t-il pas enjoint de ne prendre les armes qu’à la dernière extrémité ? Môngsunn ne t’a rien fait. Commence par être un bon roi dans ton petit royaume, et attends les événements. Prends garde que ton ambition ne te fasse faire des folies. Mon idée est que, si tu fais la guerre, tu perdras et ton armée et ton trône... Lì-hinn fut sourd à toutes les remontrances. Alors le conseiller Sóng-you dit : — C’en est fait ! Lì-hinn marcha vers l’est, à la tête de trente mille hommes. Dès que Môngsunn l’apprit, il revint sur ses pas, attaqua l’armée de Lì-hinn et la battit. On conseilla à Lì-hinn de se retirer au plus vite, pour couvrir du moins sa capitale. Il répondit : — J’ai entrepris cette guerre contre la volonté de ma mère ; je ne puis me représenter devant elle, sans rapporter la tête de Môngsunn... Il livra donc une seconde bataille, dans laquelle il fut tué. Ses frères Lì-fan et Lì-sunn s’enfuirent dans l’Altaï. Mông-sunn fit son entrée à Tsiòu-ts’uan, et 5 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. annexa le Sī-Leâng. Il interdit à ses troupes toute violence et tout pillage ; personne n’eut à p.1069 souffrir. Il établit comme gouverneur à Tsiòu-ts’uan son fils Tsōu-k’iu Móu-k’ien, prit à son service le fidèle Sóng-you, et revint à Kōu-tsang sa capitale. Là il visita la douairière Yìnn-cheu, sa prisonnière, et lui présenta ses condoléances... — Mon pays est détruit, ma famille est ruinée, je suis esclave, ditelle ; pauvre femme, je n’ai plus qu’à mourir !.. Mông-sunn admira sa sagesse, lui donna la liberté, et maria sa fille à son propre fils Móu-k’ien. Mông-sunn étant devenu ainsi le maître des Nân-chan, ceux du Tarim lui firent hommage. Culte... En l’an 421, l’empereur fit les offrandes impériales aux deux tertres du Ciel et de la Terre ; amnistie. Puis il donna ordre de supprimer tous les sacrifices non autorisés (d’introduction récente), à commencer par ceux qu’on faisait à Tsiàng tzeu-wenn. Ce Tsiàng tzeu-wenn, né à Koàng-ling, officier durant les dernières années de la dynastie Heóu-Hán, mourut d’une blessure reçue au front, alors qu’il pourchassait des brigands. Quelques années plus tard, un de ses anciens subordonnés le rencontra. Il était exactement le même, que jadis, de son vivant. Effrayé, notre homme s’enfuit. Tsiàng tzeu-wenn courut après lui, le rattrapa et lui dit : — J’ai été nommé Génie tutélaire de ce district, pour le bien de ses habitants. Fais-leur savoir, de ma part, qu’ils aient à me faire des offrandes... Une autre fois, se servant d’un magicien comme médium, Tsiàng tzeu-wenn fit dire au roi de Oû, qu’étant l’auteur de sa fortune, il attendait de lui un culte officiel. Le roi de Oû lui fit élever un temple, et l’honora d’un titre. En 422, l’empereur étant tombé malade, tandis que les grands ministres le soignaient, les petits officiers priaient pour lui les Génies du ciel et de la terre. L’empereur l’ayant appris, leur ordonna de cesser. Il envoya seulement Síe fang-ming au temple de la famille, pour annoncer sa p.1070 maladie aux Ancêtres (Annales p. 213 seq.).. Ces traits prouvent que Liôu-u était Confuciiste, ou par conviction, ou par politique. 6 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 422, au cinquième mois, l’empereur sentant approcher sa fin, fit appeler le prince héritier Liôu i-fou, et lui dit : — Que désormais, durant les minorités, les ministres soient Régents ! Que jamais aucune impératrice ne gouverne comme Régente !.. Puis, ayant donné ses derniers avis à Sû sien-tcheu, Fóu-leang, Síe-hoei et T’ân tao-tsi, Liôu-u expira, après trois années de règne, âgé de 67 ans. On l’ensevelit au septième mois. Liôu i-fou monta sur le trône. Il avait 17 ans. @ 7 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Liôu i-fou, 423. @ Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre impérial posthume. Les Tongouses T’ou-kou-hounn du Koukou-nor font hommage aux Sóng, c’est-à-dire qu’ils se déclarent contre leurs voisins les Wéi. Vexés par les Jeóu-jan, ceux-ci reconstruisent et perfectionnent la Grande Muraille, sur une étendue de deux mille lì, à travers l’anse ascendante du Fleuve, et la munissent de forts et de garnisons. Tranquilles du côté du nord, les Wéi commencèrent ensuite à guerroyer contre l’empire. Depuis que Liôu-u avait pris Tch’âng-nan (p. 1059), ils avaient payé à l’empire une espèce de tribut. Après sa mort, ils le refusèrent, et résolurent de s’emparer de Láo-yang (L), Hòu-lao et Hoâ-t’ai, citadelles qui, bordant le Fleuve au sud, couvraient l’empire contre les incursions du nord. Leur général Hī-kinn passa le Fleuve avec 30 mille hommes. Le dernier prince de sang des Tsínn, Sēu-ma tch’ou-tcheu, se donna aussitôt à lui, et devint général au service des Wéi (p. 1064). Un coup de main sur Hoâ-t’ai ne lui ayant pas réussi, Hī-kinn demanda des renforts. Le roi de Wéi entra lui-même en campagne avec p.1071 une armée de 50 mille hommes, tandis que le prince royal conduisait des renforts à Hī-kinn. Hoâ-t’ai fut enlevé de vive force, puis Hī-kinn alla assiéger Hòu-lao, défendu par le général Mâo tei-tsou. Une armée Wéi inquiéta Láo-yang ; une autre envahit le Chān-tong ; une troisième vint renforcer Hī-kinn... Láo-yang fut pris. Commandés par T’ân tao-tsi et Wâng tchoung-tei, les impériaux s’avancèrent pour couvrir P’eng-tch’eng (a). Chôu-sounn kien marcha contre eux du Chān-tong ; mais les impériaux ayant ramassé le peuple dans les places fortes, et ayant détruit toutes les moissons, les Wéi ne trouvant pas de quoi subsister, durent se retirer. Cependant, à Hòu-lao, Mâo tei-tsou tenait toujours contre Hī-kinn, Koūngsounn piao, et l’élite des troupes de Wéi. Quand les assiégeants furent bien installés, les assiégés creusèrent dans la ville un puits profond de sept toises. 8 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Du fond de ce puits, ils poussèrent six galeries souterraines divergentes, jusque par delà les camps des assiégeants. Une belle nuit, 400 braves déterminés, sortant de dessous terre, assaillirent les Wéi par derrière, et leur firent une telle peur, qu’ils purent incendier tous les parcs de siège, tuer pas mal de monde, rentrer dans leurs trous, les boucher, et revenir sains et saufs. Cependant les Wéi, un moment interdits, reprirent le siège avec une vigueur nouvelle... Or jadis Mâo tei-tsou avait été lié d’amitié avec Koūng-sounn piao. Il envoya un émissaire chuchoter à l’oreille de Hī-kinn, que les deux anciens amis s’entendaient. Hī-kinn crut à cette calomnie, et en fit part au roi de Wéi, lequel fit étrangler Koūng-sounn piao dans sa tente, durant la nuit, sans jugement. A l’est, scènes analogues au siège de Tōng yang-tch’eng par Chôu-sounn kien. La ville était défendue par Tchóu-k’oei, avec 1500 hommes de garnison, tout au plus. La cavalerie des Wéi bloquait la place, tandis que leurs p.1072 sapeurs exécutaient les travaux d’approche. La ville était entourée de quatre fossés concentriques. Les Wéi en comblèrent trois, et approchèrent du pied des remparts leurs béliers roulants. Sortis par des galeries souterraines, les assiégés y attachèrent des câbles, puis les hissèrent sur leurs remparts. Les Wéi entourèrent la ville d’un mur de circonvallation, puis attaquèrent le rempart avec de nouvelles machines, et en firent écrouler un pan. L’indécision de Chôu-sounn kien, qui n’osa pas donner l’assaut aussitôt après la chute du mur, rendit ce succès inutile... Enfin l’été étant survenu, une maladie contagieuse éclata parmi les assiégeants, et en eut mis bientôt plus de la moitié hors de combat. — Mieux vaut reculer, avec les hommes qui me restent, dit Chôusounn kien, que de les perdre tous ici. Il brûla donc ses baraques et ses machines, puis se retira. T’ân tao-tsi qui manquait de vivres, ne put pas l’inquiéter. Jugeant la ville incapable de soutenir un nouveau siège, Tchóu-k’oei l’abandonna et se retira à Pôu-k’itch’eng, avec armes et bagages. Chôu-sounn kien mena les restes de son armée à Hī-kinn, qui assiégeait Hòu-lao depuis 200 jours, livrant un combat chaque jour, avec des pertes énormes. Étant arrivé à faire brèche au rempart, il s’aperçut que Mâo tei-tsou 9 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. en avait construit deux autres à l’intérieur. La seconde enceinte ayant été forcée, les assiégés défendirent la troisième. Il veillaient avec tant de vigilance, qu’officiers et soldats en eurent des maux d’yeux. Cependant Mâo tei-tsou les traitant fort bien, personne ne songeait à capituler. Ils espéraient que T’ân tao-tsi viendrait enfin à leur secours. Vaine espérance ! Enfin, par des galeries souterraines, les Wéi dérivèrent l’eau des citernes et des puits de la ville. Décimée par le fer, la garnison eut bientôt à souffrir les horreurs de la faim, de la soif, et de la maladie. Enfin les Wéi prirent d’assaut p.1073 la dernière enceinte... — Fuyez avec nous, dirent à Mâo tei-tsou malade, quelques braves déterminés... — J’ai juré de périr avec cette ville, dit le commandant ; je ne lui survivrai pas !.. Cependant le roi de Wéi, qui admirait son courage, avait donné ordre de le lui amener vivant. Teóu tai-t’ien le prit. De tous ses officiers, Fán tao-ki seul échappa, avec 300 hommes, qui se firent jour à travers les rangs des assiégeants. Le siège de Hòu-lao avait coûté aux Wéi plus des trois dixièmes de leur armée. Sa prise leur valut la possession des vallées de la Láo, de la Hán, et du Chān-tong. — De plus, les indigènes Mân du sud-ouest, et le royaume de Sī-Ts’înn, se reconnurent leurs tributaires. En 423, le roi de Wéi, T’oûo-pa seu, étant mort, son fils T’oûo-pa tao lui succéda. @ Taoïsme... Ts’oēi-hao, conseiller de Wéi, avait étudié à fond tous les livres. Il était consulté, en dernier ressort, sur les rites, les affaires, et le reste. Or Ts’oēi-hao avait en abomination les doctrines de Lào-tzeu et de Tchoāng-tzeu. Il détestait le Buddhisme, plus encore que le Taoïsme. Des princes et des ministres, que cette incrédulité choquait, desservirent Ts’oēihao auprès du roi de Wéi, qui le priva de sa charge. L’histoire a noté, de ce personnage, sa beauté et sa vanité féminines... Quand il fut disgracié, il se mit en tête d’imiter Tchāng-leang (p. 314), et s’appliqua à l’étude de la diététique taoïste. 10 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Or un certain K’eóu k’ien-tcheu (p. 788), táo-cheu sur le mont Sōng, ayant étudié les grimoires de Tchāng tao-ling, et ayant été favorisé d’apparitions de Lào-tzeu, ce patriarche lui avait révélé le dernier mot sur l’art de vivre sans manger et de s’élever dans l’espace, et l’avait chargé de donner une organisation à la secte taoïste. L’Immortel Lì p’ou-wenn, un descendant de Lào-tzeu, le gratifia aussi d’un grimoire, et le députa au Prince Transcendant et p.1074 Pacifique du Nord (le roi de Wéi), dont il devait être le ministre et l’auxiliaire, dans la promulgation des Règles du Palais Céleste. K’eóu k’ien-tcheu ayant présenté ses grimoires et fait part de sa mission au roi de Wéi, la plupart des conseillers se montrèrent très incrédules. Converti par la disgrâce, ou considérant la simulation comme un moyen de rentrer en grâce, Ts’oēi-hao sa fit le patron de K’eóu k’ien-tcheu, et écrivit au roi ce qui suit : Quand un roi sage occupe le trône, le Ciel lui fait quelque faveur. Jadis un dragon et une tortue apportèrent à Fôu-hi et à Ù le Grand les diagrammes tracés en signes mystérieux. A vous, les Immortels ont fait remettre un écrit en caractères lisibles, plein de sens profonds. C’est là une faveur supérieure à celle que reçurent les grands Anciens. Vous qui vous appliquez à tant de considérations mondaines, négligeriez-vous les avis des Intelligences transcendantes ? Bien entendu, ces flatteries plurent énormément au Tongouse T’ouo-pa tao roi de Wéi. Il envoya offrir du jade, de la soie, et des victimes, au mont Sōng. Il reçut à sa cour K’eóu k’ien-tcheu, décida que ses disciples l’appelleraient Maître céleste, et lui permit de propager ses doctrines sous son patronage royal. Lui-même érigea, en 423, dans un faubourg de sa capitale, sur une aire plane, un tertre géminé à cinq assises, près duquel ou tint un festival chaque mois. Ces faits donnèrent au Taoïsme une grande vogue. (Voyez HCO, L. 61.) An 424... Liôu i-fou observa très mal les préceptes rigoureux de la période du deuil. Il se permit œillades, batifolage, et autres crimes. Les Régents le tancèrent en vain. Alors Sû sien-tcheu prenant l’initiative de sa dégradation, convoqua T’ân tao-tsi, tandis que Síe-hoei réunissait les troupes 11 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. nécessaires et les introduisait au palais, avec l’aide p.1075 de Hîng nan-k’ang et de P’ān-cheng. La nuit qui précéda le coup d’État, Síe-hoei ne ferma pas l’œil, T’ân tao-tsi dormit à poings fermés. Liôu i-fou était au parc impérial, occupé à une buverie nocturne. Il dormit dans une barque, sur l’étang du parc. Au matin, T’ân tao-tsi entré au palais sans éprouver de résistance, le fit prisonnier, après avoir tué deux de ses domestiques. On lui enleva le sceau de l’empire, les officiers lui firent un salut d’adieu, ensuite il fut conduit provisoirement à l’hôtel qu’il occupait jadis étant prince impérial. Puis les Régents produisirent un édit supposé de l’impératrice douairière, laquelle, après un long réquisitoire, détrônait Liôu i-fou et le remplaçait par son frère Liôu i-loung. Hîng nan-k’ang reçut ordre officiel de conduire Liôu i-fou au lieu de son exil, et ordre secret de le supprimer en route. Liôu i-fou se douta de la seconde partie du programme. Comme il était très vigoureux, au départ, il se débattit, échappa à ses gardes et courut jusque dans un faubourg de la capitale, où il fut rejoint et massacré. Il avait 19 ans. — Quand son frère Liôu i-loung arriva à la capitale, les officiers sortirent à sa rencontre. Au palais, ils lui présentèrent les insignes du pouvoir suprême. Il refusa quatre fois, conformément aux rites, puis accepta, monta sur le trône, proclama une amnistie, alla visiter les Ancêtres, etc. Il avait 17 ans. Son règne durera 30 ans. @ 12 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Wênn, 424 à 453. @ En 425, Sû sien-tcheu et Fóu-leang résignèrent leurs fonctions de Régents. L’empereur refusa trois fois, conformément aux rites, puis gouverna par lui-même... Peu à peu Wênn-ti devint hostile aux hommes qui l’avaient élevé au trône. Fut-ce piété fraternelle, ressentiment de la mort de son frère ? Fut-ce crainte d’être traité comme lui, s’il venait à leur déplaire ? L’histoire insinue un troisième motif, l’ambition p.1076 des familiers de l’empereur, qui convoitaient leurs places et leurs émoluments. Bref, sous prétexte de préparer la guerre contre les Wéi, l’empereur arma contre les auteurs de sa fortune. Son secret fut bientôt divulgué. Prévenu par un parent, Síe-hoei arma pour se défendre. Chose singulière, l’empereur chargea de punir les instigateurs du coup d’État, celui-là même qui l’avait exécuté, T’ân tao-tsi. Un édit impérial mit hors la loi Sû sien-tcheu Fóu-leang et Síe-hoei, comme assassins d’un empereur. Le même édit ordonnait à T’ân tao-tsi de les poursuivre, et à Liôu-ts’oei de leur couper la retraite. Sû sien-tcheu se pendit. Fóu-leang fut tué. Síe-hoei qui avait réuni 30 mille partisans, fut abandonné par eux au premier choc. Pris dans sa fuite vers le nord, avec son frère Síetounn, il fut conduit à la capitale dans une cage roulante, et exécuté. @ Voyons ce qui se passe dans le Nord. — Chez les Tongouses T’ou-kouhounn du Koukou-nor, en 424, mort du khan Neue-tch’ai. Il avait vingt fils. Quand il se sentit près de sa fin, il les réunit tous dans sa tente, ainsi que tous ses frères, et leur dit : — Après ma mort, votre oncle Mou-koei sera votre khan... Puis il demanda à ses fils de lui remettre chacun une flèche. Des vingt flèches, il tendit la première à son frère Mou-li-yen, et lui dit de la briser, ce que celui-ci fit facilement. Il lui tendit ensuite le faisceau des 19 autres, que Mou-li-yen ne put pas rompre... 13 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Comprenez-vous ? demanda Neue-tch’ai à ses enfants. Si vous vous séparez, vous serez brisés un à un ; si vous restez unis, vous vivrez heureux et tranquilles... Cela dit, il expira. Mou-koei fut un très bon khan. Ayant ouvert ses hordes aux transfuges des Nân-chan, aux Tangoutains et aux Tibétains qui voulurent se donner à lui, il eut bientôt à son service des centaines d’habiles canailles, et son prestige s’accrut notablement. p.1077 En 424, Keue-cheng-kai khan des Jéou-jan ayant appris la mort de T’ouo-pa seu roi de Wéi, jugea l’occasion favorable pour rétablir ses affaires, et envahit le nord avec soixante mille chevaux. Surpris, T’oûo-pa tao s’élança contre lui, avec sa cavalerie légère seulement. Une chevauchée ininterrompue de trois jours et trois nuits, le mit en présence de ses adversaires. Supérieurs en nombre, les Jeóu-jan l’enveloppèrent. Les Wéi eurent peur. T’oûo-pa tao ne changea pas de visage. Alors ses hommes reprirent aussi courage. Une flèche adroitement lancée ayant tué U-cheekinn, le neveu de Keue-cheng-kai et le meilleur capitaine des Jéou-jan, ceuxci prirent peur à leur tour et se retirèrent. En 425, grande expédition des Wéi contre les Jeóu-jan. Cinq colonnes indépendantes. Le Gobi traversé du sud au nord, par la cavalerie légère, sans bagages, chaque cavalier portant pour quinze jours de vivres. Désarroi des Jeóu-jan surpris, lesquels abandonnant la plaine mongole, se réfugient vers le lac Baïkal. Comme corollaire de ce succès, les tribus tibétaines les plus avancées vers le nord, transportèrent leur allégeance aux Wéi, à la mode nomade, c’est-àdire jusqu’au jour où, pour l’intérêt d’alors, ils la retransporteront aux Jeóujan. Chez les Huns de Hiá, en 425, mort du khan roi Heue-lien Poúo-pouo, à qui son fils Heue-lien Tch’āng succède. En 426, le roi de Wéi marche en personne contre les Hiá, voisins remuants et urticants. C’est par le sommet de la boucle, qu’il envahit leurs plaines, après avoir passé le Fleuve sur la glace. T’oùng-wan, le douar royal, fut 14 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. investi par la cavalerie légère des Wéi, au moment où le roi festoyait avec ses officiers. Sorti en toute hâte pour livrer bataille, celui-ci fut bousculé et reconduit l’épée dans les reins, par l’avant-garde des Wéi, jusque dans le douar, jusque dans son palais, auquel les Wéi p.1078 mirent le feu. Revenus de leur stupeur, les Hiá fermèrent les portes. Trop faibles pour résister, les Wéi s’échappèrent par-dessus les murs. Pour cette fois, le roi de Wéi se retira, emmenant dix mille familles de prisonniers, après avoir consciencieusement massacré pillé ravagé et brûlé tout le district de T’oùngwan... Durant cette invasion par le nord, Hī-kinn avait pris Tch’âng-nan (T) par le sud, et avait soumis les hordes de Tangoutains et de Tibétains établies dans ses environs... Edifiés de ces succès, les Leâng des Nân-chan, et les Tangoutains du Tsaïdam, firent alliance avec les Wéi. En 427, le prince Hiá, Heue-lien Ting, chercha à déloger Hī-kinn de Tch’âng-nan. Pendant que ces deux capitaines étaient aux prises, jugeant que T’oùng-wan, le douar royal des Hiá, devait être dégarni, T’oûo-pa tao essaya de l’enlever par un raid semblable à celui de l’année précédente. Il risqua l’aventure lui-même, avec 30 mille cavaliers. Ses conseillers insistèrent pour lui faire emmener l’infanterie nécessaire en cas de siège. — C’est une surprise, que je médite, et non un siège, dit T’oûo-pa tao. Il partit, après avoir établi le reste de son armée dans un camp retranché, à mi-chemin. Arrivé en vue de T’oùng-wan, il cacha ses escadrons dans une vallée profonde, et approcha de la ville avec une petite troupe seulement. Les Hiá commencèrent par l’observer. Après avoir examiné la place, T’oûo-pa tao fit mine de reculer. Or il avait préalablement fait passer aux Hiá quelques faux déserteurs, pour leur faire croire qu’il n’était venu qu’avec un faible corps de cavalerie, sans infanterie et sans bagages ; qu’on l’enlèverait donc aisément. Ses mouvements confirmant le récit des déserteurs, Heue-ling Tch’āng sortit avec 30 mille hommes. Alors T’oûo-pa tao, simulant la fuite, tira vers la vallée où ses escadrons étaient cachés. Les Hiá se déployèrent, pour l’envelopper, avec p.1079 grands cris et grand tapage. Soudain un vent impétueux se mit à souffler contre les Wéi, leur jetant le sable au visage, et obscurcissant le ciel. 15 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Le Ciel est pour les Hiá, soupira l’eunuque Tcháo-i... — Tais-toi ! lui dit Ts’oēi-hao. L’interprétation des phénomènes naturels, est pure ineptie ; chacun y voit ce qu’il lui plaît... A ce moment, débouchant de la vallée, les escadrons Wéi chargèrent les Hiá. Le combat fut terrible. Son cheval s’étant abattu, T’oûo-pa tao allait être pris, quand T’oûo-pa ts’i mit pied à terre, le couvrit de son corps et lui fit enfourcher son cheval. Quoique blessé, le roi continua de combattre. Enfin les Hiá lâchèrent pied et se débandèrent. Craignant d’être pris s’il rentrait dans T’oùng-wan avec la cohue des fuyards, Heue-lien Tch’āng s’enfuit d’une traite, jusqu’à Koēi, dans la haute vallée de la Wéi. De fait, une troupe de Wéi, le bouillant T’oûo-pa tao en tête, pénétra dans la ville et jusque dans le palais. Cependant les Hiá, ayant réussi à fermer les portes, le roi faillit être tué. Ses hommes lui firent franchir les murs, au moyen de leurs habits tordus en cordes, et de leurs longues lances. Le lendemain, le douar dut capituler. T’oûo-pa tao prit tous les officiers de Hiá, tout le harem du roi, plus de 10 mille personnes, 300 mille chevaux, 10 millions de bœufs et de moutons, tout le trésor, les bannières et les bibelots du royaume. Il livra tout le butin à ses officiers et soldats. Quand Heue-lien Tíng apprit la prise de T’oùng-wan, il leva le siège de Tch’âng-nan, et alla rejoindre Heue-lien Tch’āng à Koēi.. Le roi de Wéi voulait en rester là. De grâce, lui dit Hī-kinn, dénichez-les à Koēi, et c’en sera fait des Hiá. Il insista tant, que le roi de Wéi le chargea de l’entreprise. Lui-même revint à sa capitale, où il fit son entrée au huitième mois. Dans cette campagne, T’oûo-pa tao s’était révélé comme le brave des braves. Alors que les p.1080 flèches et les pierres pleuvaient sur lui, tuant ses officiers à ses côtés, il ne changea jamais de visage. Vêtu et nourri comme ses hommes, il était aimé et craint, et pouvait compter sur l’entier dévouement de tous et de chacun. Après ses victoires, ses officiers lui dirent : — Maintenant il vous faut fortifier votre capitale, et y bâtir un palais, pour en imposer par votre magnificence, comme dit jadis Siáo-heue à Liôu-pang le fondateur des Hán (p. 290)... T’oûo-pa tao répondit : 16 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Un roi doit en imposer par sa vertu, et non par sa magnificence, ont dit les anciens, non sans raison, et Siáo-heue a eu tort de parler à Liôu-pang autrement qu’eux. En 428, Heue-lien Tch’āng ayant passé de Koēi à P’îng-leang vers les sources de la Kīng, Hī-kinn marcha contre lui. Bientôt une maladie des chevaux, et le manque de vivres, arrêtèrent sa marche. Il se retrancha. Le roi de Hiá se mit à l’inquiéter jour et nuit, harcelant et enlevant ses fourrageurs. Les officiers maugréèrent contre Hī-kinn. Nān-hie lui dit : — Décidez-vous ! Mieux vaut périr de la main de l’ennemi, qu’être décapité comme général vaincu. D’ailleurs nous sommes entourés. Si nous n’arrivons pas à nous faire jour à travers les ennemis, il nous faudra mourir, ou par le fer, ou par la faim. Le premier de ces deux genres de mort me paraît préférable... — Je n’ai pas de chevaux, dit Hī-kinn... — Donnez-moi ceux des officiers, dit Nān-hie ; il y en a 200 ; j’enlèverai Heue-lien Tch’āng, lequel s’aventure imprudemment dans les reconnaissances et dans les mêlées... Hī-kinn n’arrivant pas à se décider, Nān-hie s’entendit secrètement avec quelques cavaliers d’élite. Heue-lien Tch’āng étant venu reconnaître la ville, Nān-hie l’enleva et l’envoya à T’oûo-pa tao, qui l’enferma, mais le traita bien, et lui donna sa propre sœur en mariage... Heue-lien Tíng monta sur le trône de Hiá... Humilié par ce succès obtenu malgré lui, Hī-kinn voulut p.1081 lui aussi avoir la face. Il chercha à enlever Heue-lien Tíng, comme Nān-hie avait enlevé Heue-lien Tch’āng. Mais un petit officier qu’il avait puni, déserta et vendit aux Huns le secret de son raid. Ceux-ci lui tendirent une embuscade. Sept mille Wéi périrent. Hī-kinn fut pris. Les Hiá reprirent toute la vallée de la Wéi, et même la ville de Tch’âng-nan. Furieux de ce revers, T’oûo-pa tao mit à mort son beau-frère et prisonnier Heue-lien Tch’āng. En 429, les Tīng-ling (Kirghiz) de la Dzoungarie (18), reconnurent la suzeraineté de T’oûo-pa tao. Ils furent bien reçus, parce qu’ils pouvaient servir utilement les Wéi contre les Jeóu-jan. 17 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 430, Heue-lien Tíng roi de Hiá sollicita l’alliance de l’empire, offrant de partager le Nord avec les Sóng. Quand T’oûo-pa tao apprit ces projets de vivisection, ils lui déplurent, naturellement. Il prépara donc une nouvelle campagne contre les Hiá. Fort opportunément, K’i-fou Mou-mouo khan et roi des Sī-Ts’înn pressé par les Pèi-Leâng, s’offrit à le servir. T’oûo-pa tao lui offrit le territoire des Hiá, comme ceux-ci avaient offert le sien aux Sóng, à charge de le conquérir, bien entendu. Mou-mouo mit le feu à son ancien douar, détruisit tout ce qu’il possédait d’objets précieux, et envahit la haute vallée de la Wéi, traînant à sa suite quinze mille familles. Les Hiá se mirent sur la défensive. Mou-mouo s’arrêta. Derrière lui, les T’ou-kou-hounn du Koukou-nor occupèrent le territoire qu’il venait d’abandonner, au nez des Pèi-Leâng. Au onzième mois, T’oûo-pa tao fit envahir le pays entre la Muraille et la Wéi, par son général Kòu-pi. Heue-lien Tíng se retourna contre les Sī-Ts’înn et les entoura. Bientôt la famine fut telle dans le douar de ces pauvres émigrants, qu’ils se dévorèrent les uns les autres. K’i-fou Mou-mouo capitula. Heue-lien Tíng le massacra. Ainsi finirent les Tongouses K’i-fou de p.1082 Sī- Ts’înn, en 431. Au sixième mois de la même année, sentant qu’il ne pourrait pas tenir contre les Wéi, Heue-lien Tíng tenta à son tour d’émigrer. Traînant à sa suite plus de cent mille habitants de la vallée de la Wéi, il essaya de passer le fleuve, pour aller s’établir dans les Nân-chan. Mou-koei khan des T’ou-kouhounn, attendit qu’il eût effectué son passage à demi, le prit, et massacra ses gens sur les deux rives. — Devenu ainsi le voisin des Wéi, Mou-koei chercha à se faire bien venir de T’oûo-pa tao, en lui envoyant son prisonnier. T’oûo-pa tao le mit à mort. Ainsi finirent les Hiá, Huns de la horde Heue-lien, en 432. Racontons maintenant la fin des Pèi-Yén... Jadis, en 425, dans le pays de Yén, un beau jour une fille se trouva transformée en garçon. Ne riez pas ! C’est grave ! Désordre dans les Deux Principes !.. Le roi de Yén demanda à ses Sages l’interprétation du phénomène. Fóu-k’uan lui dit : 18 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Jadis la ruine des Ts’iên-Hán fut annoncée par la transformation d’une poule en coq. Ce qui vient d’arriver, est bien plus fort. Je pense que ce signe concerne votre royaume. Accomplissement de la prophétie, en 430. Fông-pa roi de Yén (p. 1044) étant tombé gravement malade, ordonna à son héritier désigné Fông-i de prendre le commandement de la garde, en vue des événements possibles. Or la dame Sông qui voulait procurer le trône à son propre fils, dit à Fông-i jeune homme pieux et timide : — Si vous faites cela, et que, comme c’est probable, le roi vient à guérir, on dira que vous aviez l’air bien pressé de lui succéder... Fông-i ne fit donc aucun préparatif. Alors la dame Sóng confia ses intérêts à Fông-houng, frère du roi. Celui-ci occupa le palais avec une troupe de cuirassiers. Fông-pa mourut de peur, ou autrement. Au lieu de mettre sur le trône le fils de la dame Sóng, Fông-houng s’y assit p.1083 lui-même, et massacra tous les princes du sang Fông, au nombre de plus de cent. En 435, pressé par les Wéi, Fông-houng s’aboucha avec l’empire, offrant de lui payer tribut. L’empereur le reconnut comme roi de Yén. Cette reconnaissance ne lui servit guère. Les Wéi le pressant de plus en plus, et les Sóng n’arrivant pas à son secours, Yâng-minn lui conseilla d’envoyer son fils à Kién-k’ang, pour y servir dans la garde impériale, manière d’attendrir l’empereur... — Quand je serai à bout, je demanderai plutôt du secours aux Coréens, dit Fông-houng... — Ce coin-là, dit Yâng-minn, n’est pas capable de résister aux Wéi. D’ailleurs les Coréens sont fourbes et traîtres ; ils vous vendront... Fông-houng fit la sourde oreille, et envoya un ambassadeur aux Coréens. En 436, les Wéi envahirent Yén. Les Coréens envoyèrent quelques troupes, non pour défendre Yén, mais pour recevoir le roi, s’il était battu, ce qui arriva en effet. Abandonnant sa capitale Loûng-tcheng (9), Fông-houng se retira vers la Corée, emmenant les populations, brûlant les habitations, ravageant le pays. 19 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ce que Yâng-minn avait prédit à Fông-houng, arriva en 438. Les relations du roi détrôné avec l’empire, déplurent au roi de Corée, qui le fit mettre à mort, avec ses dix fils et petits-fils. Ainsi finit le royaume Pèi-Yén des Fông (Chinois). Après les Pèi-Yén, les Pèi-Leâng... Wéi, cherchait un prétexte pour entrer en matière. Or le Sramana T’an-ou-tch’an, originaire du pays de Kaboul, qui évoquait les démons et guérissait les maladies par ses formules magiques, avait gagné la confiance du roi hun Tsōu-k’iu Mông-sunn, au point que celui-ci avait mis à son école ses femmes et ses filles (cf. p. 1041). T’oûo-pa tao qui avait une parente dans son harem, trouva la chose inconvenante, et lui envoya, en 432, un député p.1084 chargé de le reprendre. Mông-sunn se fâcha, emprisonna puis tua l’envoyé. Wéi avait le casus belli désiré. D’ailleurs, dit l’Histoire, Mông-sunn était cruel, débauché, et haï du peuple. En 433, Mông-sunn étant tombé grièvement malade, ses Huns trouvant l’héritier désigné P’ôu-t’i trop jeune, exigèrent qu’il le remplaçât par Móu-kien, adulte, instruit et prudent. Mông-sunn étant mort, Móu-kien fit au roi de Wéi des excuses, qui le calmèrent provisoirement. En 435, un vieillard afficha un écrit à la porte orientale de Toūnn-hoang, puis disparut. L’écrit portait : les 30 années (vie) du roi de Leâng, se réduiront à 7 ans... Móu-kien consulta Tchāng-chenn. — Jadis, dit celui-ci, un Chênn descendit à Sīnn, pour annoncer la ruine de Koâi (p. 115). Amendez-vous, gouvernez bien, et les 30 années vous seront peut-être rendues. Si vous vous adonnez à l’oisiveté et à la débauche, dans 7 ans c’en sera fait de vous... L’interprétation déplut à Móu-kien. En 439, T’oûo-pa tao proposa à son conseil de faire la guerre aux PèiLeâng. Lì-chounn parla fortement contre le projet royal. — Kōu-tsang (Kān-tcheou) dit-il, est situé dans un désert pierreux, sans eau, sans herbe, sur la pente de montagnes neigeuses, dont les torrents, captés par les indigènes, servent à l’irrigation, 20 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. condition nécessaire de toute culture. Ils couperont leurs canaux, et notre armée privée d’eau, ne pourra pas tenir dans ce pays... — S’il en était comme vous dites, répliqua Ts’oéi-hao, comment ce pays nourrirait-il tant de bestiaux et de troupeaux ?.., — Je sais ce que je dis, dit Lì-chounn... — On vous a payé pour le dire, dit Ts’oéi-hao... Cette altercation déplut au roi de Wéi, qui se fâcha et leva la séance.. I-pouo lui dit : — De fait si le Pèi-Leâng était fait comme a dit Lì-chounn, comment pourrait-on y vivre ? Ts’oēi-hao doit avoir raison. Le roi de Wéi se décida donc à faire p.1085 la guerre. Il commença par lancer un manifeste, dans lequel il accusait Móu-kien de douze péchés. Ce factum se terminait par les conclusions substantielles suivantes, adressées à Móu-kien : « Venez vite vous prosterner devant nous ; ce sera le mieux. Attendre, pour vous rendre à merci, que nous soyons arrivés chez vous, ce sera moins bien. Que si vous vous défendez, je devrai vous tuer. Au septième mois, arrivé parmi les nomades tributaires, le roi de Wéi chargea le petit khan Yuân-heue de guider son armée, et de dresser le plan de la campagne. — Autour de Kôu-tsang, dit celui-ci, campent quatre hordes de Tongouses Sièn-pi, mes parents et amis. Laissez-moi prendre les devants. Je vous les gagnerai. Entourée et isolée, la ville sera facile à prendre... — Bien, dit le roi de Wéi. Cependant Móu-kien averti de ce qui se préparait, appela à son aide les Jeóu-jan, et envoya contre les Wéi son frère Tòng-lai, avec dix mille hommes qui s’enfuirent dès qu’ils virent l’ennemi. Arrivé devant Kōu-tsang, T’oûo-pa tao somma Móu-kien de se rendre. Celui-ci qui attendait l’effet de la diversion promise par les Jeóu-jan, refusa. Toûo-pa tao investit la place. Yuân-heue lui 21 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. amena trente mille Tongouses gagnés aux Wéi. T’oûo-pa tao bloqua la place pour l’affamer... Voyant que le pays de Kōu-tsang était bien arrosé, herbeux et fertile, T’oûo-pa tao gronda Lì-chounn et loua Ts’oēi-hao. Au neuvième mois, les assiégés perdirent courage et se débandèrent. Móu-kien, ses officiers, ses fidèles, cinq mille personnes en tout, se rendirent à merci, avec l’appareil humiliant de ces cérémonies. T’oûo-pa tao les reçut bien. Il donna à Yuân-heue les 200 mille âmes qui se trouvèrent dans la ville, et les petites hordes qui avaient fait leur soumission séparément. Il prit ensuite Tcháng-ie, Tsiòu-ts’uan, la ligne entière des Nân-chan. Ainsi finit le royaume de Pèi-Leâng des Huns Tsōu-k’iu. Revenu à sa capitale p.1086 P’ïng-Tch’eng, T’oûo-pa tao donna à Móu-kien une de ses sœurs. Il en avait, paraît-il, de disponibles pour toutes ses victimes. Ces pauvres filles étaient bientôt veuves. En 440, Oû-hoei, frère de Móu-kien, s’empara de Tsiòu-ts’uan. En 441, T’oûo-pa tao envoya une expédition contre lui, et reprit la ville. En 442, traînant à sa suite plus de dix mille familles, Oû-hoei passa chez les Chán-chan du Lob-nor. La marche à travers le désert, coûta la vie à la moitié de son monde. Pì-loung, roi des Chán-chan, effrayé de cette invasion, s’enfuit à Ts’ìe-mouo (l’antique Asmiræa). Au neuvième mois, Oû-hoei surprit Tourfan (t) et s’y établit ; les Tsōu-k’iu y régnèrent jusqu’à l’an 460. En 444, le brave Oû-hoei mourut. Son frère Nān-tcheou lui succéda. En 447, les Wéi eurent reconquis toute la chaîne des Nân-chan. Il paraît que Móu-kien pensa qu’un beau-frère de roi pouvait se permettre quelques petites choses. Il puisa dans le trésor royal. Les gardes du trésor l’accusèrent de vol. T’oûo-pa tao fit faire des perquisitions à son domicile. On y retrouva les objets disparus. T’oûo-pa tao entra dans une grande colère. A quelque temps de là, Móu-kien ayant été accusé de comploter, T’oûo-pa tao lui ordonna de se suicider, puis fit massacrer toute sa famille. Pèi-Leâng étant le dernier des petits royaumes du Grand Emiettement, désormais deux puissances seulement, l’empire méridional chinois des Liôu de Sóng, et le royaume septentrional tongouse des T’oûo-pa de Wéi. Dans les 22 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. steppes du nord, les Jeóu-jan sont à ces derniers, ce que les Huns furent aux Hán, une épine dans le flanc, un souci continuel. p.1091 En 429, commencement des grandes expéditions de T’oûo-pa tao contre les Jeóu-jan (Avars). Le projet conçu par le roi, de leur faire une guerre d’extermination, fut d’abord combattu par tous les ministres et officiers, Ts’oēi-hao seul excepté. Les Annalistes insistèrent sur les avertissements donnés par les Astrologues : le principe yīnn dominait ; Jupiter était contraire, Vénus aussi ; faire la guerre dans de pareilles conjonctures, c’était vouloir se faire battre ; même une victoire ne profiterait pas... Ts’oēi-hao dit : — Tout au contraire, les conjonctures sont favorables. Le principe yīnn régit les châtiments ; or c’est pour châtier les Jeóu-jan, qu’on veut faire la guerre. La lune (qui est yīnn) vient d’occulter l’astérisme des peuples nomades ; etc. etc. ; nous connaissons cela... — Mais, reprirent les Astrologues, à quoi bon conquérir le pays des Jeóu-jan, pays éloigné, qui ne nous sera d’aucune utilité ; vaut-il qu’on fatigue, pour l’avoir, les hommes et les chevaux ?.. — Parlez des choses du ciel, dit Ts’oēi-hao, car c’est là votre partie ; mais ne faites pas de discours sur celles de la terre, car vous n’y entendez rien. Les Jeóu-jan ont été nôtres jadis. Ils ont rompu avec nous depuis. Cette rupture est un crime que nous devons punir. Reprendre ce qu’il y a d’hommes capables parmi ces évadés, sera un profit pour nous... T’oûo-pa tao goûta fort ce discours, et décida la guerre. — Mais, dit quelqu’un à Ts’oēi-hao, si, durant cette expédition vers le nord, les impériaux nous attaquent par le sud ?!.. — Ils ne nous attaqueront pas de si tôt, dit Ts’oēi-hao; et il nous faut précisément nous débarrasser des Jeóu-jan, pour pouvoir ensuite nous occuper de l’empire... Et, à supposer que les impériaux nous attaquent : Ils sont fantassins ; nous sommes 23 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. cavaliers. Ils arriveront chez nous épuisés de fatigue, et nous les battrons facilement. Que peut une bande de poulains et de veaux, contre une légion de loups et de p.1092 tigres ?.... Ces Jeóu-jan paissent au nord durant l’été, puis rabattent vers le sud en automne, et brigandent sur nos frontières en hiver. Attaquons-les en été, dans leurs pacages. A cette époque, les chevaux ne sont bons à rien ; les étalons sont occupés des cavales, les juments sont occupées des poulains. Coupons-leur l’herbe et l’eau. En peu de jours, ils seront à bout, pris ou détruits, et nous serons délivrés d’un souci chronique. Le Maître céleste K’eóu k’ien-tcheu demanda à Ts’oēi-hao: — Les Jeóu-jan pourront-ils vraiment être vaincus (il n’était donc pas prophète) ?... — Bien sûr, dit Ts’oēi-hao, à condition qu’on aille droit au but, franchement, rapidement, sans tenir trop de conseils de guerre ; c’est l’indécision qui est à craindre, dans cette entreprise... Or il arriva que l’empereur écrivit au roi de Wéi, pour lui réclamer le Heûenan, et le menacer de la guerre, s’il ne lui rendait pas ce pays. T’oûo-pa tao rit de l’empereur, et dit à ses officiers : — Une tortue a beau se dresser, c’est toujours une tortue. Et puis, si nous devons jamais avoir la guerre avec l’empire, raison de plus pour en finir au plus vite avec les Jeóu-jan... Et il se mit en campagne. Quand il fut arrivé au bord méridional du Gobi, T’oûo-pa tao abandonna ses bagages, et traversa le désert avec sa cavalerie seulement. Le khan Keue-cheng-kai ne s’attendait nullement à cette visite. Surpris, il incendia luimême son douar, et s’enfuit vers l’ouest (68). T’oûo-pa tao fit battre la plaine par sa cavalerie, sur cinq mille lì de l’est à l’ouest, et trois mille lì du nord au sud (70, 69). Tout Jeóu-jan rencontré, était massacré sur-le-champ. Leurs voisins les Kāo-kiu (Sarmates), voyant les Jeóu-jan (Avars) ruinés, leur donnèrent aussi la chasse ; charité de nomade ; nous connaissons cela. Peu à peu 300 mille Jeóu-jan, préférant la servitude à la mort, se rendirent aux 24 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Wéi, et livrèrent un million de chevaux de guerre, et plusieurs p.1093 millions de chariots, bœufs et moutons. T’oûo-pa tao voulait absolument prendre le khan. Craignant d’être enveloppés dans le désert, ses officiers le contraignirent à revenir. Quand l’armée eut repassé le Gobi, on apprit des prisonniers, que, si on avait continué la chasse deux jours de plus, on aurait pris le khan dans son dernier refuge. T’oûo-pa tao se mordit les doigts de colère... Cependant le khan Keue-cheng-kai étant mort, son fils Oû-t’i lui succéda, et devint le khan Tch’éu-lien. Au sud du Gobi, T’oûo-pa tao soumit une grande horde de Kāo-kiu (Sarmates), laquelle livra encore plus d’un million de chevaux, bœufs et moutons... Au dixième mois, T’oûo-pa tao rentra en triomphateur dans sa capitale. Il établit tous les Jeóu-jan et Kāo-kiu soumis, au sud du désert, au nord et à l’ouest de la boucle. Il leur donna des terres et des pacages, n’exigeant d’eux qu’un tribut annuel. Il leur donna, pour surveillants, un prince du sang et plusieurs grands officiers. A partir de cette époque, chevaux bœufs moutons feutres et peaux, devinrent, parmi les Wéi, des valeurs courantes, comme parmi les nomades dépourvus de monnaie et commerçant par troc. En 430, parmi ces pauvres transplantés, la horde Tch’éu-lei, comptant mille familles, vexée par les percepteurs royaux, tenta de s’évader et de repasser le Gobi. Tous moururent de faim dans le désert. Les autres se le tinrent pour dit. En 434, les gardes des frontières de Wéi, ayant pris une patrouille de Jeóu-jan, vingt hommes environ, le roi de Wéi les habilla de neuf et les renvoya libres. Ce procédé toucha le khan Tch’éu-lien, qui renoua depuis lors des relations avec T’oûo-pa tao. Ces relations allèrent bientôt jusqu’à un double mariage. T’oûo-pa tao donna à Tch’éu-lien une de ses filles, et épousa une de ses sœurs. Au septième mois de la même année, dans p.1094 une petite expédition contre Pâi-loung khan d’une horde de Huns montagnards, T’oûo-pa tao s’étant imprudemment avancé, faillit être pris ou tué. L’officier Tch’ênn-kien couvrit de son corps le roi tombé de cheval, fut criblé de blessures, mais lui 25 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sauva la vie. Les Huns furent battus, leur douar fut passé au fil de l’épée, et Pâi-loung fut décapité. En 435, tout le versant sud de l’Altaï jusqu’à Kachgar, les montagnards des Pamir, les Oū-sounn de l’I-li, les Ue-pan tribu hunne établie vers la mer d’Aral, les Sou-t’ei tribu d’Alains établie vers la mer Caspienne, firent hommage aux Wéi... T’oûo-pa tao savait son Histoire. Il se souvint que les peuples du Tarim et d’au delà, avaient fait des avances aux Hán chaque fois qu’ils avaient eu besoin d’eux, et leur avaient tourné le dos chaque fois qu’ils avaient pu se passer d’eux. Il se souvint que, à cette distance, les relations sont coûteuses, les expéditions impossibles. Cependant, en vue de l’avenir, et pour ne pas les offenser, il envoya à ces peuples l’ambassadeur Wâng nenncheng, avec une suite de vingt personnes. Les Jeóu-jan capturèrent toute l’ambassade. Wâng nenn-cheng protesta fièrement devant le khan Tch’éulien. T’oûo-pa tao fit aussi faire, à ce cher beau-frère et beau-fils, de sévères représentations. Tch’éu-lien finit par lâcher Wâng nenn-cheng, mais ne permit jamais le passage aux envoyés des Wéi. Il se réservait le Tarim, in petto. Cependant, en 437, une nouvelle ambassade chinoise parvint dans le Tarim sans sa permission. Elle poussa jusque chez les Oū-sounn de l’I-li, dont le roi, très flatté, les fit passer chez quelques peuplades ou hordes avoisinantes, chez les P’ouo-lao-na (Ferghana) et les Tchee-chee. L’ambassadeur chinois fut bien reçu partout. Seize principicules s’inscrivirent parmi les amis de la Chine ; parmi les tributaires, dit le texte. En 438, p.1095 T’oûo-pa tao répéta sa chevauchée de 429, contre les Jeóu-jan. Elle ne lui réussit pas, cette fois. Les Jeóu-jan se retirèrent, si bien qu’il n’en vit pas un seul. Il ne trouva pas à se ravitailler au nord du Gobi, la sécheresse ayant, cette année-là, tué la végétation et tari les eaux. Il dut revenir en toute hâte, non sans avoir perdu beaucoup d’hommes et de chevaux. En 439, incursion des Jeóu-jan, pour le compte des Pèi-Leâng, qui périrent cette année-là (p. 1084). En 443, grande expédition des Wéi contre les Jeóu-jan. Les Wéi partirent du bord sud du Gobi, en quatre colonnes indépendantes. T’oûo-pa tao en personne marcha contre le douar du khan Tch’éu-lien. Quand il fut arrivé en vue... 26 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Fondons sur eux à l’improviste, lui dit son fils Hoàng !.. — N’en faites rien, dit le conseiller Liôu-hie. Voyez cette poussière ! Ils sont très nombreux ! Attendez les autres colonnes !.. T’oûo-pa tao attendit. Or la poussière était soulevée par les Jeóu-jan qui fuyaient éperdus. Quand les Wéi s’en furent assurés, il était trop tard pour les poursuivre. Désormais T’oûo-pa tao donna toute sa confiance à son fils Hoàng. Sēu-ma tch’ou-tcheu, l’ex-prince Tsínn (p. 1064), commandait le train des Wéi. Un matin on lui annonça que, dans le camp, un âne avait disparu durant la nuit. Le général connaissait les nomades. — Ceci est un signe certain, dit-il, qu’un espion a pénétré dans notre camp, la nuit dernière ; il a pris l’âne pour fuir ; l’ennemi n’est pas loin ; à l’œuvre, vite !.. Les Wéi s’entourèrent en toute hâte d’un abatis de saules, sur les troncs desquels ils versèrent de l’eau, que le froid convertit aussitôt en verglas. A peine l’enceinte était-elle fermée, que les Jeóu-jan parurent. Ils n’arrivèrent pas à la forcer. En 444, T’oûo-pa tao fit savoir à Kòu-pi, le directeur des haras, qu’il eût à livrer de bons chevaux pour les chasses royales. Kòu-pi livra un assortiment de rosses. T’oûo-pa tao p.1096 se fâcha, et parla de le décapiter, avec tous ses employés. Tout le monde eut peur, excepté Kòu-pi. — Ma charge exige, dit-il, que je prenne à cœur les intérêts de mon maître. Compromettre ses plaisirs, n’est qu’un petit méfait. Compromettre ses expéditions, serait un grand péché. Or il reste encore des Jeóu-jan. J’ai réservé les bons chevaux pour leur donner la chasse. Si j’ai eu tort, je suis le seul coupable ; mes gens n’y sont pour rien... Quand T’oûo-pa tao fut informé de ces paroles, il soupira et dit : — Cet officier est le joyau de mon royaume... et il lui fit un cadeau de vêtements... Un autre jour, dans une chasse royale, les chasseurs ayant tué plusieurs milliers de cerfs daims et antilopes, 27 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. demandèrent au roi d’ordonner que Kòu-pi fournît 500 chars à bœufs, pour transporter leur gibier à la capitale. — J’ordonnerai en vain, dit le roi ; le Pinceau ne les fournira pas ; chargez votre gibier sur vos chevaux ; d’ailleurs, si vous voulez, faisons l’expérience... Kòu-pi répondit à l’ordre royal par le billet suivant : « Les moissons sont mûres ; la campagne est pleine de fruits que les sangliers les cerfs et les oiseaux mangent, que le vent et la pluie endommagent ; mes chars n’ont pas le loisir de transporter votre gibier... — Ne vous l’avais-je pas dit ? dit T’oûo-pa tao. Le Pinceau ne connaît que les intérêts de l’État... Kòu-pi, grand, droit et raide, avait une tête pointue ; voilà pourquoi T’oûo-pa tao l’appelait le Pinceau. Chez les Jeóu-jan, le khan Tch’éu-lien étant mort, en 444 son fils T’ouheue-tchenn devint khan Tch’óu-louo à sa place. Les Wéi ayant occupé les Nān-chan après la ruine des Pèi-Leâng, les Chán-chan du Lob-nor devenus leurs voisins, eurent grand peur d’être conquis à leur tour. Les ambassades des Wéi aux pays occidentaux, les inquiétaient beaucoup. En passant et repassant chez nous, se dirent-ils, ces ambassadeurs verront que nous ne sommes pas forts, et le diront au roi p.1097 de Wéi, lequel nous raflera un beau jour... Ils interceptèrent donc la route du Tarim, dévalisèrent les courriers, et provoquèrent ainsi ce qu’ils avaient voulu éviter. En 445, expédition punitive. Les Chán-chan furent raflés, et les routes rouvertes derechef. En 445, Mou-li-yen khan des T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, se permit une excursion audacieuse. Traversant d’une traite le Tsaidam, le Tangout, et les plaines désertes du Tarim-sud, il alla surprendre et piller la riche ville de Kotan, dont il tua le roi. Plusieurs myriades d’hommes périrent dans cette affaire. Mou-li-yen ne put pas conserver sa conquête. Il dut se replier, en 446. 28 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 448, ambassade des Huns Ue-pan (p. 1094)... Expédition punitive des Wéi, le long du versant sud de l’Altaï, Prise de Karachar et de Koutcha ; pacification du Tarim... Expédition manquée contre les Jeóu-jan ; on n’en vit pas un seul, les malins s’étant retirés dans le bassin de Kobdo (71). En 449, grande expédition contre les Jeóu-jan, en trois colonnes. Le khan Tch’óu-louo enveloppa celle du prince T’oûo-pa na. L’approche des autres, l’obligea de se retirer. T’oûo-pa na s’élança à sa poursuite. La chasse dura neuf jours et neuf nuits. Tch’óu-louo dut abandonner tous ses bagages, et fuir dans le pays de Kobdo. Le prince T’oûo-pa kie-eull prit aux Jeóu-jan beaucoup d’hommes et plus d’un million de bêtes. Ils furent si affaiblis, par ces saignées, qu’ils disparurent pour un temps. En 452, mort de Mou-li-yen khan des T’ou-kou-hounn, que son neveu Chêu-yinn remplace. Les Jeóu-jan étant refoulés, Wéi pouvait s’occuper de l’empire. Reprenons de plus haut la lutte des deux dynasties... L’empereur rêvait de reconquérir le Heûe-nan. En 430, il avait réuni, à cette fin, 50 mille cuirassiers, puis avait député au roi de Wéi le p.1098 général T’ién-k’i, pour lui dire ceci : — Le Heûe-nan a jadis appartenu aux Sóng. Vous me l’avez enlevé. Rendez-le-moi !... Le roi de Wéi, très mécontent, répondit : — Quand je naquis, mes cheveux n’étaient pas encore secs, que j’entendis déjà dire que le Heûe-nan appartenait aux Wéi. Si vous l’envahissez, l’hiver prochain, quand le Fleuve sera gelé, vous entendrez parler de moi. Cependant les gouverneurs Wéi au sud du Fleuve, sur les frontières de l’empire, demandaient au roi de Wéi 30 mille hommes et la permission de prendre l’initiative. Ils demandaient aussi l’autorisation de massacrer la population flottante de la frontière, pour empêcher l’espionnage, etc. Le roi de Wéi soumit ces demandes à son conseil. Les conseillers inclinaient à les accorder, quand Ts’oēi-hao dit : 29 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Refusez ! Les pays méridionaux, humides et boisés, sont extrêmement malsains. N’y engagez pas vos soldats. Il vous faudrait les diviser en plusieurs corps, et les ravitailler à de grandes distances. Laissez plutôt venir les Sóng. Ils arriveront épuisés de fatigue, pour nous attaquer dans toute notre force. Tous les avantages seront de notre côté... Si les gouverneurs du sud pressent ainsi, c’est qu’ils sont jaloux de ceux du nord, que la guerre a enrichis ; il convoitent les dépouilles de l’empire. Pour le bien de votre royaume, ne les écoutez pas.., Que si l’empereur vous déclare la guerre, tous les présages vous promettent la victoire. Des vapeurs de carnage on été vues, s’élevant du sud. Les caractères cycliques de l’année sont néfastes pour le sud. La dernière éclipse de soleil, était aussi néfaste pour le sud, Les constellations le menacent de troubles et de deuils. Vénus n’est pas visible (p. 989). Un prince n’a chance de réussir, que quand les hommes, la terre et le ciel (la triade), sont pour lui. Or le ciel, la terre et les hommes, sont contre l’empereur. S’il vous attaque, il sera sûrement battu.. Il est piquant de p.1099 voir Ts’oēi-hao développer ces arguments astrologiques, qu’il avait si bien réfutés jadis (p. 1079). Cet homme, qui eut longtemps une grande influence, fut un politicien sans principes ni conscience, lequel souffla le chaud et le froid selon les besoins de sa cause. Le roi de Wéi se décida à attendre. Au lieu de les renforcer, il retira même les garnisons qu’il avait au sud du Fleuve Jaune. Les Sóng envahirent. Sans coup férir, Tchōu siou-tcheu occupa Hoâ-t’ai, Yìnn-tch’oung occupa Hòu-lao, Tóu-ki occupa Láo-yang ; enfin leur armée s’échelonna tout le long de la rive méridionale du Fleuve. Le général en chef Táo yen-tcheu était enthousiasmé de ce facile triomphe. — Attendez ! lui dit Wâng tchoung-tei. Rien de plus traître, que ces hommes du nord. S’ils ont reculé, c’est pour revenir en nombre. Alors vous serez moins gai ! En effet, comme le roi de Wéi l’avait promis à l’empereur, dès que le Fleuve fut gelé, on eut de ses nouvelles. Les Wéi passèrent sur la glace. Leur général 30 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Nān-hie marcha contre Táo yen-tcheu, le battit et lui tua beaucoup de monde. Puis il tira droit à Láo-yang, que Tóu-ki abandonna sans combattre. Hòu-lao fut enlevé de même, presque sans résistance. Les choses tournant mal, l’empereur donna tout pouvoir au général T’ân tao-tsi. Tandis que celui-ci cherchait à organiser la résistance, Táo yen-tcheu évacuait tout le nord, et Chôu-sounn kien récupérait, sur ses talons, pour le roi de Wéi les provinces envahies l’été précédent. Ce dernier pressa même la retraite de Táo yen-tcheu, au point qu’elle devint une fuite. Les Sóng durent brûler leurs barques et abandonner leurs armes lourdes. Ils arrivèrent à P’êng-tch’eng (a) en fuyards. Seul Tchōu siou-tcheu se maintint à Hoâ-t’ai. Les Wéi le négligèrent, provisoirement. En 431, T’ân tao-tsi tenta de secourir Hoâ-t’ai. Aux abords du Fleuve, il livra aux Wéi plus de trente combats. Chôu-sounn kien p.1100 chargea sa cavalerie légère de détruire, dans tout le pays, les grains et les herbages. N’arrivant plus à se ravitailler, T’ân tao-tsi dut arrêter sa marche en avant... Cependant Nān-hie et Sēu-ma tch’ou-tcheu attaquaient Hoâ-t’ai pour de bon. Bientôt, dans la ville, la famille fut extrême. On mangea les rats, et le reste. Enfin Hoâ-t’ai succomba. Pris vivant, Tchōu siou-tcheu passa au service des Wéi. T’ân tao-tsi se trouva aussi à court de vivres durant sa retraite. Des déserteurs passés aux Wéi, les en avertirent. Ceux-ci s’élancèrent à sa poursuite. L’armée de T’ân tao-tsi allait se débander, quand il s’avisa d’un stratagème, devenu célèbre dans la littérature chinoise. Durant la nuit, il fit entasser du sable, comme on entassait les grains, dans les armées. Les contrôleurs hélant les porteurs, criaient le nombre des charges. Quand les tas furent alignés, T’ân tao-tsi fit répandre à la surface du sable, le grain qui lui restait. Au jour, les Wéi ayant vu ces amas de loin, conclurent que les Sóng avaient des provisions en abondance, et que les déserteurs leur avaient menti. Ils massacrèrent ces pauvres diables. T’ân tao-tsi se retira en bon ordre, chaque homme sauvant ses armes, chose rare en ce temps-là. Les Wéi ne le poursuivirent pas. Revenu à sa capitale, T’oûo-pa tao célébra son triomphe. Annonce aux Ancêtres, banquet donné aux officiers, promotion, récompenses, etc. Les 31 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. simples soldats furent exemptés d’impôts pour dix ans, et tout le royaume de Wéi pour un an. Récompenser libéralement les généraux vainqueurs, fut l’usage constant de tous les nomades, Huns, Tongouses, et autres ; aussi les officiers de ces princes avaient-ils le cœur à la besogne. Pour servir les empereurs de la Chine, il fallait avoir un cœur de chien, et consentir à être traité comme tel. En voici une nouvelle preuve... L’empereur Wênn avait à T’ân tao-tsi les plus grandes obligations (p. 1074, 1076). p.1101 Cet homme l’avait mis sur le trône. Or, en 436, l’empereur étant tombé malade, le chancelier Liôu i-k’ang, craignant que T’ân tao-tsi ne profitât de sa popularité pour renverser les Sóng, l’appela à la cour. — On t’appelle sans motif, lui dit sa femme ; c’est de mauvais augure... Quand T’ân tao-tsi fut entré au palais, on l’arrêta, avec onze de ses fils et parents. Sans aucun jugement préalable, un édit impérial annonça à l’empire que, profitant de la maladie de l’empereur, T’ân tao-tsi et son clan avaient voulu faire une révolution. Le Grand Juge les fit tous mettre à mort, ainsi que Sūe-t’oung et Kāo tsinn-tcheu les deux aides de camp de T’ân tao-tsi. Au moment de son arrestation, jetant à terre son chapeau (insigne de son rang), les yeux étincelants de colère, T’ân tao-tsi s’écria : — Malheureux ! Vous abattez vous-mêmes le rempart de votre empire !.. La nouvelle de la mort de T’ân tao-tsi, remplit les Wéi de la plus grande joie. Désormais, dirent-ils, nous n’avons plus besoin d’avoir peur de rien. @ Cochinchine... En 430 et 433, ambassades cochinchinoises à l’empereur de Chine... Hélas, gémit l’Histoire en 446, alors qu’il envoyait des ambassades à l’empereur (ce qui lui coûtait), Fán-yang-mai roi de Cochinchine brigandait sur la frontière de l’empire (ce qui lui rapportait). L’empereur envoya T’ân houo-tcheu pour lui donner une leçon. Tsoūng-k’iao, jeune brave issu d’une famille lettrée, se joignit à T’ân houo-tcheu, dans l’intention de se distinguer. Celui-ci lui confia le commandement de son avant-garde. Ils pénétrèrent en 32 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cochinchine. Le roi Fán-yang-mai réunit toutes ses forces. Il avait des éléphants de guerre. J’ai ouï dire, dit le savant Tsoùng-k’iao, que les éléphants ont peur des lions. Il fit donc peindre des lions, que ses soldats présentèrent aux éléphants, au p.1102 commencement de la bataille. Les éléphants prirent la fuite, et les Cochinchinois furent vaincus. Fán-yang-mai dut fuir. Les Chinois firent un très riche butin. Tsoūng-k’iao ne prit ni n’accepta rien pour lui-même. Il rentra chez lui, vêtu de haillons, et les mains vides. @ Yûnn-nan... An 432. Liôu tao-tsi, gouverneur des provinces du sudouest, bonhomme qui n’y regardait pas d’assez près, avait donné sa confiance à Féi-k’ien et à Tchāng-hi, lesquels en abusaient, plumant le peuple, squeezant les marchands, entravant le commerce, etc. Hiù mou-tcheu, un vagabond, profita de l’indisposition des esprits, pour faire du grabuge. Il se donna pour un prince Tsínn, s’appela Sēu-ma fei-loung, s’entendit avec le roi barbare Yâng nan-tang qui lui prêta ses guerriers, s’aboucha avec ceux du Séu-tch’oan, et commença les hostilités. Liôu tao-tsi le défit et le tua. Alors un certain Tcháo-koang, se donnant pour le lieutenant de Sēu-ma fei-loung, chercha à continuer la révolte. Il eut d’abord du succès et prit plusieurs villes, la plupart lâchement abandonnées par leurs gouverneurs. Cependant Tcháo-koang constata bientôt que ses bandes tenaient pour Sēuma fei-loung et non pour lui, et qu’elles se disperseraient, le jour où elles sauraient que Sēu-ma fei-loung n’était plus. Or un táo-cheu nommé Tch’êng tao-yang ressemblait à s’y méprendre à feu Sēu-ma fei-loung. Tcháo-koang alla le trouver, dans son couvent, avec quelques soldats. — Tu vas dire que tu es Sēu-ma fei-loung, lui dit-il, ou je te coupe la tête !.. Épouvanté le táo-cheu dit tout ce que Tcháo-koang voulut. Celui-ci le proclama roi de Chòu, le mit à la tête de ses 40 mille hommes, marcha droit sur Tch’êng-tou, et mit le siège devant la ville. Liôu tao-tsi confia ses soldats à son officier P’êi fang-ming. Celui-ci battit plusieurs fois les rebelles, qui finirent p.1103 par lever le siège. 33 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tch’êng-tou souffrant de la famine, Liôu tao-tsi profita de ce répit pour chercher à ravitailler la ville. Chargé de cette opération, P’êi fang-ming fut battu par les rebelles, s’enfuit à grand’peine, et rentra seul à Tch’êng-tou, où la panique était telle, que les habitants ne lui ouvrirent pas la porte, mais le hissèrent au haut du rempart, au moyen d’une corde. P’êi fang-ming pleurait de rage, et refusa toute nourriture. Liôu tao-tsi le consola. — Vous n’êtes pas un vrai brave, à ce que je vois, lui dit-il. Qu’estce qu’un petit échec ? Le succès des rebelles ne durera pas. Ils faibliront avec le temps. Des renforts nous arriveront. Tout finira bien, à condition que vous ne désespériez pas... Cela dit, il lui donna ses derniers soldats et jusqu’à ses gardes du corps, ainsi que tout son argent, pour lever des volontaires... Les rebelles ayant répandu le bruit que P’êi fang-ming avait péri dans la défaite, Liôu tao-tsi le fit promener aux flambeaux dans les rues et sur le rempart, ce qui rassura le peuple et effraya l’ennemi... A quelques jours de là, nouvelle panique dans Tch’êng-tou. Liôu tao-tsi étant tombé malade, le bruit courut qu’il était mort. P’êi fang-ming styla son personnel, qui se répandit par la ville, disant à tous, au nom du gouverneur, que son indisposition était insignifiante, etc. — Puis, Liôu tao-tsi étant vraiment décédé, P’êi fang-ming tint sa mort si secrète, que même sa mère et sa femme l’ignorèrent. Enfin, profitant de la lassitude croissante des assiégeants, il fit une sortie heureuse qui les culbuta. Tcheōu tsie-tcheu étant ensuite arrivé avec deux mille hommes, les rebelles livrèrent bataille. Commandés par P’êi fang-ming et Tcheōu tsie-tcheu, les impériaux les écrasèrent, et prirent Koàng-han, leur principal repaire. P’êi fang-ming acheva d’étouffer la révolte. En 433, le Yûnn-nan et le Séu-tch’oan étaient rentrés dans l’ordre. p.1104 En 450, nouvelle campagne des Wéi contre l’empire. Averti de leurs préparatifs, l’empereur donna à ses gouverneurs les instructions suivantes : — S’ils viennent en petit nombre, cherchez à défendre les places ; s’ils viennent en grand nombre, alors emmenez les populations et rabattez sur Cheòu-yang. Or l’invasion fut si soudaine, que, près de la frontière, ce programme ne put pas être exécuté. Un beau jour T’oûo-pa tao en personne, avec cent mille 34 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. fantassins et cavaliers, enveloppa la bicoque de Huân-p’ao, dont la garnison ne se montait pas à mille hommes. Il donna assaut sur assaut, jour et nuit. Il éleva des tours pour ses archers, plaça des catapultes qui lançaient de grosses pierres, approcha des remparts avec la tortue à crocs qui saisissait les créneaux et les faisait écrouler dans les fossés ; bref il employa toutes les ressources balistiques de son temps. Mais le brave commandant Tch’ênn-hien réparait au fur et à mesure toutes les brèches, au moyen de murailles élevées à l’intérieur. Les Wéi livrèrent enfin un assaut désespéré. Les assiégés. se défendirent de même. Les cadavres s’entassèrent à la hauteur des remparts. Montés sur cet amas de corps, les Wéi abordèrent les créneaux à l’arme blanche. Mais la bravoure de Tch’ênn-hien croissait avec le danger, et ses soldats se battirent un contre cent. La moitié des assiégés périt, mais l’assaut fut repoussé... Le siège durait depuis 42 jours, quand une armée impériale commandée par Tsāng-tcheu et Liôu k’ang-tsou, arriva enfin au secours de la place. Le roi de Wéi détacha contre elle le prince K’i-ti-tchenn, qui fut battu et tué. Alors T’oûo-pa tao leva le siège de Huân-p’ao. L’empereur anoblit Tch’ênn-hien. Chiche ! Quand l’hiver fut venu, les Wéi envahirent l’empire, en cinq colonnes, sur cinq points à la fois. T’oûo-pa tao lui-même envahit le Chān-tong. A cette occasion (450), il examina, sur le mont p.1105 T’ái-chan, la stèle élevée à cette montagne (diplôme, p. 211), par le Premier Empereur des Ts’înn. Il la fit saluer et vénérer par ses gens. Cependant une armée impériale s’étant faufilée de la vallée de la Hán dans celle de la Wéi, menaçait celle de la Láo. Mais la ville de Hiâ, qui commandait les passes, tint bon d’abord, et arrêta les impériaux. Le général Wéi Tchāng-cheu lien-t’i accourut pour soutenir la ville, avec un renfort de vingt mille hommes. Le général impérial Sūe nan-tou lui barra le passage. Comme son infanterie craignait beaucoup la cavalerie des Wéi, Sūe nan-tou se dévoua pour l’entraîner. Ayant ôté son casque, sa cuirasse, et les ornements de son cheval, il se mit à caracoler sur le champ de bataille, avec des yeux terribles et la lance en arrêt, tenant tête, tout seul, à tous les Wéi, lesquels tirèrent sur lui de tous les côtés sans l’atteindre, tandis que lui leur démolit nombre de cavaliers. La journée resta indécise. Le soir, Lòu yuan-pao 35 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. amena des renforts aux Sóng. Le lendemain Lòu fang-p’ing dit à Sūe nantou : — Engagés comme nous sommes, il nous faut aujourd’hui vaincre ou mourir. Si vous n’avancez pas, je vous tue ! Si je n’avance pas, tuez-moi !.. — Tope, dit Sūe nan-tou... Sur ce la bataille s’engagea. Elle fut terrible. Sūe nan-tou voltigeait, frappant d’estoc et de taille, les deux bras ruisselants de sang. Sa lance s’étant brisée, il saisit celle d’un soldat, et chargea derechef, sans prendre haleine. Enfin Tchāng-cheu lien-t’i ayant été tué, les Wéi lâchèrent pied. Trois mille furent tués, beaucoup se noyèrent dans le Fleuve, deux mille capitulèrent. Le lendemain, le général en chef Liòu yuan-king étant arrivé, dit à ces deux mille prisonniers : — Vous qui êtes Chinois, vous avez aidé les Barbares ; n’ayant pas réussi, maintenant vous demandez grâce ; dites, n’est-ce pas là votre cas ?.. — Si nous avons marché avec les Barbares, dirent-ils, ç’a p.1106 été pour éviter la mort, nous et nos familles. Si nous avions refusé, nous aurions été aussitôt massacrés. Demandez à qui vous voudrez, si nous pouvions faire autrement... Malgré ces protestations, les officiers étaient d’avis de les massacrer tous en bloc. — Non, dit Liòu yuan-king ; nous marchons contre le nord, au nom de l’empereur ; il faut qu’un renom de clémence nous précède... et il les renvoya libres. Aussi, l’acclamèrent-ils, avant de le quitter. Liòu yuan-king prit ensuite Hiâ, puis occupa la passe. Les bravi de la vallée de la Wéi, des Huns, des Tibétains, et autre engeance, vinrent lui offrir leurs services. Cependant les Wéi ayant pénétré profondément dans l’empire sur d’autres points, et Liòu yuan-king risquant par suite d’être coupé, l’empereur lui envoya l’ordre de se replier. Il revint à Siāng-yang, dans la vallée de la Hán. 36 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. T’oûo-pa jenn ayant pris Huân-p’ao et Hiáng-tch’eng, l’empereur rappela aussi Liôu k’ang-tsou qui commandait dans ces parages. T’oûo-pa jenn lui donna la chasse, avec 80 mille cavaliers. Liôu k’ang-tsou avait 8 mille hommes. Il les forma en colonne, entre deux files de chars montés par des archers, et chercha à continuer ainsi sa marche, coupant la tête à ceux de ses hommes qui regardaient en arrière, et les pieds à ceux qui essayaient de fuir. Les Wéi l’entourèrent. Un combat atroce s’engagea. Les Sóng tuèrent dix mille Wéi. Ils pataugeaient dans le sang jusqu’à la cheville. Liôu k’ang-tsou reçut dix blessures. Il n’en devint que plus enragé. Les Wéi se partagèrent en trois bandes, qui se relayaient pour combattre, sans laisser aux Sóng un seul instant de répit. Vers le soir, un grand vent s’étant élevé, les Wéi réussirent à mettre le feu aux chars. Dans un choc suprême, Liôu k’ang-tsou eut la gorge traversée par une flèche, et tomba mort de son cheval. Ses braves se débandèrent. La cavalerie Wéi les sabra jusqu’au p.1107 dernier. L’officier Wâng louo-han gardait Wéi-ou avec 300 hommes. Quand les Wéi approchèrent, la garnison demanda au commandant de battre en retraite. — J’ai ordre de tenir cette place, dit-il ; je ne me retirerai pas. Les Wéi prirent, et la place, et le commandant, qu’ils enchaînèrent par le cou, et attachèrent à trois de leurs hommes. Durant la nuit, Wâng louo-han coupa la tête à ses trois gardiens, s’enfuit la chaîne au cou, et arriva sain et sauf à Hū-i... Toûo-pa jenn alla mettre le siège devant Cheóu-yang, défendu par Liôu-chao. Cependant le roi T’oûo-pa tao étant arrivé devant P’êng-tch’eng (a), envoya Lì hiao-pai en parlementaire à la porte du sud, pour remettre au commandant Liôu i-koung une robe de zibeline, avec ces paroles : — Le roi de Wéi n’a pas l’intention d’assiéger cette ville ; il va au midi, boire de l’eau du Fleuve et des Lacs (conquérir l’empire)... Tchāng-tch’ang dit à Liôu i-koung : — Dans ce cas, nous pouvons nous rassurer. T’oûo-pa tao ne nous fera pas de mal. Car un enfant a prophétisé (p. 100) en ces termes : Quand les chevaux des Barbares (des Wéi) auront bu de 37 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. l’eau du Fleuve (Bleu), le Renard Buddhiste (le roi de Wéi) mourra en l’année mao. Au douzième mois de l’an 450, T’oûo-pa tao ayant organisé ses colonnes, l’invasion systématique de l’empire commença sur toute la ligne. Les Wéi détruisaient tout sur leur passage. Tout le monde fuyait à leur approche. Ils arrivèrent si vite sur le Hoâi, que Tsāng-tcheu, envoyé par l’empereur avec des renforts pour P’êng-tch’eng, dut s’arrêter aux environs de Hū-i. T’oûo-pa tao le surprit et le battit. Laissant à l’ennemi armes et bagages, Tsāng-tcheu courut à Hū-i, avec 700 hommes, tout ce qui restait de son armée. Or Hū-i avait un excellent gouverneur, en la personne de Chènn-p’ou. Au début de son gouvernement, il avait réparé les remparts et creusé les fossés p.1108 de sa ville, y avait amassé des grains, des pierres et des flèches (les vivres et munitions d’alors), si bien que la guerre le trouva parfaitement prêt. Il admit Tsāng-tcheu dans sa ville. Celui-ci fut très content de la trouver en si bon état, et se mit au service de Chènn-p’ou pour la défendre... Dans leurs courses rapides, les Wéi n’emportaient pas de provisions. Ils comptaient, pour vivre, sur les ressources du pays envahi. Or le pays, au sud du Hoâi, étant abandonné et ravagé comme l’empereur l’avait ordonné, hommes et bêtes souffrirent bientôt cruellement de la famine. Les Wéi apprirent alors qu’il y avait de grands magasins à Hū-i. Cela les détermina à investir cette place. Ils ne purent pas la prendre. T’oûo-pa tao laissa quelques milliers d’hommes pour la garder, et continua sa course vers le sud. Quand il eut atteint le Fleuve, il démolit toutes les habitations du pays pour en retirer les bois, et fit couper les joncs des marais pour construire des radeaux pour le passage. La capitale Kién-k’ang était dans la terreur. On y leva le peuple en masse, on prit les plus extrêmes précautions pour éviter une surprise. Du haut des tours de la citadelle Chêu-t’eou, l’empereur contempla le camp des Wéi assis sur l’autre rive. Il pâlit et dit à Kiāng-tchan son aide de camp : — J’ai eu tort de provoquer les Wéi (p. 1098), contre l’avis de mes conseillers ; c’est moi qui suis cause des maux du peuple... Puis, avec un soupir : — Ah si T’ân tao-tsi vivait encore ! (p. 1101), les chevaux de ces Barbares ne boiraient pas l’eau du Kiāng. 38 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cependant les préparatifs de traversée ne réussirent pas au gré de T’oûopa tao. Il s’aboucha avec l’empereur, lui offrit des chameaux, des coursiers, la paix, et une alliance par mariage. L’empereur lui envoya aussi de beaux présents, T’oûo-pa tao présenta son petit-fils aux envoyés de l’empereur, et leur dit : — Je suis venu jusqu’ici de très loin, non par amour de la gloire, mais pour me p.1109 procurer de bons officiers (il s’appropriait tous ceux qu’il prenait, comme jadis Fôu-kien, p. 997). Si l’empereur donne sa fille à ce mien petit-fils, je donnerai la mienne à son petit-fils, je me retirerai, et jamais les chevaux des Wéi ne courront plus vers le sud... L’empereur soumit ces propositions aux délibérations de ses conseillers. Ceux-ci opinèrent qu’il fallait accepter, crainte de plus grands malheurs... — Cette concession ne vous servira de rien, dit Kiāng-tchan, car ces Barbares n’ont ni foi ni loi... De fait, aucun mariage ne fut conclu. Le premier jour du premier mois de l’an 451 (mào, voyez la prédiction p. 1107), le roi de Wéi donna un grand festin à ses généraux et officiers, avec promotions, récompenses, feux de joie, etc. On vit, de la rive sud, tout ce remue-ménage. Yìnn-houng dit à l’empereur : — Je connais les mœurs des Barbares. Les Wéi vont lever le camp... De fait, le lendemain, après avoir pillé à fond ce qui restait à piller, les Wéi mirent le feu à leurs baraques, et reprirent le chemin du nord. Quand ils repassèrent à Hū-i, ville célèbre pour son bon vin, le roi de Wéi en fit demander à Tsāng-tcheu. Celui-ci lui envoya une jarre de purin. Furieux, T’oûo-pa tao fit entourer la ville d’un mur de circonvallation, que sa nombreuse armée acheva en une seule nuit. Quand la ville fut ainsi bloquée, il adressa à Tsāng-tcheu la lettre suivante : — Vous ne valez pas que je vous attaque avec mes troupes. Aussi vous fais-je assiéger par des Kirghiz, des Huns, des Tangoutains et 39 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. des Tibétains. Tuez-les tous, si vous pouvez ; vous me rendrez service en diminuant le nombre des brigands dans mes États... Tsāng-tchen répondit : — Il m’importe peu de vivre. Si le Ciel et la Terre sont dépourvus d’intelligence au point de permettre que je tombe entre vos mains, broyez-moi, égorgez-moi, écartelez-moi, à votre bon plaisir ; ma vie est à mon empereur. Cependant vous ne réussirez p.1110 peut- être pas mieux que Fôu-kien (p. 998) n’a réussi jadis en ces parages, n’étant ni plus sage ni plus puissant que lui... T’oûo-pa tao entra dans une telle colère, qu’il fit forger un siège de fer tout hérissé de pointes, pour y asseoir Tsāng-tcheu après qu’il aurait pris Hū-i... Alors Tsāng-tcheu écrivit aux soldats Wéi : « Quiconque coupera la tête du Renard Buddhiste sera fait marquis d’une terre de dix mille familles... Les Wéi approchèrent des remparts avec leur fameuse machine, la tortue à crocs. Les assiégés saisirent les crocs avec des nœuds coulants et tirèrent si bien à eux, que les machines ne purent pas se retirer ; puis durant la nuit, des hommes descendus du haut des remparts dans des tonneaux attachés à des cordes, les détruisirent. Les béliers furent impuissants, les remparts étant construits en matériaux très solides. Enfin les Wéi recoururent à leur grand moyen, l’assaut désespéré, en colonnes successives lancées l’une derrière l’autre, si bien que toute reculade était impossible, et qu’il fallait, ou escalader le rempart, ou périr dans le fossé. Les cadavres s’entassèrent au niveau des créneaux, mais la ville ne fut pas prise. Après 30 jours de siège, une maladie pestilentielle éclata parmi les Wéi. Enfin une flottille impériale remontant le Hoâi avec des renforts, le roi de Wéi brûla ses machines, et battit en retraite (451). Ceux de Hū-i voulurent le poursuivre : — Non, fit le sage gouverneur Chènn-p’ou ; nous sommes trop peu nombreux ; nous avons pu tenir derrière nos murailles, mais nous ne sommes pas de force à livrer bataille en rase campagne... 40 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Dans son rapport au trône, Tsāng-tcheu rapporta tout l’honneur de la défense à Chènn-p’ou, et celui-ci à Tsāng-tcheu. L’empereur fut très édifié de leur conduite à tous les deux... Quand les Wéi, dans leur retraite, défilèrent près de P’êng-tch’en, le gouverneur Liôu i-koung n’imita p.1111 pas la sage prudence de Chènn-p’ou. Il mit son lieutenant T’ân houo-tcheu aux trousses de T’oûo-pa tao. Celui-ci l’enveloppa et le massacra avec tous ses hommes, jusqu’au dernier. @ Culte chez les Sóng... En 435, le préfet Siáo mouo-tcheu présenta à l’empereur la requête suivante : « Voici la quatrième dynastie, depuis que le Buddha (le buddhisme) a été introduit en Chine. Ses statues et ses images, ses temples et ses bonzeries, s’y comptent maintenant par milliers. Les matériaux, bambou, cuivre, étoffes, victuailles pour son culte, ne se calculent plus. Oubliant les Génies du ciel et de la terre, on ne pense plus qu’à cet homme (Buddha). Si on ne met obstacle à ce désordre, il se répandra indéfiniment. Je demande que désormais quiconque voudra couler une statue en cuivre, élever un temple ou bâtir un couvent, devra en solliciter préalablement l’autorisation, par une pétition détaillée et circonstanciée, adressée au gouvernement... L’empereur approuva. An 436. Jadis quand Liôu-u, le fondateur de la dynastie, prit Tch’âng-nan (p. 1059), il y trouva, parmi les bibelots des Ts’înn, une antique sphère céleste, mais à laquelle les sept luminaires (soleil, lune, cinq planètes) manquaient. On sait la place que cette sphère tient dans le gouvernement chinois, depuis la plus haute antiquité (p. 34). L’empereur ordonna à Ts’iên lao-tcheu de fondre (en cuivre) une nouvelle sphère armillaire complète. Elle eut un peu plus de six pieds de diamètre. Une horloge à eau la faisait tourner sur elle-même. Elle reproduisait exactement les phénomènes célestes, la nuit, le jour, le mouvement des astres. 41 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 438, l’empereur distingua et autorisa quatre sortes d’études, savoir : Taoïsme, Histoire, Lettres, Confuciisme. Ce sur quoi Sēu-ma koang observe : « L’Histoire étant une des branches, et les Lettres étant la récréation des Confuciistes, il n’y avait pas lieu de les p.1112 distinguer comme des études spéciales. Quant aux doctrines de Lào-tzeu et de Tchoāng-tzeu, ces spéculations creuses n’ayant rien de scientifique, il n’y avait pas lieu d’en autoriser l’étude. On étudie, pour trouver la voie (la vérité). Or il n’y a pas, en ce monde, deux voies (deux vérités). Il n’y en a qu’une. Alors pourquoi distinguer et autoriser quatre études ? !... L’empereur Wênn était donc un de ces Confuciistes pour la vie présente, qui croyait au Taoïsme pour l’au-delà. Il y en eut beaucoup de cette sorte, et parfois de beaux esprits. Tendance naturelle du cœur humain, auquel le positivisme nu répugne... L’empereur ne fut personnellement, ni buddhiste, ni favorable au buddhisme, qu’il persécuta durement. Le sobriquet de Renard Buddhiste souvent donné à T’oûo-pa tao, est donc assez étonnant. Il visait probablement les princes T’oûo-pa en général. En 442, l’empereur ordonna de réparer le temple élevé à Confucius au lieu de sa sépulture, et l’école attenante à ce temple. Cinq familles furent affectées à l’entretien de la sépulture, du temple et de l’école ; au balayage et à l’arrosage, dit le texte. Depuis que la capitale était établie au sud du Fleuve Bleu, on faisait, sans accompagnement de musique, les sacrifices aux tertres du Ciel et de la Terre ; durant les offrandes aux ancêtres, il y avait des chants, mais pas de danses. En 445, l’empereur ordonna que désormais le sacrifice au tertre du Ciel, serait accompagné du chant des hymnes. @ Culte chez les Wéi. En 438, T’oûo-pa tao fit retourner au siècle tous les moines âgés de moins de cinquante ans, ce qui enraya pour un temps le progrès constant du buddhisme. Le roi de Wéi avait besoin de soldats. En 440, T’oûo-pa tao ayant reçu un grimoire cabalistique du táo-cheu K’eóu k’ien-tcheu (p. 1073), il en fut p.1113 si heureux et si fier, qu’il institua une ère nouvelle, et se nomma le Prince Génie de la Paix Suprême. 42 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 442, K’eóu k’ien-tcheu dit au roi de Wéi : — Puisque vous êtes maintenant Prince Génie, puisque vous avez érigé le tertre du palais céleste et propagez sa loi, vous devez recevoir, devant ce tertre, le diplôme de votre mission, la plus haute qui ait jamais été, afin qu’elle soit manifestée à tous... T’oûo-pa tao se soumit à cette investiture, et depuis lors, à leur intronisation, les rois de Wéi reçurent tous, près du tertre élevé par T’oûo-pa tao, le diplôme qui les créait Prince Génie ; imitation, sous une forme plus concrète, du fameux mandat du Ciel, des empereurs chinois... Puis K’eóu k’ien-tcheu persuada à sa royale dupe, de construire, pour ses rapports avec les Génies célestes, une tour si élevée, que du sommet on n’entendrait plus les bruits de la terre (aboiements des chiens et chant des coqs, dit le texte). Le roi donna des ordres en conséquence. La tour fut entreprise, coûta beaucoup d’argent, et ne fut jamais achevée. Jadis, quand les Wéi (Tongouses Soùo-t’eou, p. 856) habitaient encore aux environs du lac Baïkal, ils avaient aménagé, dans le pays de Ou-lao-heou (Orkhon, 72), une grotte naturelle, pour être le temple où ils offriraient des sacrifices à leurs Ancêtres. La grotte était haute de 70 pieds, et profonde de 90 pas. Depuis que les Wéi avaient pénétré en Chine, ces bons Ancêtres étaient oubliés. En 443, un envoyé venu du pays de Ou-lao-heou, les leur rappela. T’oûo-pa tao députa un officier pour leur offrir un sacrifice. Celui-ci grava sur le mur l’oraison sacrificale, puis revint. Ou-lao-heou est à plus de quatre mille lì de P’îng-tch’eng (11) la capitale des Wéi, dit le texte. En 443, T’oûo-pa tao étant parti en guerre contre les Jeóu-jan, Liôu-hie dit à ses familiers : — S’il ne revient pas, je mettrai T’oûo-pa p’ei p.1114 à sa place. Il demanda aussi à Tchāng song, qui possédait des livres de magie, si les Liôu n’étaient pas appelés à régner, et s’il n’avait pas des chances. Informé de ces agissements, T’oûo-pa tao ordonna une enquête sévère. Liôu-hie et Tchāngsong furent mis à mort, avec toute leur famille. T’oûo-pa p’ei n’était pas tout à fait net, à ce qu’il paraît, car il mourut de chagrin, dit le texte, c’est-à-dire qu’il se suicida, ou fut suicidé... Jadis, dit l’Histoire, le roi ayant bâti une 43 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. terrasse élevée, T’oûo-pa p’ei avait rêvé qu’il était au haut de cette terrasse, regardant de tous les côtés, sans voir personne. Il demanda à Tòng tao-siou de consulter l’achillée sur la signification de ce songe... — Il est faste (il vous promet que vous monterez au pinacle), dit le devin... T’oûo-pa p’ei rit de joie.., Cette histoire ayant été divulguée après la mort du prince, T’oûo-pa tao fit lapider Tòng tao-siou par la populace du marché... « Il ne l’a pas volé, dit Kāo-yunn. Tout devin qui manie l’achillée, ne doit tirer, de ses manipulations, que des conclusions morales, qui portent à la fidélité et à la piété filiale. Consulté par le prince, Tòng tao-siou aurait dû lui citer le sentences suivantes des Mutations : Le pinacle est un lieu dangereux... Le dragon qui fait l’insolent, aura lieu de s’en repentir... et surtout celle-ci, qui résout son cas : Hauteur et isolement, c’est néfaste... Ainsi il aurait détourné le roitelet de mal faire. En manquant à son devoir, il a perdu, et le roitelet et lui-même. Il n’a eu que ce qu’il méritait. La même année 444 un décret de T’oûo-pa tao ordonna à tous ses sujets, depuis les princes du sang jusqu’aux gens du peuple, de livrer à l’autorité tout moine ou magicien privé (nourri clandestinement par eux, dit le texte). Dans le cas de tous ceux qui n’auraient pas obéi avant le 15 de la 2e lune, le maître de maison et toute sa famille, seraient mis à mort p.1115 avec le moine ou le magicien. La même année, décret ordonnant que tous les fils de nobles et officiers, iraient obligatoirement à l’école de la capitale ; que tous les fils d’artisans ou de marchands, apprendraient obligatoirement la profession de leur père, ou de leur frère aîné. Défense d’ouvrir aucune école privée, sous peine de mort, et pour le maître enseignant, et pour le propriétaire de l’immeuble avec toute sa famille. Après leur entrée en Chine, les Wéi avaient adopté l’antique culte des Chinois, sacrifiant, comme ces derniers, au Ciel, à la Terre, aux Ancêtres et aux Chênn. Mais ils avaient conservé en outre le culte de beaucoup de Chênn tongouses. En 444, Ts’oēi-hao demanda au roi de ne conserver, de ceux-là, 44 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. que ceux dont le culte s’harmonisait avec le culte chinois, 57 en tout, et de supprimer tous les autres. Ainsi fut fait. T’oûo-pa tao et Ts’oēi-hao, l’un dupe l’autre allié de K’eóu k’ien-tcheu, étaient très zélés pour le taoïsme. Tous deux étaient très hostiles au buddhisme. Ts’oēi-hao ne manquait aucune occasion de représenter au roi le vide doctrinal de cette secte, et le tort économique qu’elle lui causait. Il demandait son abolition pure et simple. L’événement suivant le servit à souhait... En 446, un jour que T’oûo-pa tao s’était rendu à Tch’âng-nan, il entra dans un temple buddhique. Tandis qu’il y était, les moines traitèrent ses gens, comme c’est l’usage en Chine. Ceux-ci flânant dans le couvent, y découvrirent un dépôt d’armes, et avertirent le roi. — Que font-ils de ces armes ? demanda celui-ci en colère ; ils doivent être d’intelligence avec mes ennemis... On découvrit de plus, dans les dépendances du couvent, une distillerie d’eaude-vie, et un souterrain plein de femmes et de filles... Édifié sur leurs mœurs, T’oûo-pa tao ordonna d’exécuter tous les habitants de ce couvent, sans exception... Ts’oēi-hao battit le fer pendant qu’il p.1116 était chaud. — Je vous le disais bien ! Faites-en autant à tous les moines de votre royaume, ! Détruisez et brûlez leurs temples, leurs livres et leurs images !.. — Soit, dit le roi ; et il fit rédiger un édit ainsi conçu : « Jadis un prince imbécile de la dynastie Heóu-Hán (l’empereur Mîng, p. 689), ajoutant foi à une doctrine fausse et perverse, bouleversa les anciens usages, supprima l’enseignement classique, ruina les rites et abusa du territoire (mainmorte). J’ai résolu d’abolir la fausseté, de rétablir la vérité, et d’éteindre jusqu’aux derniers vestiges de sa funeste erreur. Que les officiers de la police recherchent donc exactement toutes les images buddhiques, tous les livres hindous, et les brûlent tous, sans exception. Que les moines, sans distinction d’âge, soient tous mis à mort. Que désormais quiconque honorera des Chênn exotiques, quiconque 45 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. fera des images humaines en argile ou en cuivre, soit mis à mort avec toute sa famille... Or T’oûo-pa hoang, le prince royal de Wéi, était un fervent buddhiste. Il chercha, mais en vain, à obtenir que l’édit de proscription ne fût pas promulgué. Du moins arriva-t-il à en retarder la promulgation, le temps qu’il fallut pour prévenir les moines du malheur qui allait les frapper. Par suite de ce retard beaucoup de moines sauvèrent leur vie, leurs livres et leurs images, dit le texte mais leurs temples furent détruits, jusqu’au dernier. A propos de cet édit important et instructif, l’Histoire contient les passages suivants : Depuis que le buddhisme s’était introduit en Chine, beaucoup de gens l’avaient reçu avec révérence, et lui avaient demandé leur bonheur ou leur profit. Il n’avait éprouvé aucune contradiction violente. Que T’oûo-pa tao roi de Wéi le supprima de cette manière radicale, cela prouve que c’était un prince ferme, droit, et pas superstitieux. Ceux qui ont écrit sa vie, depuis lors, prétendent que sa mort funeste fut le châtiment de cette p.1117 persécution du buddhisme. Moi je réponds, l’empereur Où des Leang (voyez an 549), dévot buddhiste s’il en fut, n’est-il pas lui aussi mort misérablement ? Le Buddha aurait-il vu clair dans le cas de T’oûo-pa tao, et pas clair dans le cas de Leâng Où-ti ? La vérité est, que le bonheur et le malheur de l’homme, dépendent uniquement de sa bonne ou de sa mauvaise conduite. Le Buddha n’y est pour rien... Pour ce qui est des moines, l’Histoire dit qu’ils furent mis à mort justement et pour cause (et non pas injustement)... Mais, me dira-t-on, était-ce un crime, à ces gens-là, d’observer leur loi, et de conformer leur vie à ce qu’ils croyaient vrai et bien ?.. Je réponds, leur crime, le voici : Vivant en Chine, ils suivaient une loi exotique. Rejetant la croyance commune, ils s’attachaient à une doctrine hétérodoxe. Renonçant au service de leur Souverain (service militaire, impôts), rejetant les devoirs de la piété filiale (entrée en religion), éteignant les relations sociales (célibat), détruisant leur corps (austérités), flânant et mangeant sans travailler (quêtes), ils étaient tous des vers rongeurs du peuple, et allaient parfois jusqu’à la débauche cachée, jusqu’à l’inconduite éhontée, jusqu’à des choses qui ne peuvent pas se dire. Jugez maintenant s’il y eut crime ou non, s’ils périrent innocents ou coupables ? J’accorde qu’ils n’avaient pas l’intention de nuire. Ce n’en étaient 46 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pas moins des malfaiteurs ! Que désormais tous ceux qui seraient tentés d’honorer les moines, se souviennent de cela ! Un autre Lettré roucoule : Hélas, si le prince doit aimer ceux de ses sujets qui sont sages et bons, il doit avoir pitié de ceux qui sont stupides et mal venus. Tout citoyen qui erre dans la doctrine, qui manque aux rites, qui viole la loi, doit d’abord être examiné quant à ses principes et intentions. Si le prince le trouve répréhensible, il faut qu’il le lui intime, par un édit clair et précis. Si le citoyen p.1118 méprise cet édit, alors il est coupable, et doit être mis à mort ; c’est juste et équitable. Que si le prince ne porte préalablement aucune prohibition, et puis, un beau jour, sévisse brutalement (le cas de T’oûo-pa tao), c’est là une iniquité. Quoique ce me soit volupté de penser que T’oûo-pa tao égorgea les moines, cependant, parce qu’il le fit sans avoir d’abord crié gare, sans leur avoir assigné un terme pour revenir à résipiscence, sans leur avoir donné l’avis et le temps de se convertir, je déplore son action. D’ailleurs, le cœur humain penchant invinciblement dans un sens ou dans l’autre, T’oûo-pa tao aurait dû répandre la vérité confuciiste ; il aurait ainsi mis fin à l’erreur buddhiste, sans effusion de sang. Or il ne le fit pas (étant lui-même taoïste). Anticipons, pour voir tourner la roue de la fortune, phénomène international, mais plus spécialement chinois, l’inconséquence et l’incohérent semblant être, dans ce pays, le principe fondamental du gouvernement. En 452, T’oûo-pa tao étant mort et son cadavre à peine refroidi, son successeur T’oûo-pa tsounn annula ses loi de proscription. Il le fit, dit l’Histoire à la demande des ministres et des officiers. Après la destruction des pagodes, le peuple avait continué à pratiquer le buddhisme en particulier. T’oûo-pa tsounn commença par permettre l’érection d’un temple par district. Il permit à ses sujets de se faire moines, à raison de 40 à 50 par district. Ces restrictions ne furent jamais observées. L’Histoire confesse ingénument que tout ce que T’oûo-pa tao avait mis par terre, se releva du coup. T’oûo-pa tsounn fut si fervent buddhiste, qu’il portait la tête rasée, à la manière des moines, par dévotion. @ 47 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Astronomie... En 448, révision du calendrier, dans le royaume de Wéi. Heûe tch’eng-t’ien fit savoir au roi ce qui suit : « Au temps de Yâo, le solstice p.1119 d’hiver était au 10e degré de la constellation Sū-niu ; maintenant, en réalité, il est au 17e degré de la constellation Teòu, tandis qu’on le met vers le 12e degré de cet astérisme. Les deux solstices aberrent de près de 4 jours. Je demande qu’on les mette au point au moyen du gnomon, puis qu’on corrige toutes les stations solaires. L’erreur est de trois jours et dix (vingt) heures... De plus, l’erreur causée par l’addition des restes lunaires (fractions de 12 heures 44 minutes) négligés, est cause que les éclipses de soleil et de lune ne tombent plus le 1 et le 15 du mois. J’ai redressé le calendrier lunaire, d’après ces enseignements tirés des éclipses... Le Grand Astrologue approuva toutes les conclusions de Heûe tch’eng-t’ien. Il rejeta seulement l’ordre nouveau de succession des lunes grandes et petites, proposé par Heûe tch’eng-t’ien, pour montrer que lui aussi était capable... Voyez Chine à travers les âges, page 161. Le calendrier réformé de Heûe tch’eng-t’ien, fut adopté par décret royal. On pense que cet astronome avait appris ce qu’il savait des Indiens. @ Mort de T’oûo-pa tao... Un certain Tsoūng-nai, officier du roi de Wéi, était odieux à Kiôu-ni tao-tch’eng favori du prince royal Hoàng (p. 1116). Celui-ci l’ayant desservi auprès du prince, pour se venger Tsoūng-nai le calomnia auprès du roi. En 451, T’oûo-pa tao fit mettre à mort le favori de son fils, et plusieurs autres de ses officiers. Le prince Hoàng, ayant perdu la face, mourut de chagrin, ou autrement. Ensuite T’oûo-pa tao découvrit la calomnie, et regretta son fils. Redoutant sa vengeance, Tsoūng-nai l’assassina, en 452. Les ministres voulurent lui donner pour successeur son fils T’oûo-pa han. Mais Tsoūng-nai qui s’était déjà secrètement entendu avec le prince T’oûo-pa u, supposa un ordre de la reine douairière, appela les ministres au palais, les fit décapiter un à un p.1120 par les eunuques au fur et à mesure de leur arrivée, tua T’oûo-pa han et mit son frère T’oûo-pa u sur le trône. Celui-ci nomma Tsoūng-nai Maréchal de Wéi ; échange de bons procédés. 48 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Dès que l’empereur eut appris la fin tragique de T’oûo-pa tao, il envahit le royaume de Wéi. Son général Siáo seu-hoa mit le siège devant le fort de Kāonao. Les assiégés creusèrent un tunnel, et sortirent un beau jour de terre, au milieu du camp des assiégeants, le brûlèrent avec tout le parc de siège, et firent un grand carnage. Siào seu-hoa dut retourner piteusement d’où il était venu. Cependant, en moins d’un mois, les largesses de T’oûo-pa u eurent vidé le trésor de Wéi ; il comptait se faire pardonner par là son intrusion, et s’attacher des créatures. Il était aussi grand buveur, grand chasseur, et extrêmement paresseux. Cumulant les fonctions de Maréchal et de Chancelier, Tsoūng-nai finit par régner sous son nom. A la longue, cependant, T’oûo-pa u se lassa de cette espèce de servage, et projeta de se débarrasser de son maître. Tsoūng-nai eut vent de ses projets, et ne fut pas long à prendre sa détermination. La nuit du premier jour de la 10e lune, T’oûo-pa u étant allé offrir un sacrifice au temple de l’est Tsoūng-nai le fit assassiner par l’eunuque Kià-tcheou. Sans lui donner le temps de mettre une nouvelle créature sur le trône, ou de s’y asseoir soi-même ce qui était probablement son intention, l’officier des gardes Liôu-ni, aidé de quelques amis, mit sur le trône le prince T’oûo-pa tsounn. Puis il courut au temple de l’est, et cria à la foule encore réunie : — C’est Tsoūng-nai qui a fait assassiner le roi T’oûo-pa u. Son neveu T’oûo-pa tsounn est monté sur le trône !.. Aussitôt le peuple acclama T’oûo-pa tsounn... Liôu-ni saisit Tsoūng-nai, Kiàtcheou et leurs complices, épuisa sur eux toutes les tortures, les mit à mort et égorgea leurs familles. p.1121 @ Mort de l’empereur Wênn... Jadis, en 426, l’impératrice Yuân ayant donné le jour au prince Cháo, examina elle-même les bosses du nouveau-né. Épouvantée de ce qu’elle découvrit, elle fit dire à l’empereur : — L’enfant qui vous est né, a les bosses de tous les crimes ; il ruinera son pays et sa famille ; il ne faut pas qu’il vive ; je vais le faire mettre à mort... 49 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur courut à la fenêtre de l’impératrice (un mari n’entre pas dans la chambre de sa femme accouchée, rites), et défendit de tuer l’enfant. Il sauva ainsi la vie à son futur meurtrier. Plus tard, la dame P’ān ayant donné le jour au prince Tsoúnn, l’impératrice en mourut de dépit. Par suite, Cháo voua une haine mortelle à Tsoúnn et à sa mère. Mœurs de harem... Cependant, à force de bassesses, Tsoúnn finit par se mettre assez bien avec son frère... Or le magicien Yên tao-u se targuait de commander aux koèi et autres êtres transcendants. Il était d’intelligence avec Wâng ying-ou (Wâng la Perruche), soubrette d’une princesse du sang. Il corrompit, par son entremise, les deux princes Cháo et Tsoúnn. La bande fit une image en jade de l’empereur, pratiqua sur cette image les cérémonies ordinaires de l’envoûtement (p. 469), et la fit enterrer dans le palais, par Tch’ênn t’ien-u et Tch’ênn k’ing-kouo, le premier domestique de la princesse, le second eunuque du palais. Tch’ênn t’ien-u ayant ensuite abusé de la Perruche, celle-ci le fit supprimer par le prince Cháo. Alors Tch’ênn k’ing-kouo se dit : On doit l’avoir supprimé, parce qu’il savait le fait de l’envoûtement ; mon tour va donc venir... et, pour sauver sa vie, il révéla tout à l’empereur. Fou de peur et de colère, celui-ci fit arrêter la Perruche. On découvrit l’image de jade. On trouva aussi une lettre du prince Tsoúnn au prince Cháo, ainsi conçue : « Si cet homme (l’empereur leur père) continue à p.1122 nous gêner (il leur avait fait des reproches sur leur conduite), il nous faudra abréger ses jours et faire nos affaires. L’empereur ordonna une enquête sérieuse. Cependant le magicien Yên tao-u parvint à s’échapper. L’empereur ne fit pas non plus emprisonner ses deux fils, quoique leur culpabilité fût démontrée. Enfin il se résolut à dégrader Cháo, et à faire mourir Tsoúnn, mais voulut nommer un nouveau prince royal, avant d’exécuter cet arrêt. Il tint à ce sujet d’interminables séances nocturnes avec Sû tchan-tcheu. Avertis de ce qui se préparait, par la dame P’ān mère de T’soúnn, ses deux fils furent plus prompts à se décider que lui... La dynastie Sóng étant de date assez récente, et encore mal affermie, il y avait au palais une caserne de dix mille cuirassiers. Le prince Cháo était très populaire parmi ces gens, qu’il avait 50 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. gagnés en leur payant à manger et à boire, allant jusqu’à leur verser du vin de sa propre main. Décidé à pousser les choses à l’extrême, il appela, durant la nuit, leurs officiers Siáo pinn Yuân-chou et Yīnn-tchoung-sou, pleura devant eux et leur dit : — Trompé par des calomniateurs, l’empereur veut me dégrader. Étant innocent, je ne puis me résoudre à subir cet affront. Au point du jour, je ferai la grande chose (j’assassinerai mon père, p. 125). Je compte sur vous pour m’aider... et se levant, les salua... Le premier moment de stupeur fut tel, que personne ne lui répondit. Enfin Siáo-pinn et Yuân-chou ayant repris haleine, dirent : — On n’a jamais vu chose pareille ; veuillez y bien penser !.. Cháo pâlit de colère... Ce que voyant, Siáo-pinn dit : — J’obéirai... — Es-tu sûr, lui demanda Yuân-chou, que ce garçon parle sérieusement ? Ne sais-tu pas que, depuis son bas âge, il est toqué ? — Alors tu crois que je manquerai mon coup ? demanda Cháo furieux. — Vous ne le manquerez pas, dit Yuân chou ; mais quand vous l’aurez fait, p.1123 le Ciel et la Terre vous réprouveront !.. Les deux autres le poussèrent dehors. Il retourna dans sa chambre, y marcha à grands pas jusqu’à la quatrième veille (lutte intérieure), puis se coucha. A l’aube, cuirassé par-dessus sa robe d’écarlate, avec Siáo-pinn sur son char, Cháo se présenta aux portes encore fermées du palais, et fit appeler Yuânchou. Celui-ci refusa de se lever. Tiré de son lit, il fut amené devant Cháo, qui lui ordonna de monter aussi sur son char. Sur son refus, Cháo le fit décapiter sur place. Puis, exhibant un faux ordre impérial, il pénétra dans le palais avec sa troupe. Tchāng tch’ao-tcheu courut aussitôt à l’appartement de l’empereur, lequel, encore sur pied, discutait à son ordinaire avec Sû tchan-tcheu sur le choix de son successeur. Au moment où les conjurés se jetèrent sur lui, l’empereur essaya de parer avec la petite table placée, à la mode chinoise, 51 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. entre lui et son interlocuteur. Le coup de sabre de Tchāng tch’ao-tcheu, glissant sur le rebord de la table, lui trancha les cinq doigts d’une main. La table étant tombée, un second coup le renversa mort. Sû tchan-tcheu qui avait à peine eu le temps de se lever, tant cette tragédie avait été rapide, fut abattu comme son maître... Cependant les gardes qui n’étaient pas dans le secret, avaient pris les armes au bruit. Sans prendre le temps d’endosser sa cuirasse, l’officier Poùo t’ien-u saisit son arc, tira sur le prince Cháo, et le manqua. Il fut aussitôt dépêché, avec quelques autres officiers fidèles. Puis Cháo, esprit pratique, fit égorger la dame P’ān, mère de Tsoúnn, qu’il haïssait comme nous avons dit, ainsi que les favoris et favorites de l’empereur défunt, qui lui étaient contraires. Le prince Tsoúnn n’était pas parmi les envahisseurs. Cháo ne l’avait prévenu de rien. Quand il entendit, de son hôtel, les cris et le tumulte, il ne sut d’abord que penser. Puis un messager de Cháo l’ayant appelé, il s’arma et alla le p.1124 rejoindre... — Votre mère a péri par accident dans la bagarre, lui dit Cháo... — Quel bonheur pour vous, répliqua Tsoúnn... Cependant, supposant un ordre du défunt empereur, Cháo avait fait arrêter Liôu i-koung et Heûe Chang-tcheu, les principaux ministres. Il convoqua en suite la foule des petits officiers. Dès qu’ils furent quelques dizaines, sans attendre les autres, Cháo s’assit sur le trône et dicta l’édit suivant : « Sû tchan tcheu ayant résolu d’assassiner l’empereur mon père, je suis accouru en tout hâte, avec mes soldats, pour prévenir le forfait. Hélas, quand je suis arrivé c’en était déjà fait. Maintenant, le meurtrier étant mort, je proclame un amnistie, et l’ère nouvelle du Grand Commencement... Puis, descendant du trône, il se retira et feignit une maladie, pour ne pas assister aux funérailles de son père. Il se fit garder, jour et nuit, par des hommes en armes. Cependant l’usurpateur parricide avait grand’peur de son frère Liôu-tsunn lequel était en province, avec sa mère : Il écrivit secrètement, de sa propre main, au général Chènn k’ing-tche un ordre de l’assassiner. Quand celui-ci demanda une entrevue à Liôu-tsunn le prince se doutant de quelque chose de néfaste, refusa de le recevoir. Chènn k’ing-tcheu 52 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pénétra de force dans son appartement, et lui lut la lettre de Liôu-chao. Liôutsunn demanda, en pleurant, le temps de faire ses adieux à sa mère. — Pas la peine ! dit Chènn k’ing-tcheu ; j’ai fait ma commission ; parlons maintenant d’autre chose. J’ai été comblé de biens par votre père. Croyez-vous que je prenne mon parti de ce qui vient d’arriver ? Liôu-tsunn se leva, le salua et dit : — Je remets entre vos mains ma famille et l’État... Aussitôt Chènn k’ing-tcheu donna ordre de mobiliser les troupes du district... — Pas si vite, dit Yên-tsounn, jeune secrétaire de Liôu-tsunn ; entendez-vous d’abord avec d’autres gouverneurs, pour que la levée soit p.1125 générale... — Blanc bec ! cria Chènn k’ing-tcheu avec une voix terrible, occupe-toi de barbouiller du papier ! Le délai est-il possible, dans un cas pareil ? Veux-tu que je te coupe la tête, pour apprendre aux ergoteurs ?.. Yên-tsounn répondit à cette prosopopée, par sa plus belle révérence... En moins d’un mois, une armée de Soldats Transcendants (Vengeurs du droit) fut sur pied. Liôu-tsunn les adjura, nomma Chènn k’ing-tcheu Grand Général, et lui adjoignit Liôu yuan-king, Tsoūng-k’iao, Tchōu siou-tcheu, tous officiers célèbres. Yên-tsounn fut chargé de la politique... Dès qu’ils apprirent le fait de l’insurrection, les trois gouverneurs Liôu i-suan Tsāng-tcheu et Lòu-choang, rompirent avec Liôu-chao, et amenèrent leurs soldats à Liôu-tsunn. Quand celui-ci fut arrivé à Sûnn-yang (c), il lança un manifeste contre le parricide. L’empire tout entier se souleva à cet appel. Or Liôu-chao, se croyant bon général, et craignant d’être assassiné, avait écarté tous les militaires et s’était entouré de lettrés, en disant : — S’il se produit des troubles, je les réprimerai moi-même... Quand il apprit que les troupes de quatre gouvernements marchaient contre lui, très effrayé, il se mit sur la défensive. Au quatrième mois, les colonnes des insurgés convergèrent sur la capitale. N’osant se lier à aucun des anciens 53 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. officiers de son père, Liôu-chao avait confié ses troupes à des hommes nouveaux, Lòu-siou, Wâng louo-han et autres. Son complice Siáo-pinn dirigeait les opérations. On conseilla à Liôu-chao de défendre la forteresse Chêu-t’eou. — Si je l’essayais, dit-il, tout serait perdu ; la seule chance que j’aie, est une victoire en rase campagne. Quand le commandant P’âng siou-tcheu apprit cela, il s’enfuit de Chêu-t’eou et passa aux insurgés. Son exemple jeta le désarroi parmi les partisans de Liôu-chao. Wâng seng-ta préfet de Suān-tch’eng passa p.1126 également aux insurgés... Cependant Liôu-tsunn était tombé gravement malade à Sûnnyang. Cet incident pouvait devenir fatal à sa cause, en provoquant une panique, chose si terrible en Chine. Yên-tsounn séquestra le malade, le soigna lui-même, confectionna en son nom tous les décrets et ordres nécessaires, si bien que l’armée des Vengeurs ignora absolument la maladie de son chef... La colonne de Liôu yuan-king arriva la première devant Kién-k’ang. Siáo-pinn s’avança à sa rencontre, avec dix mille hommes d’élite. Monté sur une des portes de la capitale, Liôu-chao contemplait la bataille... Liôu yuan-king donna à ses officiers l’ordre du jour suivant : « Rien n’étant fatal, dans une bataille, comme un signal mal répété, comme un cri poussé à contretemps, bâillonnez vos hommes, ne donnez aucun signal, suivez-moi tous, moi et mon tambour !.. Libéralement payés, les soldats de Liôu-chao se battirent d’abord très bien. Mais leur premier assaut ayant été repoussé, leur commandant Lòu-siou donna le signal de faire halte. Cet ordre inattendu répandit une certain inquiétude parmi les impériaux. Liôu yuan-king profita de ce moment critique, pour les charger avec furie. Les impériaux se débandèrent, et Lòusiou s’enfuit. Ce que voyant, Liôu-chao descendit de sa porte, se mit à la tête de ses réserves, et marcha à l’ennemi. Il fut enfoncé, en un instant, mais parvint à rentrer dans la ville et à s’y maintenir. Liôu-tsunn ayant reçu nouvelle de cette victoire, prit aussitôt le titre d’empereur à Sīnn-t’ing, donna un titre posthume à son père, le titre de douairière à sa mère, et celui d’impératrice à la dame Wâng ; puis il donna 54 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. des titres et des récompenses à tous les auteurs et acteurs de l’insurrection. Des renforts leur étant arrivés, les insurgés marchèrent en nombre contre la capitale, battirent Wâng louo-hang qui capitula, et entourèrent la p.1127 ville. Alors la défection devint générale ; ce fut à qui abandonnerait Liôu-chao le plus vite ; ministres, généraux, officiers, se faisaient descendre du haut des remparts, pour passer aux assiégeants. Siáo-pinn capitula avec ses troupes. Cet acte ne lui sauva pas la vie. Il fut décapité, à cause du rôle qu’il avait joué dans le meurtre impérial. La ville ayant été prise, l’exécuteur du meurtre, Tchāng tch’ao-tcheu, fut tué. Les officiers l’éventrèrent, lui arrachèrent le cœur, hachèrent son cadavre, et le mangèrent intégralement, cru et sans sauce... Liôu-chao se jeta dans un puits. Il en fut retiré vivant, et présenté au général Tsāng-tcheu. Celui-ci pleura, à sa vue. — Pourquoi pleurer sur celui que le Ciel refuse de couvrir, que la Terre refuse de porter (p. 1123), dit le parricide. Tsāng-tcheu ordonna de le lier sur un cheval, et de le transporter au camp. Comme on ne trouvait pas le sceau impérial : — Il est aux mains de Yên tao-u (p. 1122), dit Liôu-chao. On prit le magicien, qui livra le sceau. Ensuite, les arrêts ayant été scellés, les exécutions légales commencèrent. Liôu-chao fut décapité, avec ses quatre fils, devant la tente du général en chef. Son frère Liôu-tsounn qui avait fui, fut ramené et décapité de même, avec ses trois fils. Leurs neuf têtes furent suspendues, et leurs cadavres exposés nus sur le marché, pour y être outragés par la populace. L’hôtel de Liôu-chao fut converti en un dépôt public d’immondices. Le magicien Yên tao-u et la soubrette Wâng, furent fouettés dans les rues, décapités, brûlés, enfin leurs cendres furent jetées dans le Fleuve. Tous les autres acteurs et fauteurs du parricide, furent pareillement mis à mort. On regrette de trouver, parmi leurs noms, celui du brave Chènnp’ou (p. 1107). L’empereur Wênn, dont l’histoire se termine par cette page lugubre, avait occupé le trône durant 30 ans. Il p.1128 55 mourut à l’âge de 47 ans. Liôu-tsunn Textes historiques. II.a : de 420 à 906. était son troisième fils. Après la mort tragique de ses deux frères, il devint l’empereur Hiáo-Où, à l’âge de 24 ans. @ 56 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Hiáo-Où, 454 à 464. @ Nous avons vu quel rôle les gouverneurs Tsāng-tcheu et Liôu i-suan jouèrent dans son exaltation. Se prévalant des services rendus, Tsāng-tcheu médita de s’affranchir du joug impérial. L’empereur ayant abusé des filles de Liôu i-suan, Tsāng-tcheu souffla le ressentiment du père outragé, et le gagna à son projet. A son tour Liôu i-suan embaucha ses amis les gouverneurs Lòuchoang et Sû i-pao. Tous devaient faire leurs préparatifs, pour lever l’étendard de la révolte en automne. Or Lòu-choang était un ivrogne : Un jour, pris de vin, il laissa échapper le secret de la conspiration. Revenu à lui, pour éviter les suites, il se révolta aussitôt. Bon gré mal gré, Sû i-pao puis Liôu i-suan et Tsāng-tcheu, durent en faire autant. Ils lancèrent un manifeste, dans lequel ils annonçaient à l’empire, qu’ils s’étaient levés pour châtier les mauvais conseillers de l’empereur (cf. p. 361). Heureusement qu’ils n’eurent pas le temps d’organiser et d’exercer leurs troupes. Sūe nan-tou battit Tsāngtcheu à plate couture. Les bandes de Liôu i-suan se dispersèrent sans combattre. Tué dans sa fuite, Tsāng-tcheu fut décapité post mortem ; sa famille fut livrée à la populace. Liôu i-suan fut décapité à Kiāng-ling, avec ses seize fils. Ces événements se passèrent en 454. En 455, Liôu-tan, un autre prince du sang, se révolta à Koàng-ling. Furieux, l’empereur commença par faire massacrer tous ses parents, amis et connaissances, plusieurs milliers de personnes, dit le texte. Puis Chênn k’ingtcheu conduisit une armée contre le prince, et assiégea Koàng-ling. Liôu-tan voulut lui passer, du haut du rempart, un mémoire au trône, contenant ses doléances. — J’ai été envoyé ici, dit Chènn k’ing-tcheu, pour prendre un rebelle, et non pour transmettre ses papiers. Si tu veux, je te ferai transporter toi-même à la capitale, sous bonne garde ; c’est tout ce que je ferai pour toi... Jadis l’officier Heúe-pi s’était fortement opposé à la rébellion du prince. Pour le faire taire, celui-ci avait été jusqu’à le menacer de son poignard. 57 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Quand la ville fut assiégée et que les défections eurent commencé, quelqu’un conseilla à Heúe-pi de déserter comme les autres, pour sauver sa vie. — Non, dit-il. Mon prince est un rebelle, je ne puis donc pas défendre sa cause. Comme il m’a fait du bien, je ne puis pas le trahir. Je dois donc mourir. Et il s’empoisonna... Heûe k’ang-tcheu tenta d’ouvrir une porte aux impériaux. N’ayant pas réussi, il déserta. Liôu-tan fit élever un pilori sur le rempart à la vue des impériaux, y attacha nue la mère de Heûe k’ang-tcheu, et la laissa mourir de faim. Elle agonisa durant plusieurs jours, en appelant son fils... Enfin Chènn k’ing-tcheu prit la ville d’assaut. Liôu-tan fut décapité. Sa mère et ses femmes durent se suicider... A cette nouvelle, l’empereur passa une revue triomphale, et se fit acclamer. Ts’ái hing-tsoung qui était tout près de lui, ne cria pas. — Pourquoi ne me félicites-tu pas de ma victoire ? lui demanda l’empereur mécontent... — Parce que vous avez dû faire mourir votre parent ; or, aux jours de deuil, on pleure, on ne félicite pas (Rites)... L’empereur dut empocher la remarque. Il ordonna à Chènn k’ing-tcheu de massacrer tous les habitants de Koàng-ling, sans exception. Chènn k’ingtcheu se permit d’épargner les garçons qui avaient moins de cinq pieds de haut, et toutes les filles qu’il livra à ses soldats. Il ne massacra en tout que trois mille personnes. @ Personnages... L’Histoire consacre la note suivante à Yên yen-tcheu, le père p.1130 du lettré Yên-tsounn, chancelier de l’empereur Hiáo-Où : Jamais il n’accepta le moindre objet en présent. Vêtu de toile, habitant dans une masure, il vécut dans la fortune aussi déguenillé qu’il l’avait été dans la misère. Il ne voyageait que dans une charrette traînée par un bœuf maigre, et faisait ranger cet équipage, pour faire place à tous les véhicules qu’il rencontrait (ce qui est, en Chine, le dernier degré de l’humilité, pratiqué par très peu de cochers). Il n’était pas tendre pour son fils Tsoúnn. Quand celui-ci fut devenu l’objet des faveurs impériales, le père lui dit, par manière de 58 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. félicitation : — Moi qui n’ai jamais pu sentir les aristocrates, fallait-il que je t’eusse sous mon toit ?.. Quand Tsoúnn se fut bâti une maison : — Bien, dit le terrible père mais tâche qu’on ne se la montre du doigt, un jour, en riant de ta ruine… Un jour le père étant allé trouver son fils de grand matin, le trouva encore couché, avec des quémandeurs faisaient antichambre. Pour le coup il se fâcha rouge. — Toi qui es né sur un fumier, lui dit-il, vas-tu, dans ton orgueil, monter au-dessus des nuages ? Crois bien que cela te perdra !.. Quand le père fut mort, le fils si bien formé quitta sa charge et prit le deuil près de sa tombe, comme Confucius l’exige. L’empereur refusa de se priver de ses services. Yên-tsounn refusa, au nom des Rites, de remplir ses fonctions. L’ empereur envoya un député, lequel empoigna Yên-tsounn près de la tombe de son père, l’emballa de ses propres mains dans un char, le voitura à son tribunal, le déballa et l’assit sur son siège, après l’avoir revêtu de force du costume de sa charge, couvert d’un sarreau de toile de chanvre (deuil) envoyé par l’empereur. Admirables, les casuistes chinois ! Ils se tirent de toutes les difficultés. @ Culte.. En 458, le moine buddhiste T’ân-piao, grand magicien, se crut p.1131 appelé à faire une révolution. Il complota avec l’officier Miâo-yunn, pour renverser l’empereur, et mettre sur le trône un certain Kāo-chee. La chose ayant transpiré, les conspirateurs furent exécutés. Puis l’empereur publia contre les moines, un édit très sévère, ordonnant de les cribler tous avec la plus extrême rigueur, et de mettre à mort ou de séculariser tous ceux qui ne vivaient pas strictement selon leur règle. L’accès du harem impérial fut interdit à toute nonne. En 462, les Cérémoniaires se rappelèrent que jadis, sous l’empereur Tch’êng des Tsínn, Ù-ping le frère du chancelier Ù-leang (p. 931), avait 59 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. demandé qu’on imposât aux moines de se prosterner devant l’empereur, comme tout le monde. Ils refusaient obstinément cette forme d’hommage. Sa demande fut mise ad acta. Irrités contre les moines, les Cérémoniaires l’exhumèrent en 462. Ils présentèrent au trône la note suivante : « Le Buddhisme détruit la doctrine des livres et pervertit les mœurs. Ses adeptes qui se prosternent devant les quatre catégories de Vénérables (bikchous moines mendiants, bikchounis nonnes mendiantes, upasakas et upasikas membres du tiers ordre, hommes et femmes), saluent à peine leurs parents. Ils se mettent le front dans la poussière devant un vieux moine, et se tiennent droits et raides devant l’empereur. Après en avoir conféré, nous demandons qu’on impose aux moines le cérémonial de la cour, quand ils y sont reçus... L’empereur sanctionna cet édit (lequel fut rapporté peu d’années après)... Nous verrons, en son temps (an 631), un édit impérial ordonner aux enfants buddhistes de se prosterner devant leurs parents. Les hommes à qui il faut enjoindre ce devoir par un édit, sont-ils des hommes ? se demande le commentateur... Nous verrons aussi, en son temps (an 713), les Mahométans refuser de se prosterner devant les empereurs de Chine, au péril de leur vie, la prosternation étant réservée à Allah. S’il était hostile au Buddhisme, l’empereur n’était pas pour cela un Confuciiste éclairé, car, en cette même année 462, il restaura le culte des Cinq Ti, si souvent flétri par les Lettrés (pp. 352, 864, etc.). Aussi les commentateurs ricanent. @ Mœurs... L’empereur chassait, flânait, courait la prétantaine. Sorti de grand matin, il ne rentrait souvent qu’à la nuit close, et se faisait alors ouvrir une porte de la capitale. Un jour Síe-tchoang p.1132 étant de garde, refusa de le laisser rentrer, autrement que sur un ordre écrit parfaitement en règle. Le lendemain l’empereur lui dit : — Vous posez pour imiter Tchéu-yunn (p. 670) paraît-il !... 60 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Quand l’empereur sort de la capitale, dit Síe-tchoang, soit pour sacrifier, soit pour chasser, il doit observer les usages établis. Vous sortez avant le jour, et rentrez durant la nuit. Je crains qu’un jour de mauvaises gens ne vous fassent un mauvais parti. Voilà pourquoi j’ai demandé un ordre écrit ; je tenais à couvrir ma responsabilité (p. 387, 558). Un autre jour, le lettré Kóu-fa présenta à l’empereur le factum suivant : « Quand la source est pure, le ruisseau est limpide ; quand l’âme est morigénée, le corps est en sûreté. Prenez-y garde ! La vie est comme le vent, comme l’herbe !.. Ces jolies phrases ne plurent pas à l’empereur. Il jeta le placet à terre, avec colère et mépris. L’empereur allait souvent, avec ses officiers, visiter la tombe de feu sa favorite la dame Yīnn (chose très indécente). Un jour, devant cette tombe, il dit à Liôu tei-yuan : — Si vous la pleurez comme il faut, je vous récompenserai libéralement (chose extrêmement indécente). Aussitôt le courtisan fit des bonds et poussa des hurlements absolument extraordinaires, taudis que les larmes ruisselaient de ses yeux. Ravi de joie, l’empereur le nomma illico gouverneur d’une province. L’empereur était intelligent, lettré, brave, bon cavalier et bon archer, mais perdu de vices. Depuis que les Tsínn avaient transporté la capitale à Kiénk’ang (en 317), les temps étant mauvais, on n’avait jamais élevé dans cette ville aucun édifice remarquable. L’empereur Hiáo-Où épuisa le trésor, pour se faire bâtir un somptueux palais. A cette occasion, on démolit l’appartement qu’avait occupé jadis le fondateur de la dynastie, et qui avait été conservé jusque-là dans son état primitif. Avant démolition, l’empereur le visita avec p.1133 ses officiers. La pauvre lanterne qui avait éclairé les veilles de Liôu-u, pendait encore, par une ficelle, à une fiche enfoncée dans le mur en terre battue à la tête du lit. A ce spectacle, Yuân-k’ai exalta la simplicité de Liôu-u. — Après tout, dit l’empereur avec flegme, pour ce parvenu-là c’était encore trop bon. 61 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Avec l’âge, l’empereur ajouta, à ses autres vices, ceux de l’avarice et de l’ivrognerie. Il ne se couchait plus, mais s’accotait sur la table, quand l’ivresse et le sommeil le terrassaient. Chose étonnante, quand on le tirait de cet état pour lui parler d’affaires, aussitôt qu’il avait levé la tête, il retrouvait toute sa lucidité. Il était craint, et partant bien servi. Un jour, en 464, on le trouva mort, dans la position susdite. Il était âgé de 35 ans, et avait occupé le trône durant 11 années. Un testament vrai ou supposé remettait la régence à Liôu i-koung et Liôu yuan-king. En cas de guerre, tout pouvoir devait être donné à Chènn k’ing-tcheu. Le prince impérial Liôu tzeu-ie, âgé de 16 ans, fut mis sur le trône. Il reçut les insignes du pouvoir avec tant d’indifférence et de nonchalance, que le Cérémoniaire Ts’âi-hing dit de lui, après la séance : — Ce garçon perdra sa famille et l’empire. @ Remettons au point les affaires des Wéi. Il paraît que, dans ce pays, officiers et peuple buvaient beaucoup ; puis, quand ils étaient ivres, ils se disputaient entre eux et critiquaient le gouvernement. Le roi T’oûo-pa tsounn n’y alla pas de main morte. En 453, il porta peine de mort, pour quiconque aurait fabriqué, vendu, bu, une liqueur fermentée. On n’est pas plus pratique !.. La loi fut abrogée en 465. Les bonnes choses ne durent pas ! Il paraît que les fonctionnaires et officiers de Wéi, recevaient aussi volontiers des présents, ou s’en faisaient aux dépens des contribuables, vendaient la justice, etc. T’oûo-pa tsounn les fit surveiller par des enquêteurs secrets, et sévit contre les p.1134 délinquants avec la plus extrême rigueur. Il ajouta au Code 79 articles nouveaux. En 454, les Wéi prirent Khami (i). En 458, expédition contre les Jeóu-jan. Surpris par une pluie mêlée de neige, au début de l’expédition, le roi allait la remettre à un autre temps. — Ne faites pas dire, lui dit Ù-kuan, que, ayant mobilisé une armée, vous soyez revenu sur vos pas ! Les Jeóu-jan penseraient qu’une révolution intérieure vous a contraint de retourner en 62 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. arrière. Ils nous envahiraient, sur vos talons. L’armée souffre du froid, c’est vrai, mais il faut avancer !.. Le roi avança, franchit le désert, reçut la soumission de quelques hordes insignifiantes. Le khan Tch’óu-louo s’était retiré, avec son monde, dans son repaire de Kobdo (71). Le roi de Wéi éleva une stèle commémorative de cette promenade militaire, puis revint sur ses pas. En 460, Chêu-yinn roi des Tongouses T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, ami et allié des Wéi, se fit aussi l’ami et l’allié de l’empire ; panier à deux anses. Cette manière d’être l’allié de tout le monde, déplut aux Wéi. T’oûo-pa sinntch’eng alla donner une leçon aux T’ou-kou-hounn. La même année, traversant la passe, les Jeóu-jan prirent Tourfan (t), sur un roitelet Hun de la horde Tsōu-k’iu que nous connaissons (p. 1086), mirent fin à cette dynastie, et firent un roi de leur façon, nommé K’ān-pai-tcheou. En 464, chez les Jeóu-jan, mort du khan Tch’óu-louo. Son fils U-tch’eng lui succéda, et devint le khan Cheóu-louo pou-tchenn. @ 63 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Liôu tzeu-ie, 464. @ Comme il périt dans l’année, il ne reçut pas de titre posthume. L’impératrice douairière étant tombée gravement malade, fit prier Liôu tzeu-ie de venir la visiter... — Les malades ont des lutins plein le ventre, dit celui-ci (croyance superstitieuse) ; je n’irai pas... — Qu’on m’éventre, pour voir, s’écria l’impératrice furieuse... On peut habiter un harem, un palais, Famine dans les provinces p.1135 sans être gens bien élevés. orientales, par suite de sécheresses prolongées. Le grain en vint à coûter plusieurs centaines de pièces de monnaie la mesure. A la capitale même, il coûta plus de cent pièces. Sept dixièmes de la population moururent de faim. — Aussi le recensement de 464 donna-t-il les chiffres suivants : 22 provinces, 274 préfectures, 1299 districts, 940 mille familles. Ce qui fait, au taux moyen de 5 à 6 personnes par famille, environ cinq millions d’âmes pour la moitié méridionale de la Chine. Comparez les statistiques antérieures p. 874. Dès son enfance, Liôu tzeu-ie avait donné des signes non équivoques d’un mauvais naturel. Dans les premiers jours de son règne, la crainte de la douairière et des régents, le retint. Mais, quand la douairière fut morte, il lâcha la bride à ses passions. Son gouverneur Tái fa-hing ne fut plus écouté. L’eunuque favori Hoâ yuan-eull, qui en voulait à ce gouverneur, lequel gênait ses tripotages, dit à Liôu tzeu-ie : — On dit partout, que le véritable empereur, c’est Tái fa-hing, et que vous n’êtes qu’un mannequin ; on craint même qu’il ne vous supplante... Il n’en fallut pas davantage. Tái fa-hing reçut aussitôt l’ordre de se suicider. Après la mort de l’empereur Hiáo-Où qui les avait tenus très raide, Liôu ikoung et les autres régents s’étaient dit : 64 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Nous sommes sauvés ! nos mauvais jours sont passés ! et ils manifestèrent leur joie par des chants et des bombances. La mort de Tái fa-hing les affecta désagréablement et leur inspira des craintes. Liôu yuanking projeta de détrôner Liôu tzeu-ie, et de le remplacer par Liôu i-koung. Il s’en ouvrit à Chènn k’ing-tcheu. Celui-ci détestait Liôu i-koung. Il trahit les conspirateurs. Liôu tzeu-ie se mit lui-même à la tête de ses gardes, tua Liôu i-koung avec ses quatre fils, puis fit appeler Liôu yuan-king. Se doutant p.1136 de ce qui l’attendait, celui-ci dit adieu à sa mère, puis sortit de sa maison. Les bourreaux l’attendaient dans la rue, et le décapitèrent sur-le-champ, tel qu’il était, en robe de cour. Il ne changea pas de visage, avant le coup fatal. Ses fils, frères et neveux, furent tous massacrés. Ces exécutions mirent Liôu tzeu-ie en appétit. A partir de ce jour, princes et officiers, furent traités par lui comme les plus vils esclaves. Son frère Liôu tzeu-loan, le préfet K’oùng ling-fou, le général Heûe-mai, enfin le Grand juge Chènn k’ing-tcheu, furent tous sommairement exécutés, en moins de deux mois. Débarrassé des régents, Liôu tzeu-ie songea à se débarrasser de ses oncles. Pour les rendre inoffensifs, il commença par les enfermer au palais, puis les fit traiter de la manière la plus ignominieuse, fustiger etc. Ceux qu’il maltraita le plus, étaient les plus âgés, Liôu-u, Liôu hiou-jenn, Liôu hiou-you. Liôu-u étant fort gras, il l’appela le Porc. Il appela Liôu hiou-jenn le Boucher, et Liôu hiou-you le Brigand. Il appela l’Ane, Liôu-wei, qui était mou et docile, et l’obligea à manger dans une mangeoire. Il fit dépouiller le Porc, l’obligea à se vautrer dans la boue, et à y prendre sa nourriture. A chaque instant il lui prenait envie de l’égorger. Heureusement que Liôu hiou-jenn, qui se possédait et avait le mot pour rire, arrivait à obtenir des sursis. Ainsi quand la dame Mông se fut retirée en attendant ses couches, Liôu tzeu-ie ayant de nouveau voulu faire égorger Liôu-u… — On tue les porcs pour les fêtes, dit Liôu hiou-jenn ; attendez que le prince impérial soit né... C’est à Hiōu-jenn (qu’il égorgera plus tard), que Ú (le futur empereur Mîng) dut de vivre. Cependant ces horreurs indignaient les uns, soulevaient les autres. Liôu tzeu-hunn, frère de Liôu tzeu-ie (ou plutôt ses officiers, car il 65 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. avait 10 ans), leva l’étendard de la révolte à Sûnn-yan (c), et eut plus de cinq mille partisans p.1137 en moins d’un mois. — Dans l’entourage même de Liôu tzeu-ie, Cheóu tsi-tcheu et Wâng king-tsai complotaient pour l’assassiner. Liôu tzeu-ie n’était pas moins débauché que sanguinaire. Il faisait faire, dans son parc, des courses de femmes nues. Un jour, une des filles du harem ayant refusé de prendre part à ce jeu, il la fit décapiter. La nuit suivante elle lui apparut et lui dit : — J’ai porté plainte contre toi au Seigneur d’en haut !.. Une autre nuit, une fille qu’il ne connaissait pas, lui apparut et lui dit : — Brute ! tu ne verras pas la moisson prochaine !.. Le lendemain, Liôu tzeu-ie ayant passé en revue toutes les filles du harem, fit décapiter celle qu’il trouva la plus ressemblante à l’apparition. Les sorcières consultées ayant déclaré que le parc impérial était hanté, et qu’il fallait y pourchasser les koèi (revenants, lutins), Liôu tzeu-ie voulut diriger en personne cette opération. Sans gardes ni témoins, accompagné seulement d’une bande de sorcières et de filles, il tira et fit tirer des flèches dans toutes les directions, pour détruire les koèi. Tandis qu’il commandait les salves de ses amazones, Cheóu tsi-tcheu, à la tête des conjurés, envahit le parc, sabre au clair, et le tua, sans phrases. Puis il avertit les gardes du palais, que la douairière lui ayant ordonné (ordre supposé) de tuer ce fou furieux, tout le monde eût à se tenir tranquille. Liôu hiou-jenn mit Liôu-u (le Porc) sur le trône, fit appeler les ministres, et produisit un édit supposé de la douairière, lequel, après un long réquisitoire contre Liôu tzeu-ie, le dégradait et appelait Liôu-u à régner... Un frère et une sœur de Liôu tzeu-ie, nés de la même mère, furent suicidés. Puis les princes captifs quittèrent le palais... Cependant le cadavre de Liôu tzeu-ie gisait encore à l’endroit où il avait été tué. Ts’ái hing-tsounn dit à Wâng-u : — Cette brute ayant régné, il faut l’enterrer !... On l’enterra. Devenu l’empereur Mîng, Liôu-u ne fut pas d’abord p.1138 reconnu par tout l’empire. Trois provinces prirent les armes, et embrassèrent la cause de Liôu 66 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. tzeu-hunn, qui prit le titre d’empereur. Question de légitimité ; le frère avant l’oncle. @ 67 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Mîng, 465 à 472. @ Aussitôt qu’il fut assis sur le trône, il envoya ce qu’il avait de troupes, contre son compétiteur. Les officiers de celui-ci, vrais fauteurs du soulèvement, lui épargnèrent la peine de combattre. Tchāng-ue invita Téngwan à venir boire dans sa tente, après avoir donné ordre à ses gardes de massacrer son hôte, quand il demanderait du vin. — Qu’allons-nous faire, demanda-t-il à Téng-wan... — Coupons la tête au roitelet, dit celui-ci, et présentons-la pour racheter les nôtres... — Je vais racheter la mienne, en coupant la tienne, dit Tchāng-ue ; du vin !.. Aussitôt les gardes dépêchèrent Téng-wan, et Tchāng ue porta sa tête au général impérial Liôu hiou jenn... Entré dans Sûnn yang, Ts’ái na-tcheu arrêta le petit prince Liôu tzeu-hunn. Quand le général Chènn you-tcheu fut arrivé, il le fit décapiter. La tête de cet enfant de 11 ans, fut envoyée à la capitale. Sans rival désormais, l’empereur Mîng mit un zèle infatigable, à quoi ?.. massacrer les membres de sa nombreuse famille. A voir les œuvres de sang du Porc, on se prend à regretter que son neveu Tzèu-ie ne l’ait pas converti en charcuterie. Il commença par faire égorger, sans aucune raison, par pure précaution, ses neveux Liôu tzeu-soei, Liôu tzeu-hu, Liôu tzeu-yuan. Son frère Liôu hiou jenn qui désirait peut être lui succéder, stimulait son zèle sanguinaire. — Tant qu’il restera un seul fils de l’empereur Hiáo-Où, lui dit-il, vous ne pourrez pas être sûr du lendemain. L’empereur ordonna donc à Liôu tzeu-fang et à ses 9 frères encore survivants, de se suicider. Des 28 fils de l’empereur Hiáo-Où, pas un seul ne fut épargné. 68 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’impératrice Lôu n’aimait guère, à ce qu’il paraît, un mari si aimable. L’ayant invité à dîner, elle lui présenta une coupe empoisonnée. — Buvez-la à ma santé, dit l’empereur. L’impératrice mourut le jour même. L’empereur la remplaça par la dame Wâng. Comme il était sans enfants, et sans espoir d’en avoir, il prêta sa concubine Tch’ênn à son mignon Lì tao-eull. Elle conçut un fils, que l’empereur appela Liôu-u. Il fit aussi enlever les femmes enceintes de plusieurs roitelets. Celle qui accouchait d’un garçon, était supprimée, et l’enfant était donné à quelque favorite de l’empereur, qui passait pour être sa mère. Délivré de ses neveux, Mîng l’Empoisonneur s’occupa de ses frères... En 470, ordre à Liôu-wei l’Ane, de se suicider, sous prétexte qu’il avait maugréé contre le gouvernement. Ensuite, craignant que les survivants ne fissent un jour à son fils supposé Liôu-u, ce que lui-même avait fait à ses neveux, il fit tuer Liôu hiou-you, durant une chasse au faisan, par Cheóu tsi-tcheu dont nous connaissons la poigne (p. 1137). L’assassin fut supprimé, peu de jours après sa victime. On raconta que le prince s’était cassé le cou en tombant de cheval, et l’empereur paya ses funérailles. Le tour de Liôu hiou-jenn était venu. L’empereur l’appela au palais, et lui fit présenter le breuvage classique. — N’est-ce pas moi qui l’ai mis sur le trône ? dit celui-ci aux sbires, avant de boire. Liôu hiou jao fut pareillement appelé et suicidé. — De toute la famille impériale, il ne resta en vie que le seul Liôu hiou-fan, que l’empereur jugea trop bête pour pouvoir nuire. @ 69 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Encore en 470, durant un grand banquet de la cour, l’empereur ordonna à quelques dames de se dévêtir, pour le plaisir des spectateurs. L’impératrice Wâng se voila la face avec p.1140 son éventail... — Pourquoi ne regardez-vous pas ? lui cria l’empereur furieux ; ces filles de rien ne sont-elles pas nées pour cela ?.. — Je pense qu’il y a d’autres manières convenables de s’amuser, dit l’impératrice ; celle-ci ne convient pas... Au comble de la rage, l’empereur ordonna de l’expulser... — A la maison, dit son frère Wâng king-wenn, cette petite était faible et timide. Comme elle est forte et hardie maintenant ! Ces repoussoirs sont la beauté du Miroir Historique. On ne reste jamais sur le récit affadissant d’un désordre, sur le narré scandaleux d’un crime. La conscience humaine a le dernier mot, et ce mot est généralement juste et fort. Wâng king-wenn était un noble caractère. Son exaltation, suite de la fortune de sa sœur, lui fit toujours peur. Il donna souvent sa démission, laquelle fut toujours refusée. La pudeur de sa sœur causa sa perte. L’empereur lui envoya à domicile le breuvage classique, avec l’ordre écrit de se suicider. Wâng king-wenn jouait aux échecs avec un ami. Il ouvrit la missive, la lut, la replia, la déposa, finit la partie sans, changer de visage, enfin rangea lui-même avec soin les échecs dans leur boîte, puis dit tranquillement : — L’empereur me fait la grâce de me permettre de mourir... Après avoir écrit de sa propre main un billet de remerciement il but et mourut. Le trait suivant montre jusqu’où allait la défiance féroce de l’empereur. Une nuit il rêva que Liôu-yinn, le préfet de U-tchang, allait se révolter. Aussitôt qu’il fut éveillé, il lui envoya préventivement le bourreau. En 472, Mîng-ti tomba malade. Il institua pour assurer le trône à son fils supposé Liôu-u, alors âgé de dix ans (né, par conséquent, avant l’avènement 70 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. de son père), un conseil de régence composé des hommes qu’il croyait les plus dévoués à sa personne, p.1141 Liôu hiou-fan, Yuân-ts’an, Tch’òu-yuan, Liôu-mien, Ts’ái hing-lsoung, Chènn you-tcheu. Tch’òu-yuan fit donner le commandement de la garde, à l’officier Siáo tao-tch’eng, qui renversera la dynastie. Ces dispositions prises, le Porc mourut, à l’âge de 34 ans, après s’être vautré durant 7 ans sur le trône. Il nous reste à mentionner quelques événements arrivés durant cette période. @ Culte des Sóng... En 470, décret pour régler les sacrifices au Ciel et aux Ancêtres. Le gouvernement de l’empereur Mîng fut Confuciiste. Lui-même était Buddhiste. En 471, i’empereur fit transformer en pagode l’hôtel qu’il avait habité jadis dans sa principauté. Il dépensa, à cet effet, beaucoup d’argent. Un jour, le préfet Tch’âo chang-tcheu étant venu à la cour de ce pays-là : — Avez-vous visité ma pagode ? lui demanda l’empereur ; c’est ce que j’ai fait de mieux... Alors l’officier Û-yuan, qui assistait au colloque, dit : — Vous l’avez bâtie avec l’argent du peuple, qui a dû vendre, pour la payer, ses femmes et ses enfants. Si le Buddha le sait, loin de la bénir, il doit maudire votre pagode. En l’élevant, vous avez commis un crime, vous n’avez pas fait une bonne œuvre !.. Les assistants pâlirent de terreur. L’empereur fit jeter Û-yuan à la porte. Il s’en alla paisiblement. Guerres des Wéi... Ils conquirent sur l’empire, en 466, P’êng-tch’eng (a) ; en 467, tout le nord du Hoâi, le fond occidental du bassin de ce fleuve, et la partie septentrionale de la vallée de la Hán (31, 32, 33, 54, 55). En 469, la presqu’île du Chān-tong (25, 26, 27). — En 470, ils défirent les T’ou-kouhounn du Koukou-nor, et les Jeóu-jan des steppes du nord. 71 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Culte des Wéi... T’oûo-pa tsounn étant mort en 465, en 467 son fils T’oûopa houng franchement Buddhiste, fait fondre une gigantesque statue du p.1142 Buddha. On y employa cent mille livres de cuivre, et six cents livres d’or. L’Histoire enregistre le fait, dit le commentaire, pour faire rire du Buddha et du roi. En 469, après la conquête du Chān-tong, les Wéi transplantèrent nombre d’habitants de cette province, dans les environs peu peuplés de leur capitale P’îng-tch’eng (11), et les y établirent comme colons. A cette occasion, T’ânyao supérieur général des moines de Wéi, fit au gouvernement la proposition suivante : — Le peuple ne sachant que vivre de la main à la bouche, déclarez notables les familles qui déposeront dans un couvent 600 boisseaux de grain par an ; en temps de famine, les moines distribueront ces grains aux nécessiteux ; déclarez hommes liges du Buddha, ceux que la loi livre aux mandarins pour être esclaves ; ils balayeront et arroseront les pagodes... T’oûo-pa houng accorda les deux requêtes. Bientôt le nombre des familles notables, qui déposaient du grain chez les moines, fut très considérable. En 471, l’Histoire contient la complainte suivante : T’oûo-pa houng était intelligent, perspicace, brave et décidé ; mais dévot, tout ensemble, et au Buddha, et à Lào-tzeu, il était travaillé de l’envie d’abdiquer en faveur du prince T’oûo-pa tzeu-t’oei, pour se retirer dans la solitude. Enfin il en fit sérieusement la proposition à son conseil. Au premier moment, personne ne dit mot. Puis T’oûo-pa tzeu-yunn, le frère de T’oûo-pa tzeu-t’oei, dit : — La paix du royaume tient à votre personne. Oseriez-vous bien manquer aux Ancêtres et au Peuple, en compromettant cette paix ? Que si vous abdiquez, ce ne peut être qu’en faveur de votre fils, car ce que vous avez reçu de vos Ancêtres, doit passer à leurs descendants. Vous déplairiez certainement aux Ancêtres, en transmettant leur héritage à un collatéral, et vous causeriez des troubles, en allumant des convoitises… 72 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les principaux conseillers se p.1143 rangèrent à l’avis de Tzèu-yunn. Le roi se fâcha, au point de changer de visage... Oui, songez à vos Ancêtres, insista Kāo-yunn ; songez combien le Duc de Tcheōu se donna de peine, pour conserver le trône à un mineur (à Tch’êng-wang, à la lignée directe, au lieu de s’asseoir lui-même sur le trône, p. 87)... — Eh bien, dit le roi, j’abdique en faveur de mon fils, et je vous charge tous d’être ses protecteurs ; que Lóu-pouo, le plus franc d’entre vous, soit son tuteur en titre !.. et il fit aussitôt remettre au prince T’oûo-pa houng, les insignes de la dignité royale. L’enfant avait 5 ans. Il était éveillé et pieux. Un an auparavant, son père souffrant d’un ulcère, il le lui avait léché consciencieusement. Quand on l’assit sur le trône, il pleura amèrement... — Pourquoi cela ? demanda le père... — Parce que je vous évince, répondit l’enfant. Après l’intronisation, les ministres dirent : Jadis l’empereur Kāo des Ts’iênHán étant monté sur le trône du vivant de son père, il donna à celui-ci le titre d’Empereur Suprême (p. 281), pour bien montrer à tous qu’il ne considérait pas son père comme son sujet. Or l’empereur Kāo était majeur et gouvernait par lui-même. Vous donc qui êtes mineur, et qui ne pouvez encore gouverner par vous-même, vous devez à votre père un titre encore plus honorable ; appelez-le Empereur Souverain Suprême... T’oûo-pa houng obéit... Son père se retira dans une pagode construite dans le parc royal, et y vécut en communauté avec des bonzes contemplatifs, refusant d’apprendre autre chose que les événements d’une gravité exceptionnelle. @ 73 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Liôu-u, 473 à 476. @ Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume. En 474, Liôu hiou-fan que l’empereur Mîng avait épargné comme trop bête pour nuire, se révolta et tenta un coup de main sur la capitale. Siáo taotch’eng le défit et le tua. Cette p.1144 victoire fit de lui le plus influent des régents. Yuân-ts’an, Tch’òu-yuan, Liôu-ping, firent cause commune avec lui. Ces quatre hommes décidaient toutes les affaires. On les appela les Quatre Précieux. Cependant Liôu-u avait manifesté, dès son enfance, un détestable caractère. Plus d’une fois son père putatif, dut ordonner à sa mère la dame Tch’ênn, de le fouetter cruellement. Quand il fut intronisé, il se tint d’abord assez bien, par peur de la douairière, de sa mère et des régents. Mais bientôt il se laissa aller à tous les déportements. Ayant appris qu’il était en réalité le fils, non de l’empereur, mais du mignon Lì tao-eull, il s’en fit gloire. Quand il sortait incognito pour courir la prétantaine, il se faisait appeler général Lì. Il alla jusqu’à fréquenter les ruelles (mauvais lieux), en pantalon et chemise (sans robe). Ou bien il allait passer la nuit dans quelque auberge. Ou bien il se couchait le jour au bord de la route, mangeant et conversant avec la populace. Quand quelqu’un l’insultait, l’impérial lazarone empochait sans rien dire, avec plaisir même, dit le texte... Le gamin avait 12 ans. Précoce ! En 476, rébellion de Liôu king-sou, réprimée par le général Lì nan-minn. Par suite de ce succès, dit l’Histoire, en 477 Liôu-u âgé alors de 14 ans, devint d’une insolence extrême. Il sortait chaque jour, pour courir, précédé de gardes armés, qui fondaient sur quiconque ne se rangeait pas à son approche. Il détroussait les voyageurs, forçait les habitations, mettait sa vie en danger, rentrait mécontent, le soir, quand il n’avait tué personne, etc. (cf. p. 386). Un certain Yuân tien-fou ayant voulu l’enlever, dans une de ces escapades, le complot fut découvert juste à temps. Sa mère l’ayant chapitré, Liôu-u tenta de l’empoisonner... Un jour, durant la chaude saison, étant entré 74 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dans le camp de la garde, il trouva Siáo tao-tch’eng qui dormait la méridienne, tout nu, more sinico. Liôu-u le fit lever dans cet état, prit un pinceau, peignit sur son gros ventre un rond et un point, puis s’étant reculé, il saisit son arc, et visa cette cible d’un nouveau genre, avec une flèche à pointe... Siáo tao-tch’eng se couvrant avec une planche, cria : — Quelle faute ai-je commise ?.. Alors Liôu-u changeant la flèche à pointe contre une flèche à bouton, tira, l’atteignit au nombril, jeta son arc, et battit des mains en riant aux éclats... Siáo tao-tch’eng déclara à ses collègues, qu’il fallait se défaire de ce fou... — Il est jeune, dit Yuân-ts’an ; il se corrigera... Mais Siáo tao-tch’eng était décidé à ne pas servir de cible une seconde fois. Il était au mieux avec Wâng king-tsai, qui joua le rôle que nous savons, lors du nettoyage de Liôu tzeu-ie (p. 1137). Siáo tao-tch’eng le pria de donner une nouvelle exhibition de son talent de nettoyeur. Cela ne fut, ni long, ni difficile. Wâng king-tsai acheta les valets de pied de Liôu-u. Un jour que celui-ci était allé flâner, d’abord dans un couvent de nonnes, puis dans une pagode de moines, ses gens l’enivrèrent, le couchèrent dans un char, le ramenèrent, lui coupèrent le cou en chemin, et portèrent sa tête à Wâng king-tsai, qui avertit Siáo tao-tch’eng, lequel courut en armes au palais. Expédié ! Quand on sut que Liôu-u n’était plus, ce furent partout des cris de joie. Siáo tao-tch’eng convoqua le Grand Conseil, censément au nom de l’impératrice. Il demanda d’abord à Liôu-ping : — A qui donnerons-nous le pouvoir ?.. Il comptait que Liôu-ping le lui offrirait ; mais Liôu-ping s’excusa de répondre. Les yeux de Siáo tao-tch’eng étincelèrent et sa barbe se hérissa. Il interrogea Yuân-ts’an ; même silence... Alors Wâng king-tsai brandissant son sabre (p. 496), dit à Siáo tao-tch’eng : — Le pouvoir est entre vos mains. Prenez aussi le titre. Quiconque trouvera à y redire, sera p.1146 embroché par moi, avec cette lame !.. et saisissant le bonnet impérial, il en coiffa Siáo tao-tch’eng, en lui disant : 75 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Cela presse !... Cependant Siáo tao-tch’eng avait senti que la poire n’était pas encore mûre. Il déposa le bonnet, rabroua Wâng king-tsai pour la forme, et nomma empereur le roitelet Liôu-tchounn, un enfant de 11 ans. L’impératrice donna un édit, dans lequel les péchés de Liôu-u, sa dégradation et sa mort, étaient expliqués à l’empire. Siáo tao-tch’eng régenta, bien entendu. Liôu-tch’eng passait pour être fils de l’empereur Mîng. En réalité, l’empereur avait pris sa mère enceinte (p. 1139) au roitelet Liôu hiou-fan (p. 1139). En tout cas, c’était un Sóng authentique. Il devint l’empereur Choúnn. Mettons au point l’histoire des Wéi. Guerres... En 472, incursion des Jeóujan. En 473, incursion des T’ou-kou-kounn du Koukou-nor. En 474, les Jeóu-jan s’abouchent avec l’empire, contre les Wéi, attaquent les postes des Nân-chan, et sont battus. Culte... En 473, T’oûo-pa houng roi de Wéi (il avait 12 ans) anoblit K’oùng-tch’eng, descendant de Confucius à la vingt-huitième génération, et lui conféra le titre de Seigneur de la vénération du Sage. En 472, les censeurs de Wéi avertirent le roi, que les sacrifices officiels, offerts en 1075 divers lieux saints, consommaient chaque année 75.500 victimes (y compris, évidemment, les sacrifices aux Chènn barbares conservés par les Wéi, après leur adoption du culte chinois, p. 1115)... Cet avertissement, probablement suggéré par lui, fut porté à la connaissance du roi-moine (le Buddhisme interdit de tuer les animaux), qui fut très affligé de ces massacres. Un édit défendit d’immoler désormais des animaux, excepté au Ciel, à la Terre, et aux Ancêtres. Mais tous les autres sacrifices, on p.1147 devait se contenter d’offrir du vin et des mets. En 475, défense absolue de tuer aucun bœuf, aucun cheval. Effet de la foi en la métempsycose. Wéi devint un éden pour les animaux. Pour couper des têtes d’hommes, les T’oûo-pa n’y regardaient pas de si près. Les suppliciés pouvaient se consoler par l’espoir de renaître bœufs. 76 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cependant, en 474, parut l’édit humanitaire suivant, inspiré aussi par le roi-moine : Quand un homme a commis un crime, toute sa famille en pâtit. Moi qui suis père et mère de mon peuple, je souffre de cet état de choses. Désormais, sauf le cas de rébellion flagrante, qu’on ne punisse que les seuls délinquants... Cette loi fit cesser les exécutions en masse, pour un temps. Nous avons vu que ces exécutions, supprimées en théorie de très bonne heure (p. 316), avaient toujours été maintenues dans la pratique. Inspiré par son père le moine, le jeune roi de Wéi était juste, sévère, très ennemi de toutes les formes de squeeze, d’exaction et de concussion. Jusquelà, dans le royaume de Wéi, les procédures avaient été purement orales, et les sentences portées par un juge, selon son opinion personnelle. T’oûo-pa houng ordonna que les procédures seraient désormais écrites, que le dossier serait étudié par des juristes, lesquels appuieraient leur sentence sur le Code... Il remplaça aussi certains supplices, comme les mutilations, par un emprisonnement prolongé, agrémenté de flagellations périodiques. Les officiers ayant protesté contre cette innovation : — Vous n’y entendez rien, leur dit-il. La réclusion est un grand bienfait. Quand il est enfermé, l’homme pense. Que les malfaiteurs comprennent les biens que je leur procure ! Je les fais de plus fustiger, pour que la douleur éveille en eux le repentir, et les rende dignes de pardon. Ce mode de punir est moralisateur... D’un autre côté, T’oûo-pa houng supprima les amnisties. — Le pardon gratuit multiplie les crimes, disait-il. p.1148 En 479, le roi-moine finit d’une manière assez lamentable. Trois fonctionnaires, Lì-hinn, Lì-fou et son frère Lì-i, s’étaient rendus coupables de tripotages, recels, etc. Or Lì-i était le favori, probablement l’amant de la reine. Conformément à ses décrets, le roi fit mettre à mort Lì-fou et Lì-i (qui n’étaient pas des bœufs), et punit sévèrement Lì-hinn. La reine Fông trouva mauvais qu’on eût ainsi supprimé son favori. Elle empoisonna son mari le moine ; et se fit régente du roi son fils, alors âgé de 15 ans. @ 77 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Choûnn, 477 à 479. @ Les projets de Siáo tao-tch’eng n’étaient plus un mystère. Chènn youtcheu se souleva contre lui ; pas pour le bon droit, probablement, mais pour faire ses propres affaires. Wâng yunn essaya de coaliser contre lui Yuân-ts’an et Liôu-ping, ancien collègues devenus ses adversaires puisqu’il visait au pouvoir. Les généraux Hoâng-hoei et Poùo pai-hing entrèrent aussi dans la conjuration. On devait faire massacrer Siáo tao-tch’eng par la garde du palais, sur un ordre supposé de l’impératrice... Mais Siáo tao-tch’eng fut prévenu, et confia le soin de le tirer d’affaire, au spadassin Wâng king-tsai que nous connaissons (p. 1145). Celui-ci assassina Wâng-yunn et Poùo paihing. Envoyé pour tuer Yuân-ts’an, Tái seng-tsing sauta seul le mur de sa demeure. Yuân-tsoei fit à son père Yuân-ts’an un rempart de son corps. Tái seng-tsing l’abattit d’un coup de sabre. Le père dit au fils mourant : — Moi je meurs fidèle, toi tu meurs pieux !.. Tái seng-tsing ne lui laissa pas le temps d’en dire davantage... Le peuple pleura père et le fils. En 478, Chènn you-tcheu tenta d’enlever Yìng (dans le Hôu-pei actuel). Il n’était pas aimé de ses hommes, qui craignaient ses emportements. La ville ayant tenu bon, les défections commencèrent. Il dut se p.1149 retirer, n’ayant guère plus que vingt mille hommes, vers Kiāng-ling. Tchāng king-eull surprit cette place avant son arrivée, et y massacra toute la famille de Chènn youtcheu. Quand celui-ci reçut la nouvelle de ce désastre, tout son monde l’abandonna. Il se pendit, de désespoir. Anecdote : Jadis Piēn-joung, officier de Chènn you-tcheu, ayant été offensé par un de ses inférieurs, Chènn you-tcheu lui permit de le faire fustiger et mettre à mort. Piēn-joung voua une reconnaissance débordante, au maître qui l’avait ainsi aidé à assouvir sa vengeance. Quand Tchāng kingeull eut surpris Kiāng-ling, on conseilla à Piān-joung de lui faire des avances. 78 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — J’ai été si bien traité par Chènn you-tcheu, dit-il, que je ne lui serai pas infidèle... Tchāng king-eull le fit prendre. Quand on le lui eut amené : — Tu viens bien tard ! dit-il... — Je ne tiens pas à la vie, dit Piēn-joung ; pourquoi serais-je venu plus tôt ?.. — Puisque tu veux mourir, tu mourras, dit Tchāng king-eull ; et il ordonna de le conduire au supplice... Piēn-joung le remercia en souriant, et suivit les exécuteurs... Dehors, son ami Tch’êng young-tcheu l’embrassa, demandant à mourir avec lui et avant lui... Les exécuteurs demandèrent à Tchāng king-eull ce qu’il fallait faire... — Mais, ce qu’il désire, dit celui-ci... Les bourreaux tuèrent donc d’abord Tch’êng Young-tcheu, ensuite Piēn-joung. Leur mort attendrit les spectateurs. Après ces succès, Siáo tao-tch’eng n’avait plus besoin de cacher ses visées. En 478, il se fit Grand Juge, et Gouverneur général de seize provinces. En 479, au troisième mois, il se fit Chancelier et Duc de Ts’î. Un mois plus tard, il se fit Roi de Ts’î. C’est toujours le dernier pas, avant un changement de dynastie. L’empereur Choúnn comprit ce que parler voulait dire. Il envoya à Siáo tao-tch’eng l’acte de son abdication. Wâng king-tsai le Nettoyeur (p. 1145) entra au palais avec ses soldats... — Est-ce que vous allez me tuer ? demanda le petit empereur, en pleurant... — Non, dit Wâng king-tsai ; mais il vous faut déménager. Jadis votre Ancêtre a fait aux Sēu-ma (Tsínn), ce qu’on vous fait aujourd’hui... Le petit empereur joignit les mains en sanglotant, et pria ainsi : 79 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Oh ! de grâce ! que dans aucune de mes existences futures, je ne renaisse dans le palais d’un roi !.. Tous les assistants pleuraient... L’enfant caressa Wâng king-tsai et lui dit : — Je n’ai pas de prétentions ; je me contenterai bien volontiers d’une rente de cent mille sapèques. Or, ce jour-là, parmi les Cérémoniaires, Síe-k’ou était de service. C’est donc lui qui devait enlever à l’empereur les insignes du pouvoir et les porter à Siáo tao-tch’eng. Il s’alita et dit : — Que le cérémoniaire de Ts’î fasse cette besogne !.. Celui qui devait rapporter cette réponse, eut peur et dit : — Je vous dirai plutôt malade !.. — Gardez-vous en bien, dit Síe-k’ou ; je ne suis pas malade !.. et pour qu’on n’interprêtât pas ainsi son abstention il se leva, s’habilla, et alla se promener dans la rue (cf. p. 618). A son défaut Wâng-kien fit la triste opération. L’empereur dégradé fut logé hors du palais. Tandis qu’on le conduisait à son nouveau domicile, le vieux chambellan Wâng-k’ounn, qui avait déjà été témoin du précédent changement de dynastie, embrassa le brancard du char, en gémissant : — D’autres sont heureux d’avoir longtemps vécu ; moi je regrette ! Si nous avions su chasser les fourmis (les usurpateurs encore petits, Liôu-u, Siáo tao-tch’eng), ces révolutions ne seraient pas arrivées... Tous les officiers pleuraient. Cependant Tch’òu-yuan, l’auteur de la fortune de Siáo tao-tch’eng (p. 1141), était allé le quérir à son domicile. Siáo tao-tch’eng monta sur le trône, nomma l’empereur dégradé roitelet de p.1151 Jòu-yinn, le confina à Tān-yang, et l’y fit garder par des soldats, lesquels avaient ordre de le mettre à mort, au moindre événement spontané ou provoqué par eux. Bref, au cinquième mois, un cavalier ayant passé au galop devant le logis du prince, les gardes feignirent de croire à une tentative d’enlèvement, coururent aux armes, se précipitèrent dans son appartement, et le tuèrent. Il avait 14 ans. Siáo tao80 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. tch’eng récompensa libéralement les meurtriers, puis fit mettre à mort, jusqu’au dernier, les membres survivants de la famille Liôu de Sóng, laquelle finit ainsi, après avoir occupé le trône durant 60 ans. Pour ce qui concerne les relations avec l’Occident, sous cette dynastie, nous avons parlé, page 1094, des ambassades Wéi, jusque chez les Alains de la Mer Caspienne. — Pas signe de vie de l’empire de Byzance, auquel les Perses, Genséric et Attila, donnaient assez de distractions. — Quant aux relations maritimes, le commerce chinois, dans les mers du sud, était des plus actifs. Les jonques chinoises touchaient à Galle (Ceylan), à Calicut (Malabar), à Siref (Farsistan), et remontaient le Chat-el-Arab jusqu’à Hira. Les historiens arabes, Massoudi (mort au Caire en 958), et Hamzah d’Ispahan, attestent que, vers le milieu du cinquième siècle, chaque année une flotte considérable de jonques chinoises arrivait à Hira, terminus du commerce de la Chine vers l’Occident. Voyez page 721. @ 81 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE NAN-TS’I. Famille Siáo. 479-501. L’empereur Kāo, 479 à 482. Carte XIV — @ p.1152 Kién-k’ang (Nankin, K) continua à être la capitale de l’empire. Jusque-là (depuis plus de 160 ans) cette ville n’était entourée que d’une palissade. L’empereur la fit entourer d’une muraille. Il voulut imposer à la population flottante qui l’habitait, le système antique de la surveillance mutuelle et de la responsabilité par groupes de cinq et dix familles. On l’en dissuada, par cet argument typique : La capitale est l’égout collecteur de l’empire, l’asile et le refuge de la pire racaille. S’occuper de ces gens-là, occasionnera bien des ennuis, sans procurer aucun avantage. Mieux vaut les ignorer. Les Wéi poursuivaient toujours leurs tentatives contre l’empire. En 480, ils envahirent, au nombre de deux cent mille, le pays de Cheóu-yang (Hoâi). Le commandant impérial Yuân tch’oung-tsou barra la Fêi, après avoir construit un fort avancé dans un bas-fond. — Vous servirez d’appât, dit-il aux soldats qu’il y mit ; quand vous serez assiégés, je romprai mon barrage, et nous aurons le plaisir de voir les cadavres des Wéi s’en aller à vau-l’eau. De fait les Wéi donnèrent bêtement dans le piège. Des milliers d’hommes et de chevaux furent noyés. Une autre de leurs colonnes échoua devant K’iû-chan. Tandis qu’ils assiégeaient la place, un petit renfort impérial arriva du sud par mer et par le Hoâi. Il faisait nuit. Ts’oēi ling-kien qui le commandait, imagina de faire illuminer ses jonques. Croyant avoir affaire à forte partie, les Wéi déguerpirent. En 481, courses des Wéi dans le Hoâi-yang. Une armée impériale arrive, commandée par Lì nan-minn. Le fils du commandant charge, enfonce les Wéi 82 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1153 puis est entouré. Le père charge à son tour, pour dégager son fils. Le fils dégagé recharge, pour dégager son père. Ces deux hommes tinrent en respect, pour un temps, toute l’armée des Wéi. En 479, apparition d’un nouveau peuple, dont le nom fatiguera désormais nos oreilles. Il s’agit des K’í-tan. En 479, leur khan s’établit dans la Mandchourie actuelle, comme tributaire des Wéi. L’Histoire nous apprend que les K’í-tan étaient des Tongouses, descendants ou remplaçants des anciens Sièn-pi. Ils descendaient, disaient-ils, d’un homme et d’une femme, venus on ne sait d’où, et qui s’étaient rencontrés par hasard ; ce que le commentaire explique du confluent des deux branches terminales de la Soungari, où fut le berceau de leur race. En 481, mort du khan Chêu-yinn des T’ou-kou-hounn (Koukou-nor). Son fils Tou-i-heou lui succède. En 481, chez les Wéi, le moine Fā-siou causa une émeute. On le prit et on le lia ; mais il défit ses liens, par ses formules magiques (le peuple chinois attribue ce pouvoir à tous les magiciens). Alors les bourreaux lui dirent : — Si tu es vraiment Chênn, tu dois être invulnérable ; essayons !.. Sur ce, ils lui passèrent un croc sous le ligament occipital, et le suspendirent par la nuque. Il mit trois jours à mourir. — Si l’histoire enregistre si soigneusement les émeutes causées par les bonzes (dit le commentaire), c’est pour avertir de ce qu’ils risquent, ceux qui seraient tentés de croire aux superstitions de ces gens-là. Siáo tao-tch’eng, empereur Kāo, mourut en 482, à l’âge de 54 ans. Son fils Siáo-tchai lui succéda, et devint l’empereur Où. Dans son éloge funèbre, l’Histoire dit de Siáo tao-tch’eng qu’il était prudent, savant, intègre, économe. Un jour on lui cousit du jade à un habit neuf ; il le fit arracher, sous prétexte p.1154 curiosités et les objets rares. 83 d’hygiène. Il avait en horreur les Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Si je règne dix ans, disait-il, j’espère que l’or et la terre coûteront le même prix... Comme il ne régna que quatre ans, l’or continue à valoir plus que la terre. @ 84 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Où, 483 à 493. @ Anecdotes : Tchāng king-eull que nous connaissons (p. 1149), croyait aux songes et aux présages. Sa femme ayant rêvé que sa main brûlait, peu de jours après, son mari fut fait préfet. Elle rêva que son bras brûlait, et son mari devint gouverneur. Elle rêva que la moitié de son corps brûlait, et son mari devint ministre. Un jour l’ambitieux Tchāng king-eull dit à un confident : — Qui sait si ma femme ne finira pas par rêver que son corps tout entier brûle (qui sait si je ne finirai pas par devenir empereur) ?... Le propos fut rapporté à l’empereur Où, qui fit décapiter Tchāng king-eull, prophylactiquement. Chez les Wéi, le préfet Û lao-heou traitait son peuple avec la dernière barbarie. Il coupait le poignet à l’un, arrachait la langue à l’autre, en faisait écarteler, etc. Le roi l’ayant su, envoya sur les lieux un enquêteur secret ; Constatation faite, le préfet fut décapité. Hân k’i-linn, au contraire, était un philanthrope.. Liôu p’ou-k’ing lui dit : — Si vous ne faites pas une exécution quelconque de temps en temps, on vous respectera pas... — Un mandarin humain, dit Hân k’i-linn, ne punit qu’à contrecœur, et seulement les vrais coupables. D’ailleurs mon peuple est très sage. Mais quand j’aurai besoin d’un bourreau, je vous donnerai la préférence.. Liôu p’ou-k’ing fut très honteux. An 484 : Siáo tzeu-leang, prince du sang impérial, le Mécène des lettrés de son temps, était un fervent Buddhiste. Fán-tchenn, l’un de ses protégés, osa lui dire un jour que la doctrine buddhique n’était qu’un conte bleu... — Si vous ne croyez pas à la rétribution des actes humains (soutenue p.1155 par les Buddhistes), dit le prince, comment 85 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. expliquez-vous que les uns naissent riches et les autres pauvres, les uns nobles et les autres roturiers ?.. — Voici mon explication, dit Fán-tchenn : La même portière s’accroche, à volonté, à la porte d’une salle de fêtes, ou à celle d’un lieu d’aisances. Ainsi en est-il des hommes. Sans mérite ni démérite précédent, de par leur destin, les uns trônent dans le luxe, les autres traînent dans la fange... Dans une dissertation devenue célébre, Fán-tchenn nia la survivance et par suite la métempsycose : La matière, disait-il, est le substratum de l’esprit ; l’esprit est l’énergie de la matière. L’esprit est au corps ce que le fil est à la lame. A-t-on jamais ouï dire, que la lame ayant cessé d’exister, le fil ait subsisté ?.. Le prince Siáo tzeu-leang fit tout ce qu’il put pour gagner Fán-tchenn à sa croyance. — Sans cela, lui insinua un ami officieux, il n’y aura pas d’avancement pour vous. — Croyez-vous, demanda Fán-tchenn en souriant, que je sois homme à monnayer mes convictions ? Un jour on conduisit le prince impérial hors de la capitale, pour lui faire voir la moisson du blé. Après avoir bien regardé : — C’est un assez joli spectacle, dit-il... Désagréablement affectés de la légèreté de l’enfant, les officiers se taisaient. Fán-yunn parla : — Ce n’est pas pour vous montrer un joli spectacle, qu’on vous a conduit ici. C’est pour que, sachant combien le peuple peine, vous ayez honte de vivre oisif. Chez les Wéi, durant le règne de T’oûo-pa houng, une foule de faits divers instructifs... En 482, le jeune roi étant allé voir sa ménagerie : 86 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Prendre des bêtes féroces, dit-il, c’est dangereux et inutile. Qu’on n’en prenne plus, désormais, pour me les offrir. En 482, le roi sacrifia pour la première fois lui-même à ses Ancêtres. Il ordonna qu’avant la cérémonie tous les préparatifs et exercices fussent faits avec p.1156 le plus grand soin, et que tout fût parfaitement conforme au rituel ancien. Depuis lors il fit régulièrement les offrandes, en personne, aux quatre saisons. En 483, la dame Lînn donna au jeune roi son premier fils. La douairière Fông l’adopta, et l’enfant fut nommé prince héritier. Or c’était la coutume des Wéi, que la mère de l’héritier présomptif devait mourir. La douairière Fông ordonna donc à la dame Lînn (lui accorda gracieusement, dit le texte ; c’est l’expression consacrée) de se suicider. En 484, chez les Wéi nouvelle réglementation des impôts.. Jadis, chaque groupe de 3 à 10 familles, payait en nature, au gouvernement général, deux pièces d’étoffe, deux livres de filasse, une livre de fil, deux cents boisseaux de grain ; plus une pièce d’étoffe, pour le gouvernement local. Les mandarins prélevaient arbitrairement ce qu’ils jugeaient bon... En 484, le roi ayant décidé que tous les fonctionnaires recevraient un traitement fixe, il imposa en plus au peuple, trois pièces d’étoffe et vingt-neuf boisseaux de grain pour le gouvernement général, deux pièces d’étoffe pour le gouvernement local. Défense absolue, aux mandarins, de s’approprier désormais chose quelconque. Peine de mort, pour celui qui aurait détourné la valeur d’une pièce d’étoffe, ou extorqué quoi que ce fût. Pour montrer qu’il tenait à son édit, T’oûo-pa houng fit exécuter une quarantaine de préfets concussionnaires, et le gouverneur de province Lì houng-tcheu, homme très en vue, allié aux plus grandes familles... Pour tous les autres péchés des mandarins, T’oûo-pa houng était très indulgent. Il les graciait volontiers, ou commuait leur peine, si bien qu’il n’y eut plus guère chaque année, que cinq à six exécutions de ces gens-là. En 485, édit de T’oûo-pa houng contre la magie. « Les pratiques magiques, dit-il, inventées durant la décadence des Ts’iên-Hán par de vulgaires imposteurs, sont p.1157 mauvaises, perverses, et en contradiction avec les livres classiques de la 87 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. nation. J’ordonne donc que tous les livres de magie soient brûlés. Ceux qui les conserveront, seront punis comme grands criminels... Je défends de même toute sorte de divination, spécialement la divination privée clandestine, par la tortue et par l’achillée, car cela aussi est contraire à la doctrine des livres classiques. Encore en 485, un certain Lì nan-cheu présenta un mémoire, dans lequel il attribuait la misère croissante du peuple, à la multiplication excessive des grandes propriétés. Le mémoire concluait à la division de toutes les terres en lots, qu’on confierait aux agriculteurs, de manière à en tirer le plus grand rendement possible. La douairière Fông donna son approbation au projet utopique suivant : Chaque homme marié, âgé de plus de 15 ans, recevrait 40 acres ; chaque femme mariée, recevrait 20 acres de terre. Les esclaves seraient nourris par leurs maîtres. Tout agriculteur qui élevait un bœuf, recevait 30 acres de plus. S’il élevait quatre bœufs, il recevait un lot familial double (120 acres). Tous les lots étaient doublés, dans les districts où la terre était peu productive (où il fallait la laisser en jachère deux ans sur trois, dit le texte). Les terres ne seraient plus la propriété des tenanciers. Confiées à l’homme devenu adulte, elles devaient être restituées à l’État par le vieillard, et reconfiées à d’autres familles... Il arriva à l’auteur de ce projet agraire, ce qui est arrivé depuis à tous ses inconscients imitateurs. Son factum fut logé dans un carton, ce qui le rendit inoffensif, et permit aux humains de continuer leurs labours. En 486, un autre utopiste, Lì-tch’oung, proposa d’introduire dans le royaume de Wéi, le système antique de surveillance mutuelle, par groupes de cinq familles (p. 162). La douairière Fông approuva, et le projet eut autant d’effet que le précédent. La même année, p.1158 les Wéi se chinoisant de plus en plus, introduction de cinq babioles honorifiques, robes de cour, jaquette rouge, breloques, rubans grands et petits. Érection d’une salle du trône, fondation d’une école des nobles, etc. Division du royaume en 38 préfectures, dont 25 au sud du Fleuve Jaune, et 13 au nord. En 487, sécheresse, famine, épidémies, épizooties dans le Nord. Quand les greniers publics furent vides, le gouvernement permit gracieusement aux 88 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. affamés d’aller mendier dans les provinces plus fortunées. Les mendiants étaient munis de passeports, assistés sur les routes, protégés là où ils séjournaient. Cette famine fut aussi l’occasion des mesures suivantes : Licenciement de toutes les ouvrières du harem, autres que les tisseuses (travaux d’art inutiles, broderie, brocart, gaze, etc.) ; on les maria à des célibataires trop pauvres pour pouvoir acheter une femme. Vente de toutes les provisions du gouvernement, bijoux, costumes, meubles, armes, étoffes, etc., au bénéfice des petits officiers, artisans et marchands, qui mouraient de faim ; le strict nécessaire fut seul conservé. En 490, mort de la douairière Fông de Wéi. Son fils T’oûo-pa houng en conçut un tel chagrin, qu’il passa cinq jours entiers sans prendre même une cuillerée de nourriture ou de boisson. Cette piété filiale excessive déplut aux censeurs. — D’après les Sages, dirent-ils, le deuil ne doit pas nuire à la santé. N’éteignez pas votre race, en voulant être plus pieux que les Sages !.. Converti par ce discours, le roi prit désormais un potage par jour. Édifiant ! @ Culte des Wéi... En 491, la pluie ne tombant pas, les officiers demandèrent au roi de prier tous les Chênn. Le roi répondit : — Jadis, dans un cas semblable, T’āng le Victorieux (p. 58) obtint que la pluie tombât, en s’amendant lui-même, non en priant les Monts et les Fleuves. Je me garderai bien p.1159 d’augmenter la misère générale, en faisant offrir des sacrifices de-ci de-là (courses et frais). Je vais tâcher de profiter des avertissements du Ciel, en m’amendant moi-même. Cette même année, T’oûo-pa houng régla l’ordre définitif des tablettes, dans le temple de ses Ancêtres. Il fut décidé que T’oûo pa koei jouirait du privilège des fondateurs de lignée, c’est-à-dire que sa tablette, placée au centre, serait honorée à perpétuité. T’oûo-pa tao et T’oûo pa houng (le moine), furent placés en tête des deux séries de droite et de gauche. 89 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Encore en 491, T’oûo-pa houng révisa le culte officiel. Jusque-là, au premier jour faste de la première lune, sous une tente dressée dans la cour du palais, et ornée de branches de thuya (souvenir de la vie nomade), les rois de Wéi avaient sacrifié aux tablettes des Cinq Tí, puis jeté les sorts, afin d’obtenir des renseignements sur l’avenir de leur dynastie. T’oûo-pa houng abolit ces usages, comme déraisonnables... Il transporta aussi ailleurs le fameux tertre de Lào-tzeu, si cher à son aïeul T’oûo-pa tao (p. 1113), et changea son titre Tertre du Táo au sobriquet Culte du Vide... Il déclara, par un édit spécial, que, faire chaque année des offrandes comestibles aux Chênn de plus de 1200 lieux saints, était une charge exorbitante qu’il fallait diminuer. L’Histoire ne dit pas comment on exécuta cette opération... Jusquelà, le roi avait salué le soleil au matin de l’équinoxe printanier, et la lune au soir de l’équinoxe automnal ; le soleil à l’est, la lune à l’ouest. T’oûo-pa houng observa judicieusement que, la course de la lune étant variable, ce système obligeait parfois le roi à la saluer à l’ouest, quand elle était à l’est, ou même quand elle n’était pas visible. Il fut donc décidé, que le soleil serait salué le premier jour du mois dans lequel tomberait l’équinoxe printanier (la lune obscurcie étant alors censée p.1160 absente), et la lune au troisième jour du mois de l’équinoxe automnal, le croissant redevenant alors visible... Les sacrifices du temple des Ancêtres, qui s’étaient toujours fait durant le second mois de chaque saison, furent fixés au premier jour faste du premier mois de la saison... Jusque-là, chaque année lors du sacrifice au Ciel dans le faubourg de l’Ouest (usage des Wéi), le roi avait observé le rituel suivant : Avant le jour, à cheval, armé de pied en cap et suivi de vingt cavaliers, le roi faisait le tour du tertre. Puis, le jour venu, mettant pied à terre, il gravissait armé le tertre, et offrait le sacrifice. Enfin, remontant à cheval, il refaisait le tour du tertre. On appelait cette cérémonie, faire le tour du ciel. T’oûo-pa houng l’abolit. Nous ne sommes pas au bout ; vraiment l’activité rituelle fut exubérante en cette année 491. Au neuvième mois, pour l’anniversaire du décès de sa mère, T’oûo-pa houng passa la nuit dans son temple, en grand deuil, pleurant avec ses officiers, Le lendemain, au jour, il sacrifia à ses mânes, puis sortit du temple, se lamenta encore longuement, puis se retira... Au dixième mois, 90 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. même exhibition de douleur, cette fois au point qu’il en tomba malade.. Le ministre Móu-leang fit des représentations. — Les rois, dit-il, sont les Fils du Ciel et de la Terre, les Père et Mère du peuple. Vous agissez contre les intérêts de vos parents, en ruinant votre corps.. Quittez le deuil, nourrissez-vous bien, fréquentez vos femmes, faites plaisir au Ciel et au peuple !.. Le roi répondit : — La piété filiale parfaite, obtient toute prospérité. Or les temps sont mauvais. Ma piété est donc imparfaite, et ceux qui la trouvent excessive, me mentent... Au onzième mois, nouveau sacrifice, à la tombe de sa mère. Item, au solstice d’hiver ; puis sacrifice au temple des Ancêtres, et banquet de gala donné aux officiers ; les musiciens présents ne jouèrent pas de leurs instruments ; dernier signe du deuil... Avant le p.1161 nouvel an, translation des Tablettes des Ancêtres dans un temple neuf, et réception officielle du Printemps dans le faubourg oriental. En 492, T’oûo pa houng sacrifia au Souverain d’en haut, et à son père le moine ; puis il monta à la tour des observations célestes, pour considérer les nuées et les émanations. C’est avec amour que l’Histoire enregistre ces choses, pour montrer comment les Wéi se chinoisèrent petit à petit. Restait à déterminer par la vertu de quel élément (p. 19) la dynastie des T’oûo-pa régnait. Cette grave question fut longuement discutée dans le conseil. Enfin la lumière se fit. On découvrit que les Wéi régnaient par la vertu de l’eau. Nous verrons, en son temps, qu’on dut y revenir... On découvrit aussi que les Wéi descendaient de Hoâng-ti. De plus en plus Chinois, T’oûo-pa houng ordonna des offrandes officielles régulières à Yâo, Choúnn, Ú le Grand, au Duc de Tcheōu, à Confucius. Lui-même sacrifia au Maître, et lui conféra le titre de Illustre Sage Père Nî (p. 139). La même année, banquet officiel offert aux vieillards. Au neuvième mois, lors de l’anniversaire de sa mère, T’oûo-pa houng hurla devant sa tombe, durant tout un jour, sans aucune interruption, et resta deux jours entiers sans prendre aucune nourriture. 91 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. T’oûo-pa houng n’aimait pas sa capitale P’îng-tch’eng (11), où il neigeait parfois encore au sixième mois, et où les tempêtes de poussière faisaient rage. Il désirait s’établir au sud du Fleuve, à Láo-yang ; mais les ministres y consentiraient-ils ? Il recourut à l’expédient des sorts (p. 61). Le Grand Cérémoniaire T’oûo pa tch’enn, dûment stylé, consulta l’achillée. Celle-ci indiqua complaisamment le diagramme keûe. La question est résolue, dit T’oûo-pa houng. C’est ce diagramme que T’âng le Victorieux (fondateur des Yīnn) et Où-wang (fondateur des Tcheōu) tirèrent avant leurs glorieuses p.1162 entreprises. Le Ciel est pour moi. Le transfert de la capitale sera pour le plus grand bien du peuple. Il ne se peut rien de plus faste ! @ Constatons que nous n’avons rien eu à dire, jusqu’ici, de l’empereur Où. En 491 il prit une mesure, qui jette de la lumière sur la manière dont on entendait pratiquement le culte des morts. Il décida, par décret, le menu qu’on servirait désormais à chacun de ses Ancêtres, lors des offrandes des quatre saisons. L’aïeul eut des galettes et un consommé de canard ; l’aïeule, des pousses de bambou et des œufs de cane. Le père reçut un hachis de viande et un potage aux herbes ; la mère, du thé avec croquignoles et du poisson frit. Car, dit le texte, c’est là ce qu’ils avaient aimé de leur vivant. Cette explication est à noter. Cette même année l’empereur vit en songe son aïeul, qui lui dit : — Les empereurs Sóng (dont nous avons détruit la dynastie et fait cesser les sacrifices), m’obsèdent dans mon temple, me demandent à manger et volent mes offrandes ; fais en sort que j’obtienne ce qui me revient. L’empereur ordonna donc de sacrifier aux quatre saisons, aux anciens empereurs Sóng, au berceau de leur famille, avec les rites des sacrifices privés. En 493, mort du prince impérial. L’empereur Où le suivit dans la tombe la même année, après un règne de 11 ans, à l’âge de 54 ans. Siáo tchao-ie fils du prince impérial, lui succéda. @ 92 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Siáo tchao-ie et Siáo tchao-wenn, 493, 494. @ Le nouvel empereur était arrogant, fourbe, et profondément dépravé. Il vécut, mangea, coucha, avec une bande de mignons. En 494, un neveu du fondateur de la dynastie, Siáo-loan, pénétra en armes dans le palais. Siáo tchao-ie n’ayant pas réussi à se tuer, s’enfuit, fut massacré dans la rue, puis enterré sommairement. Tous ses mignons furent p.1163 exécutés. Par ordre supposé de la douairière, Siáo-loan mit sur le trône Siáo tchaowenn, le frère du défunt, un enfant. Affaire de pouvoir, comme Tuteur, supprimer les princes du sang qui auraient pu le gêner. Quand cette besogne fut faite, sur un nouvel ordre pareillement supposé de la douairière, Siáo-loan supprima Siáo tchao-wenn, et s’installa sur le trône. @ 93 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Mîng, 494 à 498. @ En 493, T’oûo-pa houng était parti en guerre contre l’empire, avec une armée de 300 mille fantassins et cavaliers. Arrivé à Láo-yang, il alla voir, dans l’ancienne école impériale, le texte des livres classiques gravé sur pierre par Tsái-young (p. 772). Il voulut ensuite pousser en avant, quoiqu’on fût à la saison des pluies. Tous ses conseillers étaient contre. Le roi tint bon et sortit à cheval, tout armé et la cravache en main, pour se mettre à la tête des colonnes. Les officiers se prosternèrent devant son cheval, et lui barrèrent le passage, en disant : — Tout le royaume désapprouve votre expédition ; nous osons vous le dire, au péril de notre vie ; veuillez retourner à P’îngtch’eng, en attendant qu’on ait fait à Láo-yang les aménagements nécessaires... Le roi dut obéir. A P’îng-tch’eng, en 494, les ministres cherchèrent encore à lui faire abandonner son dessein. T’oûo-pa p’ei dit : — Le transfert de la capitale est chose si grave, que vous devriez la soumettre à nouveau à la décision de la tortue et de l’achillée (cf. p. 1161). Il est probable que les ministres avaient gagné les devins. T’oûo-pa houng devina le piège. — Sous les Tcheōu (p. 79), dit-il, il y avait des Sages capables de faire parler les sorts ; maintenant personne n’a plus ce talent ; alors à quoi bon consulter la tortue et l’achillée ? D’ailleurs, on ne consulte les sorts que sur les choses douteuses ; or les avantages du transfert de la capitale à Láo-yang p.1164 sont évidents. Mes ancêtres sont venus à P’îng-tch’eng, des steppes du Baïkal, par trois déplacements successifs (p. 856) ; moi, leur successeur, pourquoi n’aurais-je pas le droit d’en faire un quatrième ?... 94 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. La résolution du roi étant inébranlable, les ministres ne dirent plus rien. Quand l’hiver fut venu, T’oûo-pa houng confia l’ancienne capitale à la garde de T’oûo-pa p’ei. Lui-même alla annoncer son départ aux Tablettes des Ancêtres, chargea T’oûo-pa young de convoyer ces Tablettes à la nouvelle capitale, puis se mit en route. Un mois plus tard, à Láo-yang, T’oûo-pa houng chargea Ù-wenn fou d’installer dans la vallée de la Láo (16) un haras royal. A ce propos, l’Histoire donne quelques détails sur l’élevage en ce temps-là. T’oûo-pa tao entretenait, dans ses pacages des Nân-chan, deux millions de chevaux, un million de chameaux, des bœufs et des moutons en si grand nombre qu’on ne le comptait pas. Les pacages de la Láo furent installés de manière à avoir là, sous la main, cent mille chevaux de guerre. On y amena, des Nân-chan, les étalons et les juments, par petites étapes, pour les habituer graduellement à l’eau et au fourrage de leur nouvel habitat. D’abord très prospère, ce nouveau haras fut dévalisé et détruit par une bande de rebelles, vers 520. T’oûo-pa houng prit prétexte de l’usurpation de Siáo-loan, pour déclarer la guerre à l’empire. Ses armées envahirent l’entre-deux du Hoâi et du Fleuve Bleu (34). T’oûo-pa yen investit Tchoūng-li, mais fut repoussé avec perte par le commandant Siáo hoei-hiou. Les généraux Liôu-tch’ang et Wâng-sou investirent Í-yang, dont le commandant Siáo-tan tint bon. T’oûo-pa houng s’établit à Cheóu-yang (31), avec une armée de 300 mille hommes. Durant les marches, quand il pleuvait, il faisait enlever le toit de sa voiture, pour n’être pas mieux p.1165 protégé que ses hommes. Il visitait et consolait lui- même les officiers et les soldats malades. Le pays ne souffrit aucunement de son passage, tant la discipline de son armée était stricte. Ayant ensuite passé le Hoâi, il investit Tchoūng-li, pour la seconde fois. Le général impérial Ts’oēi hoei-king s’avança au secours de cette place... Liôu-tch’ang et Wâng-sou assiégeaient toujours Í-yang avec 200 mille hommes. Ils l’avaient entourée d’une triple enceinte de fossés et de palissades. Le général impérial Siáo-yen parvint, par une marche de nuit hardie, jusqu’en vue de la place. Les assiégés l’ayant aperçu, firent une sortie et mirent le feu aux palissades. Les Wéi levèrent le siège. Ils furent poursuivis et battus par Siáo-yen. 95 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Dans cette campagne (495), ils eurent le dessous partout. Profitant du prétexte d’un deuil, T’oûo-pa houng se retira, après avoir envoyé ses hérauts crier, sur les bords du Fleuve Bleu, les péchés de l’empereur. Exploit plus facile qu’une bataille. On ne dit pas si les poissons en furent impressionnés. Il y avait alors, à la cour des Ts’î, un ambassadeur nommé Lôu-tch’ang, précédemment envoyé par T’oûo-pa houng. Quand la nouvelle de la retraite des Wéi fut arrivée, les Ts’î se payèrent aussi un exploit facile. Ils ne donnèrent plus à l’ambassadeur que des fèves bouillies. Celui-ci les mangea, sans mot dire, par peur. Son assesseur Tchāng seu-ning, plus brave, protesta et fut mis à mort. Plus tard, quand Lôu-tch’ang fut revenu auprès de T’oûo-pa houng, celui-ci lui dit : — Ne te faudra-t-il pas mourir tôt ou tard ? Alors pourquoi t’es-tu laissé traiter comme un bœuf ou un cheval, à ta propre honte et à la honte de ton pays ? Pourquoi n’as-tu pas fait comme Sōu-ou (p. 482) ou comme Tchāng seu-ning ?.. Cela dit, il le dégrada. En revenant de cette expédition, p.1166 T’oûo-pa houng visita le tombeau de Confucius, lui fit des offrandes, et donna des charges à quatre membres de la famille du Sage, et à deux membres de la famille de sa mère. Il décida que désormais un descendant de Confucius porterait le titre de Marquis Vénération du Sage, et serait chargé des offrandes à son aïeul. Par ordre du roi, la tombe du Sage fut mise en meilleur état, et ornée de stèles neuves. T’oûo-pa houng rêvait de chinoiser complètement ses Tongouses. Une fois installé à Láo-yang, il imposa aux fonctionnaires l’usage de la langue chinoise et du costume chinois ; langage et costume tongouses furent prohibés, sous peine de dégradation. Il fit savoir partout qu’il récompenserait libéralement ceux qui lui procureraient des livres rares. Il imposa aux Wéi les mesures chinoises de la dynastie Hán. Il se donna une garde de 150 mille hommes. Il établit à la capitale une Grande École et quatre petites écoles. 96 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Vers la fin de l’an 495, comme il discutait avec des lettrés sur le cérémonial des sacrifices au Ciel, Lì-piao dit : — Quand ceux de Lòu font des offrandes au Souverain d’en haut, ils en font préalablement à Confucius ; faites comme eux, et allez à son temple, la veille du sacrifice au Ciel... Le roi adopta cette motion. En 496, T’oûo-pa houng découvrit que sa famille régnait, non par la vertu de l’eau, comme on avait cru en 492, mais par la vertu de la terre. Or la terre est jaune et elle est yuân le principe de toutes choses. T’oûo-pa houng donna donc à sa dynastie le nom de Yuân, et adopta le jaune comme couleur royale. Pour plaire au maître, les principaux officiers, les grandes familles, s’affublèrent aussi de noms de famille chinois. Une sécheresse persistante désolant le pays, le roi jeûna. Il avait passé trois jours entiers sans prendre aucun aliment, quand les grands officiers lui demandèrent une audience. Le roi était p.1167 si faible, qu’il dut s’excuser de les recevoir... — Faites savoir au roi, dit Wâng-sou, qu’il a plu partout abondamment, excepté dans le district de la capitale. Parmi le peuple, personne ne s’est privé même d’un seul repas, et voilà que le roi est resté à jeun durant trois jours entiers. Ministres et officiers, nous craignons tous pour sa santé... Le roi leur fit répondre : — Voilà plusieurs jours que je jeûne, sans avoir encore obtenu la grâce que je sollicite. Il a plu, dites-vous. Je crains que vous ne mentiez, par pitié pour ma personne. Je vais faire prendre des informations. S’il a plu, je mangerai. Sinon, pourquoi vivrais-je ? Je dois à mon peuple, jusqu’au sacrifice de ma vie... Le soir du jour où le roi fit cette réponse, il plut abondamment dans tout le district de la capitale. A ses heures, T’oûo-pa houng le philanthrope était atroce, par raison d’État. Ainsi, en 497, le roi ayant fait reine la dame Fông, et celle-ci ayant 97 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. adopté le petit T’oûo-pa k’iao, la dame Kāo, mère de cet enfant, fut aussitôt supprimée. En 497, T’oûo-pa houng tenta une nouvelle expédition contre l’empire. Ayant mobilisé 300 mille hommes, il envahit la vallée de la Hán (54). Hân siou-fang et une quinzaine de commandants impériaux, capitulèrent lâchement. En 498, les Wéi prirent Yuàn (54). Les choses en restèrent là. T’oûo-pa houng fut un guerrier plus que médiocre. En 497, Mà-jou roi de Tourfan (t), dont le trône branlait, pria T’oûo-pa houng de lui donner asile sur ses terres. Celui-ci prenait ses dispositions pour l’établir dans le territoire de Khami (i), quand les sujets de Mà-jou, peu disposés à déménager, le tuèrent et se donnèrent pour roi un certain K’iū-kia, lequel s’allia aussitôt avec les Jeóu-jan (Avars), ennemis héréditaires des Wéi. En 498, T’oûo-pa houng ayant requis ses alliés les Kāo-kiu (Sarmates) de l’aider p.1168 contre l’empire, effrayés par la distance, ceux-ci rompirent avec lui et se retirèrent vers le nord. Le roi envoya contre eux le général Ù-wenn fou, lequel se fit battre. Alors T’oûo-pa houng qui revenait de son expédition contre l’empire, marcha en personne vers le nord. Il tomba gravement malade. T’oûo-pa hie sauva la situation par sa calme confiance, soignant le malade et commandant les troupes simultanément. A l’instar du Duc de Tcheōu (p. 73), ayant fait élever un tertre au bord de la rivière Jòu, il adjura le Ciel la Terre et les Ancêtres, demandant à mourir à la place du roi. Celui-ci se rétablit assez pour qu’on pût le transporter à Íe (20). Là T’oûo-pa ki représenta que, si l’on exaspérait les Kāo-kiu, il serait ensuite très difficile de se raccommoder avec eux ; qu’il vaudrait donc mieux leur faire des conditions bénignes ; n’exiger, par exemple, comme réparation, que la tête d’un seul personnage notable, et pardonner à tous les autres... Ainsi fut fait ; et tout le monde fut content, excepté le décapité, j’imagine. Pour ce qui est de l’empereur Mîng tout ce que l’Histoire trouve à en dire c’est qu’il était avare au point de mettre de côté lui-même, à son dîner, des morceaux de pâté ou de dessert, qu’il se faisait resservir à son souper... Étant tombé gravement malade en 498, il se prépara à mourir, en tuant et en assassinant. Il restait dix princes du sang, chefs de familles, descendants de 98 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ses deux prédécesseurs. Craignant qu’il ne cherchassent à supplanter son fils, l’empereur résolut de les supprimer tous. Le Grand-Juge Tch’ênn hien-ta n’ayant pas accepté cette besogne, il la proposa à Siáo yao-koang. Celui-ci demanda seulement qu’on procédât systématiquement, par coupe réglée. Il eut, avec l’empereur, une série de conférences nocturnes. Quand, à l’issue de la conférence, l’empereur brûlait de l’encens p.1169 et se lamentait piteusement, le lendemain, sans faute, quelques princes du sang passaient de vie à trépas. Enfin, la mort de l’empereur étant imminente, Siáo yao-koang extermina en bloc les dix-huit princes survivants. Tous les collatéraux furent éteints, avec leurs familles. Après leur mort, les officiers les accusèrent juridiquement de crimes imaginaires, et demandèrent leur exécution. Le comble, c’est que l’empereur refusa, par humanité, et n’accorda enfin ce qui était déjà fait, et fait par son ordre, que bien à contre-cœur, après bien des instances. Comédie macabre ! Durant tout son règne, remarque l’Histoire, l’empereur Mîng ne sacrifia jamais au Ciel. Par contre, il fit des superstitions sans nombre. Avant chaque sortie du palais, il faisait jeter les sorts. Pour dérouter les Koèi malins, quand il allait à l’est, il faisait annoncer qu’il irait à l’ouest ; quand il allait au sud, il faisait annoncer qu’il irait au nord. Il mourut au septième mois de l’an 498, âgé de 40 ans, nommant par testament Sû hiao-seu tuteur de son fils. Celuici, qui s’appelait Siáo pao-kuan, monta sur le trône. Digne fils d’un tel père, il commença par trouver que le cercueil paternel le gênait, et voulut le faire enterrer de suite. Le tuteur eut beaucoup de peine à le faire patienter jusqu’à la fin du premier mois du deuil. Chaque fois qu’il fallait pleurer, Siáo pao-kuan était pris d’un mal de gorge de circonstance. Quand le conseiller Yâng-chan vint se lamenter devant le cercueil de son maître, tête découverte, selon les Rites... à la vue de son crâne chenu... — Est-il drôle, ce vieux chauve l s’écria Siáo pao-kuan, en éclatant de rire. @ 99 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Siáo pao-kuan, 499 à 501. @ Il ne reçut pas de titre posthume. Revenu à Láo-yang, T’oûo-pa houng demanda au gouverneur T’oûo-pa teng : — Tout va-t-il bien ici ?.. — Grâce à votre influx transcendant, tout va bien, dit p.1170 le gouverneur... — Alors comment se fait-il, dit le roi, que j’aie vu, dans la ville, des femmes qui allaient en voiture, et d’autres qui portaient des chapeaux et des robes courtes ? Et vous dites que tout va bien ?.. — Celles qui commettent ces abus, sont en petit nombre, dit le gouverneur... — Voilà une mauvaise parole, dit le roi. Je vous avais fait gouverneur, pour qu’il n’y en eût pas une seule... T’oûo-pa teng se prosterna et demanda pardon. Durant l’absence du roi, la reine Fông s’était mal conduite. Il fut prouvé qu’elle avait des relations avec un certain Kāo p’ou-sa. Pour éviter le scandale, le roi permit à la reine de se retirer, à la manière des veuves. Il lui conserva son rang, mais défendit au prince royal de la visiter désormais. Son père Fông-hi avait eu trois filles. Deux furent impératrices, la troisième fut concubine. Grâce à la faveur de ses filles, Fông-hi devint GrandDuc. Ses fils remplirent tous de hautes charges... — Prenez garde, dit Ts’oēi-koang, à Fông-u, l’un d’entre eux ; le bonheur appelle le malheur ; c’est l’ordre constant du Ciel et de la Terre ; vous finirez mal... La disgrâce de la reine réalisa cette prédiction ; les Fông finirent tous misérablement. 100 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cependant T’oûo-pa houng ne relevait pas de sa longue maladie. T’oûo-pa hie lui prodiguait les soins les plus assidus, ne le quittant pas, préparant les remèdes, goûtant les aliments, ne se peignant pas, ne se lavant pas le visage, ne changeant pas de linge, ne dénouant pas même sa ceinture ; accomplissant, en un mot, tout ce que les Rites exigent du fils pieux dont le père est malade. Le roi l’ayant nommé Généralissime, T’oûo-pa hie refusa, alléguant que cette charge était incompatible avec ses fonctions de gardemalade... — Je sens que je ne guérirai pas, dit T’oûo-pa houng. Or la charge de Généralissime est la plus importante, pour la paix et l’ordre du royaume, durant la vacance du trône ; voilà pourquoi je vous en ai investi. Et il le p.1171 nomma de plus Grand Directeur, lui mettant ainsi tout le pouvoir entre les mains. — La maladie s’aggravant toujours, T’oûo-pa houng dit à T’oûo-pa hie : — Je vais mourir. Notre pouvoir n’est pas bien affermi. Mon fils est bien jeune. Je vous charge de tout... T’oûo-pa hie eut beau protester et s’excuser. T’oûo-pa houng appela son fils, et lui dit en désignant T’oûo-pa hie : — Après ma mort, tu obéiras en tout à cet homme fidèle. Tu obligeras la reine Fông à se suicider, et tu l’enseveliras avec moi... Cela dit, T’oûo-pa houng mourut (499). T’oûo-pa k’iao monta sur le trône. Conformément au testament de son père, il ordonna aussitôt à la douairière de se suicider. Puis il anoblit la victime de cette reine (p. 1167), sa propre mère, la dame Kāo. L’Histoire qui a pour T’oûo-pa houng un faible évident, fait de lui le panégyrique suivant : Il aima toujours beaucoup tous ses frères. Il leur disait souvent : après ma mort, si mes fils tournent mal, que quelqu’un de vous me succède ; pourvu que le trône reste dans notre famille, peu m’importe qui l’occupera... Il aimait et s’attachait les hommes sages et habiles. Il faisait le bien, naturellement, spontanément, 101 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. comme l’eau suit une pente. D’une activité prodigieuse, il ne se donnait aucun repos, depuis le matin jusqu’au soir. Très exigeant pour les officiers dans les choses de conséquence, il fermait volontiers les yeux sur leurs petits méfaits. Très pieux, il fit toujours en personne les sacrifices au Ciel et aux Ancêtres. Quand il allait en tournée, il dispensait le peuple de mettre à neuf la route par laquelle il devait passer, exigeant seulement qu’on vérifiât la solidité des ponts. Durant ses campagnes contre l’empire au sud du Hoâi, il fit observer à ses troupes la même discipline que dans son propre royaume ; défense de fouler les moissons, de couper aucun arbre. Il ne faisait réparer les bâtiments de son palais, que quand ceux-ci tombaient en ruines, et p.1172 n’y ajouta jamais rien. Il faisait laver ses robes salies, et les remettait. Jamais il ne permit d’employer, pour ses selles et ses harnais, d’autres matériaux que le bois et le fer. Vigoureux et alerte, dans son adolescence il avait beaucoup aimé la chasse ; il y renonça soudain absolument, à l’âge de quinze ans, pour se donner tout entier à l’étude et au gouvernement. C’est une bonne chose, disait-il souvent, que les Annalistes écrivent tout ce que font les Souverains, sans que ceuxci puissent les empêcher de dire la vérité ; c’est là un frein salutaire, pour les empêcher de mal faire. @ Parlons maintenant de l’empereur. Celui-là, l’Histoire ne le flatte pas. Alors qu’il n’était encore que prince impérial, dit-elle, Siáo pao-kuan montrait déjà un très mauvais naturel. Il détestait l’étude et n’aimait qu’à jouer. Quand il fut empereur, écartant les officiers, il se livra tout entier aux eunuques. Il installa, dans le palais, une sorte de cirque ou d’hippodrome. Il se couchait le matin, dormait le jour, et se levait le soir. Le tuteur Sû hiao-seu et ses assesseurs l’ayant repris, il les fit tous mettre à mort. Les autres officiers se le tinrent pour dit, et ne cherchèrent plus qu’à conserver leur vie. Cependant l’ex-Grand Juge Tch’ênn hien-ta, que nous avons appris à connaître (p. 1168), tenta un coup de main sur la capitale, pour détrôner ce prince indigne. Il échoua et fut tué. Ce succès mit le comble à l’insolence de 102 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Siáo pao-kuan. Las des plaisirs du palais, il se mit à flâner dehors. Il ne se contenta pas de faire fermer les portes et les fenêtres sur son passage ; il exigea que toutes les maisons fussent évacuées. Ses gardes y entraient, frappaient ou tuaient les personnes qui y étaient restées. Comme il sortait une vingtaine de fois par mois, sans avis préalable, ordinairement la nuit à la lueur des torches, la vie devint impossible au peuple p.1173 de la capitale, qui ne put plus célébrer ni noces ni funérailles, ni assurer le repos des femmes en couches et des mourants. Un jour, dans un faubourg, une femme enceinte n’ayant pas pu fuir, Siáo pao-kuan la fit éventrer, pour voir si l’enfant qu’elle portait était un garçon ou une fille. En l’an 500, las d’avoir à obéir à un être pareil, le gouverneur impérial P’êi chou-ie livra aux Wéi les pays au sud du Hoâi, que T’ouo-pa houng avait vainement tenté de conquérir. Siáo pao-kuan envoya contre les Wéi le général Ts’oēi hoei-king, avec une flotte qui devait passer du Fleuve Bleu dans le Hoâi. Ts’oēi hoei-king lui aussi en avait assez d’un pareil maître. Quand il eut dépassé Koàng-ling (n), il rassembla ses officiers et leur dit : — Notre jeune empereur est une bête féroce. L’empire va à sa perte. Son salut dépend de la résolution que nous allons prendre. Je songe à le sauver, avec vous. Qu’en pensez-vous ?... Tous les officiers ayant applaudi à ce pronunciamento, Ts’oēi hoei-king revint aussitôt sur ses pas, et occupa Koàng-ling, dont le gouverneur Ts’oēi koungtsou fit cause commune avec lui. Ensuite, ayant passé le Fleuve Bleu pour marcher contre la capitale, Ts’oēi hoei-king envoya offrir le trône au prince Siáo pao-huan, frère de l’empereur. Celui-ci décapita ostensiblement l’envoyé, mais accepta sous main. Arrivé à Kién-k’ang, Ts’oēi hoei-king mit le siège devant le palais. Cependant le gouverneur impérial Siáo-i reçut avis de la révolte. Il était à table. Jetant ses bâtonnets, il se leva en sursaut, et courut à la capitale avec ses troupes. Ts’oēi hoei-king dut déguerpir et fut tué dans sa fuite. Siáo pao-huan fut arrêté et mis à mort par ordre de son frère. Mais les Wéi conservèrent le sud du Hoâi, dont les impériaux ne réussirent pas à les déloger. Cette aventure n’améliora pas Siáo pao-kuan. On conseilla à Siáo-i de le détrôner. Ce brave homme n’en voulut 103 p.1174 rien faire. Les mignons de Textes historiques. II.a : de 420 à 906. l’empereur, que la présence de Siáo-i gênait, insinuèrent à Siáo pao-kuan que son sauveur reluquait son trône. Celui-ci leur prêta l’oreille. Un ami conseilla à Siáo-i de pourvoir à sa sûreté. — Bah ! dit-il, il me faudra mourir tôt ou tard... Pour prix de ses services et de sa fidélité, Siáo pao-kuan lui fit servir le breuvage classique. A la nouvelle de sa mort, son frère cadet Siáo-yen se révolta à Siāng-yang (s). Siáo pao-joung, un frère de l’empereur, en fit autant à Kiāng-ling (l). En 501, Siáo-yen descendit le long de la Hán. Le troupes impériales envoyées contre lui s’étant débandées au premier choc, il prit Yìng-tch’eng (o). Au commencement du siège, cette ville contenait cent mille hommes. Quand elle capitula, il en restait vingt mille, 80 mille hommes étant morts de maladie... Poursuivant ses succès, Siáo-yen enleva Sûnn yang (c), puis marcha droit à la capitale. Il y arriva au dixième mois, s’établit dans la forteresse Chêu-t’eou, entoura Kién-k’ang d’un mur de circonvallation, et la bloqua étroitement. Le danger ne rendit pas Siáo pao-kuan plus sérieux. Il continua à dormir le jour et à courir la nuit. La garnison de la capitale se montait à 70 mille hommes. Tous leurs assauts contre le mur de circonvallation furent repoussés. L’avarice de Siâo pao-kuan les lassa. La désertion en masse se préparait... Les mignons dirent à l’empereur : — Vous devriez mettre à mort, tous ensemble, tous ces ministres et officiers qui vous ont laissé enfermer ainsi. Quelques officiers jugeant l’empereur capable d’accéder à cette requête, résolurent de prendre les devants. Un affidé leur ouvrit la porte du palais, Siáo pao-kuan jouait de la flûte. Il lui coupèrent la tête, l’enduisirent de cire, et l’envoyèrent à Chêu-t’eou, avec l’offre de leur soumission. Siáo-yen députa d’abord un officier, pour mettre, en son nom, les scellés sur le p.1175 trésor, les magasins, les arsenaux et les archives. Il fit ensuite arrêter la fameuse dame P’ān, et la bande des mignons, 41 personnes en tout. Puis, par ordre supposé d’une douairière quelconque (forme légale), Siáo pao-kuan (déjà mort) fut créé Marquis Imbécile, et Siáo-yen fut nommé Grand Maréchal, 104 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. c’est-à-dire dictateur. Il s’occupa aussitôt des prisonniers. La beauté de la dame P’ān l’impressionna... — Cette femme a perdu les Ts’î, lui dit le conseiller Wâng-mao ; si vous la laissez vivre, elle vous en fera autant !.. Siáo-yen ordonna d’égorger la concubine et les mignons, maria à ses officiers deux mille filles du palais, annula les lois vexatoires de Siáo pao-kuan et proclama une amnistie. C’est à cette dame P’ān, que certains font remonter l’usage chinois de bander les pieds des femmes pour les rapetisser, et l’expression kīnn-liên lotus d’or pour désigner les pieds ainsi mutilés. Un jour qu’elle dansait devant l’empereur, sur un parquet incrusté de lotus d’or : Voyez, s’écria Siáo pao-kuan ravi, chacun de ses pas fait éclore une fleur... L’anecdote n’est pas prouvée. D’autres placent l’introduction de cette vilaine coutume beaucoup plus tard, au dixième siècle de l’ère chrétienne, dans un cadre historique à peu près identique. @ 105 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Hoûo, 501 à 502. @ Nous avons dit que Siáo pao-joung, frère de Siáo pao-kuan, se révolta contre lui en l’an 500. C’est lui qui est désigné par ce titre posthume, quoique, en réalité, il n’ait jamais régné. Son nom couvre les quelques mois qu’il fallut à Siáo-yen pour s’emparer du trône en douceur. Toujours au nom d’une douairière invisible, Siáo-yen se nomma Chancelier, puis Duc de Leâng. Il procéda ensuite au nettoyage des princes du sang, et mit à mort les six frères restants de Siáo pao-kuan et Siâo pao-joung, sous des prétextes quelconques. Enfin Siáo-yen se fit Roi de Leâng, le dernier pas avant l’usurpation. Siáo pao-joung lui offrit sa démission. La douairière lui envoya, du fond des coulisses, tous les sceaux de l’empire. Douces violences, dont nous avons déjà vu tant d’exemples, que nous p.1176 ne sommes plus tenus d’y croire. Comédie stéréotypée, toujours invariablement la même, jusque dans les plus petits détails... Siáo-yen monta sur le trône, et nomma Siáo pao-joung roi de Pá-ling... — La clémence est une belle chose, lui dit Chènn-yao, mais qui peut coûter cher... Siáo-yen comprit, il envoya au roi de Pá-ling l’or qui devait servir suicide... — Je préfère le vin, dit cet enfant de 14 ans... Quand il fut parfaitement ivre, le bourreau l’étrangla. Le suicide distingué par l’or (chēng-kīnn, or cru, or métallique), est souvent mentionné dans les livres chinois. La chose est diversement expliquée. Les uns prétendent que le patient aspirait lui-même une feuille d’or, qui l’étouffait par obstruction du larynx ; opération si délicate, que je la juge pratiquement impossible. D’autres disent qu’on lui enfonçait dans le gosier un tampon de feuilles d’or, qui l’étouffait ; ceci me paraît très probable. D’autres pensent qu’il s’agit d’une dose de poison, enveloppée dans une feuille d’or ; interprétation arbitraire. 106 son Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ainsi finirent les Nân-Ts’î, après avoir occupé le trône de Chine durant 23 ans. Quoique membre de la famille Siáo, le nouvel empereur ne jugea pas à propos de continuer le titre dynastique Ts’î. Il donna à sa dynastie le nom Leâng de son apanage. @ 107 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE LEANG. Famille Siáo. 502-556. L’empereur Où, 502 à 549. Carte XIV — @ p.1177 Devenu empereur, Siáo-yen fut simple, presque austère. Il faisait laver ses habits et les remettait. Très sobre, il ne mangeait que des légumes. Il choisissait, pour être officiers, les hommes probes et capables, et les faisait ensuite avancer selon leurs mérites, ce qui porta les aspirants aux charges, à la vertu et à l’application. Il nomma prince héritier son fils Siáo-t’oung. Cet enfant de cinq ans savait par cœur le texte complet des cinq livres canoniques. Siáo pao-yinn, un frère du dernier empereur Ts’î, s’était enfui chez les Wéi. Prosterné en suppliant à la porte du palais de T’oûo-pa k’iao, par le vent et par la pluie, il demandait vengeance contre Siáo-yen, le meurtrier de son frère. T’ouo-pa k’iao le prit à son service, le nomma roi de Ts’î, le traita bien, lui confia le commandement de dix mille hommes, et lui promit une expédition punitive pour l’hiver suivant. Tout à sa douleur et à sa vengeance, Siáo pao-yinn passait les nuits à se lamenter, ne mangeant pas de viande, ne buvant pas de vin, vêtu de deuil, maigre hâve et ne riant jamais. En 503, sixième mois, ordre de mobilisation. Au dixième mois, les Wéi envahissent les pays au sud du Hoâi. Yuân-ying assiège Í-yang, qui résiste bravement. Le général impérial Kiāng k’ing-tchenn le tourne, et essaie de surprendre Cheóu-yang (près 32) sur le Hoâi, dont le gouverneur T’oûo-pa teng était absent. Il avait compté sans Madame. Celle-ci (née Móng) se mit à la tête de la garnison, la harangua, et fit, durant toute l’action, le tour des remparts, sans crainte des traits ni des pierres. Siáo pao-yinn étant arrivé avec son corps de troupes, battit Kiāng k’ing-tchenn p.1178 et débloqua la place. Alors Í-yang capitula et se rendit aux Wéi, qui en restèrent là, pour cette fois. 108 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ici l’Histoire place le trait de piété filiale suivant : Un certain Kî, mandarin gouvernant un hién, ayant été accusé faussement par des officiers qu’il avait punis, fut livré au Grand-Juge et condamné à mort. Son fils Kî-fenn âgé de 15 ans, battit le tambour de requêtes (p. 31), et demanda à mourir à la place de son père. Le voyant si jeune, l’empereur soupçonna qu’on lui avait fait la leçon, et chargea un juge de l’examiner... — Quoique je sois très jeune, dit Kî-fenn, je sais fort bien que la mort est une chose redoutable. Le motif qui m’a poussé à faire ma demande, c’est que je ne saurais voir supplicier mon père. J’aime mieux mourir à sa place. Ma pétition est réfléchie. Personne ne me l’a suggérée.. Le juge lui tendit tous les pièges possibles ; Kî-fenn ne se coupa pas. Enfin le juge en référa à l’empereur, qui fit grâce au père... Le préfet de Tān yang, sa patrie, voulut honorer la piété filiale de Kî-fenn. — Vous m’étonnez, Ô préfet, dit l’enfant. N’est-ce pas le devoir d’un fils, de ne pas survivre à son père disgracié ? Ne serait-il pas honteux pour moi, de vouloir tirer ma gloire du malheur de mon père ?.. Le préfet en resta là. @ En 504, les Jeóu-jan (Avars) s’étant permis de courir sur les terres de Wéi, T’oûo-pa k’iao envoya à la frontière du nord le général Yuân-hoai avec mission d’aviser à la situation. Quand celui-ci arriva, les Jeóu-jan avaient disparu, comme toujours. Yuân-hoai jugea qu’il fallait couvrir la frontière par une bande de forts, disposés en quinconce, de telle sorte qu’ils pussent se soutenir les uns les autres. L’empereur approuva ce plan, qui fut logé dans un carton, à l’ordinaire. p.1179 En 505, l’Histoire nous apprend ce qui suit. L’empereur était très favorable à la doctrine des Lettrés. Les Tsínn, les Sóng et les Ts’î avaient, il est vrai, établi des écoles, mais l’enseignement, dans ces écoles, avait été entièrement négligé. L’empereur donna donc l’édit suivant : 109 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Si les Hán ont été glorieux et prospères, c’est qu’ils ont propagé la doctrine classique (cf. p. 303). Si les mœurs ont dépéri sous les Wéi et les Tsínn, c’est au dépérissement de la doctrine classique qu’il faut attribuer ce mal. Que les Académiciens s’occupent de relever les études dans les écoles de la capitale. Que les élèves y soient bien traités, puis mis en charge, s’ils le méritent. Qu’on fasse de même dans les provinces. Au sixième mois de la même année 505, l’empereur érigea le premier temple à Confucius, à la capitale... Jadis, dit le Commentaire, les Sông avaient bien érigé un temple à Confucius, mais près de sa tombe, à Lòu (p. 1112). Or les T’oûo-pa de Wéi, étant maîtres de Lòu, à l’époque qui nous occupe, ce temple n’était pas abordable pour les Chinois du sud. Voilà pourquoi l’empereur Où éleva un temple à Confucius dans sa capitale. Il montra par là qu’il comprenait qui il faut honorer. Qu’il en soit loué ! En 508, l’empereur institua neuf ordres de mandarins, sous-divisés en 18 degrés, à peu près comme les boutons des Ts’īng. En 509, au premier mois, l’empereur fit le sacrifice impérial au Ciel, dans le faubourg du sud. Il songea ensuite à faire la cérémonie fōng-chán, et ordonna aux Lettrés d’étudier cette question (p. 454). Hù-mao dit : — Les Classiques ne connaissent que la visite de l’empereur Choúnn au mont T’ái-chan (en l’an 2042 avant J.-C., p. 35), laquelle fut faite à l’occasion d’une tournée impériale. Il y alluma un bûcher en l’honneur du Ciel, dit le Texte (Annales p. 17). Pour ce qui est de l’assertion qu’il fit la cérémonie fōng sur le T’ái-chan, et la cérémonie p.1180 chán à Leâng-fou, puis érigea une stèle commémorative de ces deux cérémonies, cette phrase est une note sans valeur, qui ne fait pas partie du texte. Il n’y faut donc pas croire, pas plus qu’aux cérémonies fōng-chán qu’auraient faites au T’ái-chan, d’après Koàn-tzeu, 72 princes légendaires antérieurs à Soéi-jenn (p. 18), cérémonies absolument impossibles dans l’état de civilisation rudimentaire de cette époque lointaine. Donc, un 110 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. empereur distingué ne doit pas daigner faire cette cérémonie, et un empereur vulgaire ne doit pas oser la faire, Si le Premier Empereur des Ts’înn la fit sur le mont T’ái-chan (en 21 avant J.-C., p. 211), si Soūnn-hao roi de Où la fit sur une montagne de son pays (cf. p. 868), c’est qu’ils voulaient faire parler d’eux, et en imposer au peuple. Leur exemple n’est pas à imiter !.. L’empereur reçut favorablement cette réponse, et cessa de penser à la cérémonie fōng-chán. En 510, il visita l’école de la capitale, assista à une leçon, puis ordonna que le prince impérial et tous les enfants nobles suivraient les cours... A cette époque, dit l’histoire, l’esprit de l’empereur Où était pur et lumineux, car il ne s’était pas encore entiché de doctrines perverses (il devint buddhiste fervent, plus tard). En 512, publication d’un Rituel officiel, en 8019 articles. Ouf ! En 513, Chènn-yao, l’instigateur du meurtre de Siáo pao-joung (p. 1176), étant tombé malade, rêva que sa victime lui coupait la langue. Pour se soustraire à sa vengeance, il charge un táo-cheu d’adresser au Ciel, en son nom, une protestation solennelle, dans laquelle il déclinait la responsabilité du meurtre, la rejetant ainsi tacitement sur l’empereur. Très mécontent, celui-ci reprit vivement Chènn-yao, lequel mourut de chagrin. En 514, à propos de la cérémonie du labour impérial, l’histoire contient cette note importante : Les Ts’î avaient institué p.1181 des sacrifices aux Anciens Agriculteurs. Ils entendaient, par ce terme, conformément au rituel des Hán, les anciens empereurs Chênn-noung et Hoâng-ti. Ces sacrifices s’offraient sur les tertres du patron des terres. Ils continuèrent sous les Leâng. Sous les T’âng, les Lettrés protestèrent contre cet abus, par suite duquel le peuple en était venu à confondre le Patron des terres et l’Ancien Agriculteur (au singulier). Leurs protestations eurent quelque succès en 650, mais en 685 l’abus l’emporta. L’Ancien Agriculteur, officiellement reconnu, fut associé à Keōu-loung (p. 58), et les deux confondus 111 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. devinrent, dans l’esprit du peuple, le Chênn des tertres. Ainsi fut perverti définitivement le culte antique, qui remerciait de leurs dons l’Auguste Terre associée à l’Auguste Ciel, et qui honorait deux personnages anciens comme Protecteurs des terres et des moissons (p. 58). Chez les Wéi, en 505, l’anecdote suivante est à noter. Un champignon poussa sur une des poutres de la salle du trône. Ts’oēi-koang dit, à propos de ce cryptogame inoffensif, les méchancetés suivantes : — Les champignons croissent dans les lieux inhabités. L’apparition de celui-ci, dans la salle du trône, est un fait anormal. Il a la même signification, que l’apparition, dans le palais, d’animaux ou de volatiles sauvages (p. 961) ; c’est un présage de destruction. Veuillez vous examiner, vous amender, mieux faire !... C’est que, dit l’Histoire, le roi de Wéi était noceur. Le champignon servit à Ts’oēi-koang de prétexte pour le chapitrer. En 505, les Wéi se remettent en campagne contre l’empire, et s’emparent, après une grande victoire, de toute la vallée de la Hán. En 507, T’oûo-pa ying et Yâng ta-yen envahissent, avec une armée de près de cent mille hommes, l’entre-deux du Hoâi et du Fleuve Bleu, théâtre de tant de combats, et p.1182 mettent le siège devant Tchoūng-li. Cette place touchait à la rive sud du Hoâi. Vis-à-vis, sur la rive nord, était la ville de Cháo-yang. Le côté de Tchoūng-li contigu au Hoâi, étant relativement faible, les Wéi s’installèrent dans Cháo-yang, et commencèrent à construire un pont sur pilotis, en vue d’aborder la place par le nord. La garnison de Tchoūng-li ne comptait que trois mille hommes. Malgré cette infériorité numérique, le commandant Tch’āng i-tcheu résista bravement. Les Wéi ayant achevé leur pont et franchi le fleuve, comblèrent le fossé et attaquèrent avec leurs béliers le rempart qui ne tarda pas à s’écrouler par endroits ; mais Tch’āng i-tcheu fit réparer les brèches avec de la terre détrempée, sur laquelle les béliers n’eurent plus aucune action... Alors les Wéi donnèrent l’assaut. Leurs colonnes se relayaient, à cet effet, jour et nuit, afin de ne donner aucun répit 112 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. aux assiégés. Plus de dix mille hommes périrent dans ces tentatives. L’amas de leurs cadavres s’élevait presque à la hauteur des créneaux du rempart... Au deuxième mois, une armée impériale commandée par Wêi-joei, vint au secours de la place. Comme elle approchait de Cháo-yang, le repaire des Wéi, Yâng ta-yen marcha à sa rencontre, avec un corps de dix mille cavaliers. Wêijoei forma ses chars en carré, et se mit sur la défensive, derrière ce rempart. Yâng ta-yen approcha. Il fut reçu par une salve meurtrière, partie de deux mille arbalètes. Lui-même ayant eu le bras percé d’un trait, dut abandonner la partie. Le lendemain T’oûo-pa ying en personne attaqua Wêi-joei avec toute son armée. Après plusieurs assauts, il dut se retirer... Au troisième mois, les eaux du Hoâi ayant crû de sept pieds, Wêi-joei fit attaquer le pont des Wéi, par une flottille que commandait Fông tao-kenn. Cette flottille se composait de petits brûlots, et de grandes p.1183 jonques à tours, du haut desquelles on pouvait exécuter un tir plongeant sur les remparts de Chaoyang. Tandis que les jonques tenaient les Wéi en respect, les brûlots incendièrent le pont, puis l’armée impériale donna l’assaut à la ville de Chaoyang, par le côté de l’eau. Les troupes de T’oûo-pa ying lâchèrent pied et l’abandonnèrent ; il s’enfuit presque seul. Yâng ta-yen mit le feu à son camp, et se retira. Cent mille Wéi furent noyés, cent mille furent tués, cinquante mille furent pris. Ils avaient donc reçu des renforts considérables, ou ces chiffres sont considérablement exagérés. Le butin fut immense. En 516, l’armée impériale ayant investi Tzèu-t’oung, alors que le commandant Keôu kinn-loung était gravement malade, sa femme, née Liôu, se mit à la tête de la garnison et du peuple. Durant plus de cent jours, elle fut l’âme de la défense. L’officier Kāo-king ayant tenté de livrer la ville aux ennemis, Liôu-cheu lui fit couper la tête. Vêtue et nourrie comme les soldats, elle partagea toutes leurs fatigues, redoutée et aimée de tous. L’ennemi s’étant emparé des puits, qui étaient à l’extérieur des remparts, les assiégés furent réduits à boire de l’eau de pluie. Liôu-cheu la faisait recueillir au moyen de toiles étendues, que l’on tordait quand elles étaient trempées. Enfin l’armée impériale leva le siège et se retira. Cependant de bien vilaines choses se passaient à la cour des Wéi. La concubine Kāo, favorite de T’oûo-pa k’iao, haïssait la reine Û et son fils T’oûopa tch’ang. Elle les fit assassiner par son frère Kāo-tchao. Après ce forfait, 113 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. T’oûo-pa k’iao eut la faiblesse de la nommer reine, et de donner à Kāo-tchao toute sa confiance. Le tuteur T’oûo-pa hie, dont nous avons raconté les loyaux services (p. 1170), blâma le roi. Kāo-tchao lui voua une haine mortelle. Avec le temps, le favori arriva à persuader à p.1184 T’oûo-pa k’iao, que son tuteur conspirait avec ses ennemis. Le roi l’invita à un festin. Quand la nuit fut venue, les convives, tous ivres, se retirèrent dans divers appartements. Alors l’officier Yuân-tchenn porta à T’oûo-pa hie la potion classique... — Quel mal ai-je fait ? demanda-t-il ; je veux voir le roi !... — A quoi bon ? dit Yuân-tchenn... Comme les gardes le frappaient avec le pommeau de leurs sabres, T’oûo-pa hie s’écria : — J’en appelle à toi, Auguste Ciel, de l’injustice dont je suis victime ! Je meurs innocent et loyal !.. et il avala le poison. Les gardes l’achevèrent. A l’aube, son cadavre fut porté à son domicile, et l’on fit courir le bruit qu’il était mort d’apoplexie en état d’ivresse. Ce fut un deuil général... T’oûo-pa k’iao donna à Kāo-tchao les charges de sa victime. Le Ciel fit justice de ce gredin, sept ans plus tard, comme nous verrons. T’oûo-pa k’iao roi de Wéi était fervent buddhiste. Il ne faisait aucun cas des livres canoniques. P’êi yen-tsounn présenta le placet suivant : « Même durant leurs campagnes, l’empereur Koāng-Où des HeóuHán, le célèbre Ts’âo-ts’ao, et feu votre père ne déposèrent jamais leurs livres, C’est que l’étude ayant d’innombrables avantages, il ne faut jamais la négliger. Dans votre jeunesse, vous avez été très bien instruit. La doctrine des cinq canoniques est la grande règle de ce monde. Je vous prie de veiller à sa conservation. Alors tout ira pour le mieux. A cette époque (509), continue le Texte, le Buddhisme avait une vogue extraordinaire à Láo-yang. Il avait, dans cette ville, plus de trois mille moines 114 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. étrangers, venus du Tarim ou de l’Inde, sans compter les moines chinois. Le roi fit construire, pour ces hôtes, le couvent de la Lumière Perpétuelle, qui contenait plus de mille cellules. Il établit aussi, au milieu du plus beau site des Sōng-chan, le p.1185 splendide couvent de la Retraite. Quand le peuple eut constaté cette dévotion du souverain, tout le monde se fit buddhiste. Un dénombrement fait durant la période Yên-tch’ang (entre 512 et 515), accuse l’existence de plus de treize mille pagodes. Ici, entrée en scène d’une femme, qui fera beaucoup parler d’elle. En 510, la concubine Hôu donna à T’oûo-pa k’iao un fils, qui fut appelé T’oûo-pa hu. Jadis, lors de son entrée au harem, ses compagnes lui avaient dit : — Passe pour des filles ; mais n’ayez pas l’infortune de donner un fils au roi (la loi de Wéi condamnant à mort la mère des héritiers) !.. — Je ne pense pas comme vous, leur avait répondu la dame Hôu ; je mourrai volontiers, s’il m’est donné de continuer la lignée royale... Devenue grosse, comme ses compagnes la poussaient à se faire avorter, elle répéta les mêmes paroles. Enfin elle accoucha du prince T’oûo-pa hu. En 512, T’oûo-pa hu fut nommé prince héritier, et, pour la première fois, la mère fut épargnée, probablement à cause des paroles édifiantes rapportées ci-dessus. En 515, T’oûo-pa k’iao étant mort, T’oûo-pa hu alors âgé de cinq à six ans, fut assis sur le trône. Or nous savons de quoi la reine Kāo (p. 1183) était capable. Elle essaya aussitôt de supprimer la dame Hôu. Mais Ts’oēi-koang mit celle-ci en lieu sûr, et la fit garder avec le plus grand soin. Quand Kāo-tchao entra au palais pour pleurer le roi, il y fut étranglé par les officiers qui le détestaient, et son cadavre emporté par une porte de derrière, fut envoyé à sa famille, comme il avait jadis envoyé le cadavre de T’oûo-pa hie à la sienne. 115 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Puis sa sœur, la reine Kāo, fut rasée et enfermée dans un couvent de nonnes. Proclamée reine, la dame Hôu prit en mains la régence. Tout ce que les Wéi avaient voulu éviter, en immolant durant si longtemps la mère du prince héritier, p.1186 arriva donc dès la première fois qu’ils ne la supprimèrent pas, dit l’historien, avec un malin sourire. La Régente débuta par un attentat inouï. En l’an 515, elle osa sacrifier pour le roi son fils. Les officiers préposés aux rites eurent beau remontrer qu’une femme ne pouvait pas offrir les sacrifices officiels. La reine ayant consulté Ts’oēi-koang, celui-ci se rappela que, sous les Heôu-Hán, l’impératrice Téng (p. 728) sacrifia aux Ancêtres de la dynastie. Ce précédent, plus ou moins authentique, suffit à la reine Hôu, qui sacrifia. Les historiens feignent de ne pas savoir à qui elle sacrifia. Si ce fut au Ciel, disent-ils, elle dut mettre des habits d’homme... Pourquoi pas ? Elle en était capable ! Le fait est qu’elle sacrifia, et très probablement au Ciel. En 518, elle fit assassiner sa rivale détrônée, la nonne Kāo. Nous raconterons plus tard la suite de ses exploits. En 515, dans le pays de Kí-tcheou (k), le moine Fā-k’ing, prophète d’une secte nouvelle, causa des troubles parmi le peuple. Il épousa la nonne Hoéihoei, puis, jugeant que cette prouesse facile ne suffirait pas pour le poser dans l’estime du vulgaire, il se donna pour une incarnation du Grand Véhicule (p. 1041), chose peu banale, capable d’ébahir les plus difficiles badauds. Il inventa aussi une drogue, qui troublait la raison, au point que père fils et frères ne se reconnaissaient plus, et s’entre-tuaient comme des bêtes féroces. Yuân-yao dut marcher avec des troupes contre ces fanatiques. En 516, la reine Hôu fit bâtir, à côté de son palais, le couvent de la Paix Perpétuelle. Elle augmenta aussi les temples souterrains du défilé Ī-k’ue. Ī-k’ue est une brèche, entre deux piliers rocheux, par laquelle passe la Ī, petit affluent de la Láo (non marqué sur la carte, au sud de L). Dans les deux rochers sont creusées de nombreuses grottes, ornées d’images buddhiques colossales, ciselées en haut-relief dans la paroi, à l’instar de certains temples 116 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1187 de l’Inde. Commandés vers l’an 500, pour être à la nouvelle capitale Láo-yang, ce que les Chêu-k’ou-seu du mont Où-tcheou avaient été à l’ancienne capitale P’îng-tch’eng ; commencés vers 504, augmentés en 510, ces temples souterrains avaient déjà consumé 182.000 journées de travail, quand la reine Hôu ordonna, en 516, de les multiplier et de les embellir. En 523, ils avaient coûté 802.366 journées de travail. Ils ne furent terminés que plus de cent ans plus tard, en 642, par le roitelet T’ái, quatrième fils de l’empereur T’ái-tsoung des T’âng. Ils existent encore. M. Ed. Chavannes a publié, avec un texte excellent, des photographies prises dans ces grottes, par M. Leprince-Ringuet (Journal Asiatique, juillet-août 1902). La reine Hôu ne ménagea, dans ces travaux, ni la main-d’œuvre, ni les matériaux. Elle fit aussi élever une tour (stupa) haute de 90 toises (300 mètres), et une pagode haute de 10 toises, d’une splendeur inouïe... Lìtch’oung ayant vainement protesté contre ces prodigalités, T’oûo-pa teng adressa à la Régente le factum suivant : « Quand la capitale fut transférée ici à Láo-yang (en 494), le roi permit d’y établir un seul couvent de bonzes, et un seul couvent de bonzesses. En 506, le bonze Hoéi-chenn contrevint à cette ordonnance, et multiplia les pagodes. Actuellement (516), dans l’enceinte de la capitale, il y en a plus de cinq cents. Il y a là un danger. L’instigateur des troubles de Tái (p. 1153), fut le bonze Fāsiou. La révolte du Kí-tcheou (p. 1186), eut pour chef le bonze Fāk’ing. Si les bonzes affluent actuellement dans les villes, c’est précisément dans l’intention d’y exciter, à l’occasion, des mouvements populaires. Ces gens-là sont la lie des buddhistes, le rebut de la nation. Il faut nous mettre en garde contre eux. Je demande qu’il ne soit permis d’établir de pagodes que dans les campagnes, et qu’aucune pagode ne puisse recevoir plus de 50 bonzes, les bonzillons compris... La reine donna, à contre-cœur, un édit conforme à la pétition, lequel resta lettre morte. Beaucoup de familles s’éteignant, par suite du grand nombre d’entrées dans les bonzeries, Lì-tch’ang s’émut et présenta le placet suivant : 117 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. « La pire de toutes les impiétés, c’est celle qui prive les p.1188 Ancêtres défunts des offrandes qui leur reviennent. Se peut-il que, s’affranchissant de tous les devoirs sociaux pour suivre ses goûts personnels, on déserte sa famille, on ne nourrisse pas ses parents (vivants ou morts), on renonce aux biens de cette vie, pour un avantage hypothétique à recueillir dans une existence future ?.. Confucius n’a-t-il pas dit : du moment qu’on n’entend rien à la vie, qu’entendrait-on à la mort ? Alors pourquoi abandonner les nobles principes (de Confucius), pour s’attacher à une secte vile, qui honore un Koèi (un homme mort, le Buddha) ?.. Conduits par leur chef Sién, les bonzes de la capitale allèrent en corps pleurer devant la reine, de ce que Lì-tch’ang avait fait injure au Buddha... Touchée, ou effrayée, la douairière chapitra Lì-tch’ang, qui manifesta la plus parfaite impénitence. — Les Génies célestes, dit-il, ont noms Chênn ; les Génies terrestres sont K’î ; après leur mort, les hommes s’appellent Koèi. Or le Buddha étant un homme mort, je ne lui ai donc fait aucune injure en le traitant de Koèi... Mais les bonzes étaient une puissance. Pour se tirer d’affaire, la douairière condamna Lì-tch’ang à dérisoire amende d’un taël. @ En 514, les impériaux résolurent de récupérer les forteresses de la ligne du Hoâi, alors aux mains des Wéi. Ils commencèrent par Cheóu-yang, qu’ils entreprirent de noyer, en barrant le fleuve en aval de la place. En vain les experts déclarèrent-ils, que la terre du pays, trop meuble, ne se prêterait pas à ce travail ; la noyade fut décidée ; restait à l’exécuter. Dans tout le bassin du Hoâi, cinq hommes furent levés par vingt familles. Y compris les officiers et les soldats nécessaires pour diriger et protéger les travailleurs, 200 mille hommes furent réunis près de Cheóu-yang. Appuyés à la montagne, des deux côtés, les deux tronçons de la digue furent p.1189 conduits jusqu’au Hoâi. Ils devaient se rejoindre, au milieu du lit du fleuve, au moment des basses eaux. 118 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Une première fois, l’un des deux tronçons fut emporté par l’eau. On imputa l’accident à la malveillance des petits caïmans du pays. Un Sage ayant déclaré que les caïmans sont chassés par la présence du fer, on amena à grands frais des centaines de milliers de livres de fer, qu’on enterra dans la digue. On appuya celle-ci par des contreforts en pierre. Dans tous les pays d’alentour, il ne resta pas un morceau de bois, pas un morceau de pierre. Dévorés par les moustiques, couverts de plaies, les travailleurs mouraient en masse. Au quatrième mois de l’an 516, le remblai fut achevé, et le fleuve se trouva barré. La digue avait 9 lì de long (cinq kilomètres), 140 toises (420 mètres) d’épaisseur à la base, et 45 toises (130 mètres) de largeur au haut, sa hauteur totale étant de 20 toises (60 mètres). On la planta de saules. Des soldats furent logés sur le haut, dans des fortins, pour la garder. On avait pourtant bien dit au directeur des travaux Kià k’ang-huan, que les fleuves étant les artères par lesquelles le Ciel épanche sa vitalité, il ne barrerait pas le Hoâi impunément (p. 140). Terminé au quatrième mois, au neuvième mois le barrage fut emporté par les hautes eaux. Le fracas de la débâcle fut tel, qu’on l’entendit à 300 lì à la ronde (!). Villes, villages, fermes, tout fut emporté. Les eaux du fleuve roulèrent à la mer plus de cent mille cadavres. Cheóu-yang n’eut aucun mal. En 515, premiers signes de la conversion de l’empereur Où au buddhisme. Il interdit de tisser, dans les étoffes, des figures de Génies, d’hommes ou d’animaux. Il jugeait que, couper ces figures en coupant l’étoffe, était un outrage fait aux Génies, une cruauté envers les hommes et les animaux. Peu édifié par cette tendresse de cœur p.1190 et de conscience, sans rien dire des Génies, l’historien observe en ricanant, que cet empereur qui ne pouvait souffrir qu’on coupât en deux la figure d’un animal, avait sans le moindre scrupule noyé cent mille hommes au siège de Cheóu-yang. La piété de l’empereur Où s’accentuant de plus en plus, il défendit peu après d’immoler des victimes, dans les sacrifices offerts aux Ancêtres, et autres. On sacrifia depuis lors des animaux faits en pâte, les viandes furent remplacées par des farineux, le reste par des légumes. On ne dit pas si les 119 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ancêtres se trouvèrent bien ou mal du régime végétarien. Le peuple murmura hautement ; tant était forte la croyance, que le sang est le seul breuvage apte à restaurer les Mânes ; tout comme au temps d’Ulysse et d’Achille (Odyssée 11 1 ). @ Les Wéi étaient aussi fervents buddhistes. Désirant combler les lacunes de la littérature buddhique chinoise, en 518 la reine Hôu envoya dans l’Inde l’ambassadeur Sóng-yunn, flanqué du bonze Hoéi-cheng. Ambassade célèbre, car sa relation, qui est parvenue jusqu’à nous, est un des documents les plus importants de la géographie indo-chinoise ancienne. Elle rapporta, en 521, du Gandhara et de l’Udyana, 170 ouvrages buddhiques encore inconnus en Chine. L’histoire blâme le luxe de la reine Hôu, et accuse ses relations avec l’Inde, pour raison de buddhisme, d’en avoir été la cause. Elle prit tant de goût à la gaze indienne, qu’elle ne s’habilla plus que de ce tissu, et l’imposa aussi à ses cent suivantes. Elle multiplia les bonzeries, les pagodes et les tours. Elle combla de largesses les bonzes. Ces prodigalités ayant épuisé le trésor et le peuple, afin de pouvoir les continuer, elle rogna les honoraires des fonctionnaires. @ Nota : p.1191 Partis de Láo-yang (a) en 518, Sóng-yunn et Hoéi- cheng passèrent par le pays des T’ou-kou-hounn (e, g) et par celui des Chán-chan (h)... A Hân-mouo (près Keria), ils vénérèrent la célèbre statue, venue à cet endroit en volant à travers les airs. Les oriflammes suspendues dans le temple, en ex-voto, se comptaient par myriades... A Kotan (j), ils observèrent que les femmes, portant pantalon, cavalcadaient comme les hommes... Ils passèrent ensuite par Koukyar et Tach-kourgane dans le Wakhan (W), chez les Ye-ta (Ephthalites), peuple guerrier et brave, alors en possession de tout le territoire des Indo-Scythes. Dans ce pays, dit la relation, les rites sont inconnus. Personne ne sait les règles de l’évolution du yīnn et du 1 [cf. le site philoctète, édition/rechercher ‘sang’] 120 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. yâng, du calendrier, etc. Redouté de tous ses voisins, le roi des Ephthalites reçoit les hommages de plus de 40 peuples... Ayant passé ensuite par la passe Baroghil dans le Tchitral (T), nos deux Chinois descendirent la vallée du Svat (Udyana). Ce pays, dit la relation, est fertile et beau. Irrigué par mille canaux, le sol produit en abondance du riz et du blé. Les Brahmanes interprètent les astres et les augures. Avant d’agir, le roi les consulte toujours. Le peuple honore le Buddha. Il y a nombre de pagodes et de tours fort belles. Quand deux hommes ont un différend, on leur fait prendre à tous les deux une drogue, laquelle rend furieux celui qui a tort, tandis que celui qui a raison n’en éprouve aucun mal. La loi n’inflige pas la peine de mort. On se contente de chasser le criminel dans les montagnes (où les tigres le dévorent). Le roi qui réside à Manglaor, est très sage. Il garde constamment l’abstinence buddhique, et fait sa prière matin et soir. Pendant la nuit, le son des cloches des pagodes retentit dans tout le pays. Quand le roi vit Sóng-yunn, il lui dit : — O envoyé des grands Wéi, approche ! Et s’étant prosterné, il reçut à genoux la lettre de la reine Hôu. Quand il eut appris qu’elle était fervente buddhiste, il se tourna vers l’Est, joignit les mains et adora. Puis il demanda à Sóng-yunn : — Es-tu vraiment du pays où le soleil se lève ?.. Sóng-yunn répondit : — A l’est de mon pays, il y a un vaste océan ; le soleil en sort... Le roi demanda encore si ce pays avait produit des hommes saints. Sóng-yunn s’étendit sur les vertus du Duc de Tcheōu, de Confucius, de Tchoāng-tzeu et de Lào-tzeu. Il parla aussi des palais féeriques de l’île P’êng-lai (p. 212) et des Génies qui les habitent, du devin Koànlou, du magicien Tsoúo-ts’eu, du médecin Hoâ-t’ouo, etc... — Quand j’aurai achevé cette existence, dit le roi émerveillé, je désire renaître dans ce pays-là. 121 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. (L’éclectisme et la tolérance de Sóng-yunn, qui loua les représentants des diverses écoles chinoises, antagonistes acharnés, sont à noter. Nous parlerons à la fin de la présente note, des trois personnages nommés en dernier lieu)... Ensuite Sóng-yunn étant tombé malade, fut guéri par les incantations d’un Brahmane. Il passa dans le Gandhara (G), en l’an 520. Le roi ou vice-roi (tegin ephthalite) de Indicopleustes), ce pays, homme Mihira Kula méchant et (le Gollas sanguinaire, de Cosmas n’était pas buddhiste. Il avait 750 éléphants de guerre, montés chacun par dix hommes. Chaque éléphant portait, attaché à sa trompe, un glaive avec lequel il combattait. A sept lì de Peshawer, Sông-yunn vit le stupa du loriot, tour haute de 700 pieds, 300 pas de circuit à la base, bâtie par le fameux Kaniska (p. 716). Mihira Kula reçut mal et traita chichement Sóng-yunn et son compagnon. Tandis que ceux-ci résidaient auprès de lui, on amena au roi deux lions vivants. Sóngyunn les admira, et observa que les représentations chinoises des lions sont très défectueuses... Enfin les deux voyageurs revinrent en Chine en 521, édifiés de la vie et des discours des bonzes hindous, et rapportant 170 traités buddhistes nouveaux. La biographie du devin Koàn-lou (209 à 256 de l’ère chrétienne), est p.1192 insérée dans l’Histoire officielle. Extraordinairement laid, il lisait dans le passé, prédisait l’avenir, et devinait le secret des cœurs, au moyen de l’achillée et des diagrammes. Exemples : □ Dans une famille, trois enfants naquirent successivement perclus des jambes. On consulta Koàn-lou. — C’est le fait d’un revenant, qui hante votre cimetière de famille, dit le devin. C’est une femme, qui a été assassinée par les vôtres, l’année de la famine. Ils ont commis ce crime, pour lui ravir le grain qui lui restait. Elle a été jetée dans un puits, près de votre cimetière, et, comme elle gémissait encore, on lui a brisé la tête à coups de pierres. Son hoūnn (âme supérieure) est allée porter plainte au Ciel ; son koèi (âme 122 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. inférieure) hante votre cimetière, et cause, par son influx néfaste, le malheur de vos descendants... De fait, on retrouva le puits, le squelette, les pierres, etc. □ Dans la famille du préfet de Kí-tcheou, les femmes souffraient de migraine et de cardialgie. On consulta Koàn-lou. — Il y a, dit-il, sous les fondements de cet édifice, deux squelette anciens, l’un tenant une hallebarde, l’autre tenant un arc. Les coups de l’un causent les migraines, les flèches de l’autre causent les cardialgies... On fit des fouilles, on découvrit les deux squelettes avec leurs armes, on les enleva, et tout le monde guérit. □ A Nān-tei-hien, des pies s’abattirent sur la maison du devin, et se mirent à jacasser. — Savez-vous ce qu’elles disent ? fit le devin. Elles disent que, au nord-est d’ici, une femme vient de tuer son mari... De fait, la journée n’était pas passée, qu’on vint d’un village situé dans la direction indiquée, pour livrer au mandarin la femme coupable. □ Un jour Koàn-lou ayant rencontré un de ses amis qui causait avec deux étrangers, quand ceux-ci eurent pris congé, Koàn-lou dit à son ami : — Ces deux hommes mourront de malemort. Leurs âmes iront à la mer, leurs os reviendront à leur famille... Peu de jours après, comme ces deux hommes longeaient la rivière Tchang dans un char traîné par des bœufs, l’attelage prit peur et les jeta à la rivière, où ils se noyèrent. Le courant entraîna leurs âmes. On repêcha leurs corps, qui furent inhumés dans leur cimetière de famille. □ Par une grande sécheresse, le mandarin de Ts’ing-heue demanda à Koàn-lou quand il pleuvrait. 123 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Cette nuit, dit le devin. Or le ciel était d’airain. Mais quand la nuit fut venue, contre toute probabilité, une pluie torrentielle mit fin aux anxiétés du peuple. □ Enfin Koàn-lou prédit sa mort, etc. Le magicien Tsoùo-ts’eu (155 à 220 de l’ère chrétienne), espèce d’escamoteur, a aussi sa biographie dans l’Histoire... □ Un jour de grand régal, Ts’âo ts’ao n’avait aucun mets friand à offrir à ses convives. Tsoùo-ts’eu qui en était se fit apporter une cuvette pleine d’eau et une ligne. En présence de tous les convives, il amorça la ligne, jeta l’hameçon dans la cuvette, et retira immédiatement une superbe perche de Sōng-kiang... Ts’âo-ts’ao applaudit, puis dit : — Une c’est trop peu pour tant de monde... Tsoùo-ts’eu amorça et jeta de nouveau sa ligne. A chaque fois, il retira de la cuvette une perche longue de trois pieds... — Maintenant, dit Ts’âo-ts’ao, il nous faudrait du gingembre frais, comme condiment... — J’en ai envoyé quérir au Séu-tch’oan, dit Tsoùo-ts’eu. Un instant après, un inconnu l’apporta. □ Une autre fois, Tsoùo-ts’eu régala les officiers de vin et de viande. Mais cette fois Ts’âo-ts’ao découvrit que les incantations du magicien avaient fait sortir ces provisions de ses propres magasins. Furieux, il ordonna de le saisir. Tsoùo-ts’eu passa à travers la muraille et s’enfuit. On le poursuivit sur le marché. Soudain tous les hommes qui remplissaient la place, prirent les traits du magicien, si bien qu’on ne put pas le reconnaître... Poursuivi plus loin, Tsoùots’eu se cacha dans un troupeau de moutons, devenu mouton luimême. Pour le découvrir, Ts’âo-ts’ao fit traîtreusement crier son pardon. 124 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Merci, dit un p.1193 bélier, en se dressant sur ses pattes de derrière. Comme on allait le saisir, tout le troupeau se trouva composé de béliers parfaitement semblables. Etc. Au même temps vivait le magicien Liôu-kenn. Le soupçonnant de conspiration, son préfet le fit arrêter. — S’il y a vraiment des Chènn, lui dit-il, fais-les-moi voir ; sinon, tu vas mourir... — Je ne puis vous montrer que des Koèi, dit le magicien... — Passe pour des Koèi, dit le préfet... Au même instant entrèrent dans la salle, en longue file, le père et tous les ancêtres défunts du préfet, lesquels, prosternés et battant de la tête, dirent à Liôu-kenn : — Veuillez nous pardonner l’insolence de ce garçon !.. — Qu’avez-vous fait ? impie ! s’écria l’assesseur du préfet. Voyez quelle humiliation vous avez infligée à vos ancêtres !.. Éperdu, le préfet se prosterna à son tour devant Liôu-kenn, et battit de la tête jusqu’à se meurtrir le front. Alors la vision disparut. Quant au médecin Hoâ-t’ouo, qui finit centenaire vers l’an 220 de l’ère chrétienne, sa biographie est répétée deux fois dans l’Histoire. Il éclipsa l’ancien Piên-ts’iao. Il eut certainement connaissance de procédés exotiques, indiens, peut-être grecs. Il pratiquait l’acupuncture, appliquait des moxas, faisait des incisions hardies, après avoir préalablement marcotisé le patient au moyen d’une infusion de chanvre (chanvre indien, haschisch). Il tirait ainsi toutes les humeurs peccantes ; extrayait, rafistolait, rinçait les viscères ; recousait et appliquait une pommade merveilleuse, qui ressoudait les lèvres de l’incision en cinq jours de temps. L’histoire raconte en détail les plus abracadabrants de ses diagnostics. Il faisait 125 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. vomir à ses malades, pour leur consolation, des couleuvres, des poissons, des insectes ; ce qui donne à penser qu’il était prestidigitateur, et suggestionnait les névrosés, tout comme nos aliénistes modernes. En l’an 519, l’Histoire raconte ce qui suit : La reine Hôu de Wéi, se mit à faire des visites à domicile, d’abord à des parents, puis à d’autres personnes. Son sauveur et patron Ts’oēi-koang (p. 1185) protesta. — D’après les Rites, dit-il, un feudataire ne peut entrer dans une demeure particulière, que pour visiter un malade ou pour pleurer un mort, sous peine d’être taxé d’inconvenance ; à plus forte raison un prince ou une princesse doivent s’abstenir de toute visite suspecte... La reine ne tint aucun compte de cet avertissement. De plus en plus hardie, elle finit par passer la nuit hors du palais, durant plusieurs jours de suite. En 520, elle imposa sa faveur au prince T’oûo-pa i. L’influence qu’acquit sur le gouvernement ce favori lettré, fut plutôt favorable. Mais bientôt deux ambitieux, T’oûo-pa i 1 et Liôu-t’eng, réussirent à le perdre. Ils achetèrent le maître d’hôtel du palais, qui raconta que p.1194 T’oûo-pa i lui avait proposé d’empoisonner le roi alors âgé de onze ans. T’oûo-pa i et Liôu-t’eng firent un coup d’État au bénéfice de cet enfant, ou plutôt à leur propre bénéfice. Ayant envahi le palais en armes, ils commencèrent par enfermer la douairière. T’oûo-pa i étant accouru, T’oûo-pa i lui demanda d’un ton menaçant ce qu’Il prétendait... — Serais-tu rebelle, par hasard ? demanda le favori... — C’est toi qui es rebelle ! dit l’autre ; et il le fit lier. Puis, Liôu-t’eng ayant réuni les ministres, les deux compères leur déférèrent le favori, comme coupable de lèse-majesté. Les ministres ayant prudemment décliné leur compétence, ils passèrent outre et firent 1[Même transcription de caractères différents. Le prince T’oûo-pa i sera ici écrit en bleu] 126 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. exécuter T’oûo-pa i, sur un ordre supposé de la douairière prisonnière. Puis ils produisirent une autre pièce supposée, par laquelle la reine faisait savoir au conseil que, étant malade, elle se retirait des affaires, et remettait le gouvernement aux mains du roi. Ils l’enfermèrent ensuite dans le palais du nord, et la tinrent si bien au secret, que même son fils le petit roi ne put plus la voir. C’est à peine s’ils lui donnèrent le strict nécessaire, en fait d’habits et d’aliments. — Ah ! dit-elle en soupirant, ce que dit le proverbe, que quiconque nourrit des tigres, finit par être dévoré, s’est vérifié en moi !.. T’oûo-pa i et Liôu-t’eng, gouvernèrent au nom du petit roi. Le peuple regretta bientôt T’oûo-pa i. @ Ici l’Histoire reprend les fastes des Jeóu-jan (Avars) depuis l’an 506. En 506, mort du khan K’óu-tchee. Son fils, le khan T’oūo-han, lui succède. En 508, les Kāo-kiu (Sarmates) infligent une grande défaite aux Jeóu-jan, près du Lob-nor. Le khan T’oūo-han périt dans la bataille. Son fils, le khan Fôu-pa, lui succède. En 516, les Jeóu-jan prennent leur revanche sur les Kāo-kiu. Mi-neue-t’ou, le khan de ces derniers, est tué. Son crâne monté et verni, sert de coupe à Fôu-pa, lequel extermine tous les petits peuples voisins, qui avaient fait cause commune avec les Kāo-kiu, après leur succès de 508. Les Jeóu-jan se trouvèrent alors très puissants. En 517, Fôu-pa demande à s’allier aux T’oûo-pa de Wéi. Prenant exemple sur les Hán, ceux-ci accueillent favorablement sa demande, pour avoir la paix sur leur frontière du nord. En 520, singulière histoire chez les Jeóu-jan. Le feu khan T’oūo-han avait laissé une veuve nommée Heôu-lu-ling, mère de Fôu-pa, de A-na-koei, et de quatre autres princes. Quand Fôu-pa fut devenu khan, son fils Tsòu-hoei, jeune enfant, disparut. La magicienne Tí-wan dit à Fôu-pa, que l’enfant avait été enlevé au ciel, mais qu’elle espérait pouvoir l’en faire redescendre. A cet effet, elle fit dresser une tente au milieu d’un marais (inabordable), y sacrifia au Chênn du ciel, puis produisit Tsòu-hoei, lequel raconta qu’il revenait du 127 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ciel. Très édifié, Fôu-pa donna à la magicienne le titre de Sainte Femme, l’épousa, et la fit k’eue-han-tounn reine en titre (khatoun des anciens auteurs). Bientôt cette femme causa de grands troubles parmi les Jeóu-jan. Cependant Tsòu-hoei étant devenu grandelet, raconta à sa mère qu’il n’avait jamais été au ciel, mais que la magicienne l’ayant enlevé et enfermé chez elle, lui avait fait la leçon. La mère, jalouse d’ailleurs de cette femme qui l’avait supplantée, avertit Fôu-pa. Celui-ci ne la crut pas, et fit mourir Tsòuhoei comme calomniateur. Alors la douairière Heôu-lu-ling fit assassiner la magicienne. Fôu-pa allait tirer vengeance de ce meurtre, quand une incursion de brigands l’obligea de différer. Se doutant de ce qui les attendait quand il reviendrait de son expédition, la mère et l’épouse prirent les devants, firent assassiner leur fils et mari Fôu-pa, et mirent son frère A-na-koei sur le trône. Dix jours après, celui-ci fut détrôné par son cousin Chéu-fa, qui fit mourir la douairière. p.1196 A-na-koei se réfugia à la cour des Wéi. Heureux d’avoir l’occasion de patronner un prétendant, truc politique souvent très profitable, le roi de Wéi reçut le fugitif avec de grands honneurs, l’appela roi des Jeóu-jan, le plaça premier après les princes du sang (p. 524), etc. Cependant A-na-koei eût préféré à tous ces honneurs quelques escadrons qui l’auraient réintégré sur son trône. Les conseillers discutaient son cas, sans aboutir. En homme qui connaît son monde, A-na-koei graissa la patte à T’oûo-pa i. Aussitôt la discussion aboutit, et quinze mille hommes lui furent promis... Comme il convenait, le censeur Tchāng p’ou-hoei remontra que les Jeóu-jan, ces « puants barbares odieux au Ciel », étant des voisins éminemment désagréables, autant valait les laisser s’entre-détruire ; que, malgré toutes leurs protestations d’amitié, il était palpable qu’ils ne cherchaient que leur propre intérêt ; timeo Danaos, et dona ferentes ; etc. Mais T’oûo-pa i ayant été bien graissé, tous ces arguments furent trouvés de nulle valeur. Entre temps, une nouvelle révolution avait éclaté chez les Jeóujan. P’oūo-louo-menn, un oncle de A-na-koei, ayant détrôné Chéu-fa, avait été reconnu khan par les hordes. Le roi de Wéi lui fit demander, par un ambassadeur, de réintégrer A-na-koei. L’offre fut mal reçue, naturellement P’oūo-louo-menn se montra très arrogant. L’ambassadeur se retira fort irrité. P’oūo-louo-menn le fit filer par deux mille cavaliers. A-na-koei revint prudemment à Láo-yang, avec l’ambassadeur. Les choses en restèrent là. 128 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 521, Ī-fou, roi des Kāo-kiu, fit les affaires d’A-na-koei et des Wéi, en faisant les siennes propres, Il battit P’oūo-louo-menn. Sur ce, schisme parmi les hordes des Jeóu-jan. Dissertation du censeur Yuân-fan, sur le thème Divide et impera : — Les Jeóu-jan et les Kāo-kiu sont toujours à se mordre les uns les autres, fort heureusement pour p.1197 nous. On ne tirera jamais rien de ces brutes. Cependant les empereurs et les rois devant, comme le Ciel, veiller à la conservation des êtres, il ne faut pas les exterminer, mais il ne faut pas non plus les choyer. Qu’ils continuent à guerroyer entre eux. Même si les Jeóu-jan se divisent en deux, comme ils sont fort nombreux, les Kāo-kiu ne viendront pas encore à bout de les détruire et de s’agrandir à leurs dépens. Tous ces désordres sont pour notre avantage. Reconnaissons-leur deux khans. Que P’oūo-louo-menn règne sur les hordes de l’Ouest, et A-na-koei sur celles de l’Est. Cela nous donnera la paix au Nord... Ainsi fut fait. En 522, Ī-fou khan des Kāo-kiu fut assassiné et remplacé par son frère Úe-kiu. La même année, le khan P’oūo-louo-menn s’aboucha avec les Ephthalites, alors maîtres du Tarim. Prévoyant de nouveaux troubles, le roi de Wéi ordonna au général Féi-mou d’aviser. Féi-mou captura P’oūo-louo-menn dans le Tangout, et l’envoya à Láo-yang. A-na-koei réunit de nouveau tous les Jeóu-jan sous son sceptre. Il n’était guère plus sincère que P’oūo-louo-menn. Profitant d’une grande sécheresse, ce qui signifie, en langue nomade, mort des troupeaux et ruine des hommes, il demanda la permission de paître sur les terres des Wéi. Or les 300 mille hommes qu’il amena, ne se contentèrent pas de paître ; ils pillèrent aussi, autant qu’ils purent. Le roi de Wéi dut envoyer cent mille cavaliers. Ana-koei se retira dans les vallées de l’Orkhon et de Kobdo. La cavalerie des Wéi ne le joignit pas. Il est probable qu’elle ne tenait pas à le joindre. 129 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les Hoâ, petit peuple Joûng (c’est-à-dire ni Tongouse ni Turc, mais plutôt parent des Tangoutains et des Tibétains), stationné dans le pays de Tourfan (q), sont mentionnés pour la première fois à propos de Pān-young (second siècle, page 733), qu’ils aidèrent contre les Huns. Ils subirent ensuite toutes les vicissitudes, par lesquelles passa le pays de Tourfan. Encore tributaires des Jeóu-jan, au commencement du 5e siècle, ils s’affranchirent et devinrent très puissants vers le p.1198 milieu du même siècle. Ils conquirent peu à peu tout le fond du Tarim (Karachar, Koutcha, Kachgar, Yarkend, Kotan, p m I k j), franchirent le Pamir-Bolor, prirent Koukyar, Tachkourgane, le Wakhan (W), la Sogdiane et la Bactriane (hautes vallées de l’Iaxartes et de l’Oxus, 21, 23) et tout l’Afghanistan actuel (24), envahirent le Tchitral et le Gilgit (T), l’Udyana et le Gandhara jusqu’à Peshawer (G), en un mot tout l’ancien empire Indo-Scythe (Procope, Ménandre, Tabarî, Aboulféda). Au Nord-Ouest, ils poussèrent par Merw (B) jusqu’à Gourgan (C) à l’angle Sud-Est de la Mer Caspienne, puis attaquèrent l’empire Persan (25). En 484, le roi Hoá Akschounwar défit en bataille rangée le roi Sassanide Firouz, qui périt dans le combat. Le nom de famille de cet Akschounwar, était Ethailit ou Ephthal. De là les transcriptions grecques et chinoises, Ephthalanos et Ephthalitæ, Ye-tai-i-li-t’ouo et Ye-ta. L’histoire de Chine nous a conservé, des mœurs des Ephthalites, les traits suivants... Nourriture : bouillie de grain préalablement grillé, et viande de mouton... Costume : robe longue, manches courtes serrées au poignet, ceinture ornée de bijoux et de pierres précieuses... Habitation : tentes de feutre, ouvertes du côté de l’Orient... Polyandrie, tous les frères épousant en commun une seule femme, laquelle portait sur sa coiffure autant de petites cornes, qu’elle avait de maris... Le trône doré du roi s’orientait d’après les sorts. La reine y trônait, assise à côté du roi. Le roi était vêtu d’une robe de soie à traîne. La reine portait, sur la tête, un hennin haut de huit pieds... Les Ephthalites n’avaient pas d’écriture propre. Pour leurs relations avec les autres peuples, ils se servaient de l’écriture de chacun de ces peuples, écrivant avec de l’encre sur des peaux de 130 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. mouton préparées. Ils adoraient le Chênn du ciel (leur culte primitif), et le Chênn du feu (emprunté aux Perses). Chaque matin le roi sortait, pour sacrifier à ces Chênn. Il ne mangeait et ne traitait d’affaires, qu’après ce sacrifice... Rites : Les Ephthalites saluaient par une prostration unique. Ils enterraient leurs morts dans des cercueils de bois. Quand ils perdaient leurs parents, les fils se coupaient ou s’entaillaient les oreilles. En 523, les déportements de T’oûo-pa i exaspérant le peuple de plus en plus, un certain Hân pa-ling souleva les populations du nord du Chān-si actuel (11, 12). Chinois et Barbares, tous furent pour lui. On massacra les fonctionnaires Wéi, et le reste, à l’ordinaire. En 524, les rebelles prirent Où-tch’oan. Trois armées Wéi, arrivées lentement et timidement, furent successivement battues par eux. De plus, en 525, révolte d’un prince du sang, T’oûo-pa fa-seng. Les Wéi étaient faibles, à ce qu’il paraît. Heureusement que A-na-koei le khan des Jeóu-jan, avait alors envie de se faire pardonner ses récents méfaits (p. 1197). Sa cavalerie envahit le nord de la Chine, et défit Hân pa-ling, dont les bandes (200 mille hommes) se soumirent. p.1199 Nous avons dit comment, en 520, T’oûo-pa i et Liôu-t’eng avaient séquestré la reine Hôu. Liôu-t’eng étant mort, et T’oûo-pa i s’étant relâché de sa vigilance, en 525, durant une absence de cet usurpateur, la reine trouva moyen de sortir de sa prison, se présenta au roi son fils, et lui dit : — On nous a violemment séparés ! On ne vous permet même plus de me voir ! Alors pourquoi resterais-je au palais ? Je vais me faire bonzesse dans quelque bonzerie solitaire !.. et ce disant, elle fit mine de se couper les cheveux séance tenante. Ému, le roi se prosterna en pleurant, et supplia sa mère de n’en rien faire... — Alors vengez-moi de T’oûo-pa i, dit la reine... Prenant pour prétexte une insulte vraie ou supposée faite par T’oûo-pa i à la dame P’ān concubine favorite, par un ordre secret le jeune roi lui retira 131 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. toutes ses charges. Le lendemain, quand T’oûo-pa i voulut rentrer au palais, les gardes lui refusèrent la porte. La reine Hôu reprit officiellement la régence. Puis les officiers de feu T’oûo-pa i, (p. 1194) ayant demandé qu’on le réhabilitât et qu’on le vengeât, la reine accéda volontiers à cette demande qui allait à la réhabiliter et à la venger elle-même. La tombe de Liôu-t’eng fut ouverte, ses cendres furent jetées aux quatre vents, sa famille fut exterminée, ses biens furent confisqués. T’oûo-pa i étant marié à la sœur de la reine, il convenait de faire, pour la forme, un peu plus d’embarras. Enfin, sur les instances réitérées des censeurs (poussés par elle), et pour donner satisfaction au juste ressentiment du peuple (formule usuelle), la reine Hôu lui permit de se suicider. Ici, entrée en scène d’un personnage, qui jouera bientôt un grand rôle. Dans le Chān-si actuel, un certain Eúll-tchou joung (famille tongouse), vend ses terres et s’attache des bravi p.1200 (cf. p. 798), pour être prêt à pêcher en eau trouble en temps opportun. La plaine du Heûe-pei actuel était alors en ébullition. Un certain Keûejoung l’avait soulevée. En 527, le roi de Wéi nomma Ts’oēi-k’ai préfet de Yìnn-tcheou (dans le Wéi-hoei-fou, 19), ville alors menacée par les rebelles, Le nouveau préfet déclara que, pour remplir sa mission, il lui fallait des troupes. On ne lui en donna pas. Quelqu’un lui conseilla alors de déserter son poste. — Étant fonctionnaire, dit-il, je dois souffrir avec ceux qui souffrent…. — Alors renvoyez du moins les bouches inutiles... Il le fit, et renvoya, à cette occasion, son fils et sa fille. Il s’en repentit ensuite, comme d’une lâcheté, et rappela ses enfants. Son courage donna du cœur à la faible garnison, qui résista énergiquement au premier choc des rebelles. Cependant la ville finit par être prise d’assaut. Son sceptre de commandement à la main, Ts’oēi-k’ai refusa de capituler. Keûe-joung le fit mettre à mort, puis alla assiéger Kì-tcheou, défendu par Yuân-fou. La ville fit une belle résistance, mais la famine ayant exténué les défenseurs, elle fut aussi prise d’assaut. Les officiers refusèrent de capituler, et se prosternèrent devant Keûe-joung en lui demandant la mort. 132 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Vous êtes de braves gens, leur dit celui-ci ; et il les renvoya libres. Cependant le roi de Wéi désigna Yuân tzeu-young pour combattre les rebelles ; puis, par un nouvel ordre, il lui adjoignit P’êi-yen. Yuân tzeu-young dit au roi : — Si P’êi-yen marche, permettez que je reste ; si je dois marcher, faites-le rester !.. Le roi maintint sa détermination. Les deux rivaux se gênèrent si bien l’un l’autre, qu’ils furent battus au passage de la Tchāng, et tués tous les deux, ce qui les mit d’accord. Au neuvième mois, Keûe-joung était devant Íe, avec plus de cent mille hommes. C’est alors que Eùll-tchou joung entra en campagne. p.1201 Après avoir bien examiné la situation, il jugea plus profitable, pour l’heure, de soutenir les Wéi que de les renverser. Avec son corps franc de sept mille hommes, il livra bataille aux rebelles, au nord de Íe (20). Malgré son infériorité numérique, il attaqua de front. Craignant que ses hommes ne perdissent leur temps à couper la tête des tués et des blessés, comme c’était l’usage alors, il avait armé ses cavaliers de massues au lieu de sabres, et ordonné qu’on ne donnât qu’un coup à chaque ennemi. Les rebelles, qui étaient probablement une cohue mal armée, furent complètement défaits par cette poignée d’hommes résolus. Keûe-joung fut pris, envoyé à Láo-yang et décapité. Quant à ses brigands, Eùll-tchou joung leur donna 24 heures pour disparaître. Le surlendemain, quand il commença à les poursuivre, il ne trouva plus personne, bien entendu. Tous étaient redevenus braves gens, à la mode de Chine, c’est-à-dire qu’ils avaient retourné leur jaquette, dehors dedans. Fâng king-pai était alors préfet de Ts’īng-heue. Son subordonné Liôu kienhou l’ayant insulté, Fâng king-pai ne se vengea pas, et donna même une charge au fils de son insulteur. Il y avait aussi, dans son district, des partisans de Keûe-joung. Ceux-ci ayant constaté, par cet exemple, que leur préfet n’était pas vindicatif, lui firent tous leur soumission, et il les laissa en paix. La mère du préfet, née Ts’oēi, était si sage, que son fils lui demandait 133 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. souvent conseil pour les choses de son administration. Un jour une femme du peuple ayant accusé son fils d’impiété, Fâng king-pai en parla à sa mère. — Ce garçon n’est pas criminel, dit la mère ; il ignore évidemment les rites. Elle prit chez elle la mère du jeune homme, qu’elle fit asseoir à sa table. Or, pendant qu’elle mangeait, le préfet la servait, avec tous les raffinements de piété filiale prescrits par le Lì-ki. Le fils impie p.1202 assistait au spectacle. Au bout de dix jours, il eut honte de son impiété. Madame Ts’oēi jugea que cette contrition n’était pas encore assez profonde, et l’enseignement continua. Au bout de vingt jours, le fils impie fit amende honorable, et battit de la tête au point de se mettre le front tout en sang. Alors le préfet congédia la mère et le fils, lequel devint un modèle de piété filiale... « Ah ! dit le commentateur, il est vrai que beaucoup de gens du peuple paraissent être des brutes ; cependant leur cœur d’homme n’est pas éteint. Les bons fonctionnaires ne sont pas ceux qui tapent sur ces gens-là à bras raccourcis, mais ceux qui savent s’adresser à ce reste de cœur humain, pour les amender. Elle fut excellente, la leçon donnée à son fils par Madame Ts’oēi-cheu. On bonifie les hommes, en s’adressant à leur cœur. Recommandé à l’attention de tous les mandarins. Entre temps Siào-yen (l’empereur Où) était devenu un buddhiste convaincu et pratiquant. En 527, il céda sa personne (dit le Texte) au temple T’oûng-t’ai-seu ; c’est-à-dire qu’il se fit bonze. — Ici les commentateurs jettent feu et flammes, bien entendu. « Elle fut extrême, la stupidité de l’empereur Où ! Quand un homme est né sur la terre, son plus grand bien n’est-il pas sa personne ? S’il ne convient pas qu’il se tue, il ne convient pas non plus qu’il fasse cession de sa personne. D’ailleurs on ne voit pas trop comment l’acte de l’empereur Où fut une cession de sa personne. Il renonça à ses trésors et à ses femmes ; c’est là céder ses biens, non céder sa personne. S’il s’était vraiment donné, le 134 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Buddha aurait dû le prendre, ce dont on ne voit pas trace. Appeler ce qu’il fit, cession de sa personne, est donc illusion mentale et abus de mots. Mais comment qualifier l’acte des ministres qui le rachetèrent aux bonzes pour une grosse somme, alors qu’il n’y avait eu aucune p.1203 cession réelle ? Toute cette comédie fut un affront fait à l’empereur, à son peuple, et même au Buddha. Mencius a dit : On cède un poisson pour une patte d’ours, on cède sa vie pour la vertu. Dans le premier cas, il y a choix entre deux objets indifférents ; on cède l’un pour l’autre. Dans le deuxième cas, on préfère le bien à la vie, ce qui est légitime. Mais dans le cas de l’empereur Où, il n’y eut pas choix, il n’y eut pas mort. Dire qu’il céda sa personne au Buddha, est donc une baliverne, n’en déplaise aux Lettrés qui ont employé ce terme dans la rédaction de l’Histoire. @ Chez les Wéi, en 528. Après son retour au pouvoir, la reine Hôu ne fut pas meilleure qu’auparavant. Elle donna toute sa confiance à des favoris (amants), qui en abusèrent. Elle tenait le jeune roi à l’écart, lui cachait toutes les affaires, surveillait soigneusement son entourage, éliminant immédiatement quiconque lui devenait cher. A la longue, ces procédés la rendirent odieuse à son fils. Cependant Eùll-tchou joung, que nous connaissons, attendait l’occasion de faire ses affaires. Comme il était puissant, tous les autres petits aventuriers firent cause commune avec lui. Liôu-koei, l’un d’entre eux, lui recommanda, comme habile marchand de politique, un certain Kāo-hoan. Quand on le lui présenta, Eùll-tchou joung fut choqué de la chétive apparence de cet homme. Cependant pour voir ce qu’il saurait faire, il le chargea de tondre un cheval de ses écuries, rétif et hargneux au possible. Kāo-hoan ligota l’animal, puis le tondit paisiblement. L’opération terminée, il dit à Eùll-tchou joung: — J’en ferai autant, s’il vous plaît, à des êtres plus méchants... Se sentant deviné, Eùll-tchou joung le fit asseoir, congédia tout le monde, et lui demanda son avis sur les choses du temps... 135 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — A propos, pourquoi faites-vous élever douze troupeaux de chevaux de robe diverse ? p.1204 fit Kāo-hoan, à brûle-pourpoint... — C’est à moi de vous interroger, dit Eùll-tchou joung, qui sentit ses projets de révolte percés à jour... Sûr des intentions de son interrogateur, Kāo-hoan dit : — La reine est une femme débauchée, le roi est un enfant imbécile, des favoris gouvernent, ou plutôt, il n’y a plus de gouvernement ; je pense qu’un dictateur militaire devrait mettre ordre à ce gâchis... Suffisamment translucide ce discours réjouit fort Eùll-tchou joung, lequel s’aboucha aussitôt avec divers princes du sang et gouverneurs. Il fit aussi des offres au jeune roi. Las du joug des amants de sa mère, celui-ci accepta. Eùlltchou joung marcha aussitôt sur la capitale, menant avec lui Kāo-hoan, devenu son conseille intime. Effrayé du danger qu’il allait courir, le jeune roi lui envoya contrordre. Cette démarche le trahit. Les favoris avertirent la reine, laquelle empoisonna son fils le roi T’oûo-pa hu et mit sur le trône T’oûo-pa chao, un enfant de trois ans ; car, dit le Texte, le grand souci de la reine, était de rester toujours régente ; voilà pourquoi elle choisit un si petit enfant. Quand Eùll-tchou joung reçut ces nouvelles il feignit une grande colère, et déclara qu’il allait venger le roi défunt, et mettre un roi adulte sur le trône, afin d’imiter Ī-yinn et Hoùo-koang d’illustre mémoire, bien entendu... Pour déterminer qui il mettrait sur le trône, Eùll-tchou joung recourut à un singulier mode de divination, très usité en ce temps-là. Il fit couler en bronze les statuettes de divers princes du sang, descendants de T’oûo-pa houng. Seule la statuette de T’oûo pa tzeu-you réussit. Eùll-tchou joung lui offrit le trône. Le prince accepta. Alors Eùll-tchou joung qui avait concentré toutes ses troupes dans la vallée de la Fênn, marcha droit à la capitale. Quand la reine Hôu reçut la nouvelle de ces événements, éperdue de frayeur, elle convoqua les princes p.1205 T’oûo-pa qui se trouvaient dans la ville. Ceux-ci, las de son gouvernement, refusèrent de parler. Cependant Eùlltchou joung s’étant emparé du pont du Fleuve Jaune, T’oùo-pa tzeu-you se 136 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. proclama roi. Comprenant que tout était perdu, la clique de la reine l’abandonna. Elle se coupa les cheveux et se réfugia dans une bonzerie. Au nom du nouveau roi, Eùll-tchou joung la fit saisir, ainsi que l’enfant qu’elle avait assis sur le trône pour régner en son nom. Amenés au pont, la douairière et l’enfant furent, précipités dans le Fleuve, par l’ordre de Eùlltchou joung. Celui-ci ordonna ensuite à tous les ministres et officiers de la feue reine, de se réunir à T’âo-tchou, entre le Fleuve et Láo-yang. Là, les ayant fait préalablement entourer par un corps de cavalerie barbare, il leur adressa un discours virulent, les déclara coupables des désordres de la reine et de la mort du roi, et les fit enfin sabrer par ses cavaliers, par manière de péroraison. Tous furent tués sur place. On compta plus de deux mille cadavres. Nettoyage expéditif et radical ! — Après cet exploit, Kāo-hoan conseilla à Eùll-tchou joung de monter sur le trône, et de supprimer le roi qu’il avait fait. Heúe pa-yao, officier très influent, fut d’un avis contraire. Eùlltchou joung recourut à son moyen ordinaire de divination. Il fit couler sa statue. Quatre fois de suite la coulée rata. Il fit consulter l’achillée et la tortue. Réponses négatives. Alors Eùll-tchou joung conduisit T’oùo-pa tzeuyou à Láo-yang, le mit sur le trône, et proclama une amnistie générale. Ces manigances n’avaient pas échappé au nouveau roi. Cependant lui, et son auteur, se firent publiquement les plus beaux serments. Après cet épanchement, on but copieusement, pour se refaire. Eùll-tchou joung ayant glissé sous la table le premier, le roi pressa ses assistants de lui couper le cou. Ils n’osèrent pas. p.1206 Revenu à lui, Eùll-tchou joung se douta du péril qu’il avait couru, sortit, et se garda désormais du roi. Il lui imposa pourtant sa fille, pour être sa reine. Décoré des titres de Chancelier et de Maréchal Soutien du Ciel, Eùll-tchou joung alla résider à Tsínn-yang (17), à l’abri du poignard et du poison, pensait-il. T’oûo-pa tzeu-you se croyant intelligent, prétendit gouverner. On ne l’avait pas fait roi pour cela. Sa reine et gouvernante avertit son père. Or tout juste (en 530) une comète ayant balayé de sa queue le quadrilatère de la Grande Ourse, les devins de Eùll-tchou joung jugèrent que cela signifiait qu’il fallait balayer la cour royale. De son côté, le roi résolut de se défaire du Chancelier. Pour cela, il fallait l’attirer à la capitale et au palais, chose assez difficile, vu ses défiances. On lui manda que sa fille venait d’accoucher d’un 137 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. prince royal. Il donna dans le piège, fut assailli par les gardes dans la salle du trône, et percé d’un coup d’épée par le roi lui-même. Les partisans du roi firent grande fête. Leur joie ne fut pas longue. Le frère du Chancelier, Eùll-tchou cheu-loung, s’empara du pont du Fleuve, marcha sur la capitale, et battit la poignée de soldats que le roi essaya de lui opposer. Mille de ses cavaliers barbares, entrés à Láo-yang sous prétexte de réclamer le corps du Chancelier, faillirent s’emparer du roi. Cependant un brave officier, Lì-miao, ayant réussi à incendier le pont du Fleuve. par lequel les renforts attendus par Eùll-tchou cheu-loung devaient arriver, le dernier acte de la tragédie fut quelque peu retardé... Les Eùll-tchou concentrèrent leurs forces au nord du Fleuve, proclamèrent T’oûo-pa hoa roi de Wéi, et se partagèrent les provinces. Outre Eùll-tchou cheu-loung, les principaux chefs étaient Eùll-tchou tchao au nord, Eùll-tchou tchoung-yuan au sud. Kāo-hoan, l’ex-conseiller de Eùll-tchou joung (p. 1203), se tenait à l’écart, attendant p.1207 l’occasion de faire ses propres affaires. T’oûo-pa tzeu-you confia son sort à T’oûo-pa hoei, un pleutre. Eùlltchou tchao étant arrivé à Láo-yang, marcha droit au palais. Les gardes s’enfuirent. T’oûo-pa hoei fit de même, à la barbe de son maître. Eùll-tchou tchao enchaîna le roi, fit assommer ses enfants sous ses yeux à coups de bâton, livra Láo-yang au pillage, etc. Cependant T’oûo-pa hoei, avec tout ce qu’il avait sauvé, cent livres d’or et cinquante chevaux, était allé demander asile à K’eóu tsou-jenn qu’il croyait extrêmement dévoué, trois membres de cette famille ayant été faits gouverneurs par les princes T’oûo-pa. Quand K’eóu tsou-jenn eut vu l’or, il dit secrètement à ses fils : — Voilà que la fortune nous arrive. Puis il dit à T’oûo-pa hoei : — On viendra certainement vous chercher ici ; allez ailleurs !.. Or il avait aposté des gens, qui assassinèrent le fugitif. K’eóu tsou-jenn envoya sa tête à Eùll-tchou tchao, et prit pour soi l’or et les chevaux... Durant la nuit suivante, T’oûo-pa hoei apparut à Eùll-tchou tchao, et lui dit : 138 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Ma fortune, savoir deux cents livres d’or et cent chevaux, est entre les mains de K’eóu tsou-jenn... Dès le matin, Eùll-tchou tchao qui était extrêmement cupide, exigea de K’eóu tsou-jenn l’or et les chevaux. Le compte n’y étant pas, sur la foi de son rêve, il fit massacrer toute la famille K’eóu. Némésis !.. L’histoire de ce revenant malin et menteur, trouble beaucoup les commentateurs. Quand l’homme est mort, dit maître Hôu, son k’í se dissipe, comme la lueur disparaît quand le feu s’éteint. Alors comment T’oûo-pa hoei a-t-il pu apparaître en songe à Eùll-tchou tchao ?.. Sans doute, la traîtrise de K’eóu tsou-jenn méritait que les koèi le châtiassent. Sans doute, T’oûo-pa hoei ayant assimilé durant sa vie bien des quintessences (p. 144), quelque chose de lui a pu survivre pour un temps. Cependant ce quelque chose put-il, en un jour, p.1208 revenir de si loin, reprendre son corps et venir jusqu’à Láo-yang pour exercer sa vengeance ?.. Maître Hôu nous laisse sur ce point d’interrogation. Láo-yang étant pris, tous les Eùll-tchou s’y concentrèrent. Ils s’y querellèrent bientôt. Eùll-tchou tchao qui était un homme très violent, en voulait à Eùll-tchou cheu-loung. Une révolte éclatée dans la vallée de la Fênn, les sépara, fort à propos. Eùll-tchou tchao courut défendre Tsínn-yang (17). Il emmena avec lui le roi détrôné T’oûo pa tzeu-you. Mais bientôt, le trouvant gênant, il le mit à mort. En 531 Eùll-tchou cheu-loung et son frère Eùll-tchou tchoung-yuan, jugeant que le roi T’oûo-pa hoa ne faisait pas leur affaire, le remplacèrent par T’ouo-pa koung... Jadis, durant l’usurpation de T’oûo-pa i (p. 1193), ce prince avait contrefait le muet, pour sauver sa vie. Il fut huit années entières, sans prononcer un seul mot. Est-ce à cause de cette infirmité supposée que les Eùll-tchou le jugèrent apte au trône ? Quand il y fut assis, il parla, à la satisfaction générale, dit le Texte. Eùll-tchou cheu-loung s’institua son ministre-factotum. Les Eùll-tchou se partagèrent les provinces. Eùll-tchou t’ien-koang gouverna l’Est ; Eùll-tchou tchao le Nord ; Eùll-tchou tchoungyuan le Sud. Ils furent bien tôt tous universellement et mortellement détestés. @ 139 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Obligés de compter avec Kāo-hoan (p. 1206), les Eùll-tchou l’avaient fait gouverneur du Kí-tcheou. En 531, il s’y révolta contre eux, battit Eùll-tchou tchao, nomma roi le prince T’oûo-pa lang, le fixa à Íe, et se fit son ministre. Eùll-tchou t’ien-koang ayant tenté de le réduire, Kāo-hoan le battit. Poussant sa pointe, il prit et mit à mort Eùll-tchou t’ien-koang et cheu-loung, s’empara de Láo-yang, détrôna, et T’oûo-pa koung le roi des Eùll-tchou, et T’oùo-pa lang sa p.1209 propre créature, puis mit sur le trône T’oûo-pa siou, à qui il imposa sa fille comme reine. Ensuite, au nom de ce roi, il mit à mort les trois rois déposés T’oûo-pa hoa, T’oûo pa koung et T’oûo-pa lang. Enfin, en 533, Kāo-hoan surprit et tua Eùll-tchou tchao. Ainsi finit cette famille d’aventuriers. En 534, las de la tutelle de Kāo-hoan, T’oûo-pa siou s’enfuit de Láo-yang à Tch’âng-nan, et prit pour ministre Ù-wenn t’ai, l’instigateur de cette escapade... Sans se troubler, Kāo-hoan fit un nouveau roi, T’oûo-pa chankien, qu’il fixa à Íe, Láo-yang étant trop près de Tch’âng-nan... Le grand royaume de Wéi des T’oûo-pa, se trouva ainsi divisé en deux petits royaumes. A partir de cette année 534, nous aurons à distinguer les Wéi Occidentaux, capitale Tch’âng-nan, Ù-wenn Maires du palais ; et les Wéi Orientaux, capitale Íe, Kāo Maires du palais. — Avant la fin de l’année, Ù-wenn t’ai empoisonna T’oûo-pa siou, et le remplaça par T’oûo-pa pao-kiu. En 526, famine épouvantable chez les Wéi occidentaux, anthropophagie, disparition des huit dixièmes de la population. Kāo-hoan (Wéi orientaux) en profite pour leur faire la guerre. Mais Ù-wenn t’ai qui lui était supérieur comme talent militaire, le bat, s’empare de Láo-yang et de la vallée de la Láo. En 539, Kāo-hoan impose à T’oûo-pa chan-kien sa fille comme reine. Il avait, paraît-il, des filles disponibles pour toutes ses créatures successives. En 546, nouvelle expédition de Kāo-hoan contre les Wéi occidentaux. Il envahit la vallée de la Fênn, et mit le siège devant la forteresse de Ù-pi. Cette place n’ayant pas de puits, buvait l’eau de la Fênn. En une nuit, Kāo-hoan détourna le cours de cette rivière. Puis il éleva, au sud-est de la ville, un tertre plus haut que les remparts, pour tenter l’assaut par le moyen d’un 140 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pont-levis à crocs. Mais le brave commandant p.1210 Wêi-hiao-k’oan déjoua tous ses plans. De solides chevaux de frise, empêchèrent le pont-levis de s’abattre... Dix tunnel souterrains creusés ensuite, allèrent tous déboucher dans une tranchée creusée à l’intérieur des remparts. A chaque fois, les assiégés tuèrent les sapeurs puis flambèrent ou étouffèrent, par le feu et la fumée, les soldats entassés pour l’assaut dans l’étroit boyau souterrain... Aux béliers, ils opposèrent des matelas mobiles, qu’on descendait du haut du rempart à l’endroit où la machine attaquait, et qui amortissaient ses coups. Ils démolirent les tours incendiaires de Kāo-hoan avec des leviers à crocs. Celui-ci ayant miné le rempart, en étayant sa mine avec des bois qu’il alluma ensuite, un partie du rempart s’écroula ; mais avant l’assaut, Wêi hiao-k’oan avait déjà fermé la brèche au moyen d’une palissade... Le siège dura 50 jours, et coûta à Kāo-hoan 70 mille hommes qu’il fit tous enfouir dans une immense fosse commune. Enfin Kāo-hoan lui-même étant tombé malade, les Wéi orientaux levèrent le siège. En 547 éclipse de soleil, pour annoncer la rébellion imminente de Heôuking. On voit, dit le commentaire, combien il faut faire cas des signes célestes... Cette même année, Kāo-hoan étant mort, Heôu-king qui gouvernait pour les Wéi orientaux au sud du Fleuve, trahit leur cause et passa aux Wéi occidentaux. Un mois plus tard, il trahit les Wéi occidentaux et se donna à l’empereur, lequel le fit roitelet, lui donna sa confiance et des troupes, pour son malheur. Cependant Kāo-teng avait succédé à son père Kāo-hoan, comme Maire du palais des Wéi orientaux. T’oûo-pa chan-kien n’étant pas un imbécile, le roi et le ministre furent bientôt brouillés. Un jour qu’ils buvaient ensemble, Kāoteng souhaita à Chân-kien dix mille années de vie... — Balivernes ! dit le roi, qui savait combien ce souhait partait du cœur. p.1211 Aussitôt Kāo-teng lui fit donner, par un officier, une volée de coups de poing, que lui-même accompagna de grossières injures... Jolies mœurs !.. Toutes les portes du palais étant gardées par Kāo-teng, quelques serviteurs du roi essayèrent de se mettre en communication avec l’extérieur par un tunnel souterrain. La chose fut découverte. Kāo-teng entra au palais avec des 141 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. soldats, pénétra dans l’appartement du roi, s’assit sans façon, et lui demanda à brûle-pourpoint : — Pourquoi voulez-vous vous révolter ?.. — J’ai bien ouï parler de ministres qui se sont révoltés contre leurs princes, dit T’oûo-pa chan-kien ; mais je n’ai jamais entendu dire qu’un prince se soit révolté contre son ministre ; si vous voulez m’assassiner, faites !... Kāo-teng qui n’était probablement pas encore assez fort ce jour-là, se prosterna avec de grandes protestations de fidélité. Trois jours plus tard, T’oûo-pa chan-kien était prisonnier dans son palais, et Sûnn-tsi, l’auteur du tunnel, était bouilli publiquement dans un chaudron, sur la place du marché, à la mode antique. @ Culte des Leâng... En 529, l’empereur Où se fit bonze pour la deuxième fois (p. 1202). Cette fois, il le fit avec ostentation, quitta le costume impérial, revêtit la robe des bonzes, s’enferma dans une cellule, fit usage de la couchette et de la vaisselle réglementaire, et se fit expliquer le Nirvana-Sutra. Les ministres le rachetèrent pour un milliard de pièces de monnaie. L’empereur ne consentit à rentrer au palais, qu’à la troisième sommation... Ici le commentateur jette les mêmes cris de paon qu’en l’an 527. Parmi les cinq bonnes œuvres du buddhisme, dit-il, le don de soi est la première, c’est vrai. Mais un empereur a-t-il le droit de renoncer à son empire, à ses armées, à ses femmes, à ses enfants ? Je crois, pour ma part, que Bodhidharma (HCO, L 62) p.1212 n’aurait pas reçu Siáo-yen comme novice. Vraiment, le buddhisme éteint toutes les relations humaines. Il annule la personne propre. Il détruit les liens de famille. Il rend tout gouvernement impossible. Aussi les Lettrés l’ont-ils toujours réprouvé et flétri. En 537, l’empereur Où ayant bâti une pagode et une tour, et accordé une amnistie à tout l’empire, en l’honneur de certains ongles et cheveux du Buddha qu’il venait de recevoir, maître Hôu gémit : 142 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. « Supposé même que le Buddha ait été un Sage, après tout il n’a été qu’un homme. Supposé que son esprit ait été plein de doctrine, quelle vertu peuvent avoir ses os, ses cheveux, ses ongles ou ses dents ? Et ces cendres de Saints (Sariras) qu’on nous vante comme la quintessence des plus purs k’í ? Tous ces objets ne servent, ni à manger, ni à s’habiller ; ils ne guérissent d’aucune maladie ; ils ne conservent pas la vie. Et dire que l’empereur Où en fit cas au point de leur bâtir une pagode ! Et que, quand il eut bâti cette pagode, il mourut de faim ! Ne voyez-vous pas, par cet exemple, le néant des talismans buddhiques ? En 538, grande amnistie, pour célébrer l’arrivée de nouvelles reliques du Buddha... Plus il vieillissait, plus l’empereur Où devenait dévot, dit l’Histoire. Il ne pouvait plus se résoudre à condamner un criminel à mort. Quand il le fallait absolument, comme dans le cas de révolte flagrante, il sanglotait à faire pitié. Cette faiblesse multiplia le nombre et augmenta l’audace des brigands. On le dit à l’empereur, mais sa piété l’empêcha de tenir compte de l’observation. En 546, s’étant rendu au T’oûng-t’ai-seu sa pagode favorite, il y expliqua lui-même un Sutra. Durant la nuit suivante, la pagode fut incendiée par la foudre. — C’est Mara (le diable) qui a fait ce coup, dit l’empereur ; et il ordonna de reconstruire la pagode, plus grande et plus belle, avec une tour à douze étages. En 547, l’empereur Où se fit bonze pour la p.1213 troisième fois. Tout ce qu’on peut dire sur ce sujet ayant été dit, les commentateurs ridiculisent cette fois la sollicitude de l’empereur Où pour la vie des bêtes. « Personne, ricane maître Hôu, n’a jamais cru plus fermement que lui, le dogme buddhique qui affirme que les chiens, les porcs, les bœufs et les moutons, sont nos parents (sic). Il osa prétendre que Yâo, Choúnn, le Duc de Tcheōu et Confucius, lesquels tuèrent des animaux, avaient tous été des êtres inhumains. Vraiment, si les dogmes buddhiques de la métempsycose et de la rétribution 143 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. étaient vrais, tous les bonheurs auraient dû pleuvoir sur l’empereur Où. Or, tout au contraire, son règne fut malheureux, sa fin fut lamentable. Après avoir vécu de légumes, pour ne causer la mort d’aucun être vivant, il mourut misérablement de faim. Son histoire méditée suffit à elle seule, pour persuader du néant absolu des promesses buddhiques. Culte des Wéi... Ceux-ci aussi étaient dévots buddhistes. Il s’ensuit que, à cette époque (commencement du sixième siècle), toute la Chine fut buddhiste, officiellement. En 534, avant le partage des Wéi, la grande pagode de Láo-yang fut incendiée par la foudre. En 538, chez les Wéi orientaux, un édit interdit de fonder de nouvelles bonzeries et pagodes, sans autorisation. Il y en avait, de fait, bien assez. Rien que dans le Heûe-pei et le Chān-tong actuels, trente mille pagodes étaient desservies par deux millions de bonzes et bonzesses. Altéré de paix, dans ces temps troublés, le peuple quittait en masse champs et métiers. C’est pour restreindre la désertion du travail, ruine de l’État, que l’édit fut porté. En 548, encore chez les Wéi orientaux, interdiction du culte taoïste. Kāoteng prit cette mesure, dit l’Histoire, à cause de l’inconduite des táo-cheu. Il est plus probable qu’il la prit, à cause des menées subversives de ces devins et p.1214 magiciens. A ce propos le commentaire nous apprend, que la vitalité du taoïsme a toujours été beaucoup moindre que celle du buddhisrne ; que le taoïsme s’est toujours relevé lentement et avec peine des coups qui lui ont été portés, tandis que le buddhisme s’est chaque fois redressé plus florissant et plus vivace au lendemain même de la persécution. @ Rébellion de Heôu-king... En 547, les impériaux barrèrent la Séu, pour noyer P’éng-tch’eng (a), alors aux Wéi orientaux. Móu-joung chao-toung, général tongouse au service des Wéi, les bat. Heôu-king le bat à son tour. 144 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 548, Móu-joung chao-toung prend sa revanche, et inflige à Heôu-king une défaite complète. Les Wéi prennent aux impériaux 23 préfectures (bassin du Hoâi). Craignit-il d’être puni ? Jugea-t-il que l’empire affaibli serait facile à prendre ? Bref, Heôu-king battu se tourna contre l’empereur Où. La défection d’un prince du sang, Siáo tcheng-tei, lui permit de passer le Fleuve Bleu et d’investir la capitale. Heôu-king attaqua vivement Kién-k’ang. Mais les assiégés, dirigés par Yâng-k’an, se défendirent bravement. Ils écrasèrent ses tortues, en jetant, du haut des remparts, d’énormes pierres. Ils brûlèrent ses machines d’approche, au moyen de flèches incendiaires... Voyant qu’il ne réussirait pas à prendre la ville de vive force, Heôu-king l’entoura d’un mur de circonvallation, et la bloqua pour l’affamer. Cependant des têtes chaudes tentèrent une sortie, contre l’avis formel de Yâng-k’an. Heôu-king les jeta dans les fossés de la place, où ils se noyèrent presque tous. Le fils de Yâng-k’an fut pris dans cette bagarre. Heôu-king le fit montrer de loin à son père. — Tuez-le ! cria celui-ci ; je consens à mourir sans postérité, pour l’amour de mon souverain... A quelques jours de là, comme on ramenait encore le p.1215 jeune homme à la vue du rempart, son père essaya de le percer d’une flèche. Édifié par la fidélité du père, Heôu-king fit grâce au fils. Le général Kiāng tzeu-i ayant subi un échec, l’empereur le gronda... — La faute en est à mes soldats, qui m’ont abandonné, dit Kiāng tzeu-i ; je vais vous prouver que je ne suis pas un lâche. Aussitôt, accompagné de ses frères Kiāng tzeu-seu et Kiāng tzeu-ou, et d’une centaine de braves piqués d’honneur comme lui, il sortit de la ville et alla provoquer les ennemis. Il fut tué d’un coup de sabre, qui lui abattit une épaule. Ses frères déposant leurs armes défensives, se jetèrent dans la mêlée, et se firent tuer de même. Au commencement du siège, Heôu-king qui s’attendait à enlever la ville en peu de jours, avait contenu ses troupes dans l’ordre et la discipline. La résistance se prolongeant, et ses provisions s’épuisant, il permit à ses bandes 145 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. de piller et de dévaster. Elles s’en donnèrent à cœur joie. Bientôt le grain se paya, devant Kién-k’ang, 80 mille sapèques le litre. On mangea de la chair humaine. Les six dixièmes des assiégeants périrent de faim. Alors, pour presser la reddition de la place, Heôu-king fit élever à proximité des remparts des monticules de terre. Quiconque ne travaillait pas bien à cette corvée, était enterré vif dans le tas, dit la légende. Pour n’être pas dominés par ces monticules, dont le tir plongeant aurait rendu leurs remparts intenables, les assiégés élevèrent eux aussi des monticules. Chacun, jusqu’au prince impérial, y travailla. Sur les monticules, ils dressèrent des tours en bois, hautes de douze mètres. Deux mille braves archers les occupèrent, tirant, sans désemparer, jour et nuit... Survinrent des averses, qui firent écrouler les monticules mal tassés des assiégés. Profitant du désastre, les assiégeants donnèrent l’assaut. Mais Yâng-k’an arriva à les repousser, au moyen de projectiles incendiaires. Alors Heôu-king fit offrir à tous ceux qui, dans la ville, étaient de condition servile, la liberté, des richesses, etc.. Ces offres firent déserter des milliers de personnes. Cependant, de l’intérieur, par une galerie creusée jusque sous le principal monticule des assiégeants, Liòu tsinn-ming parvint à miner et à faire écrouler ce bastion. Il relia aussi les tertres des assiégés par une sorte de pont suspendu garni d’archers, dont le tir plongeant exécuté en ligne, obligea les assiégeants à évacuer les abords du rempart. Il arriva aussi à incendier leurs machines, et leur infligea de sérieuses pertes d’hommes.. Un essai fait par les assiégeants de noyer la place, ne réussit que partiellement... Voilà les deux points forts de la stratégie chinoise ; fouir et inonder. Un certain Tch’ênn-hinn ayant été fait prisonnier par Heôu-king, celui-ci lui offrit du service. Tch’ênn-hinn refusa. Heôu-king le confia à la garde de Fân t’ao-pang, qu’il chargea de le gagner. Au contraire Tch’ênn-hinn gagna son gardien, qui l’envoya en ville, durant la nuit, pour offrir sa soumission. Le prince impérial, homme indécis, se défia de cette offre. Les officiers eurent beau l’exhorter à l’accepter, pour démoraliser les bandes de Heôu-king ; il refusa de laisser ouvrir la porte. Cependant Heôu-king averti, avait supprimé Fân t’ao-pang. Au matin, quand Tch’ênn-hinn revint au camp des assiégeants, 146 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Heôu-king le fit saisir, et exigea de lui qu’il introduisit ses hommes dans la ville, comme étant ceux de Fân t’ao-pang. Tch’ênn-hinn s’étant refusé à cette trahison, Heôu-king le fit massacrer. Siáo-lunn ayant tenté de venir du dehors au secours de la capitale assiégée, Heôu-king le repoussa. Hoùo-tsounn fut pris dans cette affaire. Heôu-king lui promit la vie sauve, s’il voulait dire aux assiégés que Siáo-lunn avait été battu et tué. Bon, fit Hoùo-tsounn... Conduit au pied du rempart, il cria : p.1217 — Siáo-lunn n’a subi qu’un échec insignifiant. Il est allé se refaire. Tenez bon !.. Les soldats qui le tenaient, lui lardèrent le dos avec la pointe de leurs sabres. Il n’en cria que plus fort. Heôu-king le fit achever. Wêi-ts’an et Liòu tchoung-li essayèrent aussi de débloquer la capitale. Wêi-ts’an s’égara dans le brouillard. Surpris par la nuit, il essaya de se retrancher. Avant qu’il y eût réussi, Heôu-king était sur lui. Les officiers de Wêi-ts’an lui conseillèrent de fuir. Non, dit-il ; et appelant à lui ses frères fils et autres parents, il se jeta sur les ennemis, et se fit tuer avec tout son monde. Prévenu de la catastrophe au moment on il prenait son repas, Liòu tchoung-li jeta ses bâtonnets, prit les armes, et courut à l’ennemi avec une poignée d’hommes. Son attaque soudaine fit fléchir l’avant-garde de Heôuking. Liòu tchoung-li allait le joindre et lui porter un coup de lance, quand luimême, frappé par derrière, fut grièvement blessé. Heôu-king se retira. Liòu tchoung-li se retrancha devant la ville. Au commencement de l’an 549, le siège durait encore. Jusque-là les grains avaient suffi ; on n’avait souffert que du manque de sel (condiments salés). A la longue, tout fit défaut. On démolit les édifices, pour en brûler les bois. On défit les nattes, pour en donner les joncs comme nourriture aux chevaux. Les soldats firent bouillir le cuir des vieilles cuirasses, prirent les rats et les moineaux, tuèrent tous les chevaux, mangèrent enfin la chair des hommes tués. Bientôt tous furent malades. 147 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les assiégés ayant dévasté tout le pays, souffraient eux aussi de la famine. Wâng-wei conseilla à Heôu-king de proposer un traité, pour gagner le temps de se refaire. Le prince impérial, mauvais génie des assiégés, opina pour qu’on l’acceptât. — Plutôt mourir, que de traiter avec un rebelle, dit Siáo-yen, chez p.1218 lequel l’empereur se réveilla ce jour-là sous le bonze. Le prince ayant insisté : — Fais ce que tu voudras, lui dit l’empereur ; mais prends garde que la postérité ne rie de toi !.. Le prince accorda le traité et délégua Wâng-k’eue pour le jurer avec Wângwei le délégué de Heôu-king. La cérémonie faite, il envoya ordre, dans toutes les provinces, de ne plus envoyer de troupes à Kién-k’ang. Désormais parfaitement tranquille, Heôu-king continua à tenir la malheureuse ville étroitement bloquée, tandis que ses commissaires le ravitaillaient paisiblement. Ici l’Histoire note avec ironie le fait suivant : Depuis de longues années, par dévotion buddhique, l’empereur Où n’avait mangé que des végétaux. Ceux-ci étant venus à faire complètement défaut, et Siáo-lunn ayant réussi à lui faire passer quelques centaines d’œufs (êtres vivants) l’empereur les mangea. O inconséquence ! Il aurait dû plutôt mourir de faim. Les commentateurs se gaussent. Quand Heôu-king eut transporté dans son repaire de Chêu-t’eou tout le grain nécessaire, Wâng-wei lui dit : — Vous ne serez pas le premier qui aura violé un traité juré ! Ne vous laissez pas arrêter par si peu de chose ! Ne consultez que votre avantage ! Heôu-king lança donc contre l’empereur Où un réquisitoire en dix points. Quand celui-ci l’eut lu, il rougit de honte et de colère. Mais que faire ? La famine et les maladies avaient emporté les neuf dixièmes de la garnison. Les rues étaient jonchées de cadavres en décomposition. Il n’y avait plus que quatre mille hommes valides ; encore étaient-ils si faibles, qu’à peine pouvaient-ils se tenir debout... Cependant le général Liòu tchoung-li était 148 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. toujours retranché devant la ville. Son père Liôu-tsinn monta sur le rempart de la ville et lui cria : — C’est ainsi que tu abandonnes ton prince et ton père ? Que dira de toi la postérité ?... Liòu tchoung-li n’en fit pas davantage... p.1219 Ravitaillé et renforcé, Heôu-king se décida à en finir. Il attaqua la ville. Des traîtres lui livrèrent un pan du rempart. Incapables de résister, les défenseurs se replièrent. Averti de ce malheur, l’empereur Où qui était couché à bout de forces, ne bougea même pas, soupira et dit : — J’avais conquis le trône ; je l’ai perdu ; pourquoi en voudrais-je à qui que ce soit ?.. Cependant Heôu-king étant entré au palais à la tête de 500 cuirassiers, salua l’empereur, puis s’assit au banc des ministres. Sans changer de visage, l’empereur lui dit avec le plus grand calme : — Voilà bien longtemps que vous faites campagne ! Vous devez être très fatigué !.. Suant d’émotion, Heôu-king sortit et alla saluer le prince impérial, qui le reçut avec un flegme semblable... En sortant, Heôu-king dit à Wâng seng-koei : — J’ai vu bien des batailles ; je suis resté calme sous des grêles de traits et dans les mêlées corps à corps ; eh bien, ces deux Siáo viennent de m’émouvoir. Ce que c’est que la majesté impériale ! Je ne veux plus les voir... Sur ce, il fit sortir les gardes qui restaient, livra au pillage de ses soldats le palais et le harem, éloigna tous les nobles et les officiers, se nomma Régent et proclama une amnistie. Siáo tcheng-tei qui lui avait livré le passage du Fleuve, fut fait Grand Maréchal. Le peuple de la capitale déserta en masse. Siáo-lunn s’enfuit à Hoéi-ki. Liòu tchoung-li et consorts firent cause commune avec l’usurpateur. Quand Liòu tchoung-li se présenta devant l’empereur, celui-ci ne lui dit pas un mot. Quand il se présenta devant son père, Liòutsinn lui déclara qu’il ne le reconnaissait plus pour son fils. Heôu-king donna ordre de licencier toutes les armées des provinces. 149 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Son intention n’était pas de faire du bien à l’empereur Où, bien entendu. Il commença par lui demander de faire ministre l’un de ses pires ennemis. L’empereur refusa. Toujours lâche, le prince p.1220 impérial le blâma, et lui dit qu’il jouait son trône. — Si les Patrons des terres des moissons peuvent quelque chose, dit le vieil empereur, ils me conserveront mon trône. S’il est écrit que je dois le perdre, pourquoi le regretterais-je ? Alors commença, de part de Heôu-king, une suite de persécutions mesquines, qui exaspérèrent le vieillard. Étant tombé malade, il demanda un peu d’hydromel. Heôu-king le lui ayant refusé, il se laissa mourir de faim. Agé de 86 ans, il avait occupé le trône durant 48 ans. Son fils le lâche Siáo-kang lui succéda, et devint l’empereur Kièn-wenn. @ 150 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Kièn-wenn, 550 à 551. @ Parlons d’abord des Wéi Orientaux. Kāo-teng, le Maire du palais de ce royaume, était un brutal personnage. Ayant fait prisonnier Lân-king, le fils d’un gouverneur impérial, il l’obligea à servir dans ses cuisines, comme esclave. Un jour Lân-king s’étant plaint, Kâo-teng le fit battre, puis l’avertit que s’il venait à se plaindre encore, il le ferait aussitôt mettre à mort. Lânking s’entendit avec cinq de ses compagnons d’infortune. Un jour que Kāoteng soupait en tête-à-tête avec Tch’ênn yuan k’ang dans un appartement retiré, Lân-king qui les servait, ayant dissimulé un couteau de cuisine sous le plat qu’il présentait, lui en porta un coup mortel. Tch’ênn yuan-k’ang qui essaya de le saisir, reçut aussi un coup dont il mourut la nuit suivante. Kāoyang, le frère cadet de Kāo-teng, prit Lân-king et ses complices, et en fit faire un pâté qu’on mangea. Cependant le roi T’oûo-pa chan-kien ayant appris la mort de son Maire du palais, s’en réjouit imprudemment... — C’est un coup du Ciel, dit-il ! je vais recouvrer ma liberté !.. Le pauvre homme constata bientôt, qu’il n’avait fait p.1221 que changer de maître, et pas à son avantage. Kāo-yang lui fit visite, accompagné de 8 mille cuirassiers, dont 200 entrèrent avec lui dans la salle du trône, les manches retroussées et le sabre à la main, comme quand on va combattre... — J’ai affaire à Tsínn-yang (17), dit Kāo-yang, après un moment... et il sortit. Le roi pâlit, le survit des yeux, puis dit : — Celui-là sera pire que le précédent ! Mes jours sont comptés ! En 550, Kāo-yang se nomma lui-même Chancelier et Roi de Ts’î. Nous savons ce que cela veut dire. Restait à donner à son usurpation le coloris superstitieux convenable. Sû tchen-ts’ai manda à Kāo-yang que les signes célestes exigeaient qu’il détrônât le roi de Wéi... Kāo-yang en parla à sa femme. Celle-ci lui dit : 151 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Ton père (Kāo-hoan) était un dragon ; ton frère (Kāo-teng) était un tigre ; or ils ne se sont pas fait rois. Tu ne les vaux pas. Reste ministre !.. Alors Kāo-yang recourut au système de divination alors fort en usage, et dont nous avons déjà vu plusieurs exemples. Il coula en bronze sa propre statue, laquelle réussit parfaitement dès la première coulée. Cela dissipa toutes ses irrésolutions. Il partit de Tsínn-yang (17) avec ses troupes, et marcha sur Íe (20). Là il éleva un tertre, prépara tout, puis fit sommer le roi d’abdiquer en sa faveur... — Bien volontiers, dit celui-ci, car je suis las de mon servage. Et, séance tenante, il descendit du trône, sortit de la salle, prit congé des ministres, monta sur un vieux char à bœufs, passa dans le quartier nord de la ville, puis envoya le sceau et son acte d’abdication au roi de Ts’î. Celui-ci monta aussitôt sur le trône, dans le faubourg du sud. Peu après, il fit empoisonner et enterrer à l’ouest de la ville de Íe, le roi détrôné T’oûo-pa chan-kien et ses trois fils. Ensuite, par crainte de leur vengeance (cf p. 976), il les fit déterrer et jeter dans la rivière Tchāng... Ainsi finit, sans gloire, la p.1222 branche orientale des Tongouses T’oûo-pa de Wéi. Elle fut remplacée par la famille chinoise Kāo, dynastie royale Pèi-Ts’î (ainsi nommée pour la distinguer de la dynastie impériale Nân-Ts’î, p. 1152). Voyons maintenant ce qui se passe dans l’empire. Par suite d’une sécheresse prolongée accompagnée de sauterelles, il y régnait une famine épouvantable. Les riches revêtaient leurs plus beaux habits, mettaient leur or et leurs bijoux dans leur sein, fermaient leur porte, se couchaient et mouraient de faim. Les pauvres mouraient dans les champs, où leurs ossements restaient sans sépulture. Heôu-king gouvernait en tyran, au nom de l’inepte empereur. Il avait fait établir à Chêu-t’eou un grand pressoir, dans lequel il faisait écraser ceux qui lui déplaisaient. Craignant qu’on ne se soulevât contre lui, il commença par interdire tous les rassemblements, toutes les réunions ; plus tard il fit mettre à mort, avec toute sa famille comme conspirateur, quiconque avait parlé à un autre en tête-à-tête. En 550, 152 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. il se fit roi de Hán. Ses projets d’usurpation devenant de plus en plus transparents, le gouverneur Tch’ênn pa-sie se leva contre lui. En 551, au huitième mois, Heôu-king détrôna l’empereur Kièn-wenn (Siáo-kang), mit Siáo-tong à sa place. Deux mois plus tard, il mit à mort Siáo-kang, emprisonna Siáo-tong, et se mit lui-même à sa place. Comme il revenait du tertre sur lequel il s’était proclamé empereur, il se fit acclamer par sa clique dans la salle du trône, puis se confina dans le palais, et n’eut plus de commerce qu’avec un petit nombre d’anciens amis. Cette conduite lui aliéna les officiers, qui espéraient faire fortune par sa faveur. En 552, le prince Siáo-i, gouverneur du Hôu-nan actuel, se lève contre Heôu-king, et fait marcher contre lui Wâng seng-pien et Tch’ênn pa-sien. p.1223 Leurs vaisseaux descendirent le Fleuve Bleu. Wâng seng-pien était déjà à Oû-hou, quand Heôu-king lui opposa Heôu tzeu-kien. Les deux flottes étant en présence, Wâng seng-pien fit reculer ses petites barques derrière les grosses jonques. Heôu tzeu-kien prit ce mouvement pour une panique, et fonça imprudemment. Les grosses jonques de Wâng seng-pien entourèrent les siennes, et l’abordage commença. La flotte de Heôu tzeu-kien fut détruite. Lui-même eut du mal à s’échapper. Quand Heôu-king reçut cette nouvelle, il fut consterné... Après cette victoire navale, Wâng seng-pien conféra avec Tch’ênn pa-sien sur la suite des opérations. Celui-ci déclara résolument qu’il fallait marcher droit sur Chêu-t’eou, et s’offrit à exécuter son plan lui-même, s’il faisait peur aux autres. On suivit son avis. Tch’ênn pa-sien livra bataille à Heôu-king, tandis que Wâng seng-pien donnait l’assaut à la forteresse. Heôuking fut battu, et Chêu-t’eou capitula. Dans un dernier combat, Heôu-king fit des efforts désespérés pour rompre par ses charges les lignes de Tch’ênn pasien. Il n’y réussit pas. La panique s’empara de ses troupes, qui se dispersèrent. N’osant rentrer dans la capitale, Heôu-king s’enfuit vers l’Est avec quelques fidèles. Wâng seng-pien livra la ville au pillage. Ses soldats brûlèrent le palais. Le pauvre Siáo-tong qui y était prisonnier, fut mis à mort par ordre de Siáo-i. Le lendemain on courut après Heôu-king, qui fut encore battu près de Sōng-kiang. Il se jeta dans une barque, et descendit le Fleuve Bleu. Il touchait à la mer, quand Yâng-k’ounn, le fils de son ancien adversaire Yâng- 153 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. k’an (p. 1214), le joignit et le tua. Son corps fut envoyé à Kién-k’ang. Sa tête fut suspendue à Kiāng-ling. Ses deux mains coupées furent envoyées au roi de Ts’î (qu’il avait trahi, p. 1210). Le peuple outragea le cadavre de l’usurpateur de toutes les p.1224 manières. Ce fut à qui en mangerait, si bien qu’il n’en resta même pas un os. Sa femme, princesse du sang, qui le haïssait mortellement, voulut en manger sa part. Le roi de Ts’î massacra ses cinq fils, qui avaient cherché un refuge auprès de lui. Tous ses adhérents se soumirent. — Dans ses derniers jours, Heôu-king portait toujours avec lui le sceau de l’empire. Il avait ordonné à Tcháo seu-hien de le jeter dans le Fleuve, au cas où il lui arriverait malheur. Après sa mort, Tcháo seu-hien s’étant réfugié au nord du Fleuve, le sceau vint aux mains du roi de Ts’î, à Íe. Au onzième mois de cette année 551, Siáo-i monta sur le trône à Kiāngling (I), et devint l’empereur Yuân. @ 154 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Yuân, Siáo-i, 552 à 554. @ Tandis que Siáo-i se levait contre Heôu-king au sud, à l’ouest un autre prince du sang, Siáo-ki, en avait fait autant. Après le succès de Siáo-i, Siáo-ki refusa de le reconnaître, se fit roi à Tch’êng-tou (50), déclara la guerre à Siáo-i, confia Tch’êng-tou à la garde de Siáo-hoei et marcha vers l’est. Quand l’empereur le sut, il recourut d’abord à la magie. Ayant fait faire, par un táocheu, un image en bois de Siáo-ki, il la cribla lui-même de clous, comptant ainsi immobiliser son rival et faire cesser son entreprise. Il s’allia aussi avec les Wéi occidentaux, voisins de Siáo-ki du côté du nord. Mû par des sentiments plus ou moins désintéressés, Ù-wenn t’ai, le ministre de Wéi, chargea Ú-tch’eu hoei d’envahir le Séu-tch’oan par les passes, et d’investir Tch’êng-tou, dégarni de troupes et dépourvu de provisions. Quand Siáo-ki reçut cette nouvelle, il envoya Yâo fong-ie à Kiāng-ling pour y solliciter son pardon. Au lieu de s’acquitter de sa commission, Yâo fong-ie découvrit à Siáoi la situation précaire de Siáo-ki. Siáo-i rejeta donc sa demande, et envoya p.1225 contre lui le général Fân-mong. L’armée de Siáo-ki se débanda au premier choc. Lui-même fut pris. Siáo-i fit savoir à son général, qu’il ne tenait pas à voir Siáo-ki vivant. Fân-mong l’égorgea donc, et envoya à la capitale ses trois enfants. Siáo-i ordonna de les laisser mourir de faim. Ils agonisèrent, dans un cachot, douze jours durant, rongeant à belles dents la chair de leurs bras (dit la légende). Le peuple fut outré de cette barbarie. Ù-tch’eu hoei ayant assiégé Tch’êng-tou durant cinquante jours, et fait subir plusieurs échecs aux assiégés, Siáo-hoei capitula. Ù-tch’eu hoei distribua les trésors et les femmes de Siáo-ki à ses soldats, mais ne fit pas d’autres dégâts. Cependant l’empereur était toujours à Kiāng-ling (I). Au neuvième mois, il proposa de rentrer à Kién-k’ang (K). Le général Hôu seng-you s’y opposa. — Les émanations de cette place, dit-il, ne sont plus impériales (géomancie). Elle est aussi trop à la portée des Ts’î. Si elle était surprise, c’en serait fait de nous, d’un seul coup... 155 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur consulta son conseil. Tcheōu houng-tcheng et Wâng-pao opinèrent qu’il fallait revenir, sous peine de voir le peuple se désaffectionner de la dynastie, qu’il considérerait comme disparue, si elle ne rentrait pas dans son ancienne capitale... Au fond, chacun parlait pour soi. Ceux du Sud voulaient qu’on restât à Kiāng-ling ; ceux de l’Est voulaient qu’on retournât à Kién-k’ang... L’empereur réunit une assemblée de 500 personnes. A la pluralité des voix, le départ pour Kién-k’ang fut décidé. Mais, après le vote, Tchōu mai-tch’enn dit à l’empereur : — Moi qui suis pourtant de l’Est, je vous conseille, pour votre bien, de ne pas retourner à Kién-k’ang. Alors l’empereur fit jeter les sorts, qui se prononcèrent contre le retour à Kién-k’ang. Il considéra aussi que Kién-k’ang était ruiné, et Kiāng-ling en bon état. Il resta donc à Kiāng-ling, posta p.1226 Wâng seng-pien à Kién-k’ang et Tch’ênn pa-sien à King-k’eou, pour garder le fleuve. L’histoire donne tous ces détails, en prévision de la catastrophe future. Malgré tout le mal qu’il se donna, l’empereur se trompa. C’est que le cas n’était pas résolu par la Grande Règle (Annales p. 205). L’homme de confiance de l’empereur était un certain Lóu fa-houo. Ce singulier personnage avait pour principe de n’infliger ni châtiments corporels ni prison. Il faisait exhorter les malfaiteurs par des bonzes, et bonifiait le peuple par des exorcismes. Chez les Wéi Occidentaux, en 554, le Maire du palais Ù-wenn t’ai détrône et assassine le roi T’oûo-pa k’inn, et le remplace par T’oûo-pa k’ouo. L’empereur Yuan (Siáo-i) s’étant converti au taoïsme, poussa la ferveur jusqu’à faire lui-même des gloses publiques sur le texte de Lào-tzeu. Le commentateur ricane. Son père, dit-il, glosa sur les textes buddhistes, et mourut de faim. Lui, glosa sur les texte taoïstes, et mourut assassiné. Donc les deux doctrines ne valent également rien. 156 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 554, un devin nommé Ù ki-ts’ai dit à l’empereur : — L’an dernier, au jour pìng-chenn, la lune a heurté la constellation Sīnn. Cette année, au jour pìng-su, une vapeur rouge a voilé le quadrilatère de la Grande Ourse. Ces mansions célestes et ces caractères cycliques présagent une entreprise contre votre pouvoir. J’ai bien peur que vous ne soyez pas en sûreté à Kiāng Ling (I). Descendez à Kién-k’ang (K)... L’empereur dit en soupirant : — Le bonheur et le malheur viennent du ciel ; à quoi bon chercher à y rien changer ?.. Bientôt la prédiction commença à se réaliser. Ù-wenn t’ai, ministre des Wéi occidentaux, fit marcher contre p.1227 l’empire une armée de 50 mille hommes. Le préfet Tsoūng-kiunn annonça leur approche. — Pas possible, lui répondirent les ministres impériaux ; nous ne sommes pas en guerre avec les Wéi... Ceux-ci avaient déjà occupé, sans rencontrer aucune résistance, les passes et les abords du Fleuve. Quand ils les virent devant Kiāng-ling, les ministres finirent par y croire. A la hâte, ils entourèrent la ville de retranchements et de palissades, qui lui donnèrent un périmètre de 60 lì. Les Wéi entourèrent cette immense étendue, d’un mur de circonvallation, puis attaquèrent vivement. D’abord les Leâng résistèrent bravement. Le général Hôu seng-you était l’âme de la défense. Quand il eut été tué d’un coup de flèche, les assiégés perdirent courage. Durant un assaut des Wéi, des traîtres leur ouvrirent une porte. L’empereur se retira dans la citadelle Kīnn-tch’eng. A la nuit, ses derniers défenseurs l’abandonnèrent. Voyant que tout était perdu, l’empereur qui était un bibliophile passionné, mit lui-même le feu à sa bibliothèque, laquelle contenait 140 mille kuán. Il brisa ensuite son épée, en la frappant contre une colonne, et dit en soupirant : — Adieu les lettres et les armes !.. Puis il ordonna de rédiger l’acte de sa capitulation... 157 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Pourquoi ne chercheriez-vous pas plutôt à fuir ? lui demanda Síe ta-jenn... L’empereur était très mauvais cavalier. — Je ferais honte aux Génies de la terre ! répondit-il... Síe ta-jenn mourut de dépit... L’empereur sortit du palais en habits de deuil. Siáo-tch’a, un prince du sang transfuge, le prit et l’enferma... — Pourquoi avez-vous brûlé vos livres ? demanda quelqu’un au prisonnier... — Parce qu’ils ne m’ont pas appris à éviter mon malheur actuel ! dit l’empereur. Averti de la prise de Kiàng-ling, Ù-wenn t’ai envoya l’ordre de mettre à mort l’empereur, le prince impérial, et tous les prisonniers de marque. Ses généraux enlevèrent pour lui le trésor impérial, la sphère p.1228 céleste des Sóng, le cadran solaire des Leâng, et les bibelots impériaux. Ils réduisirent en esclavage les adultes vigoureux, massacrèrent les enfants et les vieillards, et livrèrent le reste à la soldatesque. Ce qui resta de toute la population de Kiāng-ling, suffit à peine pour reconstituer une centaine de feux. Les trois dixièmes des esclaves périrent encore, par suite des mauvais traitements et du froid... L’annaliste Yīnn pou-hai ayant perdu sa mère dans cet horrible massacre, la chercha parmi les cadavres qui flottaient dans la rivière, sans boire ni manger, sept jours et sept nuits durant, et finit par la retrouver. Ù-wenn t’ai établit le transfuge Siáo-tch’a comme gouverneur à Kiāngling. Il s’y maintiendra, presque indépendant, après la disparition des Leâng et des Wéi, grâce au talent de son ministre Wâng-ling. L’Histoire appelle Heóu-Leâng ce brimborion d’État. Quand ils eurent appris l’horrible désastre, les deux généraux impériaux Wâng seng-mien (à Kién-k’ang) et Tch’ênn pa-sien (à Kīng-k’eou), intronisèrent Siáo fang-tcheu à Kién-k’ang. @ Les Turcs... Avant de narrer l’agonie et la fin des Leâng, prêtons notre attention à l’entrée en scène d’un peuple nouveau, dont les bruyants exploits 158 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. nous occuperont beaucoup désormais. Il s’agit des T’óu-kue (Turcs) 1 , rejetons de ces Huns, dont nous avons tant parlé jadis. L’Histoire en fait mention pour la première fois en 545, à propos d’une ambassade que les Wéi Occidentaux leur envoyèrent. A cette occasion, elle récapitule leurs origines. Les Turcs, dit-elle, commencèrent par être un petit royaume de l’Ouest, au sud de l’Altaï. Tributaires des Jeóu-jan (Avars), ils extrayaient et travaillaient le fer, pour le compte de ces maîtres. Leur famille régnante s’appelait A-cheuna. Sous le khan T’òu-menn p.1229 (Boumin kagan), les Turcs étant devenus puissants, commencèrent à infester les frontières occidentales des Wéi. C’est alors que ceux-ci leur envoyèrent un ambassadeur. Cette démonstration remplit les Turcs de vanité. — Voilà, dirent-ils, que le grand royaume vient à nous ; nous allons devenir quelque chose. A cette entrée en scène si simple, l’Histoire ajoute les notes suivantes : Les Barbares du nord (il s’agit de la race turque), ont porté des noms différents aux différentes époques. Vers le vingtième siècle avant J.-C., ils s’appelaient Hunn-u. Vers le dixième siècle, ils s’appelaient Hien-yunn. Au troisième siècle avant J.-C., ils s’appelaient Hioung-nou (Huns)... Il est probable que ces trois variantes, tiennent aux variations de la prononciation chinoise à travers les âges, plutôt qu’à une variation du nom de ces peuples... Au sixième siècle après J.-C., ils s’appelaient T’ou-kue (Turcs)... Très puissants au temps des Han, les Huns tombèrent ensuite en décadence. Les Tongouses Ou-hoan occupèrent leur ancien habitat. Aux Ou-hoan succédèrent les Tongouses Sièn-pi. Puis les Jeóu-jan (Avars) devinrent les maîtres du steppe. Les Turcs les remplacèrent, et furent détruits, à leur tour, par les Chinois. Ensuite, pour un temps, dans les steppes du nord, les nomades restèrent fractionnés en peuplades relativement insignifiantes, les Moúo-heue ou Môu-ki (Tongouses Moukri des Grecs) les Tâ-tan, les Mông-kou (Mongols), les T’ái-tch’eu-ou, les T’à-t’a-eull (Tartares), les K’eūe-lie. Parmi ces divers peuples, les Tongouses K’í-tan devinrent d’abord une grande puissance (dixième siècle). Puis les hordes des mongols s’étant coalisées, devinrent à leur tour un grand empire (treizième siècle), lequel détruisit la dynastie 1 [Cf. Documents sur les Tou-kioue, trad. Stanislas Julien.] 159 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. chinoise Sóng, et régna sur la Chine comme dynastie Yuan (1280), jusqu’au jour où le fondateur chinois de la dynastie Mîng p.1230 (1368) brisa leur pouvoir. Revenons à l’an 551. Alliance par mariage des Wéi Occidentaux avec les Turcs. Le cadre historique de ce mariage, n’est pas banal. Les T’ie-lei (Tölös, de race hunne, souche des Ouïgours), dont les hordes nombreuses s’étendaient depuis la Tola à l’Est, jusqu’aux frontières de l’empire grec à l’Ouest, ayant projeté d’attaquer les Jeóu-jan, le khan des Turcs T’òu-menn éventa leurs projets et les battit. Il demanda, pour sa peine, la main d’une princesse Jeóu-jan. A-na-koei, khan des Jeóu-jan, que nous connaissons (p. 1196), se fâcha, et lui fit répondre avec insulte : — N’es-tu pas mon esclave forgeron ? T’òu-menn prit mal cette réponse, et A-na-koei se trouva mal de l’avoir faite. En 552, les Turcs tombant à l’improviste sur les Jeóu-jan, les écrasèrent. A-na-koei se suicida de dépit. T’òu-menn demanda ensuite et obtint une princesse T’oûo-pa. Il mourut l’année suivante 553. Son frère cadet Móu-kan devint Grand Khan des Turcs. Brave et sage, il se rendit redoutable à ses voisins, Ephthalites à l’Ouest, T’oûo-pa et K’í-tan à l’Est. Cette même année 553, par le nord-est (8), les Tongouses K’í-tan firent une incursion dans le royaume de Ts’î (plaine du Pèi-ho). Mal leur en prit. Ils furent battus et reconduits dans leurs steppes, avec des pertes sérieuses. Enfin, toujours en 553, le nouveau khan des Turcs pourchassant les débris des Avars, ceux-ci se réfugièrent sur les terres des Ts’î. Le roi de Ts’î s’apitoya sur leur sort, les reçut, les établit dans les environs de Mà-i (11), les secourut de toute manière, et repoussa si vivement les poursuites des Turcs, que ceux-ci durent traiter avec lui. Il nettoya ensuite la chaîne des Yīnn-chan (12 à 8) des tribus de Tongouses pillards qui les infestaient, massacra tous les mâles au-dessus de treize ans, et réduisit les femmes en servage. Les Tongouses se le tinrent pour dit, et le p.1231 bassin du Pèi-ho respira pour un temps... Dans cette expédition, un officier supérieur ayant été blessé, et sa garde de dix hommes n’ayant pas fait ce qu’il fallait pour le sauver, le roi de Ts’î fit éventrer le 160 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dizenier, et fit dévorer ses viscères par ses neuf hommes. Premier échantillon des fureurs que nous raconterons plus tard. Cependant les Avars, sauvés par le roi de Ts’î, se permirent de brigander dans ses États, et faillirent même le prendre dans un guet-apens. L’amitié finit là, bien entendu. Le roi de Ts’î les fit pourchasser. Ce que voyant, les Turcs recommencèrent aussi la chasse. Les derniers Avars se réfugièrent chez les Wéi Occidentaux, à Tch’âng-nan. Le khan des Turcs Móu-kan était alors un puissant personnage. A l’Ouest il avait refoulé les Ephthalites par delà les Pamirs. A l’Est il avait repoussé les K’í-tan dans la vallée de la Soungari. Au Nord il avait chassé les Kí-kou dans les plaines de la Sibérie. Son pouvoir s’étendait, depuis l’embouchure du Leâo à l’Est, jusqu’à la Mer Caspienne à l’Ouest. A un pareil voisin, les Wéi ne pouvaient rien refuser. Móu-kan leur ayant envoyé des ambassadeurs, pour exiger les Avars réfugiés chez eux, Ù-wenn t’ai les livra aux envoyés turcs. Ceux-ci les conduisirent hors la porte de Tch’âng-nan, et les massacrèrent jusqu’au dernier (3000 personnes). Ainsi finit la puissante et remuante nation des Jeóu-jan, vrais Avars, qu’il ne faut pas confondre avec les Pseudavars (Ouarchonites, Hermichions des Grecs), hordes ouïgoures refoulées en Europe par les Turcs en 558, établies en Hongrie, puis soumises par Charlemagne... Encore une fois, l’histoire des empires nomades, est toujours celle de la bulle de savon, qui disparaît dans une explosion. Les Turcs prirent la place des Avars, gonflèrent, brillèrent, s’agitèrent, firent du bruit, et finirent comme eux, à leur heure. En 556, de concert avec les Wéi, les p.1232 Turcs battirent les T’óu-kou- hounn du Koukou-nor, mais ne les achevèrent pas. @ 161 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Kíng, Siáo fang tcheu, 555 à 556. @ Parlons d’abord des choses originales qui se passaient chez les Ts’î. En 555, mécontent des disputes entre buddhistes et taoïstes, Kāo-yang roi de Ts’î se décida à supprimer l’une des deux sectes. Mais laquelle ?.. Il eut une idée lumineuse. Il réunit en champ clos les plus savants maîtres des deux sectes, et les obligea à argumenter. Les vaincus, dans ce tournoi d’un nouveau genre, seraient supprimés. On ne dit pas qui furent le jury et les juges. Les táo-cheu ayant été vaincus, reçurent ordre de couper leur longue chevelure et de devenir bonzes ras. Ils protestèrent. Kāo-yang fit couper quatre têtes. Les autres táo-cheu préférèrent ne se faire couper que les cheveux. En 556, Kāo-yang se fait bâtir à Íe un superbe palais ; 300 mille hommes furent condamnés à cette corvée. Au commencement, dit l’Histoire, Kāo-yang avait bien gouverné. Plus tard il devint ivrogne, débauché, brutal, cruel éhonté, au point de courir demi-nu les ruelles de la capitale. Un jour qu’il était ivre, sa mère la douairière Leôuche le fustigea... — Je remarierai cette vieille à un Turc, dit Kāo-yang... La douairière se pâma de colère... Le roi grimpa à quatre pattes sur son divan, et la jeta à terre, si rudement qu’elle se blessa au front. Quand il eut cuvé son vin et appris ce qu’il avait dit et fait, sa piété filiale se réveilla. Il déclara qu’il allait se brûler vif, en expiation de son crime. La douairière eut peur de ce fou, et lui pardonna, pour cause d’ivresse. Le roi n’accepta pas ce pardon. Il fit étendre une natte, se mit en position, et ordonna qu’on lui donnât la bastonnade. La douairière s’émut encore. Cependant, comme il y tenait, elle finit par lui faire appliquer p.1233 cinquante coups, sur quoi, s’étant rhabillé, il fit des excuses. Le roi resta juste dix jours sans s’enivrer, puis ce fut pire que devant. Il fouettait ses officiers à grands coups de cravache. Il prêtait ses femmes à n’importe qui, et les tuait quand elles refusaient. Il fit faire une chaudière, une scie, un pressoir, et autres instruments de torture. 162 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Quand il était soûl, pour se divertir, il torturait et tuait n’importe qui. Son ministre imagina de tenir toujours prêts, pour l’heure de ces lubies sanguinaires, quelques criminels condamnés à mort. Un censeur ayant repris le roi, celui-ci demanda à son ministre Yângyinn : — Que désire ce fou ?.. — Il désire, dit le ministre, que vous le mettiez à mort, pour que son nom passe à la postérité... — Alors il faudra que je te tue aussi, dit le roi, car sans cela tu n’as guère de chances que la postérité se souvienne de toi. Un jour qu’il faisait courir son char sur une pente, Tcháo tao-tei l’arrêta. Le roi ordonna de le mettre à mort... — Volontiers, dit Tchào tao-tei ; j’irai aux enfers dire à vos Ancêtres, que leur descendant est ivrogne et fou ! — Qu’on le lâche ! dit le roi. Lì-tsi l’ayant comparé à Kîe et à Tcheóu (p. 47 et 63) le roi le fit jeter à la rivière, puis retirer au moment où il se noyait... — Trouves-tu encore que je ressemble à Kîe et à Tcheóu ? lui demanda-t-il... — Davantage, dit le censeur... Le roi le fit tremper trois ou quatre fois de suite... Même réponse... Enfin, éclatant de rire, le roi dit : — A-t-on jamais vu pareille toquade de vouloir mourir comme Koān loung-p’eng et Pì-kan (p. 49 et 68) ? Qu’on le lâche !.. Cependant, peu de temps après, Lì-tsi l’ayant encore censuré, il le fit égorger. — Nous aurons à reparler de cette brute. En 557, deux coups de théâtre changèrent, presque sans secousse, plutôt les appellatifs que les choses de ce temps-là. 163 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1234 Fin des Wéi Occidentaux... Le ministre Ù-wenn t’ai étant mort, eut pour successeur son fils Ù-wenn kiao. Celui-ci se fit Duc de Tcheōu, puis Roi Céleste ; puis il détrôna T’oûo-pa kouo et se mit à sa place, sacrifia au Ciel, érigea un temple à ses Ancêtres, assassina le roi détrôné, et le reste, à l’ordinaire... Il ne jouit pas longtemps du fruit de son crime. La même année, Ù-wenn hou l’assassina, et mit Ù-wenn u à sa place. Le royaume des Tcheōu remplaça celui des Wéi Occidentaux. Fin de la dynastie impériale Leâng… Le général Tch’ênn pa-sien se fait Duc puis Roi de Tch’ênn, détrône l’empereur Kíng et se met à sa place, puis assassine le prince détrôné, à l’ordinaire, et fonde la dynastie impériale Tch’ênn. Les Leâng (famille Siáo) avaient occupé le trône impérial durant 55 ans (la famille Siáo, Ts’î et Leâng, durant 78 ans). Les Wéi (famille T’oûo pa) avaient régné sur le nord de la Chine durant 149 ans (comptés depuis l’avènement de T’oûo-pa seu ; en réalité 171 ans). Après leur division, les Wéi Occidentaux durèrent 17 ans, et furent remplacés par leurs ministres, famille Kāo, dynastie royale Pèi-Ts’î. Les Wéi Occidentaux durèrent 22 ans et furent remplacés par leurs ministres, famille Ù-wenn, dynastie royale Tcheōu. @ 164 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE TCH’ENN. Famille Tch’ênn, 557 à 588. L’empereur Où, 557 à 559. Carte XIV — @ p.1235 En 558, il se fit bonze... Voulut-il par là expier son usurpation et l’assassinat de son souverain ? se demande le commentateur, avec ironie... Il mourut l’année suivante 559, laissant le trône à son neveu Tch’ênn-kiou, qui devint l’empereur Wênn. Le roi de Ts’î, Kāo-yang la Brute, continuait ses exploits. En 559 son Annaliste et Astrologue l’avertit que, d’après les astres, cette année il fallait supprimer Kióu l’ancien, et faire Sīnn du neuf. Le nouvel empereur s’appelait Tch’ênn-kiou. L’Astrologue avait probablement l’intention d’exciter Kāo-yang contre lui. Kāo-yang le comprit autrement. Il fit rechercher avec soin tous les membres de l’ancienne famille royale des T’oûo-pa (Wéi Orientaux), et les supprima, au nombre de 721 personnes. Pour ne pas être inquiété par leurs ombres (p. 975), il fit jeter tous leurs cadavres dans la rivière Tchāng... T’oûo-pa king-nan échappa au massacre de la manière suivante. Tenant plus à la vie qu’à sa généalogie, il demanda à changer de nom, et à s’appeler Kāo, comme la famille royale. T’oûo-pa king-hao lui en fit d’amers reproches. — Est-ce ainsi, lui dit-il, que vous reniez vos Ancêtres ?.. Pour se faire bien venir, Kìng-nan le dénonça. Kāo-yang fit exécuter Kìng-hao, et accorda sa requête à Kìng-nan, que l’Histoire flétrit. Ici Maître Hôu consacre à l’illustre maison des T’oûo-pa, la petite oraison funèbre suivante : Pourquoi périrent-ils si misérablement, ces princes dont plusieurs furent si sages, qu’aucun empereur des petites dynasties impériales contemporaines ne les valut ? C’est que, depuis T’oûopa koei, ils firent incessamment la guerre. p.1236 Or les armes sont des instruments néfastes, dont il ne faut se servir que dans le cas de nécessité, sous peine de se rendre odieux au Ciel. Car la voie du 165 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ciel, c’est de multiplier les êtres vivants (non de les faire mourir). A l’instar du Ciel, le Souverain doit favoriser la multiplication des êtres (et ne pas les faire périr). Voilà pourquoi les guerriers sont privés de postérité. Au dixième mois, Kāo-yang la Brute ayant trop bu, tomba malade. Sentant sa fin approcher, il dit à la reine Lì : — Tout homme devant mourir, je ne me plains pas. Je crains seulement que notre fils, encore bien jeune, ne puisse pas s’en tirer... Puis il dit à son oncle Kāo-yen, dont il suspectait les intentions : — Si tu détrônes mon fils, au moins ne le tue pas !.. Enfin il nomma exécuteur testamentaire, le ministre Yâng-yinn que nous connaissons (p. 1233), et mourut, à la satisfaction générale. Yâng-yinn seul le pleura, sa charge l’y obligeant. Puis il mit le jeune Kāo-yinn sur le trône, et rapporta les lois sanguinaires de Kāo-yang. Entre les années 552 et 556, Kāo-yang avait fait remettre à neuf, par tronçons, la Grande Muraille. Un poste militaire y fut installé, de dix en dix lì, sur toute la longueur. En 555, plus d’un million d’hommes travaillèrent à cet ouvrage. Est-il étonnant, demande le commentateur, que les Ts’î qui pressurèrent ainsi leurs peuples, aient péri comme ils ont péri ? @ 166 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Wênn, 560 à 566. @ En 560, dans le royaume de Tcheōu, Ù-wenn hou empoisonne le roi Ùwenn u (cf. p. 1234), et le remplace par son frère cadet Ù-wenn young. La même année, dans le royaume de Ts’î, Kāo-yen détrône le petit roi Kāo-yinn, et se met à sa place. En 561, il le fit assassiner. Trois mois après, alors qu’il chassait, son cheval p.1237 l’ayant désarçonné, il se brisa les côtes et mourut. Son frère Kāo-tchan évinça son neveu Pài-nien, et monta luimême sur le trône. Ce fut une brute, comme Kāo-yang. La douairière Leôucheu (p. 1232) étant morte en 562, Kāo-tchan ne prit pas le deuil, mangea but et fit de la musique à son ordinaire. Il sollicita ensuite la reine Lì-cheu, veuve de Kāo-yang, en la menaçant, si elle ne consentait pas à ses désirs, de tuer Cháo-tei le seul fils qui lui restât. La reine étant devenue enceinte, Cháotei sut l’affaire, et lui fit de sanglants reproches. La reine ayant accouché d’une fille, la supprima, de honte. — Puisque vous avez tué ma fille, lui dit Kāo-tchan, je vais en faire autant à votre fils ! et il assomma Cháo-tei avec le pommeau de son sabre, sous les yeux de sa mère. Celle-ci ayant osé pleurer, il la battit, puis la fit enfermer dans un couvent de bonzesses. Les conseillers de ce digne Kāo-tchan, valaient leur seigneur et maître. Son favori Hoûo cheu-k’ai lui tint le discours suivant : — Les anciens empereurs sont tous sans exception retournés en poussière, Yâo et Choúnn tout aussi bien que Kîe et Tcheóu. Alors à quoi bon imiter les uns plutôt que les autres ? Tandis que vous êtes jeune et vigoureux, amusez-vous le plus possible, faites tout ce qui vous plaira. Mieux vaut un jour joyeux, que mille ans sérieux... Kāo-tchan fut ravi de cette morale claire et facile. Depuis lors, il ne s’occupa plus d’affaires, ou plutôt, il ne signa plus les pièces qu’une fois tous les trois 167 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ou quatre jours, laissant à Hoûo cheu-k’ai et à la reine Hôu le soin de tout élaborer. Le prince Kāo hiao-u ayant blâmé ce système, Kāo-tchan l’empoisonna dans un festin, en présence des autres princes du sang, parmi lesquels seul Kāo hiao-wan son frère osa pleurer. En 564, halo solaire, parhélie, et autres phénomènes célestes. Le roi de Ts’î feignit de croire que son neveu Pài-nien, qu’il avait p.1238 évincé du trône, en était coupable. Il le fit appeler. Le neveu comprit ce qui l’attendait. Avant de se rendre au palais, il détacha une pièce de jade qu’il portait à la ceinture, et la remit, comme souvenir, à sa femme Kìe-cheu. Dès qu’il fut arrivé en présence de Kāo-tchan, celui-ci le fit assommer à coups de bâton, puis décapiter. Son cadavre fut jeté dans un vivier, dont l’eau devint rouge de son sang. La veuve se laissa mourir de faim. Durant toute sa longue agonie (un mois, dit le texte), elle tint dans sa main le morceau de jade. Quand elle fut morte, sa main crispée l’étreignait encore, et ne le céda qu’à son père Kìehoang. En 565, apparition d’une comète. Kāo-tchan se sentant visé par cet astre néfaste, abdiqua en faveur de son fils Kāo-wei. Manière de se soustraire au châtiment du Ciel. En 563, alliés aux Turcs, les Tcheōu attaquèrent les Ts’î. Les Tcheōu étaient 30 mille cavaliers et fantassins, les Turcs cent mille cavaliers. Cette armée arriva jusque devant Tsínn-yang (17). Quand il s’agit de livrer bataille, soit panique, soit trahison, les Turcs se dérobèrent. Par suite, les Tcheōu furent complètement écrasés. Peu après, les Tcheōu ayant demandé à Móu-kan une alliance par mariage, le khan retint leur envoyé durant plusieurs années, sans lui donner de réponse, et sans lui permettre de s’en retourner. Enfin, durant un violent orage, la foudre étant tombée sur sa tente, Móu-kan prit ce phénomène pour une réprimande du Ciel. Il envoya sa fille au roi de Tcheōu, avec de grands présents. Le roi de Tcheōu alla lui-même à sa rencontre. 168 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 566, mort de l’empereur Wênn. Son fils Pâi-tsoung lui succède. Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume. @ 169 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tch’ênn pai-tsoung, 567 à 568. @ Chez les Ts’î... Quoiqu’il eût abdiqué, Kāo-tchan n’avait pas perdu le goût du meurtre, ni son favori Hoûo cheu-k’ai celui de l’intrigue. En 567, Kāo hiaowan que nous connaissons (p. 1237), ayant percé de flèches un homme de paille (cible), Hoûo cheu-k’ai fit croire à Kāo-tchan que cette opération avait été faite dans le dessein de l’envoûter... Puis Kāo hiao-wan s’étant procuré une dent du Buddha qui devenait lumineuse durant la nuit, Kāo-tchan suspecta encore quelque maléfice dirigé contre sa personne... Il fit donc faire des perquisitions au domicile de Kāo hiao-wan. On découvrit des armes et autres objets, qu’on fit passer pour la preuve des projets de révolte supposés du pauvre prince. Kāo hiao-wan fut assommé de coups. Finalement on lui cassa le cou... En 568 Kāo-tchan mourut. Cette mort fut-elle l’effet d’un sort ou un châtiment du Ciel ? L’Histoire insinue, mais ne se prononce pas. Dans l’empire, en 568, révolution pacifique. Tch’ênn-hu détrône son neveu Tch’ênn pai-tsoung, comme incapable, et se met à sa place. @ 170 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Suān, 569 à 582. @ Chez les Ts’î... Nous avons vu que, sous Kāo-tchan, le favori Hoûo cheu k’ai gouvernait de concert avec la reine Hôu (1237). Il paraît que la bonne entente du compère et de la commère alla trop loin. En 571, Kāo-yen, frère du roi Kāo-wei, scandalisé, assassina le favori. Ce Kāo-yen était un garçon précoce ; à l’âge de 14 ans, il avait déjà 4 fils. A l’instigation de la reine Hôu, son frère Kāo-wei, le mit à mort avec tous ses enfants... Privée de Hoûo cheu-k’ai, la reine Hôu imposa ses faveurs à T’ân-hien, le supérieur des bonzes de Íe. Puis elle eut des relations p.1240 intimes avec deux bonzesses, qu’on découvrit un beau jour être des bonzes déguisés. Ces choses ayant fait trop de bruit, Kāo-wei fit couper le cou aux trois bonzes, et enferma sa mère. Chez les Tcheōu, en 572... Ù-wenn hou avait déjà assassiné deux rois, comme nous avons dit (p. 1236). Sentant que son tour viendrait bientôt, Ùwenn young résolut de le prévenir. Il s’y prit d’une façon assez singulière… — La reine ma mère boit, dit-il un jour à ce cher oncle, et moi je ne puis pas convenablement le lui reprocher ; veuillez me rendre ce service... et en disant, il lui remit, pour servir de thème à son exhortation, le texte classique Contre l’abus du vin (Annales p. 245)... Sans défiance, Ù-wenn hou entra chez la reine. Comme il lisait et déclamait, Ù-wenn young jouant le fils pieux indigné, lui porta par derrière un grand coup de son sceptre qui le renversa évanoui. On le porta dehors pour lui trancher la tête. Toute sa famille fut exterminée. En 573, son fils ayant pris à la chasse une antilope blanche, animal rare superlativement faste, comme on félicitait Ù-wenn young de cet heureux augure, il dit : — Mieux vaut bonne conduite qu’heureux présage !.. Cette belle phrase fait sourire, dans une bouche pareille. 171 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 573, l’empire entre en campagne contre le royaume de Ts’î. Le général Oû ming-tch’ee prend Koàng-ling (n), repousse les Ts’î jusqu’au Hoâi, et assiège Cheóu-yang (32). La ville ne se rendant pas, il barra la Fêi, pour la noyer. Enfin, quand les maladies eurent emporté les sept dixièmes des défenseurs de la ville, il arriva à la prendre. Le brave gouverneur Wâng-linn fut fait prisonnier. Bien fait de sa personne, maître de ses passions, connaissant par leur nom chacun des milliers d’hommes qui servaient sous ses ordres, juste et libéral, Wâng-linn était p.1241 l’idole de son peuple. N’osant le faire mourir à Cheóu-yang, Oû ming-tch’ee l’envoya à Kién-k’ang, avec ordre de l’assassiner en route, ce qui fut fait. Quand le peuple de Cheóuyang apprit sa mort, ce fut une inexprimable désolation. Un vieillard alla aussitôt lui faire des offrandes et des libations, à l’endroit où il avait été égorgé, et recueillit pieusement son sang... Nommé Grand Général de l’empire, Oû ming-tch’ee envahit ensuite et conquit l’entre-deux du Hoâi et du Fleuve Jaune. Ù-wenn young roi de Tcheōu s’occupait de théologie. Au commencement de son règne, il avait classé ainsi les trois Sectes chinoises : 1 Lettrés, 2 Taoïstes, 3 Buddhistes. En 574, il proscrivit le Taoïsme et le Buddhisme, ordonna de détruire les livres et les images de ces deux sectes, sécularisa les táo-cheu et les bonzes, et prohiba tous les cultes non officiellement reconnus. Maître Hôu orne ce texte du commentaire suivant : Quand une substance se putréfie, les vers y pullulent. Là où les hommes sont peu nombreux, les bêtes sauvages se multiplient. Quand la vitalité baisse, l’harmonie de l’organisme dépérit. Ainsi en a-t-il été de la Chine et des Sectes. Quand les Sages eurent disparu, quand les lois furent tombées en désuétude, les doctrines subversives se répandirent. Ù-wenn young roi de Tcheōu fit bien de vouloir les extirper, mais le fait est qu’il n’y arriva pas. Il aurait fallu, pour réussir dans cette entreprise, donner tout pouvoir aux Lettrés, donner les charges aux Sages, et propager efficacement les doctrines confuciistes. Ù-wenn young n’eut pas assez d’esprit 172 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pour ce faire ; son successeur en eut moins encore que lui. Aussi deux persécutions consécutives des Buddhistes, et trois des Taoïstes, restèrent-elles sans résultat appréciable. Jadis les Wéi ayant porté peine de mort contre les bonzes (p. 1116), 7 ans après p.1242 le Buddhisme était de nouveau florissant. Cette fois, 6 ans après la proscription des deux sectes, elles étaient de nouveau prospères. Oh que les superstitions sont difficiles à détruire ! Les princes de Ts’î continuaient à se distinguer par leur bestiale férocité. Tous ces Kāo chinois en tenaient. Ils éclipsèrent, dans ce genre, tous les Barbares des siècles précédents... Quand Kāo-tch’ao rencontrait une femme portant un petit enfant, il lui arrachait son nourrisson, et le faisait dévorer par ses chiens qui le suivaient partout. Parfois, pour avoir plus de plaisir, il barbouillait la mère avec le sang de l’enfant, et la faisait dévorer de même... Le roi de Ts’î le cita, pour rendre compte de ces atrocités. Mais les loups ne se mangent pas entre eux. Kāo-tch’ao l’intéressa. Le roi lui pardonna, puis lui demanda quelque recette du même genre, pour s’amuser lui aussi.... — J’en sais une bonne, dit Kāo-tch’ao ; c’est de mettre, dans une baignoire, un singe avec des scorpions ; c’est très divertissant !.. Le roi fit aussitôt quérir une baignoire et des scorpions ; puis, comme il n’avait pas de singe, il fit mettre dans la baignoire un homme nu, et l’obligea à s’y vautrer sur les scorpions. A la vue des contorsions de ce malheureux, Kāo-wei et Kāo-tch’ao riaient aux éclats. Puis Kāo-wei dit à Kāo-tch’ao, sur le ton du reproche : — Pourquoi ne m’as-tu pas indiqué cette recette plus tôt ?.. Kāo-tch’ao devint le premier favori du roi. Cela ne dura pas. Un beau jour, sur une simple délation, le roi le fit mourir. L’heure des Ts’î est venue. Ce n’est vraiment pas trop tôt. Le Ciel fut patient à l’égard de ces monstres... En 576, les Tcheōu leur déclarèrent la guerre, et enlevèrent la vallée de la Fênn. En 577, pour apitoyer le Ciel, Kāo-wei abdiqua en faveur de son fils Kāoheng. Trop tard ! Les Tcheōu parurent devant Íe sa capitale. Kāo-wei s’enfuit 173 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. avec p.1243 son fils. Leur Chancelier les livra tous les deux. Le roi de Tcheōu fit massacrer toute cette race maudite. Personne ne les pleura. Tcheōu annexa Ts’î (tout le Nord). Les Heóu-Leâng (Siáo-koei, à Kiāng-ling, p. 1228) reconnurent le roi de Tcheōu pour leur suzerain. Donc, à partir de cette année 577, deux pouvoirs seulement : Tch’ênn (l’empire) au sud, Tcheōu au nord du Fleuve Bleu. En 573, Móu-kan le Grand Khan des Turcs étant venu à mourir, laissa sa succession à son frère cadet T’oûo-pouo, au préjudice de son fils Tá-louopien. Le roi de Tcheōu s’allia par mariage avec le nouveau khan, et, disons le mot, lui paya, sous couleur de présents, un lourd tribut annuel en soie et soieries. Cette condescendance rendit T’oûo-pouo très insolent. En 578, rupture. Ù-wenn young roi de Tcheōu part en guerre contre les Turcs, tombe malade, revient et meurt, laissant le trône à son fils Ù-wenn pinn. En 579, paix cimentée par un mariage. Ù-wenn pinn livre au khan la fille d’un prince du sang, qu’il fait passer pour sienne. Cette même année, Ù-wenn pinn abdique en faveur de son fils Ù-wenn chan. Il le fit par orgueil, dit l’Histoire ; par folie, plutôt, je pense. Il était atteint de cette forme de la manie des grandeurs, dont les victimes se croient des dieux. Ù-wenn pinn appela donc sa personne Principe Céleste, sa demeure Palais Céleste, et se déclara pour le moins l’égal du Souverain d’en haut, sinon ce Souverain lui-même. Quiconque paraissait en sa présence, devait d’abord se préparer par trois jours d’abstinence et un jour d’ablutions. Il interdit, pour tous les noms d’hommes, l’emploi des caractères Ciel, Haut, Supérieur, Grand ; ces termes étant réservés à lui seul. Il flânait d’ailleurs et se conduisait mal. Son plaisir était de faire fustiger ses officiers. La dose de 120 p.1244 coups s’appelait Bastonnade Céleste, Plus tard, par suite de quelque révélation sans doute, il la porta à 240 coups. Il en vint à la faire donner à ses quatre reines, à ses concubines, aux filles du palais, etc. 174 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Rapportant le décret de proscription du Buddhisme et du Taoïsme porté par son père en 574, en 579 le Principe Céleste fit faire des statues du Buddha et de Lào-tzeu. Il les fit mettre sur le même rang, s’assit entre les deux, et se fit vénérer publiquement. En 580, le Principe Céleste Ù-wenn pinn trépassa, comme le dernier des sublunaires... Aussitôt, avec la connivence de la reine veuve Yâng, son frère Yâng-kien, Duc de Soêi, se fit Chancelier, et convoqua à Tch’âng-nan tous les princes de la famille Ù-wenn. Dès qu’il les tint, il les massacra tous ensemble. Nettoyage !.. Au bout de l’an, il se fit Roi de Soêi. Au nouvel an 581, il détrôna Ù-wenn chan roi de Tcheōu, et extermina intégralement tous les membres restants de sa famille. Ainsi finit la dynastie royale des Tcheōu famille Ù-wenn, qui fut remplacée par la dynastie royale, plus tard impériale, des Soêi. Le premier acte de Yâng-kien, fut de favoriser avec ostentation le Buddhisme et le Taoïsme. Il le fit, dit le texte, pour s’attirer le bonheur ; en réalité, je pense, pour se gagner des adhérents par cette réaction. Il fit savoir expressément au peuple de son royaume, que quiconque voudrait se faire bonze ou táo-cheu, était libre de suivre ses goûts. Il approuva aussi qu’on fit des collectes, pour recopier les livres détruits, et refaire de nouvelles images. En peu de temps, entre les mains de ses sujets, il y eut mille livres buddhistes contre un livre confuciiste, constate l’historien avec dépit. Chez les Turcs, à partir de l’an 581, division, ou plutôt consommation définitive d’une division qui existait en germe, dans cette nation, depuis l’origine de p.1245 sa prospérité. Le khan T’òu-menn (Boumin) qui la fit indépendante (p. 1229), avait un frère nommé Chêu tien-mi (Istämi), son bras droit, mais aussi son rival de gloire et de popularité. « Au-dessus des fils des hommes, dit l’inscription turque de Kultegin (Orkhon), s’élevèrent Boumin et Istämi. De là, petit à petit, la division des Turcs en deux groupes, les Septentrionaux (Boumin) et les Occidentaux (Istämi). A l’époque où nous sommes, Tá-t’eou (Tardou), fils de Istämi, gouvernait les Turcs Occidentaux, tandis que T’oūopouo, le troisième frère de T’òu-menn, gouvernait les Turcs Septentrionaux. En 581, T’oūo-pouo se sentant mourir, appela son fils Yèn-louo et lui dit : 175 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Mon frère Móu-kan m’a jadis légué son trône, au préjudice de son fils Tálouo-pien (p. 1243) ; quand je serai mort, rends le trône à ton cousin Tálouo-pien... La nation ayant refusé de ratifier cette dernière volonté de T’oūopouo, Yèn-louo monta sur le trône des Turcs Septentrionaux. Bientôt son cousin Tá-louo-pien lui rendant la vie impossible, Yèn-louo abdiqua en faveur de son cousin Chā-pouo-leao, fils du premier frère de T’òu-menn. On négocia. Il y eut quatre khans ; deux khans supérieurs, savoir Chā-pouo-leao khan des Turcs Septentrionaux, et Tá-t’eou khan des Turcs Occidentaux ; plus deux khans inférieurs, Yèn-louo et Tá-louo-pien. Brave et aimé de la nation, Chāpouo-leao se fit craindre des autres. Nous avons dit, en 579, que T’oūo-pouo avait épousé une princesse Ùwenn (Tcheōu). Quand Yâng-kien eut détruit le royaume Tcheōu et massacré toute la famille Ù-wenn, cette khatoun cria vengeance au khan Chā-pouoleao. Celui-ci dit dans le conseil de ses Grands : — Je suis parent des Tcheōu. Yâng-kien a usurpé leur trône. Je n’ai pas la face devant la khatoun. Il nous faut châtier cet homme !.. Donc, p.1246 en 582, à la tête de 400 mille archers, Chā-pouo-leao franchit la Grande Muraille. Yâng-young, fils de Yâng-kien, se retrancha sur la ligne de la Wéi. Un officier qu’il avait envoyé en reconnaissance avec deux mille cavaliers, se heurta à cent mille Turcs. Poursuivi par eux durant trois jours, il livra quatorze combats. Quand leurs armes furent brisées, ses soldats empoignèrent les Turcs à belles mains. La bravoure de ces hommes impressionna tellement les Turcs, dit l’Histoire, que leur armée s’en retourna sans avoir rien fait. En réalité, ils raflèrent tout le bétail de sept préfectures, et s’en retournèrent, parce que Tá-t’eou voyant Chā-pouo-leao engagé dans la Chine, s’apprêtait à lui tomber dans le dos. Le narré chinois de toute cette aventure, est un poème. On y voit les Chinois frappant les ennemis, jusqu’à ce que les os de leurs mains traversent les chairs ; les Turcs affamés mangeant des ossements pilés ; etc. Croie qui voudra ! Sentant bien que, pour être tranquille désormais, il lui fallait prendre l’offensive et intimider les Turcs, en 583 Yâng-kien fit marcher contre eux le général Teóu joung-ting, avec une armée de 30 mille hommes. Celui-ci se heurta aux hordes de Tá-louo-pien. Il leur fit dire par un parlementaire : 176 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Pourquoi nous battrions-nous, nous officiers et soldats qui n’avons rien les uns contre les autres ? Vidons la querelle de nos maîtres par un combat singulier. Ceux dont le champion sera vaincu, reculeront... — Bien, dirent les Turcs ; et ils envoyèrent leur homme. Le champion chinois, nommé Chèu wan-soei, le vainquit et le décapita. Les Turcs traitèrent et retournèrent chez eux. En 584, Yâng-kien fit contre les T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, une expédition qui fut pareillement heureuse. Alors le khan Chā-pouo-leao eut peur de Yâng-kien, dit l’Histoire. Il eut plutôt peur de son voisin le khan Tá-t’eou. Quoi qu’il en soit, il demanda à Yâng-kien sa fille en mariage, et, palinodie risible, la khatoun Ù-wenn, cause première de la brouille, demanda à Yâng-kien de l’adopter, et de lui permettre de s’appeler désormais sa tendre fille la khatoun Yâng... Dans les pièces échangées pour cette négociation, Chā-pouo-leao s’appelait Empereur et Khan né du Ciel, sage et saint, de la grande nation des Turcs et du monde entier. Yâng-kien se nommait Fils du Ciel de la grande dynastie Soêi... Quand le négociateur, un certain Û k’ing-tsai, approcha du douar de Chā-pouo-leao, il apprit que celui-ci lui avait préparé une réception martiale, pour lui en imposer. Aussitôt il s’arrêta, s’alita, et fit le malade. Son adjoint Tchàngsounn cheng donna à entendre au khan, que, étant gendre de Yâng-kien, il pouvait et devait l’honorer. Chā-pouo-leao avait besoin de l’alliance chinoise. Il se prosterna donc, reçut des mains de Û k’ing-tsai subitement guéri les lettres de Yâng-kien, et les mit sur sa tête. Après la séance, il pleura de honte et de rage, avec ses Turcs. En 585, Tá-louo-pien ayant fait cause commune avec Tá-t’eou (Turcs Occidentaux), Chā-pouo-leao (Turcs Septentrionaux) déjà pressé, par les Tongouses K’í-tan de l’Est, demanda secours à son beau-père Yâng-kien. Celui-ci lui envoya une armée, commandée par Yâng-koang, laquelle, jointe aux Turcs Septentrionaux, battit les Turcs Occidentaux. Très content, Chāpouo-leao écrivit à Yâng-kien : — Il n’y a qu’un soleil, il n’y a qu’un empereur, et c’est Yâng-kien. Comment oserais-je jamais vous faire opposition, ou m’arroger de 177 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. vains titres ? Prosterné le front dans la poussière, je vous prie de m’agréer pour votre vassal !.. Échine politique souple... Chā-pouo-leao envoya de plus son fils K’óu-houotchenn servir dans les gardes du corps de Yâng-kien, et paya chaque année une sorte de tribut. Chez les T’ou-kou-hounn du p.1248 Koukou-nor, le khan K’oā-lu, vieillard centenaire fantasque, avait déjà dégradé et mis à mort successivement plusieurs de ses héritiers désignés. Celui qui portait ce titre, en 586, craignant d’avoir le même sort que ses prédécesseurs, conçut le projet de se saisir de son vieux père, et de le livrer aux Soêi. Il demanda des troupes à Yâng-kien, pour exécuter ce coup. Le commandant chinois des Marches du Nord-Ouest, appuya sa demande. Yâng-kien la rejeta, comme impie. Le prince ayant été découvert, fut mis à mort. Son successeur fit à Yâng-kien l’offre de déserter son père, et de se donner à lui, avec quinze mille familles. Cette fois Yângkien s’échauffa, sur le thème de la piété filiale. — Décidément, dit-il, en parlant des T’ou-kou-hounn, les mœurs de ces brutes sont différentes de celles des hommes. Chez eux, les pères sont cruels, les fils sont dénaturés. Moi qui donne en tout le bon exemple à mon peuple, comment pourrais-je aider un fils rebelle ? Qu’il s’accorde avec son père, et prenne garde d’être flétri par la postérité. S’il veut venir à moi, que ce soit pour recevoir des leçons de piété filiale. Je ne lui enverrai pas des soldats, pour l’aider à mal faire... Les choses en restèrent là. En 587, nouveaux événements chez les Turcs. Le khan Chā-pouo-leao des Turcs septentrionaux étant tombé malade et trouvant son fils Yoùng-u-lu trop faible pour régner, fit savoir à son frère cadet Tch’óu-louo-heou qu’il le désirait pour successeur. Quand Chā-pouo-leao fut mort, Yoùng-u-lu envoya des députés à son oncle, pour le prier de monter sur le trône... — Règne toi-même, dit celui-ci ; je te reconnaîtrai loyalement pour mon khan... 178 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Je ne désobéirai pas aux dernières volontés de mon père, dit Yoùng-u-lu... Après bien des instances, Tch’óu-louo-heou monta enfin sur le trône, et devint le khan Móu-heue. Il était brave et sage. Yâng-kien lui offrit aussitôt p.1249 son amitié, un étendard, un tambour, et, ce qui est mieux, des troupes. Tch’óu-louo-heou attaqua les Turcs occidentaux, les battit, fit prisonnier et supprima le remuant Tá-louo-pien. L’empereur Suân étant mort en 582, après 14 ans de règne, à l’âge de 52 ans, une bien vilaine scène se joua près de sa couche funèbre. Tandis que Tch’ênn chou-pao, l’héritier désigné, se pâmait de douleur comme le veulent les Rites, son frère Tch’ênn chou-ling, qui convoitait le trône, tira un coutelas et le frappa par derrière. Chôu-pao tomba. La reine Liòu, accourue à son secours, reçut aussi un coup. Tch’ênn chou-kien, un troisième frère, saisissant Chôu-ling à bras-le-corps, l’empêcha d’achever ses victimes et le désarma. Chôu-ling s’enfuit à son hôtel, chercha à provoquer une émeute, ouvrit les prisons, distribua de l’argent, fit appel aux princes du sang. Il n’eut guère de succès. Seul Tch’ênn pai-kou vint se joindre à lui... La reine Liòu étant revenue à elle, chargea Chôu-kien de mettre en mouvement Siáo mouo-neue le commandant de la garde, lequel alla mettre le siège devant l’hôtel de Chôu-ling. Celui-ci fut tué, avec Pâi-kou. Tch’ênn chou-pao guérit de sa blessure, monta sur le trône, et devint Heóu-tchòu, le dernier des Tch’ênn. @ 179 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tch’ênn chou-pao, dit Heóu-tchòu, 583 à 588. @ Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume. En 582, Yâng-kien roi de Soêi, trouvant l’ancienne ville de Tch’âng-nan trop étroite pour son ambition, donna ordre de construire une ville nouvelle sur les collines Loûng-cheou-chān, à proximité. Encore en 584, Yâng-kien charge Ù-wenn k’ai de canaliser la Wéi, cette rivière torrentueuse, avec ses hausses et ses baisses, ses sables et p.1250 ses vases, étant d’une navigation difficile et sujette à trop d’aléas. Le canal eut 300 lì de long, et remplaça le cours inférieur de la rivière. En 585, Yâng-kien envoie 30 mille hommes commencer, au Nord-Ouest du Fleuve Jaune (58), ce prolongement occidental de la Grande Muraille, qui couvre actuellement Nîng-hia-fou et les Nân-chan. On en fit sept cent lì. En 586, le nombre des travailleurs fut augmenté de cent cinquante mille. Le mur fut flanqué de nombreux forts. Ce travail devait contenir les Turcs. En 584, les Heóu-Leâng de Kiāng-ling (p. 1243) s’étaient soumis à Yângkien, plus à craindre pour eux que l’empereur. Cela ne les sauva pas. Siáokoei étant mort en 585, son fils Siáo-ts’oung lui succéda. En 587, Yâng-kien fit savoir à Siáo-ts’oung, qu’il eût à venir à Tch’âng-nan pour faire sa cour. Siáo-ts’oung se mit aussitôt en route avec tous ses officiers. Derrière son dos, le général Ts’oēi houng-tou investit Kiāng-ling, au nom de Yâng-kien. Craignant une aventure analogue à celle de l’an 554, Siáoyen qui commandait la place, demanda secours à l’empereur. Le secours vint, mais sous forme d’une simple escorte, qui conduisit sur le territoire de l’empire Siáo-yen avec dix mille émigrants de Kiāng-ling. Yâng-kien prit prétexte de cette défection, pour supprimer les Heóu-Leâng et occuper Kiāngling. Il ne mit pas à mort Siáo-ts’oung, mais le garda à sa cour, comme dignitaire. 180 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Or l’empereur Tch’ênn chou-pao, dits, Heóu-tchòu, était un viveur. Sur trois monticules artificiels, élevés au milieu d’un grand parc décoré de rocailles et de viviers, il fit bâtir trois palais, ornés des bois et accessoires les plus rares et les plus coûteux, jade, perles, etc. L’empereur habitait l’un de ces palais. Sa principale favorite, la dame Tchāng (la fameuse Tchāng li-hoa), habitait le second. Deux autres favorites, les p.1251 dames Koūng et K’oùng, habitaient le troisième. Les palais étaient reliés par des allées couvertes... Chose neuve, l’empereur établit, dans ce sérail, une école, où l’Annaliste K’oùng-fan, aidé d’une dizaine de lettrés et d’autant de maîtresses, apprenait aux donzelles du palais à composer des chansons. Les plus réussies, étaient mises en musique, et exécutées devant l’empereur, buveur émérite, lequel, ayant le vin gai, faisait chorus avec ses ministres... La favorite Tchāng li-hoa était fille d’un officier militaire. Elle était extrêmement belle et intelligente. Adroite à deviner tous les instincts de l’empereur, elle l’avait complètement fasciné. Magicienne, elle dirigeait en personne, dans le harem, les opérations dirigées contre les mauvaises influences (cf. p. 729), pantomimes accompagnées de tambourins, etc... Les mémoires des gouverneurs passaient d’abord par les mains des eunuques, puis étaient discutés par l’empereur avec ses femmes. Ce système causa d’innombrables abus, les eunuques et les dames du palais se faisant payer des gratifications, pour l’introduction et l’expédition des affaires. Les choses en vinrent au point que, parmi les fonctionnaires, quiconque ne payait pas cette clique, était cassé sous un prétexte quelconque. Avec des mœurs pareilles, l’empereur n’était pas dévot ; cela n’étonnera personne. Chaque fois qu’il devait sacrifier au Ciel, il était pris d’une indisposition de circonstance, et se dispensait de ce devoir. Le censeur Fóutsai l’ayant repris, il le fit incarcérer. Du fond de sa prison, le censeur lui adressa le factum suivant : « Un prince doit servir respectueusement le Souverain d’en haut, et aimer paternellement son peuple. Il doit être sobre et chaste. Il doit éloigner de sa personne les flatteurs. Il doit se lever avant le jour, et s’appliquer aux affaires, au point d’en oublier l’heure des repas. Ce prince-là sera heureux, et transmettra son trône à ses p.1252 descendants. Or vous faites tout le contraire. Ivrogne et 181 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. débauché, vous ne vénérez même pas les Grands Chênn du tertre (Ciel) et du temple (Ancêtres). Vous flattez des Koèi impurs (superstitions de Tchâng li-hoa). Vous êtes entouré de gens de rien. Les eunuques exercent l’autorité impériale. Ces gens-là détestent les officiers intègres et méprisent le peuple. Vos sujets s’épuisent pour les folles dépenses de votre harem et de vos écuries. A bout de ressources, les uns émigrent, les autres meurent de misère. Le gaspillage a mis votre trésor à sec. Les Chênn vous haïssent, le peuple vous maudit. Je crains que les émanations impériales ne tarissent bientôt dans vos États (géomancie)... Cette jolie pièce mit l’empereur dans une grande fureur. Quand il se fut un peu calmé, il envoya demander à Fóu-tsai s’il serait capable de modifier ses sentiments... — Je n’ai qu’un visage et qu’un cœur, répondit le censeur ; et, de même qu’il n’est pas en mon pouvoir de changer mon visage, il n’est pas non plus en mon pouvoir de modifier mon cœur (mes sentiments)... L’empereur lui ordonna de se suicider. Informé du mécontentement des esprits dans l’empire, Yâng-kien jugea l’occasion favorable pour se substituer aux Tch’ênn. Il rédigea un manifeste, dans le goût antique (p. 68), où il énumérait les péchés de Tch’ênn chou-pao, sa prodigalité, son immoralité, son injustice, sa tyrannie, son impiété, sa superstition, causes des maux de l’empire. Il y en avait vingt articles. Yângkien envoya cette mercuriale à Tch’ênn chou-pao. En même temps, il en faisait répandre trois cent mille copies par toute la Chine. Les actes suivirent de près les paroles. Au dixième mois, une armée de plus de cinq cent mille hommes, commandée par Yâng-koang, marcha contre l’empire, tandis que Yâng-sou descendait le Fleuve Bleu avec une flotte nombreuse... 182 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Ne vous inquiétez pas, dit Chéu wenn-k’ing à p.1253 l’empereur. Pareille chose est arrivée tant de fois ! Les gardes des frontières aviseront... K’oùng-fan, le professeur de poésie des dames du palais, s’exprima, comme il convenait, en termes plus relevés. — Le Fleuve Bleu, dit-il, est un fossé creusé par le Ciel, pour défendre le Sud contre le Nord ; les Soêi ne le franchiront pas au vol... Ces bonnes paroles firent sur l’empereur une impression si heureuse, qu’il ne se doutait encore de rien, quand le demi-million de soldats Soêi était déjà aligné sur la rive nord du Fleuve. — Ce n’est rien, disait-il. Les émanations telluriques sont pour nous. Les Ts’î ont essayé trois fois, les Tcheōu ont essayé deux fois de nous détruire, et s’en sont chaque fois retournés bredouille. Cette fois ce sera comme les fois précédentes... On continua donc, au palais de Kién-k’ang, à boire et à chanter. Or le premier jour de l’an 589, durant la grande séance du trône pour les félicitations du nouvel an, un épais brouillard s’éleva soudain, signe néfaste au possible. Qu’était-il arrivé ?.. C’est que les généraux Soêi, Heúe jao-pi et Hân k’inn-hou, venaient de passer le Fleuve à Kiāng-ling (I), non pas au vol, mais sur des barques, tout prosaïquement. Divisés en deux corps, ils tirèrent droit à la capitale. Ils n’eurent pas à combattre, car ils ne trouvèrent, sur leur chemin, ni préparatifs, ni résistance. Arrivé le premier, Hân k’inn-hou entra droit dans la ville. Éperdu, l’empereur ne songea qu’à s’enfuir. — Finissez au moins dignement, lui dit Yuân-hien ; asseyez-vous sur votre trône, en costume impérial, comme fit Où-ti des Leâng, quand Heôu-king prit la ville (p. 1219)... Mais Tch’ênn chou-pao avait des soucis d’un ordre moins relevé. L’important, pour lui, était de sauver ses favorites. Malgré les supplications et les résistances de quelques officiers, il se cacha avec elles dans une citerne sèche. Quand les soldats Soêi eurent p.1254 envahi la ville, ils découvrirent la citerne. Y ayant jeté des pierres, Il entendirent qu’on criait merci. Ils 183 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. descendirent donc une corde dans la citerne, tirèrent, et furent tout étonnés du poids de ce qu’ils remontaient. Quand la chose en question fut arrivée au bord, il se trouva que c’étaient l’empereur et les dames Tchāng et K’oùng, liés ensemble par une corde... L’impératrice Chènn-cheu était restée décemment dans ses appartements. Son fils le prince héritier Tch’ênn-chenn, âgé de quinze ans, avait aussi reçu les envahisseurs très dignement... L’officier Lòu koang-ta fut le seul qui fit quelque résistance. Il défendit le parc impérial jusqu’au soir. Voyant alors que tout espoir était perdu, il se prosterna dans la direction du palais, pleura, déposa ses armes, et se rendit avec ses soldats... Entre temps Heúe jao-pi étant survenu avec son armée, fut jaloux de Hân k’inn-hou. Il se fit présenter l’empereur captif, qui se prosterna en suant à grosses gouttes. Devant lui, les deux généraux Soêi se disputèrent, jusqu’à mettre la main au sabre, pour décider à qui il appartiendrait. Cependant Yâng-koang, le généralissime des Soêi, qui arrivait à son tour, envoya par courrier l’ordre de lui réserver la dame Tchāng li-hoa... Kāo-ying qui reçut cette commission, se dit : « Si jadis Cháng de Lù (p. 66) se voila le visage, pour mettre à mort Tān-ki (légende en contradiction avec l’histoire, p. 69), afin que cette enchanteresse ne devint pas une cause de ruine pour l’empereur T’āng, moi je ne laisserai pas vivre celle-ci, pour la même raison... et il la décapita. Quand Yâng-koang fut arrivé, furieux, il dit à Kāo-ying : — Les anciens ne laissaient aucun mérite sans récompense ; je saurai vous récompenser (me venger) en son temps ! Il ordonna ensuite de mettre à mort tous les mauvais conseillers de Tch’ênn chou-pao, prit possession des registres p.1255 impériaux, et scella les magasins, sans rien prendre pour lui-même, ce dont l’Histoire le loue... Dans cette catastrophe prosaïque, l’Histoire ne cite que le trait suivant de dévouement, trait assez original d’ailleurs. Craignant que les ossements de Tch’ênn pa-sien, le fondateur de la dynastie, ne fussent profanés, Wâng-pan, le fils de son ancien collègue Wâng seng-pien (p. 1223), ouvrit secrètement sa tombe, en retira les os, les calcina, mêla les cendres avec de l’eau, et les avala intégralement... Croie cela qui pourra ! 184 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Au quatrième mois, Yâng-koang étant revenu en triomphe à Tch’âng-nan, amena l’empereur prisonnier à Yâng-kien, qui le présenta aux Ancêtres, à la mode antique. Ensuite assis sur son trône, il fit faire lecture, au prisonnier prosterné, d’une mercuriale très humiliante. Après cette cérémonie, il lui fit grâce de la vie... Le fidèle Lòu koang-ta (p. 1254) fut si affecté de cette scène, qu’il en mourut de chagrin... Yâng-kien donna à Tch’ênn chou-pao des revenus. Celui-ci demanda aussi un titre. Yâng-kien le lui refusa... Les nombreux princes du sang Tch’ênn, eurent tous la vie sauve ; mais, afin de les empêcher de cabaler, Yâng-kien les envoya demeurer dans les provinces frontières, où il leur assigna des revenus... Puis Yâng-kien récompensa ses généraux victorieux, ce qui, vu leurs jalousies, ne fut pas chose facile (cf. p. 280.)... A quelque temps de là, un ambassadeur du khan des Turcs étant venu à Tch’âng-nan, Yâng-kien lui demanda s’il avait jamais entendu parler de l’empire des Tch’ênn au sud du Fleuve Bleu : — Voici celui qui en fut l’empereur, dit-il en désignant Chôu-pao. Puis, désignant Hân k’inn-hou : — Voici, dit-il, celui qui l’a fait prisonnier. Hân k’inn-hou roula des yeux si féroces, que le Turc en fut épouvanté, dit l’Histoire... Yâng-koang ayant, selon sa menace, cherché à perdre Kāo-ying, Yâng-kien défendit cet officier, et le prit sous sa protection. — p.1256 Ne vous affectez pas de ces menées, lui dit-il ; il en sera de vous comme d’un miroir, qui devient d’autant plus brillant qu’on le frotte davantage. L’empire étant refait, et la Chine étant réunie de nouveau sous un sceptre unique, Yâng-kien promulgua l’édit de pacification suivant : « Que désormais la guerre cesse ! Qu’on s’applique aux études ! Qu’on confisque et détruise toutes les armes ! Les officiers ayant demandé à Yâng-kien de consacrer son avènement par les cérémonies fóng-chán (p. 442), il s’y refusa modestement. ————@———— Pour compléter ce qui précède, et n’avoir pas à nous interrompre dans la 185 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. suite, plaçons ici les notes suivantes : I. L’Empire Grec d’Orient. Résumé des Kióu T’âng-chou chap. 198, Sīnn T’âng-chou chap. 221... Fôu-linn (πολιν, maintenant Istamboul είς την πολιν), Constantinople, l’Empire d’Orient, est l’ancien Tá-Ts’înn, Empire Romain (p. 756). Il est situé sur la Mer Occidentale. Au Sud-Est, il confine à la Perse. Au Nord-Est, il confine au territoire des Turcs Khazars. Le pays est très peuplé. Il y a beaucoup de villes. Les murailles de la capitale sont en pierres taillées. Elle contient plus de cent mille feux. Il y a une porte, haute de vingt toises, toute revêtue de bronze (la fameuse Porte d’airain, surmontée par la statue du Sauveur). Dans le palais impérial, un homme d’or indique les heures, en laissant choir des globes sonores. Les édifices sont ornés de verres et de cristaux, d’or, d’ivoire, et des bois les plus rares. Les toits sont en terrasse, cimentés. Durant les chaleurs de l’été, des machines hydrauliques y montent de l’eau, laquelle rafraîchit l’air, en tombant en nappe devant les fenêtres. Douze patrices assistent l’empereur dans l’administration des affaires. Quand celui-ci sort du palais, il est suivi par un homme qui porte un sac, dans lequel chacun est libre de déposer ses pétitions. Les hommes portent les cheveux coupés ras, et sont vêtus de robes (toges) brodées, qui laissent le bras droit nu. Les femmes portent des coiffures en forme de tiare... Ceux de Fôu-linn estiment beaucoup l’argent. Ils aiment le vin et les pâtisseries. Chaque septième jour (dimanche), ils chôment... C’est de ce pays que viennent le byssus, le corail, l’asbeste, et beaucoup d’autres curiosités. Il y a des jongleurs très habiles, qui crachent de leur bouche, du feu, des banderoles, des paquets de plumes ; qui versent de l’eau de leurs mains, et font tomber des perles de leurs pieds. Il y a aussi des médecins, qui guérissent certaines maladies en extrayant des vers du crâne (trépan). II. Mœurs des Turcs, d’après les Soêi-chou chap. 84, et Théophylacte Simocatta... 186 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ils étaient nomades, se déplaçant avec leurs troupeaux à la recherche de l’herbe et de l’eau. Ils habitaient des tentes en feutre, mangeaient de la viande, p.1257 buvaient du koumys, et s’habillaient de peaux. Ils avaient une hiérarchie de 28 degrés. Ils étaient armés de cuirasses, d’arcs en corne, de lances, de sabres et d’épées. C’étaient des cavaliers et des archers incomparables. Ils n’avaient ni lettres, ni livres. Ils brigandaient surtout aux environs de la pleine lune de chaque mois. Leurs lois très simples, se réduisaient à peu près à ceci : Tout meurtrier, rebelle ou traître, était puni de mort. Le ravisseur et l’adultère subissaient le supplice de la castration, puis étaient coupés en deux par le milieu du corps. Peine du talion ou rachat, pour les coups et blessures. Compensation décuple des vols. Quand un homme mourait, ses parents lui immolaient des moutons et des chevaux ; ensuite, entourant la tente mortuaire, ils s’entaillaient le visage, faisaient ruisseler ensemble leurs larmes et leur sang, et hurlaient des lamentations en chœur ; enfin, le cadavre étant assis sur celui de son cheval, ils brûlaient cheval et cavalier et enterraient leurs cendres. C’était une gloire pour eux de périr de mort violente, et une honte de mourir de maladie dans un lit. Quand le père mourait, ses fils épousaient toutes ses femmes ; quand un frère mourait, les frères survivants épousaient toutes leurs bellessœurs veuves. Ils croyaient aux Koèi (revenants), aux Chênn (génies), et à la magie. Somme toute, leurs mœurs étaient à peu près celles des Huns leurs aïeux... Le 8e jour du 5e mois, ils se rassemblaient pour sacrifier aux Chênn. Chaque année ils envoyaient un haut personnage, à la caverne, demeure supposée de leurs Ancêtres, pour leur offrir un sacrifice... Ils vénéraient la terre, l’air, l’eau, et spécialement le feu (emprunt fait aux Perses leurs voisins) ; mais ils n’adoraient et n’appelaient Dieu, que l’auteur seul du ciel et de la terre, auquel ils sacrifiaient des chevaux, des bœufs et des moutons. Ils avaient une caste de prêtres, qu’ils croyaient capables de prédire l’avenir. 187 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. III. Turcs et Grecs... Quand Móu-kan khan des Turcs Septentrionaux eut détruit les Avars (en 553, p. 1231), le roi Sassanide de Perse Khosrou Anou-schirwan (Chosroès I) jugeant l’occasion bonne pour venger son grand-père Firouz (Perosès I) tué par les Ephthalites en 484 (p. 1198), s’allia avec Istämi, le khan des Turcs Occidentaux. Il épousa sa fille, entra en campagne, et, de moitié avec son allié, anéantit l’empire des Ephthalites, entre 563 et 567. Khosrou et Istämi se partagèrent les provinces de cet empire. L’Oxus devint la frontière entre eux deux. Le Nord (Carte X, 21, 22, 26) échut aux Turcs, le Sud (23, 24) échut aux Perses... Les auteurs Byzantins et Arabes (Ménandre, Tabari), appellent le khan Istämi Silziboul, Dilziboul ou Sindjibou, c’est-à-dire le jabgou Sil Dil ou Sin, appellatif composé de son nom personnel, et du nom turc de sa dignité. Or les Grecs, grands consommateurs de soie, n’en produisaient pas. Toute la soie était produite en Chine. Son commerce était le plus important et le plus lucratif de l’Asie. Les Grecs étaient, pour cet article, tributaires des producteurs chinois, et des courtiers persans ou turcs. Ils essayèrent, il est vrai, de s’affranchir. Sous Justinien I (527-564), des magnaneries avaient été établies à Byzance, par des religieux (moines ou bonzes ?) venus du pays de Serinda (Ceylan ou Kotan ?) d’après Procope ; par un persan revenu du pays des Sères (la Chine), d’après Théophane de Byzance. Mais la sériciculture ne s’y développa pas, ou pas assez, paraît-il, car Théophane nous apprend que, sous l’empereur Justin II successeur de Justinien (565-577), les Turcs étaient encore les courtiers de la soie entre l’Orient et l’Occident. La voie de mer, si longue et si périlleuse, ne leur faisait qu’une très insignifiante concurrence. Justinien avait essayé aussi de tirer de l’Inde, par mer, la soie que les Chinois y envoyaient par Kotan. Il avait traité, à cet effet, en 531, p.1258 avec les Himyarites (Homérites) de Yemen et avec les Ethiopiens, les poussant à se charger de ce commerce maritime. Peine perdue ! La soie continua d’arriver par terre. Or, par terre, il y avait deux voies ; l’une par le Sud (23), par la Perse ; l’autre par le Nord (21), par les Turcs. 188 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Constatant les grands profits qu’il tirerait du monopole de ce transit, vers l’an 568 le khan Istämi des Turcs Occidentaux accapara le marché chinois de Tchāng-ie (Kān-tcheou, y, dans les Nân-chan), et fit passer la soie à Byzance, par Kachgar, le Terek-davan, la Sogdiane, le nord de la Mer Caspienne et le Caucase, tous pays soumis à son influence. Il essaya même d’accaparer l’importation de la soie en Perse, et envoya comme négociateur, à Khosrou Anouschirwan, le Sogdien Maniach que Khosrou renvoya. Istämi ayant envoyé un autre négociateur, Khosrou l’empoisonna. C’est à partir de ce moment, et pour cette cause, que les Turcs et les Perses, devenus amis jadis pour détruire les Ephthalites, devinrent mortels ennemis... Rebuté par les Perses, Istämi choya les Grecs plus tendrement encore. Au nom du khan, Maniach partit pour Constantinople, où il arriva sous Justin II, en 567, après un voyage aventureux, par la route indiquée ci-dessus. En 568, Justin le renvoya à Istämi, accompagné de l’ambassadeur Zémarque de Cilicie. Celui-ci trouva le khan dans le pays de Koutcha (m). Après avoir été passé par le feu, comme c’était l’usage des Turcs, pour détruire tout mauvais influx attaché peut-être à la personne de l’étranger, Zémarque fut présenté à Istämi, qui était assis sur un trône d’or, dans une tente tapissée de soie multicolore, et fut honoré du koumys de bienvenue. Istämi emmena Zémarque dans l’expédition qu’il allait faire contre les Perses. On traita à Talas (Aoulie-ata, 21). Puis Istämi, dont l’autorité s’étendait jusque sur les Ouïgours de l’ouest du Volga, renvoya Zémarque par ce pays, à Constantinople, accompagné du tartan Tagma, et sous bonne escorte, afin qu’il ne tombât pas aux mains des Alains, payés par les Perses pour l’assassiner... D’autres ambassades suivirent celle-ci. Le Turc Anankastès (nom grécisé) alla à Constantinople. Les Grecs Eutychès, Valentin, Hérodien, Paul de Cilicie, visitèrent le khan, à Talas ou à Koutcha... Valentin fut envoyé par l’empereur Tibère II, en 576, pour renouveler avec le khan Tardou, le pacte conclu par Zémarque avec feu son père Istämi. Il ramena au khan 106 Turcs qui se trouvaient à Constantinople. Durant son voyage, une brouille ayant éclaté entre les Turcs et les Grecs, une armée turque, 189 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. commandée par un certain Bokhan, alla guerroyer jusqu’en Crimée. Ces conjonctures défavorables furent cause que Valentin ne réussit pas, et fut abreuvé d’outrages et de mauvais traitements. Le mécontentement du khan venait probablement de ce que les Grecs ne faisaient pas la guerre aux Perses avec autant d’ardeur qu’il l’aurait désiré. Sous l’empereur Maurice (582-601), les Grecs devenus amis des Perses, rompirent avec les Turcs. En 591, le roi de Perse Khosrou Parwiz (Chosroès II le persécuteur), ayant battu le rebelle Bahram lequel avait à sa solde un corps de Turcs, constata, après la bataille, que parmi les prisonniers turcs, plusieurs portaient des croix tatouées sur leurs fronts. Au lieu de les faire fouler aux pieds de ses éléphants, comme les autres prisonniers, Khosrou les envoya à Maurice, comme marqués de son signe. Or ces Turcs n’étaient pas chrétiens. L’empereur leur ayant demandé d’où leur venaient ces croix, ils répondirent que c’étaient leur mères qui les leur avaient faites. Alors qu’une terrible épidémie décimait les Turcs, dirent-ils, des chrétiens demeurant parmi nous, leur avaient persuadé de marquer de ce signe protecteur leurs enfants, lesquels furent tous sauvés. Il y avait donc des chrétiens parmi les Turcs, au milieu du 6e siècle ; fait à noter pour plus tard... En 598, ambassades du khan des Turcs à l’empereur Maurice, pour renouer des relations, probablement. Ce khan était encore Tardou, dont le règne fut très long. Maurice p.1259 ayant été assassiné par Phocas (602), sous prétexte de venger son ami et bienfaiteur, Khosrou Parwiz se tourna contre l’empire, ravagea l’Asie Mineure, prit Jérusalem, enleva la vraie croix, etc... Héraclius ayant renversé Phocas (610), fit trois campagnes consécutives contre Khosrou, dans lesquelles il fut alternativement aidé ou trahi par les Turcs Khazars, hordes dépendantes des Turcs Occidentaux, qui campaient jusque vers la Crimée. Khosrou ayant été assassiné (25 février 628), les Grecs respirèrent, pas pour longtemps... Les Arabes étaient entrés en scène. Le 20 Août 636, la bataille de Yarmouk leur livra l’Asie grecque ; au commencement de l’année 637, la bataille de Kadesiya 190 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. leur livra la Perse. Yezdegerd III le persécuteur dut fuir. Il erra longtemps, cherchant à rétablir sa fortune. En 638, Il sollicita l’aide des Chinois, qui le rebutèrent. Alors il sollicita l’aide des Turcs. Trahi par ceux-ci, il fut assassiné à Merw, en 651. Avec lui finit la dynastie des Sassanides. Son fils Firouz se maintint pour un temps à Zereng, dans le Séistan actuel. Expulsé par les Arabes, il arriva en Chine, à Tch’âng-nan, en 674, y construisit en 677 un temple de sa religion mazdéenne, et y mourut peu après. Après une vie d’aventures, son fils que les Chinois appellent Ni-nie-cheu, mourut aussi en Chine, en 707. IV. Itinéraires d’Orient en Occident, au début du 7e siècle... Carte X. Trois routes, partant de Tchāng-ie (Kān-tcheou, y) dans les Nân-chan. 1. Par le nord de l’Altaï, le lac Barkoul (s), Ouroumtsi (u), le col Talki et la vallée de l’I-li, à Talas (Aoulie-ata, 20) qui fut pour un temps résidence du khan des Turcs Occidentaux, puis à Fôu-linn (Byzance), par le nord des mers d’Aral et Caspienne, par le Caucase et l’Asie Mineure. 2. Par le sud de l’Altaï, Tourfan (q), Karachar (p), Koutcha (m) résidence ordinaire du khan des Turcs Occidentaux, Kachgar (I), le Terek-davan, puis le Ferghana (21), Och, Ouriatioube, Samarkand (22), Bokhara, Merw (B), au Golfe Persique (H) ; voie peu sûre, depuis les guerres entre Turcs et Perses, puis entre Perses et Arabes... La passe de Outch (o, col Bédel) reliait ces deux routes par Aksou et Tokmak. 3. Par le sud du Lob-nor, pays des Chán-chan (h), à Kotan (j) ; puis, par le Wakhan (W), Sirikoul Tachkourgane et Bamian, dans l’Afghanistan actuel et la Perse (23, 24) ; ou par le pas de Baroghil, dans la vallée de l’Indus (T) et vers la mer des Indes. @ 191 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE SOEI. Famille Yâng, 589-617. L’empereur Wênn, 589 à 604. Carte XIV — @ p.1260 L’Histoire compte son règne, rétrospectivement, depuis l’année où il se fit roi de Soêi (581) ; de sorte que cette année 589, date de son avènement à l’empire, est la neuvième de son règne (cf. p. 274). Tch’âng-nan resta capitale, provisoirement, et Kién-k’ang fut abandonné, après avoir été capitale durant 272 ans. Le règne de Yâng-kien, commença par quelques réformes. Il simplifia le code, supprimant 81 cas punis de mort, 154 cas punis d’exil, et plus de mille cas punis de peines moindres. Il ne conserva que cinq cents cas spécifiés, répartis en douze sections. Il ordonna ensuite une réforme de la musique, et fit ajouter un huitième ton à la gamme. Il fit organiser le peuple par groupes de cent feux. Chaque groupe eut son centenier. Au commencement de son règne, Yâng-kien mit beaucoup de soin à bien choisir les mandarins. L’histoire raconte les gestes édifiants de plusieurs de ces personnages. Ainsi Sīnn koung-i ayant été nommé gouverneur des pays situés au pied des monts Mînn-chan (57), constata que, dans ces pays, quand un homme tombait malade, par crainte de contracter le même mal, tous ses parents l’abandonnaient et le laissaient mourir sans assistance. Le gouverneur établit un hôpital, qui fut bientôt rempli. Lui-même examina les malades, indiqua les traitements, fournit les médicaments, etc. Bien soignés, la plupart des malades guérirent. Quand ils étaient rétablis, Sīnn koung-i les rendait à leurs familles, avec ces bons avis : La vie et la mort dépendant du destin, il ne faut craindre aucune contagion. D’ailleurs ce péril existe-t-il ? Si les maladies étaient 192 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1261 vraiment contagieuses, il y a longtemps que je serais mort, moi qui visite sans cesse les malades... Ces leçons produisirent leurs fruits. Peu à peu les habitants du Mînn-tcheou apprirent à soigner leurs malades avec charité... Transféré plus tard dans le Píng-tcheou, Sīnn koung-i se rendit droit à la prison, et interrogea lui-même tous les détenus. Il expédia ensuite, en moins de dix jours, toutes les causes pendantes. Depuis lors, il traita le jour même toutes les causes nouvelles. Comme on lui conseillait de s’en remettre davantage à ses officiers : — Moi gouverneur, dit-il, comme je n’ai malheureusement pas assez de vertu pour empêcher mon peuple d’avoir des affaires, je veux du moins ne jamais me coucher pour prendre mon repos, laissant un malheureux aux mains des sbires en prison préventive... Quand on sut cela dans le pays, chaque fois que quelqu’un voulait faire un procès, les vieillards l’exhortaient, disant : — Ne donne pas ce mal à notre bon gouverneur !.. Bientôt la plupart des différends s’arrangèrent par voie d’accommodement. Les pays au sud du Fleuve Bleu, traités un peu en pays conquis par la nouvelle dynastie, ne lui étaient pas affectionnés, et n’acceptaient pas volontiers ses lois. En 590, le gouverneur Sōu-wei imagina de faire apprendre par cœur, à tous les habitants de ces pays, le texte des articles auxquels ils manquaient le plus souvent. Irrité, le peuple se souleva en armes, et le gouvernement dut envoyer Yâng-sou avec des troupes, pour réprimer cette révolte. En 593, Yâng-kien chargea le même Yâng-sou, de lui construire un palais, au pied du mont K’î (haute vallée de la Wéi). Yâng-sou s’adjoignit un certain Fōng tei-i. Ces deux hommes traitèrent d’une manière barbare les dizaines de milliers d’ouvriers condamnés à cette construction. Beaucoup moururent, et furent enfouis sommairement. En 594, p.1262 une famine épouvantable désolant la vallée de la Wéi, Yâng-kien envoya voir ce que le peuple mangeait. On lui rapporta un brouet, fait d’un peu de farine de fèves, et d’une masse de balle de grain. Yâng-kien 193 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pleura de pitié, défendit de servir de la viande sur sa table jusqu’à la fin de la famine, et continua de bâtir. Le palais ayant été achevé en 595, Yâng-kien alla le visiter. Il le trouva trop beau, se fâcha (pour la forme sans doute, cf. p. 290), et gronda Yângsou. — Ne vous affligez pas, dit à celui-ci son collègue Fông lei-i ; attendez l’impératrice. Quand celle-ci fut arrivée et eut vu le palais, elle en fut ravie. Yâng-sou fut mandé, félicité, remercié, proclamé pieux et dévoué, enfin libéralement récompensé. Craignant toujours quelque révolution contre sa dynastie encore mal assise, en 595 Yâng-kien ordonna de nouveau la confiscation de toutes les armes existantes aux mains des particuliers. Il eut tort, dit l’Histoire (cf. p. 434), car il mit ainsi son peuple sans défense à la merci des brigands, lesquels pullulèrent. Yâng-kien crut remédier à ce nouveau fléau, par des lois atroces contre les voleurs. Tout vol excédant une sapèque de cuivre ou une mesure de grain, fut puni de mort. Un jour trois hommes furent exécutés, pour avoir volé ensemble une pastèque. Yâng-kien était illettré, rusé et défiant. Il épluchait les mémoires qu’on lui adressait, et punissait sévèrement tout vice de fond ou de forme qu’il y avait découvert. Il envoyait des agents secrets offrir des pots-de-vin aux fonctionnaires, puis faisait décapiter quiconque avait accepté. Il faisait fustiger ou même décapiter des officiers, à la cour, en sa présence. Les censeurs lui ayant remontré que cela ne convenait pas, il méprisa leurs remontrances. Alors les censeurs se présentèrent en corps, pour le supplier de faire cesser ce scandale. Yâng-kien leur permit p.1263 d’emporter les férules ; mais, le lendemain, s’étant fâché contre un officier, il le fit encore cravacher séance tenante. Un jour, à l’époque des grandes chaleurs, il ordonna de fustiger et de décapiter un homme, ce qui a toujours été défendu en Chine. Les censeurs lui en ayant fait la remarque : 194 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — C’est le temps, dites-vous, où le Ciel multiplie les êtres, leur répliqua Yâng-kien ; et moi je dis, c’est le temps aussi, où le Ciel tue beaucoup d’êtres, par les coups de ses foudres ; pourquoi ne ferais-je pas comme lui ? Le fils de Siáo mouo-heue ayant trempé dans une révolte, Yâng-kien voulut faire mourir le père. Le censeur Tcháo-tch’ao s’y opposa... — Retirez-vous, lui dit Yâng-kien... — Quand vous m’aurez accordé ma requête, dit le censeur... Yâng-kien céda... Un autre jour, le même censeur s’étant encore opposé à un acte de cruauté, Yâng-kien le fit mener au supplice. Au moment où il allait recevoir le coup fatal, on lui demanda s’il voulait se rétracter. — Je veux que la justice soit rendue, dit le censeur ; ma vie m’importe peu... Yâng-kien le fit mettre en liberté. Un jour qu’il avait envoyé K’iū t’ou t’oung, officier de sa garde, dans le Loùng-si (57), pour y examiner l’état de l’élevage des chevaux, celui-ci en découvrit plus de vingt mille, qui n’avaient pas été déclarés. Furieux, Yângkien allait condamner à mort en bloc le préfet du Loùng-si et ses officiers, 1500 personnes en tout. K’iù-t’ou t’oung intercéda pour eux. — Des hommes valent plus que des bêtes, dit-il ; ne tuez pas plus de mille hommes pour quelques milliers d’animaux !.. Yâng-kien l’ayant regardé de travers, K’iū-t’ou t’oung s’inclina et dit : — Je veux bien mourir, mais graciez ces hommes !.. Touché, Yâng-kien céda. L’impératrice, une Tongouse Oū-hoan, de la tribu Tôu-kou, jalouse et p.1264 méchante, terrorisait le harem. Une petite-fille de Ú-tch’eu hoei (p. 1225), ayant gagné les bonnes grâces de l’empereur, l’impératrice la fit mourir. Furieux, l’empereur monta à cheval, sortit du palais tout seul, et alla errer dans les montagnes, à plus de vingt lì de la capitale. On courut après 195 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. lui. Kāo-ying et Yâng-sou l’ayant trouvé, saisirent la bride de son cheval et lui dirent : — L’empire vaut plus qu’une femme... L’empereur revint. L’impératrice pleurnicha. Kāo-ying et Yâng-sou raccommodèrent ce digne couple. L’affaire finit par une joyeuse buverie, dit l’Histoire. Au commencement de son règne, Yâng-kien avait donné toute sa confiance à son héritier désigné le prince Yâng-young. Plus tard l’esprit libéral du prince lui déplut. Un jour qu’il portait une belle cuirasse du pays de Chòu, l’empereur lui dit : — Depuis l’antiquité, tous les princes prodigues se sont perdus. Deviens plus économe, afin que ton règne soit prospère. Moi qui suis devenu empereur, j’ai toujours conservé les pauvres objets qui servaient à mon usage au temps jadis ; ils me servent maintenant de préservatif contre les tentations de prodigalité. Je te donne mon sabre et ma vaisselle, afin que ces objets te rendent désormais le même service. Au solstice d’hiver suivant, Yâng-young ayant été trop visiblement flatté des visites que lui firent beaucoup d’officiers courtisans, Yâng-kien fut encore mécontent. La faveur de Yâng-young déclina sensiblement. Son père se défia de lui, et le traita froidement. Yâng-young aimait les femmes. Il en avait un grand nombre. Il préféra l’une de ces concubines, à la femme en titre qui lui avait été donnée par l’impératrice. Cette femme mourut. L’impératrice soupçonna le prince de l’avoir supprimée, le prit en grippe, et le fit espionner, afin de lui découvrir des péchés. Le roitelet Yâng-koang, ambitieux et intrigant, ayant constaté p.1265 le refroidissement de l’empereur et de l’impératrice pour son frère Yâng-young, se mit à les caresser tous deux pour capter leur bienveillance. Il caressa pareillement leurs familiers et conseillers. Quand l’empereur ou l’impératrice le visitaient, Yâng-koang cachait ses jolies concubines, ne laissant en évidence que quelques vieilles laides. Modestement vêtus, lui et sa femme 196 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. s’épuisaient en témoignages de piété filiale. Leur mobilier était des plus simples. Les instruments de musique suspendus aux murs, étaient couverts de poussière et veufs de leurs cordes, preuve qu’on n’en jouait pas. Cette austérité de vie plut à l’empereur, qui préféra bientôt Yâng-koang à tous ses autres fils. De son côté l’impératrice prit la ferme résolution de le substituer à Yâng-young. Sentant la partie gagnée, Yâng-koang demanda à son conseiller Ù-wenn chou comment faire pour brusquer la solution. — Il vous faut, pour cela, dit le conseiller, vous bien mettre avec Yâng-sou. Son frère cadet Yâng-yao, qui est mon ami, vous servira d’introducteur... Yâng-koang remit à Ù-wenn chou de riches présents pour Yâng-yao. Celui-ci se chargea de la commission. Yâng-sou qui ne demandait pas mieux que d’avoir un jour un maître de sa façon, accepta de patronner Yâng-koang. Désormais, surtout devant l’impératrice, il ne laissa perdre aucune occasion de faire l’éloge de son protégé, et de mal parler du prince impérial. — Que vous dites vrai ! dit un jour l’impératrice, en pleurant... puis elle le pria de chanter la même antienne à l’empereur. Celui-ci le chargea de rechercher les péchés secrets du prince. Comme Yâng-sou devait en trouver, il en trouva, bien entendu. Il accusa le prince d’être mécontent du gouvernement de son père, et impatient de lui succéder. L’impératrice suborna aussi de faux témoins, qui accusèrent le prince de machinations magiques, destinées à hâter p.1266 son avènement. Toutes les délations étant bien payées, les délateurs ne manquèrent pas. Enfin l’empereur dit publiquement : — Ce garçon-là n’est pas fait pour me succéder. L’impératrice me l’a dit bien souvent. J’espérais qu’il s’amenderait. J’ai assez patienté. Si je différais davantage, il pourrait arriver des malheurs. Je vais le dégrader, pour assurer la paix de l’empire... Un certain Kī-wei ayant accusé le prince de faire beaucoup consulter les sorts, et d’avoir dit « le destin de mon père est de mourir la dix-huitième année de son règne »... 197 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Quel être dénaturé ! dit l’empereur en gémissant... Le prince fut appelé à la cour. L’empereur le reçut avec un appareil formidable, revêtu de ses armes, entouré de ses gardes, des ministres et des princes du sang. Le faisant tenir debout devant lui avec tous ses fils (cf. p. 497), il fit promulguer sa déchéance et celle de ses enfants. Tous étaient dégradés et mis au rang du peuple... L’ex-prince se prosterna, puis se retira en sanglotant et titubant comme un homme ivre. Sauf les intrigants qui avaient machiné sa perte, tous les assistants plaignirent son sort... Quand il fut sorti, le bénéficiaire de ce coup d’État, Yâng-koang, fut proclamé prince impérial. Yâng-young fut enfermé dans la prison du palais (600)... Ce jour-là, la terre trembla, signe de la colère du Ciel, présage de la ruine future. Cet avertissement était on ne peut plus clair, dit l’Histoire ; mais Yâng-kien ne le comprit pas. En 602, l’impératrice étant morte, le prince impérial Yâng-koang, qui lui devait sa fortune, la pleura, devant l’empereur et la cour, avec des hurlements tels, qu’on crut qu’il allait rendre l’âme. Rentré ensuite dans ses appartements, il mangea but parla et rit, comme si de rien n’était. Quand il devait veiller près du cercueil (rites), il emportait, sous ses vêtements, de la viande cachée dans un bambou creux bouché avec de la cire, qu’il mangeait ensuite p.1267 furtivement. — A l’occasion de ce premier décès dans sa famille, Yâng-kien fit chercher un emplacement faste pour le cimetière de sa dynastie. Chargé de cette opération, le géomancien Siáo-ki découvrit un terrain, dont les émanations promettaient aux Soêi un règne de 200 générations et de 3000 années... C’était par trop beau. — La prospérité et l’adversité dépendent de la conduite des hommes, non de la situation de leur cimetière, dit Yâng-kien, sans croire ce qu’il disait, car il acheta le terrain... En particulier, le devin Siáo-ki dit à un ami : — Par souci de ma renommée, je vais te dire la vérité. J’ai prédit jadis à Yâng-koang, qu’il deviendrait prince impérial ; cela s’est réalisé. Je lui ai prédit ensuite, qu’il serait empereur dans quatre ans ; cela se réalisera. Maintenant, je te confie à toi, que cet homme ruinera la dynastie. Ses méfaits réduiront à 2 générations 198 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. les 200, et à 30 années les 3000 promises par le destin. Retiens cela !.. Ces devins étaient de curieux personnages. Se prenaient-ils au sérieux ? Le fait est que leur influence sur l’opinion publique, était un facteur avec lequel il fallait compter en politique. Chez les T’ou-kou-hounn, en 591, mort du vieux khan centenaire K’oā-lu. Son fils Chéu-fou, celui à qui Yâng-kien avait jadis offert des leçons de piété filiale (p. 1248), lui succéda. Chez les Turcs Septentrionaux, le khan Tch’óu-louo-heou étant mort presque aussitôt après sa victoire, en 587, son neveu Yoùng-u-lu (p. 1248) monta sur le trône, et devint le khan Tōu-lan. Or la khatoun Ù-wenn, adoptée par Yâng-kien (p. 1247), continuait à intriguer et à comploter, pour arriver à venger sur lui la ruine de sa famille. Elle poussait le khan Tōu-lan à faire la guerre à l’empire. Yâng-kien qui l’apprit, envoya en 593 Tchàng-sounn cheng, pour mettre le khan en garde contre les manœuvres de cette femme. p.1268 En Turc pratique, pour faire plaisir à Yâng-kien, Tōu-lan supprima la khatoun. En 597, un second khan, T’óu-li, s’éleva parmi les Turcs Septentrionaux. Fidèle au principe fondamental de la politique chinoise, le balancier à deux pistons, Yâng-kien reconnut T’óu-li au même titre que Tōu-lan, et lui fournit aussi une princesse (il en avait pour tout le monde). Tōu-lan fut vexé, mais qu’y faire ? Désormais Tōu-lan et T’óu-li s’espionnèrent et se contrecarrèrent l’un l’autre, si bien que les Chinois n’eurent plus qu’à se croiser les bras. En 597, les Tongouses T’ou-kou-hounn assassinèrent le khan Chéu-fou, et mirent son frère Fôu-yunn à sa place. En 599, le khan turc T’óu-li fit savoir que le khan Tōu-lan projetait une incursion dans l’empire. Aussitôt trois armées impériales prirent le chemin du nord. Averti du danger, Tōu-lan s’allia avec Tá-t’eou (Tardou), le khan des Turcs Occidentaux. A eux deux, ils tombèrent sur T’óu-li, et le battirent à plate couture. T’óu-li se sauva la nuit, avec le conseiller chinois qui résidait auprès de lui, et cinq cavaliers seulement. Le lendemain ils racolèrent quelques centaines d’hommes. T’óu-li courut jusqu’à Tch’âng-nan, où Yâng- 199 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. kien le reçut à bras ouverts. Cependant les armées chinoises entraient en contact avec celles des deux khans confédérés. Kāo-ying battit Tōu-lan, et lui donna la chasse durant plus de 700 lì. Yâng-sou se heurta à Tá-t’eou. Se croyant sûr de vaincre, celui-ci descendit de cheval, adora le Ciel, et le remercia de lui avoir livré ses ennemis. Puis, à la tête de cent mille cavaliers, il attaqua avec impétuosité. Yâng-sou le reçut chaudement, et le défit complètement, après un grand carnage. Cependant Yâng-kien choyait T’óu-li. Il lui fit épouser une princesse, l’appela K’ì minn (le Civilisateur), et l’établit dans la province chinoise de p.1269 Choúo-tcheou (13). Là, petit à petit, plus de dix mille Turcs vinrent se donner à lui. L’empereur lui fit construire le douar de Tá-li-tch’eng. Il lui concéda peu à peu tout le nord de l’anse du Fleuve Jaune (14), territoire actuel des Ordos, et fit protéger ses établissements, contre les entreprises du redoutable Tá-t’eou, par vingt mille hommes de troupes chinoises. L’empereur préparait une seconde expédition contre Tōu-lan, quand celuici fut assassiné par les Turcs Septentrionaux. Alors Tá-t’eou se décerna le titre de khan suprême de tous les Turcs. Son ambition causa encore plus de désordre parmi les Turcs, et Septentrionaux et Occidentaux. La conséquence de ces troubles fut que beaucoup de Turcs se joignirent à ceux qui vivaient en paix avec la Chine, sous le khan T’óu-li. En 600, incursion de Tá-t’eou dans l’empire. Quatre armées chinoises marchèrent contre lui. Tchàng-sounn cheng, que nous connaissons, ayant empoisonné une source, beaucoup de Turcs périrent. Ils furent si effrayés, qu’ils décampèrent durant la nuit. Tchàng-sounn cheng les poursuivit et en tua un millier. Chèu wan-soei leur infligea aussi une sérieuse défaite. Après ces victoires des Chinois, le mouvement de soumission des Turcs s’accentua. Durant l’année 601, 90 mille Turcs passèrent à T’óu-li et aux Chinois. En 602, incursion des officiers de Tá-t’eou dans les Réserves de ces protégés. Aussitôt les armées impériales entrèrent en campagne, rattrapèrent les maraudeurs, les défirent, leur reprirent les prisonniers et le bétail. 200 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ces défaites successives, ruinèrent le prestige de Tá-t’eou. En 603, son pouvoir fut anéanti, d’un seul coup, par la révolte des tribus Tölös (Ouïgours de l’Altaï) de son obédience. Il dut fuir chez les T’ou-kou-hounn (Koukou-nor), et mourut probablement peu après, car, à cette date, il disparaît de l’histoire, laquelle reparlera plus tard de ses p.1270 descendants. Grâce à la politique des Chinois, à son tour T’óu-li, leur ami, régna sur presque tout le territoire des Turcs. @ Culte... Il éprouva, sous l’empereur Wênn, de singulières vicissitudes... L’empereur commença par être approximativement Confuciiste. En 593, il interdit, sous des peines grièves, la cabale taoïste, et toute divination, pour la raison que nous avons déjà dite bien souvent ; il craignait qu’on ne lui découvrît un successeur prédestiné. La même année, il voulut faire construire un Ming-t’ang à la mode antique, c’est-à-dire une salle devant servir aux grandes cours plénières et aux sacrifices officiels. Les Annalistes feuilletèrent les vieux bouquins. De leurs recherches sortit un modèle en bois, œuvre de Ù-wenn k’ai. L’empereur ordonna de l’exécuter. Mais les lettrés, toujours les mêmes (p. 460), trouvèrent tant à y redire, que cette exécution fut ajournée indéfiniment. En 594, Yâng-kien chargea un membre survivant de chacune des dynasties précédentes Ts’î Leâng Tch’ênn, d’offrir aux empereurs défunts de sa propre dynastie les sacrifices annuels, et fit fournir par le gouvernement la vaisselle et les provisions nécessaires à cette fin. Plus tard, l’empereur se laissa influencer par l’occultiste Wâng-chao, lequel lui fit croire à toute sorte de signes fastes pour sa dynastie, et composa, à son usage, une compilation cabalistique intitulée Lîng-kan-tcheu, en trente chapitres. L’empereur fit savoir ces choses à tout l’empire. Les incantations et divinations du magicien, finirent par lui plaire beaucoup. N’estil pas curieux, dit le commentateur, de voir cet homme qui, un an auparavant, avait prohibé la cabale, s’en servir un an après ? Fut-ce inconséquence ? Non !.. Parvenu au pouvoir, comme par hasard, sans être ni connu ni aimé du peuple, Yâng-kien p.1271 craignit d’abord que les magiciens ne lui découvrissent un remplaçant ; il interdit donc la cabale. Plus tard il 201 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. l’autorisa, quand elle le proclama cher au Ciel et digne du trône, quand elle découvrit des signes favorables pour lui. En tout cela, nulle conviction ; tout fut calcul. Il voulait léguer l’empire à ses descendants, et prohibait ou approuvait la cabale, selon qu’elle était hostile ou favorable à ses vues. Aussi le commentateur termine-t-il par une bordée d’injures à l’adresse de cet égoïste. En 595, l’empereur visitant les provinces orientales, offrit un sacrifice au Ciel sur le mont T’ái-chan. Une sécheresse intense désolant alors l’empire, il s’accusa, sur la montagne, de ses péchés, à la mode antique (p. 58). Il employa, dans ce sacrifice au Ciel, les rites du sacrifice dans la banlieue du sud. En 598, interdiction spécifiée de quelques maléfices nouveaux, ou plutôt de quelques formes nouvelles de l’envoûtement, usité dès le temps des premiers Hán (p. 469). T’oûo, frère de l’impératrice Tôu-kou (p. 1263), avait une esclave, laquelle possédait l’art de faire tuer les gens, non par des loupsgarous, mais par des chats-garous, qu’elle évoquait à son gré. Elle savait aussi donner des cauchemars, des maladies de langueur, etc. Toujours la même chose ; le mauvais œil, quoi !.. L’impératrice Tôu-kou et Madame Yâng-sou étant tombées malades, les médecins de la cour déclarèrent, pour des raisons tout autres que médicales, qu’elles avaient le diable au corps. Les soupçons, savamment dirigés, se portèrent sur T’oûo. Convenablement torturés, lui et ses gens confessèrent que leurs chats-garous étaient cause de ces maladies. Les juges demandèrent la mort des inculpés. L’impératrice chercha à sauver son frère. — S’il avait fait du mal à d’autres, dit-elle, je demanderais que la justice suive son cours ; mais puisqu’il n’en a fait qu’à moi, je demande sa grâce. L’empereur commua la peine, mais proscrivit par p.1272 un nouvel édit, sous peine de bannissement, l’exercice de la magie noire. Il aurait dû opposer à ces pratiques, disent les commentateurs, l’instruction et l’amendement des mœurs. En cette matière, proscrire ne suffit pas. Il fit bien, mais ne fit pas assez. 202 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En l’an 600, premiers signes de la conversion de Yâng-kien au Buddhisme, qui fut la religion du reste de sa vie. Il défendit, par un édit, la destruction des statues et images buddhiques. Il fit mettre à mort des hommes qui avaient contrevenu à cette défense, dit le commentateur, en ricanant, comme si la vie d’un homme ne valait pas plus qu’une image. Par suite de son Buddhisme, Yâng-kien devint hostile au Confuciisme. En 601, après avoir fait faire une enquête dans l’empire, fort de la prédominance du Buddhisme parmi le peuple, il supprima d’un seul coup toutes les écoles de l’empire, à l’exception d’une seule, l’école du palais, dont les élèves furent réduits à 70, tout juste ce qu’il fallait pour recruter les Annalistes. On n’est pas plus radical ! Aussi les Lettrés jettent-ils feu et flammes, et déclarent-ils que l’empereur Wênn des Soêi ne valut guère mieux que le Premier Empereur des Ts’înn. L’empereur Suān des Ts’iên-Hán maltraita les Lettrés (p. 534), disent-ils. L’empereur Wênn des Soêi les traita comme des malfaiteurs. Aussi la mémoire de ces deux hommes puera-t-elle (sic) dans les siècles des siècles. Encore en 601, l’empereur sacrifia au Ciel, dans la banlieue du sud. Cette fois, pensez-vous, les Lettrés durent être contents de lui. Du tout ! Ils font des gorges chaudes. Car l’empereur offrit ce sacrifice, pour remercier le Ciel des signes fastes, que le magicien Wâng-chao lui faisait accroire. Faire savoir ces signes au peuple, disent-ils, c’était se moquer du peuple ; en remercier le Ciel, c’était se moquer du Ciel. p.1273 Cependant le prince impérial Yâng-koang trouvait que son père vivait trop longtemps. En 602, il fit faire son portrait, y écrivit son nom, lui lia les mains, lui perça le cœur, et l’enterra dans le palais (envoûtement, cf. p. 1121). En 604, l’empereur tomba malade. Sans l’affirmer expressément, l’Histoire insinue, à son ordinaire, que ce fut vraiment par suite de ces maléfices... Au septième mois, Yâng-kien prit congé de ses officiers, leur serra la main et soupira... Sa femme favorite Tch’ênn suan-hoa le servait affectueusement... Le prince impérial s’établit au palais. Yâng-sou son âme damnée, Liòu-chou et Yuân-yen, se constituèrent les gardes-malade du père agonisant. Le fils et Yâng-sou commencèrent leurs préparatifs. Le moribond 203 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. l’ayant appris, en fut très affecté. Au matin, la dame Suān-hoa qui avait veillé toute la nuit, se rendant à ses appartements pour mettre ordre à sa toilette, rencontra le prince qui lui tint des propos inconvenants, et dut s’échapper de ses mains. Elle rentra dans la chambre du mourant, encore tout émue. — Qu’avez-vous ? lui demanda l’empereur... Elle lui conta ce qui venait d’arriver... Indigné, Yâng-kien frappa sur le bord de son lit et dit : — J’ai élevé une brute ! L’impératrice Tôu-kou m’a trompé !.. Puis, appelant Liòu-chou et Yuân-yen : — Introduisez mon fils, leur dit-il... Comme ils appelaient Yâng-koang : — Pas celui-là, dit le mourant, mais Yâng-young (le prince dégradé et prisonnier)... Liòu-chou et Yuân-yen étant sortis de l’appartement pour exécuter cet ordre, Yâng-sou les arrêta, et avertit en hâte Yâng-koang du danger qu’il courait. Celui-ci fit aussitôt fermer les portes du palais et appela la garde aux armes. Puis il fit sortir toutes les femmes de l’appartement de l’empereur, et chargea Tchāng-heng de le servir (de l’achever). Un instant après que cet homme fut entré dans sa chambre, p.1274 Yâng-kien expira. Cette mort subite fit beaucoup parler (l’opinion unanime des historiens, est que Yâng-koang fit assassiner son père)... Avant le soir de ce jour, Yâng-koang fit remettre à la dame Tch’ênn suan-hoa une petite cassette. Elle pensa d’abord que c’était le poison avec lequel elle devait se suicider. Quand elle l’eut ouverte, elle y trouva une déclaration d’amour. Elle allait protester, quand ses servantes l’adjurèrent de ne pas les perdre avec elle. Elle accepta donc, et fut épousée cette nuit-là même... Le lendemain, annonce officielle du décès, et avènement de Yâng-koang. Aussitôt, sur un ordre supposé émané du père défunt, le nouvel empereur commanda à son frère Yâng-young de se suicider (cf. p. 225). L’Histoire ajoute, à cette page hideuse, le panégyrique suivant de Yângkien : Il était austère, sévère, appliqué au gouvernement. Très économe, 204 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ennemi de tout gaspillage, il récompensait cependant le mérite libéralement. Il aima le peuple, fut plein de sollicitude pour l’agriculture, et exigea le moins d’impôts possible. Il faisait raccommoder ou laver les habits et objets à son usage. Pour ses repas particuliers, il se contentait d’un ragoût. Il ne permettait à ses femmes, que des étoffes susceptibles d’être lavées. Il fit la guerre aux bijoux et aux breloques, si bien que, pour un temps, l’or et le jade furent dépréciés, et qu’on fit les agrafes de ceinture (le principal bijou chinois) en cuivre fer os ou corne. L’empire prospéra sous sa ferme administration. Au commencement de son règne, il n’y trouva que quatre millions de familles (entre 20 et 25 millions d’âmes). A la fin de son règne, il y en avait près de neuf millions (environ 50 millions d’âmes). Comparez ces chiffres, avec ceux indiqués page 873... Le malheur fut que Yâng-kien était soupçonneux et crédule. Par suite de ce vice, beaucoup de ses officiers les plus méritants finirent misérablement p.1275 (p. 1262) ; ses frères et fils furent traités par lui comme des ennemis. @ 205 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Yâng, 605 à 618. @ Ce fratricide et parricide ne pouvant pas convenablement régner sur le théâtre de ses crimes (Tch’âng-nan), transporta sa capitale à Láo-yang. Il chargea Yâng-sou, qui avait déjà bâti le palais de Tch’âng-nan, on sait comment (p. 1262), de lui bâtir un nouveau palais à Láo-yang. Yâng-sou leva, pour cette entreprise, plus de deux millions d’hommes. L’empereur qui aimait le luxe et le faste, attira, à sa nouvelle capitale, tous les gros marchands de l’empire. Il fit aussi ramasser tous les matériaux rares, bois, pierres ; toutes les curiosités, animaux, plantes ; le tout pour l’ornementation de son palais et de son parc. — Ce parc eut 200 lì (120 kilomètres) de tour. Il contenait un lac artificiel de 10 lì (9 kilomètres) de tour, duquel émergeaient les trois îles des Immortels (p. 444), hautes de cent pieds, et couvertes de pavillons magnifiques. Le long d’une sorte de rivière, qui débouchait dans le lac, l’empereur fit bâtir seize villas séparées pour ses femmes. On y abordait en barque. Tout ce qu’on peut imaginer de luxueux, était prodigué dans ces demeures et dans les jardins qui les entouraient. En automne, à la chute des feuilles, on y garnissait les arbres et arbustes, de feuilles et de fleurs en étoffe et en papier. Le lac était aussi orné de lotus artificiels, qu’on remplaçait quand leur couleur passait. Le plaisir de l’empereur était de naviguer sur le lac, ou de courir le parc à cheval, durant les nuits éclairées par la lune, avec une bande de plusieurs milliers de filles, faisant des vers et chantant des chansons. C’est pour les voyages de plaisir de cet empereur, que fut créé le réseau des canaux de la Chine. Je dis canaux ; il faut s’entendre. N’allez pas imaginer qu’on les tira en ligne droite, d’un point à un autre, comme cela se p.1276 pratique en Europe. Non. On raboutit les fleuves et les rivières, aux endroits les plus commodes, de manière à pouvoir passer, tant bien que mal, des uns dans les autres, et voilà tout. Œuvre sans idée ni plan, faite de pièces et de morceaux, destinée à servir un moment, née d’un caprice, délaissée ensuite pour une autre lubie, more sinico. Quand l’empereur Yâng eut fini de 206 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. se promener, sauf quelques tronçons qui furent entretenus pour intérêt local, le reste s’envasa vite, et il n’eut fut plus question. Les anastomoses principales du système, existaient d’ailleurs avant lui. Bref, on fit communiquer le Fleuve Jaune avec le Hoâi par la Pién et la Séu, puis le Hoâi avec le Fleuve Bleu, ce qui permit à l’impérial canotier d’aller en barque de Láo-yang à Kiâng-tou (Yâng-tcheou, n), haut fait que nous avons vu exécuter par T’âo-p’ei dès l’an 224 (cf p. 836 et Carte XI). L’empereur chercha à se donner une belle face, en annonçant, par un édit, qu’il allait voyager, afin de communiquer avec son peuple, comme les grands souverains de l’antiquité. Il fit construire, au sud du Fleuve Bleu, une flotte de bateaux-dragons, et des myriades de jonques de transport. Les voies fluviales que le cortège impérial devait suivre, furent bordées d’un chemin de halage planté de saules. Quarante palais furent espacés sur le trajet de Láo-yang à Kiāng-tou, pour servir à la cour de lieux de repos. Onze cent mille hommes furent réquisitionnés pour corvées. Près de la moitié mourut à la peine, dit l’Histoire. En 605, premier voyage de l’empereur vers le Fleuve Bleu. Il montait un bateau-dragon à quatre étages, haut de 45 pieds, long de 200 pieds. A l’étage supérieur, étaient la salle du trône et les appartements de l’empereur. Au deuxième étage, il y avait 120 chambres luxueusement ornées (le harem). Les étages inférieurs étaient affectés aux p.1277 gens de service. L’impératrice montait un bateau analogue. Des milliers de jonques portaient les princes et les princesses du sang, les grands officiers, les eunuques et les femmes de service, des bonzes et des táo-cheu, enfin les ambassadeurs ou résidents des nations étrangères. Cette flotte était halée par 80 mille hommes, vêtus d’uniformes à ramages. La garde impériale avait aussi ses jonques. En tout, le cortège couvrait, sur la rivière, une longueur de 200 lì. Une haie de cavaliers marchait, des deux côtés de l’eau, à la hauteur des barques. Dans un rayon de 500 lì, sur les deux rives, les mandarins devaient apporter les vivres nécessaires. Ces provisions furent en grande partie gaspillées par les gens de la cour. Pour charmer les loisirs de ce voyage, l’empereur s’occupa du costumier de sa cour, Il imagina d’abord d’orner de plumes les robes de ses dames. Ces 207 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. plumes furent demandées aux mandarins, qui mirent leurs peuples en campagne. Grand massacre de tous les volatiles. A ce propos, l’Histoire raconte sérieusement la célèbre anecdote que voici : A Oū-tch’eng (Tchéekiang), un arbre haut de plus de cent pieds, portait un nid de grue. La mère couvait. Pour avoir ses plumes, le peuple se mit en devoir d’abattre l’arbre. Par amour pour ses petits, la mère se pluma elle-même, et jeta ses plumes à terre. Reparti de Kiāng-tou au deuxième mois de l’an 606, au quatrième mois l’empereur rentra à Láo-yang. Il y fit une entrée triomphale, comme il convenait, après cet exploit de canotage, et accorda une amnistie à l’empire. Puis, poursuivant son œuvre de costumier, il fit habiller les fonctionnaires supérieurs en violet, les inférieurs en rouge, les petits officiers en vert, le peuple en blanc, les marchands en noir, et l’armée en jaune. Cependant l’empereur se défiait de Yâng-sou, l’auteur de sa fortune p.1278 (p. 1265). En 606, le Grand Astrologue ayant annoncé qu’il s’élevait des émanations de mort du pays de Tch’òu, l’empereur nomma aussitôt Yâng-sou au gouvernement de ce pays, pour l’en faire bénéficier. Comprenant que si les miasmes l’épargnaient, la potion classique lui serait envoyée à brève échéance, Yâng-sou préféra se laisser mourir de faim. Encore en 606, l’empereur fit construire deux immenses magasins à provisions. Le premier, près de l’embouchure de la Láo, eut 20 lì de tour, et contenait trois mille puits secs. Le second, près de la capitale, eut 10 lì de tour, et contenait trois cents puits secs. Chaque puits pouvait contenir 80 mille boisseaux de grain. En 607 et 608, réparation de la Grande Muraille, au nord du Chān-si et du Heûe-pei actuels. Douze cent mille hommes furent affectés à cette corvée. En 605, expédition ou plutôt brigandage dans le Tonkin. Des officiers ayant raconté que le royaume de Lînn-i (Tonkin, Annam, Cambodge) était riche en objets rares et précieux, et les armées impériales n’ayant alors rien à 208 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. faire, l’empereur envoya Liôu-fang faire une razzia dans ce pays. Pris au dépourvu, le roi Fân-tcheu essaya en vain de défendre les passes. Il dut se replier, et Liôu-fang passa le Song-koï. Les troupes de Fân-tcheu s’étant ensuite concentrées, les Chinois s’arrêtèrent, surtout par peur des éléphants de guerre cambodgiens. Enfin Liôu-fang s’en tira, par le procédé suivant. Ayant fait creuser des lignes de fosses couvertes de branchages et d’herbe, il fit mine de battre en retraite. Les éléphants chargèrent, tombèrent dans les fosses, furent criblés de traits d’arbalète, se retournèrent furieux contre l’armée cambodgienne et la mirent en désordre. L’armée de Liôu-fang les p.1279 suivit au pas de charge, et fit du désordre une déroute complète. L’armée chinoise dépassa de huit journées de marche le monument élevé par Mà-yuan en l’an 42 (p. 661), et arriva jusqu’à la capitale (peut-être Vinh). Le roi Fân-tcheu se sauva sur mer. Liôu-fang prit et pilla la ville. Dans le temple royal, il enleva dix-huit statues d’or (arhans ou ancêtres). Enfin il reprit le chemin du nord, après avoir élevé une stèle en mémoire de son expédition. Durant le retour, près de la moitié de ses soldats moururent de plaies qui leur vinrent aux jambes. Liôu-fang mourut aussi de maladie. Encore en 605, les Tongouses K’í-tan du Nord-Est (7) ayant fait une incursion dans l’empire, l’empereur chargea le général Wêi-yunn de les châtier, au moyen de troupes turques, à prendre dans les réductions du khan T’óu-li. Le khan fournit vingt mille cavaliers, que Wêi-yunn divisa en vingt escadrons, auxquels il défendit de fusionner, pour éviter le désordre ordinaire aux nomades. En marche, les escadrons se suivaient à un lì de distance, partant au son du tambour, s’arrêtant au son de la trompe... Les K’í-tan n’étant pas en guerre avec les Turcs, et ceux-ci leur ayant fait croire qu’ils marchaient contre les Coréens, Wêi-yunn put arriver jusqu’à 50 lì de leur douar sans que les K’ í-tan suspectassent ses intentions. Fondant sur eux à l’improviste, il massacra les adultes, partagea avec les Turcs les enfants et les troupeaux, et revint triomphant. L’empereur fut fort content. Jadis, quand le khan Tch’óu-louo-heou eut fait prisonnier le khan Tá-louopien (en 587, p. 1249), les hordes de Tá-louo-pien se donnèrent pour chef un 209 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. petit-fils de Tardou, qui fut le khan Nî-li. Celui-ci étant mort, son fils le khan Tch’óu-louo lui succéda. La mère de ce khan était une Chinoise, dont p.1280 le nom de famille était Hiâng. Après la mort de Nî-li, cette dame avait été épousée, à la mode turque, par le frère cadet de son défunt mari. Elle revint en Chine, à Tch’âng-nan, vers l’an 600, et y resta. Le khan Tch’óu-louo fixa sa résidence ordinaire à Talas (Aoulie-ata). Sa dureté et ses violences firent révolter contre lui beaucoup de hordes tributaires. En particulier les principales hordes de race hunne des Tölös (futurs Ouïgours, les K’i-pi, les Syr-Tardouch, et autres), rompirent avec lui. Ce peuple pillard avait des mœurs presque identiques à celles des Turcs. Il n’avait pas de Grand Khan, mais des chefs de horde appelés Séu-kinn. Faibles par suite de ce manque d’unité, les Tölös étaient tributaires des Turcs Septentrionaux et Occidentaux. En 605, le khan Tch’óu-louo les soumit en détail. Ayant battu les SyrTardouch, il réunit leurs notables, sous prétexte de traiter, et les massacra. Cette trahison souleva la nation entière des Tölös, qui se coalisant, se donna pour premier Grand Khan le Séu-kinn de la horde K’i-pi Moúo-heue, et pour khan en second le Séu-kinn de la horde Syr-Tardouch. Entrés en campagne, les Tölös battirent Tch’óu-louo. Fiers de ce succès et devenus une puissance, ils s’attachèrent au brave Moúo-heue, qui se fit redouter de tous ses voisins. Ceux de Khami, Tourfan et Kharachar, se soumirent à lui. En 607, T’óu-li le khan des Turcs amis, vint faire sa cour à Láo-yang. Ce voyage avait pour but de préparer un voyage de l’aventureux empereur Yâng dans les pays du nord. Au sixième mois, il se mit en route. Le peuple de dix préfectures, au nord du Fleuve, fut levé pour lui frayer un chemin, par monts et par vaux. Arrivé à la Grande Muraille (dans la boucle), avant de pénétrer dans le pays actuel des Ordos (14) où se trouvaient les réductions de T’óu-li, il donna à celui-ci avis de son approche. T’óu-li réunit ses hordes, et fit, dans son douar, les p.1281 préparatifs de réception. Sis dans la prairie, le douar était plein d’herbe. L’envoyé chinois jugea que, par honneur pour l’empereur, il fallait enlever au moins celle qui poussait autour de la grande tente ; mais comment dire cela au khan ? Le malin Chinois s’en tira. — Ce sont là des plantes aromatiques, n’est-ce pas ? dit-il au khan, en désignant l’herbe... 210 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Du tout, dit le khan ; c’est de l’herbe... — Nous autres Chinois, dit l’envoyé, nous ne laissons autour des palais impériaux que des plantes aromatiques ; mais, qu’à cela ne tienne ! je dirai à l’empereur que ce sont là les plantes aromatiques des Turcs... Aussitôt le khan et les nobles, tirant leurs poignards, se mirent à déraciner eux-mêmes les herbes... L’empereur franchit les portes de la Grande Muraille, à la tête de 500 mille cuirassiers. Le cortège, bagages compris, avait mille lì de long. Là où l’empereur campait, on dressait autour de lui, pour la nuit, une ville peinte sur toile, immense décor de théâtre qui avait deux mille pas de tour. Quand les nomades, tenus à distance respectueuse, virent cette merveille, ils crurent tous que les Chinois étaient Chênn... L’empereur visita le khan dans sa tente. Celui-ci but à la santé de son hôte. Tous les nobles turcs entouraient la tente, très impressionnés par la majesté du spectacle. L’empereur fut très content... L’impératrice, qui était du voyage, visita de même la khatoun...On festoya durant trois jours, on se fit des présents réciproques, puis l’empereur prit le chemin du retour. Tchāng-ie (Kān-tcheou) était alors l’entrepôt du commerce des peuples du Tarim avec la Chine. L’empereur qui, comme nous avons vu, aimait les curiosités jusqu’à faire la guerre pour s’en procurer, fit gouverneur de cette ville, en 607, un certain P’êi-kiu, homme curieux et entreprenant. Sur les récits des marchands venus à Tchâng-ie p.1282 pour y trafiquer, P’êi-kiu compila une géographie descriptive de l’Asie centrale. Cet ouvrage est perdu, mais il est probable que les excellentes indications géographiques de l’Histoire des Soêi, rédigées sous leur forme actuelle dès le 7e siècle, en sont le résumé. C’est P’êi-kiu qui décrivit les trois itinéraires, que nous avons indiqués page 1259. Il poussait l’empereur à entreprendre des expéditions commerciales et militaires lointaines. Il faisait de la propagande parmi les hordes, cherchant à les gagner à l’empire. Sous son impulsion, le commerce de Tchāng-ie devint extrêmement actif. Il envoya beaucoup de roitelets barbares faire leur cour à Láo-yang, où on leur faisait des séances d’épate, pour frapper leur imagination. Chose curieuse, les rédacteurs de l’histoire 211 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. officielle, qui en veulent à l’empereur Yâng, en veulent aussi à P’êi-kiu de ce zèle. Ils l’accusent d’avoir appauvri la Chine, par les frais de voyage et de séjour de ces princes barbares ; etc. Xénophobie. En 608, le khan turc Tch’óu-louo (p. 1279) n’étant pas chaud pour les Chinois, P’êi-kiu conseilla à l’empereur de lui faire donner des nouvelles de sa maman, la dame Hiáng, retirée à Láo-yang, comme nous avons dit. Simple manœuvre diplomatique, pour entrer en matière. L’empereur chargea de cette commission un certain Ts’oēi kiunn-sou, Tch’óu-louo le reçut mal, et ne se leva même pas pour saluer la missive impériale. L’ambassadeur lui fit alors le discours suivant : — Les Turcs, qui jadis ne formaient qu’un royaume, s’étant divisés en deux, se battent entre eux depuis bien des années. Maintenant le khan T’óu-li s’étant soumis à l’empereur, le pousse à vous faire la guerre. L’empereur y est assez disposé. Seule votre mère, la dame Hiáng, vous est affectionnée à la capitale. Craignant votre p.1283 perte, chaque jour, prosternée en larmes à la porte du palais, elle intercède pour vous. Touché par ses prières, l’empereur m’a envoyé ici, pour vous offrir de vous soumettre vous aussi. Or vous m’avez reçu avec une grande impolitesse. Quand on le saura à Láo-yang, l’empereur vengera son injure sur votre mère. On la lapidera sur le marché public, puis on vous enverra sa tête. Une armée suivra. Vos jours sont comptés ! Est-ce habile, à vous, de perdre ainsi vos États, plutôt que de vous prosterner en vous appelant Serviteur ?.. Cette rhétorique substantielle fut comprise de Tch’óu-louo. Il se prosterna, s’appela Serviteur, pleurnicha pieusement, reçut à genoux la missive impériale, et renvoya Ts’oēi-kiunn-sou avec un lot de chevaux sogdiens, qu’il plaît aux historiens d’appeler son tribut. Encore en 608, P’êi-kiu arriva à confédérer les Tölös (Ouïgours) avec les Chinois, contre les Tongouses T’ou-kou-hounn, assis depuis 3 siècles autour du lac Koukou-nor (p. 1070). Ces derniers furent battus. Leur khan Fôu-yunn s’enfuit vers l’Ouest (Tangout). Le général chinois Ù-wenn chou le poursuivit, 212 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. prit les deux douars du khan, et plus de 200 princes et nobles. Fôu-yunn dut se réfugier dans les inaccessibles montagnes du Tibet. Son territoire, qui mesurait quatre mille lì de l’Est à l’Ouest, et deux mille lì du Sud au Nord, fut divisé en préfectures et en districts, à la mode chinoise. L’empereur envoya dans ces pays, pour les coloniser, toute la racaille de l’empire. La même année, le général Sūe cheu-hioung soumit Khami (j) à l’extrémité de l’Altaï. En 609, l’empereur fit en personne une tournée dans ces nouvelles acquisitions du Nord-Ouest. Entiché de faste et de pose, il fit savoir, par P’êikiu, aux roitelets K’iū-pai-ya de Tourfan et T’òu-t’ounn-chee de Khami, qu’ils eussent à venir le saluer. Ils le firent, accompagnés des délégués de vingtsept petites p.1284 principautés ou hordes du Tarim. L’empereur fut très content. Il divisa en préfectures le Tsaidam et le Tangout, et y envoya une nouvelle fournée de racaille, pour coloniser ces pays, les défendre contre les incursions des Tibétains, et tenir ouvertes les routes du Tarim... Cette annéelà, l’empire chinois se trouva compter 190 préfectures, et 1255 districts. Il s’étendit, de l’Est à l’Ouest, sur 9300 lì ; du Sud au Nord, sur 14815 li. La population se montait à 8.900.000 feux, c’est-à-dire à 50 ou 55 millions d’âmes. Ce fut l’apogée du pouvoir des Soêi. L’empereur s’étant attardé, ne revint de cette excursion qu’au onzième mois, en plein hiver. Mal lui en prit. Une tempête de neige surprit son cortège dans une vallée. La moitié de l’escorte périt de froid et de faim. Le désarroi fut tel, que les femmes de l’empereur durent bivouaquer avec les soldats, ce que l’Histoire relève, comme un comble. A la fin de cette année, le khan T’óu-li des Turcs amis étant mort, son fils le khan Chèu-pi lui succéda. En 610, des députés de tous ses nouveaux amis du Nord-Ouest étant venus à Láo-yang pour lui faire leur cour, l’empereur les fit régaler et divertir avec magnificence. Comédies et jongleries, toutes les nuits, durant un mois entier. On fit tout ce qu’on put, pour jeter de la poudre aux yeux de ces bons nomades. Ils y furent pris, plus ou moins. Un jour on les conduisit au marché de la capitale, entouré de magasins, de restaurants et de buvettes. Tout était décoré. Les marchandises les plus rares étaient étalées bien en évidence. On 213 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. promena les fils du steppe, parmi toutes ces belles choses. On les fit entrer dans les restaurants, où ils burent et mangèrent à gogo. Quand ils voulurent payer, on leur dit que la Chine était si riche, que quiconque venait au marché, mangeait et buvait ainsi gratis. D’aucuns gobèrent cette blague ; d’autres non. Un malin, montrant les étoffes qui pendaient aux p.1285 arbres, dit : — J’ai vu en Chine des pauvres qui n’avaient pas de quoi se couvrir. Pourquoi habillez-vous les arbres, et laissez-vous les hommes nus ?.. Ceux qui entendirent cette observation, furent honteux et ne surent trop que dire. Ici commencent les expéditions de Yâng-ti contre la Corée, lesquelles perdirent sa dynastie... En 607, quand l’empereur avait visité le khan T’óu-li (p. 1280), tout juste des ambassadeurs du roi de Corée se trouvaient à la cour du khan. P’êi-kiu les présenta à l’empereur et dit : — La Corée a fait partie de l’empire chinois, sous les Hán et sous les Tsínn. Depuis lors, elle s’est détachée de nous. Vos prédécesseurs ont souvent pensé à la faire rentrer dans le devoir... L’empereur enjoignit donc aux ambassadeurs, d’ordonner de sa part à leur maître le roi de Corée, de venir au plus tôt faire sa cour. En 610, celui-ci n’ayant pas encore donné signe de vie, l’empereur résolut de reconquérir la Corée, et commença ses préparatifs. En 611, ordre de mobilisation générale. Construction de 200 jonques de haut bord, et de 50 mille chars de guerre. Transport du grain des magasins impériaux (p. 1278), à l’embouchure du Fleuve Jaune, où il devait être embarqué. En 612, les milices de l’empire étant réunies dans les plaines du Pêi-ho, on s’apprêta à marcher. Il y avait un million cent trente mille soldats, et au moins autant de coolies. L’empereur commandait en chef. Chacune des 24 divisions, avait un général en chef, et un général en second. L’armée mit 24 jours à s’ébranler, une division par jour, marchant à 40 lì d’intervalle, pour 214 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. éviter toute confusion. La colonne entière couvrait mille li. Jamais, ni avant, ni après, on ne vit une armée aussi considérable. Quand elle fut arrivée au fleuve Leâo, les Coréens retranchés derrière ce fleuve, l’arrêtèrent. Le général Mái t’ie-tchang se dévoua. — Un p.1286 brave ne doit pas mourir dans un lit, entouré de ses femmes et de ses enfants, dit-il (cf. p. 662) ; et il demanda la permission de tenter le passage. L’empereur lui fit construire, le long de la rive gauche, un pont de bateaux. Chargé d’une colonne de cuirassiers, le pont fut lancé d’un coup en travers du fleuve. Mais comme il se trouva trop court d’une toise, la colonne ne put pas s’élancer à l’assaut de la berge. Mái t’ie-tchang et quelques braves qui s’étaient jetés à l’eau, furent tués par les Coréens. On rallongea le pont, et la même manœuvre fut répétée deux jours plus tard, cette fois avec succès. Battue, l’armée coréenne se retira ; mais toutes les places fortes fermèrent leurs portes et résistèrent. L’armée impériale investit la ville de Leâo-tong-tch’eng (Leâo-yang actuel, au nord de 3). Cependant la flotte impériale, partie du Chān-tong sous les ordres de l’amiral Lâi hou-eull, avait traversé le golfe et était entrée dans le fleuve qui arrose Hpyeng-yang (cf. p. 425). Dans une bataille livrée à 60 lì de cette ville, les Coréens furent défaits. Lâi hou-eull poussa sa victoire. Il arriva devant Hpyeng-yang (y), et enleva les faubourgs. Aussitôt, cédant à leur penchant traditionnel et irrésistible pour le pillage, les Braves chinois se débandèrent. Les Coréens leur tombèrent dessus, en tuèrent un grand nombre, et reconduisirent les autres, l’épée dans les reins, jusqu’à leurs vaisseaux, lesquels auraient été enlevés sans la brave résistance de Tcheōu fa-chang, qui était resté pour les garder. Revenons à l’armée de terre. Pendant que le gros assiégeait Leâo-tongtch’eng (x), neuf généraux, avec leurs divisions, s’étant concentrés sur la rive gauche, du fleuve Yā-lou, effectuèrent leur passage, et marchèrent sur Hpyeng-yang par le nord. Ù-wenn chou commandait en chef. A mi-chemin, ils furent à court de vivres. p.1287 Le général coréen I-tcheu-wenn-tei qui s’en aperçut, ne leur livra pas bataille, mais se contenta de les harceler, se laissant vaincre exprès, pour les attirer de plus en plus vers le sud. Arrivé en 215 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. vue de Hpyeng-yang, Ù-wenn chou constata que la place était forte, et que ses hommes n’en pouvaient plus. Il revint sur ses pas. Les Coréens l’assaillirent, au moment où il passait une rivière. Son armée disparut. Il arriva au Yā-lou, avec une poignée de fuyards, après avoir couru d’une traite l’espace de 450 lì. Trois cent cinquante mille Chinois avaient passé le fleuve, à l’aller. Deux mille sept cents le passèrent, au retour. Furieux de cette déconfiture, l’empereur fit enchaîner Ù-wenn chou, leva le siège de Leâotong-tch’eng, et s’en revint en Chine. Tout le résultat de cette colossale expédition, fut que les Coréens évacuèrent la rive gauche du Leâo. Maigre ! Quand l’empereur fut revenu à Láo-yang, la femme de Tchāng-heng, l’assassin de Yâng-kien (p. 1273), accusa son mari de mal parler de l’empereur. Par pudeur, l’Histoire parle laconiquement, confusément, de tout ce qui se rapporte au parricide impérial. Il est probable que Tchāng-heng avait jasé, et que sa femme, craignant de périr avec lui, chercha à se sauver en le dénonçant. L’empereur fit intimer à Tchāng-heng l’ordre de se suicider. Celui-ci n’obtempéra pas, et force fut de l’exécuter. Avant de mourir, il cria : — Quoique je l’aie fait pour un autre (pour Yâng-koang), ce que j’ai fait (le meurtre de Yâng-kien) mérite la mort !.. Les assistants se bouchèrent les oreilles, pour n’être pas accusés un jour d’en savoir trop long ; et le bourreau coupa le cou à Tchāng-heng au plus vite. L’empire était épuisé par la lamentable expédition de Corée. Comme toujours, en pareil cas, des rebelles se levèrent ; p.1288 et, comme toujours aussi, ces rébellions commencèrent sous couleur de superstition... En 610, une bande de brigands vêtus simplement, portant de l’encens et des fleurs, et se donnant pour les disciples d’un Buddha quelconque, pénétrèrent dans le palais, s’emparèrent des armes des gardes, et allaient peut-être assassiner l’empereur, quand Yâng-kien étant survenu avec des troupes, les arrêta et leur fit couper la tête. L’enquête qui suivit cette aventure, compromit plus de mille familles. 216 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 612, un táo-cheu nommé P’ān-tan, qui se donnait pour trois fois centenaire, se mit à rechercher, pour l’empereur, la drogue d’immortalité. Yâng-ti lui fit bâtir un laboratoire. Le táo-cheu déclara qu’il fallait, pour la préparation de la drogue, du fiel et de la moelle de rocher. L’empereur fit attaquer une montagne. On fora, jusqu’à cent pieds de profondeur, dans la roche vive, en dix endroits différents, sans trouver ni fiel ni moelle. Alors le táo-cheu déclara que le fiel et la moelle de petits enfants, pourraient remplacer à la rigueur le fiel et la moelle de roche, mais qu’il en faudrait 31 boisseaux de chaque. L’empereur fit couper le cou à ce chimiste. En 613, nouvelles émeutes, toujours provoquées par des magiciens. Cependant l’empereur n’avait pas renoncé à ses projets sur la Corée. En 613, il donna l’ordre de mobiliser une seconde fois, réunit encore ses troupes dans la plaine du Pèi-ho, et les conduisit en personne contre la Corée. Au quatrième mois, il passa le Leâo, et investit Leâo-tong-tch’eng. Machines et mines, tout fut mis en œuvre, et les remparts furent battus jour et nuit. Mais les Coréens se défendirent vaillamment. Après 22 jours de siège, les Chinois n’étaient pas plus avancés que le premier jour, et avaient fait des pertes d’hommes considérables. — Cependant, dans le dos de l’empereur, une p.1289 révolte importante avait éclaté en Chine. Cette fois il ne s’agissait pas d’un brigand vulgaire. Un prince du sang, Yâng huan-kan, la dirigeait. Il assiégea la capitale Láo-yang. L’empereur leva donc, pour la seconde fois, le siège de Leâo-tong-tch’eng, et revint en toute hâte avec son armée. Il envoya devant lui les généraux Ùwenn chou et Lâi hou-eull. Yâng huan-kan leva le siège de Láo-yang, et se retira dans la vallée de la Wéi. Les impériaux l’y joignirent, et le battirent trois fois, en un même jour. Yâng huan-kan s’enfuit avec une poignée de fidèles. Poursuivi, et voyant qu’il allait être pris, il dit à son ami Tsī-chan : — Je ne suis pas homme à mourir de la main du bourreau ; rendsmoi le service de me tuer !.. Tsī-chan lui coupa la tête. On mit à mort, à cause de cette révolte, plus de trente mille personnes, dont plus de la moitié injustement, dit l’Histoire. 217 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 613, Lì-yuan, duc de T’âng, fut fait préfet de Hoûng-hoa. C’est l’entrée en scène du tombeur de la dynastie Soêi. En 616, il devint préfet de la vallée de la Fênn. C’est là que nous le retrouverons bientôt. En 614, troisième mobilisation et expédition contre la Corée. L’empereur la commanda en personne, comme les précédentes. Vu les troubles dans plusieurs provinces, bien des troupes manquèrent à l’appel. Ensuite, dès les premiers jours de marche, désertions en masse. Pour les arrêter, dans le grand sacrifice militaire offert pour le succès de la campagne, l’empereur fit immoler une bande de déserteurs, et fit frotter, avec leur sang, les tambours et les étendards. Les désertions continuèrent. Heureusement, pour les Chinois, que les Coréens eux aussi étaient épuisés par leurs efforts précédents. Lâi hou-eull les battit, et investit Hpyeng-yang. Le roi Yuân fit faire des propositions de paix, par un p.1290 certain Hôu seu-tcheng. Content d’avoir enfin la face, l’empereur rappela Lâi hou-eull, rentra en Chine, présenta Hôu seu-tcheng aux Tablettes des Ancêtres (triomphe facile), puis fit citer le roi Yuân, pour rendre hommage... Pas si bête ! On ne le vit jamais... Furieux d’avoir été joué, l’empereur fit cuire Hôu seu-tcheng, et le servit à ses officiers. Pour lui complaire, quelques-uns, dit l’Histoire, en mangèrent tout leur soûl. Elle ne dit pas si l’on en servit aux Ancêtres. En 614, l’empereur sacrifia au Ciel. Il se dispensa des purifications et abstinences rituelles préalables, et fit les cérémonies expéditivement et sans respect. Aussi le Ciel manifesta-t-il son mécontentement, par un violent ouragan. De plus, comme l’empereur revenait au palais, les chevaux de son char s’emballèrent. Mauvais présages ! L’empereur Yâng était lettré. Dans sa jeunesse, il s’était fait composer, par ses maîtres, une sorte d’anthologie littéraire, qui finit par compter dixsept mille chapitres, sur les sujets les plus divers, morale, guerre, agriculture, géographie, médecine, divination, buddhisme, taoïsme, botanique, jeux, 218 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. chiens, faucons, et le reste. En 615, il fit collationner et fondre ensemble les bibliothèques de Tch’âng-nan et de Láo-yang, ce qui produisit une collection de trente-sept mille chapitres. En 615, exemple instructif de ce que peuvent l’intrigue et la superstition, quand elles font cause commune. Jadis l’empereur avait rêvé qu’une grande inondation (hoûng) submergeait sa capitale. En 615, un devin lui annonça que, la dynastie suivante devant s’appeler Lì, s’il voulait perpétuer la sienne, il lui fallait exterminer tous les Lì de l’empire... Or Lì-minn, le cousin d’un certain p.1291 Lì-hounn, s’appelait Hoûng de son petit nom. Li et Hoûng réunis ! Pas de doute ! C’était lui, l’homme fatidique. Ù-wenn chou qui avait de vieux comptes à régler avec Lì-hounn, ne laissa pas perdre une si belle occasion de se venger. Il poussa la femme de Lì-minn à accuser son mari de projets subversifs. Il n’en fallut pas davantage. Toute la famille Lì, composée de trente-deux personnes, fut exécutée. La femme fut empoisonnée, pour l’empêcher de se rétracter plus tard. En 615, deux paons échappés du parc impérial, passèrent en volant audessus du palais. Kāo tei-jou, officier des gardes, et ses hommes, annoncèrent aussitôt qu’ils avaient vu le phénix (heureux présage). On les crut sur parole. Les ministres félicitèrent l’empereur, qui décora Kāo tei-jou. Fort de ce signe, l’empereur fit, en 615, une nouvelle tournée dans le Nord. Il la fit dans des circonstances malheureuses. Elle faillit lui coûter cher... Après la mort de T’óu-li, sous le gouvernement de son fils Chèu-pi (p. 1284), les Turcs amis, établis dans l’anse du Fleuve (14), s’étaient multipliés et avaient prospéré, au point d’inquiéter P’êi-kiu, l’agent impérial pour les affaires barbares. Il avait proposé à l’empereur de les partager sous deux khans, Chèu-pi et son frère Tch’éu-ki. Toujours la politique chinoise, diviser et brouiller. L’affaire n’aboutit pas, parce que Tch’éu-ki refusa. Chèu-pi devint très froid, à l’égard des Chinois... Imputant ce refroidissement au ministre 219 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Chèu-chou hou-si, P’êi-kiu fit venir celui-ci, sous prétexte d’affaires, et l’assassina, puis écrivit au khan : « Votre ministre Chèu-chou hou-si étant venu m’offrir de me servir contre vous, j’en ai fait bonne justice... Chèu-pi ne fut pas la dupe de cette chinoiserie. Il rompit avec l’empire, qui se retrouva avoir des ennemis à ses portes. — C’est p.1292 dans ces conjonctures, que l’empereur Yâng s’aventura dans le Nord. Chèu-pi conçut le projet de l’enlever. Heureusement pour l’empereur, que la douairière chinoise, veuve de T’óu-li, le fit avertir secrètement. Le cortège impérial, qui se trouvait alors dans le pays de Yén-menn (au nord de 17), se réfugia en toute hâte dans cette ville, tandis que le prince Yâng-kien s’enfermait dans la petite forteresse Koúo, avec les équipages. Arrivés comme une avalanche, les Turcs investirent Yén-menn, et y bloquèrent 150 mille personnes. Tout compte fait, il se trouva dans la ville des vivres pour vingt jours. Toutes les places fortes du pays, 41 en tout, furent enlevées par les Turcs. Yén-menn et Koúo seules résistèrent. Les Turcs serrèrent Yén-menn de si près, que leurs flèches tombaient jusque dans le quartier habité par l’empereur. Celui-ci embrassant son plus jeune fils, pleura jusqu’à en avoir les yeux tout gonflés, dit l’Histoire. Ù-wenn cheu proposa à l’empereur d’abandonner son armée, et de s’enfuir à cheval, à travers les ligues des Turcs... — Gardez-vous-en bien ! dit Sōu-tch’eng. Derrière des remparts, nous sommes supérieurs aux Turcs. En rase campagne, nous leur sommes inférieurs. Ne risquez pas pareille aventure !. L’empereur fit donc le tour de la ville, flattant lui-même les soldats. — Sauvez-moi, leur disait-il, et je me charge personnellement de votre fortune ! Je ne permettrai pas que les officiers vous frustrent du fruit de votre dévouement !.. Ainsi encouragés, les soldats firent bonne garde jour et nuit. Cependant l’empereur avait envoyé un émissaire à la douairière chinoise, la priant de le tirer de ce mauvais pas. Celle-ci fit donner à Chèu-pi la fausse nouvelle d’une grande incursion des Ouïgours sur sa frontière septentrionale. Le khan leva le siège. L’empereur revint à Láo-yang. Glorieux ! (cf. p. 289). 220 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1293 Cette aventure ayant refroidi le goût de l’empereur pour les chevauchées, son goût pour la batellerie se réveilla. Toute sa flotte de bateaux-dragons (p. 1276) ayant été brûlée par le rebelle Yâng huan-kan (p. 1289), il en fit construire une nouvelle. En 616, régates, et reproduction de batailles navales historiques, sur le lac du parc impérial. Il y avait aussi des bateaux de femmes, des cantines flottantes, etc... Ces fêtes se terminèrent par un grand incendie. Craignant qu’il n’eût été allumé par des anarchistes, dans l’intention d’attenter à sa vie durant le tumulte, l’empereur se cacha dans les halliers de son parc. A partir de ce jour, toutes les nuits il rêva de cet incendie, et fut hanté de cauchemars si terrifiants, qu’il ne put plus dormir qu’entouré de plusieurs femmes. Au septième mois, les nouveaux bateaux-dragons étant arrivés à Láoyang, l’empereur résolut de partir aussitôt pour Kiāng-tou (Yâng-tcheou, n). Le général Tcháo-ts’ai lui ayant représenté la misère du peuple, l’épuisement du trésor, les soulèvements qui se produisaient partout, l’empereur se fâcha et le dégrada. Jénn-tsoung qui le blâma ensuite, fut fustigé et décapité. Ts’oēi minn-siang, auteur d’un placard, eut la langue puis la tête coupées. Durant le voyage, Wâng nai-jenn et autres, qui lui déclarèrent que ce voyage lui coûterait l’empire, eurent le même sort. De fait, ces censeurs avaient raison. Dès que l’empereur fut parti pour le midi, Lì-mi se souleva, dans la vallée même de la Láo (j), aux portes de la capitale. Liôu ou-tcheou et Leâng cheu-tou en firent autant au nord, dans les provinces limitrophes des Turcs (11, 12, 13), avec lesquels ils s’allièrent. Les petites révoltes locales ne se comptaient plus. Tout l’empire, dit l’Histoire, entra dans une effervescence semblable à celle d’une ruche d’abeilles qui essaime. p.1294 Ici, commencement de la fin des Soêi. Lì-yuan, duc de T’âng, gouverneur de la vallée de la Fênn, avait quatre fils, Lì kien-tch’eng Lì cheuminn Lì huan-pa Lì-yuan-ki, plus une fille. Le second fils, Lì cheu-minn, était la forte tête de la famille. Brave et sage, Il songeait à faire ses affaires, dans la déconfiture des Soêi, et se créait, dans ce but, des amis et des affidés. En 617, Lìôu wenn-tsing, le commandant de Tsínn-yang (17), ayant été inculpé 221 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. d’intelligences avec le rebelle Lì-mi (ci-dessus), Lì cheu-minn alla lui faire visite... — L’empire s’effondre, dit Lìôu wenn-tsing ; pour le relever, il faudrait un homme de génie !.. — Je pense comme vous, dit Lì cheu-minn... — L’empereur est parti pour le midi, reprit le commandant ; Lì-mi est aux portes de la capitale ; toutes les provinces sont soulevées ; l’empire est à la disposition de celui qui le prendra. Tsínn-yang est plein de réfugiés. Je connais tout ce monde. En un jour, je puis vous trouver, parmi eux, cent mille soldats. De la vallée de la Fênn, envahissez celle de la Wéi, et appelez l’empire à vous. Avant six mois, vous serez empereur... — Nous sommes faits pour nous entendre, dit Lì cheu-minn en riant ; et il convoqua ses amis et affidés. Or son père Lì-yang ignorait toutes ces manœuvres. Craignant son caractère irrésolu, Lì cheu-minn attendait, pour l’avertir, que la situation fût nette et le fait accompli. L’occasion de parler se présenta bientôt. Les Turcs ayant fait une course dans le pays de Mà-i (11), l’officier envoyé contre eux par Lì-yuan, se laissa battre. Du coup, more sinico, Lì-yuan était passible de mort. Son fils lui dit : — L’empereur est une ganache, la patience du peuple est à bout, on se soulève partout. Dans un temps pareil, il ne fait pas bon rester honnête homme. Mieux vaut suivre le mouvement, se lever pour la justice, faire ses affaires, et prendre ce que le Ciel donnera... Tout effaré, Lì-yuan p.1295 dit : — Qu’est-ce que tu dis là ? Je vais te livrer au juge !.. — Ne prenez pas la mouche, dit Lì cheu-minn placidement. J’ai considéré à fond les signes célestes et terrestres. Je suis sûr de ce que je dis. D’ailleurs, si vous voulez me livrer, faites !.. 222 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Allons donc ! dit Lì-yuan ; mais ne parle pas ! Le lendemain Lì cheu-minn dit à son père : — Tous les devins annoncent que des Lì vont régner. L’empereur vient encore de faire mettre à mort Lì kinn-ts’ai avec toute sa famille (cf p. 1291), uniquement parce qu’il s’appelait Lì. Comme nous sommes coupables du même crime, pourquoi ne nous en arriverait-il pas autant ? En tout cas, du moment que vous vous appelez Lì, vous n’avez pas d’avancement à attendre, et vous avez bien des malheurs à craindre. Faites ce que je vous ai dit hier, et vous serez sauf. Ne balancez pas !.. — J’y ai pensé toute la nuit, dit Lì-yuan. Tu as raison. Si notre famille périt dans cette entreprise, que son sang soit sur toi. Si elle prospère, à toi le mérite et la gloire ! Passant ensuite des paroles aux actes, Lì-yuan fit aussitôt rédiger par le commandant Liôu wenn-tsing, l’ordre de mobilisation de toutes les milices dépendantes de lui. On appela tous les hommes valides, à partir de vingt ans, sous prétexte d’une nouvelle expédition contre la Corée. Lì cheu-minn fut fait général en chef de ces troupes. En dix jours, il eut dix mille hommes sous ses ordres... Lì-yuan rappela aussi secrètement ses deux fils Lì kien-tch’eng et Lì yang-ki, qui étaient dans le Heûe-tong (19)... De plus, au sixième mois, Lìyuan s’aboucha avec les Turcs. Au huitième mois, la cavalerie turque arrivait à Tsínn-yang (17). Alors Lì-yuan envahit la vallée de la Wéi, tandis que Lìcheu-minn balayait l’entre-deux de la Muraille et de la rivière. Au dixième mois, Tch’âng-nan fut investi. Le prince Yâng-you gouvernait cette ville. Au onzième mois, Lì-yuan donna p.1296 l’assaut, après avoir défendu à ses soldats, sous les peines les plus grièves, de pénétrer dans le palais du prince, dont il voulait se servir pour couvrir ses actes futurs. La ville fut prise. Le prince fut abandonné de tout son monde. Fidèles aux instructions reçues, les soldats de Lì-yuan entourèrent son palais, mais n’y pénétrèrent pas. Lì-yuan lui-même fit le prince prisonnier, se logea dans son palais, donna à la ville un code provisoire en douze articles, et déclara abrogées les lois vexatoires des Soêi. 223 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Le mandarin de son district natal, ayant détruit le temple et violé les tombes des Ancêtres de Lì-yuan, à cause de sa révolte, celui-ci fit mettre à mort, pour ce fait, une dizaine de personnes. Il allait faire exécuter l’officier Lì-tsing, son ennemi de longue date, quand celui-ci lui dit : — Ne compromettez pas votre cause publique, par des vengeances privées !.. Lì-yuan le lâcha. Lì-tsing lui rendit désormais les plus grands services. Après avoir bien considéré. la situation, pour se concilier les esprits, pour se bien donner l’air d’un réformateur et non d’un ambitieux, Lì-yuan déclara l’empereur Yâng déchu du trône, proclama empereur régnant son prisonnier Yâng-you, et se donna les titres de Roi de T’âng et de Chancelier de l’empire. Maître des passes (56), il fit aussitôt envahir les pays occidentaux Pā et Chòu (50, 51), qui se soumirent à lui presque sans résistance. Cependant l’empereur Yâng étant arrivé à Kiāng-tou (n), continua à se conduire comme par devant, se livrant sans frein et sans honte à l’ivrognerie et à la débauche. Les nouvelles du Nord, finirent tout de même par l’inquiéter. Il chercha à lire l’avenir dans les astres, qui ne lui dirent rien de bon. Un jour, s’étant regardé dans un miroir : — Quelle belle tête, dit-il ; quel beau cou ! Qui le coupera ?!.. Sentant qu’il lui serait impossible de récupérer p.1297 le Nord, il voulut conserver du moins les provinces au Sud-Est du Fleuve Bleu, et ordonna de lui préparer un palais à Tān-yang (n, rive gauche). Or la détresse était alors grande autour de lui, tellement que son entourage immédiat manquait d’aliments. Ses officiers, presque tous originaires de la vallée de la Wéi, avaient le mal du pays. Ù-wenn tcheu-ki dit à Sēu-ma tei-k’an : — A voir la tournure que prennent les choses, le Ciel a rejeté les Soêi. Tout le monde se soulève contre eux. C’est le moment de faire nos affaires... 224 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ils en parlèrent au frère de Tcheu-ki, Ù-wenn hoa-ki. Celui-ci fut d’abord très saisi, sua à grosses gouttes, puis se fit à l’idée, et se laissa nommer général en chef. Ces officiers en embauchèrent d’autres. Bientôt toute la suite de l’empereur fut pour eux. Durant la nuit suivante, les conjurés réunirent leurs hommes, à la lueur des torches. L’empereur ayant vu ces feux et entendu les cris de ralliement, demanda ce que c’était. — Le feu a pris dans les herbes, lui dit P’êi k’ien-t’oung ; on travaille à l’éteindre. Le lendemain, à l’aube, Sēu-ma tei-k’an força l’entrée du palais, avec un corps de cavaliers. L’officier de garde, Tôu-kou cheng, se fit tuer à son poste. Quand il fut mort, ses hommes se dispersèrent. Alors les soldats de Sēu-ma tei-k’an se jetèrent dans le palais. L’empereur ayant entendu le bruit de la lutte, se déguisa et se cacha dans le pavillon de l’Ouest. Une femme du harem le trahit. Hôu hing-ta, le sabre à la main, le tira de sa cachette, et le confia à la garde d’un peloton de soldats. Quand le jour fut venu, Ù-wenn hoa-ki arriva. Sēu-ma tei-k’an et les autres, lui présentèrent l’empereur... — Était-ce la peine de garder cet animal ? demanda-t-il... — Quel crime ai-je commis ? demanda l’empereur... — Tu as ruiné l’empire, flâné, nocé, mal gouverné, fait tuer tes sujets, donné ta confiance à des canailles, cria l’ex-chef de brigands p.1298 Mà wenn-kiu, et tu demandes quel crime tu as commis... — J’ai maltraité le peuple, c’est vrai, dit l’empereur ; mais vous autres, je vous ai toujours très bien traités. Qui est votre chef ?.. — Nous sommes l’empire, dit Sēu-ma tei-k’an; il n’a pas de chef. Durant toute cette scène, Yâng-kao, l’enfant chéri de l’empereur, se tenait cramponné à son père et sanglotait. P’êi k’ien-t’oung lui coupa la tête. Le sang de l’enfant jaillit sur la robe du père. P’êi k’ien-t’oung allait frapper Yâng-ti, quand celui-ci dit : 225 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Donnez-moi le temps de mourir en empereur, par le poison, non par le sabre... — Baste ! dirent les conjurés ; et ils le firent étrangler par Hôu hing-ta. Ils massacrèrent ensuite tous ses parents. Seul Yâng-hao fut épargné, parce qu’il était bien avec Ù-wenn tcheu ki, et parce que les conjurés comptaient tirer parti de lui, provisoirement. Ù-wenn hoa-ki le nomma Empereur, et se fit Chancelier, le tout par décret d’une douairière quelconque ; nous connaissons ce truc politique, stéréotypé comme tous les trucs chinois. Le Chancelier fit garder son Empereur par un piquet de soldats, et ne lui conféra, en fait de souveraineté, que le droit, ou plutôt le devoir, de signer, sans phrases, les papiers qu’on lui présentait. Dans cette catastrophe, P’êi-kiu, que nous connaissons (p. 1281), trahit indignement son impérial patron, l’auteur de sa fortune. Nul ne fut plus plat devant les révoltés. Aussi fut-il bientôt en haute faveur parmi eux... Hù chansinn, au contraire, refusa de les servir. Il fut mis à mort. Sa mère âgée de 92 ans, ne le pleura pas. Embrassant son cercueil, elle dit : — J’ai eu un fils digne de moi ! puis elle se laissa mourir de faim. Quand Lì-yuan apprit la mort de l’empereur Yâng (qu’il avait déposé, et auquel il avait donné un successeur de sa façon, p. 1296), il joua la comédie du sujet fidèle, avec une perfection p.1299 toute sinique. Pleurant et se lamentant, il dit : — Puisque je n’ai pas pu sauver mon prince, je le pleurerai du moins comme il faut !.. Édifiant ! Le dernier acte de la comédie, fut que Yâng-you, l’empereur fait par Lì-yuan, abdiqua (fut abdiqué) en sa faveur, et que Lì-yuan se proclama empereur, 12 juin 618. L’Histoire compte son règne, et l’avènement de la dynastie T’âng, rétrospectivement, à dater de cette année, quoique Lì-yuan n’ait régné effectivement sur tout l’empire, que six ans plus tard, en 624 ; six années de guerre civile. Il résida à Tch’âng-nan. 226 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. A Láo-yang, les officiers Soêi mirent sur le trône le prince Yâng-t’oung... Ce qui fait trois empereurs ; Yâng-hao à Kiāng-tou (n), Yâng-t’oung à Láoyang (L), et Lì-yuan à Tch’âng-nan (T) ; plus une foule de gouverneurs révoltés, qui s’appelaient rois de Ts’înn, Wéi, Leâng, Tch’òu, Tchéng, Oû, Yén, Hán, Sóng, etc... Anarchie en tout comparable à celle dont sortit la dynastie Heóu-Hán. Autant de rois que de provinces. Tous ces rois avaient d’ailleurs même origine et mêmes droits que Lì-yuan, lequel n’était comme eux qu’un gouverneur révolté. Seulement, comme il réussit, et que les autres échouèrent, Lì-yuan eut raison, et les autres eurent tort. Ce furent les Turcs, qui firent le succès de Lì-yuan. A cette époque, les Turcs Septentrionaux étaient redevenus très puissants. Maîtres du steppe, depuis le pays des K’ í-tan (Soungari) jusqu’à Tourfan et jusqu’au Tangout à l’ouest (5, 6, 70, 69, t, 63), ils pouvaient mettre en campagne un million d’archers. S’ils rendirent à Lì-yuan de grands services, ils les lui firent payer cher, naturellement. Sous forme de présents, il leur servit un onéreux tribut. Quand les Turcs venaient le visiter à Tch’âng-nan, ils se conduisaient avec la dernière insolence. Lì-yuan baissait la tête. En 618, à Kiāng-tou, Ù-wenn hoa-ki assassine son empereur Yâng-hao, ce qui fait un de moins. Lì-yuan bat et tue Ù-wenn hao-ki. — A Láo-yang, en 619, Wâng cheu-tch’oung assassine son empereur Yâng-t’oung, ce qui fait deux de moins... Quand on signifia à Yâng-t’oung qu’il lui fallait mourir, il étendit une natte à terre, invoqua le Buddha, et le pria en ces termes : — Oh ! de grâce, ne me faites jamais renaître dans une famille impériale !.. Cela dit, il avala le poison. Comme il n’en finissait pas de mourir, on l’étrangla. Ce pauvre diable, reconnu par l’histoire officielle, porte le nom de Koūng-ti. Yâng-you, qui avait abdiqué en faveur de Lì-yuan, p.1300 ayant eu la complaisance de mourir aussi, plus ou moins naturellement, en cette année 619, les Yâng de Soêi se trouvèrent éteints. @ 227 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. DYNASTIE T’ANG. Famille Lì, 620 (618)-907. L’empereur Kāo-tsou, 620 (618) à 626. Carte XIV — @ p.1301 La conquête des petits royaumes n’avançant que lentement, il fallait au plus vite accréditer la nouvelle dynastie, et lui donner du prestige, par quelque fable superstitieuse. C’est au taoïsme, persécuté dans les derniers temps, et par suite très disposé au dévouement, que Lì-yuan eut recours. Un certain Kî chan-king rencontra sur le mont Yâng-kiao-chan (p) un vieillard vêtu de blanc, qui lui dit : — Va dire de ma part au Fils du Ciel de la dynastie T’âng, que moi Lào-tzeu (Lì lao-kiunn) je suis son ancêtre... Fier de cette filiation ignorée jusque-là, Lì-yuan fit bâtir à Lào-tzeu un temple sur le lieu de l’apparition... — Hélas, gémit maître Fân, n’est-ce pas une honte à Kāo-tsou et à Kāo-tsoung, d’avoir, sur la foi d’un imposteur, cru qu’ils descendaient de Lào-tzeu ? Ils outragèrent le Souverain d’en haut, en subordonnant son culte à celui de cet homme. Ils avilirent leurs Ancêtres, en les faisant descendre de cet homme. Reprenons les affaires des Turcs, d’un peu plus haut. Nous avons dit comme, en 608, le khan Tch’óu-louo des Turcs Occidentaux, fut amadoué par Ts’oēi kiunn-sou (p. 1282). Ses bonnes dispositions ne durèrent pas longtemps. Quand, en 609, l’empereur Yâng-ti fit sa tournée dans le NordOuest (p. 1283), Tch’óu-louo convoqué pour rendre hommage, ne parut pas. L’empereur s’irrita fort de cette inconvenance. Chée-koei, un petit-fils de Tardou, khan subalterne des Turcs Occidentaux, exploita cette irritation. Il s’aboucha avec P’êi-kiu, lequel proposa à l’empereur de jouer à Tch’óu-louo le mauvais tour de patronner Chée-koei. Toujours la politique chinoise, deux p.1302 pistons conjugués, à compensation réciproque. Averti qu’il pouvait compter sur la Chine, Chée-koei tomba à l’improviste sur Tch’óu-louo, dispersa ses hordes et enleva son douar. Tch’óu-louo se réfugia près de 228 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tourfan. L’empereur lui envoya sa mère, la Chinoise Hiáng-cheu, pour lui dire combien il serait choyé, s’il venait à la cour, se constituer pion volontaire sur l’échiquier impérial. Tch’óu-louo qui était à bout de ressources, dut en passer par là. Il se rendit à Láo-yang, visiblement à contre-cœur et faisant la moue. Il ne se rasséréna, qu’à la fin de l’année 611. Alors, à un banquet de la cour, Tch’óu-louo se prosterna et fit amende honorable. — Occupé à gouverner les peuplades de l’Ouest, dit-il, je n’ai pas pu arriver à temps pour vous présenter mes hommages. Je viens très en retard. Ma faute est grande. Veuillez me pardonner !.. — Jadis, répondit l’empereur Yâng, Chinois et Turcs étaient continuellement en guerre. Maintenant la paix est parfaite. Mon désir est que tout le monde puisse vivre et prospérer. Mais, pour me servir d’une comparaison, au ciel il n’y a qu’un soleil ; s’il y en avait deux ou trois, les dix mille êtres ne seraient pas en paix. De même il faut, pour la paix, qu’il n’y ait qu’un empereur, et que vous vous reconnaissiez vassal. Je sais d’ailleurs que, distrait par beaucoup d’affaires, vous n’avez pas pu venir plus tôt pour faire votre cour. Aujourd’hui je vous vois, je vous embrasse, je suis heureux et content. Soyez heureux et content, vous aussi !... Tch’óu-louo profita de ce speech. Peu de jour après, le premier de l’an 612, il salua l’empereur en ces termes : — Sous le ciel et sur la terre, dans toute l’étendue que le soleil et la lune éclairent, il n’y a que Vous de Sage ; puisse-t-il en être ainsi durant mille et dix mille ans !.. Fidèle à l’empereur, Tch’óu-louo l’accompagna désormais dans ses expéditions de Corée. L’empereur l’enrichit, et lui fit épouser une princesse. p.1303 Après la mort de l’empereur Yâng, Tch’óu-louo alla trouver Lì-yuan à Tch’âng-nan. Celui-ci se leva pour le recevoir, le fit asseoir à ses côtés, et l’appela Khan Retour à la Justice. Tch’óu-louo lui offrit une grosse perle. Lìyuan la refusa, et dit : — C’est là un beau joyau, mais je n’en ai que faire ; ce que je prise, moi, c’est la loyauté !.. 229 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Retenons cette belle phrase... Cependant Chèu-pi, le khan des Turcs Septentrionaux, ayant appris que son ennemi Tch’óu-louo était à la cour de son allié Lì-yuan, envoya demander à celui-ci de le mettre à mort. Lì-yuan refusa. Ses officiers le blâmèrent. — Si vous ne livrez pas cet homme, dirent-ils, vous perdrez peutêtre votre empire encore mal affermi... Lì cheu-minn dit : — Il est venu à nous en suppliant ! Le livrer serait une trahison !.. Les officiers prêchèrent Lì-yuan, tant et si bien qu’il finit par changer de sentiment. Un beau jour, il prisa autre chose que la loyauté. Il invita Tch’óulouo, but avec lui, le caressa, l’enivra, puis l’envoya cuver son vin dans un appartement, où les envoyés de Chèu-pi l’égorgèrent tout à leur aise (automne 619). Cette même année 619, Chèu-pi khan des Turcs Septentrionaux étant mort, eut pour successeur son frère, un autre Tch’óu-louo, lequel étant mort en 620, eut pour successeur son frère Kîe-li, lequel va nous occuper plus longuement. Dès 622, il eut l’indélicatesse d’envahir, avec 150 mille cavaliers, la vallée de la Fênn. Lì-yuan consulta ses officiers. — Faut-il combattre ? faut-il traiter ? leur demanda-t-il... Fōng tei-i dit : — Fiers de leur nombre et de leurs richesses, les Turcs nous méprisent. Si vous traitez d’emblée, vous les rendrez encore plus arrogants. Vous jugeant faible, ils reviendront dès l’an prochain. Infligez-leur d’abord au moins un échec, puis montrez-vous bon prince... Lì-yuan suivit ce conseil. Le gouverneur Siáo-k’ai battit les Turcs, et p.1304 leur coupa cinq mille têtes. Puis le légat Tchéng yuan-tao alla reprocher au khan sa traîtrise, et lui proposa un accommodement. — La terre et le peuple des T’âng, lui dit-il, ne sont pas comme les vôtres. Donc, si vous arriviez à conquérir des provinces, à faire des 230 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. prisonniers, à quoi cela vous servirait-il ? Rentrez chez vous ; et contentez-vous de nos présents (tribut). Ne rompez pas une amitié profitable. Ne créez pas des ennuis à vos descendants !.. Kîe-li goûta ce discours et se retira. En 623, nos vieilles connaissances les T’òu-kou-hounn ayant repris des forces, firent des incursions dans les vallées des Mînn-chan (57). Lì-yuan envoya Tch’âi-chao pour les déloger. Cet officier se laissa envelopper par les T’òu-kou-hounn, lesquels, tirant des hauteurs, décimèrent ses troupes. Tch’âi-chao s’avisa d’un expédient. Ses soldats traînaient à leur suite des femmes, d’après l’usage du temps. Tch’âi-chao en fit danser deux, au milieu du camp, avec accompagnement d’orchestre barbare : Ravis, les T’òu-kouhounn sortirent de leur embuscade, et s’approchèrent pour mieux voir, Tch’âichao tomba sur eux et les dispersa. Encore en 623, le Cambodge (Annam, Tonkin) noua des relations avec les T’âng. En 624, le khan turc Kîe-li ayant mobilisé tout son monde, força la Grande Muraille et envahit de nouveau la Chine (15). La vallée de la Wéi, désolée par des pluies excessives, était alors dans une grande misère. Pour la couvrir, Lì cheu-minn se porta à la rencontre du khan et le rencontra près de Pīnntcheou. Il se présenta hardiment devant le front de sa cavalerie, et cria au khan : — Nous sommes alliés par mariage. Pourquoi violant les traités, nous envahissez-vous ? Si vous avez des griefs, sortez et venez vous mesurer avec moi en combat singulier !... Kîe-li se contenta de rire... S’avançant davantage, Lì cheu-minn cria aux Turcs : — Nous avons juré p.1305 jadis, que chacun de nous aiderait celui qui serait dans la détresse. Et maintenant vous venez nous attaquer. Avez-vous oublié vos serments ?... Pas de réponse... S’avançant plus près encore, Lì cheu-minn fit mine de vouloir franchir le ruisseau qui séparait les deux armées, pour aborder le khan... Alors Kîe-li lui fit dire : 231 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Ne vous donnez pas cette peine ; je suis venu pour confirmer nos traités passés... et il se retira, pour chercher ses quartiers de nuit... Lì cheu-minn dit à ses hommes : — Il n’a fait que pleuvoir ces jours-ci ; les arcs des Turcs et leurs cordes doivent être ramollis et hors d’usage ; ne laissons pas perdre cette occasion... La nuit suivante, durant une forte averse, Lì cheu-minn pénétra dans le camp des Turcs, et leur donna une chaude alerte. Alors Kîe-li proposa une nouvelle alliance par mariage. Lì cheu-minn lui donna de bonnes paroles. On renouvela l’ancien traité, et le khan se retira... Pour se rendre compte de ces scènes, qui nous semblent baroques, il faut ne pas oublier le désaccord permanent entre les chefs des hordes turques, et le désarroi dans lequel un simple mauvais temps mettait ces légions de cavaliers, dépourvus de vivres, de bagages, de tout. Vices internes, qui rendaient vaine leur supériorité numérique. En 625, nouvelles alliances, nouveaux traités de commerce avec les T’òukou-hounn et les Turcs. Les Chinois en profitèrent, pour se remonter en bétail. Ils en avaient le plus grand besoin. Les bœufs ayant tous été mangés durant les dernières guerres civiles, les hommes en étaient réduits à tirer eux-mêmes la charrue. Au septième mois de cette année, ces bons Turcs recommencèrent leurs razzias. Une armée envoyée contre eux, sous le commandement de Tchāngkinn, fut entièrement détruite. En 626, le khan Kîe-li ayant de nouveau réuni plus de cent mille cavaliers, reparut dans la vallée de la Wéi, et poussa d’une traite jusqu’au pont de p.1306 cette rivière, aux portes de Tch’âng-nan, la capitale de Lì-yuan. La situation était critique. Heureusement, pour Lì-yuan, que le khan perdit du temps. Au lieu de forcer la ville, il envoya à l’empereur un certain Séu-li, chargé de lui faire des discours emphatiques. Cela donna le temps, à Lì-yuan, de ramasser quelques soldats. Alors il donna audience à Séu-li, et lui dit : — Je suis allié à votre khan, par mariage. Je lui ai envoyé nombre de présents. Maintenant, violant ses serments, votre khan ravage 232 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. mon territoire. Je ne suis pas en faute. Quoique barbare, vous avez un cœur d’homme, et devez comprendre qu’il a tort. Or vous venez de me dire des paroles insolentes. Je vais commencer par vous couper la tête, puis je m’occuperai de votre khan !... Séu-li effrayé demanda grâce. Lì-yuan le fit enfermer. Puis, prenant les devants avec quelques braves officiers, il alla se poster au pont de la Wéi (T). Les Turcs étaient rangés de l’autre côté de la rivière. Criant de manière à se faire entendre d’eux, Lì-yuan reprocha au khan sa traîtrise. Émus, les Turcs descendirent tous de cheval, et se prosternèrent (ce sont les Chinois, qui racontent cela). Sur ces entrefaites, l’infanterie de Lì-yuan arriva, et se déploya derrière lui, le long de la rivière. Alors le khan demanda une nouvelle alliance par mariage, qui lui fut accordée. Les T’âng étaient sauvés, le khan avait la face. L’aventure finit par une noce, comme dans le plus plat des romans. On immola un cheval blanc, on jura sur le pont de la Wéi, puis chacun s’en retourna chez soi. Serment de Turcs et de Chinois ! on devine s’il fut tenu. En 624, l’empereur visita l’école impériale (cf. p. 1272), où il fit les libations aux anciens Sages et aux anciens Maîtres. Il visita, dit le Texte ; non il honora de sa visite, selon la formule courante. Et c’est bien dit ainsi, p.1307 ajoute le Commentateur, qui rappelle tout au long la fameuse histoire de l’empereur Mîng des Heóu-Hán, racontée page 686. « Les historiens de la dynastie Hán ayant osé dire que l’empereur honora de sa visite la demeure de Confucius, les historiens postérieurs corrigèrent cette phrase, et écrivirent visita, pour montrer le respect qu’on doit aux anciens Sages. On écrivit de même visita, dans le texte qui nous occupe, quoiqu’il s’agit de l’école impériale, non de la demeure du Sage. La raison en est que les anciens Sages et les anciens Maîtres habitent tous cette école (moralement, leur doctrine y étant conservée et enseignée). Il est donc clair et évident, que l’Histoire s’est exprimée comme il faut. 233 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Durant cette même année 624, l’empereur esquissa la constitution de la dynastie T’âng. Il ne fit guère que changer les appellatifs, les choses restant les mêmes, sauf quelques modifications de détail. Les historiens observent expressément que, au fond, la constitution des T’âng fut celle des Hán, laquelle remontait aux Tcheōu (p. 309). Les trois Grands-Ducs furent le Grand Maréchal, le Grand Directeur, le Grand Ingénieur. Il y eut neuf Grands Ministères : impériale... Sacrifices, Armée et cérémonies, choses étiquette… militaires... monnaie... Mobilier, fêtes, galas... Equipages, Ancêtres Justice... haras... et Trésor, famille finances, Agriculture... Fonctionnaires, personnel... De plus, les Annalistes, l’Ecole, l’Observatoire, les deux corps de la Garde ; en tout 14 départements... Administration provinciale comme sous les Hán (p. 310)... Quant au peuple, l’État devait fournir à chaque individu mâle, à l’âge de vingt ans, cent acres de terre, pour lesquels il devait payer, par an, 20 boisseaux de grain, et 60 pieds de p.1308 tissu. Pratiquement irréalisable, cet affermage impérial resta lettre morte, à l’ordinaire. Ici se place l’épisode le plus alambiqué de toute l’histoire de Chine. Le fondateur des T’âng, Lì-yuan, semble avoir été un homme médiocre, borné même. Lì cheu-minn qui fit la fortune et la gloire de la dynastie, tua ses deux frères et détrôna son père. Il s’agissait, dans le pays de la piété filiale et fraternelle, de prouver que le célèbre T’ái-tsoung fit bien en faisant mal. Les historiens en suent. Suivons leur récit, en l’abrégeant toutefois de moitié, car, quand il s’agit d’en faire accroire au lecteur, ils sont d’une prolixité indigeste. Donc, en 624, Lì yuan-ki avait proposé à Lì kien-tch’eng d’assassiner Lì cheu-minn. Lì kien-tch’eng ayant trouvé le plan de son frère peu pratique, avait refusé. Plus tard, Lì kien-tch’eng s’étant assuré le concours de deux mille bravi, s’entendit avec un certain Wênn-kan, qui ferait en province un simulacre de rébellion, laquelle donnerait aux deux frères conjurés l’occasion de faire leur coup. La chose fut éventée. L’empereur se fâcha. Lì kien-tch’eng demanda 234 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. grâce. L’empereur l’enferma, et chargea Lì cheu-minn de soumettre Wênnkan. — A ton retour, lui dit-il, je te nommerai prince héritier, à la place de Lì kien-tch’eng... Quand Chéu-minn fut parti, les femmes du palais firent si bien, que l’empereur changea d’avis, exhorta Kién-tch’eng à vivre désormais en bon accord avec Chéu-minn, le mit en liberté et lui rendit même le gouvernement de la capitale. Quand Chéu-minn revint vainqueur, il ne fut pas fait prince héritier. Les Turcs ayant fait une incursion dans la vallée de la Wéi, quelqu’un dit à l’empereur : — Ce sont les richesses de Tch’âng-nan, qui attirent ces oiseaux de proie. Incendiez cette ville, fixez votre résidence ailleurs, et les incursions des Turcs p.1309 cesseront... L’empereur penchait dans ce sens. Chéu-minn lui dit : — Les nomades du nord ont toujours fait des incursions. Si vous reculez devant eux, vous y perdrez votre réputation militaire, et la postérité rira de vous. Je vous prie de différer. Laissez-moi faire. Je tâcherai de vous amener le khan prisonnier. Si je ne réussis pas, alors soit, transportez votre capitale ailleurs... — Bon ! dit l’empereur. Sur ce Kién-tch’eng, et les femmes du palais qui étaient de son parti, dirent à l’empereur : — Chéu-minn veut profiter des guerres turques, pour se faire un nom et s’attacher l’armée, après quoi il se révoltera contre vous... — Bon ! dit l’empereur ; et il gronda Chéu-minn... Puis, les Turcs ayant reparu, il le caressa et le pria de les chasser... Et ainsi de suite, dit l’Histoire. Chaque fois qu’il avait besoin de lui, il le traitait bien. Chaque fois qu’il pouvait se passer de lui, il le mettait de côté. 235 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Il en alla de la sorte, jusqu’au sixième mois de l’an 626. Alors Kiéntch’eng tenta d’empoisonner Chéu-minn. Celui-ci vomit le poison... L’empereur ayant su la chose, dit à Chéu-minn : — Tes frères te détestent. Il ne faut pas que tu restes ici. Je vais t’envoyer, comme gouverneur de l’Est, résider à Láo-yang... S’il part, se dirent les deux frères, il nous échappera. Ils dirent donc à l’empereur, que, à la nouvelle que Chéu-minn allait être envoyé à Láo-yang, ses gens avaient manifesté une joie significative, signe indubitable d’un projet de révolte latent... — Bon ! dit l’empereur ; et il ordonna à Chéu-minn de rester. Les officiers de ce dernier comprirent le sens de ce contre-ordre, et sentirent le danger. — Cette discorde, dit Fâng huan-ling à Tchàng-sounn ou-ki, ne compromet pas seulement la vie de notre maître ; elle compromet l’existence même de l’État. Les deux frères cherchèrent ensuite à gagner par présents les officiers de Chéu-minn. Ils envoyèrent à Ú-tch’eu king-tei une pleine voiture d’objets précieux. Celui-ci les refusa, et avertit Chéu-minn... Alors les deux frères rendirent Ú-tch’eu king-tei, Fâng huan-ling et d’autres, suspects à l’empereur. Ils durent sortir de la maison de Chéu-minn, mais restèrent à portée, en prévision des événements à venir. Les Turcs ayant fait une nouvelle incursion, Kién-tch’eng obtint de l’empereur que cette fois Yuân-ki, et non Chéu-minn, serait chargé de les repousser. Yuân-ki exigea aussitôt que tous les gardes de Chéu-minn fussent incorporés dans son armée, puis les deux frères décidèrent d’assassiner Chéu-minn, désormais sans défense, à l’occasion du banquet d’adieu de l’armée. Chéu-minn fut averti, et demanda conseil à Tchàng-sounn ou-ki. — Il faut les prévenir, dit celui-ci... — Ne pourrions-nous pas attendre qu’ils aient tenté leur coup ? soupira Chéu-minn... 236 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Si vous atermoyez davantage, dirent Tchàng-sounn ou-ki, Útch’eu king-tei, et les autres, nous vous quittons pour ne pas périr inutilement à cause de vous ! Chéu-minn n’arrivant pas à se décider : — Quel homme fut Choúnn ? lui demandèrent ses conseillers... — Un Sage, dit Chéu-minn... — Eut-il tort de sortir du puits, où son père et son frère voulaient l’enterrer vif ? Eut-il tort de descendre du grenier, où son père et son frère voulaient le brûler vif ? (Quatre Livres, p. 512)... — Il n’eut pas tort, dit Chéu-minn... — Convient-il alors que vous attendiez que vos frères vous aient mis à mort ? Se laisser faire, sied aux petites gens ; agir, est le propre des grands hommes !.. — Consultons les sorts, dit Chéu-minn ; et il fit apporter une écaille de tortue... Tchāng koung-kinn la jeta à terre, et dit : — On consulte les sorts sur les cas obscurs ; or votre cas n’est que trop clair ; ne perdez pas le temps ! Vénus brillait alors au ciel. L’Astrologue Fóu-i déclara qu’elle était pour Ts’înn (Chéu-minn, roitelet de Ts’înn), qui allait p.1311 obtenir l’empire... Le Ciel le voulant, Chéu-minn se décida... Le lendemain, il s’embusqua dans le palais, avec quelques-uns de ses plus fidèles amis. Quand les deux frères furent entrés et se trouvèrent en sa présence, ils voulurent fuir. Chéu-minn bandant son arc, perça l’aîné Kién-tch’eng. Ú-tch’eu king-tei perça le cadet Yuân-ki. Les gardes des deux princes étant accourus, Ú-tch’eu king-tei leur présenta les deux têtes, en leur disant qu’il n’y avait plus lieu de s’échauffer. Tous se débandèrent aussitôt. L’empereur se promenait pour lors dans son parc.. Chéu-minn lui députa Ú-tch’eu king-tei, pour lui apprendre ce qui venait d’arriver. Celui-ci s’étant présenté la cuirasse au dos et la lance à la main, dit : 237 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Kién-tch’eng et Yuân-ki ont fait du désordre. Les gardes de Chéu-minn les ont massacrés. Pour vous, ne craignez rien !.. — Fallait-il que pareille chose arrivât ? gémit Lì-yuan. Que faire ?.... — Que faire ? dirent les gens de sa suite, qui comprirent qu’il n’y avait plus qu’à s’exécuter de bonne grâce ; il n’y a qu’une chose à faire. Kién-tch’eng et Yuân-ki ont été injustes envers Chéu-minn. Ils n’avaient pas son mérite. Ils l’ont jalousé, maltraité, persécuté. Ils ont fini par attenter à sa vie. Ils n’ont que ce qu’ils méritaient. Accueillez bien Chéu-minn, abandonnez-lui le pouvoir, et tout ira pour le mieux !.. — Bon ! dit l’empereur. J’y pensais depuis longtemps. Ú-tch’eu king-tei exigea illico un édit nommant Chéu-minn chef unique de toute la force armée. Ainsi garanti contre toute représaille, Chéu-minn se présenta. L’empereur le caressa. Chéu-minn se prosterna, pleurnicha, téta les mamelles de son père (sic)... Enfin, pour éviter les vengeances futures, on massacra les femmes, les enfants, toute la parenté de Kién-tch’eng et de Yuân-ki. Chéuminn fut fait prince impérial, avec pouvoir sur toutes choses. Pour se rendre p.1312 populaire, il supprima aussitôt nombre de dons en nature, que le peuple était obligé de faire au trône, impôts déguisés très onéreux. Il supprima les faucons et la meute impériale, enjoignit aux fonctionnaires l’ordre et l’économie, etc. Voyant ces débuts, l’empereur comprit qu’il était de trop. Aimant mieux manger ses rentes, que de boire la potion classique, il abdiqua prudemment. C’est ce qu’on attendait de lui. Chéu-minn monta aussitôt sur le trône. Son premier acte impérial, fut de mettre à la porte trois mille femmes du harem de son père. Nous avons vu (p. 1308) qu’il n’était pas aimé de ces dames. Après ce nettoyage, il nomma impératrice la dame Soūnn, et fit prince impérial son fils Tch’êng-kien alors âgé de huit ans. Puis il récompensa, comme il convenait, ceux qui l’avaient aidé à faire sa fortune. 238 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. @ Culte... Durant les derniers mois de cette année 626, (laquelle fait encore partie, officiellement, du règne de Kāo-tsou), le nouvel empereur T’ái-tsoung prit, en matière de culte, quelques décisions importantes... D’abord il remit en vigueur l’édit de l’an 197 avant J.-C., lequel confiait au peuple la garde du tertre du Patron local du sol, et le soin de lui faire les offrandes convenables (voyez page 441). Il paraît que les mandarins l’avaient de nouveau accaparé. Cette mesure fit grand plaisir au peuple, dit l’Histoire. Chéu-minn la prit, probablement pour se rendre populaire ; peut-être aussi pour que le peuple, ayant un culte à lui, approuvé et facile, se détachât du buddhisme et du taoïsme, que le nouveau maître n’aimait pas. Fóu-i, l’Annaliste Astrologue que nous connaissons (p. 1310), était l’auteur de cette antipathie. Il dit à l’empereur : — Le Buddhisme nous est venu d’abord du Tarim (p. 689), sous une forme étrange et barbare, laquelle était peu dangereuse. Mais ensuite, depuis les Hán, on p.1313 traduisit en chinois les livres indiens. Leur diffusion fut cause que, petit à petit, la fidélité au prince et la piété filiale dégénérèrent. On se rasa la tête, on refusa la prostration aux princes et aux parents (p. 1131), on flâna, on quêta, on se fit bonze pour échapper aux charges publiques, on étudia les trois paramitas et les six gatis, on rejeta toute obéissance, tout cela sous prétexte d’une plus stricte observance et d’une plus haute perfection. Des bonzes ignares firent croire au peuple que le Buddha était le seul arbitre de la vie et de la mort, de la fortune et de l’infortune, de la richesse et de la pauvreté ; comme si ces choses ne dépendaient pas de la nature, du prince, de l’industrie d’un chacun. Ils s’arrogèrent à eux seuls le droit d’éduquer le peuple, soustrayant au prince cet attribut qui lui appartient en propre, et diminuant ainsi son autorité et son prestige. Avant les Hán, alors que le Buddha était ignoré, les princes étaient éclairés, les ministres étaient fidèles, les sacrifices étaient offerts régulièrement. Depuis que l’on honore ce Chênn exotique, les Barbares nous ont envahis, les princes sont nuls, les 239 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ministres sont traîtres, le gouvernement est tyrannique, les sacrifices sont négligés. Et qu’obtiennent ces dévots, par leurs momeries ? Souvenez-vous du sort de l’empereur Où des Leâng. Son histoire suffit, à elle seule, pour démontrer le néant du Buddhisme (p. 1213)... Or actuellement les bonzes et les bonzesses de l’empire, se chiffrent par dizaines de milliers. Je demande qu’on les apparie. Cela donnera plus de cent mille familles. Ils feront des enfants, ils les élèveront, et vous aurez des soldats !.. Chéu-minn soumit ce réquisitoire à la délibération de son conseil. De tous les conseillers, Tchāng tao-yuan seul se prononça pour Fóu-i, ce qui révèle l’esprit de l’époque... Siáo-u dit : — Le Buddha est un Sage. Fóu-i a donc mal parlé d’un p.1314 Sage. Qu’on le châtie !.. Fóu-i dit : — Il n’y a pas de sagesse, sans piété envers le prince et les parents. Or le Buddha, a manqué à ces deux devoirs, envers son père (le roi Suddhodana). Siáo-u a-t-il été recueilli dans le tronc d’un mûrier creux (génération spontanée), qu’il estime ainsi une doctrine qui ne reconnaît pas la paternité ?.. Siáo-u qui était un fervent buddhiste, fut extrêmement scandalisé de ces propositions, auxquelles il ne sut d’ailleurs pas répondre. Joignant les mains, il gémit et dit : — C’est pour les mécréants de cette sorte, qu’il y a un enfer ! Chéu-minn qui en voulait aux bonzes et aux táo-cheu, parce qu’ils se soustrayaient aux charges et éludaient les lois, ne les supprima pas, mais donna ordre de les cribler avec rigueur. Ceux qu’on trouverait mener une vie parfaitement conforme à leur règle, devaient être réunis et surveillés dans un petit nombre de grands couvents. Les relâchés devaient être licenciés et renvoyés à leur village natal et aux devoirs communs. Il n’y eut plus, à la capitale, que trois temples buddhistes, et deux taoïstes. Un seul temple fut permis, par ville, dans les provinces. 240 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Un jour, dans une conversation particulière, Chéu-minn poussa Fóu-i sur le chapitre du Buddhisme. — Comment se fait-il, lui demanda-t-il, que vous soyez seul à ne pas comprendre cette doctrine que tout le monde comprend ?.. — Ce n’est pas que je ne comprenne pas ces pernicieuses folies, dit le terrible Annaliste. C’est que je les abhorre ! Je veux les ignorer !.. Chéu-minn le loua... Il disait souvent à ses ministres : — L’empereur Où des Leâng a si bien prêché le buddhisme à ses officiers, que ceux-ci n’ont pas pu monter à cheval à temps pour le défendre contre Heóu-king (p. 1214). L’empereur Yuân de la même dynastie (p. 1226), expliqua à ses officiers les textes de Lào-tzeu, au lieu de les faire marcher contre les Wéi qui ruinaient son empire. Ces faits-là en disent long, à qui p.1315 sait les entendre. Moi je ne prise que la doctrine des empereurs Yâo et Choúnn, du Duc de Tcheōu et de Confucius. Elle m’est, ce que l’air est à l’oiseau, ce que l’eau est au poisson. C’est mon milieu, hors duquel je ne pourrais pas vivre. Je ne puis pas m’en passer ! Vous pensez que les Lettrés applaudissent des deux mains ? Oui et non. Oyez vous-même... — Chéu-minn, dit maître Hôu, discerna bien la doctrine qu’il faut suivre, de celle qu’il faut rejeter. Mais cet homme détrôna son père, tua ses deux frères, épousa leurs femmes (?), etc. Ces choses-là ne sont pas d’un Confuciiste. Elles ne sont même pas d’un homme. Est-ce des Sages qu’il les avait apprises ? Attrape ! A la fin de cette année 626, Chéu-minn proscrivit en bloc tous les cultes non autorisés, toutes les formes de divination. L’année 627 fut la première année officielle de son règne, comme empereur T’ái-tsoung. @ 241 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur T’ái-tsoung, 627 à 649. Carte XX 1 —@ Cet homme sut se rendre extrêmement populaire, et l’est resté jusqu’à nos jours. Anecdotes... Il commença par régaler et récompenser ses officiers. Il permit aux censeurs d’assister aux conseils des ministres, leur livrant ainsi même les secrets du gouvernement, avec permission de dire leur pensée sur tout. L’empire fut divisé en dix grandes circonscriptions administratives. Tch’âng-nan resta la capitale de la dynastie. L’empereur s’efforça de remettre en honneur les mœurs antiques. L’impératrice et ses femmes élevèrent des vers à soie. Vains efforts ! le passé défunt ne revit pas. L’empereur ordonna d’ensevelir les ossements des victimes des dernières guerres civiles, encore épars sur les champs de bataille. Un jour qu’il se promenait dans son parc, il vit quantité de sauterelles. Il frappa ces insectes de sa canne, et leur dit avec imprécation : — Mon peuple vit des céréales que vous dévorez ! Ah rongez plutôt mes entrailles !.. et ce disant, il en saisit quelques-unes, et se mit en devoir de les avaler. Ses officiers l’arrêtèrent, craignant qu’il ne se fît du mal. — Si je mourais pour mon peuple, dit l’empereur, où serait le mal ? et il avala les sauterelles. Les dégâts de ces insectes cessèrent aussitôt (dit l’Histoire). Trait quelque peu théâtral, devenu très célèbre, souvent cité et peint. 1 [css : voir aussi les cartes de René Grousset, dans l’Empire des steppes et Le Conquérant du Monde, et d’Edouard Chavannes, dans Documents sur les Turcs occidentaux. ] 242 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Une autre fois, la sécheresse compromettant les moissons, Lì pai-yao fit à l’empereur la remarque suivante : — Quoique vous ayez déjà licencié quantité de femmes du harem (p. 1312), le nombre des recluses est p.1316 encore trop considérable. De là vient que, le principe yīnn (féminin) étant trop aggloméré et n’ayant pas son expansion normale, la pluie (qui est yīnn) ne se répand pas... L’empereur fit encore licencier trois mille femmes du harem. Constatons que les principes naturalistes du T’iēn-koan (p. 989) continuent à régir la politique chinoise. Ils la régiront de plus en plus, surtout sous la dynastie dite philosophique des Sóng, et jusqu’à la fin de l’empire. Edit défendant sous peine de mort, aux esclaves, d’accuser leurs maîtres. Edit : Moi l’empereur pour faire du bien au peuple, il me faut passer par les gouverneurs. fonctionnaires. En Leurs conséquence, noms sont je m’efforce écrits sur les de bien choisir paravents de ces mes appartements, de sorte que, jour et nuit, je ne les perds pas de vue. Sous leurs noms, j’écris de chacun d’eux, au fur et à mesure, le bien et le mal qui m’en reviennent, pour les récompenser ou les punir en son temps, comme il convient. L’empereur dit à son entourage : — Le peuple pense que le Fils du Ciel est si grand, qu’il n’a personne à craindre. Il se trompe. Je crains le Ciel qui scrute mes actes, je crains le Peuple qui considère ma conduite. Oui je crains sans cesse de n’être pas ce que le Ciel désire, de ne pas être ce que le Peuple espère... — Bien, dit le ministre Wéi-tcheng. Ce principe résume toute la théorie du bon gouvernement. Mettez-le toujours en pratique, et vous serez un prince parfait. En 631, le prince impérial devant coiffer le bonnet viril, les officiers firent savoir à l’empereur que le deuxième mois serait faste pour cette cérémonie, et demandèrent la permission d’en commencer les préparatifs... 243 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Attendez au dixième mois, dit l’empereur... — Mais, répliqua Siáo-u, les calculs basés sur le yīnn et le yâng (deux principes), ont révélé que le deuxième mois serait faste... — Bah ! dit l’empereur, le faste et le néfaste p.1317 dépendent après tout de la conduite de l’homme. Car, quelque favorables que lui soient le yīnn et le yâng, un homme qui agit contre les Rites et les Convenances, ne réussit pas. Au contraire, tout réussit à qui procède avec Rectitude. Les travaux des champs pressant au deuxième mois, ce n’est pas le moment de célébrer des fêtes. La même année, profitant du rétablissement des relations amicales avec la Corée, l’empereur fit ensevelir les ossements de la grande armée des Soêi, lesquels blanchissaient dans les plaines du Leâo-tong depuis tantôt vingt ans (p. 1287). L’empereur chassait à courre dans son parc. Non content de présider la chasse, il allait s’élancer à la poursuite d’un lièvre, quand un officier lui dit : — Vous que le Ciel a fait Père et Mère des Chinois et des Barbares, ne vous ravalez pas ainsi !... Un instant après, comme l’empereur allait courir une antilope, le même officier, déposant son bonnet et sa ceinture (insignes), s’agenouilla et le reprit encore plus vivement. L’empereur se le tint pour dit. Edit : Désormais, pour les condamnés détenus dans les prisons de la capitale, qu’on me présente leur sentence cinq fois, en deux jours différents ; elle ne sera exécutable, qu’après la cinquième présentation. Pour les criminels des provinces, que leur sentence me soit présentée trois fois. Aux jours d’exécutions capitales, on ne servira sur ma table ni viande ni vin, on ne fera pas de musique au palais. Edit : J’ai toujours peur de récompenser ou de punir arbitrairement, pour m’être laissé aller à la joie ou à la colère. Aussi ai-je donné, aux ministres et aux censeurs, tout droit de faire des observations sur mes mesures. Mais qu’eux fassent de même, écoutent volontiers les critiques, et ne s’offusquent pas des contradictions. Car celui qui est incapable de supporter une réprimande, n’a pas ce qu’il faut pour réprimander autrui. 244 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Un jour, l’empereur ayant assisté à l’appel des prisonniers de la capitale, s’émut à la vue de ceux qui devaient être exécutés à l’automne suivant. Il leur permit à tous de retourner dans leurs familles, à charge de revenir se livrer avant le terme fatal. Il étendit ce bienfait aux condamnés des provinces, qui devaient venir se livrer à la capitale, pour le même terme. Au jour fixé, aucun de tous ces hommes ne manqua à l’appel (dit l’Histoire). L’empereur les gracia tous. Trait célèbre, souvent cité ou peint. L’empereur ayant confié le prince impérial aux soins de deux gouverneurs, tint à ces personnages le discours suivant : — Moi, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, j’ai vécu de la vie du peuple. p.1318 Je connais tous ses maux, toutes ses aspirations. Malgré cela, je fais parfois des méprises... Or le prince impérial, né dans un palais, n’a jamais ni vu ni entendu le peuple. Il se pourrait qu’il devint arrogant on licencieux. Je vous enjoins de chercher à prévenir ce mal, par une éducation sévère... De fait, le prince ayant montré des propensions libertines, et peu de goût pour l’étude des Rites et des Lois, ses deux gouverneurs le tancèrent d’importance. L’empereur l’ayant su, fut fort content, et fit donner à chacun une livre pesant d’or, et cinq cents pièces de soie. En 634, l’empereur députa Lì-tsing et douze autres inquisiteurs, pour aller s’informer, par tout l’empire, de la conduite des fonctionnaires et des dispositions du peuple. En 635, le père de l’empereur, Lì-yuan ex-empereur Kāo-tsou, mourut dans l’obscurité et l’oubli. En 636, l’impératrice tomba gravement malade. Le prince impérial demanda que, pour obtenir la guérison de sa mère, l’empereur voulût bien accorder une amnistie générale, et permettre à qui voudrait de se faire bonze ou táo-cheu (voyez p. 1314). L’impératrice l’ayant su, dit : — La mort et la vie étant régies par le destin, la science et la puissance n’y peuvent rien. Une amnistie est une grande faveur, qu’il ne faut pas accorder pour de petites raisons. Les bonzes et les 245 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. táo-cheu sont des hétérodoxes, des vers rongeurs de l’empire et du peuple ; il ne convient pas de les multiplier. D’ailleurs, ces deux choses n’ont jamais été du goût de l’empereur. Comment moi, pauvre femme, lui demanderais-je ce qu’il n’a pas accoutumé de permettre ?.. Quand son état fut désespéré, elle prit congé de l’empereur son époux. — De mon vivant, lui dit-elle, je n’ai été bonne à rien. Après ma mort, ne fatiguez pas le peuple à m’élever un tumulus funèbre. Il suffira d’entourer ma tombe d’un simple mur. p.1319 N’y employez aussi, en fait de matériaux, que des briques et des bois ordinaires. Mon vœu suprême, est que vous vous entouriez d’hommes de valeur, et écartiez de votre personne les indignes. Ouvrez l’oreille aux censures des serviteurs fidèles, fermez-la aux adulations des vils flatteurs. Choisissez bien vos officiers. Cessez de flâner et de chasser. Je meurs contente, dans l’espérance que vous accéderez à mes désirs. En 637, une fille de quatorze ans, remarquablement belle, fut introduite dans le harem de l’empereur T’ái-tsoung. Elle deviendra la fameuse Où-heou. En 637, réforme du Code. Il fut réduit à 138 sections. Du code des Soêi, 92 cas punis de mort, et 71 cas punis d’exil, furent supprimés. En général, la réforme fut faite dans le sens de la simplification et de la mitigation. L’empereur fit aussi éditer un recueil de 1590 pièces administratives. Jusque-là, quand l’empereur allait faire, à la Grande Ecole, les offrandes et libations aux anciens Sages, la tablette du Duc de Tcheōu (p. 87) trônait à la place d’honneur, et celle de Confucius occupait la seconde place. En 637, Fâng huan-ling (p. 1310) assigna à Confucius la place d’honneur, et à son disciple Yên-hoei la deuxième place. C’en fut fait du Duc de Tcheōu. Cassé aux gages, sans pension. Sic transit gloria mundi. En 640, l’empereur ayant visité la Grande Ecole pour la cérémonie des offrandes et libations, fit interpréter, en sa présence, par le directeur K’oùng 246 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ying-ta, le Traité de la piété filiale ; puis il fit distribuer aux élèves des soieries, selon leurs mérites. A cette époque l’empereur, très zélé pour les lettres, faisait chercher par tout l’empire les lettrés de renom, et les préposait aux écoles. Lorsqu’il visitait la Grande Ecole, il faisait discourir, en sa p.1320 présence, les professeurs qui y étaient attachés. Quant aux élèves, ceux qui étaient à même d’interpréter plus d’un livre canonique, étaient sûrs de recevoir une charge de mandarin. L’empereur fit ajouter 1200 kién (appartements) aux bâtiments de la Grande Ecole, ce qui permit de recevoir 3260 élèves internes. Il fournit aussi des maîtres au corps de ses gardes. Ceux de ces militaires qui arrivaient à quelque teinture de lettres, pouvaient compter sur un avancement rapide... Bien entendu, ces faveurs attirèrent les étudiants par nuées, dit le Texte. De la Corée septentrionale, centrale, méridionale (alors trois royaumes) ; de Tourfan, du lointain Tibet, les princes et les nobles envoyèrent leurs frères et leurs fils, pour étudier à l’Ecole Impériale de Tch’âng-nan. Le nombre des étudiants s’éleva (internes et externes) à plus de huit mille... Ayant remarqué que les commentaires des livres canoniques variaient d’après les écoles, et étaient généralement diffus, l’empereur chargea un comité de Lettrés, présidé par K’oùng ying-ta, de les compulser, et imposa officiellement aux étudiants ce nouveau commentaire, dit Droite Interprétation. Il existe encore, et représente pratiquement à peu près tout ce qui nous reste des commentaires anciens, antérieurs à l’école des Sóng. En 643, le ministre et conseiller favori Wéi-tcheng étant venu à mourir, l’empereur dit à ses intimes : — Les hommes se mirent dans les miroirs, pour mettre en ordre leur toilette ; dans les exemples des anciens, pour voir s’ils sont dignes d’éloge ou de blâme ; dans l’opinion de leurs contemporains, pour constater s’ils sont populaires ou non. Wéitcheng me rendait à lui seul tous ces services. Avec lui, j’ai perdu mon miroir. Le prince impérial Tch’êng-k’ien ayant dû être dégradé pour cause d’intrigues, l’empereur lui substitua le prince Tchéu. 247 p.1321 Il se chargea lui- Textes historiques. II.a : de 420 à 906. même de donner à cet enfant des leçons de choses. Quand le prince mangeait, il lui disait : — Si tu apprécies toujours comme il convient les labeurs des agriculteurs, tu ne manqueras jamais de pain... Quand le prince montait à cheval, il lui disait : — Si tu sais gré à cet animal, qui court pour toi malgré sa fatigue, il te sera toujours dévoué... Un jour que le prince allait en bateau, l’empereur lui dit : — L’eau porte les bateaux, l’eau engloutit aussi les bateaux. Ainsi en est-il du peuple. Il porte ou engloutit ceux qui le gouvernent, selon qu’ils gouvernent bien ou mal... Un autre jour, le prince se reposant au pied d’un arbre, son père lui dit : — Si cet arbre a poussé si droit, c’est parce qu’on l’a bien réglé. Ainsi en est-il des princes. Les censures les rendent droits. Un jour l’empereur demanda à l’Annaliste Tch’òu soei-leang : — Pourrais-je voir le commentaire que vous écrivez sur ma conduite au jour le jour ?.. — Nenni, fit l’Annaliste (cf. p. 142). Les Annalistes enregistrent tout ce que dit et fait l’empereur, le mal comme le bien. L’empereur sachant cela, la crainte d’être stigmatisé pour jamais, doit le détourner de tout mal. Il est inouï qu’aucun empereur ait osé lire, ce que les Annalistes avaient écrit de lui... — Vraiment, dit l’empereur, si j’agissais mal, vous l’écririez aussi ?.. — Mon office, répondit l’Annaliste, m’oblige à toujours porter sur moi mon pinceau pour tout noter... — D’ailleurs, ajouta Liôu-ki, si Tch’òu soei-leang ne notait pas vos fautes, l’empire les noterait. 248 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur était très intelligent et très érudit. La plupart de ses officiers lui étaient fort inférieurs. Dans les conseils, c’était parfois un feu roulant de citations, qui ahurissait les pauvres conseillers. Liôu-ki eut pitié d’eux. Voici la substance de la remontrance qu’il fit à p.1322 l’empereur : — La majesté de votre personne, gêne déjà bien assez vos conseillers. Si vous les écrasez encore de votre érudition, ils ne diront plus rien. D’ailleurs, conserver la mémoire de tant de choses, usera votre cœur ; parler autant que vous faites, usera vos poumons. Ménagez-vous, pour l’amour de l’empire. @ Politique extérieure et Guerres... D’abord la ruine des Turcs Septentrionaux... Quinze hordes de Tölös (p. 1230, 1269, 1280), savoir les Syr-tardouch, les Togouz-ogouz (Tagazgaz des Arabes, Ouïgours des Européens), les Tou-pouo, Kourikans, Télangouts, Tongras, P’ou-kou, Yerbayir-kou, Seu-kie, Hounn, Hoa-sue, Hi-kie, A-tie, K’i-pi, Pai-si, habitaient au nord du Gobi, le long de l’Altaï. Ils étaient devenus vassaux des Turcs Septentrionaux. En 627, exaspérés par les vexations du khan Kîe-li que nous connaissons (p. 1303 seq.), les Syr-tardouch et les Ouïgours secouèrent son joug... En 628, Kîe-li envoya contre eux un certain T’óu-li. Celui-ci revint battu. Kîe-li le fit fouetter. De dépit, T’óu-li s’offrit à l’empereur de la Chine, fut agréé et reçu à la capitale. Cependant, forts de leur succès, les Tölös se confédérèrent, et se donnèrent pour chef le khan I-nan des Syr-tardouch, lequel, après plusieurs déplacements, finit par se fixer au sud de la rivière Tola. Vite l’empereur s’aboucha avec cette nouvelle puissance. Désormais il avait la partie belle, contre son vieil ennemi Kîe-li, pris entre l’enclume et le marteau. Il chargea les généraux Lì-tsing (p. 1296) et Lì cheu-tsi de le réduire. Dès que la chose fut connue, neuf chefs turcs trahirent Kîe-li, et se joignirent aux Chinois. Beaucoup de peuplades lointaines, toutes victimes des Turcs, offrirent aussi leurs services à la Chine, contre l’ennemi commun. En l’année 629, le total des Etrangers qui se donnèrent p.1323 à la Chine, et des Chinois captifs qu’ils restituèrent, se monta à un million deux cent mille âmes. 249 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Entré en campagne en 630, Lì-tsing attaqua Kîe-li au nord du Chān-si actuel, le bouscula et le refoula jusqu’aux confins du désert. Lì cheu-tsi le relança, et le rejeta dans les montagnes, avec ses derniers cent mille hommes. Enfin, dans une attaque nocturne hardie, Lì-tsing surprit son douar, et dispersa sa troupe. Kîe-li s’enfuit presque seul. Ses hordes se soumirent à la Chine. Dix mille Turcs étaient morts, cent cinquante mille étaient prisonniers. Kîe-li avait demandé asile au chef de horde Sou-ni-cheu. Celui-ci le livra, et se soumit, avec sa horde. L’empereur reçut les vainqueurs et les prisonniers, avec les cérémonies chinoises du triomphe. A cette occasion, les Barbares soumis à la Chine décernèrent à l’empereur le titre de Khan Céleste (suprême), que celui-ci accepta... Ainsi finirent, provisoirement, les Turcs Septentrionaux. Les inscriptions de Koscho-Tsaïdam, pleurent en ces termes leur servage : « Les fils et les filles des Turcs, devinrent esclaves des Chinois. Dépouillés de leurs titres turcs, les nobles furent affublés de titres d’officiers chinois. Soumis à l’empereur de la Chine, ils trimèrent pour lui, durant cinquante ans. ».. L’Histoire fixe à cent mille environ, le nombre de ces soumis. Les autres, dit-elle, passèrent, soit aux Tölös, soit aux Turcs Occidentaux... Kîe-li fut fait général honoraire de la garde impériale. Sou-nicheu reçut aussi un titre ronflant. Plusieurs chefs turcs devinrent officiers supérieurs chinois. Beaucoup de Turcs entrèrent dans la garde, ce qui fixa, dans la seule ville de Tch’âng-nan, plus de dix mille familles de cette nation. Le ministre Wéi-tcheng se prononça énergiquement contre la concentration de ces hôtes dangereux ; mais le conseiller Yén-pouo ayant pris l’empereur par la philanthropie, son faible, il l’emporta... p.1324 Le territoire turc annexé à l’empire, équivalemment le pays des Ordos, plus la Mongolie Orientale actuelle (R, N), fut divisé en dix districts, avec deux grands centres administratifs à Ting-siang et à Yûnn-tchoung (dans le Chān-si actuel). T’óu-li fut fait gouverneur du Choúnn-Tcheou (dans le Heûe-pei actuel). Il ne faut pas confondre ce T’óu-li, avec le khan T’óu-li, mort en l’an 609 (p. 1284). Le coup qui frappa les Turcs Septentrionaux retentit chez les Turcs Occidentaux, dont les premières hordes stationnaient près Barkoul (a). Ils s’empressèrent de se mettre au mieux avec l’empire. Le roi de Tourfan (c) K’iū wenn-t’ai fit de même, et, par ses bons offices, presque toutes les 250 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. peuplades du Tarim, turques et autres, vinrent prendre le la à Tch’âng-nan. Pour un temps, la symphonie fut parfaite. En 630, ambassade du Linn-i. Linn-i, la Haute Cochinchine, au sud du Kiāo-tcheu et du Jéu-nan, Tonkin Annam. Attenant au Tchān-tch’eng, Champa ; au Tchēnn-la et au Fôu-nan, Basse Cochinchine et Cambodge. Dans ces pays, il ne gèle jamais... Mœurs : Peuples brutaux. Yeux caves, nez aquilin, cheveux noirs ramassés en chignon... Costume : Le torse nu, les reins ceints d’une sorte de pagne. Presque tous pieds nus, sans chaussures. Anneaux dans les oreilles. Cou et membres surchargés de lourds bijoux... Palais couverts en plomb ou en tuiles. Le peuple habite des chaumières. Presque pas de meubles. Des nattes. Une marmite... Nourriture, du riz. Boisson, de l’hydromel fermenté... On enfouit tous les excréments, et l’on ne fume pas les champs... Soieries, cotonnades, toiles fines venues de l’Extrême-Occident qui sont très estimées... Armes, arcs en bambou, lances... Conques et tambours... Eléphants de guerre. Chevaux et voitures. Barques et jonques. Les Brahmanes, lettrés du pays, tiennent le haut du pavé. Ils écrivent en lettres qui ressemblent à l’écriture hindoue, sur des feuilles de palmier ou sur des parchemins préparés. Tout le peuple est Buddhiste. Pagodes riches, ornées de statues en or et en argent. Nombreux bonzes buddhistes. Taoïstes d’une secte particulière. Immoralité extrême... Sodomie sollicitée, rétribuée, et si éhontée, que les Chinois s’en scandalisent (!)... Les femmes sont méprisées. Ce sont elles qui cherchent mari. Elles sont très lascives. Je ne suis pas une âme sans corps, disent-elles ; comment pourrais-je dormir seule ? Elles se baignent dans le fleuve par milliers, en plein jour, sous les yeux du public, Le reste à l’avenant... Toutes les filles sont déflorées officiellement et avec apparat, avant l’âge de douze ans (âge nubile), par un bonze payé pour cette besogne. Personne ne voudrait d’une vierge... Esclaves traités en bêtes, et vivant en promiscuité. 251 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ordalie de l’eau bouillante, pour les voleurs ; celui qui en sort échaudé, est réputé coupable. Ordalie de l’exposition sur deux stèles, des p.1325 deux parties, en cas de litige ; celui qui manifeste le premier quelque signe d’indisposition, est censé avoir tort. Dans le Tchēnn-la, chasse à l’homme, durant la nuit, pour se procurer le fiel humain. On s’en sert pour oindre les éléphants de guerre, afin de les rendre féroces. Les guerriers en mêlent au vin qu’ils boivent avant le combat. On fait écraser les criminels par des éléphants, ou bien on les expose dans des lieux où ils meurent de faim. Les cadavres humains sont incinérés. Les cendres sont recueillies dans une urne, qu’on jette dans la mer, dans le fleuve ou dans une rivière. Les parents se coupent les cheveux, et vont, durant quelques jours, se lamenter au bord de l’eau. C’est là tout le deuil... Au Tchēnn-la, au lieu d’incinérer, on fait parfois décharner les cadavres par les vautours. Parfois aussi, on les jette simplement à l’eau, tels quels. La lèpre et la dysenterie sont endémiques et font rage. Le narrateur chinois conclut : Dans ces pays, le riz est facile à gagner, les maisons sont faciles à bâtir, le mobilier est facile à trouver, les femmes sont faciles à acquérir, le commerce est facile à faire. Aussi les Chinois y vont-ils en quantité. En 631, ambassade du Japon. Comme ces ambassadeurs venaient de loin, dit l’Histoire, l’empereur dit aux officiers de ne pas exiger d’eux le tribut. Quand ils prirent congé, il envoya avec eux un certain Kāo jenn-piao, chargé de nouer des relations. Cet envoyé n’ayant pas pu s’entendre avec le roi du Japon sur certaines questions rituelles (il exigea probablement que le roi se reconnut vassal), revint sans avoir rien conclu. Pour ce qui est de l’origine de la nation japonaise, l’opinion la plus commune actuellement, est que les Aïnos, premiers occupants de l’archipel, furent envahis et refoulés vers le nord par des Malais. L’Histoire de Chine est 252 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. muette sur ce fait. J’ai cité, page 151, la légende qui apparente les Japonais avec la maison chinoise Tcheōu (an 473 avant J.-C.). J’ai rapporté, page 213, l’histoire de Sû-fou et de sa colonie chinoise (an 219 avant J.-C.). Quoi qu’il en soit, les premiers contacts historiques eurent lieu entre la Chine et le Japon, de nation à nation, vers l’an 600 après J.-C. Nous venons de voir qu’en 631 Japonais et Chinois étaient encore bien neufs les uns pour les autres, et rien moins que chauds. Les sources chinoises nous apprennent qu’à cette époque (7e siècle), les Japonais étaient un ensemble de tribus (familles, clans) fédérées. La famille régnante des [] s’attribuait une origine céleste. Ils n’avaient pas de villes murées, mais seulement des sortes de camps entourés de palissades. Ils portaient les cheveux liés ensemble dans la nuque ; une robe drapée, sans pans ni ceinture ; aucune coiffure ; aucune chaussure. Ils étaient Buddhistes, et connaissaient les lettres (voyez ci-dessous). En 631, ambassade du Sin-ra. — Au septième siècle, la presqu’île coréenne était divisée en trois royaumes... Le Kāo-kiu-li Ko-kou-rye (r) au nord, bassins du Ya-lou et du Ta-t’oung-heue... Le Pài-tsi Paik-tjyel (j) au centre, sur le versant occidental... Le Sīnn-louo sin-ra (s), extrémité méridionale de la péninsule. Le Ko-kou-rye et le p.1326 Paik-tjyel étaient habités par les descendants des Hoêi, venus de la Soungari vers le commencement de l’ère chrétienne, branche de la grande famille des Î orientaux... Le Sin-ra était peuplé par une race spéciale, les Tch’ênn immigrés du Japon, probablement. Jadis la Corée septentrionale avait été surtout peuplée de Chinois. Nous avons raconté l’établissement dans la vallée du Ya-lou, du vicomte de Kī de la maison impériale Yīnn, vers 1050 avant J.-C. (p. 71) ; l’histoire de Wéi-man (p. 425), l’annexion de l’an 108 avant J.-C. (p. 427), etc. L’immigration des Japonais au Sin-ra, dut précéder l’ère chrétienne, car, dès l’an 14 après J.-C., le Japon et le Sin-ra se battaient, comme nations. En guerre avec la Chine, tant que celle-ci fut une grande puissance (Hán), la Corée ne voulant rien accepter de ce voisin dangereux, resta obstinément stationnaire à un degré de culture très inférieur. Mais quand l’émiettement de la Chine eut commencé, les Coréens n’ayant plus peur, ni des petits 253 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. royaumes, ni de l’empire amoindri, ils commencèrent à accepter ce qui leur parut bon. Le premier auteur de la civilisation coréenne (comme on dit en style moderne), fut le bonze Choúnn-tao, envoyé au Ko-kou-rye, en 372, par Fôu-kien, le souverain du royaume tangoutain Ts’iên-Ts’înn (p. 980 seq. et 1009). En 384, après la déconfiture de Fôu-kien, l’Empire un peu ravigoté, envoya au Paik-tjyel le bonze hindou Marananda. Au cinquième siècle, la Corée septentrionale, de race Hoéi, devint tout entière buddhiste. Avec leur religion, les bonzes enseignèrent aux Coréens les caractères chinois, les lettres chinoises, etc... Le Sin-ra, qui était d’une autre race, ne s’empressa pas de faire comme ses voisins du nord. D’ailleurs les Japonais lui donnaient des distractions militaires, qui l’empêchaient de vaquer à la paisible contemplation. Descentes japonaises, toujours repoussées, en 208, 232, 249, 287, 346, 364, 408, 440, 459, 476, 497, etc. Suivit une accalmie. Les bonzes de la Corée septentrionale en profitèrent pour envahir le pays. Leur succès fut complet. En 528, le Sin-ra était buddhiste. Pour rattraper le temps perdu, il alla très vite. Ce fut une effervescence tumultueuse. Des rois se firent bonzes. Une hiérarchie buddhique tint le haut du pavé dans le pays. Les bonzes pullulèrent. Lois et usages buddhistes. Défense de tuer aucun animal, etc. Avec leur religion, les bonzes enseignèrent au Sin-ra les lettres de la Chine, comme ils faisaient partout. En 541, l’empereur Où des Leâng, le saint homme buddhiste (p. 1190), envoya en présent impérial, au Paik-tjyel, le Livre des Odes (p. 499) et son cher Nirvana Sutra... En 552, le Paik-tjyel passa ces trésors au Japon. Là le feu prit, comme il y a repris, il y a cinquante ans, pour une forme de civilisation plus neuve. Dès 553, les Japonais clament, pour obtenir des livres et des bonzes. En 554, on leur envoie une cargaison des uns et des autres. Au Sin-ra la fringale continue. En 565, la Chine envoie au Sin-ra 1700 volumes buddhistes. En 577, le Paik-tjyel envoie au Japon tous ses livres disponibles. En 595, le bonze coréen Hoéi-ts’eu devient précepteur du prince impérial japonais. Son influence se fit bientôt sentir. Importation, par bandes, de bonzes et bonzesses. Importation de tous les artisans et artistes possible, tailleurs, corroyeurs, fondeurs, potiers, jardiniers, menuisiers, constructeurs de jonques, monnayeurs, musiciens, devins, médecins. A partir de 618, tous les prisonniers de guerre chinois possédant quelque art ou quelque industrie, 254 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sont livrés par les Coréens aux Japonais, pour servir d’instructeurs à cette race avide d’apprendre. En 645, le disciple de Hoéi-ts’eu, devenu mikado, charge officiellement les bonzes de l’éducation de tout le peuple japonais. Leur nombre ne suffisant pas à cette tâche, ceux-ci envoient, à partir de l’an 648, des novices japonais en quantité, dans les bonzeries de la Corée, pour les y faire former vite et bien. En même temps que leurs dogmes, les bonzes enseignèrent aux p.1327 Japonais les livres de Confucius, et ses principes de gouvernement. Le disciple de Hoéi-ts’eu appliqua ces principes, de 645 à 649. Ils produisirent au Japon une révolution politique et sociale rapide et radicale, et jetèrent ce pays dans les bras de la Chine. Par réaction, le Sin-ra se donna aussi des institutions nouvelles, qui le mirent à même de tenir tête à son voisin de l’Est, et de conquérir ses deux voisins du Nord, le Paik-tjyel et le Kokou-rye. C’est ainsi que la Corée fut unifiée. Chose remarquable, quoique et la Corée et le Japon dussent tout aux bonzes, ni les Coréens ni les Japonais ne s’astreignirent exclusivement, comme religion, au Buddhisme... Les Coréens gardèrent quelque chose du culte primitif de leurs ancêtres les Hoéi, savoir l’adoration du Ciel sur les hauteurs. Ils adoptèrent ensuite intégralement le culte officiel chinois, Ciel Terre Monts et Fleuves, et eurent des Lieux saints en quantité. Très florissant, richissime, omnipotent jusqu’au 10e siècle, à partir du 15e siècle le Buddhisme fut persécuté en Corée par les Confuciistes, et finit par tomber dans l’abjection et le mépris... Au Japon, à côté du Buddhisme extraordinairement prospère, le sintoïsme, culte d’anciens génies et héros, se maintint, par le fait que les ancêtres de la maison régnante tiennent la place d’honneur dans ce panthéon. Encore en 631, ceux de K’āng (Samarkand) demandèrent à être reçus sous le protectorat de la Chine... — Vous êtes trop loin, j’aurais trop de mal à vous protéger, leur dit Tái-tsoung... et il refusa provisoirement. 255 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Dans le pays de K’āng (o, l’ancien K’āng-kiu, p. 545), étaient alors réfugiés les restes des anciens Ue-tcheu Scythes (p. 408 et p. 715). La famille régnante était Scythe. C’était un peuple puissant encore, riche et civilisé, aimant les lettres et la musique, excellant dans le négoce. Comme religion, ils avaient deux cultes. Celui du Buddha, importé de l’Inde ; et celui de Ormuzd, en zend Ahura-Mazda (avec ses bons génies les Amschaspands). Ils faisaient aussi des sacrifices à l’Esprit malin Ahriman, (et à ses mauvais génies Darvands)... Ils avaient fait aussi des emprunts au Manichéisme, paraît-il, car les historiens chinois nous ont conservé un trait, qui ne cadre qu’avec les cérémonies funèbres par lesquelles les Manichéens célébraient l’anniversaire de la mort de leur patriarche Mani (Manès). « Ils disent que le Fils du Chênn est mort au septième mois, et que ses ossements ont été répandus. Donc, ceux qui sont chargés du culte du Chênn, hommes et femmes, au nombre de plusieurs centaines, vont errer au septième mois dans la campagne. Vêtus de robes noires, les pieds nus, se frappant la poitrine et se lamentant, les larmes et la pituite coulant des yeux et du nez, ils cherchent durant sept jours les ossements du Fils du Ciel Mani, le Paraclet, écorché et jeté à la voirie, par ordre du roi Bahram... Quant à la chose suivante, elle se pratique encore chez les Parsis, de nos jours : « Hors de la ville vivent, logées à l’écart, environ 200 familles chargées du soin des funérailles. Ils élèvent des chiens lesquels sont renfermés dans un parc muré. Quand un homme est mort, ils vont chercher son cadavre, en font dévorer les chairs par leurs chiens, recueillent les os décharnés, et les enterrent, sans cercueil. Actuellement, à la Tour du Silence de Bombay et ailleurs, ce sont les vautours qui décharnent les cadavres, sur une terrasse élevée ad hoc... p.1328 Notons ici les détails sur les alentours du pays de K’āng (o), très modifiés depuis la chute des Indo-Scythes et des Ephthalites. Au Nord-Ouest (Carte XX, 1) 1 entre l’Aral et la Caspienne, les anciens An-ts’ai Aorsi, devenus les A-lan-na Alains. — Près de l’Aral, le Houo-sunn (2), Kharizm. — Au sud de l’Oxus, Mou (3), Amol, Tchardjoui. — Au nord de l’Oxus, Nan, ou Pou-heue (4), Boukhara..., Na-chee-p’ouo (5), Nakhschab, Karchi... Mi (6), 256 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Maïmargh... Chèu (7), Kesch, les Portes de fer... Ts’ao (8), Satrouchana, le Kaboudhan et l’Ischtikhan. Dans ce dernier pays, dans la ville de Ue-kan-ti, on immolait une hécatombe chaque jour, à une divinité inconnue le Chenn Tei-si ou Teue-si (Zeus, Deus ?)… Heue (9), Koschanyah. — Sur l’Iaxartes, Chêu (10), Tachkend... Kiu-tchan-t’i (11), Khodjend... Pa-han-na (12), le Ferghana. — Sur le haut Oxus, au Sud, T’ou-houo-louo (13), le Tokharestan, Balkh Khoulm Koundouz Talekan, habités par les restes des Ephthalites, pratiquant encore la polyandrie (p. 1198) etc... Au Nord, Kou-t’ou (14), Khottal... Kiu-mi (15), Koumedh Karategin... Au Sud, Pa-tei-chan (16), le Badakchan... A l’Est, Cheu-k’i-ni (17), le Chighnan... Hou-mi (18), le Wakhan... Enfin Heue-p’an-t’ouo (19), le Garbandha, Tach-kourgane, Sarikol. En 634, ambassade des T’òu-fan (20, Haut Tibet, Lhassa). Ce fut le premier rapport officiel de cette nation avec la Chine. Ses rois portaient le titre de Tsan-p’ou (Gam-po). Leur puissance, était de date récente. Cependant celui qui s’aboucha avec l’empire, le Tsan-p’ou Loung-tsan (Srongtsan Gam-po), ayant réuni près de cent mille guerriers, et fait peur à tous ses voisins, l’empereur le prit en considération, et fit reconduire ses ambassadeurs par un envoyé chargé de nouer des relations. Les T’ou-fan de la haute vallée du Brahmapoutra, étaient une des 150 tribus de la race des K’iāng, que nous connaissons de longue date (p. 514). Devenue très puissante, cette tribu s’attacha ou subjugua les autres. Capitale Louo-souo (Lao-sao, Lhassa, 20). Tibet, Tibétains, sont des appellatifs mongols. Pays très élevé, très montagneux, très âpre, très froid en hiver. Peuple dur, sobre et brave. Vie d’une extrême simplicité. Grande longévité. Pas de maisons, mais tentes en feutre, si grandes parfois qu’elles peuvent contenir des centaines de personnes. Vaisselle de bois. Pas de meubles. Feutres et bure de laine. 1 [css : cf. plus haut les références aux cartes de René Grousset]. 257 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Nourriture : Bouillie de grain. Lait coagulé, mélange de beurre et de fromage. Dans les grandes occasions, viande crue ou sèche. Tous mangent avec la main, sans aucun instrument. Culture : Blé, orge, sarrazin, fèves. Elevage : Yak, chevaux, moutons, porcs. Les hommes roulent leur chevelure, les femmes la tressent en nattes. Tous se peignent le visage en rouge. Quand ils sont en deuil, ils se coupent les cheveux et se peignent le visage en bleu. Encore à cette époque, d’après les Textes chinois, aucune écriture. Ils faisaient des nœuds à des cordelettes, des coches à de petites lattes. Code primitif, extrêmement p.1329 sévère. On descendait les querelleurs dans une fosse profonde, où ils restaient jusqu’à ce que la température ambiante les eût bonifiés. Knout jusqu’à l’effet voulu. Amputation du nez, d’un œil, des deux yeux, etc. Aux lâches, on attachait un queue de renard, et on les promenait ainsi dans la tribu. Tous les homme portent un arc et un sabre. Feux allumés sur les hauteurs, pour convoquer en cas de guerre. Cuirasse si complète, qu’elle rendait les hommes invulnérables ; deux trous seulement, pour les deux yeux. Conques et tambours. Quand ils combattaient, un bataillon seul attaquait ; le second ne donnait, que quand le premier avait péri jusqu’au dernier homme ; et ainsi de suite. Serment de fidélité au Gam-po, renouvelé chaque année, avec sacrifice d’un mouton, d’un chien ou d’un singe ; et plus solennellement tous les trois ans, avec sacrifice d’un homme, d’un cheval ou d’un yak. Le sacrificateur coupait les membres de la victime et lui fendait le ventre en criant — Ainsi advienne à quiconque trahira son serment ! A la mort du prince, tous ses ministres se suicidaient pour le suivre dans la tombe. Son cheval était aussi immolé et enterré avec lui. — Les T’òu-fan étaient Buddhistes. Des bonzes étaient conseillers du gouvernement. En outre, ils vénéraient un Mouflon Chênn, et divers Koèi. Ils avaient toute confiance aux magiciens. Toutes les maladies étaient réputées possession ou maléfice. Aussi ne pratiquaient-ils, en fait de médecine, que des incantations et des exorcismes. 258 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Jouer aux échecs, était leur passe-temps favori. Ils célébraient aussi des fêtes bruyantes, en particulier celle du nouvel an. En fait de Rites, ils se prosternaient devant celui qu’ils saluaient, en grattant et glapissant comme font les chiens. Sur la tombe des morts, un tertre et des arbres. Aux environs des T’òu-fan (20) du haut Brahmapoutra, à l’Est dans les hautes vallées du Salouen et du Mékong, les Sou-p’i. — Au sud de l’Himalaya, Ni-p’ouo-louo (21), le Népal. Là on vénère cinq Esprits Célestes, dont les statues en pierre sont lavées avec respect chaque jour, et reçoivent une ration de mouton rôti. — Au nord de l’Himalaya, sur le haut Indus, le Ta Pouo-lu (22), Baltistan, Ladak actuel. Plus bas, le Siao Pouo-lu (23), Gilghit, Tchitral. Puis la vallée du Svat, Ou-tch’ang l’Oudyana, et K’ien-t’ouo (54) le Gandhara, Attock et Peshawer. — Au sud de l’Indus, Keue-cheu-mi (25) le Cachemire. En 635 arrivèrent à Tch’âng-nan des ambassadeurs de Kachgar (k), Tachkourgane (19), Koukyar (j). C’est très probablement avec ces ambassades, que le Nestorianisme s’introduisit en Chine, comme nous dirons plus tard (Culte). Encore en 635, Lì-tsing infligea une correction aux T’òu-kou-hounn, lesquels s’étaient réorganisés durant les premières années des T’âng (p. 1283). La même année, chez les Turcs occidentaux très divisés à cette époque, avènement du khan Tie-li-cheu. En 636, le prince turc Acheuna-chee eull (des Turcs Septentrionaux), lequel lors de la déconfiture de Kîe-li, s’était nord du désert, s’annexa une p.1330 bonne partie maintenu indépendant au du territoire des Turcs Occidentaux. Cela ne dura guère. Ayant réuni cent mille cavaliers, il voulut faire rendre gorge aux Tölös. Mal lui en prit. Ecrasé dès la première bataille, il s’enfuit jusqu’en Chine, et se donna à l’empereur avec tous ses hommes. T’ái- 259 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. tsoung le fit général de sa garde, et lui donna pour épouse une princesse du sang. Acheuna-chee eull se montra reconnaissant, et rendit aux T’âng de loyaux services. Ses hommes furent parqués dans le Nîng-hia-fou actuel (u). En 638, ambassade du roi de Perse Yezdegerd. — Le nom de la Perse, lui vient, dit l’Histoire, du nom de son fondateur, le Scythe à P’ouo-seu-ni, Prasenadjit. Les Persans portent une robe sans pans ni fentes. Ils marchent pieds nus, et coupent leurs cheveux ras. Chez eux la droite est le côté d’honneur. Ils ont des chevaux et des ânes excellents, et des autruches. Ils ont des éléphants de combat. Dans leurs guerres, ils égorgent tous les vaincus. Une caste d’hommes impurs, et qui vivent séparés, sont chargés des funérailles. Ils font dévorer les cadavres par les vautours qui abondent. Les Persans se parfument pour leurs sacrifices. Ils sont Zoroastriens, vénérant comme leur plus grand Chênn, le Chênn du ciel (Ormuzd). Ils vénèrent aussi les Chênn du soleil, de la lune, de l’eau et du feu. Tous les peuples du Tarim et autres, qui vénèrent Ormuzd et le Feu ont tous appris cette religion et ce culte des Perses. — Les Turcs Occidentaux avaient brisé le pouvoir des Sassanides. A Khosrou avait succédé son fils Schiroë, à celui-ci son fils Ardeschir, à celui-ci son neveu Yezdegerd. Sous le règne de ce roi, les Arabes (Ta-cheu, du persan Ta-zi ou Ta-i), envahirent la Perse, et poussèrent jusque dans le Maïmargh (6) au nord de p.1331 l’Oxus. En 638, Yezdegerd réfugié à Merw (m), demanda du secours à l’empereur de la Chine. L’Histoire n’a pas conservé la réponse de ce prince. Il répondit probablement, comme à ceux de Samarkand (p. 1327), que la Perse était trop loin. Selon l’historien arabe Tabari, T’ái-tsoung ayant pris des informations sur les Arabes, aurait exhorté Yezdegerd à se soumettre au plus fort. Celui-ci fut complètement défait par les Arabes, à la bataille de Nehavend, en 642. C’était, dit l’Histoire, un mauvais prince. Les Grands du royaume se soulevèrent contre lui. Tandis qu’il fuyait vers le Tokharestan (13), il fut joint et massacré par un parti de cavaliers arabes. D’après les historiens persans, il aurait été tué à Merw par des cavaliers turcs, auxquels le gouverneur de cette ville le livra. Une troisième version raconte que, ayant quitté la ville, il fut assassiné par le meunier, dans un moulin où il se reposait. 260 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Nous raconterons plus loin (Culte) les légendes mahométanes, qui se rattachent à l’empereur T’ái-tsoung. Notons ici les détails brefs et précis, que l’Histoire donne sur les Arabes, à cette époque. « Le pays des Arabes est à l’ouest de la Perse. Les hommes ont le nez aquilin, le teint basané, la barbe forte ; ils portent tous, dans une ceinture en fil d’argent, un yatagan à poignée d’argent. Les femmes ont le teint blanc ; elles ne sortent que voilées. Les Arabes ne boivent pas de vin, et ne font pas de musique. Cinq fois chaque jour, ils adorent l’Esprit du Ciel. Ils ont des temples si grands, qu’ils peuvent contenir des centaines de personnes. Chaque septième jour (vendredi), leur calife, monté dans une chaire (à la mosquée), tient aux siens le discours suivant : Ceux qui sont tués par les ennemis, renaissent au ciel ; ceux qui auront tué des ennemis, seront comblés de bénédictions. De là p.1332 vient que les Arabes sont des guerriers extrêmement braves... Le sol de leur pays étant si pierreux qu’on ne peut pas le labourer, ils chassent et se nourrissent de viande. Ils recueillent aussi du miel dans les rochers (abeilles sauvages). Leurs cabanes sont en forme de voitures (wagons ?.. plutôt, en forme de bâche de voiture, je pense... tentes). Ils ont des raisins, dont les grains atteignent la grosseur d’un œuf de poule. Ils ont des coursiers hors pair... Voici leur origine. Durant la période Tá-ie (605-616) des Soêi, un Hôu, sujet persan (Mahomet), paissait des troupeaux dans les montagnes près de Médine. Un homme-lion (l’archange Gabriel, d’après le Coran) lui dit : A l’ouest de cette montagne, dans la troisième caverne, il y a un glaive tranchant, et une pierre noire (celle de la Kaaba) avec des lettres blanches ; celui qui obtiendra ces deux objets, règnera. Le Hôu y alla, considéra, et trouva tout comme il lui avait été dit. Les lettres tracées sur la pierre, Lève-toi !... Il se fit donc roi, emporta la pierre noire, et en fit un palladium. Ses compatriotes tentèrent en vain de le réduire ; il les battit tous. Ensuite les Arabes étant devenus très puissants, éteignirent les Sassanides de la Perse, défirent les empereurs de Byzance, 261 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. envahirent le Nord de l’Inde, asservirent Samarkand et Tachkend. Depuis la mer au Sud-Ouest, leur empire finit par s’étendre jusqu’au territoire des Turgäch (W) à l’Est. ... L’Histoire nous reparlera de leurs exploits. Au Sud des monts Hindou-kouch, à cette époque, Pa-ti-yen (B), Badheghis, Hérat, l’ancienne capitale des Ephthalites. — Hou-cheu-kien le Djouzdan, et Joei-mi le Joumathan (28). — Fan-yen (27), Bamyan. — Ki-pinn (26), le Kapiça, Kaboul, communiquant avec Peshawer (24) par la passe Khaïber. — Dans le Sie-hu Zaboulistan, p.1333 Hao-si-na (26) Ghazna, et Tsi- ling (30) Zereng. — Enfin P’ouo-seu (31), la Perse. Les Turcs Occidentaux étaient alors, pratiquement parlant, une confédération plutôt qu’un empire. Leurs dix hordes, dont chacune avait son chef particulier, étaient divisées en deux groupes de cinq, le groupe des cinq Noucheu-pi à l’ouest du lac Issyk-koul (I), et le groupe des cinq Tou-lou à l’est du même lac, sur le versant nord de l’Altaï, dans la vallée de l’I-li. Leur glissade vers l’Ouest, qui les portera, en son temps, sur les trônes d’Ispahan et de Constantinople, s’accentue. En 638, ils chassèrent Tie-li-cheu leur grand khan, qui avait perdu leur confiance. Quelques hordes restées en arrière, dans l’Altaï oriental et dans le Tarim, abandonneront les intérêts de la nation, et finiront par se fondre dans les peuples de ces pays. La confédération des Tölös, occupe les bassins de Kobdo et de l’Orkhon, berceau des Huns des Avars et autres. — En 639, les Turcs Septentrionaux établis par les Chinois à Tch’âng-nan (p. 1323), se rendirent désagréables. On dut couper la tête au propre frère de T’óu-li. Puis, les censeurs continuant de protester contre la présence de ces étrangers au cœur de l’empire, T’ái-tsoung leur donna pour khan Acheuna seumouo, et les envoya habiter dans les Nân-chan, après avoir enjoint à leurs ennemis les Tölös de les laisser en paix, s’ils ne voulaient pas encourir sa colère. @ 262 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Positions géographiques... Dans le bassin de l’I-li, à l’ouest du Jouo-hai lac Issyk-koul (I), entre Ta-louo-seu (T) Talas Aoulie-ata, et Soei-ie (S) Tokmak Soujab, les cinq tribus turques Nou-cheu-pi. — Au nord de l’I-li, les T’ou-k’icheu (W) Turgäch. — A l’est du lac Issyk-koul (I), dans la haute vallée de l’Ili, et débordant encore dans p.1334 la Dzoungarie, jusque vers les lacs Ebi-nor et Ayar-nor, les cinq tribus turques Tou-lou (X). — Puis, le long du versant nord de l’Altaï, vers l’Est, les Turs Tch’ou-mi, les Turcs Tch’ou-ue (G), enfin les Turcs Cha-t’ouo (a), lesquels font bande à part. — Dans les plaines de la Dzoungarie, des Keue-louo-lou (L) Karlouks. — Dans les steppes au nord du lac Balkhach, les Kie-kou (Z) Kirghiz. — Au nord de l’Aral et de la Caspienne, les K’eue-sa (K) Turcs Khazars. — Dans l’Altaï nord-est, Pei-t’ing (G), Bichbalik les Cinq Villes, devient un centre important. — Les Tölös, bientôt Ouïgours, dans les vallées herbeuses de Kobdo et de l’Orkhon (O). Siège de leur gouvernement, près de la Tola (x). — Enfin, colonies de Turcs soumis à la Chine (R, N, v). Or K’iū wenn-t’ai, le roi de Tourfan (c), qui s’était allié aux Chinois en 630, et avait pressé les roitelets du Tarim d’en faire autant (p. 1324), n’avait pas, en ce faisant, des intentions bien pures. Quand les relations qu’il avait moyennées furent bien établies, il se mit à détrousser les ambassadeurs et les marchands, avec la plus parfaite impudeur. L’empereur le cita à comparaître. Bernique ! Allié aux Turcs, il pilla Karachar (c). L’empereur lui fit demander ce que cela voulait dire. Il répondit : — Au vautour l’air, au faisan la brousse, au chat les maisons, au rat les trous, à moi le Tarim !.. Très scandalisé du style de cette réponse, l’empereur le fit bénignement exhorter à s’en repentir, avec nouvelle injonction d’avoir à comparaître. K’iū wenn-t’ai en fut empêché par un accès de cette fameuse febris politica, dont nous avons déjà vu tant de cas mémorables. L’empereur envoya deux généraux, avec une armée, pour le soigner. Cette nouvelle n’affecta d’abord pas trop le prétendu malade. — Le Gobi est vaste, dit-il ; il y p.1335 fait froid en hiver, et chaud en été ; attendons que les T’âng arrivent... 263 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les T’âng arrivèrent. Cette fois K’iū wenn-t’ai tomba sérieusement malade, si sérieusement qu’il en mourut. Son fils Tchēu-cheng se rendit à discrétion. L’empereur annexa Tourfan, qui, sous le nom de Sī-tcheou, devint le centre administratif chinois du Tarim... Ainsi, en l’an 640, l’empire des T’âng eut pour limites, à l’Est la mer, à l’Ouest Karachar (e), au Sud la Cochinchine, au Nord le Gobi. Il mesurait 9510 lì de l’Est à l’Ouest, et 10918 lì du Sud au Nord... Au troisième mois, une ambassade des Liôu-koei (Démons errants, Esquimaux quelconques) arriva à Tch’âng-nan. Ils racontèrent que leur pays était à 15000 lì de la capitale, sur les bords de l’Océan glacial arctique. Positions géographiques, pourtour du Tarim, du Nord-Est au Sud-Ouest... I-ou ou Ha-mi (b) Kha-mi. — Kao-tch’ang (c), le pays de Tourfan. — Ya-eullhou (d), Yarkhoto. — Yen-k’i (e), Karachar. Koei-tzeu (f), Koutcha. Puis Kiup’i-louo Saïram, Pai Baï, Kou-mei Yaka-arik. — Wenn-sou (g), Aksou ; et Outch (o), passe Bedel. — Chou-lei (k), Kachgar. Souo-kiu (y), Yarkend. — Tchao-keou-kia (h), Kargalik. — Tchou-kiu-p’ouo (i), Kou-kyar. — U-tien (m), Kotan. — K’eue-li-ya (n), Keria. — Près du Lob-nor (p), les restes des ChanChan. — Près du Koukou-nor (q), les restes des T’ou-kou-hounn. — Le Tangout (t). En 641, le roi du Tibet (20) demanda la main d’une princesse chinoise. L’empereur lui accorda la princesse Wênn-tch’eng. Le Gam-po fut très content. Il se prit de goût pour les mœurs et usages chinois. Il bâtit, pour sa p.1336 princesse, un château avec palais et temple, à la mode de la Chine. La princesse ayant trouvé mauvais que les Tibétains ne se lavassent jamais et eussent le visage peint en rouge, le Gam-po fit laver ses sujets et interdit cette peinture. Il leur fit aussi donner des leçons de politesse. Il envoya ses fils et frères à l’école impériale de Tch’âng-nan, pour y étudier les Odes et les Annales. @ 264 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Encore en 641, les Tölös (O) ayant appris que l’empereur allait se rendre au Chān-tong pour y sacrifier sur le T’ai-chan (voyez Culte), leur khan se dit que l’occasion était belle, pour se débarrasser des Turcs Septentrionaux, que l’empereur avait établis dans les Nân-chan (v. p. 1330). Il chargea de cette besogne son fils Ta-tou-chee, auquel il confia 200 mille cavaliers. Les Turcs se retirèrent à l’intérieur de la muraille, qui protégeait dès lors le Nîng-hia-fou (u) actuel, et firent savoir à la capitale ce qui se passait. L’empereur ordonna à Lì cheu-tsi de marcher contre les envahisseurs. Soit peur des Tölös, soit haine des Turcs, Lì cheu-tsi refusa ; les autres généraux firent de même ; l’empereur dut parlementer avec eux. — Les Tölös étant venus de très loin, leur dit-il, ils sont fatigués, hommes et bêtes, et ne pourront ni avancer ni reculer vite ; leurs provisions doivent être épuisées, et j’ai déjà donné ordre d’incendier les herbes ; ils ne pourront, ni se ravitailler, ni nourrir leurs chevaux ; attendez qu’ils soient à bout de ressources, puis tombez dessus avec les Turcs... Quand les bons généraux chinois furent persuadés qu’il n’y avait que peu de danger à courir, ils redevinrent très braves. De fait, l’empereur avait calculé juste. Dans un combat facile contre un ennemi harassé, Lì cheu-tsi tua trois mille Tölös, et en prit cinquante mille. Ta-tou-chee échappa, avec le reste de son monde. Mais, durant sa p.1337 retraite à travers le désert, plus terrible que les Chinois, la neige lui en fit périr plus des huit dixièmes. En 643, arrivée à Tch’âng-nan d’un ambassadeur de P’ouo-touo-li roi de Fôu-linn (Constantinople, p. 1256). Il offrit du verre rouge et de la poudre d’or. On lui donna un récépissé... Or l’empereur qui régnait alors à Constantinople, était Constant II, un enfant de 14 ans. Qu’est-ce que ce P’ouo-touo-li (prononciation méridionale Poto-lik, prononciation ancienne Bat-da-lik) ? On a voulu reconnaître, sous ce nom, Théodore le pape d’alors (peu probable) ; un préfet du prétoire ou patrice Pierre (plus probable) ; enfin un patriarche Bathrik nestorien, ou son envoyé qui se serait fait passer pour ambassadeur, pour entrer comme O-lo-pen (très probable). Nous avons vu jadis l’histoire d’un ambassadeur douteux, probablement faux (p. 755). La 265 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pauvreté des offrandes de celui-ci, et le dédaigneux récépissé qu’il reçut, au lieu d’un présent impérial, donnent à penser que c’était bien un faux ambassadeur, et que les Chinois ne s’y trompèrent pas. En 643, le général chinois Koūo hiao-k’iao prend Karachar (e), dont le roi T’ou-k’i-tcheu est fait prisonnier. Le Coréen Kāi sou-wenn ayant assassiné son roi, l’empereur T’ái-tsoung déclara qu’il irait en personne tirer vengeance de ce meurtre. — Il entra en campagne au premier mois de l’an 645. Avant de partir, il remit la régence au prince impérial. Comme celui-ci pleurait, l’empereur lui dit, pour le consoler : — Gouverner n’est pas si difficile. Attire les bons, écarte les méchants ; récompense le mérite, punis le démérite ; sois juste pour tous, n’aie pas de favoris, et tout ira bien.. A quoi bon pleurnicher ?.. Quand l’armée se mit en marche à Tíng-tcheou p.1338 (Tchéng-ting-fou), l’empereur tout armé boucla lui-même derrière sa selle son manteau contre la pluie. L’armée ayant passé le fleuve Leâo, arriva à Huân-t’ou. Les Coréens se renfermèrent dans leurs villes murées, et s’y préparèrent à la résistance. Après un combat heureux, Tchāng-kien qui commandait un corps d’auxiliaires barbares, prit Kién-nan. Lì cheu-tsi prit Kāi-mou. Tchāng-leang ayant atterri avec la flotte chinoise, attaqua Pī-cha. Cette ville était inabordable de trois côtés. L’officier Tch’êng ming-tchenn l’aborda par le quatrième, durant la nuit. Le soldat Wâng ta-tou escalada le premier le rempart. La ville fut prise, et ses huit mille habitants furent réduits en esclavage.. Alors Lì cheu-tsi aborda la grande ville de Leâo-yang. Une armée de 40 mille Coréens, accourue pour la secourir, fut mise en déroute par le prince Lì tao-tsoung, avec quatre mille cavaliers seulement. Quand l’empereur arriva, ses troupes travaillaient à combler les fossés de la place. Lui-même se mit à les aider, et tous ses officiers portèrent des paniers de terre. La ville était investie depuis douze jours. L’élite des troupes impériales donna un assaut général. La pyrotechnie 266 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. chinoise, lances à feu ou traits incendiaires, épouvanta les Coréens. La ville fut prise. Dix mille guerriers furent tués, dix mille furent faits prisonniers, et 40 mille habitants furent réduits en esclavage. De là, l’armée impériale alla assiéger Pâi-yen. Le prince turc Acheuna seumouo ayant été blessé par un trait d’arbalète, l’empereur suça lui-même sa blessure, ce qui enthousiasma les troupes. Le prince ouïgour Heûe-li ayant été renversé d’un coup de hallebarde dans les reins, Sūe wan-pi fonça seul dans la mêlée, le saisit à bras le corps, et l’emporta en lieu sûr. Furieux, Heûe-li fit panser sommairement sa blessure, et retourna au combat. Les Coréens furent enfoncés. p.1339 La ville demanda à capituler, puis se dédit. L’empereur trouva cette inconstance mauvaise, et promit aux soldats que, quand la ville serait prise, tout serait à eux, personnes et choses. Serré de près, la ville redemanda à capituler. L’empereur s’apitoya sur son sort. Lì cheu-tsi s’avança et lui dit : — Si vos soldats ont bravé la mort, et sont arrivés à réduire la ville aux abois, c’est à cause de la promesse que vous leur avez faite. N’allez pas vous dédire maintenant, car vos soldats vous en voudraient... L’empereur descendit de cheval, salua et dit : — Vous avez raison. Mais je ne puis pas me résoudre à voir massacrer ces hommes, à laisser réduire leurs femmes et leurs enfants en esclavage. Je vous promets de récompenser libéralement à mes frais, tous ceux de vos soldats qui l’auront mérité... Lì cheu-tsi se retira. La ville capitula... Depuis que l’Ouïgour Heûe-li avait été blessé, l’empereur avait chaque jour pansé sa plaie lui-même. Quand Pâi-yen eut capitulé, le Coréen qui l’avait frappé ayant été découvert, l’empereur le lui livra, pour qu’il eût la consolation de le tuer de sa propre main.. Heûe-li montra, en cette conjoncture, qu’il n’était pas Chinois. — Comment, dit-il, je tuerais cet homme brave et dévoué, qui s’est jeté, pour son prince, au milieu des ennemis ?!. et il lui donna la liberté. 267 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. De Pâi-yen, l’armée impériale marcha vers Nān-cheu. Toutes ces forteresses étaient situées dans la presqu’île du Leâo-tong. Après la défaite d’une armée accourue au secours de la place, les Chinois investirent Nāncheu. Six ou sept assauts quotidiens, de jour et de nuit. Les béliers battaient les remparts, les catapultes bombardaient les créneaux et les tours. Mais toutes les brèches étaient immédiatement fermées par des palissades en bois tenues toutes prêtes. Enfin des machines montées sur un tertre, dont la construction avait coûté 500 mille journées de terrassier, firent tomber, en s’abattant sur lui, une p.1340 partie du rempart. Mais aussitôt, chargeant en colonne à travers la brèche, les Coréens enlevèrent le tertre et s’y retranchèrent. Les Chinois les attaquèrent durant trois jours, sans parvenir à les en déloger... Considérant que le Leâo-tong est un pays sec et froid où l’herbe et l’eau manquent en hiver, considérant aussi que son armée et ses provisions étaient épuisées, l’empereur T’ái-tsoung donna ordre de lever le siège de Nān-cheu, et de commencer la retraite. Du haut de son rempart, le commandant coréen lui cria — Bon voyage !.. — Donnez cent pièces de taffetas à ce brave officier, dit l’empereur, afin d’encourager les sujets à bien servir leurs princes... La retraite fut désastreuse. La bise et la neige firent périr nombre de Chinois. Les résultats de la campagne furent, la ruine de dix villes coréennes, la mort de 40 mille Coréens, la réduction en esclavage de 70 mille autres que l’armée chinoise ramena à sa suite. Les Chinois avaient perdu trois mille guerriers, et presque tous leurs chevaux... L’empereur fut désolé de ce fiasco. Arrivé à Yîng-tcheou, il fit des offrandes et des libations aux officiers et soldats morts victimes de cette expédition. L’historien gouaille : « Eh quoi, au commencement de son règne, T’ái-tsoung fit ensevelir pieusement les os des soldats chinois qui blanchissaient dans les plaines du Leâo-tong depuis le désastre de l’empereur Yâng des Soêi (p. 1287), et voilà que, sur le tard, lui-même ressema les mêmes plaines de nouveaux ossements. Après avoir fait mourir les corps de ces hommes, il fit des libations à leurs 268 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. mânes, et crut sans doute que, cela fait, tout était pour le mieux. C’est risible ! Quand l’armée impériale fut rentrée en Chine, il restait 14 mille des 70 mille prisonniers coréens ; les autres étaient morts ou évadés. Les soldats allaient se les partager. T’ái-tsoung s’émut de voir, séparer les parents des enfants, les époux des captifs, et leur donna p.1341 la épouses. Il acheta de ses deniers tous les liberté. Ces pauvres gens lui furent très reconnaissants, dit l’Histoire. Puis l’empereur rentra à la capitale (646), déconfit, mais non converti. C’est chose curieuse, que la rage avec laquelle les empereurs chinois qui s’attaquèrent à la Corée, mordirent à leur entreprise. Presque tous s’y brisèrent les dents. T’ái-tsoung donna ordre aux provinces du midi, de construire des jonques de guerre, en vue d’une nouvelle expédition contre les Coréens. En 645, le khan Tchēnn-tchou des Tölös étant mort, son fils Toūo-mi lui succéda. Celui-ci demanda à l’empereur une princesse chinoise, qui lui fut accordée, en échange des villes de Koutcha, Kachgar, Tach-kourgane et Koukyar (p. 1335). La cession de ces territoires, dut coûter peu aux Tölös, car ils étaient indépendants. Ils cédèrent plutôt, ce semble, leurs droits ou prétentions sur ces villes. Quoi qu’il en soit, la lune de miel fut courte. Toūomi, qui était de la horde Syr-tardouch, s’étant montré brouillon et cruel, la horde des Ouïgours se souleva contre lui. Il les battit. L’empereur envoya une armée au secours des Ouïgours. Les Syr-tardouch furent battus, et Toūo-mi fut massacré. Désormais les Ouïgours (Togouz-Ogouz) primèrent dans la confédération des Tölös, et devinrent rapidement une grande puissance. En finauds qu’ils étaient, ils demandèrent en 647 à T’ái-tsoung de vouloir bien les éduquer. Très flatté, celui-ci leur ébaucha un simulacre d’organisation et de civilisation chinoise. En réalité, dit l’Histoire, les Tölös restèrent ce qu’ils étaient et furent gouvernés par T’ou-mi-tou, le chef des Ouïgours. 269 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 648, première apparition, à Tch’âng-nan, d’ambassadeurs de la race des Kirghiz (Z). Les Turcs molestaient ce p.1342 peuple, ce qui lui fit tourner les yeux vers la Chine. Provisoirement, on leur donna de bonnes paroles... Les Kirghiz sont de grande taille, dit le texte ; ils ont la barbe et les cheveux roux, et l’iris des yeux vert. Encore en 648 ; exploits de Wâng huan-tch’ai dans l’Inde. Ce pays était alors divisé en cinq puissances principales. L’Inde centrale (Magadha), était la plus puissante ; les autres lui obéissaient. T’ái-tsoung envoya Wâng huantch’ai, comme ambassadeur, à Harsha Siladitya roi de Magadha. Ce roi étant venu à mourir, le ministre A-louo na-chounn usurpa son trône, et tenta de faire un mauvais parti à l’envoyé chinois. Celui-ci ne perdit pas la carte. Il se sauva chez les Tibétains, dont nous savons la sympathie pour la Chine, à cette époque. Ces bonnes gens montrèrent qu’ils avaient profité de l’étude des Odes et des Annales. Eux (20) et les Népalais (21) fournirent à Wâng huan-tch’ai une armée, avec laquelle ce hardi aventurier surprit Magadha (z, Patna dans le Bahar), la réduisit en deux jours, captura l’usurpateur et le ramena triomphalement jusqu’en Chine. Cependant les roitelets de Karachar et de Koutcha n’étant pas sages, l’empereur envoya le prince turc Acheuna-chee eull (p. 1330), pour les mettre à la raison. Celui-ci surprit Karachar (e), par une marche tournante. Le roitelet tenta de fuir vers Koutcha (f). Il fut pris en route et décapité... Puis Acheuna chee eull ayant battu Pou-cheu-pi le roi de Koutcha, et son ministre Na-li, prit Koutcha qu’il confia au général Koūo hiao-k’iao, puis alla assiéger Yaka-arik (entre f et g) où Pou-cheu-pi s’était réfugié, l’enleva et prit le roi. Derrière son dos, Na-li surprit et tua Koūo hiao-k’iao. Le général de cavalerie Ts’âo ki-chou lui rendit la pareille. Acheuna chee eull prit cinq villes p.1343 considérables, et reçut la soumission de 70 villes moindres, c’est-à-dire qu’il rétablit le vasselage du Tarim, moitié par la force, moitié par la ruse, de more. Comme tant d’autres avant lui, il fit graver ses exploits sur une stèle, et revint. Dans ces pays où il ne pleut guère, et où toute pierre gravée est considérée comme chênn, ces inscriptions chinoises se sont conservées, à la 270 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. grande joie des épigraphistes. Il en fut tout autrement des choses qu’elles racontent, lesquelles ne durèrent généralement que jusqu’à la saison prochaine. @ Culte. Sectes. Buddhisme. — En 631, par édit impérial, les Buddhistes reçurent ordre d’avoir à se prosterner devant leurs parents, comme c’est la règle en Chine (cf. p. 1335). Les Commentateurs se moquent de l’empereur T’ái-tsoung. « Il commença, disent-ils, par poursuivre sévèrement les Buddhistes (p. 1314), puis il se radoucit jusqu’à traiter avec eux sur des questions rituelles. Il imposa la prostration, à ceux qui refusaient le deuil. C’est un rabais. Ces Buddhistes qui se prosternent devant leurs bonzes, et qui refusent de le faire devant leurs parents, ce sont vraiment les Etres dépourvus de Rites, dont Confucius a parlé. Le terrible Fóu-i vivait encore. C’est lui qui fut le promoteur de toutes les hostilités de T’ái-tsoung contre les Buddhistes (p. 1312). Fóu-i ne croyait à rien. Il avait tant étudié, dit le Texte, les écrits sur la cabale et les traités sur les nombres, qu’il aboutit au scepticisme universel et parfait. Si bien que, étant tombé malade, il refusa de voir aucun médecin et de prendre aucun remède. Or il y avait alors à la capitale un bonze venu du Tarim, qui possédait l’art d’occire les gens par une première incantation, et de les ressusciter par p.1344 une seconde formule. L’empereur lui ayant fait faire en sa présence l’expérience de son talent, fut si émerveillé, qu’il proposa à Fóu-i de lui faire rendre la santé par cet artiste... — Cet homme est un magicien, dit l’Annaliste. Or le mal ne tient pas en présence du bien. Qu’il vienne ! il n’aura pas prise sur moi... L’empereur ordonna au bonze d’opérer. Fóu-i n’éprouva aucun effet, et le bonze tomba mort. Les Lettrés, lesquels ont probablement inventé cette histoire de toutes pièces, s’édifient à fond quand ils la racontent... Une autre fois, on apprit à Fóu-i qu’un bonze exhibait une dent du Buddha, laquelle 271 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. brisait tous les objets qu’elle touchait. Tout Tch’âng-nan courait admirer la merveille. Fóu-i dit à son fils : — Ce doit être un morceau de kīnn-kang, corps plus dur que tous les autres, mais que la corne d’antilope réduit en poussière ; va faire l’expérience !.. Le fils y alla, la prétendue dent du Buddha se brisa, le scandale cessa, et les Lettrés admirent. Fóu-i mourut à 85 ans, impénitent. Quand il se sentit défaillir, dans un effort suprême, il adjura son fils de ne jamais lire aucun livre buddhique, et expira. Sous le règne de l’empereur T’ái-tsoung, de 629 à 645, le bonze chinois Huân-tsang fit un pèlerinage dans l’Inde (cf. p. 1047). Sa relation, document géographique célèbre, existe encore. Il passa par Nân-chan (v), visita à Tourfan (c) le roi K’iu wenn-t’ai, dévot Buddhiste, que nous connaissons (p. 1334), reçut de lui des lettres de recommandation pour le khan des Turcs Occidentaux dont le fils avait épousé sa fille, alla de Tourfan, par Karachar Koutcha Aksou Outch, à Tokmak (S). Là il rencontra le khan qui chassait. « Il portait un manteau de soie verte. Sa chevelure était ceinte d’une bande de soie, retombant par derrière. Il était entouré de 200 officiers, vêtus de brocart, et montés sur des chevaux caparaçonnés. Les chasseurs étaient montés sur des chameaux ou sur des chevaux, vêtus de fourrures et de fines laines, armés de lances et d’arcs. Le khan donna au pèlerin un guide, pour le conduire, à travers ses domaines, Talas, Kesch, les Portes de fer, Koundouz, Balkh, jusqu’au Kapiça T, 7, 13, 26). Puis le roi de ce pays le fit passer, par le col Khaïber, dans l’éden buddhique Gandhara-Oudyana (24). A son retour, après 17 années de voyages et d’études, Huân-tsang rapporta 657 ouvrages buddhiques, et quantité de reliques... Le roman Si-you-ki a fait de l’empereur T’ái-tsoung le pieux promoteur de ce voyage. Pure fiction. Voyez HCO pages 731, et 733 à 739. @ Taoïsme. — Il n’en est pas parlé explicitement, sous le règne de T’áitsoung, mais ce qui suit s’y rattache... L’empereur ayant remarqué que les traités divinatoires, basés sur les deux principes, en usage de son temps, 272 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. étaient pleins d’erreurs, il ordonna à Lù-ts’ai d’en faire une édition revue et corrigée. Lù-ts’ai orna chaque section de son œuvre, d’une préface de sa façon. S’appuyant sur le sens commun et l’expérience, il attaqua vigoureusement plusieurs formes de superstition. 1° la croyance à la prédestination à la fortune ou à l’infortune, de certains noms ou p.1345 clans ; on trouve, dit-il, des Tchāng, des Wâng, dans toutes les positions et situations ; donc leur nom n’y est pour rien. 2° la croyance au destin identique, de tous ceux qui sont nés sous les mêmes signes célestes. Les quatre cent mille hommes que Pâi-k’i massacra à Tch’âng-p’ing (p. 182), étaient-ils tous nés sous le même signe ? Certainement non. 3° la croyance à l’influx de la sépulture des Ancêtres, sur le destin de leur famille. Ses paroles, sur ce dernier sujet, sont remarquables. « Si les Anciens consultaient la tortue et l’achillée, avant les funérailles, c’était uniquement pour se garantir des obstacles ou accidents inopinés. Maintenant on recourt à la divination, pour déterminer l’époque des funérailles, pour découvrir un terrain faste, en vue d’obtenir longue vie aux descendants. Les Anciens ne faisaient pas ainsi. Le rituel officiel déterminait avec précision l’année et le mois des funérailles de l’empereur, des feudataires, des officiers ; donc ils ne recouraient pas à la divination pour cela. L’enterrement du duc Ting de Lòu fut remis à un autre jour, à cause d’une pluie ; donc ils ne voyaient rien d’absolu dans le jour. Ils enterraient uniformément tous les morts au nord des villes, donc ils ne voyaient rien de fatidique dans le terrain. Et maintenant, à cause des vains propos d’un devin, on choisit le terrain, on détermine le temps, dans l’espoir que ces précautions rapporteront à la famille des richesses et des honneurs. Jamais il n’y eut chose plus contraire aux traditions et aux rites, que cette chose-là. 273 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Fōng-chán. — En 632, les officiers demandèrent à l’empereur de faire, sur le T’ái-chan, les cérémonies fōng-chán (p. 211, 442, 461, 680). L’empereur répondit : — Vous pensez qu’il faut faire cette cérémonie, pour rendre l’empire prospère. Moi je pense que, la prospérité étant rétablie par une bonne p.1346 administration, on pourra se passer de cette cérémonie. Le Premier Empereur des Ts’înn (p. 211) l’a faite. L’empereur Wênn des Hán (p. 352) ne l’a pas faite. La postérité at-elle pour cela blâmé ce dernier, et loué le premier ? Est-il besoin d’escalader le mont T’ái-chan, d’élever un tertre et d’aplanir une aire, pour sacrifier au Ciel et à la Terre, et pour leur prouver sa vénération ? En 633, les officiers revinrent à la charge. — Je souffre d’un asthme, qui m’empêche de gravir les montagnes, dit l’empereur... Les choses en restèrent là, provisoirement. Commentaire : « Dans l’antiquité, dit maître Fán, chaque fois que le Fils du Ciel faisait sa tournée d’empire, quand il était arrivé au mont sacré de chaque région (p. 62), il allumait un bûcher pour annoncer au Ciel sa venue, sacrifiait, et saluait les Monts et les Fleuves de la région, adorant le Ciel et propitiant les Chênn. Dans les siècles postérieurs, le vrai sens de ce rit fut oublié. Des Lettrés, vils flatteurs, en firent un droit régalien, une cérémonie par laquelle l’empereur (au lieu de remercier et d’implorer), conférait des titres au Ciel et à la Terre (p. 442). Il est certain que cette théorie fut inventée sous le Premier Empereur des Ts’înn, et qu’on n’en trouve aucun vestige dans l’antiquité. « Le sacrifice au Ciel, dit l’antique répertoire Eùll-ya (sous la dynastie Tcheōu), consiste à allumer un bûcher. Car le ciel est si haut, que les hommes ne peuvent y atteindre. On allume donc un bûcher, dont la fumée s’élève jusqu’au ciel (et y porte les hommages des hommes). « Pour sacrifier au Ciel, dit Mà-joung (premier siècle de l’ère chrétienne), on élevait un bûcher, on y couchait une victime, puis on brûlait le tout. L’empereur annonçait au Ciel son avènement, par cette cérémonie. 274 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Encore une fois, ceux qui inventèrent la cérémonie fōng-chán, et qui poussèrent par la suite les princes à la faire, étaient de vils adulateurs, qui ne cherchaient qu’à complaire à leur maître. La grandeur altérant toujours, à la longue, la molle cervelle des hommes, T’ái-tsoung finit pourtant par y venir. En 637, il permit au conseil des ministres, de délibérer sur les cérémonies fōng-chán. En 640, les officiers ayant renouvelé leurs instances, il promit de faire la chose. Mais la théorie étant que, pour avoir la face, l’empereur ne pouvait se présenter devant le Ciel, que dans un moment où son empire était parfaitement en ordre, divers troubles et malheurs firent ajourner de fois en fois l’exécution de cette promesse. Fixée d’abord au 2e mois de l’an 642, elle fut remise à cause d’une comète, qui parut en 641 dans les p.1347 constellations polaires. Refixée au printemps de l’an 648, elle fut encore remise, à cause d’une inondation. L’empereur T’ái-tsoung mourut en 649, sans avoir vu le T’ái-chan. @ Zoroastrisme. — L’empereur T’ái-tsoung le connut et le favorisa... « A Tch’âng-nan, dit le Texte, à l’angle sud-ouest de la Trésorerie, se trouve le temple de Hiēn, construit en l’an 621. Hiēn est le Génie du ciel des Hôu du Tarim (cf. p. 1330). Dans ce temple, les sacrifices au Génie Hiēn sont gouvernés par un membre du collège officiel des Sapao (en syriaque Sâbâ, Anciens, Prêtres), qui y est attaché. On l’appelle vulgairement l’Invocateur des Hôu. — Pour ce qui est de Hiēn Génie du Feu, il y eut jadis, en Perse, un certain Sou-lou-tcheu (Zarathustra, Zoroastre), lequel mit en vogue son culte. Ses disciples l’importèrent en Chine. En 631, un disciple de Zoroastre, le Mage Heûe-lou, se présenta à la cour, et y parla en faveur du culte du Génie Hiēn. Un édit impérial ordonna la construction, à la capitale, d’un temple chaldéen. La facilité avec laquelle cette concession fut accordée, et l’absence d’aucune note, s’expliquent par le fait que ce culte n’était pas nouveau en Chine. Il y était même officiellement reconnu, et avait déjà ses temples. Dès 275 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. le début du sixième siècle, raconte l’histoire des T’oūo-pa de Wéi (chap. 13, fol. 12, col. 11), il y avait à Láo-yang un temple du Génie du ciel des Hôu. Quant, à l’apogée de sa dévotion pour le Buddhisme, la reine Lîng de Wéi, c’est-à-dire la fameuse reine Hôu (p. 1185 seq.), veuve de T’oūo-pa k’iao (500-515), proscrivit en masse (probablement en 516) tous les cultes non autorisés, le Génie du ciel des Hôu ne fut pas compris dans cette exécution... Les Zoroastriens de la Chine, étaient gouvernés officiellement par le collège de leurs Sa-pao, et par le fonctionnaire impérial Hiēn-tcheng... D’ailleurs, vu les relations suivies de la Chine avec la Perse, il serait étonnant que les Chinois n’eussent pas connu le culte persan. Les historiens chinois ont noté une ambassade persane, dès 461, sous Firouz I. Deux ambassades, l’une en 518, l’autre en 528, sous le règne de Kobad (491 à 531), époque où le mage Mazdek inventa sa secte et fit tant de bruit. Ambassades sous Khosrou I (531 à 578). Ambassades sous l’empereur Yâng-ti des Soêi (605-616), Khosrou II Parwiz régnant sur la Perse. Le harem impérial chinois, se fardait alors avec des cosmétiques persans. L’époque de Zoroastre (Zarathustra, Zaradoust, Souloutcheu) est douteuse. La ville de Balkh fut le centre du Zoroastrisme, dont les préceptes sont contenus dans des poèmes (Naskas) écrits dans une langue morte (le Zend). Voici les grandes lignes du système : Au-dessous d’un principe suprême abstrait, éternité, durée sans limites (Zerwane-Akerene, d’où Kronos, probablement), deux principes subalternes personnifiés luttent et se disputent le monde : Spandomainyus p.1348 le Producteur, appelé aussi Ahuramazda le Maître omniscient (Ormuzd, (Oromaze) dieu du bien et de la lumière, et Angromainyus le Destructeur (Ahriman, Arimane) dieu du mal et des ténèbres. Ormuzd fut le premier, dit la secte ancienne des Zerwanites. Se voyant seul, il se dit : Si je n’ai rien à vaincre, quelle gloire y aura-t-il pour moi ? Cette pensée produisit Ahriman. Ormuzd et Ahriman commandent aux anges (amschaspands, izeds) et aux démons (darvands, dews). La lutte des deux principes se terminera un jour, par la défaite définitive d’Ahriman par Ormuzd, du mal par le bien. Dans le Zoroastrisme (appelé aussi Mazdéisme, culte d’Ahura-mazda), le feu était entretenu et vénéré comme le symbole d’Ormuzd... Chez les Mèdes et les Perses, les Mages (Magh ou Meikousch des 276 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Arabes, en chinois Mouhou ; Maghpat, Moghbed, chef de Mogh, en chinois Mouhoupa) prêtres du Zoroastrisme, devinrent une corporation extrêmement puissante. Ils reconnaissaient un Etre Souverain Bon, Ormuzd, dont le feu était le symbole, et qu’ils adoraient sous le ciel, en plein air, sans temples ni autels, disant qu’on diminuait Celui qui remplit tout par sa présence et sa bienfaisance, en l’enfermant entre des murailles. Ils croyaient à l’immortalité de l’âme. Après avoir quitté la terre, les âmes faisaient, d’après eux, un stage successif (purification, éthérisation) dans les sept planètes, pour aboutir enfin au soleil, le séjour définitif des bons. Comme contre-partie, un monde des ténèbres, pour les méchants. Les sciences occultes, très cultivées par les Mages, en vue de conjurer Ahriman et ses suppôts, ont été appelées, de leur nom, magie... De nos jours, cette forme primitive du Zoroastrisme, le Mazdéisme, est encore conservée et pratiquée par les Guèbres (appellatif mahométan, Ghebr, les mécréants) surtout dans le Farsistan (d’où les appellatifs Parsis, Parsisme), dans quelques villes de l’Asie Centrale et de l’Inde, en particulier à Bombay. Doux, tranquilles, hospitaliers, bienfaisants, ayant grand soin de leurs familles, les Parsis conservent précieusement les écrits de Zoroastre avec les additions qui y ont été faites (Zend-Avesta), et vénèrent le feu. Au milieu d’un édicule carré (atesch-gah), une pierre supporte un réchaud de bronze (atesch-dan), dans lequel brûle un feu, alimenté par du bois et des parfums. Ceux qui l’entretiennent, n’en approchent que la bouche couverte d’un bandeau, et les mains enveloppées de linges. Si le feu vient à s’éteindre, on le rallume en frottant deux bois ou en battant le briquet, ou en concentrant les rayons du soleil au moyen d’un miroir concave ou d’une lentille. Le feu du temple de Damaun près de Bombay, brûle, dit-on, depuis 1200 ans. Il fut apporté de la Perse, quand les persécutions des musulmans contraignirent les Parsis d’émigrer, et de chercher un refuge dans l’Inde. Les Parsis saluent et prient le soleil, à son lever et à son coucher. Leur cuisine est un lieu sacré, à cause du feu de l’âtre. Ils ne fument pas, pour ne pas profaner le feu. Ils vénèrent aussi, à proportion, la lune, les étoiles ; et de plus, l’océan (dans lequel ils jettent du sucre), les monts, les fleuves, toutes les forces de la nature. Les cadavres des morts sont exposés nus à l’action des agents naturels, chaleur, pluie, vautours ; les ossements qui restent, sont jetés dans un puits commun. 277 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Voici un échantillon du Zend-Avesta : Les hommes seront jugés, selon le bien et le mal qu’ils auront fait. Leurs actions seront pesées. Ceux chez qui le mérite l’emportera sur le démérite, habiteront la lumière ; ceux dont les démérites l’emporteront sur les mérites, iront dans les ténèbres. Quand tu douteras si une chose est bonne ou mauvaise, ne la fais pas. Quoi qu’il t’arrive, bénis Ormuzd. Honore ton père et ta mère. Fais l’aumône. Ne mens jamais, même quand le mensonge te serait profitable. Ne cherche à séduire la femme de personne. Marie-toi dès ta jeunesse, car ce monde n’est qu’un passage ; afin que ton fils te succède, et que la chaîne p.1349 des êtres ne soit pas interrompue. Que ta main, ta langue et ta pensée, soient pures. Jour et nuit, pense à faire le bien, car la vie est courte. Dans le malheur, offre à Ormuzd ta patience ; dans le bonheur, remercie-le. @ Le Nestorianisme. — Le Christianisme fut-il prêché en Chine avant le septième siècle ? Je ne pense pas qu’aucun document actuellement connu le prouve. La statue de Canton ne représente, ni Saint Paul, ni Saint Thomas, mais le prince-moine indien (p’ouo-louo-menn) Bodhidharma (Ta-mouo), qui débarqua à Canton en 520, et importa le Védantisme en Chine. Voyez HCO, L. 62, page 523. voici les passages de l’inscription de Canton, qui établissent le fait : « Les annales de la pagode Ta-hi-seu rapportent que, durant la période P’òu-t’oung (520-526), Bodhidharma y arriva par mer, venant de l’Inde méridionale, avec son frère plus jeune que lui. Le jeune frère ayant trouvé la pagode à son goût, s’y fixa. On lui bâtit une cellule. Bodhidharma continua son voyage... Durant la période Yuân-fong (1078-1085), pour remercier d’une faveur reçue du Chênn, le préfet de Canton fit faire (ou orner) cette statue. Le texte ne dit pas si la statue représente Bodhidharma, ou le frère cadet de ce dernier. Deuxièmement, pour ce qui est de certains textes liturgiques ou canoniques des 4, 5, 6e siècles, qui font allusion à la juridiction de certains patriarches ou évêques orientaux sur le pays des Sères, sur Sina la Chine (par exemple, Ebedjesus Sobiensis in Epitome Canonum... Heriae, et 278 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Samarkandæ et Sinæ, metropolitanos creavit Catholicos Saliba-Zacha), ils s’expliquent d’une manière bien simple. Ces personnages avaient juridiction in potentia, c’est-à-dire avaient juridiction pour le jour où ils auraient mis le pied dans le pays. Restait à l’y mettre. On ne voit pas qu’ils l’aient fait. Troisièmement, le mot Serica, employé dans ces textes, signifie vaguement le pays d’où vient la soie, et non pas précisément la Chine. Dans la géographie ptoléméenne, alors en usage, Serica c’est le fond du Tarim, Issedon serica c’est Kotan. C’est ainsi que s’explique le texte du 4e siècle, de St Ambroise ou d’un contemporain (de moribus Brachmanorurn, ad calcem operum Sti Ambrosii, Migne, patrologiæ latinæ tom. 17 col. 1131) : Musæus frater noster Dolenorum episcopus mihi retulit, quod ipse aliquot ante annos ad Indias, Brachmanos (les bonzes du Gandhara-Oudyana) visendi studio profecturus, Sericam fere universam regionem peragravit... Ce qui suit, prouve que Musæus n’a jamais vu la Chine : In qua refert arbores esse, quæ non solum folia, sed lanam quoque proferunt tenuissimam, ex qua vestimenta conficiuntur quæ serica nuncupantur (cf. Pline, p. 756)... Ce qui suit, prouve que Musæus passa par la Sogdiane : Et ibi insignem quamdam conspici lapideam columnam Alexandri nomine hoc titulo sculptam « Ego Alexander huc perveni » ; car c’est en Sogdiane, près de Och, que se termina le raid d’Alexandre dit le Grand... Enfin : Et quod plurimis populorum nationibus regionibusque perlustratis, in Arianam tandem devenit provinciam prope Indum amnem... Il paraît très clair, que l’évèque Musæus, ayant passé par la Sogdiane à Kachgar, de là à Yarkend, de là à Kotan, finit par passer de Kotan à Peshawer, par la route classique des caravanes. Ayant trouvé l’Inde trop chaude, il revint en Europe dare dare, sans avoir étudié les mœurs des Brachmanes, mais non sans avoir ramassé plusieurs bonnes histoires, par exemple celle de la montagne d’aimant, qui se retrouve dans les aventures de Sindbad le marin. Quatrièmement, au 6e siècle, Cosmas Indicopleustes, qui donne de si bons renseignements sur les chrétientés nestoriennes du Malabar et de Ceylan, sur le commerce de Ceylan avec la Chine, sur la situation de ce dernier pays (p. 722), affirme catégoriquement qu’il n’a jamais ouï dire, qu’il y eût des Chrétiens à l’est de Ceylan « an ulterius etiam ignoro ». 279 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cinquièmement : Il p.1350 ressort des termes de l’inscription de Sī-nan- fou, que, quand le moine nestorien O-lo-pen arriva en Chine, il y importa le Nestorianisme, qui ne préexistait pas. Je ne ferai pas l’histoire de la fameuse stèle de Sī-nan-fou, beaucoup de savants l’ayant racontée, et le R. P. H. Havret S.J. ayant mis à cette question la dernière main, une main de maître (Variétés Sinologiques nos 7, 12, 20). Je ne redirai pas non plus ce que dirent et firent, en leur temps, à l’occasion de ce monument, tel Jansénistes et les Philosophes. Ils ont passé, la pierre est restée, et le parterre fécond de la bêtise humaine ayant produit depuis lors des effloraisons nouvelles, plus n’est besoin, pour s’amuser, de recourir à ces vieilleries. Je ne donnerai pas non plus le texte entier de la stèle, puisque, depuis le travail du R. P. Havret, il est dans toutes les mains. Avant d’en exposer les passages historiques, lesquels rentrent dans mon cadre, un mot sur le Nestorianisme. Nestorius, patriarche de Constantinople, nia pratiquement l’Incarnation, en niant la divinité du Fils de Marie. Il inventa un Jésus homme, dont la Divinité s’empara quand il lui plut, qu’Elle habita tant qu’Elle voulut, et qu’Elle abandonna quand Elle le jugea convenable. Cette hérésie fondamentale et radicale, fut condamnée par le concile d’Ephèse en 431. Proscrits par les empereurs de Constantinople, les Nestoriens se réfugièrent sous l’égide des rois de Perse. Ceux-ci les accueillirent volontiers, comme des transfuges haineux, qui leur seraient dévoués et utiles. Un certain Barsumas évêque de Nisibe, s’étant acquis un grand crédit à la cour de Perse, répandit la secte dans tout ce royaume. Au 6e siècle, les Nestoriens fondèrent de nombreuses églises. Ils eurent une école célèbre, d’abord à Edesse, ensuite à Nisibe, Ils se donnèrent un patriarche, dit Catholicos, qui résida d’abord à Séleucie, puis à Mossoul. Ils tinrent des conciles, etc. Après s’être appelés d’abord Chrétiens Orientaux, ils rejetèrent ensuite cet appellatif, ainsi que celui de Nestoriens, pour s’appeler Chaldéens. Ils fondèrent des établissements nombreux dans l’Inde, sur la côte du Malabar, et jusqu’à Ceylan, dès avant l’an 535 (chrétiens dits de St Thomas). La stèle ne dit pas quel fut le Catholicos qui envoya O-lopen. Ce dut être Jesusyab II, habile politique, lequel négocia et tripota avec les Byzantins, etc... Dans quel but envoya-t-il son moine ? L’histoire ne le dit pas. Je pense que ce ne fut pas par pur zèle... En tout cas, un texte de l’an 745, ne laisse aucun doute sur le fait que O-lo-pen vint à Tch’âng-nan, de la 280 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Perse. Les Nestorien appelèrent leur religion doctrine de la Lumière. Les Chinois l’appelèrent d’abord doctrine persane puis doctrine chaldéenne. Texte : Alors que T’ái-tsoung régnait et gouvernait le peuple avec sagesse, dans le pays de Tá-ts’inn (la stèle fut érigée après l’édit ordonnant de dire Tá-ts’inn au lieu de T’oūo-seu), il y avait un homme d’une vertu supérieure, nommé O-lo-pen (Neue-louo-penn). Portant les vrais Livres Canoniques, malgré les difficultés du voyage, en 635 il arriva à Tch’âng-nan. L’empereur envoya au-devant de lui le ministre Fâng huan-ling, pour le recevoir dans le faubourg de l’ouest (ce qui prouve que O-lo-pen arriva, ou comme ambassadeur, ou avec les p.1351 ambassadeurs de Kachgar, Koukyar, Tachkourgane ; voyez p. 1329). Ayant été reçu en hôte, il fut introduit. On traduisit ses livres dans la Bibliothèque. On lui fit exposer sa doctrine dans le Palais (devant l’empereur). On comprit qu’elle était droite et vraie, et un édit fut donné, autorisant à la prêcher et à la communiquer. Trois ans plus tard, au septième mois de l’an 638, l’édit impérial suivant fut promulgué : « La Vérité n’a pas qu’un nom. Le Sage n’est pas qu’une personne. Les Religions varient d’après les lieux. Leur influence fait du bien à tous les êtres. O-lo-pen, homme de grande vertu du pays de Táts’inn (terme substitué, en 745, au terme P’oúo-seu), est venu de loin pour présenter, dans notre capitale, ses Livres et ses images. Après avoir scruté le sens de sa doctrine, nous l’avons trouvé profond et paisible. Après avoir examiné ses principes, nous avons constaté qu’ils produisent le bien et l’essentiel. Ses assertions ne sont pas diffuses, ses raisons pénètrent sans effort. Sa religion fait du bien aux êtres, et est profitable aux hommes. Qu’elle se propage librement par tout l’empire ! Texte original du même édit, non retouché, tiré de la collection de pièces... Edit du 7e mois de l’an 638. La Vérité n’a pas qu’un nom. Le Sage n’est pas qu’une personne. Les Religions varient d’après les lieux. Leur influence fait du bien à tous les êtres. Le bonze (moine) persan O-lo-pen est venu de loin, pour présenter à la capitale la doctrine de ses Livres. Après 281 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. examen, nous l’avons trouvée profonde et paisible, produisant le bien et l’essentiel, bienfaisante pour les êtres et profitable aux hommes. Qu’elle se répande librement dans l’empire ! Que ceux qui sont chargés des affaires religieuses, construisent de suite, dans le quartier I-ning (quartier de la p.1352 Justice et de la Paix, à Tch’âng-nan), un couvent qui puisse loger 21 bonzes (moines). Voici, tiré de la même collection, le texte de l’édit de 745, qui fit changer P’ouo-seu persan, en Tá-ts’inn chaldéen... Edit du 9e mois de l’an 745. Le doctrine des livres de Perse, est venue primitivement du Táts’inn (Constantinople fut de fait le berceau du Nestorianisme. Mais je pense que Tá-ts’inn signifie ici la Chaldée, et que cet édit fut demandé et obtenu par les Nestoriens, après qu’ils eurent rejeté leurs autres appellatifs, pour s’appeler Chaldéens). Elle a été apportée jusqu’ici. Il y a longtemps qu’elle est répandue en Chine. Les premiers édifices de cette religion, ont tous été appelée temples persans. Maintenant, pour ramener les choses à leur origine, nous ordonnons qu’on appelle chaldéens, les temples de cette religion établis dans les deux capitales et par tout l’empire. Reprenons le texte de la Stèle... Dès que l’édit de l’empereur T’ái-tsoung eut été rendu, ceux que l’affaire concernait, construisirent aussitôt à la capitale, dans le quartier I-ning, un couvent chaldéen pouvant loger 21 moines. Dès qu’il fut achevé, l’empereur ordonna à ses officiers de reproduire authentiquement ce qu’il avait écrit (son édit de tolérance, ou une inscription élogieuse), sur la muraille du temple. Plus tard le grand empereur Kāo-tsoung (650-683) suivit respectueusement l’exemple de son père. Il glorifia le véritable Principe. Il construisit un temple de la Lumière dans chaque préfecture. Il honora O-lo-pen des titres de Grand maître de la Loi, et Pacificateur de l’Empire. Ainsi la Loi se trouva répandue dans les 282 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dix cercles administratifs de l’empire. L’État se reposa dans la richesse et la paix. Nos temples remplirent les cent cités. Les p.1353 familles jouirent du bonheur de la Lumière. Durant la période Chéng-li (698-699, usurpation de l’impératrice Où), les sectateurs du Buddha employèrent contre nous la calomnie et la violence. Dans l’année Siēn-t’ien (712, profitant du changement de règne), des lettrés de rang inférieur nous poursuivirent de leurs railleries et de leurs sarcasmes. Etaient alors nos chefs, Louo-han, et Ki-lie, venus tous deux des contrées occidentales, religieux éminents détachés de toute chose. Ils tinrent le (réparèrent câble les ferme, pertes et renouèrent subies durant les la mailles rompues persécution). Enfin l’empereur Huân-tsoung chargea cinq de ses frères, de se rendre en personne au Temple de la Félicité, pour en relever l’autel. Ainsi la poutre de la Loi, pour un moment fléchie, fut de nouveau redressée ; le socle de la Doctrine, renversé pour un temps, fut de nouveau relevé (entre 713 et 741)... Au commencement de la période Tiēn-pao (742 à 755), le Grand Général (eunuque) Kāo licheu, fut chargé par le Souverain de placer dans le temple les inscriptions des cinq empereurs précédents (de la dynastie T’âng), et d’offrir cent pièces de soie... En 744, dans le Tá-ts’inn (Perse), le moine Ki-houo qui évangélisait en se guidant sur les étoiles (missionnaire voyageur), vint en suivant le soleil, jusqu’à la cour impériale. Un décret le fixa, avec Louo-han, P’ou-lunn, et autres, sept personnes en tout, dans le palais Hīng-k’ing, pour y exercer leur ministère. L’empereur composa lui-même l’inscription qui fut mise au fronton de leur temple, ornée du dragon impérial. L’empereur Sóu-tsoung (756-762) fit construire à Lîng-ou (Ninghia-fou, u) et autres préfectures (du nord-ouest), cinq en tout, des temples de la Lumière. L’empereur Tái-tsoung (763-779) eut coutume de faire brûler chaque année, au jour anniversaire de sa naissance, célestes p.1354 (dignes dans le temple de la Lumière, des parfums du Ciel), pour faire savoir (au Ciel) qu’il s’acquittait bien de son mandat de Souverain. Il faisait servir, ce 283 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. jour-là, un festin impérial, à toute la communauté des sectateurs de la Lumière. Dans notre période Kién-tchoung (780-783), nos grands bienfaiteurs sont, d’abord le moine I-seu décoré de la robe de brocart, grand fonctionnaire, vice-gouverneur du Choúo-fang (u), camérier impérial à chape violette, doux et bienfaisant, fidèle à pratiquer, venu de loin de la ville royale (capitale de la Perse) jusqu’en Chine, distingué dans toutes les sciences et connaissances, qui fut d’abord attaché au palais, puis à l’armée. Ensuite le Grand Secrétaire Koūo tzeu-i, roitelet de Fênn-yang, gouverneur du Choúo-fang. Tous deux furent emmenés par l’empereur Sóu-tsoung, dans son expédition. Quoiqu’il eût droit d’entrée dans la tente impériale, Koūo tzeu-i fut toujours simple comme un homme du commun. Il fut griffes et dents, oreilles et yeux de son maître. Lui qui distribua des sommes immenses, ne s’appropria jamais rien pour les siens. Durant cette expédition (vers le nord-est), il répara les anciens temples de la Lumière, agrandit les palais de la Loi, en orna les édifices et y ajouta des ailes. Il leur prodigua ses dons et ses aumônes. Chaque année, il réunissait et entretenait durant cinquante jours, les moines et les adeptes de quatre couvents (du Choúo-fang ?), Il nourrissait ceux qui avaient faim, habillait ceux qui avaient froid, faisait soigner les malades et ensevelir les morts. Jamais bonze buddhiste n’en a fait autant. Les Docteurs de la Lumière, vêtus de robes blanches, ont admiré, cet homme, et ont fait graver cette stèle, pour publier ses belles actions. Elle fut élevée en l’an 781. Faut-il conclure, des derniers paragraphes, que le célèbre eunuque Kāo licheu, et le célèbre général Koūo tzeu-i, aient été plus ou moins prosélytes ou adeptes de la Lumière (Nestoriens) ? C’est possible, mais pas certain. Ce p.1355 qui est sûr, c’est que certains moines nestoriens jouirent d’une haute faveur aux 7e et 8e siècles, et que leur secte se répandit en Chine vite et loin. Nous donnerons, à ce sujet, des chiffres, en son temps. La faveur impériale propagea le Nestorianisme, la défaveur impériale le supprima plus tard. Il n’en resta pas trace. Certains s’en sont étonnés. Il n’y a pas de quoi. Il ne 284 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. faut pas prendre le Nestorianisme pour le Christianisme, comme on fait trop souvent, bien à tort. Le Christ des Nestoriens était un faux Christ, et leur religion était une hérésie. Or les hérésies sont des plantes sans racines. Elles peuvent végéter pour un temps, en épiphytes, sur la faveur des grands. Mais la durée n’est promise qu’à la Vérité, dont la racine vivace ne meurt pas. @ Mahométisme. — L’empereur T’ái-tsoung connut l’Islamisme, par l’ambassade du roi de Perse Yezdegerd (p. 1330). Pas de détails. Cette donnée historique vague, prêtait aux développements poétiques. Les Mahométans n’eurent garde de la négliger. Les Buddhistes ayant nimbé leur origine de belles légendes, les Mahométans en firent autant, quand ils eurent pénétré en Chine. Ils calquèrent même assez servilement les légendes des autres, pour être plus sûrs de ne pas rester inférieurs. Ces contes sont évidemment postérieurs à la première ambassade historique, dont nous parlerons en 713. La plupart datent probablement d’une époque assez moderne. Ils fourmillent d’anachronismes, d’invraisemblances, etc. Néanmoins ils ne sont pas entièrement dépourvus d’intérêt. Citons-en quelques échantillons. D’abord le []... Au 2e mois de l’an 628, l’empereur T’ái-tsoung vit en songe un homme d’Occident coiffé d’un turban, qui se tenait debout devant lui sans se prosterner. A son réveil, l’empereur fit appeler en toute hâte l’explicateur des songes, et lui demanda ce que cette vision présageait. — L’homme au turban, dit le devin, doit en vouloir à votre dynastie... — Que dois-je faire, demanda l’empereur, pour éviter un malheur ?.. — Envoyez à Khami chercher des interprètes, au moyen desquels vous vous mettrez bien avec les pays étrangers. Aussitôt T’ái-tsoung fit rédiger une lettre au roi de Khami. Le courrier Chêu-t’ang part au galop. Le roi de Khami lui donne trois interprètes, Kays, Ouways et Kassem. Les deux premiers meurent durant le voyage. Kassem arrive à Tch’âng-nan. Le courrier le dépose dans une auberge, et va avertir l’empereur. T’âi-tsoung se déguise, se rend incognito à l’auberge, reconnaît 285 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dans Kassem l’homme au turban qu’il a vu en songe, et le salue respectueusement. — Je ne mérite pas d’être salué par le Fils du Ciel, lui dit Kassem. Stupéfait, l’empereur lui dit : — Puisque tu m’as reconnu sous mon déguisement, suis-moi au palais... L’empereur conduit Kassem dans ses appartements privés, et le fait asseoir... Dialogue : L’empereur : La doctrine de l’occident est-elle la même que celle de la Chine ?.. Kassem : Comme celle de la Chine, la doctrine de l’Occident traite du Ciel et de la Terre, du Prince et des Parents, des Cinq Vertus et des Trois Règles... L’empereur : Confucius n’étant pas allé en Occident, où avez-vous pris ces enseignements, qui sont les siens ?.. Kassem : Nous possédons un livre sacré, appelé al Forkan (le Coran), qui contient 6666 versets. La doctrine de ce livre est tellement complète, qu’elle prévoit tous les cas possibles dans la vie, depuis le plus considérable jusqu’au plus petit. L’étendue des matières, la clarté des solutions, en font un livre sans égal... L’empereur : Mais enfin, dans laquelle des trois doctrines reconnues (Confuciisme, Taoïsme, Buddhisme), ou des neuf écoles philosophiques (p. 582), faut-il vous classer ?.. Kassem : Dans aucune. Notre religion est la doctrine du Pur et du Vrai.. L’empereur : Pourquoi l’appelez-vous ainsi ?... Kassem : Nous l’appelons Pure, parce p.1356 que, par les ablutions, nous nous efforçons de nous tenir purs de toute souillure. Nous l’appelons Vraie, parce que, par la rectification du cœur, nous tâchons de nous tenir exempts de toute fausseté... 286 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur : Pourquoi vous appelle-t-on aussi Hoêi-hoêi ?.. Kassem : Parce que nous enseignons la doctrine du Retour. La terre n’est, pour l’homme, qu’un séjour temporaire. Après l’avoir quittée, il retourne dans l’au-delà. Nous enseignons aussi la Conversion, qui est le retour du mal au bien, des illusions à la réalité. Mais voici l’heure de la prière. Sans se gêner, Kassem se lève, s’agenouille, s’accroupit, et fait sa prière tout au long, sous les yeux de T’ái-tsoung. Celui-ci remarque que les gestes de Kassem ne sont pas ceux de la Chine. Quand il a fini, il lui demande : — Pourquoi, agenouillé, élèves-tu les mains à la hauteur des oreilles ? Pourquoi, penches-tu la tête vers la terre ?.. Kassem : Ceci encore signifie le retour vers l’origine. Dans le sein de sa mère, l’enfant tient ses mains appliquées sur ses oreilles. Quand il naît en ce monde, sa tête est tournée vers la terre. En priant, nous retournons, autant que possible, à notre état originel... La conversation continue, sur les cinq prières quotidiennes. Soudain, pris lui aussi d’un accès de piété, l’empereur envoie brûler des parfums dans un temple. Kassem rit et dit : — Le Vrai Seigneur a créé les hommes, et les hommes ont fabriqué de faux dieux, lesquels étant assis ne peuvent pas se lever, étant debout ne peuvent pas marcher. Malgré la bouche qu’on leur a faite, ils ne peuvent pas parler. Peut-on adorer pareille chose ?.. L’empereur sourit, nomme Kassem président du Tribunal des Mathématiques, etc... Il est assez clair que cette légende a été calquée sur le songe de l’empereur Ming (p. 689), et l’introduction du Buddhisme. Notons que, en 628, les habitants de Khami étaient tous Buddhistes, et que le Coran ne fut publié que vers l’an 635. Deuxièmement, dans la vie de Mahomet []... La Chine est le grand empire de l’Extrême-Orient. La première année de la Mission de Mahomet, une étoile extraordinaire parut au ciel. L’empereur de la Chine l’ayant vue, consulta ses Astrologues. Ceux-ci lui annoncèrent l’existence, en Occident, d’un homme 287 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. extraordinaire. L’empereur lui députa aussitôt des ambassadeurs. Ceux-ci n’arrivèrent auprès de lui qu’au bout d’un an, et le prièrent de vouloir bien les suivre en Orient. Il s’y refusa. A la dérobée, les ambassadeurs peignirent son portrait. Mahomet envoya avec eux son oncle maternel Saadi Wakkas, et trois autres personnes. T’ái-tsoung fit exposer le portrait de Mahomet, et se prosterna devant lui. Quand il se releva, l’image avait disparu. L’empereur demanda à Saadi Wakkas la raison de ce phénomène. — C’est que, dit celui-ci, notre religion interdit le culte des images. Elle interdit aussi aux hommes de se prosterner devant leurs semblables. Or vous avez manqué à ces deux points. Troisièmement, dans le []... Lorsque, en 632, Wakkas, oncle maternel de Mahomet, eut été chargé par le Prophète de porter en Chine sa doctrine, il se rendit à Tch’âng-nan. L’empereur T’ái-tsoung des T’âng lui reconnut de la science et du mérite. Il insista pour le retenir dans sa capitale, et lui bâtit un grand temple du Pur et du Vrai. Wakkas rédigea à Tch’âng-nan un traité de sa religion. Ses prosélytes s’étant multipliés, l’empereur T’ái-tsoung fit bâtir deux autres mosquées, l’une à Nankin, l’autre à Canton, les Mahométans étant en nombre dans ces deux villes. Devenu très vieux, Wakkas voulut retourner en Occident. Mais le Prophète ne lui avait pas ordonné de revenir. Il mourut donc en mer. Son corps, rapporté à Canton, fut enseveli hors de cette ville. On appelle sa tombe Tombe du Son, parce que le son des prières y retentit au loin. Quatrièmement, dans le []... A la montagne Lînn-chan, au p.1357 Fôu-kien, sont ensevelis deux hommes venus du pays de Médine. Ils étaient docteurs de la religion mahométane. Les auteurs mahométans racontent, que, dans le royaume de Médine, naquit, durant la période K’āi-hoang des Soêi, un homme dont la sainteté se révéla par la majesté de sa personne. D’abord serviteur du roi du pays, il devint ensuite roi lui-même, et finit par publier un livre renfermant les préceptes de sa religion. Quatre de ses disciples arrivèrent à la cour de Chine, durant la période Où-tei des T’âng (618-626), et se mirent à répandre leur doctrine. Le premier prêcha à Koàng-tcheou (Canton), le second à Yâng-tcheou (au Kiāng-sou), le troisième et le quatrième à Ts’uân-tcheou (au Fôu-kien). Après leur mort, ces deux derniers 288 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. furent ensevelis à la montagne Lînn-chan. Il y eut, sur leurs tombes, des apparitions lumineuses. Le peuple l’appela la Tombe des Saints. Cinquièmement, inscription trilingue (arabe, persan, chinois), sur la tombe de Hadji Mahmoud, venu en 1749 en pèlerin à Canton... Dieu (qu’il soit glorifié et exalté) a dit : Toute âme goûtera la mort, puis reviendra à moi. Le Prophète (qu’il soit béni) a dit : Celui qui meurt au loin, meurt martyr... Ce faible défunt Hadji Mahmoud, en visitant la tombe du seigneur Saadi fils d’Abou Wakkas, a satisfait son pieux désir. Il a ensuite séjourné, durant deux ans, à la mosquée Derguiahah. Enfin, le 27 du mois de Dou-l-Kadah, il a goûté la mort. Hadji Mahmoud était venu à Canton, uniquement pour vénérer l’antique sépulture de l’ancien Sage. L’ancien Sage, Saadi fils d’Abou Wakkas (que Dieu l’ait en sa grâce), est mort le 27 du mois Zou-l-Hiddjeh, sous le califat d’Omar Baba (anachronisme de cinq ans), la troisième année de la période Tch’ēng-koan des T’âng (629). L’homme désigné par ces textes, est un personnage historique. Saadi fils d’Abou Wakkas, le troisième adepte et l’un des dix Saheb (compagnons) du Prophète, le guerrier fameux qui écrasa les Persans à la bataille de Kadesiah en 636. Il mourut entre 673 et 675, et fut enseveli à Médine. Il ne vint certainement jamais en Chine. Il y a donc, dans les légendes citées, ou une erreur de nom, ou un mensonge politique. Dans le doute, certains les rejettent en bloc. Je pense que ce procédé est trop radical. @ Mênn-chenn. — A la section du Culte, ajoutons encore ceci. Les Génies gardiens des portes, figurés et honorés dans toute la Chine, sont les deux officiers Ts’înn chou-pao et U-tch’eu king-tei, de l’empereur T’ái-tsoung des T’âng. Ce prince étant tombé malade, des spectres vinrent, durant la nuit, faire le sabbat à la porte du palais. Effrayé, l’empereur demanda protection à ses fidèles. Ts’înn chou-pao et U-tch’eu king-tei lui dirent : — Soyez tranquille ! Chaque nuit nous monterons la garde, avec nos armes... Ils le firent, et, de ce jour, l’empereur dormit en paix. A la longue, ayant compassion de leurs fatigues, il fit peindre les deux braves, tout armés, 289 p.1358 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sur les deux battants de la porte du palais. Leurs images suffirent, par la suite, pour repousser tous les influx néfastes. @ Conclusion. — En définitive, quelle fut la religion de l’empereur T’áitsoung, qui connut tant de cultes, et qui les patronna tous. Je pense qu’il n’en eut aucune, ou tout au plus une religion bien vague et bien commode. Il craignit le Ciel et le Peuple, à l’en croire du moins. Il se délecta dans les doctrines confuciistes, comme le poisson dans l’eau et l’oiseau dans l’air (p. 1395) ; chose aisée, car ces doctrines n’obligent à rien. Il fut toujours sentimental, et parfois superstitieux. En tout cas, il mangea, but, et eut beaucoup de femmes. Par-dessus tout, ce fut un habile politique, qui aima le lustre que donnait à son règne l’affluence des étrangers à sa cour. Il autorisa tous les cultes, et bâtit à tous des temples, pour contenter tout le monde et être loué de tous. Ainsi firent plus tard ses deux imitateurs, Koubilai et K’anghi. Dernier acte... En 648, la planète Vénus étant devenue visible plusieurs fois en plein jour, le Grand Astrologue, lequel avait sans doute ses tuyaux, jeta les sorts et déclara gravement que ce phénomène présageait l’usurpation d’une femme (la fameuse Où-heou). Au même temps une prophétie se mit à courir parmi le peuple, d’après laquelle, après trois empereurs, les T’âng seraient renversés par une Dame Où. La prophétie étant orale et non écrite, et les caractères cinq et guerrier se lisant également où, l’empereur prit le change. Il soupçonna le général Lì kiunn-sien, dont le petit nom était Dame Cinq, d’être la personne désignée par l’oracle. Il l’envoya donc à Hoâ-tcheou, sous prétexte d’y être gouverneur, et l’y fit assassiner. Cet exploit ne rendit pas la paix au pauvre T’ái-tsoung. — Mais enfin, demanda-t-il au Grand Astrologue, cet oracle est-il vraiment digne de foi ?.. — J’ai considéré, dit l’artiste, et le ciel, et les nombres. La personne fatidique est déjà dans le palais. Dans 30 ans elle sera sur le trône. Elle fera périr beaucoup de membres de la maison de T’âng. Les signes qui annoncent ces choses, sont indubitables... 290 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Et si je faisais massacrer tous les habitants du palais ? demanda p.1359 T’ái-tsoung... — Ce que le Ciel a arrêté, dit l’Astrologue, aucun homme ne peut l’empêcher. Vous tueriez une foule d’innocents, et l’être fatal échapperait. Ou bien, si vous réussissiez à tuer cette personne, ce ne serait pas pour l’avantage des vôtres. Car, comme elle ne doit régner que dans trente ans, elle sera vieille, et n’aura pas le temps de faire trop de mal. Tandis que, si le Ciel se voyait obligé de transférer son mandat à une autre, il le passerait peut-être à une personne plus jeune, laquelle aurait ensuite le loisir d’exterminer toute la maison de T’âng... Ces bonnes raisons décidèrent l’empereur à se tenir tranquille. Très forte, cette prophétie, faite évidemment après l’événement. Pas fort, l’empereur T’ái-tsoung, quoiqu’il eût volé et nagé dans le Confuciisme durant plus de vingt ans. En 649, l’empereur tomba malade de la dysenterie. Le prince impérial se prodigua pour le servir, jour et nuit, au point que ses cheveux blanchirent de douleur et de fatigue. Enfin le mourant fit appeler dans sa chambre ses ministres les plus dévoués, Tchàng-sounn ou-ki et Tch’òu soei-leang. — Aidez et dirigez mon fils, leur dit-il, car il en est digne. Puis, s’adressant au prince : — Tant que ces deux hommes vivront, lui dit-il, tu ne sentiras pas le fardeau du gouvernement. Enfin il dicta à Tch’òu soei-leang ses dernières volontés, et expira. Il avait 53 ans. Son fils, âgé de 22 ans, monta sur le trône... T’ái-tsoung était très aimé des étrangers, dont il avait composé sa garde. Quand ils eurent appris sa mort, plusieurs centaines de ces Barbares se coupèrent les cheveux, se lacérèrent les oreilles et le visage, et le pleurèrent à grands cris, comme s’ils avaient perdu père et mère. @ 291 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Kāo-tsoung, 650 à 683. @ La dame Wâng fut nommée impératrice. Comme elle était stérile, elle adopta le petit prince Tchoūng, et p.1360 obtint qu’il fût nommé héritier présomptif. Elle choisit cet enfant, parce que sa mère, étant de très basse extraction, ne deviendrait jamais une rivale redoutable, pensait-elle. En 653, scandale dans la famille impériale. Une fille de l’empereur T’áitsoung, sœur de l’empereur régnant, était mariée à un certain Fàng i-nai. Elle s’amouracha d’un bonze, puis de plusieurs bonzes. La chose fit du bruit. La princesse et son mari furent supprimés, elle pour inconduite, lui pour ne l’avoir pas morigénée. En 654, commencement de scandales beaucoup plus graves. Durant la dernière maladie de son père, Kāo-tsoung, alors prince héritier, avait remarqué, parmi les concubines qui servaient le mourant, la dame Où (p. 1319 et 1358). Après la mort de T’ái-tsoung, un certain nombre de dames du harem ayant été licenciées, la dame Où entra comme bonzesse dans un couvent. L’empereur étant allé au temple de cette bonzerie pour y brûler des parfums, la vit, la reconnut sous sa robe de bonzesse, et pleura d’émotion. Or, dans le harem impérial, la favorite était alors une certaine dame Siáo. L’impératrice Wâng était entièrement délaissée. Folle de jalousie, cette dernière imagina d’exploiter, contre sa rivale, la passion de l’empereur pour l’ex-concubine de son père. Elle la retira de son couvent, l’obligea à laisser croître ses cheveux, et l’introduisit parmi les concubines de son mari. Or, outre sa beauté, la dame Où était encore douée d’une habileté extraordinaire. Quand l’impératrice l’eut placée dans le harem, elle fut, devant sa maîtresse, d’une platitude exemplaire, qui lui attira de sa part les plus beaux éloges. Bientôt elle fut aussi en haute faveur auprès de l’empereur, lequel délaissa pour elle, même la dame Siáo. 292 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Le Ciel s’émut des malheurs à venir. Une nuit, une pluie torrentielle grossit p.1361 tellement et si soudainement la Wéi, qu’elle déborda et envahit le palais. L’empereur eut à peine le temps de se réfugier sur une élévation. L’eau envahit la chambre à coucher qu’il venait de quitter. Trois mille personnes furent noyées dans la ville. Manifestation de l’ire céleste. L’eau est yīnn. La dame Où étant entrée au palais pour le malheur des T’âng, un torrent symbolique l’y suivit. Avertissement donné à Kāo-tsoung, que celui-ci ne sut pas comprendre, hélas ! Ainsi gémit l’Histoire. Cependant, si l’impératrice Wâng était délaissée, elle n’était ni dégradée de son rang, ni bannie du cœur du souverain. Donc la faveur de la dame Où n’était pas assurée. Mais l’esprit diabolique de cette femme était fécond en expédients. Elle accoucha d’une fille. L’impératrice alla la voir, félicita la mère, caressa l’enfant dans son berceau, et se retira. Dès qu’elle fut sortie, la dame Où étouffa sa fille. L’empereur vint à son tour. Le visage rayonnant de joie, dame Où découvrit le berceau, pour lui montrer l’enfant. Horreur, elle était morte ! Eclatant en sanglots, dame Où s’en prit aux femmes qui la servaient... L’impératrice vient de la caresser, dirent celles-ci... Elle a tué ma fille ! s’écria l’empereur furieux... Vite, la dame Où dégoisa la kyrielle des griefs vieux et récents, vrais et imaginaires, qu’elle avait contre sa bienfaitrice. Sans même entendre l’impératrice, l’empereur décida de la dégrader. Cependant, dégrader une impératrice, fut toujours une grave affaire, ces dames ayant leurs familles, leurs clans, leurs créatures, qu’il ne faisait pas bon indisposer. L’empereur essaya donc de gagner à son projet le pilier de la dynastie Tchàng-sounn ou-ki (p. 1310). Faveur extrêmement rare, il alla le visiter à son domicile, accompagné de la dame Où, et suivi de dix charretées de riches présents. Il le fit boire, donna des titres à ses trois fils, p.1362 le caressa de mille manières. Enfin, quand il jugea le terrain parfaitement préparé, d’un air dégagé : — A propos, fit-il, l’impératrice est stérile... Ou-ki changea immédiatement de conversation. L’empereur et la dame comprirent, et se retirèrent mécontents. 293 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 655, l’empereur convoqua les grands conseillers de la couronne, Tchàng-sounn ou-ki, Tch’òu soei-leang (p. 1359), Û-tcheu-ning, Hân-yuan, Lìtsi. Avant la séance, Tch’òu soei-leang dit à ses collègues : — Il va s’agir, probablement, du changement de l’impératrice. Si nous ne résistons pas jusqu’à la mort, quelle figure ferons-nous devant l’empereur T’ái-tsoung quand nous le reverrons dans les enfers ?... De fait, l’empereur dit aux conseillers : — La dame Où est féconde. Mon intention est de la faire impératrice. Qu’en pensez-vous ?... Tch’òu soei-leang prit la parole. — L’impératrice, dit-il, est d’une famille illustre. C’est l’empereur votre père qui vous l’a donnée pour femme. A son lit de mort, tenant vos mains, il vous a appelés mon fils, ma fille. Il ne vous est donc pas loisible de la répudier, sauf raison tout à fait majeure... Irrité, l’empereur congédia aussitôt le conseil. Le lendemain, nouvelle séance, même proposition. — Si vous tenez absolument à changer l’impératrice, dit Tch’òu soei-leang, choisissez une dame noble, mais non cette dame Où, de laquelle chacun sait qu’elle a été femme de votre père : sinon la postérité imprimera à votre nom une flétrissure indélébile. Excusez que je vous résiste ainsi en face, pour votre bien... Ce disant, Tch’òu soei-leang déposa ses tablettes, se prosterna, battit de la tête à se meurtrir le front, et cria : — Veuillez accepter ma démission, et me renvoyer dans mon village !... L’empereur ordonna de le mettre à la porte... Or la dame Où, assise derrière un rideau, avait tout écouté. Furieuse, elle cria : — Le mettre à la porte, cela suffit-il ? Comment, vous ne faites pas assommer ce p.1363 manant ? !.. 294 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Tch’òu soei-leang, dit froidement Tchàng-sounn ou-ki, ayant été l’homme de confiance de l’empereur défunt, ne pourrait pas être châtié, même s’il était coupable... Hân-yuan parla dans le même sens... L’empereur resta sourd à toutes les remontrances... Après le conseil, Hân-yuan remit un placet écrit, dans lequel, après avoir rappelé les malheurs dynastiques causés par Tān-ki et Pāo-seu (p. 63 et p. 100), il avertissait l’empereur que, s’il persistait, ses Ancêtres seraient probablement privés du sang des sacrifices... Lâi-tsi rappela l’histoire de Tcháo fei-yen (p. 559), et menaça l’empereur de la colère des Génies célestes et terrestres, de l’indignation du peuple, etc... Rien n’y fit. L’empereur était coiffé de sa dame. Lì-tsi, qui n’avait rien dit au conseil, sentit que c’était le moment de faire sa fortune, plutôt que de suivre sa conscience. — Après tout, dit-il à l’empereur, pourquoi consultez-vous vos ministres sur les affaires de votre ménage, lesquelles ne regardent que vous ?.. Très content de cette suggestion, l’empereur prit son parti. Tch’òu soei-leang dégradé, fut envoyé comme fonctionnaire en province, exil déguisé. Puis l’empereur donna un édit, panégyrique pompeux des vertus de la dame Où. Comme conclusion, l’empereur annonçait à l’empire, qu’il la substituait à l’impératrice Wâng. La foule des courtisans se tourna aussitôt vers la nouvelle maîtresse. L’ex-impératrice Wâng, et la dame Siáo sa rivale, qu’elle avait voulu perdre en introduisant la dame Où, partagèrent la même prison. Un jour l’empereur les visita. — En mémoire du passé, lui dit l’ex-impératrice en pleurant, accordez-moi de revoir le soleil et la lune... — J’y pourvoirai, dit l’empereur ému... L’impératrice Où apprit la chose. Effrayée, elle envoya des assassins, qui coupèrent les pieds et les mains aux deux malheureuses femmes, les enfoncèrent dans une jarre à vin, les y foulèrent p.1364 jusqu’à leur briser les os, les y laissèrent expirer, enfin décapitèrent leurs cadavres... L’Histoire ne dit pas que le digne empereur Kāo-tsoung 295 ait protesté contre ces Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sauvageries. Elle raconte seulement que, de ce jour, les spectres de ses deux victimes troublèrent les nuits de l’ex-bonzesse. C’est pour ce motif, qu’elle quitta Tch’âng-nan pour Láo-yang, que son impérial esclave déclara capitale orientale, pour l’amour d’elle. En 656, le prince impérial Tchoūng (p. 1601) fut dégradé, et Hoûng, le fils aîné de l’impératrice Où, fut fait prince héritier. Où cheu-sunn, le père de l’impératrice, fut fait Duc de Tcheōu et ministre. Du coup, un raz de marée dévasta les côtes de l’empire, nouveau phénomène yīnn, nouvel avertissement céleste. En 659, l’impératrice obtint, sur de fausses accusations, la condamnation à mort du pilier de la dynastie, son ennemi Tchàng-sounn ou-ki. Tch’òu soeileang était mort dans son exil, heureusement pour lui. En 660, naturellement ou autrement, l’empereur fut pris de vertiges, accompagnés de troubles visuels. Il confia à l’impératrice le soin des affaires. Perspicace, érudite, décidée, celle-ci eut bientôt fait d’accaparer tout le pouvoir. Il paraît cependant que l’empereur finit par se lasser de son esclavage. Fut-ce spontanément, fut-ce à l’instigation d’autrui ? la dernière hypothèse est plus probable. En 664, dit l’Histoire, l’empereur ayant conféré secrètement avec Cháng-koan i, celui-ci récrimina contre les empiétements de l’impératrice, et pria l’empereur de la dégrader. Kāo-tsoung lui dit de rédiger, séance tenante, le brouillon de l’acte de dégradation. Les eunuques de service coururent à l’appartement de l’impératrice, et l’avertirent de ce qui se tramait. Elle arriva aussitôt. — Ce n’est pas moi, dit l’empereur penaud ; c’est Cháng-koan i.. Or Cháng-koan i avait été jadis au service de l’ex-prince impérial Tchoūng. p.1365 L’impératrice soupçonna qu’on en voulait, non seulement à elle, mais encore à son fils. Elle chargea son âme damnée Hù king-tsoung, d’accuser le prince et Cháng-koan i, de projets de révolte. Cháng-koan i fut supprimé. Le prince Tchoūng se suicida, par ordre. Beaucoup d’officiers furent cassés, comme suspects. Pour éviter que pareille chose arrivât de nouveau, l’impératrice surveilla l’empereur de plus près. Assise derrière un rideau, elle 296 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. assista à tous ses entretiens, et exigea qu’il rendît compte de toutes choses, avant et après. Bref, elle régna seule, et l’empereur se croisa les bras, dit le Texte. Le peuple appela cette digne paire, les deux Sages. En 670, une grande sécheresse désolant l’empire, l’impératrice pria l’empereur de vouloir bien consentir à sa retraite. Elle ne fit cette demande, qu’à bon escient, bien entendu. L’empereur refusa, la supplia de continuer à gouverner, et, pour la consoler, nomma son père roitelet de T’ái-yuan. Comédie !.. L’Histoire observe d’ailleurs gravement, que, en demandant à se retirer pour cause de sécheresse, l’impératrice pécha contre la théorie des deux principes. La sécheresse, excès de yâng, accuse les fautes de l’empereur. L’inondation, excès de yīnn, accuse les fautes de l’impératrice. N’étant pas visée par le phénomène, elle ne devait pas offrir sa démission. En 674, l’empereur se décerna le titre d’Empereur Céleste, et conféra à l’impératrice celui d’Impératrice Céleste. En 675, les vertiges de l’empereur augmentant, il voulut abdiquer formellement en faveur de l’impératrice. Le censeur Hào tch’ou-tsounn eut le courage de l’en dissuader. La même année, l’atroce Où-heou fit périr son propre fils aîné, l’héritier présomptif prince Hoùng. L’empereur aimait beaucoup cet enfant, intelligent, pieux, alerte. L’enfant préférait ostensiblement son père à sa mère, et désobéit même plusieurs fois à p.1366 celle-ci. Or deux princesses, filles de l’infortunée dame Siáo que l’impératrice avait fait périr (p. 1363), ses demisœurs, languissaient depuis des années dans la prison du palais. Le jeune prince l’ayant su, osa solliciter leur élargissement. L’empereur y consentit. L’impératrice se fâcha rouge. Le prince mourut. Les contemporains racontèrent, dit le Texte, laconiquement, que sa mère l’empoisonna ellemême. Elle fit ensuite nommer prince impérial, à sa place, le prince Hiên, fils de sa sœur. Aux fêtes du nouvel an de l’an 678, ce fut l’impératrice qui reçut les fonctionnaires de l’empire, et les ambassadeurs des pays étrangers. En 680, le magicien Mîng tch’oung-yen, que l’impératrice employait pour capturer, dans le palais, les influences néfastes, lui suggéra que, d’après ses 297 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. grimoires et ses calculs, son second fils ferait mieux sur le trône que le fils de sa sœur. Je pense que ce ne fut pas le magicien qui eut cette idée le premier. Quoi qu’il en soit, Mîng tch’oung-yen fut assassiné peu de jours après. L’impératrice crut, ou feignit de croire, que le prince impérial, mécontent de ses prophéties, était l’auteur de ce coup. Elle fit faire des perquisitions à son domicile. On trouva des armes. Plus de doute, il tramait quelque chose. L’empereur l’aimait. Cela n’y fit rien. Le prince fit dégradé, ses familiers furent exécutés, et Tchée, le second fils de l’impératrice, fut fait prince impérial. Nous verrons plus tard comment cette douce mère traita ce second fils, puis le troisième. @ Politique extérieure et Guerres... C’est durant ce règne, si peu glorieux d’ailleurs, que la Chine atteignit le maximum de son extension territoriale. Extension passagère d’ailleurs, sans organisation et partant sans durée, comme toutes les choses chinoises... En 650, vers Tokmak (S), Heue-lou assassine le khan des Turcs Occidentaux, et se p.1367 met à sa place. En 657, les Chinois envoient une expédition contre lui. Heue-lou s’enfuit à Kesch (7). Le général chinois Sōu ting-fang va l’y prendre. Tout le territoire des Turcs Occidentaux (vallées de l’I-li et de l’Iaxartes), est momentanément annexé à l’empire. Par suite, en 658, le centre administratif du Tarim, est transféré de Tourfan (e) à Koutcha (f). En 661, tout le Tarim est divisé en fòu et tcheōu, comme l’empire. La bulle de savon est à son apogée. Les choses allant si bien à l’Ouest, le gouvernement chinois tourna ses yeux vers l’Est. En 660, Sōu ting-fang conquiert la Corée centrale Paik-tjyel (j). Il attaque ensuite la Corée septentrionale Ko-kou-rye (r) et assiège Hpyeng-yang, mais est obligé de lever le siège et de se retirer. Au nord, les Tölös s’étant permis de faire quelque grabuge, Tchéng jennt’ai fut envoyé pour les remettre à la raison. Quand ils apprirent son approche, ils vinrent lui présenter bataille. Leur avant-garde s’étant approchée à portée de trait, l’officier chinois Sūe jenn-koei décocha trois flèches qui tuèrent trois hommes. Effrayés, les Tölös vacillèrent. Les Chinois chargèrent, et les massacrèrent tous. Ils les poursuivirent ensuite jusque 298 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dans leur repaire de l’Orkhon (O), et prirent les trois frères du khan. Les Tölös se soumirent. L’armée chinoise revint en chantant : Avec trois flèches, notre général a pacifié l’Altaï. Cependant Tchéng jenn-t’ai survenant par un autre côté, tomba sur les Tölös déjà soumis, les dispersa, et pilla leurs douars. Cette traîtrise ne lui profita pas. S’étant trop attardé, il dut faire sa retraite à travers le désert, dans l’arrière-saison. A court de vivres, ses hommes se dévorèrent les uns les autres. Le froid en tua un grand nombre. De toute son armée, 800 hommes rentrèrent en Chine. Les censeurs l’accusèrent vivement d’avoir, en tuant des hommes qui avaient capitulé, effarouché et éloigné les autres. Mais l’empereur, qui estimait Tchéng jenn-t’ai, p.1368 le gracia. Il envoya aux Tölös le prince Heue-li que nous connaissons (p. 1338), avec charge de les rassurer et de les ramener. Heue-li alla les trouver, avec une faible escorte. Il leur dit : — L’empereur de Chine sait vos menées ; il sait aussi qu’elles sont le fait des chefs, non des particuliers ; livrez-les, et tout sera dit... Ennuyées d’être pourchassées dans leurs pâturages, les hordes saisirent leurs chefs, et les livrèrent à Heue-li, qui les fit décapiter. Les Tölös rentrèrent dans l’ordre. En 663, les Tibétains et les T’ou-kou-hounn s’étant pris de querelle, en appelèrent à l’empereur, qui refusa de se mêler de leur différend. Ils se battirent. Les T’ou-kou-hounn furent vaincus. Leur khan Heûe-pouo abandonna le Koukou-nor, autour duquel ses Ancêtres régnaient depuis plus de 300 ans (p. 917), et se réfugia d’abord dans les Nân-chan chinois (v), puis finalement dans le Ning-hia-fou (u) actuel, où la nation disparut vers 672. L’empereur dut envoyer une armée, pour garder, contre les Tibétains, la ligne des Nân-chan jusqu’au Lob-nor. Cependant les hostilités contre la Corée continuaient, avec des intermittences. En 666, P’âng t’oung-chan battit l’armée du Ko-kou-rye. En 667, Lì-tsi prit à ce royaume 17 places fortifiées. En 668, une comète ayant paru au ciel, l’empereur se mit en pénitence. Le Grand Annaliste et Astrologue Hù king-tsoung lui dit : — Cette comète ayant paru au nord-est, ne vous concerne pas ; elle présage la ruine de la Corée... 299 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Bah ! dit l’empereur, le Ciel donnerait-il un si grand signe, pour un petit royaume barbare ? Les comètes paraissent pour avertir les Fils du Ciel. D’ailleurs, même si ce que vous dites était vrai, les Coréens étant aussi mes sujets, je devrais m’affliger de leur malheur... Ces nobles paroles firent évanouir la comète ; du moins l’histoire l’affirme catégoriquement et sans rire... Peu après Lì-tsi prit Hpyeng-yang. Kāo-ts’ang, roi p.1369 du Ko-kou-rye, capitula. Lì-tsi le ramena à la capitale. L’empereur le fit d’abord présenter devant la tombe de son père, puis dans le temple de ses Ancêtres. L’armée victorieuse entra dans la capitale en triomphe. 38 200 familles coréennes influentes, furent déportées dans les provinces méridionales et occidentales de l’empire. On ne laissa à Hpyeng-yang que des gueux. En 670, devenus très fringants, les Tibétains enlevèrent aux Chinois tout le fond du Tarim, Kotan, Yarkend, Kachgar et jusqu’à Koutcha (f), leur centre administratif du pays. L’empereur envoya contre eux une armée, commandée par Sūe jenn-koei. Elle fut complètement battue et dispersée, à l’ouest du Koukou-nor (Tsaidam). En 674, les Arabes ayant pris Zereng (30), le fils de Yezdegerd, Firouz, que les Chinois continuaient à appeler roi de Perse, vint en fugitif à Tch’ângnan. L’empereur le nomma général honoraire dans sa garde. Firouz demanda et obtint la permission de bâtir à la capitale un temple persan (particulier, outre ceux qui existaient déjà p. 1347, soit pour se distinguer du vulgaire, soit pour quelque autre motif). Il mourut à Tch’âng-nan peu de temps après. L’occupation chinoise de la Corée ne dura guère plus longtemps que celle du Tarim. En 677, le Sin-ra (r) qui avait profité des leçons de ses voisins les Japonais, rafla, sous le nez des Chinois, le Paik-tjyel et le Ko-kou-rye, et unifia la Corée sous le sceptre de ses rois. En 678, l’empereur envoya vers le Koukou-nor, une armée de 180 mille hommes, commandée par Lì king-huan, avec mission de venger la défaite de Sūe jenn-koei. Hélas, les Tibétains la battirent et la dispersèrent de la même manière. L’étude des Annales et des Odes (p. 1336), leur avait décidément profité. 300 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tirant avantage de l’avance des Tibétains dans le Tarim, le Turc Acheuna toutcheu avait secoué le joug de la Chine, et s’était emparé de Tokmak (S). En 679, p.1370 P’êi hing-kien proposa à l’empereur de récupérer cette ville, par le stratagème suivant : On ferait semblant de convoyer dans son pays, pour le remettre sur le trône, Ni-nie-cheu, fils de feu Firouz, le prétendant au trône de Perse, réfugié à Tch’âng-nan. On passerait, sous ce prétexte, pacifiquement, par le Tarim et la vallée de l’I-li, et l’on verrait ce que l’on pourrait faire... L’empereur approuva... Quand P’êi hing-kien fut arrivé, avec son prince persan, dans le pays d’Aksou (g), il convoqua les chefs de quelques hordes qui paissaient dans les vallées, et leur dit : — Jadis j’ai chassé dans ce pays. C’était très amusant. Si nous organisions une grande battue ?.. — Bien volontiers, dirent les Hôu ; et ils mirent à sa disposition environ dix mille hommes. P’êi hing-kien les dressa durant quelques jours, puis soudain, franchissant la passe de Outch (o), il enveloppa le douar du candide Acheuna toutcheu, et le fit prisonnier. Wâng fang-i fut chargé de garder Tokmak. P’êi hing-kien laissa courir son prince persan désormais inutile, et revint en Chine avec son prisonnier… Tous ces mouvements, n’ont ni ordre ni suite, ni tête ni queue. Le génie militaire chinois était ainsi fait. Les plans raisonnés lui étaient inconnus, les organisations durables plus encore. On imaginait un expédient, on faisait un coup de main, on perdait quelques milliers de canailles que personne ne regrettait, on ramassait un bon butin qui payait les frais, et l’on revenait chez soi. Voilà ! La guerre, en Chine, ne différait du brigandage, que par le patronage du chef de l’État. L’année suivante 680, soulèvement général de tous les Turcs contre l’empire. Dévalant par le versant septentrional de l’Altaï, leur cavalerie courut sus à la Chine. Surpris, durant une nuit neigeuse, le général chinois Siáo seuie fut complètement défait. Les Turcs parurent dans le nord du Heûe-pei actuel. L’empereur dut en p.1371 toute hâte faire garder les passes du Chān-si et du Chàn-si, pour les empêcher d’enlever la capitale. Enfin P’êi hing-kien leur ayant infligé une défaite, ils se retirèrent... Combien l’empire des T’âng 301 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. était peu solide, sous sa prospérité apparente ! nous en verrons des preuves encore plus démonstratives plus tard. Encore en 680, les Tibétains s’étant emparés de tout le haut cours du Fleuve Jaune, leur empire s’étendit sur dix mille lì dans tous les sens, depuis l’Himalaya au Sud et le Pamir à l’Ouest, jusqu’à l’Altaï occupé par les Turcs au Nord. En 681, P’êi hing-kien infligea une défaite aux Turcs, et ramena prisonnier Acheuna fou-nien, l’un de leurs chefs. Or ce chef avait capitulé, parce que P’êi hing-kien lui avait promis la vie sauve. Quand il eut été amené à Tch’ângnan, P’êi-yen jaloux de P’êi hing-kien, fit accroire à l’empereur que Fou-nien avait capitulé, non par esprit de soumission, mais par crainte des Ouïgours. L’empereur fit décapiter le captif. Désolé de ce qu’on eût manqué à sa parole, P’êi hing-kien donna sa démission sous prétexte de maladie, et mourut peu après. Je souligne le nom de cet honnête homme ; en narrant l’histoire de la Chine, on n’a que rarement ce plaisir. Profitant de leurs discordes, en 682, Wâng fang-i que nous avons laissé à Tokmak (S), soumit de nouveau, pour un moment, les Turcs à l’empire. @ Culte... En 656, par décret, Kāo-tsou le fondateur de la dynastie, est associé à l’Auguste Ciel dans le sacrifice du Tertre, et l’empereur T’ái-tsoung est associé aux Cinq Souverains dans l’offrande du Mîng-t’ang. Notons cette mention des Cinq Souverains (p. 353), et du Mîng-t’ang (p. 380) salle du trône, dont nous n’avons plus entendu parler depuis bien longtemps... L’Auguste Ciel, dit le rituel des T’âng, p.1372 c’est le Ciel. On l’appelle aussi Souverain d’en haut de l’auguste ciel, ou Empereur du ciel Grand Seigneur. On lui sacrifie, au solstice d’hiver, au Tertre rond... Les Cinq Souverains, ce sont les Souverains des cinq régions du ciel. On leur sacrifie dans le mîngt’ang... L’empereur sacrifie au Ciel, comme à l’auteur de son premier ancêtre le fondateur de la dynastie, pour le remercier du mandat qu’il lui a conféré ; voilà dans quel sens le fondateur de la dynastie est associé au ciel. L’empereur fait des offrandes aux Cinq Souverains, pour remercier des influx favorables exercés par le ciel matériel, par les constellations et les saisons, sur son empire. 302 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 657. Jadis, vers la fin du règne précédent, le magicien hindou Souop’ouo-mei s’étant fait fort de posséder la formule de la drogue d’immortalité, l’empereur T’ái-tsoung l’envoya dans l’Inde, pour y quérir les ingrédients nécessaires. Il reparut à Tch’âng-nan après la mort de T’ái-tsoung, n’ayant pas trouvé, disait-il, tout ce qu’il lui fallait. Il fut question, un moment, de lui payer un second voyage. Mais l’empereur Kāo-tsoung dit à ses ministres : — Jamais personne n’est arrivé à l’immortalité. Ts’înn Cheu-hoang, Hán Ou-ti, qui ont si passionnément recherché la drogue, sont morts comme tout le monde. S’il y a des Immortels, où sont-ils ?.. Lì-tsi ajouta : — De plus, le magicien est revenu de son voyage très vieilli. Or s’il ne peut pas se soustraire lui-même à la vieillesse, comment soustraira-t-il les autres à la mort ? On le remercia donc. Il repartit pour l’Inde, et mourut en chemin. Encore en 657, défense aux bonzes et bonzesses, de permettre désormais à leurs parents et aux personnes nobles, de se prosterner devant eux (cf. p. 1343). En 659, ordre au Grand Annaliste et Astrologue Hù king-tsoung, de s’occuper de la question des cérémonies fōng-chán (p. 1345). Provisoirement, ce digne homme demanda qu’on associât les deux premiers empereurs de la dynastie au sacrifice fait au Ciel, et les deux premières impératrices au sacrifice fait à la Terre, ce qui fut accordé. En 664, édit annonçant les cérémonies fōng-chán pour l’an 666. En 665, l’impératrice déclare son intention de participer à cette cérémonie. L’empereur sacrifiera au Ciel, et l’impératrice à la Terre. Décret : Au commencement, quand on faisait les cérémonies fōng-chán, l’impératrice sacrifiait après l’empereur (mensonge ; cf. p. 1186)... L’empereur partit de p.1373 Láo-yang, avec un cortège splendide, qui couvrait sur les routes plusieurs centaines de lì. L’année ayant été d’une fertilité extraordinaire, le riz ne coûtait que cinq pièces de monnaie le boisseau, le blé et les fèves ne se vendaient plus, tant tout le monde était dans l’abondance. Quand l’empereur passa à P’òu-yang (Carte III D), il demanda au ministre Teóu tei-huan qui chevauchait à côté de lui : 303 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Pourquoi cet endroit s’appela-t-il jadis Ti-k’iou (la colline du souverain) ?.. Le ministre ne sut que répondre. Le Grand Annaliste Hù king-tsoung qui venait derrière, poussa son cheval et dit à l’empereur : — Jadis l’empereur Tchoān-hu (p. 27) fit ici sa résidence. La localité est ainsi nommée, en mémoire de lui... L’empereur fut très content de cette explication... — Un ministre devrait savoir son histoire, grommela Hù kingtsoung... — Moi, dit Teóu tei-huan, quand je ne sais pas, je n’invente pas. (Coup de patte à l’Annaliste, qui avait la réputation d’être blagueur, comme nous verrons plus tard.)... Lì-tsi termina le différend, en disant que tous deux avaient bien fait, l’un de dire qu’il ne savait pas, l’autre de dire ce qu’il savait... Dans le même pays, l’empereur visita la famille Tchāng, célèbre parce que tous ses membres vivaient en commun depuis neuf générations. Ils avaient reçu les félicitations des trois dynasties Ts’î Soêi et T’âng. L’empereur dit à Tchāng houng-cheu, le chef de la famille : — Veuillez me donner la recette de votre bonne entente... Celui-ci écrivit cent fois le caractère Patience, et tendit le papier à l’empereur... — Je comprends, dit celui-ci ; et il lui fit un beau cadeau. Au premier jour de l’an 666, l’empereur sacrifia au Souverain Seigneur de l’Auguste Ciel, au sud du mont T’ái-chan. Le lendemain, il fit l’ascension de la montagne, scella fōng un diplôme sur jade dans un socle de pierre, répétant les cérémonies faites par l’empereur Koàng-Où des p.1374 Heóu-Hán en l’an 56 (p. 680). Le lendemain, cérémonie chán au bas de la montagne, au lieu dit Chée-cheou, pour honorer l’Esprit de l’Auguste Terre. Quand l’empereur eut fait son offrande, il se retira, avec toute sa suite. Alors, sous un dais fermé porté par des eunuques, l’impératrice Où s’avança et fit aussi 304 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. son offrande. Il y eut amnistie et inauguration d’une ère nouvelle (p. 448). Il y eut aussi pluie de décorations sur les officiers. En s’en revenant du T’ái-chan, l’empereur passa à K’iū-fou, la patrie de Confucius. Il visita la tombe du Sage, lui conféra le titre de Maître Suprême, et lui sacrifia deux victimes (un bélier et un porc). Passant ensuite à Poúo-tcheou (au sud de Koēi-tei-fou, la patrie de Làotzeu), il visita le temple de Lào-kiunn, et lui décerna, comme Ancêtre de la dynastie (p. 1301), le titre de Suprême Mystérieux Originel Empereur (p. 755). Ce bon Kāo-tsoung avait toutes les dévotions. La stèle de Sī-nan-fou (p. 1352) raconte que, très favorable au Nestorianisme, il fit bâtir des temples de cette religion dans toutes les préfectures (?). Religiosité vague, échine souple. Son état mental étant ce que nous avons dit, il n’y a pas lieu d’insister sur cette question... Au 4e mois de l’an 666, il rentra à Tch’âng-nan. En 667, labour impérial. Les ministres lui mirent en main une charrue enrubannée. — L’instrument des paysans n’est pas fait de la sorte, dit l’empereur ; donnez-moi une vraie charrue... Quand on la lui eut remise, il traça neuf sillons. En 668, le bonze hindou Lou-kia-i-touo venu de l’Oudyana (23), présenta à l’empereur la drogue d’immortalité. Le même Kāo-tsoung qui, en 657, avait si bien parlé contre cette drogue, faillit cette fois la gober. Il s’y disposait, quand le censeur Hào tch’ou-tsounn lui dit : — La vie et la mort dépendent du destin ; les drogues n’y peuvent rien... L’empereur renonça à sa fantaisie. En 669, on décida en p.1375 principe la construction d’un Mîng-t’ang. La base serait octogonale ; le dôme serait rond et couvert de plaques de jade bleu. Les portes, fenêtres, colonnes, tous les détails de l’aménagement, répondraient aux nombres du Ciel et de la Terre, des deux principes, des 305 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. mansions célestes, des tons musicaux, etc. On discuta, sans aboutir. Une famine qui survint, fit remettre l’exécution à plus tard. Le Grand Annaliste et Astrologue Hù king-tsoung étant mort en 672, en 673 un décret chargea Liôu jenn-koei de réviser les histoires qu’il avait rédigées, le bruit courant qu’il y avait inséré pas mal d’erreurs et de mensonges. Ce trait est à mettre en parallèle avec le discours de Tch’òu soei-leang à l’empereur T’ái-tsoung (p. 1321). La dynastie descendant de Lào-kiunn, en 674 l’impératrice Où obtint un édit recommandant l’étude de son livre, et promettant primes et faveurs à ceux qui se rendraient experts dans sa doctrine. En 675, l’impératrice Où fit des offrandes à la Première Eleveuse de vers à soie. C’est Lèi-tsou, fille du seigneur de Sī-ling, épouse de Hoâng-ti (p. 24), d’après les Rites et les Commentaires. Mis en appétit par l’air vif du T’ái-chan, en 682 l’empereur conçut le projet d’aller également enfouir des diplômes sur le sommet des quatre autres monts sacrés. Le pauvre homme n’avait que ce prétexte pour faire des excursions. Il projeta aussi de bâtir un temple au Ciel, au mont central Sōng-chan, pas très éloigné de Láo-yang. En 683, il annonça sa tournée pour l’année prochaine. Comme il mourut quatre mois après, la tournée ne se fit pas. En 683, autre exemple de dévotion, toute pratique celle-là. Un certain Pâi t’ie-u, ayant préalablement enterré un vieux Buddha en bronze, attendit que la végétation eût convenablement recouvert l’endroit, puis annonça à ses concitoyens qu’il percevait des émanations lumineuses. On creusa et on p.1376 trouva le Buddha, puisqu’il y était. Le bruit s’étant alors répandu, que quiconque contemplerait ce Buddha, serait guéri de toute maladie, l’affluence des pèlerins commença. Il paraît qu’on enrôlait ceux qui guérissaient, dans une sorte de congrégation, comme ont fait tant de Hiāngmeull jusqu’à nos jours. Quand le nombre de ses adeptes lui parut assez considérable, Pâi t’ie-u se déclara empereur, nomma des ministres, et se révolta contre le gouvernement. Il fallut faire marcher des troupes contre cet exploiteur de la piété populaire. Toujours la même histoire, superstition, puis rébellion, le tout provoqué et dirigé par quelque habile canaille. 306 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 683, au IIe mois, la tête de l’empereur enfla, et il devint complètement aveugle. Le médecin Ts’înn ming-hao demanda l’autorisation de ponctionner les parties tuméfiées. L’impératrice Où, qui était probablement pour quelque chose dans la tuméfaction, dit avec colère : — Cet homme mérite la mort, pour avoir osé vouloir tirer du sang à l’empereur... — Si on essayait tout de même, dit celui-ci... Le médecin fit donc deux ponctions, après lesquelles l’empereur recouvra partiellement la vue... Aussitôt, pour déguiser son jeu, l’impératrice se frappant le front, s’écria : — Grâces soient rendues au Ciel !... puis elle courut elle-même chercher cent pièces de soie, et les présenta, par brassées, au médecin. Un mois plus tard, l’empereur retomba soudainement et gravement malade. P’êi-yen fut appelé, au milieu de la nuit, pour rédiger à la hâte ses dernières volontés. L’empereur décéda, sans autres témoins. L’Histoire n’en dit pas davantage. Le testament plus ou moins authentique de Kāo-tsoung, mettait sur le trône Tchée, le second fils de l’impératrice Où, âgé de 28 ans. Sa mère était chargée d’arranger les affaires, dont le fils ne se tirerait pas. @ 307 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Tchoūng-tsoung, 684 à 710. @ p.1377 Règne nominal comme nous allons voir. Au premier mois, la dame Wêi fut faite impératrice. Au deuxième mois, l’empereur manifesta à P’êi-yen, son intention d’élever le Père de la nouvelle impératrice à une charge importante. Celui-ci voulut l’en dissuader. — Ne suis-je pas le maître ? dit l’empereur en colère. Si je voulais lui donner l’empire, qui pourrait m’en empêcher ?.. Il oubliait maman. P’êi-yen courut vite la prévenir. Sans en demander davantage, celle-ci réunit les ministres, appela la garde aux armes, puis cita l’empereur, et lui déclara publiquement sa déchéance... — Quelle faute ai-je commise ? demanda Tchoūng-tsoung... — Vous avez voulu donner l’empire à Wêi huan-tcheng, dit l’impératrice... Sur ce, elle le fit enfermer, lui substitua son troisième fils qui fut Joéi-tsoung (684), proclama une ère nouvelle, etc. Le nouvel empereur n’eut rien à voir dans les affaires. L’impératrice Où gouverna seule. Tchoūng-tsoung fut enfermé à Fâng-tcheou, dans la vallée de la Hán. Il y resta 14 ans ; heureux encore de n’avoir pas le sort de son aîné. Se sentant désormais maîtresse absolue de l’empire, la douairière Où songea à le ravir aux T’âng, pour le donner à sa propre famille. Elle commença par faire élever à ses Ancêtres un temple à l’instar du temple des Ancêtres impérial. Puis elle plaça des Où dans toutes les hautes charges. Bien entendu, les Lì (T’âng) furent mécontents. Lì king-ie se révolta. C’est ce que l’impératrice désirait, pour avoir prétexte à sévir. Battu, Lì king-ie fut assassiné par son lieutenant Wâng na-siang. En 685, la douairière s’éprit du bonze Hoâi-i, qui devint son factotum pour toute sorte de besognes. Elle le fit abbé de la célèbre bonzerie Pâi-ma-seu de 308 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Láo-yang. Le bonze eut un train impérial. Les personnages les p.1377 plus haut placés, ne se tinrent plus, devant lui, que à quatre pattes ou à plat ventre. Les propres neveux de l’impératrice, lui rendaient les devoirs que les fils doivent à leur père. Hoâi-i remplit son couvent de jeunes gens audacieux, qu’il costuma en bonzes. Appuyé par cette garde, il se permit impunément tous les excès. En 686, l’impératrice voulant éprouver le degré de veulerie de son fils Joéi-tsoung, offrit de lui remettre les rênes du gouvernement. Celui-ci refusa, protesta, supplia, d’une manière satisfaisante. Il devina, dit l’Histoire, ce qui en était de la proposition. Alors la douairière entreprit l’extermination systématique de la maison de T’âng et des familles qui lui étaient dévouées. Voici comment elle s’y prit. Elle donna toute liberté aux délations secrètes. On fournissait des chevaux, on remboursait les frais de route, à tous ceux qui voulaient venir de loin pour accuser autrui. L’impératrice les recevait elle-même. Elle donna audience jusqu’à des laboureurs et des bûcherons. Ainsi encouragés, les accusateurs pullulèrent, et bourdonnèrent comme des guêpes. Trouvant que, pour calomnier, il fallait encore trop se déranger, un certain Û pao-kia imagina des boîtes en cuivre, fixées sur les places publiques (boîtes aux lettres), dans lesquelles on pouvait introduire, par une fente, des dénonciations signées ou anonymes. L’impératrice adopta cette invention avec enthousiasme. Û pao-kia récolta ce qu’il avait semé. Un voisin ayant déposé dans la boîte de son village, une accusation contre lui convenablement troussée, il fut mis à mort, sans enquête et sans phrases. Une petite montagne (volcan de boue) ayant surgi dans le Kiāng-si actuel, la douairière considéra la chose comme un bon augure. La terre s’émoustillait, de plaisir, sans doute, d’être gouvernée par elle. Le lettré Û wenn-tsounn de Kiāng-ling, en jugea p.1379 autrement. Il présenta le placet suivant. « Quand les k’i célestes sont déséquilibrés, il s’ensuit chaleur ou froidure ; quand les k’i humains sont en désordre, il s’ensuit des troubles et des maladies ; quand les k’i terrestres ne sont pas en ordre, il pousse des monticules. 309 Actuellement l’impératrice Textes historiques. II.a : de 420 à 906. gouverne l’empereur, le fort et le doux sont sens dessus dessous, la terre étouffe de colère, voilà pourquoi il lui pousse des excroissances. Vous vous trompez en prenant ce phénomène pour un signe de bon augure. Je vous prie de changer de conduite, pour apaiser le Ciel, sinon il vous arrivera malheur... Furieuse, l’impératrice envoya ce lettré continuer ses études au Tonkin. En 687, tentative de Yâng tch’ou-tch’eng, pour délivrer l’empereur Tchoūng-tsoung renfermé à Fâng-tcheou. Il manqua son coup. La douairière le fit mettre à mort. En 688, elle se décerna les titres de Sage (ou Sainte dans le sens buddhique) Mère, Impératrice Transcendante...Son neveu Où tch’eng-seu ayant fait graver sur une pierre les caractères suivants Prospérité éternelle à l’empire, sous le gouvernement de la Sage Mère, fit présenter cette pierre à l’impératrice, comme ayant été rejetée par la rivière Láo, (Fôu-hi et Ù le Grand, HCO p. 58). Folle de joie de cet hommage que lui rendait la nature, la Sage Mère salua la pierre, puis ordonna de la vénérer. Elle annonça l’événement au tertre du Ciel, au temple Ming-t’ang, et aux hauts fonctionnaires réunis en cour plénière. Cependant deux autres princes de la maison T’âng s’étant révoltés, furent tués les armes à la main. Beaucoup d’autres furent exécutés, sous divers prétextes. La même année, Tî jenn-kie, gouverneur du Heûe-nan, fit savoir à l’impératrice que, les pays de Oû et de Tch’ôu abondant en lieux saints de cultes non autorisés, il en avait détruit par le feu plus de 1700, ne réservant que les temples de p.1380 Ù le Grand (p. 38), de T’ái-pai (p. 150), de Kí-tcha (fils de Cheóu-mong p. 135), et de Où-yuan (ministre de Fōu-tch’a p. 149). Nous avons dit plus haut, que le projet de bâtir un Mîng-t’ang, s’était aheurté, comme toujours, aux disputes des Lettrés. Lasse d’attendre que ces chicaneurs eussent fini de s’entendre, l’impératrice confia la chose au bonze Hoâi-i. Ce que c’est, que de s’adresser aux habiles gens. Elle eut son temple sur-le-champ. Sans le moindre scrupule archéologique, le bonze construisit un édifice haut de 249 pieds, ayant 300 pieds de côté à la base, et 310 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. trois étages. Le premier étage consacré aux quatre saisons, fut peint en quatre couleurs. Le second étage consacré aux douze mansions zodiacales, eut un plafond rond, enguirlandé de neuf dragons. L’étage supérieur, consacré aux vingt-quatre k’í, fut couvert d’un toit en coupole, surmonté par un phénix en fer doré haut de dix pieds. On appela cet édifice le Palais transcendant des dix mille Images... Au nord du mîng-t’ang, le bonze bâtit un T’iēn-t’ang, Temple du Ciel, à cinq étages, destiné à abriter une image gigantesque. Le bâtiment fut si élevé, que, du troisième étage, on dominait déjà le Mîng-t’ang. L’impératrice paya. De plus elle fit général de la garde impériale, l’auteur de ces chefs-d’œuvre. En 689, grand festival au nouveau Mîng-t’ang. Revêtue du costume impérial, tenant en main le sceptre que tient l’empereur quand il sacrifie au Ciel, l’impératrice fit son offrande. L’empereur offrit en second lieu... L’usurpation étant un fait accompli, le nom dynastique importait peu désormais. L’impératrice changea celui de T’âng, en Tcheōu, la principauté de son père. Elle créa, pour se désigner elle-même, le caractère Lumière éclairant le Néant. Ses décrets s’appelèrent tchéu. En 690, le bonze Fā-ming découvrit, dans le Sutra du Grand Nuage, que la douairière était, ni plus ni p.1381 moins, que Maitreya, le Buddha à venir, et que, par conséquent, elle devait monter sur le trône et régner sur le monde. Cette découverte fut portée à la connaissance de tout l’empire. Dans le Mahamegha Sutra, en chinois [] Sutra du Grand Nuage, le Buddha dit à un Deva : « Avant de devenir Buddha, tu renaîtras sur la terre une fois encore, dans un corps de femme. Tu régneras sur un empire. Dans toutes les villes, dans tous les villages de tes États, hommes et femmes, grands et petits, tous à l’envi recevront les cinq préceptes, observeront la loi et détruiront l’erreur. ».. Fā-ming appliqua ce texte à l’impératrice Où. Celleci fonda dans chaque district une pagode du Grand Nuage, multiplia avec profusion les exemplaires du Sutra du Grand Nuage, etc. Désormais les exécutions et suppressions des princes T’âng allèrent bon train. Trente d’entre eux, plus l’ex-prince impérial Hién et ses deux fils, y passèrent du coup. L’impératrice Où prit le titre d’Empereur. Son fils, l’empereur Joéi-tsoung, fut fait prince impérial, après avoir vu changer son nom Lì en Où. Les drapeaux de la nouvelle dynastie Tcheōu furent rouges. 311 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les tertres des Patrons des terres et des moissons à Láo-yang, furent refaits à neuf. Les tablettes des Où, ancêtres de la douairière, remplacèrent, dans le temple impérial, celles des T’âng. Au solstice d’hiver., l’impératrice sacrifia au Ciel dans le Mîng-t’ang. A cette occasion, elle associa au Souverain d’en haut, son propre premier ancêtre. Sur ce, mêmes intrigues autour de Joéi-tsoung, que jadis autour de Tchoūng-tsoung. Décidément, il valait mieux être le chien de cette femme, que son fils. Une servante favorite de la douairière, ayant faussement accusé de maléfice Liôu-cheu l’épouse de Joéi-tsoung, Où-cheu la fit aussitôt mettre à mort, et ordonna d’enfouir son cadavre dans les jardins du palais, sans que personne sût jamais où. En 693, P’êi fei-koung ayant été accusé d’avoir comploté pour rétablir Joéi-tsoung sur le trône, fut coupé en deux par le milieu du corps. Il ne fut plus permis à l’infortuné Joéi-tsoung de voir qui que ce fût. Bientôt une créature de l’impératrice, l’accusa lui-même de p.1382 conspiration. Où-heou ordonna de torturer ses domestiques. Plusieurs faiblirent et dirent tout ce qu’on voulut. Alors Nān kinn-ts’ang s’écria : — L’empereur est innocent, aussi vrai que voilà mon cœur à nu... et il s’ouvrit le ventre d’un coup de poignard, si largement que ses entrailles s’échappèrent. L’impératrice l’ayant appris, le fit porter dans le palais, et le remit aux mains de ses médecins, qui lui replacèrent les entrailles, cousirent la plaie avec des filaments d’écorce de mûrier, et lui appliquèrent une excellente pommade. Il ne recouvra connaissance que le lendemain. Alors la douairière alla le voir, soupira et dit : — J’ai un fils tellement bête, qu’il n’a pas su se disculper luimême ; merci de ce que tu as fait pour le sauver... C’est ainsi, dit l’Histoire, que Joéi-tsoung en réchappa. Ensuite l’impératrice se fit décerner le titre de Sage Transcendant Empereur dépositaire du Disque d’or (Tchakra, le disque d’or, de cuivre ou de fer, qui tombe du ciel, signe d’investiture des Souverains Tchakravartti élus pour la propagation du Buddhisme). Elle fit faire un grand disque en or qui fut suspendu dans la salle du trône. 312 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 694, l’impératrice ajouta à ses titres, celui de Supérieur à tous les Anciens. Son neveu Où san-seu demanda qu’une colonne de bronze fût élevée, devant le palais, aux vertus de sa tante. On rafla, à cet effet, le cuivre et le fer, par tout l’empire ; les ustensiles et jusqu’aux instruments aratoires y passèrent. Le fût de la colonne eut 105 pieds de haut. Elle s’éleva sur une masse de fonte en forme de montagne, laquelle avait 170 pieds de tour. Chaque tronçon de deux toises (la colonne fut coulée sur place, en position, par assises successives, comme d’autres monstres chinois encore existants), coûta deux millions de livres de métal (ce qui fait plus de dix millions de livres en tout). Si la construction du Mîng-t’ang avait réjoui l’impératrice, elle avait coûté fort cher. p.1383 Néanmoins, par un motif superstitieux qui m’échappe, l’impératrice commanda un nouveau chef-d’œuvre. Ce fut une immense image, haute de 200 pieds, peinte sur toile, avec le sang de bœufs tués ad hoc. Hoâi-i la fit exécuter, et suspendre devant le pont T’iēn-tsinn... Cependant l’impératrice se permit de donner à ce bonze, un rival en la personne du médicastre Chènn nan-niou. Or Hoâi-i tenait à être seul maître du cœur de la souveraine. Pour se venger, il mit le feu au Mîng-t’ang, qui fut complètement réduit en cendres. Le vent déchira en mille pièces l’image peinte au sang de bœuf. L’impératrice feignit de croire que l’imprudence des ouvriers était cause de ces désastres, et interdit toute enquête. Encore en 694, un Persan nommé Fou-touo-tan, apporta et présenta à la cour la fausse doctrine des Deux Principes (Manichéisme). Les sectateurs de cette religion disent que les hommes et les femmes ne doivent pas se marier, qu’ils ne doivent pas parler quand ils se tiennent, que les malades ne doivent pas prendre de médecines, que les morts doivent être enterrés tout nus... Ils se reconnaissent entre eux, par l’emploi de certains parfums. Ils dorment le jour, veillent la nuit, s’accouplent dans les ténèbres, s’appellent bons amis (et non époux). Ils disent que, sauf la leur, toutes les mystiques sont fausses. Ils sont de toutes les rixes et querelles. Quand on leur demande : — D’après votre religion, en définitive où aboutirez-vous ?.. ils répondent : 313 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Nous ne monterons pas au ciel. Nous ne descendrons pas en terre. Nous n’aurons pas recours au Buddha. Nous ne prendrons la voie d’aucune autre secte. Nous passerons tout droit... Cherchez dans la note sur le Manichéisme, page 1486, l’explication de ce qu’il y a d’obscur dans ce texte. En 695, l’impératrice Où prit le titre de Grand et Saint Empereur Mandataire du Ciel au p.1384 Disque d’or. Au douzième mois de la même année, elle fit les cérémonies fōng-chán au mont Sōng. En 696, un nouveau Mîng-t’ang fut achevé. Il eut 294 pieds de haut, et 300 pieds de côté à la base. On l’appela le Palais des communications célestes. En 697, l’impératrice Où fit fondre neuf urnes, à l’instar de celles de Ù le Grand (p. 39). Celle de la province Û, haute de 18 pieds, pouvait contenir 18000 boisseaux de grain. Celles des autres provinces, hautes de 14 pieds, pouvaient contenir chacune 12000 boisseaux de grain. Chaque urne portait, à l’extérieur, en relief, la carte ou plutôt une sorte de vue à vol d’oiseau de la province, monts et fleuves, produits naturels, etc. On employa, pour fondre ces colosses, 560.700 livres de cuivre. En 698, l’impératrice ordonna à Où yen-siou, fils de son neveu Où tch’eng-seu, d’aller demander la main de la fille de Mei-tch’ouo khan des Turcs. On comprend que, avec son expérience des harems chinois, l’impératrice préférât, pour ceux qu’elle aimait, des femmes turques. Ce Meitch’ouo (Kapagan), qui venait de succéder à son frère défunt Kou-tou-lou (Eltérès), avait profité du mauvais gouvernement de l’empire, pour relever les Turcs Septentrionaux ruinés en 630 (p. 1324). Il s’était allié aux Turcs Occidentaux et aux Turgäch, et était devenu fort puissant. Quand Où yensiou, arrivé à sa cour, fit sa demande, le khan se moqua de lui. — Moi, dit-il, j’ai reçu des bienfaits des Lì. Je ne connais que les Lì. Qu’est-ce que les Où.. ? Puisqu’il reste encore deux princes Lì (les deux empereurs), je vais aller les délivrer !.. et, ayant emprisonné Où yen-siou, il mobilisa sa cavalerie et fondit sur la Chine... Pour donner satisfaction au khan, Tî jenn-kie conseilla à l’impératrice de remettre Tchoūng-tsoung sur le trône. Elle le tira donc de sa prison, après 314 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. 14 années de réclusion, mais ne le fit que prince p.1385 héritier, avec droit de lui succéder. Le khan mit à feu et à sang toute la plaine du Heûe-pei, puis se retira. Les Chinois le poursuivirent, pour la forme. Mei-tch’ouo rit d’eux, arma quatre cent mille guerriers, reconstitua l’empire des Turcs Septentrionaux, et déclara ouvertement qu’il se moquait de la Chine. En 699, l’impératrice étant tombée malade, envoya un certain Yên tch’aoyinn prier pour elle au mont Sōng. Celui-ci se lava, s’affubla en victime, s’étendit sur l’autel, et demanda à mourir en place de l’impératrice. Quand il fut revenu, l’impératrice guérie récompensa libéralement ce comédien. La stèle de Sī-nan-fou nous apprend, que l’impératrice Où persécuta ou laissa persécuter les Nestoriens à Láo-yang, en 698 et 699. Cependant la Chine était pour les T’âng, race de viveurs, légers, fastueux, veules, ayant tous les vices qui plaisent au peuple chinois. La douairière qui vieillissait, sentit qu’elle ne pouvait plus oser davantage, et que, malgré tout le sang qu’elle avait versé, l’avenir de sa famille n’était pas assuré. Tant d’autres familles d’impératrices avaient disparu, après le décès de la maîtresse, par voie d’égorgement sommaire (p. 320, 718) ! Elle réunit donc, dans le Mîng-t’ang, les Où ses parents, les deux empereurs ses fils avec leur sœur sa fille, et leur fit jurer réciproquement de ne pas se détruire. Leur serment fut gravé sur une plaque de fer. Un jour que l’impératrice était sortie, un bonze se jeta à la tête de ses chevaux, la priant de venir à sa pagode pour y vénérer certaines reliques. L’impératrice allait consentir, quand Tî jenn-kie se jeta lui aussi à genoux devant les chevaux. — Le Buddha, cria-t-il, est un Chênn barbare. Vous vous ravalez, en lui rendant visite. Ce farceur de bonze ne vous invite, que pour achalander sa marchandise. Il attirera les foules, en se ventant de votre visite... L’impératrice refusa d’aller à la pagode, en disant : — Je tiens à donner la face, à un p.1386 conseiller aussi loyal. En l’an 700, la douairière ayant résolu de fondre un Buddha colossal, exigea, à cette fin, une pièce de monnaie par jour, de chaque bonze et 315 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. bonzesse par tout l’empire. Étant plus habitué à recevoir qu’à donner, ils trouvèrent cela dur. En 702, un certain Sōu nan-heng, originaire de Où-i, présenta le placet suivant : « L’empire chinois est l’empire de Chênn-noung, Yâo, Wênn-wang, Où-wang. Quoique vous gouverniez bien, il n’en est pas moins vrai que vous avez usurpé le trône des T’âng, et qu’il est temps de le leur rendre. Si, par ambition, vous oubliiez vos devoirs de mère, jusqu’à déshériter vos fils, de quel front vous présenteriez-vous un jour devant les T’âng ancêtres de vos fils ? Le Ciel et les Hommes tiennent aux Lì. L’empire est en paix, il est vrai, mais qu’arrivera-til après vous ? Après l’apogée, la ruine ; quand la mesure est pleine, on la vide. Ne faites pas une affaire de famille, du bien général de l’empire !.. L’impératrice qui se sentait branler, ne punit pas ces paroles hardies. En 703, nouveau camouflet donné à la douairière, le khan turc Meitch’ouo offrit sa fille, au fils de l’empereur Tchoūng-tsoung. Sa proposition ayant été agréée, il relâcha le pauvre Où yen-siou, qu’il tenait en prison depuis cinq ans. Au neuvième mois de cette année, éclipse de soleil. — Jadis, dit maître Hôu, une éclipse de soleil (p. 317) annonça la fin de l’impératrice Lù, qui la maudit en disant « Ceci est pour moi ». L’éclipse de 703 annonça la fin de l’impératrice Où. Le soleil, c’est la quintessence du yâng, c’est la figure de l’empereur. Pourquoi s’obscurcit-il pour une femme ? C’est que cette femme s’étant assise sur le trône impérial, avait perverti jusqu’aux deux Principes. Elle, et l’impératrice Lù, furent Empereur ; voilà pourquoi le soleil s’obscurcit pour elles. En 704, l’impératrice imposa de nouveau tous p.1387 les bonzes et bonzesses, pour trouver le cuivre nécessaire à la fonte d’une statue du Buddha. 316 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cette même année, étant tombée malade, elle se confina, et ne reçut plus les ministres durant plusieurs mois. Deux eunuques favoris, Tchāng i-tcheu et Tchāng tch’ang-tsoung, la servaient et la gardaient. Le censeur Ts’oēi huanwei protesta contre ce désordre. — Vous devez vous faire servir par vos deux fils, dit-il ; ainsi le veulent les rites et l’étiquette. En 705, la maladie de la vieille impératrice s’aggrava. Les deux eunuques continuaient à la séquestrer. Tchāng kien-tcheu et Ts’oēi huan-wei décidèrent de les supprimer. Tchāng kien-tcheu alla trouver le général de la garde Lì touo-tsouo. — Qui a fait votre fortune ? lui demanda-t-il... — C’est l’empereur Kāo-tsoung, dit celui-ci, en larmoyant... — Vraiment ! dit Tchāng kien-tcheu ; et vous laissez deux gamins (les deux eunuques) mettre à la porte les deux fils de votre bienfaiteur ! Où est votre reconnaissance ?.. — Que faut-il faire ? demanda Lì touo-tsouo ; je vous suivrai... Tchāng kien-tcheu s’assura aussi le concours des officiers de la garde, Hoân yen-fan, Kíng-hoei et Yuân chou-ki. En fils chinois qui sait ses Rites, Hoân yen-fan demanda à sa mère la permission de risquer sa vie. — Soit, dit la mère ; quand le dévouement et la piété sont en conflit, on peut faire passer le dévouement avant la piété. (Ce principe est controversé parmi les moralistes chinois, qui se partagent sur cette question.) Hoân yen-fan et Kíng-hoei allèrent trouver Tchoūngtsoung, et lui offrirent de le remettre sur le trône. Le prince ayant agréé les services des conjurés, Tchāng kien-tcheu, Ts’oēi huan-wei et Hoân yen-fan pénétrèrent dans le palais, à la tête de 500 hommes des gardes. Nous savons que ces gardes étaient presque tous des Barbares, comme ceux des empereurs romains. Lì touo-tsouo alla d’abord délivrer l’empereur Tchoūngtsoung, dont l’autorité p.1388 devait couvrir leurs opérations ultérieures. Cela fait, les conjurés prirent et égorgèrent Í-tcheu et Tch’āng-tsoung, puis 317 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pénétrèrent dans le Pavillon de la Vie Éternelle, habité par la douairière Où. Effrayée, celle-ci se leva en sursaut, et demanda : — Qui ose faire l’insolent ?.. Lì touo-tsouo répondit : — Í-tcheu et Tch’āng-tsoung ayant conçu des projets pervers, nous les avons mis à mort, par ordre de l’empereur... Alors Tchoūng-tsoung s’étant montré, sa mère lui dit : — Puisque ces deux garçons sont morts, tout est dit ; retournez donc dans vos appartements... — Non, dit résolument Hoân yen-fan, il n’y retournera pas. A son lit de mort, l’empereur Kāo-tsoung vous a confié son fils, pour que vous le fassiez régner. Quoique ce fils soit avancé en âge, vous le tenez encore au rang de prince héritier. Le Ciel et le Peuple demandent que le trône soit occupé par un Lì. Veuillez vous démettre, et remettre le pouvoir à votre fils, pour donner satisfaction au Ciel et au Peuple... — Et vous, demanda l’impératrice à Ts’oēi huan-wei, vous qui me devez votre fortune, êtes-vous aussi de cet avis ?.. — J’en suis, dit Ts’oēi huan-wei, pour l’amour de vous, par reconnaissance pour ce que je vous dois ; abdiquez, c’est le mieux que vous puissiez faire... Tandis que la douairière réfléchissait, les conjurés prirent Tchāng tch’āngk’i et le reste de ses mignons, les décapitèrent tous, et suspendirent leurs têtes, avec celles de Í-tcheu et de Tch’āng-tsoung. Sur un édit supposé de la vieille, ils intronisèrent Tchoūng-tsoung, et firent partir immédiatement les courriers officiels, pour annoncer cette nouvelle à tout l’empire. La douairière ne se décida à abdiquer que le lendemain, quand elle se fut rendu compte que tout espoir d’échapper à cette nécessité était définitivement perdu. Tant il est vrai, comme disait l’empereur Où (p. 477), qu’aux femmes l’appétit du gouvernement vient en gouvernant, et qu’elles ne se dégoûtent p.1389 jamais de régner... L’empereur enferma sa mère dans le palais Cháng-yang-koung, 318 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. et l’y garda comme elle l’avait gardé, après lui avoir conféré, comme suprême fiche de consolation, le titre de Grand Saint Auguste Empereur Règle Céleste. Il restaura le nom et la couleur de la dynastie T’âng, les tertres, le temple des Ancêtres, tout ce à quoi l’impératrice avait touché. Láo-yang, la ville favorite de la douairière, qu’elle avait appelée Chênn-tou, redevint simplement la capitale orientale. Le pauvre vieux Lào-tzeu eut aussi ses titres quelque peu rognés, et ne fut plus que Empereur Mystérieux Originel. La dame Wêi-cheu (p. 1377) redevint impératrice. L’ennui tua l’impératrice Où. Elle mourut au onzième mois de cette année, âgée de 82 ans. Par testament, elle renonça au titre d’Empereur, ce qui dispensa son fils de le lui ôter. Concubine du père, épouse du fils, meurtrière de ses rivales, meurtrière de son fils et de sa fille, meurtrière d’un nombre incroyable de princes et de fonctionnaires, marâtre de deux empereurs, usurpatrice du trône équivalemment durant 46 ans et absolument durant plus de 20 ans, sanguinaire, superstitieuse, politique habile, telle fut, à grands traits, la fameuse Où-heou. En cette année 705, le recensement officiel de la population de l’empire accuse 6.150.000 familles, 37.140.000 âmes. Comparez les chiffres donnés page 837. L’empereur Tchoūng-tsoung semble avoir été une absolue nullité. A peine sorti des griffes de sa mère, il tomba dans celles de sa femme. L’impératrice Wêi fit comme avait fait l’impératrice Où, du vivant de son mari l’empereur Kāo-tsoung. Elle assistait aux audiences assise derrière un rideau, se faisait rendre compte des projets et des choses, etc... L’empereur ayant nommé prince impérial son fils Tch’oûng-tsounn qui était d’une autre mère, ce choix déplut p.1390 à l’impératrice, qui résolut de perdre le jeune prince. Elle confia cette commission à Où san-seu, le neveu de l’impératrice Où, lequel haïssait Tch’oûng-tsounn pour des motifs personnels. Averti de ce qui se tramait, le prince gagna Lì touo-tsouo, le libérateur de son père (p. 1387). A la tête de 300 hommes de la garde, le prince et le général massacrèrent Où san-seu, et forcèrent les portes du palais. L’empereur se réfugia au haut d’une tour, bâtie 319 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sur une des portes. Tandis qu’on se battait dans la cour, il cria aux soldats de Lì touo-tsouo : — N’êtes-vous pas mes hommes à moi ? Je vous paierai généreusement la tête des rebelles ! Aussitôt les soldats décapitèrent le prince et le général. Comme aux jours de triomphe, l’empereur présenta leur têtes dans le temple des Ancêtres, et fit des libations devant le cercueil de Où san-seu. Pour flatter son imbécile de mari, l’impératrice Wêi lui décerna le titre de Empereur Auguste Cher au Ciel, Dragon Transcendant. Bien entendu, l’empereur ne pouvait pas rester en arrière, l’impératrice reçu le titre de Impératrice Auguste Chère au Ciel, Sage Auxiliaire. En 708, les dames du harem ayant vu des émanations irisées s’échapper des jupes de l’impératrice, l’empereur fit peindre ce phénomène, et montra l’image aux ministres. Wêi kiu-yuan parent de l’impératrice, ayant demandé que la faveur de contempler cette image, fût étendue à tout l’empire, ainsi fut fait ; on l’afficha. En 709, l’empereur sacrifia au Ciel devant le tertre du sud. A cette occasion, le sacrificateur Tchóu k’inn-ming demanda que l’impératrice fut associée à ce sacrifice, — Dans l’antiquité, dit-il, l’impératrice jouait son rôle dans tous les grands sacrifices, y compris ceux au Ciel et à la Terre... — Non, dit bravement le suivant T’âng-chao ; l’impératrice n’avait un rôle, que dans les sacrifices aux Ancêtres, et non dans ceux au Ciel et p.1391 à la Terre... Mais le conseiller Wêi kiu-yang, organe de l’intéressée, persuada à l’empereur d’adopter l’avis de Tchóu k’inn-ming. L’empereur permit donc à l’impératrice, de sacrifier en second, après lui. En 710, le quinze de la première lune, l’empereur ne se contenta pas d’assister, du haut d’une tour, à la fête des lanternes, ce fameux réveillon, cause de tant de désordres sous les T’âng. Il flâna dans les rues, incognito. 320 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’impératrice Wêi, et plusieurs milliers de filles du harem, en firent autant. Beaucoup, dit l’Histoire, ne rentrèrent pas ; elles trouvèrent des maris, par hasard. L’impératrice se conduisait mal. Craignant d’être punie pour ses déportements, au sixième mois de cette même année, elle pétrit pour son mari l’empereur Tchoūng-tsoung une galette, qui le fit passer ad patres, à l’âge de 55 ans. Elle mit ensuite sur le trône son fils Tch’oûng-mao, âgé de 16 ans. Cependant l’empereur Joéi-tsoung, frère de Tchoūng-tsoung, vivait encore. Il avait un fils nommé Lì loung-ki, homme brave et décidé, chose rare parmi les princes T’âng. Celui-ci résolut de ne pas laisser à l’impératrice Wêi, le temps de devenir une seconde Où-heou. Une belle nuit, suivi de Liôu youk’iou et d’une bande d’hommes armés, il s’introduisit dans le parc impérial. Soudain un essaim d’étoiles filantes illumina le firmament. — Le Ciel se déclare pour nous, dit Liôu you-k’iou ! ne perdons pas cette heure !.. et entrant directement dans le quartier des gardes, il leur dit : — L’impératrice Wêi a empoisonné l’empereur. Maintenant elle trame je ne sais quoi contre l’empire. Tuons-la cette nuit, remettons Joéi-tsoung sur le trône, et donnons ainsi la paix à l’empire !.. — Hourra ! crièrent les gardes... Aussitôt les conjurés envahirent le palais, décapitèrent l’impératrice, puis allèrent trouver Joéi-tsoung. — p.1392 Pardonnez-moi, dit à celui-ci son fils Lì loung-ki en se prosternant ; pardonnez-moi de ne pas vous avoir averti avant d’agir ; je craignais les langues indiscrètes... — Mon fils, lui dit Joéi-tsoung, si les Tertres sacrés et le Temple des Ancêtres ne sont pas détruits, c’est à ta valeur qu’ils le doivent. 321 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Entre temps les conjurés, ayant fermé les portes de la capitale, avaient fait main basse sur le clan des Wêi. Tous furent massacrée, jusqu’aux enfants à la mamelle. Pas un seul n’échappa. Le cadavre de l’impératrice Wêi fut jeté sur la place du marché, pour y servir de jouet à la populace. Son fils Tch’oûng-mao s’était assis sur le trône, refuge des empereurs quand une révolution éclate dans le palais. La sœur de Joéi-tsoung, sa tante, pénétra dans la salle et lui dit : — Les cœurs de tout l’empire sont à Joéi-tsoung. Ce siège n’est pas fait pour un enfant comme vous. Descendez vite !.. Après la formalité d’une abdication en règle du neveu, l’oncle monta sur le trône, enferma le neveu, et nomma prince impérial son fils Lì loung-ki, l’auteur de sa délivrance. A cette période d’intrigues, de scandales et de crimes, nous avons à ajouter les faits militaires suivants... En 689, le général chinois Wêi tai-kia se fit battre par les Tibétains. — En 696, première incursion des Tongouses K’ítan du nord-est, lesquels deviendront un jour redoutables. Après avoir battu les troupes chinoises, ils coururent jusqu’à Ki-tcheou, qu’ils prirent et saccagèrent. En 697, ils battirent et tuèrent le général Wâng hiao-kie. — En 700, le général chinois T’âng hiou-ying inflige un échec aux Tibétains, lesquels demandent la paix en 702. — En 708, incursion des Turgäch (W), qui anéantissent le général Niôu cheu-tsiang avec toute son armée. — En 712, le général Soūnn-ts’uan ayant attaqué les K’í-tan, fut battu par eux, pris et livré au khan des Turcs Mei-tch’ouo, qui le p.1393 @ 322 fit mettre à mort. Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Joéi-tsoung, 710 à 712. @ Sa première préoccupation fut de consacrer ses deux filles, comme nonnes taoïstes, au culte de l’Impératrice Céleste. Il résolut de leur bâtir, à chacune, un couvent... Le censeur Nîng yuan-ti protesta en ces termes. — L’objectif des bonzes et des táo-cheu étant la vie pure et paisible, il est inexpédient qu’ils aient trop et de trop beaux couvents. Il ne convient pas de pressurer le peuple, pour leur en bâtir. Il vaudrait même mieux éloigner de vous cette sorte de gens, comme ont fait plusieurs empereurs, vos prédécesseurs... Sīnn t’i-fao trempa son pinceau dans une encre plus noire. — Je ne vous citerai pas, écrivit-il à l’empereur, des exemples anciens de bons et de mauvais princes. J’aime mieux prendre mes exemples dans l’histoire tout à fait récente. Votre aïeul T’ái-tsoung fut un grand prince, à qui tout réussit. Or il n’autorisa que peu de temples buddhistes et taoïstes, et ne permit qu’à peu de gens de se faire bonzes ou táo-cheu. S’en est-il mal trouvé ? Non, le Ciel l’a comblé de faveurs... Au contraire, votre frère Tchoūng-tsoung, entre bien d’autres fautes, a bâti des temples buddhistes sans nombre, et a permis à qui le voulait de se faire bonze. Il a arraché les aliments de la bouche, et les vêtements du corps du peuple, pour les donner à ces gueux. S’en est-il bien trouvé ? Non, car il est devenu le jouet d’une femme, qui l’a assassiné... Et maintenant que divers fléaux désolent l’empire, non seulement vous ne venez pas en aide au peuple, mais vous faites de folles dépenses pour bâtir des couvents à vos filles. Lequel de vos deux prédécesseurs imitez-vous ? Votre frère, ce me semble, sous le règne duquel vous avez pourtant tant souffert. Si vous n’y prenez garde, avant longtemps le peuple grincera des dents contre vous... p.1394 L’empereur admira ce mâle langage, et bâtit des couvents à ses filles, qui devinrent toutes deux abbesses. 323 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 711, Joéi-tsoung appela à sa cour le célébre táo-cheu Sēu-ma tch’engtcheng, ermite de T’iēn-t’ai (Tchée-kiang), en vue de l’interroger sur les révolutions des deux principes, sur les nombres et les formules... — La Voie, dit celui-ci, consistant à anéantir même ses pensées, pour arriver à l’inaction absolue, comment me fatiguerais-je l’esprit à calculer des nombres ?.. — Alors, pour le particulier, dit l’empereur, c’est l’inaction qui est la perfection mais la perfection du gouvernement, en quoi consiste-telle ?.. — Dans l’inaction, dit le táo-cheu. Laissez aller les choses, et le monde se gouvernera de lui-même, et les cœurs seront réglés... Ahuri, l’empereur soupira : — Quelle grande parole ! Il ne se peut rien de plus sublime !.. Las de la cour, le táo-cheu demanda à retourner à ses montagnes. L’empereur dut lui donner son congé. En 711, Joéi-tsoung publia un règlement de conscription, pour la garde nationale. Tout homme de 25 ans, était passible du service. A 55 ans, tous étaient exempts. En 712, l’empereur sacrifia au tertre du midi, avec cette particularité, qu’il sacrifia simultanément au Ciel et à la Terre. Car, lui dit le conseiller Kià-tseng, sous l’empereur Choúnn et sous les Hiá, quand le souverain sacrifiait au tertre, il invoquait ainsi les Esprits de la Terre, et les Mânes de ses Ancêtres... Il paraît que la chose parut moins claire ensuite, car, au cinquième mois de la même année, l’empereur sacrifia à la Terre au tertre du nord. D’après la stèle de Si-nan-fou, les Nestoriens furent persécutés à Tch’ângnan en 712. Au septième mois de l’an 712, une comète venue de l’Occident, pénétra dans les constellations polaires. Les Astrologues dirent à l’empereur : — Cet astre (balai) signifie, qu’il faut enlever le vieux, et le p.1395 remplacer par du neuf ; abdiquez donc, en faveur de votre fils... 324 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Bien volontiers, dit l’empereur... Sa sœur s’opposa à cette détermination, tant qu’elle put. Le prince héritier, qui craignait sa tante, refusa. L’empereur lui dit : — Tu es un bon fils. Tu m’as toujours obéi. Je ne vois pas pourquoi je te ferais attendre à monter sur le trône devant mon cercueil. Autant vaut que tu y montes de mon vivant... Le prince sortit tout en pleurs, et alla se cacher. L’empereur abdiqua en faveur de son fils. Celui-ci s’excusa encore une fois, par écrit... — Continuez au moins à vous occuper des affaires majeures, dit la princesse à son frère. Celui-ci dit donc au prince impérial : — Puisque tu désires que je t’aide encore dans les circonstances importantes, Choúnn ayant jadis rendu ce service au Grand Ù (p. 37), je veux bien en faire autant ; tiens-moi au courant des affaires majeures... Sur ce, l’empereur Huân-tsoung monta sur le trône. Joéi-tsoung devint Empereur Suprême. Il eut le privilège du pronom tchénn, et ses actes s’appelèrent káo. Il donna audience, une fois tous les cinq jours. Hoân-tsoung eut le privilège du pronom û, et ses décisions s’appelèrent tchéu. Il tint sa cour chaque jour. Toutes les nominations ou mutations des mandarins supérieurs au troisième degré, toutes les causes majeures, passèrent par l’empereur Joéi-tsoung. Amnistie, ère nouvelle, et le reste. La dame Wâng devint impératrice. @ 325 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Huân-tsoung, 713 à 755, @ Au deuxième mois, fête des lanternes, avec banquets et orchestres populaires. Illumination a giorno. L’empereur Suprême assista à la fête, du haut d’un tour. Cependant la tante de l’empereur, qui avait vu son avènement d’un mauvais œil, se mit à cabaler contre lui. En câlinant son frère Joéi-tsoung, elle arriva à faire mettre dans les hautes charges, bon p.1396 nombre d’hommes à sa dévotion. Plus de la moitié des ministres, dit l’Histoire, étaient ses créatures. C’était gênant pour l’empereur.... Bientôt la tante complota, avec le ministre Teóu hoai-tcheng, de renverser son neveu, tout bonnement. Puis elle trouva plus simple, de le faire empoisonner par une dame du harem. Le coup ayant raté, Wâng-kiu dit à l’empereur : — Prenez garde, cela devient grave, prenez les devants... Ts’oēi jeu-young lui dit : — Votre tante ourdit certainement une rébellion ; c’est le moment de l’étouffer, avant qu’il ne soit trop tard ; dites un mot ; personne ne vous fera de reproches !.. — Je vous crois, dit l’empereur ; mais cela ferait de la peine à mon père... — Le premier devoir d’un fils pieux, s’il est empereur, dit Ts’oēi jeu-young, c’est de maintenir en paix l’empire que son père lui a confié. Si vous laissez faire ces conjurés, si vous permettez qu’ils bouleversent l’empire, ce sera là, de votre part, une impiété capitale. Appuyez-vous sur les prétoriens, saisissez les coupables. Quand le coup sera fait, votre père n’y pourra rien redire... — Soit, dit l’empereur... Aussitôt Koūo yuan-tchenn et Kāo li-cheu (p. 1354) pénétrèrent dans le palais, obligèrent le ministre Teóu hoai-tcheng à se pendre, puis décapitèrent 326 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. son cadavre. L’Empereur Suprême, ayant entendu du bruit, se réfugia au haut d’une porte. — Ne craignez rien, lui cria Koūo yuan-tchenn, nous n’en voulions qu’à Teóu hoai-tcheng ; il a son affaire... Par précaution, néanmoins, avant de descendre de sa porte, Joéi-tsoung protesta par écrit, qu’il ne voulait plus désormais avoir rien à voir dans le gouvernement. Il se retira ensuite dans un palais écarté... Huân-tsoung fit savoir à sa tante, qu’elle eût à se suicider. Tous ses enfants et complices, plusieurs dizaines de personnes, moururent avec elle. L’eunuque Kāo li-cheu devint un des premiers personnages de l’empire, une sorte de Maire du p.1397 palais. Il est loué par la stèle de Si-nan-fou. @ Politique extérieure. Guerres... Maîtres de la Perse, les Arabes que la guerre civile entre Ali et Moawia avait arrêtés pour un temps, reprirent leur avance vers le Nord-Est. Grand émoi dans tout le Touran. En 707, le célèbre émir Kotaïba ben Moslim, général du kalife Walid, conquiert le pays de Bokhara (4), le Kharizm (2), puis bat les Turcs Occidentaux (10). En 712, il prend Samarkand (o). En 713, il envoie une ambassade (douze personnes, d’après les historiens arabes) à Tch’âng-nan, probablement en vue de détacher la Chine de son alliance avec les Touraniens. Les ambassadeurs offrirent à l’empereur des chevaux et des bijoux. Ils refusèrent de se prosterner devant lui, disant que, dans leur pays, on ne se prosternait que devant l’Esprit du ciel, et non devant aucun roi de la terre. L’empereur les dispensa de la prostration... Kotaïba poussa jusque dans le Ferghana (12) ; jusqu’à Kachgar (k) même, disent les historiens arabes. S’il ne conquit pas la Chine, ce fut, disent les mêmes historiens, parce que le Fagfour (Fils du Ciel) avait très bien reçu ses ambassadeurs, et lui avait envoyé de riches présents. S’étant révolté contre Soliman, frère et successeur du kalife Walid, Kotaïba fut assassiné dans le Ferghana, en 715. En 714, les Turcs avaient défait le général chinois Koūo k’ien-koan. Les Tongouses K’í-tan avaient battu le général Sūe-neue, qui repoussa ensuite une invasion des Tibétains. 327 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 715, Sūe-neue fit aussi échec aux Turcs...Koūo k’ien-koan était alors Résident pour la Chine à Koutcha (f). Son général Tchāng hiao-song lui avait déjà soumis huit petits États récalcitrants du Tarim. Sur ces entrefaites, les Tibétains qui avaient envahi tout le Pamir-Bolor, pénétrèrent jusque dans le Ferghana (12), où la poussée arabe venait de s’arrêter. Le roi p.1398 du pays courut à Koutcha, demander secours aux Chinois. A la tête de dix mille indigènes du Tarim, Tchāng hiao-song pénétra dans les hautes vallées de l’Iaxartes et de l’Oxus, réduisit une centaine de petites places, et fit peur même aux Arabes (ce sont les Chinois qui le disent). Après avoir pillé tant qu’il put, il grava une inscription à sa louange, et rentra dans le Tarim avec sa bande de brigands. En 716, au nord, les Yer-Bayirkou (tribu Tölös) tuèrent, dans une embuscade, le khan des Turcs Mei-tch’ouo (Kapagan, p. 1385), et envoyèrent sa tête à l’empereur de Chine. Ici finit, pratiquement parlant, en tant qu’elle concerne la Chine, l’histoire des Turcs. Voici, à grands traits, le sommaire de la fin définitive de leur empire, dans l’Asie centrale. Après la mort de Mei-tch’ouo (Kapagan) en 716, le pouvoir, dans la vallée de l’I-li, passa à Sou-lou, le khan des Turgäch (W). En 717, renforcé par les Arabes et les Tibétains, celui-ci pénétra dans le Tarim, et assiégea Aksou (g). La Chine perd définitivement Tokmak (S), en 719. Sou-lou est assassiné en 738. Division des Turgäch en jaunes et noirs. Après des luttes compliquées et obscures, les Karlouks et les Ouïgours finissent par se partager l’Est et l’Ouest, en 743... Devenus chefs de la confédération des Tölös, à l’Est les Ouïgours détruisent définitivement les Turcs Septentrionaux, et restent maîtres incontestés du bassin du lac Baïkal, capitale Kara-balgassoun sur la rive gauche de l’Orkhon (O)... A l’Ouest, dans le bassin du lac Balkhach, les Karlouks écrasent petit à petit les Turcs Occidentaux et les Turgäch, et occupent, vers 766, Tokmak et Talas (T), les résidences des anciens khans turcs. En 719, les royaumes de Bokhara, Samarkand, Koumedh, Tokharestan, envoyèrent des ambassadeurs à l’empereur de Chine. Le roi Tí-chee du 328 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Djaghanyan, envoya avec eux un certain Ta-mou-chee, très versé dans l’astrologie, en priant qu’on voulût bien mettre sa science à l’épreuve. Ce Tamou-chee, dont le nom se retrouve dans les inscriptions de Kara-balgassoun, était un prêtre manichéen. La grande collection [] (vers 1013), nous a conservé les textes relatifs à ces ambassades, inspirées, non par l’amour pur, mais par la crainte abjecte des Arabes. Voici ces morceaux, qui ne manquent pas d’intérêt. p.1399 Tougschada roi de Bokhara dit : — Votre sujet est comme l’herbe foulée par les pieds de vos chevaux, Sage et Saint empereur, qui gouvernez l’empire de par le Ciel ! De loin je joins les mains, je me prosterne, je bénis vos bienfaits, et je Vous adore comme les dieux. Depuis longtemps ma famille est en paisible possession du royaume de Bokhara. Par les armes et autrement, nous avons loyalement servi votre empire. Mais voici que, ravagé chaque année par les Arabes, mon pays a perdu la paix. Je demande humblement que Vous daigniez me secourir dans cette détresse. Je prie qu’un décret émanant de vous, ordonne aux Tutgäch de venir à mon aide. Avec l’aide de leur cavalerie, j’écraserai les Arabes. Je demande humblement que Vous écoutiez ma prière. En attendant, je Vous envoie deux mulets de Perse, un tapis de Syrie, et trente livres de parfums. Ma femme la reine envoie deux tapis à l’impératrice. Si je Vous suis agréable, je Vous prie de m’envoyer une selle, un harnais, des armes, et pour ma femme, des robes et du fard. Narayana roi de Koumedh dit : — Mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père, mes oncles et mes frères, depuis longtemps et jusqu’à ce jour, ont été sincèrement dévoués à votre grand empire. Maintenant les Arabes ravagent mes États. Le Tokharestan, Bokhara, Tachkend, le Ferghana, se sont soumis à eux. Ils ont emporté tous mes trésors, et toutes les richesses de mon peuple. Ils m’ont imposé des taxes écrasantes. J’espère que la bonté impériale fera en sorte qu’ils me remettent ces taxes. Alors moi et les miens, nous pourrons, 329 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pendant longtemps encore, garder la porte occidentale de votre grand empire. Je prie humblement que votre gloire se reflète sur moi. Tel est le vœu de votre sujet. Chourek roi de Samarkand dit : — Les membres de ma famille, depuis longtemps et, jusqu’à maintenant, Vous ont toujours été sincèrement dévoués. Jamais ils ne se sont révoltés. Jamais ils n’ont causé de dommages. Ils ont toujours agi dans l’intérêt de votre grand empire. Voici maintenant 35 ans, que nous bataillons sans trêve ni repos, contre les brigands arabes. Chaque année nous devons mettre en campagne fantassins et cavaliers, sans avoir pu obtenir jusqu’ici, que la bonté impériale envoyât des soldats à notre secours. Il y a de cela six ans (en 712, lettre écrite en 718, arrivée en 719), le général en chef des Arabes, l’émir Kotaïba, est venu ici à la tête d’une grande armée. Ses fantassins et ses cavaliers étaient extrêmement nombreux. Beaucoup de mes soldats étant morts ou blessés, je suis rentré dans ma ville. Les Arabes ont dressé contre mes remparts trois cents catapultes. Je demande humblement que la bonté impériale, informée de ma situation critique, envoie des soldats chinois, qui me tirent de mes difficultés. D’après une prédiction, ces Arabes ne doivent être puissants que pendant cent ans juste. Or c’est en la présente année, qu’expire le temps qui leur est accordé. Si donc des soldats chinois viennent ici, avec eux je détruirai certainement les Arabes. En attendant, j’offre avec respect un cheval, un chameau, et deux mulets. Si la bonté impériale me fait la faveur de quelque cadeau, je prie qu’il soit remis à mon envoyé. J’espère que celui-ci ne sera pas détroussé en route. Pour ce qui est du Tokharestan, Ti-chee roi du Djagnanyan envoya Ta-mou-chee, homme versé dans l’astrologie, avec des lettres de créance dans lesquelles il priait qu’on mit sa science à l’épreuve, que l’empereur voulût bien l’interroger lui-même sur sa religion, lui en permettre le libre exercice, lui accorder l’autorisation d’élever un temple et de vivre des offrandes de ses coreligionnaires... Tamou-chee est peut-être un titre, pas un nom propre. 330 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. p.1400 En 722, le général Yâng seu-hu réprime une révolte dans l’Annam. Tchāng-song bat les Tibétains. En 726, un ambassadeur arabe nommé Soliman, arriva à la capitale. Celui-là consentit à se prosterner, dit l’Histoire. Elle ne dit pas pourquoi il vint. En 727, le général Wâng kiunn-tch’ao bat les Tibétains à l’ouest du Koukou-nor. Il paraît que cette défaite ne les affaiblit guère, car ils envahirent les Nân-chan (v). Wâng kiunn-tch’ao fut tué. Siáo-song rembarra les Tibétains. En 728, Yang seu-hu envahit le pays des Lolos. En 729, le général Lì-i prit la forteresse tibétaine Chêu-pou-tch’eng (près Sī-ning-fou actuel, à l’est du Koukou-nor, dans la fourchette du Fleuve Jaune), échec qui décida les Tibétains à conclure la paix en 730. Pour adoucir leurs mœurs sauvages, l’empereur leur envoya, en 731, un nouvel exemplaire des Odes et des Annales. Il paraît qu’ils avaient égaré celui qu’on leur avait envoyé en 641. En 732, Lì-i bat la horde Hī des K’í-tan. En 733, Koūo ying-kie est défait par les K’í-tan. — En 734, Tchāng cheoukoei rebat les K’í-tan. En 736, entrée en scène du fameux Nān lou-chan, qui faillit perdre la dynastie. Né, dans le Leâo-tong, d’un père K’í-tan et d’une mère Turque, pris ou vendu, il devint esclave d’un officier chinois, qui l’incorpora dans ses troupes et commença sa fortune. Devenu officier à son tour, en 736 il se fit battre par les K’í-tan. L’empereur lui fit grâce de la vie ; acte de clémence que l’Histoire lui reproche, car il occasionna de grands désastres. En 737, Ts’oēi hi-i bat les Tibétains. En 738, la Chine reconnaît, comme roi du Yûnn-nan, le prince de race thaïe P’i-louo-keue, qui ayant réuni les six principautés Tcháo, avait fondé l’État qui s’appellera désormais Nân-tchao, capitale près de Tá-li-fou. Le Nântchao donnera bientôt beaucoup de fil à retordre à la Chine. 331 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 739, p.1401 raid du général chinois Kái kia-yunn, chez les Turgäch de l’I-li, puis dans le Ferghana (12), sans résultat durable, à l’ordinaire. En 741, les Tibétains reprennent la forteresse de Chêu-pou-tch’eng. En 743, les Ouïgours et les Karlouks se partagent l’Est et l’Ouest, comme nous avons dit p. 1398. Aussitôt le khan ouïgour Hoâi-jenn entre en campagne, anéantit les Turcs Septentrionaux, et conquiert tout leur territoire, en 745. Il mourut cette année même, et eut pour successeur le khan Keûelei. Encore en 745, Nān lou-chan bat la horde Hī des K’í-tan. Commençant la série de ses supercheries, il fit savoir à l’empereur, que les anciens généraux vainqueurs des Barbares, Lì-tsing (p. 1322) et Lì-tsi (p. 1363), lui avaient apparu en songe, demandant qu’il voulût bien nourrir leurs mânes affamés. L’empereur ordonna qu’on élevât des temples à ces deux braves, et qu’on leur fit des offrandes. En 746, Wâng tchoung-seu bat les Tibétains, sur les rives du Koukou-nor. En 749 Keûe chou-han leur reprend la forteresse de Chêu-pou-tch’eng. En 750, Keue-louo-fong roi du Nân-tchao (fils de P’ì-louo-keue défunt), s’empare de la province chinoise du Yûnn-nan. En 751, il bat à plate couture le général chinois Siēn-u tchoung-t’oung, et lui tue 60 mille hommes. @ En cette même année 751, deux mois plus tard, à l’autre extrémité de l’empire, dans la vallée de l’I-li, une défaite irréparable mettait fin à l’influence et au prestige chinois dans l’Occident. Le jabgou du Tokharestan (13), fâché contre le roitelet de Kîe-cheu, petit prince montagnard tributaire des Tibétains, qui gênait ses communications avec le Gilghit (23), s’adressa à l’empereur, lequel ordonna au gouverneur chinois de Koutcha de le remettre à l’ordre. Le gouverneur chargea de la commission un certain Kāo sien-tcheu, p.1402 officier coréen au service de la Chine. Ayant franchi, par une marche des plus audacieuses, la passe Baroghil, Kāo sien-tcheu tomba inopinément dans la vallée de l’Indus (23), battit et prit le roitelet de Kîe-cheu... Ensuite, on ne sait pas pourquoi, il s’occupa des affaires de Tachkend (10). Il conclut un traité avec le roi de ce pays, manqua ensuite à sa parole, et se saisit du 332 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. roi. Le fils de celui-ci courut demander secours aux petits royaumes Hôu avoisinants. Il leur exposa la traîtrise et la rapacité de Kāo sien-tcheu (que l’Histoire admet). Furieux, tous les Hôu se confédérèrent, et appelèrent à leur aide les Arabes. L’émir Abou Mouslim, qui commandait alors dans le Khorassan pour Aboul Abbas, n’eut garde de perdre cette occasion de substituer la suprématie du Kalife à celle du Fils du Ciel. Il fit marcher, contre Kāo sien-tcheu, son lieutenant Ziyad ibn Çalih. Pris entre les Arabes et les Karlouks, Kāo sien-tcheu fut écrasé à Athlach, près de Talas (T), juillet 751. Les prisonniers chinois que les Arabes ramenèrent à Samarkand, introduisirent dans cette ville l’industrie du papier, qui avait été jusque-là un monopole de la Chine. Le papier remplaça le papyrus et le parchemin, et devint, dit l’historien arabe Talibi, un profit pour le genre humain dans tous les pays de la terre. La même année, Nān lou-chan se fit battre une fois de plus par les K’í-tan. Il perdit 60 mille hommes. Durant sa retraite, il rencontra un Turc de sa connaissance nommé Chèu seu-ming, qui deviendra plus tard son bras droit. — Puisque te voilà, lui dit-il, pourquoi m’affligerais-je de ma défaite ?.. Pierre d’attente, comme Sēu-ma koang aime à en poser. En 754, le général Kì-mi chargé de réduire le royaume de Nân-tchao, subit une déconfiture retentissante. Il disparut avec son armée, dit le Texte. Or cette armée comptait 200 mille hommes. Ajoutons ce qui suit, par anticipation... En 756, le kalife abbasside Abou Djafar el Mançour, prête à l’empereur Sóu-tsoung un corps de troupes arabes, lesquelles l’aident à reconquérir ses deux capitales... En 758, les Persans et les Arabes établis à Canton pour le commerce, en nombre très considérable, mécontentés probablement par quelque mesure fiscale, vexatoire, se révoltent, pillent les arsenaux et magasins, incendient les maisons, s’emparent des jonques, et se sauvent par mer. Le commerce maritime Sino-Arabe, entre Canton et Siref, par Ceylan, était alors très actif et très prospère. p.1403 333 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Japon... Voyez page 1325... L’Histoire raconte que, en 670, un ambassadeur japonais venu à la cour de Chine, y ayant acquis une certaine connaissance du sens des caractères chinois, s’offusqua du caractère [] Nains, par lequel les Chinois désignaient les Japonais. Mon pays, dit-il, s’appelle [] Jéu-penn, le pays où le soleil se lève. Au Sud, il est entouré par la mer. Au Nord, il est borné par de hautes montagnes dans lesquelles habitent les [] Hommes Poilus (les Aïnos). — En 713, mission japonaise qui flatta extrêmement la vanité chinoise. Des Lettrés japonais vinrent à la capitale de l’empire, pour se faire expliquer par les Lettrés chinois le vrai sens des Livres Canoniques. Le règne de l’empereur Huân-tsoung, des T’âng, règne qui dura 44 ans, présente l’ensemble le plus typique des facteurs qui composent l’histoire de la Chine, enfantillage, intrigues, superstition, révolutions. Je me suis délibérément abstenu, pour ce règne, d’introduire dans la suite des faits un ordre autre que la succession chronologique. Le déroulement des années, fait comme revivre la vie décousue de cet homme et de sa cour. Rien de plus instructif. En 714, criblage des bonzes et bonzesses. Depuis le règne de Tchoūngtsoung, les parents et alliés de la famille impériale, bâtissaient à l’envi des pagodes, pour leurs fils et filles ; tandis que les riches, les notables, se rasaient la tête et entraient dans les couvents, pour échapper aux charges. Ému de ces faits, Yâo-tch’oung présenta le réquisitoire suivant : « Fout’ou-teng n’a pas pu sauver Tcháo (p. 944), Kumara-jiva n’a pas pu sauver Ts’înn (p. 1041), l’empereur Où des Leâng n’a pas échappé au malheur (p. 1218) ; pourquoi alors continuer à entretenir ces farceurs de bonzes, qui nuisent au bon gouvernement ?.. L’empereur ordonna une enquête. Douze mille bonzes et bonzesses furent sécularisés. Défense de bâtir de nouveaux temples, de fondre de nouvelles statues, de recopier les livres buddhiques. Défense à toute famille honorable, d’avoir aucun rapport avec les bonzes ou les táo-cheu... A ces faits substantiels, Maître Hôu ajoute les notes suivantes : Les hommes étant tous de même race, ont tous le droit d’avoir des relations mutuelles. Seuls les criminels sont exclus du commerce 334 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. humain. Quant aux barbares, la Chine ne fraye pas avec eux, parce qu’elle ne veut pas. L’édit qui défendit aux personnes distinguées de frayer avec les bonzes, mit donc ceux-ci au ban de la société, et les assimila aux criminels et aux barbares. La même année, l’empereur ordonna de détruire la colonne, que l’impératrice Où avait laissé élever à ses vertus (p. 1382) ; il fallut des mois, pour en refondre le métal. Fut pareillement démoli, par ordre, le monument que l’impératrice Wêi avait fait élever à sa propre gloire. Phénomène bien rare, dans l’histoire de Chine, l’empereur Huân-tsoung aimait beaucoup ses frères. Au p.1404 commencement de son règne, dédaignant son harem, il dormait avec eux dans un même lit, tous alignés, la tête appuyée sur le même oreiller, et couverts de la même couverture. Dès qu’il était délivré des affaires de l’État, il allait jouer avec eux. Dans l’intérieur du palais, il les affranchissait de toute étiquette, et se contentait des rites ordinaires entre frères aînés et cadets. Ils mangeaient, buvaient, vivaient en commun. L’un d’entre eux étant tombé malade, l’empereur lui prépara luimême la décoction prescrite par le médecin. Comme il se penchait sur le réchaud pour surveiller cette opération pharmaceutique, la longue touffe de poils qui ornait son menton, prit feu au contact de la braise. On s’empressa autour de lui. — Peu importent quelques poils, dit-il ; la potion est bien faite, et va guérir mon frère !.. Ce trait fut souvent reproduit par l’imagerie. Pour mettre un frein au luxe qui devenait excessif, l’empereur livra au trésor quantité de tissus et de métaux accumulés dans les magasins du palais, et fit détruire publiquement nombre de bijoux et de colifichets précieux. Il obligea les dames du harem à s’habiller simplement... Peu de temps après ces démonstrations, un marchand Hôu lui ayant exposé les profits que le gouvernement pourrait tirer du commerce maritime, par les mers du sud, jusqu’à Ceylan et au delà, pays où l’on trouve des perles fines, des plumes rares, des drogues merveilleuses, d’habiles médecins et de belles femmes, l’empereur donna mission à Yâng fan-tch’enn d’étudier cette question. Plus conséquent que son maître, celui-ci répondit : 335 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Vous venez de faire brûler vos bibelots, publiquement, pour qu’on sût bien que vous n’en vouliez plus ; et voilà que vous allez de nouveau faire chercher au loin et à grands frais, ce que vous avez ainsi rejeté. Étant empereur, ne faites pas le marchand ! Pour ce qui est des drogues exotiques, nous Chinois n’en p.1405 connaissons pas les propriétés ; elles ne peuvent donc pas nous servir. De même, les femmes barbares, quelque belles qu’elles soient, ne sauraient trouver place dans le harem. Ce n’est pas que je cherche à me défaire d’une commission périlleuse. Je suis prêt à donner ma vie pour le bien de l’État, mais non pour les lubies d’un Hôu, d’autant que la réussite de cette entreprise serait plutôt à votre désavantage... L’empereur remercia de l’avis, et s’en tint là. A quelque temps de là, le bruit se mit à courir qu’on allait faire une razzia de filles, pour garnir le harem. Le peuple s’émut. L’empereur l’ayant appris, fit assembler ostensiblement, à la porte du palais, nombre de chars à bœufs (découverts) ; puis ayant fait tirer du harem toutes les femmes hors d’usage (sic), il les fit mettre sur les chars et reconduire dans leurs familles. Le peuple se calma et se tut. En 715, les sauterelles dévastèrent le Chān-tong. Le peuple (buddhiste) n’osait pas les tuer. Il se prosternait devant les colonnes envahissantes de ces insectes voraces, et leur faisait des offrandes en les priant de se retirer. Yâotch’oung envoya des délégués dans tous les districts de la province, avec ordre de prendre les sauterelles et de les enfouir dans de grandes fosses... — On n’en viendra pas à bout, dirent les sages... — Au moins, dit Yâo-tch’oung, aurons-nous montré l’intérêt que nous portons au peuple ; ce sera mieux que de contempler passivement son malheur... Alors Lôu hoai-chenn déclara que le meurtre de tant d’êtres vivants, troublerait l’harmonie des deux principes... — Non, dit Yâo-tch’oung, l’extermination de ces insectes ne sera cause d’aucun malheur. Jadis le duc de Tch’òu avala une sangsue, 336 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sans en tomber malade. Soūnn chou-nao tua un serpent à deux têtes, sans qu’il lui arrivât aucun mal. Ah ! vous trouvez plus moral, de laisser mourir des hommes, que de tuer p.1406 des animaux ! Si tuer les sauterelles est un péché, que ce péché soit sur moi Yâo-tch’oung ! Je me déclare prêt à en porter la peine ! Le duc Tchoāng de Tch’òu ayant trouvé un sangsue vivante dans des herbes aquatiques servies sur sa table, se dit que, s’il la retirait, son cuisinier serait sévèrement puni. Il avala donc la sangsue. En égard à sa bonne intention, le Ciel ne permit pas qu’il lui arrivât aucun mal. — Soūnn-chou-nao enfant, vit un serpent à deux têtes. Il le tua, l’enterra, puis se mit à pleurer... Qu’as-tu ? lui demanda sa mère... On dit, dit l’enfant, que quiconque a vu le serpent à deux têtes, mourra. Je l’ai tué, pour que d’autres ne le vissent pas. Mais moi je l’ai vu. Je vais donc mourir !.. Non, dit la mère, tu ne mourras pas ; car on dit aussi, qu’une bonne œuvre ne reste pas sans récompense !.. Soūnn-chou-nao n’eut aucun mal, et devint grand officier. An 716. Tchàng-sounn hinn, mari de la sœur cadette de l’impératrice, haïssait le censeur Lì-kie. Se croyant intangible, il l’attendit dans une ruelle, le roua de coups. Lì-kie porta plainte. L’empereur ordonna d’arrêter Tchàngsounn hinn, et le fit assommer, en pleine cour, devant tous les fonctionnaires réunis, comme réparation de l’affront qu’il avait fait à leur corporation. Cette année, nouvelle invasion des sauterelles, au Chān-tong. Yâotch’oung ordonna de les prendre, comme l’année précédente. Nî jao-choei dit : — Les sauterelles sont un fléau envoyé par le Ciel ; les hommes n’y peuvent donc rien ; ils doivent se contenter de réformer leurs mœurs, et de pratiquer la vertu. Au temps du khan Liôu-ts’oung (p. 902), plus on les prenait, plus il y en avait, parce qu’on agissait contre la volonté du Ciel... — Non, répondit Yâo-tch’oung, ce n’est pas pour cela ; c’est parce que Liôu-ts’oung était un mauvais prince, dont les influences néfastes pouvaient triompher. Or maintenant la Chine est gouvernée par un prince sage, dont la vertu éteint les mauvais influx. L’histoire atteste que jadis jamais les sauterelles n’osèrent envahir les districts gouvernés par de bons mandarins. Il faut donc 337 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. considérer comme des officiers incapables, ceux dont les territoires sont ravagés par ces insectes... Aussitôt les mandarins mirent tout leur zèle à prendre les sauterelles, et, si l’on n’évita pas tous les dégâts, du moins n’y eut-il pas famine en règle. A la fin de cette année 716, Joéi-tsoung le père de l’empereur mourut. En 721, l’empereur confia au bonze I-hing (son nom laïque était Tchāngsoei), la mission de réformer le calendrier officiel. I-hing était mathématicien et géographe. Il commença par faire mesurer, dans les plaines du centre de la Chine, une distance nord-sud donnée ; puis il fit observer, aux deux points extrêmes de cette ligne, p.1407 l’ombre du gnomon au solstice d’été à midi, et la hauteur de l’étoile polaire à minuit du même jour. Ces mensurations lui donnèrent, dit le Texte, une différence de un pied cinq pouces trois lignes d’ombre, et de dix degrés et demi d’élévation, par 3688 lì. Sur ces données, I-hing construisit des tables. Il envoya aussi au Tonkin, ou plutôt dans l’Annam actuel, au sud du tropique du Cancer, dans un lieu où l’ombre du gnomon, projetée vers le sud, fut trouvée de trois pouces trois lignes. Enfin un vaisseau fut envoyé par lui dans les mers du Sud, pour y relever la carte céleste. Pour la première fois, on eut connaissance des splendides constellations et étoiles placées plus bas que Canopus (Argo), que l’antiquité avait ignorées. On releva la carte du ciel, jusqu’à vingt degrés environ de son pôle austral. En 722, innovation dans le culte des Ancêtres. L’empereur porta de sept à neuf, le nombre des tablettes hébergées dans le temple. Théorie de Wângsou (3e siècle) basée sur ce que les Tcheōu honoraient les tablettes de leurs Wênn-wang et Où-wang extra ordinem, réfutée par K’oùng ying-ta (7e siècle). Abus de pouvoir, clament les Lettrés. « Des Rites, il n’en faut, ni trop ni trop peu. Les trois grandes dynasties anciennes (avant Confucius), ont réglé toutes choses comme elles doivent être. Ce que les T’âng ont ajouté à leurs statuts, doit être rejeté. Encore en 722, première institution de l’armée régulière chinoise, cette gloire de la nation. Jusque-là, les armées et les garnisons se composaient de 338 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. paysans arrachés de force à leurs familles, souvent au grand détriment de celles-ci. On les licenciait, après la campagne. Tchāng-chouo conseilla à l’empereur Huân-tsoung d’entretenir une armée permanente de 130 mille mercenaires, qui seraient soldats durant toute leur vie. Ainsi fut fait, et les agriculteurs p.1408 eurent la paix. En 723, l’empereur visita la vallée de la Fênn, jusqu’à la ville actuelle de T’ái-yuan-fou. A cette occasion, Tchāng-chouo lui dit : — A Fênn-yinn, sous les Hán, on sacrifiait à la Souveraine Terre (p. 452). Il y a longtemps que ce culte est oublié. Vous feriez bien de le restaurer, pour obtenir aux agriculteurs de bonnes récoltes... L’empereur fit ainsi. Huân-tsoung avait institué une bibliothèque, dont les savants bibliothécaires donnaient des conférences. Tchāng-chouo la dirigeait, et le gouvernement la défrayait... Le conseiller Lóu-kien demanda qu’on le supprimât, comme dépense inutile... Tchāng-chouo répondit : — Depuis l’antiquité, en temps de paix, les empereurs se sont amusés à gaspiller l’argent, pour des palais, harems, musiques, etc. L’empereur actuel fait des dépenses pour les rites, les lettres et les livres. L’avantage est supérieur aux frais. Lôu-kien a sottement parlé. En 724. L’impératrice Wâng étant stérile, son frère Wâng-chouu consulta le bonze Mîng-ou. Celui-ci fit un sacrifice aux deux Pôles, puis écrivit les noms du Ciel de la Terre et de l’Empereur sur une planchette tirée d’un arbre frappé par la foudre, et fit porter cette amulette à l’impératrice. La chose ayant été découverte, fut traitée selon le Code, comme sortilège. Wâng-chou dut se suicider. L’impératrice fut dégradée. Elle mourut de chagrin. Même le harem la pleura. L’empereur se repentit de l’avoir condamnée. En 725, l’empereur donna une fête à ses ministres et officiers, dans le pavillon des Immortels. Durant le banquet, il dit : — Je ne crois pas aux Immortels. Je ne crois qu’aux Sages. Puisque vous voilà réunis ici aujourd’hui, je décide que, en votre honneur, cet édifice s’appellera désormais le pavillon des Sages. 339 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. La même année, l’empereur dit aux ministres : — Dans la Chronique de p.1409 Confucius, il n’est jamais fait mention de présages fastes. Je défends que désormais les gouverneurs envoient à la cour des paperasses sur ce sujet... L’Histoire insiste sur ces faits, parce que Huân-tsoung dit et fit plus tard tout le contraire. Encore en 725, construction d’une sphère céleste mue par une machine hydraulique. Elle faisait une révolution par jour, reproduisant exactement le cours des astres. Le soleil et la lune couraient sur deux cercles, dans l’intérieur de la sphère. La terre était représentée par un coffre plat en bois, dans lequel était enfermé tout le mécanisme. Deux automates indiquaient les huitièmes d’heure en battant un tambour, et les heures (chinoises de deux heures) en frappant sur une cloche. Au onzième mois de l’an 725, l’empereur partit de Láo-yang, pour aller faire les cérémonies fōng-chán au mont T’ái-chan. Tous les ministres et ambassadeurs l’accompagnèrent. Le cortège impérial était long de plusieurs centaines de lì. Arrivé en char au pied du T’ái-chan, l’empereur en fit l’ascension à cheval, avec les seuls ministres et cérémoniaires, le reste du cortège stationnant au bas de la montagne. Au sommet, l’empereur demanda à Heûe tcheu-tchang : — Pourquoi ceux de mes prédécesseurs qui ont fait cette cérémonie, ont-ils toujours tenu secret l’écrit en or sur jade, qu’ils ont déposé dans le socle de pierre (p. 680) ?.. — Ce doit être, dit l’officier, parce qu’ils faisaient aux Chênn-Siēn des demandes personnelles, qu’ils ne voulaient pas rendre publiques... — Eh bien moi, dit l’empereur, je ne leur demande que le bonheur de mon peuple. Je tiens à ce qu’on le sache. Lisez tous le texte de la tablette, avant qu’on l’enterre... Quand les assistants l’eurent lue, l’empereur sacrifia en personne, sur la cime de la montagne, au Souverain Seigneur de l’Auguste Ciel. Au même moment, les officiers restés au bas de la montagne, 340 p.1410 y sacrifièrent aux Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cinq Tì (régions de l’espace), et à la multitude des Chênn. Le lendemain, l’empereur sacrifia aux K’î de l’Auguste Terre, à Chée-cheou. Le surlendemain, cour plénière dans la tente impériale, amnistie pour tout l’empire, et proclamation d’un diplôme impérial, qui créait le Chênn du mont Tái-chan « Roi Céleste de Ts’î » (le Chān-tong ; cf. p. 442)... A ce narré, Maître Hôu ajoute le commentaire suivant : « Le bonheur se mérite par les actes. Le bonheur, pour le peuple, c’est la longévité, la richesse, la paix dans l’abondance. Quand un empereur est économe et bon administrateur, le peuple obtient tous ces biens, par suite de son bon gouvernement. Ce qu’un bon empereur demande au Ciel le matin, il l’a obtenu avant le soir. Pas n’est besoin, par conséquent, qu’il aille à grands frais enfouir au sommet du T’ái-chan, des prières écrites en or sur jade. Il est plus facile que cela, de communiquer avec le Ciel. — En revenant du T’ái-chan, Huân-tsoung honora de sa visite le tombeau de Confucius. L’historien des T’âng a osé écrire honora. Or nous savons de longue date (p. 686), que, dans l’opinion des Lettrés, en faisant ces pèlerinages, ce sont les empereurs qui s’honorent... L’empereur rentra à Láo-yang, au douzième mois de l’an 725. En 726, le recensement officiel de l’empire donna les chiffres suivants : Familles 7.069.565 ; Ames 41.419.712. Comparez page 1389. En 727, à la crue d’automne, le Fleuve Jaune rompit ses digues vers le nord, noya tout le Tái-ming-fou, le Kí-tcheou, jusque vers Heûe-kien fou. Sans quitter son cours inférieur, alors sensiblement identique au cours inférieur actuel, le Fleuve communiqua par une anastomose, un bras nouveau, avec le Hōu-t’ouo heue. Le lit de cette branche de communication, actuellement desséché, est encore très visible en maint endroit. Le Fleuve déchargea donc p.1411 temporairement ses eaux dans la mer par deux bouches, sa bouche actuelle, et l’embouchure actuelle du Pèi-ho. En 729, innovation rituelle. Jusque-là, les T’âng avaient offert le sacrifice général triennal aux Ancêtres dans le temple, et le sacrifice particulier quinquennal dans le logement du défunt. Le cérémoniaire Wêi-t’ao observa que cette dernière offrande, étant trop semblable à un banquet vulgaire, 341 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. n’était pas assez digne. Depuis lors les T’âng offrirent aussi le sacrifice quinquennal dans le temple, ce qui eut accessoirement l’avantage de diminuer le nombre des immeubles à conserver. La même année, édit établissant une sorte de monopole de l’État sur le cuivre le plomb et l’étain, en vue de gêner les faux-monnayeurs. Le gouvernement prenait les métaux à ceux qui les extrayaient, et les payait, ou ne les payait pas, more sinico. En 731, l’empereur ordonna d’élever dans les deux capitales et dans les chefs-lieux de tous les districts, un temple officiel au T’ái-koung Grand-Duc, de lui associer Tchāng-leang comme ministre, et dix généraux célèbres comme assesseurs. Sacrifice officiel, au 2e et au 8e mois, avec les mêmes rites que pour Confucius. Depuis lors, la Chine a eu ses temples civils et militaires distincts. Sēu-ma koang proteste énergiquement contre cette innovation. « Dans nos temps d’incapacité, les officiers civils gouvernent les peuples, les officiers militaires répriment les troubles. Les Sages de l’antiquité avaient ces deux capacités, et remplissaient ces deux offices à la fois. Alors pourquoi mettre le Grand-Duc sur le même pied que Confucius, appeler l’un civil et l’autre militaire. Depuis qu’il y a des hommes sur la terre, Confucius n’a jamais eu son pareil ; le Grand-Duc ne saurait lui être comparé. Les Anciens donnaient à l’éducation le pas sur la valeur. C’est depuis la composition des traités militaires de p.1412 Soūnn-ou (6e siècle avant J.-C.) et Oû-k’i (4e siècle avant J.-C., p. 158), que le vulgaire considère la valeur comme un mérite. C’est depuis lors que l’on cherche à s’agrandir par les armes, les ruses et les stratagèmes. Les militaires de cet acabit, peuvent-ils être comparés aux Sages ? Vraiment, si l’âme du vieux Grand-Duc eut connaissance des honneurs que l’empereur Huân-tsouug lui décerna, elle fut assurément bien honteuse d’être réduite à manger des offrandes, en compagnie de Tchāng-leang et de dix généraux. Le Grand-Duc qui fut ainsi fait dieu de la guerre par les T’âng, est le fameux Kiāng tzeu-ya, alias Cháng seigneur de Lù ou Cháng-fou père Cháng, 342 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. le conseiller de Où-wang, fondateur des Tcheōu, dont les gestes historiques ont été exposés page 66 seq. Il mourut après 1032 avant J.-C. La tradition rapporte de lui, qu’il s’occupait peu des soldats, mais [a][b][c][d] surveillait activement les officiers. Douze siècles après sa mort, sous les Hán, on se ressouvint de ce brave homme, et il fut fait… devinez quoi ?... patron des marinades, lesquelles jouent un si grand rôle dans la vie chinoise. Voici le jeu de mots, qui lui valut cette vocation : [d] tsiáng général, [e] tsiáng saumure ; [a][b][c][e] il fut chargé de surveiller activement les marinades. On écrivit donc, depuis les Hán, sur toutes les jarres, Attention ! Le GrandDuc Kiāng est là ! Avertissement donné aux lutins malins, qui font aigrir les marinades. On conféra aussi au Grand-Duc, le titre glorieux de Général Cent Sauces... Il paraît que le Grand-Duc Kiāng fit bien dans sa charge, car bientôt on lui confia en outre la garde des appartements, et l’on écrivit l’avertissement : Attention ! Le Grand-Duc Kiāng est là ! sur les portes des chambres (cf. p. 1357)... Enfin les Taoïstes en tirent un grand personnage. La tradition rapporte que Cháng de Lù fit ensevelir pieusement les officiers tués dans les batailles d’où sortit la dynastie Tcheōu. Les Taoïstes racontèrent qu’il les avait fait officiers dans l’autre monde, firent du GrandDuc le généralissime des armées infernales, etc. C’est à ce titre, qu’il fut nommé dieu de la guerre par les T’âng. L’empereur Huân-tsoung commençait à pencher vers le Taoïsme. Nous connaissons Tchāng-leang, page 314. En 732, grand banquet impérial. On emportait à bras au fur et à mesure, et on reconduisait à leur domicile dans les voitures de la cour, les ministres et officiers qui glissaient sous la table. Ce fut une très belle fête, tout à fait dans le goût des T’âng. La même année Siáo-song, le dévot de l’Auguste Terre, fit remarquer à l’empereur que, depuis qu’il avait sacrifié à Fênn-yinn (p. 1410), les années avaient été d’une fertilité extraordinaire. Il demanda qu’on instituât aussi ce culte à la capitale de l’Ouest. L’empereur accorda sa demande. Les Manichéens se multipliant et étant mal vus du peuple, les Buddhistes demandèrent un acte qui distinguât leur cause de celle de ces gens-là. L’empereur fit publier l’édit suivant : « Les Mouo-ni (Mani, Manichéens) sont une secte perverse. C’est à tort qu’ils veulent se faire passer pour une secte buddhique. 343 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cependant, puisque leur loi est celle des Maîtres des Hôu d’Occident, que leurs disciples soient libres ! qu’on ne les moleste pas ! En cette année 732, le recensement officiel de la population de l’empire, donna les chiffres suivants : Familles 7.861.236. Ames 45.431.265. Comparez page 1410. En 734, apparition sur la scène de Lì linn-fou, qui devient ministre à la place de Tchāng kiou-ling. Nous ne raconterons pas en détail les viles intrigues de cet homme astucieux et perfide, dont le nom est en exécration encore de nos jours. Durant près de vingt ans, il flatta tous les mauvais penchants, et entrava tous les bons propos de son impériale dupe. Il mourut riche et honoré. La haine viola sa sépulture, la justice flétrit sa mémoire... L’Histoire dit qu’il gouverna l’empereur, par le moyen des eunuques et des femmes du harem. Il possédait si bien tous les ressorts de sa poupée, tout ce qu’il lui présentait était si parfaitement adapté à son goût, que toutes ses propositions étaient acceptées d’emblée. L’empereur cultivait, dans son parc, un petit champ de blé. A l’époque de la moisson, il y conduisit le prince impérial et les grands officiers. — Ce blé, leur dit-il, servira aux offrandes du temple des Ancêtres. Je veux donc, comme j’ai travaillé pour le semer, travailler aussi pour le récolter. Ce spectacle vous donnera aussi quelque idée des travaux agricoles, et des labeurs des agriculteurs. Un certain Tchāng-kouo se donna pour immortel. Il avait été conseiller, disait-il, de l’empereur Yâo. Depuis lors, il avait erré dans les Hêng-chan. Le préfet du Heûe-nân, Wêi-tsi, envoya ce farceur à la cour. L’empereur lui donna audience dans ses appartements secrets, l’attacha temporairement à sa cour, lui conféra le litre de Maître Pénétrant les Mystères, enfin le renvoya comblé de présents. L’Immortel mourut peu après. Certains prétendirent qu’il s’était dévêtu de son corps. L’empereur les crut, et devint de plus en plus taoïste convaincu... Se dévêtir de son corps, dit le Commentaire, cela veut dire que, avant de monter vers les Immortels, on p.1414 quitte son corps et change de forme. Jadis Keûe-houng (taoïste du 4e siècle après J.-C., alias Pao-p’ou-tzeu, voyez HCO, L. 52) étant mort à l’âge de 80 ans, son corps 344 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. garda toutes les apparences d’un corps vivant, coloris, flexibilité, etc. Mais quand on le souleva pour le mettre en bière, on constata qu’il n’avait plus de poids. C’était une enveloppe creuse, comme un vêtement vide. Keûe-houng s’en était dévêtu, avant de devenir Immortel. On dit aussi, se dépouiller de sa matière... (La métamorphose des cigales, de larve terrestre en insecte aérien, est, pour les Taoïstes, le symbole du passage de la vie mortelle à l’état supérieur auquel ils croient.) En 735, labour du champ impérial. L’empereur traça neuf sillons, les ministres et les officiers achevèrent le labour. Après la cérémonie, banquet dans le Pavillon des Phénix. Tous les mandarins, dans un rayon de 300 lì autour de la capitale, avaient été convoqués pour la fête. Chacun avait amené la musique de son prétoire. Ces orchestres concoururent devant l’empereur. Cette année vit un cas assez embarrassant pour les légistes de l’empire. Le juge Yâng-tchou ayant fait mettre à mort (injustement, l’Histoire l’admet) un certain Tchāng chenn-sou, les deux jeunes fils de ce dernier, Hoâng et Sióu, furent exilés dans les provinces du sud. Étant arrivés à s’évader, ils revinrent à la capitale, tuèrent Yâng-tchou, et déposèrent à côté de son cadavre la hache qui leur avait servi à l’exécuter, avec ce billet : Maintenant nous allons frapper ses complices... La police se saisit d’eux. Les conseillers furent très embarrassés. Car Confucius a déclaré formellement, qu’un fils bien né ne doit pas laisser vivre le meurtrier de son père (Rites I, p. 56). Plusieurs opinèrent donc, qu’il fallait gracier ces enfants, sous prétexte de jeunesse et de douleur excessives. Tchāng kiou-ling était p.1415 de cet avis. Ce fut une raison péremptoire, pour son antagoniste Lì linn-fou, d’être d’un avis contraire. — La condamnation de Tchāng chenn-sou a été juridique, dit-il. Laisser cette vengeance impunie, c’est ôter désormais toute force aux arrêts judiciaires. Tous les fils de condamnés à mort, se croiront obligés par la piété filiale, à assassiner les juges de leurs pères... L’empereur adopta, de more, la manière de voir de Lì linn-fou. Les deux enfants périrent sous les coups. Le peuple les plaignit, les chanta dans des élégies, les ensevelit et leur fit des offrandes. 345 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cette année fut introduite dans le harem du roitelet de Cheóu, dixhuitième fils de l’empereur, une femme qui deviendra célèbre, la dame Yâng. Elle était fille d’un fonctionnaire du Séu-tch’oan actuel. Le commentaire ajoute l’observation suivante : L’Histoire ne parle pas, d’ordinaire, des entrées de filles dans les harems des princes. Si elle relève l’entrée de la dame Yâng, c’est pour faire comprendre qu’il ne convenait pas que cette fille devint l’épouse du père, après avoir été celle du fils (nous avons vu l’inverse, dans le cas de l’impératrice Où). En 736, des spectres troublant le palais de Láo-yang, l’empereur ordonna aux ministres de délibérer sur le retour de la cour à Tch’âng-nan. Tchāng kiou-ling fut d’avis que, les travaux des champs pressant alors, il fallait remettre ce voyage à l’hiver. Uniquement préoccupé de complaire au maître, Lì linn-fou fut d’avis qu’il fallait partir immédiatement. C’est ce que l’empereur désirait. Il partit le jour même. En 737, introduction d’un programme plus rationnel, pour les examens publics. Cette question est éternelle, en Chine comme ailleurs. On se douta que les tons et les rimes n’étaient peut-être pas ce qu’il y avait de mieux pour discerner les hommes aptes au gouvernement, et que la connaissance pratique p.1416 des choses anciennes et modernes serait préférable. On institua donc des compositions sur des passages tirés des Canoniques. Explication du sens de dix textes anciens faciles, et dissertation sur trois sujets pratiques modernes. Criblage des admissibles, au moyen de dix autres textes anciens difficiles. Dans le courant de la même année, Lì linn-fou fit mettre à mort le censeur Tcheōu tzeu-leang, pour le punir de ses critiques intrépides... Ici Maître Fán fait les remarques suivantes, sur l’évolution de l’empereur Huân-tsoung, après que Lì linn-fou fut devenu son ministre. « Au commencement du règne, dit-il, les censeurs étaient récompensés ; plus tard on les mit à mort. Au commencement l’empereur tint à distance les parents de ses femmes, brûla les colifichets inutiles, se moqua des Immortels, défendit de lui parler des présages fastes, etc ; plus tard il se plongea dans la luxure, le favoritisme, le gaspillage ; il fit chercher l’élixir de longue vie, et 346 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. prit goût aux oracles. Comment le même homme peut-il avoir changé ainsi ? En se livrant aux passions de son cœur. Quelle leçon ! La même année, sur les délations calomnieuses de Lì linn-fou, l’empereur dégrada et fit mourir trois de ses fils, dont le prince impérial Yīng. Comme ils moururent innocents, le peuple les pleura. Encore en 737, le Grand-Juge Sû-kiao annonça à l’empereur que, durant toute l’année, il n’avait été prononcé, dans l’empire, que 85 condamnations capitales. Que jusque-là, les émanations de mort qui s’exhalaient des prisons, avaient écarté les pies des arbres de tous ces établissements. Que cette année, pour la première fois, ces oiseaux fastes avaient niché dans les cours des prisons... Les ministres félicitèrent l’empereur de ce signe de bon augure. En 738. L’empereur devenant de plus en plus superstitieux et crédule, chargea le cérémoniaire Wâng-u du soin p.1417 de prier, brûler du papier- monnaie, et faire diverses autres pratiques en son nom. Tant et si bien, que les préposés aux rites eurent honte de la piété de l’empereur... « Les Anciens, dit Maître Hôu, offraient aux Chênn des pièces de soie. L’idée n’était pas de les enrichir. On ne voulait seulement pas se présenter devant eux les mains vides. On agissait conformément au rituel des visites qu’on se fait entre hommes. Plus tard, quand les cultes superstitieux eurent envahi l’empire, les étoffes furent remplacées par du papier-monnaie, ce qui manifestait évidemment l’intention d’acheter les bonnes grâces des Chênn. Or si les Chênn sont vraiment Chênn, ils ne peuvent pas se laisser acheter. S’ils ne sont pas Chênn, à quoi bon vouloir les acheter ? Quoi qu’il en soit, Wâng-u vulgarisa la pratique de brûler du papier-monnaie aux Chênn et aux Koèi. Les contemporains en eurent honte, et beaucoup s’en abstinrent. Maintenant personne n’en a plus honte, et personne ne s’en abstient plus. Hélas ! Certaines traditions rapportent que, vers la fin de la période des Trois Royaumes (3e siècle), les pauvres découpaient dans du papier épais des sapèques qu’ils offraient aux Koèi et aux Chênn ; mais que cette pratique était particulière, et ne se généralisa pas. Elle fut convertie en un usage 347 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. officiel, qui devint peu à peu général, par Wâng-u, en 738. A cette époque, on faisait encore des sapèques en papier. Plus tard on inventa, procédé plus expéditif, les lingots en papier enduit d’un peu de limaille de métal. De fil en aiguille, les maisons, chevaux, chars, serviteurs, habits en papier, suivirent. Encore en 738, l’empereur ordonna la création d’écoles, par tout l’empire, jusque dans les hameaux. Il n’y eut aucun hameau sans école, dit l’Histoire. Elle n’ajoute pas combien de temps la chose dura. La même année, Hêng fut nommé prince impérial. En 739, par décret impérial, Confucius fut promu au rang posthume de Roi de la Diffusion des Lettres. Jadis le Duc de Tcheōu trônait à la place d’honneur dans les temples officiels de l’empire. Il fut dépossédé par Fâng huan-ling, en 637, comme p.1418 nous avons dit page 1319 ; mais cet acte ministériel n’avait pas reçu de sanction impériale officielle. Le décret de 739 donna cette sanction. Depuis lors, Confucius trône face au sud, en costume royal, flanqué par ses disciples, qui furent faits ducs, marquis, barons.., Voilà qui est bien ! clament les Commentateurs. Cela devait être ! Le faire roi, ce n’est pas de trop. Le Ciel a fait naître Confucius, pour être le Maître de morale, principes et pratique, de tous les âges ; l’appeler Céleste, ou Ciel, ne serait donc pas exagéré ! En 740, le recensement officiel donna les chiffres suivants : Familles 8.412.800 ; Ames 48.143.600. Comparez page 1413... L’abondance fut extraordinaire. Dans les deux capitales, le prix du grain n’atteignit pas 80 pièces de monnaie le boisseau. Les autres denrées furent aussi d’un bon marché exceptionnel. L’empire était si riche et si paisible, qu’on pouvait entreprendre un voyage de dix mille lì, sans emporter aucune arme pour sa défense. La chronique de la ville de Tch’âng-nan (Sī-nan-fou) nous apprend que, à cette époque, cette capitale contenait 64 pagodes et couvents de Bonzes, plus 27 couvents de Bonzesses buddhistes...40 temples et couvents d’hommes, plus 6 couvents de femmes Taoïstes... 2 temples persans, c’est-àdire Nestoriens... 4 temples Zoroastriens ou Manichéens. Devenu absolument taoïste, en 741 l’empereur eut en songe une apparition de Lào-tzeu, qui lui dit : 348 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Mon image se trouve à cent lì au sud-ouest de Tch’âng-nan... L’empereur la fit chercher. On la trouva à Tcheōu-tcheu (petite ville dotée d’un temple nestorien, où fut déterrée depuis la stèle dite de Sī-nan-fou). L’image fut transportée au palais Hīng-k’ing (le palais préféré de l’empereur, où il fit célébrer un service, en 744, par les Nestoriens)... Maître Fán ajoute : « Les rêves sont les mouvements du cœur. Jadis l’empereur p.1419 Kāo-tsoung (des Yīnn, 1274 avant J.-C., page 62) ayant médité longtemps en silence, demandant au Ciel du fond du cœur un sage ministre, il rêva enfin que le Ciel le lui accordait. L’empereur Huântsoung, peu appliqué au gouvernement, très adonné aux pratiques superstitieuses, dupe des magiciens, persuadé qu’il descendait de Lào-tzeu, finit par voir en songe ce cher Ancêtre, son idée fixe ayant pris corps. A dater de ce jour, c’en fut fait des saines doctrines. Combien les princes devraient veiller aux mouvements de leur cœur ! Cette même année, l’empereur nomma Nān lou-chan (p. 1400) gouverneur du Leâo-tong ; commencement de son châtiment. En 742, l’empire comptait 331 préfectures parfaitement organisées, et 800 préfectures coloniales. L’armée régulière comptait 490 mille hommes, et 80 mille chevaux. Un certain T’iên t’oung-siou annonça à l’empereur, que Lào-tzeu lui étant apparu, lui avait annoncé que des écrits mystérieux étaient cachés dans le mur de l’antique maison de Yìnn-hi (à l’instar des livres découverts au 2e siècle avant J.-C. dans les murs de l’antique maison de Confucius). L’empereur envoya un député, qui les lui rapporta. Les ministres déclarèrent qu’il fallait perpétuer le souvenir de cette faveur transcendante, par un changement d’ère. L’ère du Joyau Céleste commença donc en cette année 742... D’après la tradition, Yìnn-hi était garde de la passe près des sources de la Wéi, sous les Tcheōu. Il était grand astrologue, très vertueux, et méconnu de ses contemporains. Lorsque Lào-tzeu, quittant la Chine, s’achemina vers l’Occident en remontant la vallée de la Wéi, Yìnn-hi perçut de loin les émanations d’un Sage. Quand Lào-tzeu fut arrivé à la passe, Yìnn-hi le reconnut et le pria de l’instruire. Frappé de sa capacité, Lào-tzeu rédigea pour 349 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. lui le Tào-tei-king. Ensuite Yìnn-hi produisit de son cru l’opuscule p.1420 Koan- yinn-tzeu (Voyez HCO, L. 66). Lào-tzeu ayant franchi la passe, alla à l’Ouest du désert, et l’on n’apprit jamais ce qu’il était devenu. Qu’en est-il de l’exode, et de la disparition de Lào-tzeu, dans les régions de l’Ouest ?.. Tchoāng-tzeu raconte bonnement que Lào-tzeu mourut, qu’on l’ensevelit, qu’on le pleura, etc. C’est que le Taoïsme n’était alors qu’une secte philosophique. Quand il fut devenu une secte religieuse, il fallut quelque chose de mieux, Lào-tzeu partit vers l’Occident, et on n’entendit plus parler de lui. C’est la version du Chèu-ki de Sēu-ma tsien, dès la fin du second siècle avant J.-C, deux cents ans après Tchoāng-tzeu. On supposa qu’il était allé chez les Hôu du Tarim... Entre temps le Buddhisme s’était introduit et répandu en Chine. Au second siècle de l’ère chrétienne, les Turbans Jaunes, fervents Taoïstes, reconnurent leur cher Lào-tzeu dans l’image buddhique de Sariputra, le patron du Buddha, vieillard aux longs cheveux blancs. Plus de doute, Lào-tzeu était allé dans le Tarim, et de là dans l’Inde. Il était mieux que le père ; il était le grand-père du Buddhisme. Prêchée par les Turbans Jaunes à main armée, la légende se répandit et s’accrédita. Au quatrième siècle, le fameux Livre de la Conversion des Hôu, expliqua comment les choses s’étaient passées. Cette œuvre de Wâng-fou, qui commença par n’avoir qu’un seul chapitre, finit, le succès aidant, par en avoir onze. Les conversions de rois et de princes, jusque dans le pays de Kaboul, s’ajoutèrent les unes aux autres. Furieux de voir leur Buddha dégradé au rang de disciple de Lào-tzeu, des bonzes s’insurgèrent. Pâi fa-tsou argumenta contre Wângfou. Ils moururent tous deux, en leur temps. En 340, Lì-t’oung les vit en songe, dans les enfers, Pâi fa-tsou dans les délices, Wâng-fou dans les supplices. C’était péremptoire. Néanmoins le succès du Hoá-hou-king continuait. Les bonzes en appelèrent au bras séculier, contre ceux qui leur volaient leur Saint, vers 520, sous l’empereur Où des Leâng, qui leur donna gain de cause. Reprise des hostilités en 668, sous l’empereur Kāo-tsoung des T’âng. Cent bonzes et táo-cheu discutèrent devant l’empereur, sur le Hoáhou-king. Les Buddhistes obtinrent encore gain de cause, et le livre fut condamné au feu... Nouvelle reprise du litige, en 696, sous l’impératrice Où. Cette fois le Hoá-hou-king obtint une demi-reconnaissance officielle... Les bonzes s’enflammèrent de plus belle. En 705, nouvel appel à l’empereur 350 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tchoūng-tsoung, qui se prononça en leur faveur, condamna au feu le Hoáhou-king et tous les livres qui le citaient, ordonna d’effacer toutes les peintures représentant les prétendues conversions faites par Lào-tzeu dans l’Ouest, etc... Entretenue par la rivalité des deux sectes, cette querelle dura plus de mille ans. Les bonzes finirent par concéder que Lào-tzeu pouvait être allé dans le Tarim, peut-être même jusqu’à Kotan, soit ; mais dans l’Inde, jamais ! Retournant le truc des Taoïstes, ils reconnurent Lào-tzeu dans Kasyapa, disciple du Buddha. Cette fois, ce furent les Taoïstes qui se fâchèrent. Nouvel appel au bras séculier, sous la dynastie mongole Yuân. En 1258, Mangou ordonne aux deux sectes de discuter. Le fameux lama tibétain Phag’s-pa l’emporte. Mangou condamne au feu le Hoá-hou-king, et rase bon nombre de táo-cheu... Nouvelles luttes sous Koubilaï. Celui-ci condamne au feu tous les livres taoïstes, excepté le seul Tâo-tei-king, et fait graver une stèle commémorant cette condamnation. Il est à croire que ce furent les bonzes qui la payèrent... Le Taoïsme ne mourut pas de ce coup. Il eut son administration officielle jusqu’en 1311, p.1421 ne la perdit que par une mesure générale qui atteignit également le Buddhisme, et vit encore de nos jours. Les dernières éditions du Hoá-hou-king, augmentées et illustrées, continrent jusqu’à 81 histoires de conversions célèbres, et tout l’itinéraire de Lào-tzeu jusqu’en Chaldée. Fama crescit eundo. Au deuxième mois de l’an 742, sacrifice à Lào-tzeu dans son nouveau temple à la capitale. Trois jours plus tard, sacrifice aux Ancêtres. Deux jours plus tard, sacrifice au tertre du sud, au Ciel et à la Terre. Cette fusion des deux sacrifices en un seul, est une infraction à l’usage ancien (deux tertres et deux sacrifices), dit le Commentaire, sèchement. Cependant le peuple, moins sot que son souverain, doutait de l’authenticité des écrits découverts dans la maison de Yìnn-hi. On accusait T’iên t’oung-siou de les avoir fabriqués de toutes pièces. Mais voilà qu’un certain Ts’oēi i-ts’ing eut une nouvelle apparition de Lào-tzeu, qui lui apprit l’existence d’un autre grimoire, dans une caverne du mont Tzèu-wei-chan. L’empereur le fit quérir. On le trouva. Le préfet Wâng-tch’oei accusa Ts’oēi its’ing de l’y avoir mis. L’empereur défendit de le poursuivre. 351 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En cette même année 742, offrandes impériales au temple nestorien de Sī-nan-fou (p. 1353). En 743, Nān lou-chan gouverneur du Leâo-tong, qui observait en silence, vint à la cour, et parvint à augmenter encore la faveur extraordinaire dont il jouissait. Il raconta à l’empereur le fait suivant : — L’an dernier, dans mon gouvernement, les insectes dévoraient les moissons. Moi, après avoir brûlé des parfums, j’adjurai le Ciel en ces termes : Si mon cœur n’est pas droit, si je sers mal mon souverain, que ces insectes rongent mon cœur ! Mais si je vous suis agréable, o Esprits du ciel et de la terre, exterminez ces insectes ! Dès que j’eus fait cette prière, des nuées d’oiseaux venus du nord, dévorèrent tous les insectes. Je demande que les Annalistes couchent ce fait dans les Annales !.. L’empereur en p.1422 donna l’ordre, les Annalistes s’exécutèrent, et les Historiens se gaussent. La même année, Lào-tzeu étant devenu très illustre, l’empereur anoblit son père... le père qu’on suppose qu’il eut, car ce personnage est absolument inconnu... Maître Fán gémit, et trouve la chose ridicule. En 744, l’empereur fit célébrer un service dans son palais, par sept prêtres et acolytes nestoriens (p. 1353) La même année, invention du culte des Précieux Chênn des neuf Régions de l’espace (huit régions, correspondant aux huit diagrammes, plus le centre). C’est un magicien nommé Sōu kia-k’ing, qui raconta le premier qu’il y a Neuf Précieux Chênn des Neuf Palais préposés à la pluie et à la sécheresse, et demanda qu’on leur élevât un autel dans le faubourg de l’Est, pour leur sacrifier au premier mois de chaque trimestre. L’empereur autorisa l’introduction de ce culte. Le rituel fut presque identique, à celui des sacrifices au Ciel et à la Terre... L’Histoire ajoute : Ce fut là une innovation. Antérieurement ce culte n’existait pas. Affolé par les magiciens, Huân-tsoung l’autorisa. 352 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Les Annalistes ont enregistré le fait, pour faire rire de lui. Où-ti des Han inventa le culte du fourneau (page 444), en 133 avant J.-C. Huân-tsoung des T’âng inventa celui des neuf Chênn, en cette année 744. Son p.1423 fils Sóu- tsoung leur sacrifia en 760. A partir de 744, ce culte fut pratique existante et reconnue... Il remplaça le culte identique des Cinq Tí. Les Chinois divisent l’espace, soit en 4 + 1 selon les points cardinaux, soit en 8 + 1 selon les diagrammes. De plus en plus suggestionné (on disait fou jadis), en 745 l’empereur entendit parler les Chênn. Voici en quels termes il rendit compte du phénomène, au conseil de ses ministres : — Comme je priais devant un autel, dans l’intérieur du palais, pour le bien de mon peuple, quand j’eus déposé la formule de ma prière sur l’autel elle s’envola au ciel, et j’entendis dans l’espace ces paroles : Que la vie du Sage soit prolongée !.. Je crus que cet effet serait produit par la drogue, qui venait d’être confectionnée dans le laboratoire de mes alchimistes, et je la déposai sur l’autel, me disposant à l’absorber. Alors j’entendis de nouveau une voix qui disait : Ne prends pas cette drogue ! La prolongation de ta vie est accordée à tes vertus !.. Les courtisans se mirent à plat ventre pour féliciter... — On n’est pas plus bête, dit Maître Fán, le malappris. Cet homme ne pouvait pas bien finir. L’Histoire raconte ces choses, pour qu’on rougisse de lui. 353 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. La même année, éprouvant eux aussi le besoin de se différencier des Zoroastriens et des Manichéens (p. 1412) les Nestoriens demandèrent et obtinrent le décret suivant : « La doctrine persane est venue originairement de la Chaldée, et s’est répandue jusqu’ici. Voilà longtemps qu’elle a cours en Chine. Ses premiers temples ont tous été appelés temples persans. Pour montrer le souci qu’on doit avoir des origines, nous ordonnons que les temples persans (nestoriens) des deux capitales, soient appelés désormais temples chaldéens. Que l’on appelle de même, les temples existants dans les préfectures et moindres villes (p. 1352). p.1424 Omnivore en fait de religiosité, Huân-tsoung l’était pareillement en matière de luxure. En cette année 745, il prit pour lui la femme de son fils (p. 1415), voici dans quelles circonstances. Sa favorite étant morte, on ne trouva pas, dans le harem, ce qu’il fallait pour la remplacer. Quelqu’un dit que la dame Yâng, femme du roitelet de Cheóu, était très belle. L’empereur se la fit exhiber, la trouva à sa convenance, la fit entrer dans son harem comme gouvernante, donna à son fils une autre femme, puis, quand il jugea que le passé était un peu oublié, il épousa la dame, qui devint la célèbre Yâng koeifei. Elle eut toute la faveur de l’empereur. Quand elle allait en voiture, l’eunuque Kāo li-cheu (p. 1354) tenait les rênes et le fouet. Comme elle aimait les li-tcheu (espèce de nèfles), l’empereur fit établir, de Tch’âng-nan à Canton, un service de courriers, pour les lui apporter frais. Elle avait un mauvais caractère, et était très jalouse. Un jour l’impératrice douairière parvint à la faire renvoyer chez elle. Aussitôt l’empereur cessa de manger. A la nuit, l’eunuque Kāo li-cheu dut aller la quérir, et on ouvrit toutes grandes les portes du palais, pour sa rentrée. Renvoyée une seconde fois pour avoir fait une scène, l’empereur lui envoya des mets de sa table. — Que lui rendrai-je ? dit la sirène en pleurnichant. Je n’ai que ceci qui soit de moi !.. et elle coupa une mèche de ses cheveux, qu’elle remit à l’envoyé. Dès qu’il eut vu cet objet, le Fils du Ciel n’y tint plus, et la fit rappeler. De renvoi en renvoi, elle finit par devenir favorite sans rivale. 354 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 747, pour se faire un renom de philanthropie, l’empereur abolit la peine de mort. Les grands criminels devaient, après bastonnade préalable, être exilés par delà le Tonkin. Système dispendieux. Les bourreaux simplifièrent les choses, dit l’historien en ricanant. Ils assommèrent tous les patients, durant la p.1425 bastonnade préalable. — Nān lou-chan que nous connaissons, était très gras, et tellement obèse, que son ventre lui pendait jusqu’aux genoux. Il cachait une malice noire, sous un air simplet. Par un agent qu’il entretenait à la capitale, il se tenait au courant de toutes les intrigues de la cour. Il envoyait fréquemment à l’empereur, des prisonniers, des bêtes rares, des objets précieux. Dans ses conversations, il mélangeait adroitement le badinage et le sérieux. L’empereur s’éprit de ce gros garçon. Il dit un jour, en montrant du doigt sa panse : — Que de choses dans le ventre de ce Hôu ! pas étonnant qu’il soit si obèse !.. — Il n’y a, dans mon ventre, dit Nān lou-chan l’ingénu, qu’un cœur tout dévoué à votre majesté !.. L’empereur fut très content de cette repartie. Il présenta son Turc au prince impérial. Nān lou-chan ne salua pas le prince. — Saluez ! lui soufflèrent les assistants... — Qui est-ce ? demanda Nān lou-chan... — C’est celui qui me succédera, dit l’empereur... — Excusez-moi, dit le Turc, je ne puis me figurer que Vous sur le trône !... L’empereur fut ravi de cet attachement à sa personne, et s’amouracha de Nān lou-chan, au point de lui donner, chose inouïe, libre accès dans son harem. Le Turc assistait aux repas privés de l’empereur et de la dame Yâng. Il fut adopté par celle-ci, comme fils sec, à la mode chinoise. Depuis lors, il salua d’abord la dame, puis l’empereur ; car, disait-il, c’est la coutume des Hôu, de saluer d’abord leur mère, puis leur père. L’empereur riait beaucoup de ces choses, lesquelles, au point de vue des rites chinois, sont des horreurs. Il alla plus loin, comme nous verrons tout à l’heure. 355 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 748, l’eunuque Kāo li-cheu, qui tenait si bien les rênes et le fouet à la favorite, fut nommé, pour ce fait, général de cavalerie. Le frère aîné, et les trois sœurs de la dame, reçurent aussi des titres et émoluments substantiels. En 749, Lì-hounn et autres habitants des monts T’ái-pai-chan, firent savoir qu’un Immortel leur avait révélé l’existence, dans la grotte Kīnn-singtong, d’un jade gravé, indiquant les faveurs et les années accordées au Sage Seigneur, l’empereur actuellement régnant. Huân-tsoung chargea Wângkoung de chercher ce jade. On le trouva, puisqu’on l’y avait mis. Charmé de ce que son ancêtre Lào-tzeu le gratifiait coup sur coup de tant de grimoires, l’empereur le gratifia à son tour d’un beau titre. Lào-tzeu fut nommé Empereur Originel Mystérieux de la Grande Voie. En 750, les ministres prièrent l’empereur de vouloir bien diplômer le Mont sacré occidental (Hoâ-chan, non loin de Sī-nan-fou). L’empereur promit de le faire. Mais, la sécheresse ayant ensuite désolé la vallée de la Wéi, l’empereur retira sa promesse, pour punir la montagne. Les historiens rient. Diplômer le T’ái-chan, disent-ils, c’est une faute. Diplômer le Hoâ-chan, c’est pis encore. Mais refuser de le diplômer, pour le punir, c’est ridicule tout bonnement. Plus heureux que le Hoâ-chan, Nān lou-chan reçut un diplôme de roitelet. Le montagnard Wâng huan-i fit savoir que Lào-tzeu lui était apparu, et lui avait révélé l’existence d’écrits mystérieux dans la caverne Pào-sien-tong. Tchāng-kiunn y fut et les découvrit. L’empereur croyait toutes les fables taoïstes, cherchait la drogue d’immortalité, etc. Pour s’avancer, les courtisans faisaient semblant de penser comme lui. Lì linn-fou et d’autres demandèrent la permission de convertir leurs propriétés en couvents taoïstes, dans lesquels on prierait pour obtenir longue vie à l’empereur. Celui-ci fut très content… Maître Fán dit : — Quand le Premier Empereur des Ts’înn, et l’empereur Où des Hán, hommes braves et sages, furent tombés aux mains des magiciens, ils devinrent plus stupides que de petits p.1427 enfants. Les princes morigénés sobres et sages, ne se laissent pas tromper par des adulations superstitieuses. Mais les magiciens réussissent auprès de ceux dont le cœur est porté au vice. Huân-tsoung fut un prince de cette dernière espèce, aussi les charlatans et les 356 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. magiciens rivalisèrent-ils pour le duper. Ils arrivèrent à en faire un être privé de raison. De là la catastrophe qui termina son règne. L’empereur change le nom de Yâng-tchao, le frère de la favorite, en celui de Yâng kouo-tchoung, le Premier des Fidèles. En 751, au jour anniversaire de la naissance de Nān lou-chan, l’empereur et la favorite le comblèrent de faveurs. Trois jours plus tard, on le fêta dans le harem, en cette manière : La favorite, sa mère adoptive, l’emmaillota, puis le fit promener par ses suivantes, dans une voiturette enrubannée. L’empereur ayant entendu le bruit qui se faisait dans le harem, demanda ce qu’il y avait. On lui dit que la favorite lavait son poupon (troisième jour après la naissance). L’empereur rit aux larmes, et lui envoya le cadeau qu’on fait aux accouchées à cette occasion. A dater de ce jour, les allées et venues de Nān lou-chan dans le harem, ne furent plus surveillées. Il se répandit sur son compte des bruits extrêmement indécents. L’empereur ne s’en émut pas. Au 8e mois, incendie de l’arsenal impérial. Le feu détruisit l’équipement complet de 370 mille soldats. An 752. Dans les pays méridionaux, on faisait beaucoup de mauvaises sapèques. Les parents de la famille impériale, les banquiers et gros marchands les achetaient, donnant une bonne sapèque pour cinq mauvaises, puis voituraient ce billon défectueux à la capitale, où il avait cours forcé. Lì linn-fou ordonna de le rafler pour le refondre. Gagné par les intéressés, Yâng kouo-tchoung, le frère de la favorite, parla à l’empereur, et obtint que l’arrêté fût retiré. Ce fut p.1428 le premier et dernier échec de Lì linn-fou. Il mourut de dépit, et Yâng kouo-tchoung devint ministre à sa place. Le lion étant défunt, on eut le courage de lui faire son procès. La mémoire de Lì linn-fou fut flétrie, son cercueil exhumé fut mis en pièces, son cadavre fut jeté à la voirie. An 753. Ici la roue de la fortune tourne. Délivré de Lì linn-fou, Yâng kouotchoung trouva que Nān lou-chan le gênait, et chercha à s’en débarrasser. Il l’accusa, auprès de l’empereur, de tramer une révolte. L’empereur n’en voulut rien croire. 357 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 754, nouvelles délations de Yâng kouo-tchoung, plus instantes que les premières. — Mettez-le à l’épreuve, dit-il à l’empereur ; citez-le ex abrupto ; vous verrez qu’il s’excusera de venir... L’empereur cite Nān lou-chan. Celui-ci accourut en toute hâte, se jeta aux pieds de l’empereur, et dit en pleurnichant : — A la vérité, je ne suis qu’un Barbare ! Vos faveurs m’ont fait des envieux ! Ils me tueront !.. L’empereur le consola, et le renvoya chargé de présents. Depuis lors il ne crut plus les rapports de Yâng kouo-tchoung. Le frère ne put plus rien, contre le favori de sa sœur... Le prince impérial crut aussi devoir avertir l’empereur, que Nān lou-chan lui paraissait suspect. Il le fit sans succès... Mieux en cour que jamais, Nān lou-chan retourna dans son gouvernement du Nord-Est. Il résidait à Fán-yang (Pékin actuel). Depuis plusieurs années des inondations et sécheresses alternatives, désolaient la vallée de la Wéi. Cette année fut pareillement très mauvaise. Yâng kouo-tchoung affirma à l’empereur qu’elle était très bonne, et lui apporta, en preuve, quelques épis choisis exprès. Il intercepta tous les rapports des gouverneurs sur la misère du peuple... L’eunuque Kāo li-cheu n’aimait pas le ministre. Un jour qu’il était seul avec l’empereur, celui-ci lui demanda : p.1429 — Est-il bien vrai que les pluies excessives de cette année, n’ont pas fait de dégâts ?.. — Yâng kouo-tchoung ayant votre confiance, je me garderai bien de parler, dit l’eunuque. D’ailleurs, vu la manière dont il exerce le pouvoir, pas étonnant que tout aille mal !.. L’empereur réfléchit en silence. Le recensement de cette année 754, donna les chiffres suivants : Préfectures 221 ; Districts 1538 ; Familles 9.619.254 ; Ames 52.880.488. Comparez page 1418. 358 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 755, le pétard éclate ; Nān lou-chan se révolte contre l’empire. Pris au dépourvu, l’empereur confie à Fōng tch’’ang-ts’ing la mission de défendre Láo-yang, avec une armée improvisée de 60 mille hommes. Nān lou-chan passe le Fleuve Jaune, à la hauteur de K’āi-fong-fou actuel. La ville de Tch’ênn-liou lui ouvre ses portes. Il massacre les dix mille soldats qu’elle contenait, puis enlève Joûng-yang, et marche sur Láo-yang. Fōng tch’’ang-ts’ing livre bataille à Hòu-lao, est vaincu, et fuit vers l’Ouest. Nān lou-chan prend Láo-yang. Prévoyant qu’il ne pourrait pas tenir la ville, le préfet Lôu-i avait envoyé sa femme porter son sceau à l’empereur. Quand la ville fut prise, il s’assit sur son siège, en grand costume, et prononça contre Nān lou-chan un réquisitoire entremêlé de malédictions. Puis, quand son prétoire fut envahi : — Je meurs fidèle à mon souverain, cria-t-il aux rebelles ; je meurs donc volontiers !.. Nān lou-chan le fit décapiter. La vallée de la Láo étant perdue, Fōng tch’’ang-ts’ing et son lieutenant Kāo sien-tcheu (p. 1402) essayèrent de garder les passes, qui conduisent dans la vallée de la Wéi. Furieux de la prise de Láo-yang, l’empereur envoya à la passe le général Pién Ling-tch’eng. Celui-ci fit décapiter Fōng tch’’ang-ts’ing et Kāo sien-tcheu devant le front des troupes. Puis l’empereur nomma généraux en p.1430 chef Koūo tzeu-i (p. 1354) et Keûe chou-chan. En 756, Nān lou-chan se proclame Empereur de la grande dynastie Yén. Son ami l’aventurier turc Chèu seu-ming (p. 1402), devenu grand général des rebelles, prend la ville actuelle de Tchéng-ting-fou. Le gouverneur Yên kaok’ing meurt la malédiction à la bouche, ce qui est dans ce cas, en Chine, le beau idéal. Puis Chèu seu-ming enlève les villes de Wênn-nan, Kí-tcheou, Kiúlou, Koàng-p’ing, Íe (Tchāng-tei-fou). Il met ensuite le siège devant Yâo-yang place alors très forte... Ces événement suggèrent à maître Hôu les réflexions morales suivantes : « Lì linn-fou et Yâng kouo-tchoung qui perdirent leur pays, furent relativement peu punis. Lôu-i et Yên kao-k’ing qui se dévouèrent 359 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. pour lui, périrent misérablement. Les petits esprits arguent de ces faits, qu’il n’y a pas de Règle céleste, pas de Justice au ciel. Ils se trompent. Il y une Règle céleste. Mais il ne faut pas l’entendre dans ce sens, que le Ciel compte mesure et pèse scrupuleusement les mérites et les démérites, fait exactement la balance, et proportionne le bonheur et le malheur strictement en conséquence. La Règle céleste est que l’homme doit faire le bien et s’abstenir du mal. La Loi du Ciel, c’est que en règle générale, les bons sont favorisés, et les méchants punis, Mais, en dehors de cette règle générale, il y a les chances et les accidents. Les cas de Lôu-i et de Yên kao-k’ing furent des accidents ; ils n’infirment pas la règle. Les chances et les accidents dépendent du Destin (hasard). Le Sage ne connaît que la Règle, et ne parle pas du Hasard... Comme verbiage creux, ce passage est réussi. Tant il est vrai que le sort des hommes et les choses de ce monde, ne s’expliquent que par la rétribution d’outre-tombe. Si cette rétribution n’existait pas, les petits esprits auraient raison contre Maître Hôu. Supposons qu’on ait coupé à ce dernier sa p.1431 tête de sophiste. Pensez-vous qu’il eût été consolé de s’entendre dire, avant l’opération : Ne récrimine pas, mon garçon ; c’est le Hasard ! La Règle pour les autres, et le Destin pour toi... Je crois que, à cette heure-là, il aurait oublié sa piètre théorie, pour en appeler, comme tant d’autres, au Justicier d’en haut. Maître de la plaine du Heûe-pei actuel et de la vallée de la Láo, Nān louchan était arrêté dans sa marche vers Tch’âng-nan par le sud du Fleuve. Il fallait l’empêcher de tourner par la boucle (R). Koūo tzeu-i occupa ces pays. C’est durant cette occupation, qu’il caressa les Nestoriens, nombreux dans ces parages, et auxiliaires utiles (p. 1354), Il détacha son fidèle lieutenant Lì koang-pi, un Tongouse K’í-tan, pour défendre la vallée de la Fênn, avec dix mille hommes qu’il lui donna. Sortant de cette vallée, Lì koang-pi reprit Tchéng-ting-fou, infligea à Chèu seu-ming une cruelle défaite, et le poursuivit vers le sud, jusqu’à Tcháo-Tcheou qu’il reprit, avec les dix préfectures avoisinantes. 360 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Malheureusement, au dixième mois, Keûe chou-han qui défendait les passes de la Láo, fut battu à plate couture et pris par les insurgés, lesquels marchèrent droit sur Tch’âng-nan. Épouvanté, l’empereur appela Yâng kouo-tchoung. Celui-ci lui déclara qu’il fallait fuir au plus vite vers le Séu-tch’oan. L’empereur s’y résolut. Pour dissimuler sa fuite, il annonça qu’il allait prendre en personne le commandement de l’armée. La garde de la capitale fut confiée à Ts’oēi koang-yuan, et celle du palais à Pién ling-tch’eng. Quand la nuit fut venue, ordre fut donné au général Tch’ênn huan-li d’appeler ses hommes aux armes, de leur donner une bonne gratification, de prendre les chevaux des écuries impériales, et de se tenir prêt à marcher. D’ailleurs, aucun préparatif, pas d’approvisionnements.p.1432 Avant le jour, l’empereur sortit du palais avec la favorite et ses sœurs, ses fils et ses petits-fils, ses eunuques préférés, et prit la route du Séu-tch’oan, suivi de son escorte militaire, sans bagages ni vivres (756)... — Il partit, clame maître Fán, avec ses favoris et ses favorites, sans les Tablettes de ses Ancêtres, que les anciens souverains emportaient même dans leurs tournées d’inspection et de chasse, comme s’ils n’eussent pas pu s’en séparer. Il ne leur annonça même pas son départ. Il ne dit pas un mot de consolation au peuple. Il s’enfuit, lui le Fils du Ciel, avec ceux qu’il aimait. Quelle honte ! Quand le cortège impérial passa près des grands magasins établis à l’ouest de la capitale, Yâng kouo-tchoung demanda à l’empereur la permission de les incendier, pour qu’ils ne pussent par servir aux rebelles. — Au contraire, dit l’empereur ; n’y touchez pas ! S’ils trouvent des ressources, les rebelles pressureront moins le peuple. Laissez-leur le tout, pour qu’ils ne fassent pas trop de mal à mes enfants. Cependant le jour étant venu, quand les officiers se présentèrent au palais pour leur service, les femmes du harem s’évadèrent en masse par les portes ouvertes, et l’on apprit que l’empereur avait disparu. Aussitôt, dans la 361 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. capitale, ce fut un sauve-qui-peut général. Les gouverneurs de la ville et du palais, mandirent à Nān lou-chan qu’ils étaient disposés à capituler. Quand le cortège impérial eut traversé le pont de la Wéi, Yâng Kouotchoung voulut incendier ce pont, pour ralentir la poursuite des rebelles. L’empereur dit : — Cela causerait la perte des fuyards de Tch’âng-nan ; laissez-leur la route ouverte !.. et il fit éteindre le feu. Quand on arriva à Hién-yang, au Palais de l’Attente des Sages, il était midi. Personne, pas même l’empereur, n’avait pris aucune nourriture. De pauvres gens apportèrent une bouillie de blé et de fèves, que les petitsenfants de p.1433 l’empereur se disputèrent, et dévorèrent avec leurs mains. Les soldats de l’escorte se débandèrent dans les villages environnants, pour trouver leur pitance. Enfin on reprit la marche. A minuit, on était à Kīnntch’eng. Tout le peuple avait fui. On ne trouva même pas une lanterne. Chacun se tapit dans la paille, et l’on dormit comme on put, sans distinction de noble et de vil, dit le Texte. Quand le jour fut venu, on poussa jusqu’au relais de Mà-wei. Là les soldats affamés et harassés se mutinèrent. Le commandant de l’escorte Tch’ênn huan-li fit demander, par l’eunuque Lì fou-kouo, au prince impérial, la permission de mettre à mort le ministre Yâng kouo-tchoung, cause des malheurs de l’empire. L’eunuque n’était pas encore revenu, quand le ministre traversant la rue, une bande de Tibétains affamés, soldats de la garde, courut à lui pour lui demander à manger. — Voyez, cria Tch’ênn huan-li, il conspire avec les Barbares !.. et courant sus au ministre, ils le massacrèrent, piquèrent sa tête sur une lance, et l’arborèrent devant le pied-à-terre de l’empereur. Ils coururent ensuite massacrer deux sœurs de la favorite Yâng koei-fei. Effrayé par les clameurs des insurgés, l’empereur sortit, leur donna de bonnes paroles, et les pria de reprendre leurs rangs. Les mutins refusèrent. L’empereur leur envoya l’eunuque Kāo li-cheu, comme parlementaire. Tch’ênn huan-li lui dit : 362 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Yâng kouo-tchoung ayant été exécuté comme rebelle, sa sœur est indigne de la faveur impériale. Que l’empereur la livre, pour qu’on la juge !.. Kāo li-cheu porta ces paroles à l’empereur. — J’y penserai, dit celui-ci ; et rentrant dans la maison, il réfléchit longuement debout, appuyé sur un bâton (tout siège faisant défaut). Comme il ne se décidait pas, Wêi-neue s’avança et lui dit : — Ne résistez pas à la colère de la multitude ; votre sort dépend de cet instant ; décidez vite !.., et il se prosterna, battant p.1434 de la tête à se meurtrir le front… L’empereur dit : — La dame Yâng ayant vécu au fond du harem, comment pourraitelle être complice de son frère ?... — Elle n’est pas coupable de rébellion, dit l’eunuque Káo li-cheu, les officiers le savent bien ; mais, comme ils ont tué son frère, tant qu’elle vivra auprès de vous, ils auront, pensent-ils, à redouter sa vengeance. Pesez bien ces paroles. Votre vie dépend du bon plaisir de ces gens-là... Huân-tsoung livra la favorite à l’eunuque, lequel la conduisit à la pagode du village, l’étrangla, puis appela Tch’ênn huan-li et les soldats mutinés, et leur montra le cadavre, Aussitôt ceux-ci déposèrent les armes, s’excusèrent, crièrent Vive l’empereur, et reformèrent les rangs. La femme de Yâng kouotchoung et sa troisième sœur, échappées au massacre, s’étaient réfugiées à Tch’ênn-ts’ang. Le mandarin du lieu, Sūe king-sien, les mit à mort (756). Le lendemain, au moment où le cortège impérial s’ébranlait pour quitter Mà-wei, les notables de la localité supplièrent l’empereur de rester. Celui-ci chargea le. prince impérial de les haranguer. 363 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Alors vous du moins, ne suivez pas votre père, dirent les notables à celui-ci ; restez, ou l’empire n’aura plus de maître ; mettez-vous à notre tête, et conduisez-nous à Tch’âng-nan !.. et ils s’attroupèrent autour de lui, au nombre de plusieurs milliers... — Je ne puis ! dit le prince, les larmes aux yeux ; et sautant sur son cheval, il essaya de s’échapper. Son fils aîné T’ân, et l’eunuque Lì fou-kouo, saisirent la bride du cheval et dirent : — Faut-il que l’empire des T’âng s’écroule sous les coups d’un misérable Barbare ? Si vous ne tenez aucun compte des offres de dévouement de vos sujets, quel espoir vous restera encore ? Restez ! Ramassez les troupes du Nord-Ouest, appelez à vous Koūo tzeu-i et Lì koang-pi, reprenez les deux capitales, restaurez p.1435 l’empire, relevez le temple des Ancêtres. Voilà ce qu’il faut faire, et non pas fuir au Séu-tch’oan. Quand l’empire sera pacifié, vous rappellerez votre pratiquement père, pieux. et Ne vous perdez serez pas un fils tout, par vraiment votre et piété sentimentale !.. Chóu, le cadet de T’ân, joignit ses instances à celles de son frère. Les notables de Mà-wei se serrèrent autour du prince impérial, en masse si compacte, que tout mouvement lui devint impossible. Le cortège impérial était déjà parti. Le prince envoya à son père son second fils Chóu, pour l’avertir de ce qui se passait. — La voix du peuple est la voix du Ciel, dit l’empereur ; et il ordonna que l’arrière-garde de son cortège laissât deux mille hommes de cavalerie à son fils. Il dit à ces soldats, en les congédiant : — Le prince est humain et pieux ; il pourra restaurer l’empire ; aidez-le de votre mieux !.. Il fit dire au prince, qu’il ne revit pas : — Fais comme tu l’entendras, et ne te mets pas en peine de moi ! Tous les Hôu du Nord-Ouest m’étaient très attachés. Sollicite leur 364 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. aide. Si tu veux, je suis prêt à abdiquer formellement en ta faveur, pour te donner plus d’autorité... Le prince refusa, ou plutôt l’Histoire suppose qu’il refusa. On lit aisément entre les lignes de cette page alambiquée, et les Commentateurs sont unanimes à affirmer, que le prince impérial fut de connivence avec ceux qui le séparèrent ainsi de son père (cf. p. 1308). Il alla s’établir au nord, à P’îng-leang, vers les sources de la King (Kān-sou actuel), tandis que son père franchissait les passes du sud et descendait vers le Séutch’oan. Pendant que ces événements se passaient à l’ouest de Tch’âng-nan, Soūnn hiao-tchee lieutenant de Nān lou-chan, était entré dans la capitale sans coup férir. Trop occupées à boire, piller, et le reste, ses bandes ne coururent, ni après l’empereur, ni après le prince impérial. Au septième mois de l’an 756, ce dernier prit le titre d’Empereur, dans le p.1436 Nîng-hia-fou actuel. Il conféra à son père le titre d’Empereur Suprême, c’est-à-dire d’Empereur en retraite. Cela veut dire, dit sèchement Maître Fán, qu’il secoua l’obédience de son père. Le nouvel empereur porte dans l’histoire le nom de Sóu-tsoung. @ 365 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Sóu-tsoung, 756 à 762. @ On apprit bientôt que Huân-tsoung avait atteint Tch’êng-tou. Exécutant le plan de son père, Sóu-tsoung envoya des députés aux nations du Nord-Ouest. Le prince du sang Lì tch’eng-ts’ai, accompagné du prince Tongra (Tölös) P’ou-kou hoai-nenn, se rendit chez les Ouïgours. Les soldats de la garde, originaires de l’Ouest du Pamir-Bolor, furent envoyés dans leurs nations respectives, avec commission de faire savoir aux peuples du Tarim, aux vallées de l’Iaxartes et de l’Oxus, et jusque dans le Khorassan arabe, que l’empereur promettait de riches récompenses, à qui prendrait les armes pour le secourir. En attendant que l’Occident s’ébranle, voyons ce qui se passe à Yâo-yang (p. 1430). La ville était défendue par Tchāng-hing, espèce d’Hercule, sage autant que brave. Chèu seu-ming l’assiégeait avec toutes ses forces. La ville fut prise d’assaut. Chèu seu-ming se fit amener Tchāng-hing. — Tu es un brave, lui dit-il ; veux-tu partager ma fortune ? — Étant officier des T’âng, dit Tchāng-hing, je ne puis passer de votre côté. Il ne me reste que peu d’instants à vivre. Permettezmoi de vous dire ce que je pense... — Parle ! dit Chèu seu-ming... — L’empereur, dit Tchāng-hing, a traité Nān lou-chan comme un père traite son fils, mieux qu’aucun autre officier. Et voici que, au lieu de se montrer reconnaissant, celui-ci s’est révolté et a attaqué son bienfaiteur. Et vous aidez cet homme, au lieu de le combattre ! Et vous pensez que vous ferez fortune à son service ! Si une hirondelle bâtissait son nid au p.1437 haut d’une tente, ce nid aurait-il chance de durer longtemps ? Il sera détruit demain, quand on pliera la tente. Ne feriez-vous pas mieux de servir les T’âng, et de vous assurer ainsi une fortune durable ?.. 366 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Furieux, Chèu seu-ming fit scier Tchâng-hing en deux par le milieu du corps. Celui-ci vomit des malédictions contre les rebelles, jusqu’au moment où il expira. Cependant les invitations de l’empereur Sóu-tsoung, avaient été bien accueillies dans l’Ouest. C’était une bonne aubaine, pour ces peuples pillards. Si les T’âng reprenaient le dessus, ils seraient bien récompensés. Si les T’âng avaient le dessous, eux pilleraient la Chine. Les Ouïgours, commandés par Keûe-louo-tcheu, arrivèrent les premiers. Le roi Chéng de Kotan, amena son monde en personne. Nous sommes en 757, Nān lou-chan, atteint d’une ophtalmie, avait en partie perdu la vue. Il souffrait aussi d’autres infirmités. Son caractère s’aigrissant, il devint irascible et cruel. Au moindre mécontentement contre ses officiers, il les faisait fustiger ou décapiter. Il maltraita particulièrement l’officier Yên-tchoang, et l’eunuque Lì tchou-eull. Son fils aîné Nān k’ing-su se flattait de lui succéder un jour. Une concubine favorite lui ayant donné Nān k’ing-nenn, Nān leu-chan résolut de déposséder son aîné, au profit du cadet. Nān k’ing-su le sut. Yên-tchoang lui dit : — En cas pareil, il ne faut pas perdre le temps... — Compris ! dit Nān k’ing-su... Puis Yên-tchoang dit à Lì tchou-eull : — Si tu ne prends pas les grands moyens, tu ne vivras pas vieux... — Compris ! dit Lì tchou-eull ... La nuit suivante, tandis que Nān k’ing-su et Yên-tchoang gardaient en armes les abords de la tente de Nān lou-chan, l’eunuque y pénétra, et lui fendit le ventre, dans l’obscurité. Nān lou-chan étendit la main pour saisir son sabre, ne l’atteignit pas, et expira en disant : — Ce coup vient d’un p.1438 familier !... Yên-tchoang intronisa Nān k’ing-su, puis enterra le défunt. Peu intelligent et parlant mal, Nān k’ing-su vécut à l’écart, dans l’ivrognerie et la luxure, abandonnant toutes choses aux bons soins de Yên-tchoang, 367 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. @ Cependant les contingents du Tarim centralisés à Koutcha, ceux du nord de l’Altaï concentrés à Koutchen, les corps du Ferghana et des Arabes (p. 1402) étant arrivés, l’empereur alla à leur rencontre, et entra avec eux dans la vallée de la Wéi, par son extrémité occidentale. On s’arrêta à Fóng-siangfou, pour attendre les retardataires. Là l’empereur nomma Koūo tzeu-i généralissime de toutes ses troupes. Après sept mois d’attente, du deuxième au neuvième mois 757, tous les contingents étant réunis, l’empereur donna un grand banquet aux commandants, puis envoya l’armée contre Tch’ângnan. Au départ, il dit à Koūo tzeu-i : — Général, votre premier coup décidera de mon sort !.. — Et du mien aussi, dit Koūo tzeu-i, car si je suis vaincu, je me ferai tuer. Le meilleur corps de toute l’armée, était un régiment de quatre mille cavaliers ouïgours, commandés par Ie-hou (alias Chee-hou), le propre fils du khan Hoâi-jenn. Le gros de l’armée, composé des garnisons chinoises du Nord-Ouest, et des contingents barbares, se montait à 150 mille hommes. Le prince Chóu, fils de l’empereur, était commandant en chef honoraire, représentant son père. Koūo tzeu-i dirigeait les opérations. Chóu caressa Iehou de toutes manières, jusqu’à l’appeler frère, ce qui enthousiasma ce dernier. Quand on fut arrivé en vue de Tch’âng-nan, les impériaux se rangèrent en bataille. Lì seu-ie commandait l’avant-garde, Koūo tzeu-i le centre, Wâng seuli les réserves. Les rebelles étaient cent mille hommes, commandés par Lì koei-jenn. Celui-ci provoqua les impériaux, puis fit mine de fuir. Les impériaux le poursuivirent avec trop d’empressement. Un p.1439 retour offensif des rebelles, mit le désordre dans leurs rangs. — Si je ne me fais pas tuer, dit Li seu-ie, cela va mal tourner, et jetant ses armes défensives, le sabre à la main, il fonça sur les rebelles en désespéré, faisant voler les têtes. Sa crânerie donna du cœur à ses soldats, qui reformèrent leurs rangs. Quand ils furent bien calmés, Li seu-ie les mena 368 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. à l’assaut en phalange compacte, lui-même chargeant devant leur front. Cette fois, ils avancèrent comme un mur vivant, renversant tout sur leur passage. Cependant, guidée par P’ou-kou hoai-nenn, la cavalerie légère des Ouïgours, qui voltigeait sur les ailes, avait sabré les corps détachés de rebelles placés en embuscade sur les flancs, puis, les ayant tournés et s’étant réunie derrière leur dos, les chargea à revers. Le massacre dura, depuis midi, jusqu’à cinq heures du soir. Soixante mille rebelles furent décapités. Le reste fuit en désordre. Ceux qui purent, rentrèrent dans la ville. On entendit leurs clameurs durant toute la nuit. P’ou-kou hoai-nenn dit au prince Chóu : — S’ils crient ainsi, c’est qu’ils battent en retraite. Permettez-moi de risquer l’aventure. J’irai avec trois cents cavaliers seulement, me saisir de leurs chefs... — Vous avez combattu durant toute la journée, dit le prince ; reposez-vous plutôt ; nous aviserons demain matin... — Rien ne vaut une surprise, dit P’ou-kou hoai-nenn... Chóu le retint malgré lui... A l’aube, on constata que les chefs des rebelles, s’étaient évadés durant la nuit. Les impériaux se préparèrent à faire leur entrée à Tch’âng-nan... Or, pour exciter les Barbares au zèle, l’empereur leur avait promis, et en particulier aux Ouïgours, que, la ville prise la terre et les hommes seraient aux T’âng, les biens et les femmes aux auxiliaires. Avant de pénétrer dans la ville, Ie-hou demanda donc l’autorisation de piller. Le prince Chóu se prosterna devant son cheval, et lui dit : — Si vous pillez maintenant p.1440 Tch’âng-nan, quand ceux de Láo-yang l’auront appris, ils se défendront en désespérés ; veuillez attendre jusqu’après la prise de Láo-yang... Ému, Ie-hou sauta de son cheval, se prosterna aussi, et dit : — Alors autorisez-moi à marcher immédiatement vers Láo-yang car, si mes hommes entraient à Tch’âng-nan, je ne pourrais pas les tenir... 369 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tournant donc la ville par le sud, Ie-hou et P’ou-kou hoai-nenn conduisant tous les contingents barbares, marchèrent vers l’Est. Cette bonne entente cordiale du prince Chóu avec les étrangers, lui fit grand honneur parmi le peuple. Quand il en eut reçu la nouvelle, l’empereur dit : — Mon fils est plus habile que moi... Il fit aussi savoir à son père Huân-tsoung, que Tch’âng-nan était repris, et le pria de revenir... Le peuple de la capitale, fit une ovation au prince Chóu. On criait, on pleurait de bonheur. Le prince s’arrêta trois jours seulement, puis marcha vers l’Est, Koūo tzeu-i prit Hoâ-yinn, puis Hoûng-noung, et les impériaux débouchèrent dans la vallée de la Láo (757). Cependant, à l’autre bout de cette vallée (dans le Koēi-tei-fou actuel), le commandant impérial de Soēi-yang, Tchāng-sunn, assiégé depuis le commencement de la révolte par Yìnn tzeu-k’i, était réduit à l’extrémité. Les provisions étant épuisées, on mangea les chevaux, puis les moineaux et les rats, puis les femmes. Comme les assiégés savaient qu’il n’y aurait pas de quartier pour eux, l’idée de capituler ne leur vint même pas. Le fer et la faim les décimèrent, au point qu’ils finirent par n’être plus que 400 hommes, si exténués qu’ils ne pouvaient plus soulever une arme. Alors les rebelles escaladèrent le rempart. Tchāng-sunn fut traîné devant Yìnn tzeu-k’i. — Pourquoi grinçais-tu des dents, durant les combats ? lui demanda celui-ci... — Par envie de te dévorer ! fut la réponse... Puis, se prosternant vers l’Ouest (vers l’empereur), Tchāng-sunn cria : — Si j’ai p.1441 succombé, c’est que mes forces sont absolument épuisées ! Je continuerai à vous servir après ma mort ! Je demande à devenir un démon de la pire espèce, pour continuer à mordre ces gens-là !.. Les rebelles l’égorgèrent. Il mourut sans changer de visage. A l’Ouest, les rebelles retranchés dans la place forte de Hiâ, avaient arrêté la marche des impériaux. Nān k’ing-su envoya de Láo-yang, au secours de cette place, tout ce qui lui restait de troupes, 150 mille hommes environ. Les 370 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. deux armées entrèrent en contact à Sīnn-tien. Les rebelles se rangèrent en bataille, adossés à des hauteurs. Koūo tzeu-i les attaqua longtemps de front, sans aucun succès. Soudain les rebelles furent saisis d’épouvante. La cavalerie des Ouïgours, qui avait gravi les hauteurs par derrière, dévalait sur eux, comme une avalanche. Sauve-qui-peut général. Cette fois le prince Chóu ne gêna pas P’o-kou hoai-nenn, dont les Ouïgours sabrèrent à cœur joie. Par manière de représailles, Nān k’ing-su décapita les officiers T’âng qu’il tenait prisonniers, Keûe chou-han et trente autres, puis abandonna Láo-yang, passa le Fleuve Jaune, et se réfugia à Íe (Tchâng-tei-fou). Les impériaux firent leur entrée à Láo-yang. Cette fois les Ouïgours pillèrent pour de bon. Le prince Chóu en fut affligé, et obtint qu’ils cessassent leurs déprédations, moyennant une contribution de dix mille pièces de soieries précieuses, que le peuple paya. Utiles, mais voraces, ces braves Barbares ! Quand l’empereur apprit que Láo-yang était repris, il fit son entrée à Tch’âng-nan. Le peuple alla à sa rencontre jusqu’à vingt lì de distance, pleurant, sautant de joie, et criant Vive l’empereur ! Quand il fut installé dans le palais Tá-ming-koan, on lui amena, tête et pieds nus, les fonctionnaires T’âng qui avaient servi les rebelles. L’empereur les fit exposer au pilori... Le temple des Ancêtres des T’âng ayant été incendié par p.1442 les rebelles, l’empereur alla pleurer sur les ruines, en grand deuil, durant trois jours de suite... Quand Huân-tsoung apprit que Láo-yang était repris, Il quitta Tchêngtou pour revenir au nord. Les T’âng étant restaurés, les Barbares se retirèrent pour regagner leurs pays. L’empereur reçut à Tch’âng-nan, avec les plus grands honneurs, le prince ouïgour Ie-hou. — Je reviendrai, dit celui-ci, vous aider à balayer les rebelles du nord, dès que j’aurai remonté ma cavalerie. Puis il quitta, comblé de dons et de titres. Enfin, morale de cette histoire, depuis lors l’empereur de Chine fournit au khan des Ouïgours, vingt mille pièces de fines soieries par an (cf. p. 1299) Les T’âng furent une dynastie très populaire, peu solide, pas glorieuse. Ils payèrent comptant, leur prospérité et leur paix. Le peuple chinois n’en demande pas davantage. Pourvu qu’il mange tranquille ! 371 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. @ Toujours en 757, au douzième mois, Huân-tsoung rentra à Tch’âng-nan. Il avait pris l’air durant dix-huit mois. Sóu-tsoung alla à sa rencontre jusqu’à Hiên-yang (vis-à-vis Tch’âng-nan, au nord de la Wéi). Ici, alambiquage et sentimentalités ! Il s’agit de démontrer que, quoique Sóu-tsoung ait supplanté son père, c’était tout de même un bon garçon. Sóu-tsoung se présenta en robe violette (pas la couleur impériale), démonta devant le perron, se prosterna, dansa, etc. Huân-tsoung descendit les degrés, le caressa, pleurnicha, fit mine d’ôter sa robe impériale jaune pour l’en revêtir. Sóu-tsoung se prosterna derechef, le front dans la poussière, pour refuser cette robe. Huân-tsoung lui dit : — Les nombres du Ciel et les cœurs du Peuple, se sont réunis sur ta personne. C’est grâce à toi, que je pourrai couler mes vieux jours en paix. Tu es un très bon fils... Après cette déclaration, brevet historique de piété filiale, Sóu-tsoung revêtit la robe jaune... p.1443 Mêmes simagrées pour offrir et pour refuser l’appartement impérial, le repas impérial, etc. Finalement, quand Huântsoung retourna à son pied-à-terre, Sóu-tsoung conduisit d’abord son cheval par la bride, puis fit le piqueur. Huân-tsoung dit à son entourage : — J’ai reçu plus d’honneurs aujourd’hui, comme père de l’empereur, que durant les 40 années de mon propre règne... Il salua ensuite les officiers, puis alla s’excuser avec larmes devant les Tablettes des Ancêtres installées provisoirement dans le pavillon de la Joie Perpétuelle, se logea à l’écart au palais Hīng-k’ing-koung, et envoya à Sóutsoung le sceau de l’empire qu’il avait gardé jusque-là. Sóu-tsoung le reçut en pleurant, de joie ou de douleur, comme vous l’entendrez. Ici Maître Fán met les points sur les i. Sóu-tsoung, dit-il, monta sur le trône, sans aucun ordre exprès de son père. Les démonstrations qu’il fit par la suite, furent de la poudre jetée aux yeux des naïfs. Il fit ses affaires au moment propice, puis fit quelques simagrées qui ne lui coûtèrent pas. S’il crut que cela suffirait pour sauver la piété filiale, il se trompa. 372 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Définitivement intronisé, Sóu-tsoung nomma prince impérial son fils Chóu, le futur Tái-tsoung. Koūo tzeu-i fut fait Grand Directeur, Lì koang-pi devint Grand Ingénieur. Tous les autres officiers furent récompensés selon leurs mérites. Les morts reçurent des titres posthumes. Ainsi finit cette année 757, féconde en événements. En 758, à la sollicitation de Wâng-u (p. 1417), Sóu-tsoung releva le tertre et l’autel du Suprême Un (p. 445). Il décerna ensuite des titres ronflants au khan des Ouïgours, dont il avait encore besoin, pour venir à bout de Nān k’ing-su. Il lui envoya sa propre fille, pour être son épouse. Le prince Ù fut chargé de la lui conduire. L’empereur l’accompagna jusqu’à Hiên-yang. Au moment des adieux : — Père, dit la jeune p.1444 fille, je me dévoue volontiers pour le salut de l’empire... L’empereur revint à la capitale en pleurant... Quand Ù fut arrivé au douar du khan, celui-ci le fit attendre à la porte de sa tente. Que voulez-vous, l’empereur lui payait tribut (p. 1442)... Ù ne trouva pas la chose de son goût, et refusa de se prosterner... — Je suis l’égal de l’empereur, lui dit le khan ; saluez !.. — Peut-être bien, dit le prince ; mais en tout cas, puisque vous allez épouser sa fille, vous êtes son beau-fils : saluez !.. Le khan salua, à ce titre. Ce que c’est que les Rites !.. Le lendemain, il nomma sa nouvelle femme khatoun, et mobilisa trois mille de ses cavaliers, pour aller aider l’empereur à combattre Nān k’ing-su. Donnant donnant ! Quand il eut reçu ce renfort, Koūo tzeu-i se mit en campagne. Il passa le Fleuve, prit Wéi hoei-fou, et mit le siège devant Íe (Tchāng-tei-fou). An 759. Chèu seu-ming ne jugea pas à propos de servir Nān k’ing su, comme il avait servi son père. Il se proclama lui-même, Roi de Yén, et marcha vers Íe... A son approche, l’armée de Koūo tzeu-i se débanda. Les fuyards, Ouïgours et autres, pillèrent tant qu’ils purent. C’est le premier désastre qu’ait subi cet illustre général... Arrivé devant Íe, Chèu seu-ming ne 373 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. se mit pas en communication avec Nān k’ing-su. Inquiet, celui-ci lui offrit de se soumettre. Chèu seu-ming répondit par de bonnes paroles. Nān k’ing-su s’y fia, et alla le trouver avec trois cents hommes seulement. Chèu seu-ming le reçut, le salua, puis soudain, feignant la colère : — Tu as tué ton père, cria-t-il ; le Ciel et la Terre ne peuvent plus te supporter !... Aussitôt ses officiers traînèrent Nān k’ing-su dehors et l’égorgèrent. Puis Chèu seu-ming fit son entrée à Íe, prit à son service les gens de sa victime, leur donna son fils Chèu tch’ao-i pour commandant, et retourna à Fán-yang (Pékin) sa capitale. Le khan des Ouïgours étant mort, son fils Teng-li p.1445 lui succéda. La fille de Sóu-tsoung, épousée par son père l’an précédent, n’ayant pas eu d’enfant, Teng-li la renvoya à l’empereur. Il craignit sans doute qu’elle n’intriguât pour le compte de sa nation, ce dont les khatoun chinoises ne se faisaient faute nulle part. Vers la fin de cette année, Lì koang-i fit subir un échec à Chèu seu-ming. @ Il paraît que l’empereur était gouverné par sa femme l’impératrice Tchāng-cheu, et celle-ci par l’eunuque Lì fou-kouo. Il paraît aussi que l’impératrice et son eunuque, haïssaient Huân-tsoung. L’Histoire nous dit que, en 760, l’eunuque relégua ce dernier dans le pavillon Sī-nei, espèce d’in pace honorable, où le vieil empereur fut soumis à un régime austère. Les détails manquent sur ces vilaines choses. Bref Huân-tsoung fut confiné, et son fils Sóu-tsoung ne le vit plus. En 761, Lì koang-hi est battu à plate couture, par Chèu seu-ming, à Mâng-chan. — Ce Turc semble avoir eu des qualités militaires sérieuses. Heureusement pour l’empire, qu’il finit à peu près comme Nān lou-chan. Soupçonneux et cruel, il avait beaucoup d’ennemis. Il n’aimait pas Tch’âo-i son fils aîné gouverneur de Íe, et méditait de lui substituer Tch’âo-ts’ing son cadet gouverneur de Fán-yang. Quand il eut battu Lì koang-pi, il marcha sur 374 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tch’âng-nan, et chargea Tch’âo-i de surprendre Hiâ. Tch’âo-i fut battu. Son père le menaça de mort. Les familiers du fils lui dirent : — Nous sommes perdus ! Si vous ne vous résolvez pas à prendre les grands moyens, nous allons passer aux T’âng. Tch’âo-i gagna le capitaine des gardes de son père. Celui-ci tua Chèu seuming d’un coup de flèche. Chèu tch’ao-i s’intronisa à sa place, et fit mourir son frère Chèu tch’ao-ts’ing avec ses partisans. Les anciens officiers de Chèu seu-ming ne se rallièrent pas à lui. p.1446 La situation des T’âng étant devenue un peu moins précaire, leur goût pour les superstitions se réveilla. Taoïste Buddhiste Nestorien et le reste, Sóu-tsoung éleva un autel dans son palais, costuma ses femmes en P’ousas et ses gardes en Génies, puis entreprit de faire rendre, par ses ministres, à ces nouvelles divinités, un culte de sa façon. En 762 on lui apprit que, dans le Tch’òu-tcheou, la bonzesse Tchēnn-jou ayant été transportée au ciel dans une extase, Cháng-ti le Souverain d’en haut lui avait remis un livre sybillin consistant en treize plaques de jade, dans lequel on trouverait la solution de toutes les difficultés futures de l’empire. A leur ordinaire, les officiers félicitèrent l’empereur de sa bonne fortune... Maître Fán se fâche. — Jadis, dit-il, Yâo (ou plutôt Choûnn, Annales p. 378, voyez HCO, page 15) ordonna à Tch’oung et à Lì d’interrompre les communications du ciel et de la terre ; c’est-à-dire qu’il défendit que les magiciens et magiciennes cherchassent à communiquer avec le ciel, pour en imposer au peuple. Ces pratiques, usitées seulement sous les sots souverains, ont toujours troublé le Peuple et discrédité le Ciel. Sóu-tsoung qui fut impie envers son père, mérita d’être joué par les magiciens. Quant à l’efficacité de ces cadeaux du Ciel, son cas l’illustre mieux qu’aucun autre. Un mois après la faveur de Cháng-ti, les deux empereurs étaient morts. Jugez ! De fait, peu de jours après, le père et le fils tombèrent malades. Huântsoung mourut le premier, âgé de 78 ans. La maladie de Sóu-tsoung 375 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. s’aggravant de jour en jour, il remit les rênes du gouvernement à son fils le prince impérial. Tandis que son mari agonisait, l’impératrice Tchāng-cheu essaya de se défaire de l’eunuque Lì fou-kouo, jadis son allié, maintenant son ennemi, en vue, probablement, de se faire régente. Elle pria le prince impérial de le faire mettre à mort. Celui-ci s’excusa p.1447 sur ce qu’il n’était que Régent. Alors l’impératrice chargea de sa vengeance le prince Hī, lequel arma une bande d’eunuques. Averti de ce qui se tramait, Lì fou-kouo arrêta et mit en lieu sûr l’impératrice et le prince Hī. Le lendemain, Sóu-tsoung ayant rendu le dernier soupir, Lì fou-kouo égorgea ses deux prisonniers. Le prince impérial monta sur le trône, et devint l’empereur Tái-tsoung. @ 376 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Tái-tsoung, 763 à 779. @ Comme on pouvait s’y attendre, l’eunuque Lì fou-kouo, dont nous connaissons le talent, s’efforça de réduire l’empereur en tutelle. Celui-ci n’osa pas le heurter de front. Mais, une belle nuit, dit l’Histoire laconiquement, des brigands s’étant introduits dans le logis de l’eunuque, lui volèrent sa tête et un bras. C’est-à-dire que l’empereur le fit supprimer. La circonstance de la mutilation, est chose très grave, pour ceux qui croient à la métempsycose. Quiconque est enseveli sans tête sans bras, renaît sans tête sans bras. S’il faut en croire certains commentaires, la famille du défunt chercha à lui épargner ce malheur, en munissant le cadavre d’une tête et d’un bras en bois. @ Chèu tch’ao-i occupait toujours le nord du Fleuve, Tchâng-tei-fou et Pékin. Les T’âng n’avaient pas les forces voulues pour le réduire. Ils durent recourir aux Ouïgours. Or Chèu tch’ao-i avait pris les devants auprès du khan Teng-li. Quand l’envoyé impérial arriva à son douar, le khan fit l’étonné et dit : — Je croyais qu’il n’y avait plus de T’âng... — Il en reste, dit l’envoyé. L’empereur est mort, il est vrai ; mais son fils lui a succédé... Alléché par l’espoir du pillage, le khan envoya, avec le député impérial, quelques escadrons de sa cavalerie. Quand ceux-ci, entrés en Chine, virent l’état du pays ravagé par la guerre civile, ils refusèrent d’aller plus loin, et maltraitèrent l’envoyé. Celui-ci avisa p.1448 l’empereur, lequel envoya au khan Teng-li, son beau-père le prince P’ou-kou huai-nenn, que nous connaissons. Le beau-père exhorta le beau-fils à ne pas rompre avec les T’âng. Le khan se décida à secourir l’empire pour de bon (763). Descendant la vallée de la Wéi il entra dans celle de la Láo, passa le Fleuve, remonta la vallée de la Fênn, s’établit à T’ái-yuan-fou dont les approvisionnements lui furent livrées puis, redescendant la vallée de la Fênn et repassant le Fleuve, de concert avec les 377 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. troupes impériales, il marcha sur Láo-yang, que les rebelles avaient repris. Dans une grande bataille livrée sous les murs de cette ville, les rebelles furent complètement battus. Ils laissèrent 60 mille morts sur le champ de bataille, et 20 mille prisonniers aux mains des impériaux. Chèu tch’ao-i se sauva avec quelques centaines de cavaliers seulement, passa le Fleuve, et se réfugia à Wéi-hoei-fou. P’ou-kou hoai-nenn ayant pris Láo-yang, se mit à la poursuite de Chèu tch’ao-i, lequel se réfugia successivement à Ts’īng-heue, puis à Máotcheou, où il fut assiégé par toute l’armée chinoise-ouïgoure. La place ayant été prise, il s’enfuit vers Fán-yang (Pékin). Il ignorait que Lì hoai-sien, à qui il avait confié cette place, venait de faire des ouvertures aux impériaux. Quand Chèu tch’ao-i arriva, Lì hoai-sien lui ferma les portes au nez. Suivi seulement de quelques cavaliers barbares, Chèu tch’ao-i fuit vers le Nord, pour aller se réfugier cher les K’í-tan. Lì hoai-sien lui donne la chasse avec sa cavalerie. Se voyant perdu, Chèu tch’ao-i se pend dans un bois. Lì hoai-sien envoie sa tête aux impériaux... Ainsi finit la rébellion de Nān lou-chan, continuée par Chèu seu-ming. Nous verrons plus tard la somme de sang qu’elle coûta à la Chine. Elle eut un épilogue, que nous dirons tout à l’heure. L’Histoire le fait pressentir, en terminant ce chapitre par ces mots : La campagne finie, les p.1449 Ouïgours retournèrent chez eux. P’ou-kou hoai-nenn refusa de venir à la cour. Rien ne donne une plus juste idée de la faiblesse des T’âng, que les épisodes semblables à celui-ci... Au dixième mois de l’année 763, une bande de plus de 200 mille Tibétains et Tangoutains, envahit soudain la vallée de la Wéi par son extrémité occidentale, et apparut inopinément aux portes de la capitale Tch’âng-nan, dont la garnison prit la fuite sans combattre. L’empereur se sauva dans la vallée de la Láo. Entrés dans la capitale sans coup férir, les Barbares brûlèrent, pillèrent, ravagèrent, firent si bien, qu’ils convertirent en un désert cette grande et malheureuse ville. Le grand général impérial Koūo tzeu-i avait en tout trente cavaliers. Franchissant la petite passe, il se réfugia dans la haute vallée de la Hán, et y racola quatre mille hommes, déserteurs et brigands, qu’il adjura de l’aider à sauver l’empire. Quand ils eurent consenti, il envoya son lieutenant occuper, avec 200 hommes, la petite passe. Se tenant soigneusement couvert, cet officier fit 378 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. battre le tamtam durant le jour, et allumer des feux durant la nuit. Les Tibétains crurent qu’une armée impériale approchait. Ils se retirèrent, emportant leur butin. Sans un seul mot amer, l’Histoire conclut en ces termes ce honteux épisode : La paix étant rétablie, l’empereur rentra à Tch’âng-nan. @ En aidant les impériaux à combattre les rebelles, les Ouïgours avaient eu l’occasion de se rendre compte de la faiblesse de l’empire. P’ou-kou hoai-nenn tenta d’enlever T’ái-yuan-fou, dans la vallée de la Fênn, par un coup de main. Le coup échoua. Le fils de P’ou-kou hoai-nenn périt dans la bagarre. Celui-ci dut conter l’aventure à sa propre mère. La vieille saisit un p.1450 sabre, en criant : — Ah tu t’es révolté contre l’empire ! Brigand ! Je vais t’éventrer au nom de l’empereur, et t’arracher ton cœur de traître !.. P’ou-kou hoai-nenn s’esquiva, mais poursuivit son plan. Au dixième mois de l’an 764, à la tête d’une armée composée mi-partie d’Ouïgours et de Tibétains, il assiégea Fóng-t’ien, place alors très importante, au nord-ouest de Tch’âng-nan, entre la Kīng et la K’iēn. Koūo tzeu-i se tint sur la défensive, refusant de combattre. Au commencement de l’an 765, P’ou-kou hoai-nenn arriva à débaucher les troupes auxiliaires du Nord-Ouest (u), celles qui avaient sauvé l’empire en 757, sous Sóu-tsoung. Il reçut aussi un renfort de plusieurs centaines de milliers d’Ouïgours, de Tibétains et de Tangoutains. Koūo tzeu-i conseilla à l’empereur de n’opposer aucune armée à ce flot de Barbares, mais de se contenter d’appeler aux armes les milices des provinces, pour briser leur élan, en les obligeant à se séparer pour opérer en détail. L’empereur adopta ce plan, d’autant plus volontiers que, n’ayant pas d’armée, il en aurait difficilement adopté un autre. Heureusement pour l’empire, que P’ou-kou hoai-nenn mourut de maladie, au moment où ses hordes s’ébranlaient. Cent mille Tibétains arrivés devant Fóng-t’ien, furent contraints par la pluie de se retirer. Ils dévastèrent à fond les pays par lesquels ils passèrent. S’étant joints aux Ouïgours, ils revinrent avec eux, et poussèrent jusqu’à Kīng-yang, au nord de la Wéi, à moins de cent lì de la capitale. Koūo tzeu-i refusa obstinément de livrer aucun combat. La nouvelle de la mort de P’ou-kou hoai- 379 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. nenn étant arrivée, les Tibétains et les Ouïgours cessèrent de s’entendre. Le bruit courut aussi parmi eux, que Koūo tzeu-i était mort. Celui-ci ayant eu connaissance de leurs discordes, fit faire secrètement des offres au chef des Ouïgours... — Vous me trompez, dit le Barbare, à son émissaire ; p.1451 Koūo tzeu-i est mort... Pour leur prouver qu’il vivait encore, suivi d’une très faible escorte, Koūo tzeu-i se rendit chez les Ouïgours. Défiants, ceux-ci se rangèrent en bataille. Leur chef Yáo-keue-louo prit position devant le front de sa cavalerie, l’arc bandé, prêt à décocher. Koūo tzeu-i approcha, s’arrêta, jeta ses armes, ôta son casque et sa cuirasse... — C’est lui ! crièrent les officiers ouïgours, qui avaient jadis combattu sous lui contre Nān lou-chan... Koūo tzeu-i mit pied à terre, alla droit à Yáo-keue-louo, lui prit la main et dit : — Vous Ouïgours, vous avez jadis rendu aux T’âng de grands services, que ceux-ci vous ont bien payés. Alors pourquoi oublier les traités, dévaster notre pays, effacer vos mérites passés, vous faire détester, tout cela pour l’amour d’un officier (P’ou-kou hoainenn) qui a désobéi à sa mère, et qui s’est révolté contre son prince. Est-ce là entendre vos intérêts ? Me voici désarmé entre vos mains ; mais je vous avertis que, si vous me tuez et continuez à faire la guerre à la Chine, mon armée vous combattra à outrance... Yáo-keue-louo dit : — P’ou-kou hoai-nenn m’avait fait croire que vous n’étiez plus, et que la Chine était sans maître. C’est pour cela que je suis venu. D’après ce que je vois, il m’a menti. Le Ciel a occis ce mauvais drôle. C’est bien fait ! Je n’ai aucune envie de vous faire la guerre davantage... — Alors, dit Kouo tzeu-i, je vais vous proposer une bonne affaire. Les Tibétains sont de méchantes gens. Ils ont fait un butin d’or et 380 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. d’argent immense, et ont enlevé des chevaux et des bœufs sans nombre. Qu’en dites-vous ? Le Ciel vous les livre ! Pur profit, sans risque ! Ne ratez pas cette aubaine-là !.. — Bon ! dit Yáo-keue-louo ; pardonnez-moi toutes mes offenses ; épargnez seulement le fils de P’ou-kou hoai-nenn, qui est le frère de notre khatoun... — Tope ! dit Koūo tzeu-i... Durant ce colloque, les chefs ouïgours s’étaient rapprochés. p.1452 Craignant un mauvais coup, l’escorte de Koūo tzeu-i fit de même. Celui-ci la rembarra d’un geste. Puis, s’étant fait apporter du vin, il en but à la ronde avec les chefs ouïgours. Ensuite, en répandant une coupe à terre par manière de serment, il cria : — Vive l’empereur des T’âng ! Vive le khan des Ouïgours ! Vivent les deux nations ! Que celui qui violera ce serment, périsse de malemort, et que ma maison soit exterminée !.. Après lui Yáo keue-louo répéta le même serment, avec le même cérémonial... Les Tibétains ayant eu vent de ce qui se préparait contre eux, déguerpirent durant la nuit. Les Ouïgours leur donnèrent la chasse, les atteignirent, les dispersèrent, enlevèrent leur butin. Koūo tzeu-i revint s’établir dans l’angle du Fleuve. Piétiné par les rebelles et les barbares depuis tant d’années, le pays était désert et le sol en friche. Pour faire vivre ses soldats, Koūo tzeu-i dut leur faire cultiver la terre. Luimême donna l’exemple, chaque officier cultiva son lopin, les soldats s’y mirent ; bientôt la campagne fut de nouveau défrichée, et l’armée vécut dans l’abondance. Et maintenant ; la carte à payer : Le recensement de l’an 754, avant la révolte de Nān lou-chan et les guerres qui en furent la suite, avait accusé une population de 52.880.488 âmes. Le recensement de l’an 766, donna 16.900.000 âmes. Soit, en chiffres ronds, 36 millions d’hommes, près des trois quarts de la population, disparus durant douze années de guerre civile. Disons, à l’honneur de l’empereur Tái-tsoung, qu’il se montra reconnaissant envers Koūo tzeu-i le sauveur de sa maison. Il le traita toujours 381 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. avec les plus grand égards, et donna à son fils sa propre fille en mariage. La princesse ayant mauvais caractère, faisait des scènes à son mari... — C’est parce que votre père est empereur, lui dit un jour celui-ci, que vous me traitez ainsi ; or c’est grâce à mon père à moi, que le vôtre est ce qu’il est... La princesse prit cette remarque au tragique, et courut se plaindre à son père... — Il ne t’a pas tout dit, lui dit celui-ci ; la vérité est que, si son père à lui avait voulu, il serait empereur maintenant, et ton père à toi ne serait plus rien ; calme-toi donc, et retourne vite à la maison... Cependant Koūo tzeu-i ayant appris cette bisbille des deux jeunes époux, incarcéra son fils, et alla demander à l’empereur l’autorisation de le châtier. — Un vieux proverbe, répondit celui-ci, dit que tout père de famille doit, à certaines heures, être sourd et aveugle. Cela veut dire surtout, qu’il ne doit pas remarquer les disputes conjugales de ses enfants... Koūo tzeu-i rentra chez lui, et donna la bastonnade à son fils. L’eunuque Û tch’ao-nenn ayant consacré un terrain qu’il possédait, à l’érection d’une pagode magnifique, dédiée à la mémoire de l’impératrice défunte, pour le bien de l’empire, l’empereur dota cette pagode très richement (767). Le lettré Kāo-ying présenta la remontrance suivante : « Une pagode de plus, n’illustrera guère la mémoire de l’impératrice. Quant au bien de l’empire, il dépend de la bonne administration du peuple. Si le gouvernement est mauvais, les prières faites pour le peuple seront vaines. Les anciens empereurs cherchaient à obtenir le bonheur et à éviter le malheur, en faisant des bonnes œuvres, non en faisant des dépenses. Je suis affligé de ce que vous vous soyez laissé induire à agir autrement. 382 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur était très favorablement disposé pour le Buddhisme. Il était entretenu dans ces sentiments, par Yuân-tsai, Wâng-tsinn, Tóu houng-tsien, tous dévots buddhistes. Wâng-tsinn observait strictement l’abstinence de chair et de sang. Tóu houng-tsien entretenait à ses frais mille bonzes. Ces deux hommes construisaient pagode sur pagode. Un jour l’empereur leur demanda : — Mais enfin, le dogme de la rétribution des p.1454 actes, tel que le Buddha l’enseigne, est-ce vraiment vrai ?.. — Le bonheur de la dynastie actuelle, suffit pour le prouver répondirent-ils. Que Nān lou-chan et Chèu seu-ming aient été assassinés par leur fils, que P’ou-kou hoai-nenn soit mort de maladie, que les Tibétains et les Ouïgours se soient brouillés, le tout à point nommé, au bon moment, ce ne sont pas là des hasards, ce sont des rétributions... Ce discours acheva de convertir l’empereur au Buddhisme. Il entretint désormais, pour son usage une centaine de bonzes, dans l’intérieur de son palais. Quand on lui annonçait quelque mauvaise nouvelle, il les faisait aussitôt prier. Quand le danger avait cessé, il les comblait de bienfaits. Il créa duc, le bonze indien Amogha, le fit marcher de pair avec les ministres et lui donna libre entrée au palais. Alors pouvoir, richesse, terres et biens, tout afflua chez les bonzes. Spectateurs de leur fortune, le peuple se précipita de nouveau en masse dans le Buddhisme, comme nous lui avons vu faire plus d’une fois déjà (p. 945)... Au bas de ce narré, Maître Hôu appose froidement l’estampille de l’incrédulité confuciiste. « Après la mort, dit-il, les ténèbres dans lesquelles il n’y a ni bonheur ni malheur. Et, à supposer qu’il y eût un bonheur ou un malheur dans l’au-delà est-ce par des prières qu’on obtiendrait le bonheur, qu’on éviterait le malheur ? En ce cas, tous ceux qui prient seraient heureux, aucun ne serait malheureux, ce qui n’est pas le cas. Non, prier n’attire pas le bonheur et n’écarte pas le malheur ! La vie, et la mort qui la termine, sont une voie (suite, enchaînement) prédéterminée. 383 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 768, la pagode bâtie par Û tch’ao-nenn étant achevée, l’empereur la visita, et y présida à la réception de mille bonzes. Sept statues furent érigées en sa présence. A cette occasion se fit, pour la première fois, la cérémonie de l’Ullambana. L’empereur envoya l’écuelle U-lan, de son palais, au nouveau temple. Il fit don, p.1455 à la pagode, d’une bannière ornée d’une inscription. Les mandarins rendirent les honneurs, sur le passage du cortège. Cette procession se fit désormais chaque année, le quinzième jour du septième mois. Voyez HCO page 411. En 769, mort du dévot Tóu houng-tsien (p. 1453). Avant de mourir, il se fit raser la tête, et expira dans une robe de bonze, après avoir déclaré qu’il voulait être enseveli dans une pagode. Ici Maître Hôu s’enflamme : « Quel être vil, que ce Tóu houng-tsien ! Passe encore qu’il ait cru au Buddhisme ; mais oublier à ce point les devoirs les plus essentiels ! La peau, et les cheveux qui la couvrent, ne sont-ils pas, comme le reste du corps, substance et don des Ancêtres ? Ne doit-on pas retourner intact dans la tombe ? N’est-il pas évident que, quiconque se mutile, est impie envers ses parents ? Et pourtant Tóu houng-tsien se fit raser !!! Ces parangons buddhiques n’étaient pas tendres les uns pour les autres. En 770, le dévot Û tch’ao-nenn ayant abusé de sa position pour insulter les ministres, l’empereur se fâcha contre lui. Le dévot Yuân-tsai souffla le feu. Il fut convenu qu’on se débarrasserait de l’eunuque, à l’occasion du banquet du Hân-cheu. Au jour dit, à la fin du banquet, comme Û tch’ao-nenn allait se retirer, l’empereur ayant fait contre lui une violente sortie, les assistants se jetèrent sur lui et l’étranglèrent. Le cadavre fut rendu à la famille, et l’empereur paya les funérailles. A cette époque, la nation des Ouïgours était devenue officiellement manichéenne. En 768, l’empereur permit aux Ouïgours d’élever dans l’empire des temples manichéens, sous le vocable de la Lumière brillant dans le Grand Nuage... En 771, autorisation spéciale d’en ériger quatre nouveaux, à KīngTcheou du Hôu-pei, Yâng-tcheou du Kiāng-sou, Nān-tch’ang du Kiāng-si, p.1456 Chāo-hing du Tchée-kiang actuel. Les sectateurs de cette religion (les 384 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. prêtres, je pense), dit l’Histoire, portent des robes et des coiffures blanches... Comment expliquer la tolérance, la faveur même, accordée maintenant à cette religion, qui avait été, en 732, déclarée officiellement mauvaise et perverse ? L’explication est facile. Les Ouïgours étaient manichéens, et les T’âng avaient besoin des Ouïgours. Ils avaient même peur de cette puissance, qui était alors à son apogée. Or, quand les Chinois ont peur ils mettent leurs principes dans leur poche, et adorent ce qu’ils avaient brûlé, en attendant que, la roue ayant tourné, ils brûlent ce qu’ils avaient adoré. Jusqu’où allait cette peur, l’Histoire nous l’avoue avec ingénuité. En l’an 772, le personnel de la légation ouïgoure établie à Tch’âng-nan, briganda dans la ville, ravit des femmes et des filles, commit des meurtres, etc. L’empereur ferma les yeux et se tut. @ En 774, la sécheresse désola le district de la capitale. Le préfet Lî-kan ayant fait modeler un dragon en argile, lui demanda la pluie. Il dansa devant cette image, avec les sorciers et les sorcières. La pluie n’en tomba pas davantage. L’empereur ordonna de briser le dragon, jeûna et fit pénitence. La pluie tomba. En 778, Tchōu-ts’eu, gouverneur de la haute vallée de la Wéi, envoya à l’empereur, comme objet éminemment faste et présage infaillible de la paix entre les Chinois et les Barbares, une chatte qui allaitait une nichée mi-partie de chatons et de ratons. Les courtisans félicitèrent. Le secrétaire Ts’oēi youfou blâma. — Cette chose est contre nature, dit-il. Ce n’est donc pas un présage faste. Ce mélange de deux races ennemies, me donne à penser qu’il y a des traîtres parmi les fonctionnaires. Au lieu de vous réjouir, ouvrez l’œil !.. Nous verrons Tchōu-ts’eu se charger lui-même de vérifier p.1457 l’interprétation de Ts’oēi you-fou. Il deviendra un insigne rebelle. En 779, l’empereur Tái-tsoung mourut, nommant par testament Koūo tzeu-i tuteur de son fils, lequel monta sur le trône, et devint l’empereur Têi- 385 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. tsoung. Le jeune souverain combla de titres et de faveurs son vieux tuteur, qui le méritait d’ailleurs. Son premier édit, fut pour exprimer son incrédulité à l’égard des présages et pronostics, dont les flatteurs usaient et abusaient pour se bien mettre dans l’esprit des princes. — Je ne connais, dit-il, en fait de faste, que la paix et l’abondance, la sagesse et la fidélité. Quant aux agarics épiphytes, animaux extraordinaires, plantes curieuses, arbres étranges, et autres phénomènes, à quoi bon porter ces choses à la connaissance de l’empereur. Qu’on me laisse tranquille désormais ! Les pays du midi offraient régulièrement à l’empereur des éléphants dressés. Ces animaux mangeaient beaucoup de foin, et n’étaient d’ailleurs bons à rien. L’empereur les fit lâcher dans les montagnes... Il se défit aussi de la ménagerie impériale, des coqs de combat, et de plusieurs centaines de filles du harem. Pardon, ce n’est pas moi qui suis coupable de la connexion de ces catégories ; c’est l’Histoire. En Chine elles sont classées sous la rubrique commune des Etres qui ouvrent la bouche, c’est-à-dire qui mangent, et qui coûtent, par conséquent... Le peuple fut très content de ces mesures. On se disait : Nous avons un bon empereur ! Têi-tsoung présida aux funérailles de son père. Quand le cortège funèbre s’ébranla, l’empereur constata avec surprise qu’il faisait un détour. — Pourquoi cela ? demanda-t-il... — Le midi est le lieu de votre destin, répondirent les géomanciens ; si le corbillard allait droit vers le midi, il heurterait votre fortune., ce qui serait néfaste... — Comment, s’écria l’empereur avec larmes, vous faites p.1458 faire des détours à mon père, à cause de moi ! Qu’on aille droit au Sud !.. « Très bien ! dit Maître Hôu. Huân-tsoung, Sóu-tsoung, Tái-tsoung, avaient cru fort et ferme aux deux principes, aux Koéi et Chênn. Ils s’étaient guidés, dans toutes les affaires grandes et petites, par la magie et la divination. Wâng-u et Lî-kan les menèrent par le bout 386 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. du nez... Têi-tsoung fut incrédule. Bravo !... Il fit les funérailles de son père, au septième mois ; en cela il eut raison, car c’était la règle. Il les fit quand tout fut prêt, sans jeter les sorts pour déterminer le jour ; en cela il eut tort, car l’usage était de les jeter... Voyez la conséquence avec eux-mêmes, de ces bons Lettrés. Pour leur plaire, il faut être incrédule, mais paraître superstitieux, quand l’usage le veut. Aussitôt qu’il fut monté sur le trône, l’empereur nomma prince impérial son fils Sông qu’il aimait. @ 387 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Têi-tsoung, 780 à 804. @ Sous le règne précédent, tous les fonctionnaires avaient été tenus de faire des cadeaux à l’empereur, au premier jour de l’an, au solstice d’hiver, le cinquième jour du cinquième mois, au jour anniversaire de sa naissance, Quand Têi-tsoung célébra son premier anniversaire, il refusa tous les cadeaux, et abolit ces servitudes. Le géomancien Sāng tao-mie fit savoir à l’empereur, que, sous peu d’années, il lui faudrait quitter sa capitale, et que, d’après ses observations, des émanations impériales s’élevant de la ville de Fóng-t’ien, c’est là qu’il devrait se réfugier, quand le danger serait venu... L’empereur n’était pas superstitieux. Il crut néanmoins tout ce que ce géomancien lui dit. C’est que, en Chine, la géomancie n’est pas une superstition, mais une science officielle reconnue (p. 989). L’empereur fit réparer les remparts de Fóng-t’ien. Il devra un jour son salut à cette mesure. Les Ouïgours, et bien d’autres Barbares qui se p.1459 couvraient de ce nom redouté (il y avait alors 4 mille familles étrangères établies dans la ville de Tch’âng-nan, et 150 mille mercenaires étrangers incorporés dans les armées de l’empire), causaient journellement de graves désordres. Lassé, l’empereur signifia son congé à T’óu-tong l’ambassadeur ouïgour, et lui enjoignit de s’en retourner chez lui avec toute son ambassade. Tchāng koang-cheng demanda la permission de les occire, tout bonnement. L’empereur refusa. Alors Tchāng koang-cheng chargea son aide de camp de se promener (sic) devant l’hôtel des Ouïgours, c’est-à-dire de provoquer un conflit. Cet officier fit l’insolent. T’óu-tong le fustigea. Tchāng koang-cheng accourut avec ses soldats, massacra l’ambassadeur, la légation, et bon nombre d’autres Barbares. L’Histoire a conservé, du recensement de cette année 780, les chiffres suivants : Familles 3.085.076 (ce qui fait, au taux ordinaire, 17 à 18 millions d’âmes ; comparez an 766, p. 1452). Soldats 768.000. Rendement de l’impôt foncier 30.898.000 ligatures. Rendement 21.570.000 boisseaux. 388 des prestations en nature Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 781 mourut, presque nonagénaire, Koūo tzeu-i, le boulevard de l’empire. Figure la plus digne de toute l’histoire de Chine, et mémoire immaculée (p. 1354). Il eut tous les bonheurs, dit la tradition, et fut père, par ses huit fils et ses sept beaux-fils, d’une postérité prodigieuse. Dès qu’il fut mort, les rébellions éclatèrent. Les rebelles qui vont pulluler, n’étaient pas des brigands vulgaires. C’étaient des gouverneurs, faits héréditaires par les derniers empereurs, et qui, devenus trop puissants, vont essayer le jeu que jouèrent les gouverneurs de la dynastie Soêi, jeu qui procura le trône aux T’âng (p. 1299). Un certain T’iên-ue commença. Battu sur la rivière Yuân, avec perte de 20 mille hommes tués, sans compter p.1460 les noyés, il se réfugia dans sa place de Wéi-Tcheou (Tái-ming-fou). Là, pour éprouver l’attachement de son peuple, il fit mine de se suicider. Le peuple l’en empêcha. Tous se coupèrent les cheveux, en preuve de leur attachement inviolable. T’iên-ue vida son trésor, et le distribua à ses soldats, Tchōu-t’ao gouverneur du Chēnn-tcheou, fit comme T’iên-ue. Les deux prirent le titre de rois. Le grand mal de l’empire, à cette époque, c’était l’état lamentable des finances, qui ne s’étaient jamais remises, depuis Nān lou-chan. Quand les révoltes éclatèrent, il fallut lever des soldats. L’entretien de ces soldats, coûta bientôt un million de ligatures par jour. Il devint évident que, dans peu de mois, les caisses seraient à sec. Alors Wêi tou-pinn proposa à l’empereur de plumer les gros marchands. On leur laisserait dix mille ligatures à chacun. Le surplus de leur propriété, serait confisqué. L’empereur donna un décret dans ce sens. Les officiers s’abattirent, comme une nuée de harpies, sur les malheureux négociants, coupables d’être riches. Non seulement on leur prit tout ce qu’ils avaient, mais on feignit de croire qu’ils avaient caché le meilleur ; on les fustigea, on les tortura, pour leur faire livrer ce qu’ils n’avaient pas ; bref ce fut grande liesse, parmi les mandarins et les satellites ; quiconque connaît la Chine, comprendra ce que je veux dire. Beaucoup de marchands se suicidèrent de désespoir. Tch’âng-nan fut dévasté, ni plus ni moins que si des Barbares l’avaient mise à sac. Finalement les opérateurs, liquidateurs, voleurs, 389 versèrent dans les caisses du Textes historiques. II.a : de 420 à 906. gouvernement environ 800 mille ligatures. Cette somme représente évidemment l’excédent, qui ne trouva pas place dans leurs poches. On taxa ensuite du quart, les revenus, les placements, le bétail, les tissus, les grains, tout ce qui représentait quelque valeur. Aussitôt toutes les transactions p.1461 cessèrent. Le peuple s’ameuta, et arrêta dans les rues le ministre Lôu-k’i, qui dut prendre la fuite. En somme, le gouvernement obtint deux millions de ligatures, et le peuple fut complètement dévalisé. Cependant, après le meurtre de l’ambassadeur ouïgour et des gens de sa suite (p. 1459), l’empereur avait chargé l’officier Yuân-hiou de reconduire leurs os dans leur pays. Le khan envoya à la rencontre du convoi, son ministre Kie-tzeu seu-kia. Celui-ci arrêta Yuân-hiou, le tint durant cinquante jours à la porte de sa tente, exposé à la pluie et à la neige, menaçant à tout moment de le faire mettre à mort. Enfin le khan envoya un député qui dit à Yuân-hiou : — Ma nation a demandé votre mort, pour venger celle de notre ambassadeur assassiné chez vous. Moi j’ai pensé que, si je lavais cette affaire dans votre sang, elle n’en deviendrait que plus sale. J’ai donc préféré la laver à l’eau (en laissant l’ambassadeur chinois exposé à la pluie durant cinquante jours). Retournez d’où vous êtes venu !.. Yuân-hiou revint en Chine, sans avoir vu la face du khan. En 783, rébellion de Lì hi-lie, dans les bassins du Hoâi et de la Hán. — Cette révolte porta à l’extrême, la détresse du trésor impérial. Impossible de s’en tirer désormais, avec les impôts et taxes ordinaires. Tcháo-tsan proposa à l’empereur d’imposer premièrement les bâtiments. On adopta comme unité le kién, c’est-à-dire la travée, l’espace entre deux poutres. Dans les bâtiments de luxe, la travée paya deux mille pièces de monnaie ; dans les bâtiments ordinaires, mille ; et cinq cent dans les maisons pauvres. Quiconque fraudait en déclarant le nombre de kién de ses immeubles, recevait soixante coups de bambou, et payait cinquante ligatures à celui qui l’avait dénoncé... En second lieu, Tcháo-tsan fit imposer toutes les transactions. Dans p.1462 toutes les ventes, dans tous les achats le gouvernement percevait cinquante pièces de 390 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. monnaie, pour chaque ligature. Il y eut des taxes aussi pour les trocs. Quiconque avait fait un marché clandestin, recevait soixante coups de bambou, et payait dix ligatures à son délateur... Ces mesures causèrent un mécontentement général. L’empereur envoya dans la vallée de la Hán pour défendre Siāng-yang contre Lì hi-lie, les troupes stationnées au nord de la Wéi, près de la Grande Muraille. Au dixième mois, quand ces troupes passèrent à la capitale, elles se mutinèrent. L’empereur dut fuir et se réfugier dans la forteresse de Fóng-t’ien (p. 1458). Alors Tchōu-ts’eu se révolta (p. 1456), s’empara de la capitale, et se proclama empereur de la dynastie Ts’înn. Puis il marcha contre Fóng-t’ien, comptant y dénicher l’empereur, et éteindre les T’âng. Arrivé devant cette ville, il démolit les pagodes des environs, et en employa le bois à construire des machines de siège. A la longue, la famine devint grande dans la ville. Des hommes se faisaient descendre du rempart, dans des paniers, durant la nuit, pour récolter dans les fossés des racines sauvages. L’empereur convoqua les officiers et leur dit : — Ce n’est pas à vous qu’on en veut, mais à moi seul ; faut-il me rendre pour vous sauver ?.. — Non, dirent les officiers, en se prosternant tous en larmes ; et ils continuèrent à défendre bravement... Tchōu-ts’eu battait les remparts avec des béliers. Il construisit des échelles de siège roulantes, si larges qu’une colonne pouvait monter à l’assaut de front. Par des tunnels passant sous leur rempart, les assiégés allèrent creuser à l’extérieur des fosses couvertes, à demi pleines de paille. Quand les échelles roulèrent sur ces fosses, elles tombèrent dedans, et le feu ayant été mis à la paille, elles flambèrent debout. Une vive sortie des assiégés, fit reculer les p.1463 bandes de Tchōu-ts’eu découragées par cet échec. Lì hoai-koang qui arrivait avec cinquante mille hommes de troupes, en profita pour se jeter dans la place, aux cris de joie des assiégés, et au grand soulagement de l’empereur. Lì hoaikoang ayant ensuite battu Tchōu-ts’eu, celui-ci se retira à Tch’âng-nan. 391 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Le pauvre Têi-tsoung n’était pas au bout de ses peines. Dans les premiers jours de l’an 784, son sauveur Lì hoai-koang se révolta à son tour. L’empereur dut fuir jusque dans le pays de K’āi-fong-fou. Quelques mois plus tard, Lì-cheng délogea Tchōu-ts’eu de Tch’âng-nan, et le mit en fuite. Le fugitif fut assassiné par un lieutenant, qui présenta sa tête pour acheter sa grâce. L’empereur rentra à Tch’âng-nan. Le général Hoûnn-hien battit Lì hoai-koang, lequel se suicida. Enfin, en 786, Lì hi-lie ayant été aussi assassiné par son lieutenant, l’empire se reposa. En 787, Hoûnn-hien dut s’occuper des Tibétains, qui envahissaient l’Ouest, dans le dessein, sans doute, de renouveler le coup de main de l’an 763. Ils firent mine de vouloir traiter. Hoûnn-hien se rendit au lieu convenu, vers les sources de la King. Les Tibétains l’y entourèrent. Il sauta sur un cheval débridé, et galopa l’espace de dix lì, couché sur l’encolure de la bête, s’efforçant de lui introduire le mors dans la bouche, ce qui lui réussit enfin. Quand il arriva à son camp, il trouva que son armée, qui avait eu vent du guet-apens, avait pris la fuite. Heureusement que des réserves arrivant par derrière, arrêtèrent les Tibétains. Les Ouïgours travaillés par des dissensions intestines, demandèrent à épouser une infante chinoise. Elle leur fut promise. En 788, le khan envoya pour la quérir, sa propre sœur, et les femmes de ses principaux ministres, avec un brillant cortège. — Jusqu’ici, fit-il dire à l’empereur, j’ai été votre p.1464 frère ; désormais je serai votre gendre, c’est-à-dire un demi-fils. Si jamais les Tibétains se permettent de tracasser mon père, moi son fils je les mettrai à l’ordre... A cette occasion, les Ouïgours demandèrent, pour des motifs que l’Histoire n’indique pas, qu’on changeât l’un des deux caractères par lesquels les Chinois écrivaient leur nom. Désormais, au lieu de Hoei-keue, on écrivit Hoeikou. Tant mieux pour eux, s’ils trouvèrent prononciation, ou plus beau comme signification. 392 cela plus exact comme Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 789, les Tibétains ayant tenté une nouvelle incursion en Chine, de fait les Ouïgours dérouillèrent leurs sabres sur le dos de ces brigands. En 790, les Tibétains firent des courses dans le Tarim. En 791, ils reparurent dans le Ning-hia-fou (u), où les Ouïgours les sabrèrent encore, et envoyèrent ensuite galamment à l’empereur un lot de prisonniers. En 792, inondations terribles dans l’empire. Plus de quarante préfectures furent noyées. Le gouvernement fit ce qu’il put, c’est-à-dire pas grand’chose, pour consoler le peuple. En 793, première mention du thé, parmi les objets taxés. Il venait du Séu-tch’oan, et paya un dixième. de sa valeur. En 794, au Sud-Ouest, le roi de Nân-tchiao battit les Tibétains, et profita de cette occasion pour faire des compliments à l’empereur de Chine. En 796, au jour de naissance de l’empereur, le service traditionnel exécuté par des bonzes et des táo-cheu, fut remplacé, pour la première fois, par une séance donnée par des Lettrés. L’orateur Wéi k’iu-meou plut tellement à l’empereur, qu’il lui donna une charge peu de jours après. En 797, au Tibet, mort du roi K’i-li-tsan. Son fils Tsou-tcheu-tsien lui succède. Paix relative, par suite de ce changement, et aussi parce que le calife Heue-lunn, Haroun-Al-Raschid l’ami de Charlemagne, attaquait les Tibétains à revers, du côté du Pamir. p.1465 En 798, le calife envoya à Tch’âng-nan, pour se concerter avec l’empereur contre l’ennemi commun, trois ambassadeurs. Tous les trois se prosternèrent (cf. p. 1397), dit l’Historien, en se rengorgeant. C’est tout ce qu’il a retenu de cette ambassade. En Chine, les eunuques redeviennent puissants et estimés. En 799, la sécheresse désolant l’empire, on fit appel aux Maîtres manichéens, que le Texte appelle typiquement Hommes des deux principes, et on leur demanda d’user de leurs formules pour obtenir la pluie. En 801, victoire des Chinois sur les Tibétains, dans le Séu-tch’oan actuel. Ces brigands s’insinuaient par toutes les ouvertures. 393 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 804, le prince héritier fut atteint d’une névrose, Ce chagrin abrégea les jours de l’empereur, qui mourut dans les premiers jours de l’an 805. Le prince fut mis sur le trône, en attendant qu’on avisât. @ 394 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Choúnn-tsoung, 805. @ Une bande de mignons de l’empereur Têi-tsoung, avait été longtemps la terreur du peuple de la capitale. Pour s’amuser, ces gamins tendaient des filets dans les rues, devant les portes des maisons, ou à l’orifice des puits, sous prétexte de prendre les moineaux. Quiconque voulait passer son chemin, entrer ou sortir de chez lui, ou puiser de l’eau, devait leur payer la peine qu’ils se donnaient en déplaçant pour lui leurs filets. Ou bien ils battaient les passants, sous prétexte qu’ils éloignaient les oiseaux. Ou bien encore, ils allaient faire bombance dans un restaurant ; puis, au lieu de payer, battaient le restaurateur, ou lui laissaient en gage un sac plein de serpents venimeux... Choúnn-tsoung avait eu à souffrir d’eux, étant prince impérial. Quand il fut empereur, il les supprima. Ce fut son seul acte. Bientôt le pauvre malade fut incapable de gouverner. Il nomma son fils prince p.1466 impérial, puis lui confia le gouvernement, puis abdiqua en sa faveur, après sept mois de règne. Le nouvel empereur portera le nom de Hién-tsoung. Un gouverneur du midi lui envoya aussitôt une tortue poilue, c’est-à-dire dont l’écaille était couverte d’algues ou de mousses, ce qui est le présage de longévité le plus faste possible. Hién-tsoung dit : — Je n’estime que les Sages. Les curiosités végétales ou animales ne me disent rien. Confucius n’a pas parlé une seule fois, dans sa Chronique, des pronostics fastes. Qu’on ne me parle plus de choses pareilles !.. L’Histoire relève et souligne ces paroles, parce que plus tard l’empereur Hiéntsoung parlera autrement. En cette année mourut Kià-tan, le célèbre géographe, auteur de la première carte de la Chine. Cette carte avait 33 pieds de large, et 30 pieds de haut. Il l’établit sur un quadrillage régulier, en se basant sur les distances et les directions. Elle marquait les lieux et les routes, depuis le Japon et la Corée 395 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. à l’Est jusque vers la Mer Caspienne, depuis la Mongolie au Nord jusqu’en Cochinchine. L’œuvre de Kià-tan est perdue. L’empereur Choúnn-tsoung mourut dans les premiers jour de l’an 806. Japon... Durant le huitième siècle, imitant les bonzes chinois, les bonzes japonais allaient en pèlerins au pays du Bouddhisme, jusque dans l’Inde centrale. Toân tch’eng-cheu qui écrivait à la fin du siècle, affirme avoir interviewé un bonze japonais revenu de l’Inde. @ 396 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Hién-tsoung, 806 à 820. @ En 806, rébellion de Liôu p’i à Tch’êng-tou, Séu-tch’oan actuels réprimée par Kāo tch’oung-wenn qui prend la ville. — Encore en 806, ambassade des Ouïgours, laquelle eut ceci de particulier, que les ambassadeurs étaient des Mouo-ni, prêtres manichéens. La nation entière des Ouïgours était manichéenne. Des prêtres manichéens formaient le conseil du khan. Depuis lors, ils vinrent à Tch’âng-nan chaque année, et profitaient de p.1467 l’ambassade pour faire des transactions commerciales, dans lesquelles les marchands chinois les dupaient comme il faut, dit l’Historien, avec un air de satisfaction visible. En 807, les Ouïgours demandèrent et obtinrent la permission d’élever deux temples manichéens de plus (cf. p. 1455), l’un à Heûe-nan-fou du Heûenan, l’autre à T’ái-yuan-fou du Chān-si actuel. — La même année, au Chāntong, révolte de Lì-i, supprimée par Tchāng tzeu-leang. En 808, la horde turque des Chā-t’ouo se donne à la Chine. Excellente acquisition... Etablie tout à l’extrémité orientale de l’Altaï, au nord de Khami, cette horde isolée avait conservé son indépendance, entre les Tibétains (Nânchan) et les Ouïgours (Orkhon). Parmi tous les Hôu, dit l’Histoire, les Chāt’ouo étaient les braves des braves. Ordinairement alliés aux Tibétains, ils formaient l’avant-garde de leurs armées. En 808, les Ouïgours ayant attaqué les Tibétains, sans que les Chā-t’ouo bougeassent, les Tibétains soupçonnèrent ces derniers de s’être laissé gagner par leurs ennemis. Depuis lors, tamponnés entre les Tibétains et les Ouïgours également hostiles, les Chā-t’ouo ne purent plus tenir. Leur khan Tch’eu-i résolut de se donner à la Chine, et se mit en route avec ses trente mille sujets. Les Tibétains le harcelèrent durant toute sa marche. Il dut combattre jour par jour, et perdit les deux tiers de son monde. Enfin il arriva sur territoire chinois, dans le Nînghia-fou, avec dix mille hommes, les restes de sa nation. Le gouverneur chinois Fán hi-tch’ao les traita de son mieux, leur donna des pâturages, encouragea leurs élevages, acheta leurs bœufs et leurs moutons, etc. Les 397 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Chā-t’ouo furent très contents. Désormais ils marchèrent en tête des armées chinoises. Quand nous aurons de beaux coups de sabre à enregistrer, ce seront presque toujours eux qui les auront donnés. En 809, l’eunuque T’òu-t’ou tch’eng-ts’oei éleva p.1468 une pagode pour la Paix de l’empire. Devant la pagode, il fit élever un pavillon magnifique, destiné à héberger une stèle dédiée aux vertus de l’empereur. Restait à composer l’inscription de la stèle. L’empereur chargea le célèbre Li-kiang, du soin de composer son panégyrique. Celui-ci lui dit : — Ni Yâo, ni Choúnn, ni Ù, ni Tāng-wang, n’ont fait élever de stèle à leurs vertus. Le premier qui fit la chose, fut Ts’înn cheu-hoang. Si vous vous élevez une stèle, on trouvera que vous ressemblez, non aux premiers, mais à ce dernier. D’ailleurs, que votre panégyrique soit affiché dans une pagode, c’est une circonstance qui en détruira l’effet... Passant d’un extrême à l’autre, l’empereur ordonna de renverser même le pavillon... — Il est très solide, dit le pauvre eunuque... — Qu’on y attelle autant de bœufs qu’il faudra, cria l’empereur en colère... Il fallut cent bœufs. Le pavillon s’écroula. En 811, l’empereur parla des Immortels à Lì-fan, un autre lettré célébre. Celui-ci répondit : — Le Premier Empereur des Ts’înn, et l’empereur Où des Hán, se sont jadis beaucoup préoccupés de cette question, et les historiens les ont stigmatisés en conséquence. L’empereur T’ái-tsoung ayant pris une drogue composée pour lui par un bonze hindou (?), en fit une maladie. Ne sont-ce pas là des avertissements suffisamment clairs ? Gardez-vous des imposteurs ! De bons principes bien appliqués, voilà ce qu’il faut pour être un bon prince. Peu importe, pour votre mémoire, que vous ne viviez pas aussi vieux que Yâo et que Choùnn. 398 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Encore en 811, nouvelle application du principe de Confucius, qu’un fils ne doit pas laisser vivre le meurtrier de son père ; nouvel embarras des légistes chinois (p. 1414). Un certain Leâng-ue tua Ts’înn-kouo, l’assassin de son père, puis se livra de lui-même aux autorités. Un décret p.1469 impérial déféra le cas au grand conseil, en ces termes : « D’après les livres canoniques, un fils ne doit pas laisser vivre sous le ciel l’ennemi de son père. D’après le code, quiconque a tué, doit mourir. Il y a conflit. Qu’on délibère ! Hân-u dit : — Le code traite des assassins, non des vengeurs de leurs pères. Le cas présent n’est donc pas visé par le code. L’y insérer, révolterait tous les fils pieux, et ruinerait la confiance due aux enseignements des Anciens. D’un autre côté, si on laisse passer la chose trop aisément, bientôt toute sorte d’assassinats se commettront sous prétexte de piété filiale. Il faut donc créer, pour ce cas, une jurisprudence spéciale. Que, chaque fois qu’il se présentera, il soit soustrait aux tribunaux ordinaires, et déféré au grand conseil. Enquête faite, s’il conste d’un assassinat, le coupable sera puni selon le code ; si le cas est vraiment celui de Confucius, le code ne sera pas appliqué, et le conseil décidera comme bon lui semblera... Leâng-ue reçut la bastonnade, et fut exilé. Moyen terme. La même année, le prince Hêng fut fait prince impérial. L’abondance fut telle, que le grain tomba à deux pièces de monnaie le boisseau. En 813, grandes inondations, excès du principe Yīnn. En conséquence, l’empereur élimina du harem 200 voiturées (sic) de femmes. En 815, recommencèrent les révoltes des gouverneurs héréditaires (p. 1459) de Jôu ning-fou, Koēi-tei-fou (Heûe-nan), Ts’īng-tcheou-fou (Chāntong), Tái-ming-fou et Tchéng-ting-fou (Heûe-pei), et autres lieux. Révolte de Oû yuan-tsi dans le Heûe-nan, de Lì cheu-tao au Chān-tong. Incendie des magasins impériaux de Heûe-yinn (K’āi-fong-fou). Tentatives d’assassinat de ministres et hauts fonctionnaires, à la capitale même, par des émissaires de 399 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ces rebelles huppés. Tentative de pillage et d’incendie de Láo-yang. La mèche fut vendue. On cerna les conjurés dans p.1470 la ville. Il étaient en si grand nombre et si bien armés, qu’ils firent trouée à travers la police impériale et s’échappèrent. Les environs de Láo-yang n’étaient pas cultivés. C’étaient des parcs de chasse s’étendant jusqu’aux montagnes, dans lesquels des bandes dites Chān-p’eng faisaient leurs affaires. Ces braconniers avaient été achetés par les rebelles. Les bonzes des pagodes éparses dans la montagne, leur servaient de fournisseurs et de receleurs. Le préfet de Láo-yang Lù yuanying, déclara la guerre à toute cette engeance. Il soudoya à prix d’argent des traîtres parmi les Chān-p’eng, lesquels l’avertirent de leurs réunions, et lui permirent de les prendre au gîte. Il se trouva que l’agent principal de Lì cheutao, était le bonze Yuán-tsing, prieur de la bonzerie des gorges de I-k’ue (p. 1186). Quand l’autorité chinoise s’y met, elle n’y va pas de main morte. Rasées ou non, quelques milliers de têtes y passèrent. Oû yuan-tsi ayant été surpris, présenté aux Ancêtres, et décapité en 817 ; puis Lì cheu-tao ayant eu le même sort en 819, une tranquillité relative s’ensuivit. Encore en 817, huit prêtres manichéens furent envoyés par le khan des Ouïgours, pour traiter officieusement d’un mariage. On en parlait depuis longtemps. Mais les dots des princesses mariées aux Barbares, coûtaient gros aux empereurs. C’est pour cette dot, que les Barbares les épousaient, le plus souvent. Or Hién-tsoung était décavé. Il calcula que la noce lui coûterait cinq millions de ligatures au moins, Impossible ! Il fallait refuser, sans pouvoir dire pourquoi, à cause de la face. Le bon Hién-tsoung s’avisa d’un prétexte inconnu jusque-là, la disparité de culte. Les Ouïgours étaient manichéens. Sa fille était, je ne sais pas quoi, mais enfin, elle n’était pas manichéenne. Donc, impossibilité de contracter p.1471 mariage. Édifiant et amusant. En 818, Hoâng fou pouo devint ministre. Le nouveau ministre étant taoïste, l’empereur le fut bientôt aussi. Il oublia que jadis (p. 1466) il n’avait estimé que les Sages, et se mit à fréquenter les Magiciens. On lui en chercha, par tout l’empire. Lì tao-kou lui envoya un certain ermite nommé Liòu-pi, censé posséder la vraie recette de la drogue d’immortalité... 400 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Il me faut des herbes, dit l’artiste, qui ne poussent que sur les monts T’iēn-t’ai... Aussitôt l’empereur le nomma préfet du T’âi-tcheou. Jugez, si en Europe on nommait un botaniste préfet, pour lui permettre d’herboriser plus à son aise !.. Les censeurs dirent à l’empereur : — Vous aimez les magiciens, c’est votre affaire ; mais ne les nommez pas préfets, car ils feront mal les affaires du peuple... — Après tout, dit l’empereur, qu’une préfecture pâtisse, pour que moi je me porte bien, cela n’est pas exorbitant... Cette énormité coupa la respiration à tous les remontrants. @ # En 819, à sa dévotion pour le Taoïsme, l’empereur joignit la dévotion pour le Buddhisme. Comme il lui restait aussi quelque peu de dévotion confuciiste, l’amalgame, dans cette pauvre tête, fut complet. Des bonzes lui ayant raconté qu’une phalange du Buddha, conservée dans le stupa de la pagode Fā-menn à Fóng-siang (haute vallée de la Wéi), s’entr’ouvrait tous les trente ans, que ce phénomène produisait chaque fois une année de paix et d’abondance, et qu’il se renouvellerait en l’an prochain 820, l’empereur ordonna qu’on lui apportât la relique. Elle séjourna trois jours dans l’intérieur du palais, puis fut conduite processionnellement à toutes les pagodes, pour y être vénérée. A cette occasion, les nobles, les officiers et le peuple, firent à l’envi des largesses aux bonzes. Hân-u trempa son pinceau, et déversa son indignation dans des écrits qui l’ont rendu très célèbre... « Le Buddhisme, dit-il, est une doctrine p.1472 barbare. Depuis Hoâng-ti jusqu’aux Tcheōu, les souverains ont vécu longtemps, le peuple a coulé des jours paisibles ; et cependant alors c’était avant le Buddha. C’est sous l’empereur Mîng des Hán, que le Buddhisme s’introduisit. Les temps qui suivirent, furent des temps, non de paix, mais de trouble. C’est surtout durant la période Nân-pei tch’âo, que le Buddhisme se répandit. En particulier, l’empereur Où des Leâng, lequel, en 48 ans de règne, se fit bonze trois fois, le 401 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. propagea avec ardeur. Il y gagna... quoi ?.. de mourir de faim et de misère. Cela prouve que bien fol est quiconque honore le Buddha, pour obtenir de lui le bonheur. Non, le Buddhisme ne mérite aucune créance ! Le Buddha fut un Barbare, qui remplit mal ses devoirs de sujet et de fils. Supposé que, ressuscité, il vint à votre cour, c’est à peine s’il conviendrait que vous lui accordiez une petite audience pour la forme, un repas et un habit, en ayant bien soin de le faire reconduire ensuite jusqu’à la frontière, pour l’empêcher de séduire le peuple. Et voilà que l’on revoit avec tant d’honneur, non sa personne, mais un os décharné et puant de ce vieux personnage. Je demande que les officiers reçoivent ordre de le jeter à la rivière ou au feu, pour détruire cette occasion de superstition, pour éclaircir les idées du peuple, et empêcher que les générations suivantes ne soient séduites. Si le Buddha a vraiment quelque pouvoir, qu’il se venge sur moi, je l’attends de pied ferme ! Quand l’empereur eut lu ce factum, il entra dans une grande colère, et ne parla de rien moins que d’envoyer l’auteur au supplice. Des amis haut placés s’entremirent, dirent à l’empereur que Hán-u était il est vrai un peu fou, mais très dévoué à sa personne ; qu’en parlant si mal, il avait cru bien faire ; qu’il fallait user d’indulgence, pour ne pas fermer la bouche aux censeurs ; etc. L’empereur se contenta donc d’envoyer p.1473 Hân-u, nomme gouverneur, dans le pays de Canton ; exil honorable. Le Commentateur ajoute : Durant les guerres de Ts’înn contre les Royaumes (p. 191 seq.), les sectateurs de Lào-tzeu et de Tchoāng-tzeu commencèrent à faire la guerre aux Lettrés. Vers la fin des Hán, les Buddhistes, encore peu nombreux, se joignirent aux Taoïstes, pour faire la guerre au Confuciisme. Sous les Tsínn, puis sous les Sóng, les adeptes de ces diverses sectes, devinrent de plus en plus nombreux et ardents. Peuple, officiers, rois, empereurs, tout le monde y crut. Les petits demandaient à ces religions le pardon de leurs péchés. Les grands se délectaient dans leurs spéculations creuses. Seul Hân-u y vit la ruine du pays et la perversion du peuple. Il fit ce qu’il put pour les combattre. Ses divers pamphlets contre les sectes, la Doctrine Originelle et les autres, circulèrent par tout l’empire.... 402 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. J’ajoute, et y ont circulé jusqu’à nos jours. Insérés dans toutes les collections littéraires, dans le [] par exemple, ils sont connus de tous les Lettrés, lesquels en tirent, depuis mille ans, leurs arguments contre le Buddhisme, et aussi contre le Christianisme. L’empereur K’āng-hi les estimait tant, qu’il les traduisit lui-même en langue mandchoue. Certaines tirades de Hân-u, rappellent Démosthène et Cicéron. Ces pièces sont à connaître. En voici la substance : D’abord le texte intégral du réquisitoire de Hân-u, très écourté dans l’Histoire…. Le Buddhisme est l’une des religions des peuples barbares. Elle s’est répandue en Chine depuis l’époque des Heóu-Hán. L’antiquité l’a ignorée... Jadis Hoâng-ti régna durant cent ans, et vécut 110 ans. Cháo-hao régna 80 ans, et en vécut cent. Tchoān-hu régna 79 ans, et en vécut 98. L’empereur K’ōu régna 70 ans, et en vécut 105. Yâo régna 98 ans, et en vécut 118. Choúnn et Ù moururent centenaires. Au temps de ces personnages, l’empire était en paix, le peuple était heureux, les hommes vivaient longtemps. Tout cela, sans qu’ils connussent le Buddha... Plus tard, T’āng-wang des Chāng vécut aussi plus de cent ans, son descendant T’ái-ou régna 75 ans, Où-ting en régna 59... Puis, Wênn-wang des Tcheōu vécut 97 ans, Où-wang 93 ans, Móu-wang régna 100 ans. Tout cela, sans qu’ils connussent le Buddha. Donc, s’ils vécurent si vieux, ce ne fut pas par la grâce du Buddha... Ce fut l’empereur Mîng des HeóuHán, qui fit connaître le p.1474 Buddha en Chine. Pour sa peine, il ne régna que 18 ans. Puis l’empire fut bouleversé, les dynasties se renversèrent les unes les autres. C’est dans ces temps malheureux, que le Buddhisme se propagea. Il est vrai que l’empereur Où des Leâng, qui se fit bonze trois fois, régna 48 ans. Il protégea les animaux, jusqu’à défendre d’en immoler aux Ancêtres. Il ne faisait qu’un seul repas par jour, et ne mangeait que des légumes et des fruits. Tout ce qu’il gagna, fut que, assiégé par le rebelle Heôu-king, il mourut misérablement de faim. Alors on connaissait le Buddha. Constatez vous-même ce que cette connaissance rapporta de bon à la Chine... Quand l’empereur Kāo- 403 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. tsou de la dynastie actuelle, eut recueilli la succession des Soêi il délibéra s’il n’exterminerait pas le Buddhisme. Malheureusement les ministres qui l’entouraient, hommes à l’esprit étroit, étaient peu versés dans les traditions des Anciens. Hélas, le projet de l’empereur fut abandonné. J’enrage, quand j’y pense... Et Vous, Sire, perspicace, sage, lettré, brave ; prince comme on n’en a pas vu depuis longtemps ; quand vous montâtes sur le trône, vous commençâtes par interdire l’entrée de nouveaux sujets dans les bonzeries et l’érection de nouvelles pagodes. Je me dis alors, voilà que le projet de l’empereur Kāo-tsou va se réaliser, enfin !.. Hélas, vos ordres n’ont pas été exécutés. Et maintenant qu’entends-je ? Est-il possible que Vous ayez ordonné aux bonzes, de quérir processionnellement à Fóng-siang un os du Buddha ? Quoique je sois le plus stupide des hommes, je pense toutefois ne pas me tromper, en supposant que Vous ne croyez pas aux fables de ces gens-là. C’est j’imagine, une manière de manifester votre contentement de l’abondance qui a signalé cette année. C’est un divertissement, un spectacle que Vous donnez au peuple. Car enfin, sage et éclairé comme Vous êtes, comment pourriez-vous croire à ces superstitions ?.. Mais, hélas, le peuple sot et borné, facile à pervertir et difficile à éclairer, n’ira pas au fond des choses. Quand il vous verra faire ce que Vous projetez, il croira que Vous croyez au Buddha. Les rustres vont tous dire : Voyez le sage Fils du Ciel, comme il sert le Buddha de tout son cœur ; et nous, son petit peuple, nous ne nous y mettrions pas ?!. Tous vont se faire brûler des moxas sur la tête, et s’useront les doigts à offrir de l’encens. Ils vont jeter en foule leurs vêtements laïques, et renoncer à leurs biens. Du matin au soir, les dévots vont affluer aux bonzeries, y portant leur fortune, pour se racheter de dangers imaginaires. Ils iront, si on ne les en empêche pas, jusqu’à se taillader le corps et se mutiler, par dévotion... Malheur ! ces choses ruinent nos mœurs, et nous rendent ridicules aux yeux des étrangers. Car enfin, c’est un Barbare que nous honorons de la sorte ; un homme qui n’a pas su parler notre langue, qui n’a pas su s’habiller comme nous, qui n’a rien vu ni connu des enseignements 404 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. et des traditions de nos Sages, qui a méconnu ses devoirs de sujet et de fils ? S’il vivait encore, cet homme ; s’il venait ici, comme ambassadeur de son roi, vous devriez sans doute le recevoir, mais tout juste, une petite fois ; puis, après les cérémonies strictement indispensables, après lui avoir fait don d’une robe, vous devriez le faire reconduire à la frontière sous bonne garde, pour lui ôter toute possibilité d’infecter votre peuple. Voilà tout ce que Vous devriez au Buddha, venu à votre cour vivant et accrédité. Et maintenant que cet homme est mort depuis longtemps, vous laissez, sans recommandation aucune, présenter à Votre Majesté un de ses os décharnés, un morceau sale et néfaste de son cadavre, et Vous lui donnez accès jusque dans votre palais !.. Confucius a dit : Respectez les êtres transcendants, mais ne les approchez pas ; tenez-vous à distance !.. Les Anciens se précautionnaient contre le mauvais influx, chaque fois qu’ils approchaient d’un cadavre. Ils s’entouraient à cet effet de sorciers, lesquels chassaient les influences néfastes, à grands coups de rameaux de pêcher et de verges en jonc. Vous, sans motif plausible, vous p.1475 faites apporter chez vous un os putride et infect, Vous en approchez, sans aucune précaution, sans rameaux ni verges. Et les officiers, les censeurs, ne Vous avertissent pas ! J’en rougis pour eux !.. Ah, je Vous en prie, faites livrer cet os au bourreau, qu’il le jette à l’eau ou au feu, pour en finir à jamais avec cette racine de malheur, pour ouvrir les yeux du peuple, pour préserver les âges futurs de la séduction et de l’erreur. Montrez à vos sujets, que le Sage pense et agit autrement que le vulgaire. Si le Buddha l’apprend et peut quelque chose, qu’il se venge sur moi, qui endosse bien volontiers l’entière responsabilité de vos actes. J’en appelle au Souverain Ciel, de la sincérité de cette protestation ; qu’il l’enregistre ? Oui, je me dévoue de tout cœur, pour protéger l’empire contre la superstition et la ruine. @ Voici maintenant les passages principaux de la Doctrine Originelle, le chefd’œuvre de Hân-u. 405 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Aimer tous les hommes, voilà la Bonté. Faire ce qu’il sied de faire, voilà la Convenance. Agir d’après ces deux principes, c’est marcher dans la Voie. S’en tenir à son dictamen intérieur, au verdict de sa conscience, sans se laisser influencer par les appréciations des hommes, voilà la Conduite. La Bonté et la Convenance, sont des principes généraux précis. Mais leur application dans le détail, est sujette à des interprétations diverses. De là vient qu’on a défini des Voies et des Conduites diverses. Lào-tzeu a rétréci les notions de la Bonté et de la Convenance. Homme à l’horizon étroit, grenouille tombée dans le puits pour laquelle le ciel est réduit à un tout petit cercle, il a fait de la Bonté une bienfaisance mesquine, et de la Convenance un quiétisme égoïste. De ces principes étriqués, il a déduit une Voie et une Conduite, qui ne sont plus celles de nous Lettrés. De là vient que son langage et celui de son école sont équivoques, leurs termes ne signifiant plus ce qu’il signifient parmi nous... A la fin des Tcheōu, après la mort de Confucius et la destruction des livres, ce fut une grande débâcle. Le Taoïsme se développa sous les Hán ; le Buddhisme se propagea à partir des Tsínn ; les Lettrés même varièrent, influencés par Yâng-tzeu ou Méi-tzeu, par Lào-tzeu ou par le Buddha. Puis les sectes exaltèrent chacune sa propre doctrine, et démolirent celle des autres. Chacune voulut accaparer Confucius. Il a été le disciple de notre Maître, disaient les Taoïstes. Ce qu’il sut, il l’avait appris du Buddha, criaient les Buddhistes. Cela se dit. Cela s’écrivit ! Faut-il que les hommes aiment les fables, pour en avoir cru de cette force !.. La constitution de l’État et de la famille, les règles qui régissent l’État et la famille, c’est aux Sages que nous devons tout cela. Et voici que ces gens-là disent : Renoncez à tout, quittez tout, ne désirez que la pureté du cœur et l’extinction de tout souci. Or la vraie culture du cœur consiste, les Sages l’ont dit, dans la direction vers le but, de toutes les intentions. Appliquez ce principe unique à l’individu, à la famille, à l’État, et tout sera parfait. Et voilà que ces gens-là prêchent une culture du cœur égoïste, le mépris de tous les liens, l’oubli de tous les soins. Ils nous apportent en preuve des écrits barbares, par lesquels ils veulent remplacer ceux de nos 406 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Sages. C’est vouloir nous barbariser !.. Bonté et Convenance, voilà nos règles à nous ! Elles sont développées tout au long dans nos livres. Nous avons, nous, notre société, notre civilisation, notre gouvernement, nos mœurs, nos usages, en tout conformes à nos principes. Chez nous tout est rationnel et logique. Grâce à nos principes si simples, nous vivons en paix, nous mourons à notre heure, les Chênn du ciel agréent nos sacrifices, les Koéi des défunts goûtent nos offrandes. Voilà ce que nous devons à notre doctrine, à la Doctrine Originelle. Défendons-la donc !.. Je l’appelle originelle, parce qu’elle date du commencement. Yâo la transmit à Choúnn, Choúnn p.1476 à Ù, Ù à T’āng-wang. Elle passa ensuite par Wênn-Wang, Où-wang, et le Duc de Tcheōu, aux mains de Confucius, lequel la transmit à Mencius. Là s’arrêta la transmission magistrale directe. Après cela, elle tomba dans le domaine commun. Pour l’avoir mal comprise, il y eut ensuite des hérétiques, Sûnn k’ing, Yâng-hioung, et autres. Ah de grâce, empêchez que les erreurs ne se multiplient ! Si Vous n’endiguez pas les sectes, le cours de la doctrine des Sages va s’arrêter ; si Vous ne les rembarrez pas, c’en est fait ! Faites des hommes de ces sectaires (bonzes et táo-cheu), en les obligeant à vivre à la manière des hommes. Condamnez au feu tous leurs livres. Dispersez les personnes parmi le peuple. Ils auront ainsi l’occasion d’apprendre la doctrine des Sages, et reviendront à des idées plus saines, à la pratique de la piété filiale, de la vie familiale, de la Bonté et de la Convenance. Du même, lettre à Móng-kien, résumé... Non ! le bonheur ne s’attire pas, le malheur ne s’évite pas, par la prière des lèvres. Confucius a dit : Ma vie est ma prière ; c’est-àdire, je vis bien, et ne demande rien. Bien vivre, voilà la prière des Sages. Celui qui vit bien, n’a lieu de craindre, ni le Ciel, ni les hommes, ni sa propre conscience. Le bonheur et le malheur suivent les bonnes ou les mauvaises actions. Alors quel besoin avons-nous de ces religions barbares ? Pourquoi rejetterions-nous les préceptes de nos Anciens Souverains ?.. Les Odes ne disent- 407 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. elles pas (p. 333) : Au bon prince, sa vertu attire tous les biens... Et les Récits de Tsoùo : Il ne faut agir, ni par crainte d’un mal, ni par amour d’un bien ; il faut bien agir, uniquement, pour bien agir... Si le Buddha était l’arbitre du bonheur et du malheur, sans doute il faudrait se précautionner de son côté ; mais, en vérité il n’a absolument rien à y voir. Le Buddha ne fut qu’un homme. S’il fut bon, il ne veut pas faire de mal à ceux qui marchent dans la bonne voie. S’il fut mauvais, son corps étant réduit en cendres, son âme étant devenue un koèi stupide, il ne peut pas faire de mal à ceux qui marchent dans le bon chemin. D’ailleurs, à supposer qu’il ait survécu et qu’il s’occupe des hommes, les Esprits du ciel et de la terre étant justes et incorruptibles, ils ne le laisseront jamais donner bonheur ou malheur à qui ne le mériterait pas. Donc tout culte rendu au Buddha est vain, car le Buddha est impuissant... Ah ! les superstitions ! gémissait Mencius ; elles font oublier la doctrine des Sages ; pas étonnant alors que les mœurs, les rites, la musique périclitent, et que les Barbares pressent l’empire ; nous allons à la sauvagerie !... Mencius passa sa vie, à lutter contre les novateurs. Après sa mort, les Ts’înn brûlèrent les livres et tuèrent les lettrés. L’empire fut bouleversé de fond en comble. La doctrine des Anciens fut oubliée durant un siècle entier. Puis on retrouva quelques livres, on fit appel aux lettrés survivants. On récupéra ainsi, à grand’peine, pas beaucoup, mais quelque chose ; quelques miettes de la sagesse de Anciens. Puis ces restes précieux de l’œuvre de Confucius, passèrent, de la main à la main, des Lettrés d’alors, aux Lettrés de nos jours. Or la substance de cette sagesse antique, c’est qu’il faut pratiquer la Bonté et la Convenance. Hélas, ce qui a été sauvé est bien peu de chose, en comparaison de ce qui a été perdu. Heureusement que la lettre de bien des textes ayant péri, Mencius a du moins sauvé l’esprit du tout. Depuis lors, combien les Lettrés ont travaillé et souffert pour rapiécer les trous et guérir les plaies des lambeaux qui nous restent, pour sauver des périls qui les menacèrent d’âge en âge ces feuillets vénérables ! Et maintenant on voudrait que nous leur préférions les grimoires de Lào-tzeu et du Buddha !... Holà ! ces deux hommes ont fait à 408 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. l’empire plus de mal, que les hérétiques Yâng-tzeu Méi-tzeu et tous les autres. Quelque incapable que je sois, je p.1477 ferai ce que je pourrai, pour défendre contre ces intrus nos anciennes doctrines. Dussé-je mourir pour cette cause, j’y consens de grand cœur. Ciel, Terre, Chênn et Koèi, entendez-moi ! Aidez-moi à protéger la Vérité contre l’Erreur ! Cependant Liòu-pi le botaniste, envoyé, en 818 comme préfet à T’âitcheou pour y cueillir des simples, ne trouva pas, paraît-il, ce qu’il cherchait. Se doutant qu’après les plaisanteries on parlerait raison, il prit la fuite. Rattrapé et envoyé prisonnier à la capitale, il fut acquitté, grâce à ses patrons Hoâng-fou pouo et Lì tao-kou. Bien plus, l’empereur finit tout de même par prendre une drogue préparée par cet artiste, laquelle lui mit les entrailles en feu. Alors P’êi-linn présenta le placet suivant : « Ceux-là obtiennent tous les bonheurs, qui préservent le peuple de ce qu’il craint, et lui procurent ce qu’il aime. Ce fut là la panacée des Anciens, depuis Hoâng-ti jusqu’à Où-wang ; ils n’en connurent pas d’autre. Or voilà qu’on vous présente un magicien après l’autre. Ces gens-là ont-ils vu les Immortels ? Point du tout ! Ils mentent, pour arriver au pouvoir et à la richesse. Ils profèrent de grandes paroles, pour en imposer au vulgaire. Ne croyez pas à leurs discours, et ne vous liez pas à leurs drogues ! On prend médecine, pour guérir, quand on est malade. Mais il est déraisonnable de se droguer, alors qu’on est en bonne santé. D’autant que les préparations alchimiques, en majeure partie minérales, sont corrosives, vénéneuses, et brûlent les organes. Au temps jadis, quand le prince devait prendre un médicament, ses ministres devaient toujours le prendre avant lui, pour plus de sûreté. Je demande que vos alchimistes soient drogués, un an durant, avec les potions qu’ils vous préparent. Cette expérience in anima vili montrera ce que vaut leur cuisine... L’empereur se fâcha très fort, et dégrada P’êi-linn. 409 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Au premier mois de l’an 820, il mourut subitement. Les contemporains accusèrent unanimement un certain p.1478 Tch’ênn houng-tcheu de l’avoir empoisonné. Son fils monta sur le trône, et devint l’empereur Móu-tsoung. @ 410 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Móu-tsoung, 821 à 824. @ Le gouverneur Liôu-tsoung ayant tué son père et son frère aîné, était hanté par des visions horribles. La crainte lui fit entretenir, dans son palais, un grand nombre de bonzes qui priaient pour lui. Quand il fut devenu vieux, ses craintes augmentèrent. Il demanda la permission de quitter sa charge, pour se faire bonze lui-même. L’empereur lui accorda sa demande. Nous avons dit que le khan des Ouïgours désirait épouser une princesse T’âng, et que Hién-tsoung lui refusa sa fille (p. 1470). Quand Hién-tsoung fut mort, son fils lui accorda sa sœur. Les fiançailles furent conclues en 821. Les Tibétains, alors maîtres du Tarim, se préparèrent à enlever la mariée ou plutôt la dot qui l’accompagnait. Les Ouïgours durent faire garder par dix mille hommes la passe de Tourfan et par dix mille autres celle de Koutcha. Cela fait, ils envoyèrent un brillant cortège, composé de ministres, grands fonctionnaires, de princesses, de prêtres manichéens, 573 personnes en tout, pour quérir leur jeune khatoun. En l’an 824, l’empereur ingurgita un Elixir de Longue Vie, composé des quintessences de divers métaux et minéraux. Un censeur le blâma. L’empereur admira son style mais continua à se droguer, tant et si bien qu’il tomba gravement malade, et dut remettre les rênes du gouvernement à son fils le prince impérial. Les eunuques désiraient que l’impératrice Koūo (petitefille de Koūo tzeu-i) fût nommée Régente, afin de pouvoir tripoter à leur aise, sous son couvert. Celle-ci refusa énergiquement de devenir un nouvelle Oùheou. — Quoique le prince impérial soit jeune, dit-elle, s’il s’entoure de sages ministres, il s’en tirera ; il ne convient pas qu’une femme soit p.1479 à la tête de l’empire de Yâo et de Choúnn. Ce disant, elle déchira l’offre écrite qui lui avait été présentée. Son frère qui était ministre, lui fit savoir que, si elle acceptait la régence, il la priait de vouloir bien accepter préalablement sa démission et celle de tous ses parents. L’Histoire insiste sur ces faits et sur ces paroles, parce que l’impératrice Koūo 411 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. fut plus tard suspectée d’autres sentiments. L’empereur Móu-tsoung mourut durant la nuit qui suivit ces scènes, et le jeune prince impérial, qui s’appela Kíng-tsoung, monta sur le trône. Il commença presque aussitôt à flâner, à nocer, à jouer à la balle, à faire de la musique, et autres choses qu’on ne peut pas raconter, dit l’Histoire... autant de crimes, durant la période du deuil. Pour montrer où en étaient les T’âng, l’Histoire place ici un singulier épisode, qui en dit, de fait, assez long. Trois mois après l’avènement du nouvel empereur, le devin impérial Sōu huan-ming, dit à son ami le teinturier du palais Tchāng-chao : — Les sorts m’ont révélé que nous nous asseoirions sur le trône, et y mangerions ensemble. L’empereur s’absente de jour et de nuit, pour des parties de balle ou de chasse. C’est le moment de réaliser la prédiction... Le teinturier réunit donc une centaine d’hommes résolus, les cacha dans des voitures chargées de plantes tinctoriales, et les introduisit dans le palais. Les gardes ayant voulu visiter ses voitures, Tchāng-chao les tua. Les deux compères pénétrèrent dans la salle du trône, s’assirent sur le siège impérial, et se mirent à manger... — Ça y est ! dit Tchāng-chao ... — Oui, dit Sōu huan-ming, mais ça ne durera pas !.. Sur ce, ils essayèrent de battre en retraite. Les soldats qui avaient fini par arriver des camps, les massacrèrent. Enfin l’empereur qui avait dû attendre dehors, put rentrer dans son palais. Le censeur Wèi tch’ou-heou lui tint p.1480 un jour le discours suivant : — Votre père a abrégé sa vie, par son ivrognerie et ses débauches. Je ne l’ai pas repris, parce que Vous ayant déjà 15 ans, Il pouvait disparaître sans trop grand dommage. Maintenant que Vous faites comme lui, votre fils étant encore dans les langes, et Vous étant par conséquent nécessaire, je ne puis me taire, et Vous avertis au péril de ma vie... L’empereur fit un cadeau à ce franc parleur. @ L’empereur King-tsoung, 412 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. 825 à 826. @ Comme il continuait à s’encanailler et à courir la prétantaine, le censeur Têi-u blâma son luxe, sa singularité, sa curiosité, son peu de goût pour les vérités, ses liaisons vulgaires, enfin ses flâneries. Il dépensa son encre en vain. En 826, le táo-cheu Tcháo koei-tchenn parla à l’empereur des Immortels. Celui-là eut plus de succès. Il recommanda un certain Tcheōu si-yuan, qui se disait vieux de plusieurs siècles. L’empereur se fit aussitôt amener cet individu, et le logea dans le palais. L’alchimie ne lui fit pourtant pas négliger sa grande passion, le jeu de balle. Il aimait aussi la boxe, la lutte, et faisait venir de partout, à grands frais, les hercules les plus renommés. Enfin il inventa les chasses nocturnes au renard. Il avait mauvais caractère, et faisait fustiger cruellement ses eunuques, pour la moindre faute. Une nuit, étant rentré d’une chasse au renard, il joua une partie de balle avec l’eunuque Liôu k’eue-ming, puis se mit à boire avec l’officier Sōu tsouo-ming et 27 autres chenapans. Ivre et tout en sueur, l’empereur se retira dans un cabinet, pour changer de vêtements. Les lampes s’éteignirent (furent éteintes). L’eunuque et ses compères étranglèrent l’empereur dans l’obscurité, et mirent sur le trône son oncle Oú. Au jour, quand ces faits furent connus, l’eunuque Wâng cheou-teng mit à mort Liôu k’eue-ming et le prince Oú, puis, p.1481 par décret vrai ou supposé de l’impératrice douairière, il intronisa Hân, le frère de Kíng-tsoung. Celui-ci pleura, conformément aux Rites, son impérial gamin de frère (mort à 18 ans), et devint l’empereur Wênn-tsoung. @ 413 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Wênn-tsoung, 827 à 840. @ Il commença bien, s’occupa de trier les fonctionnaires, etc. Les eunuques étaient la source de tous les maux de la dynastie. Liôu-fenn les lui dénonça, dans un placet virulent, inutilement d’ailleurs, l’empereur étant impuissant. En 829, le roi du Nân-tchao ayant fait espionner la province du Séutch’oan, surprit Tch’êng-tou et s’empara de la ville extérieure. En 831, l’empereur décida avec Sóng chenn-si la perte des eunuques. Sóng chenn-si fit préfet de la capitale, un certain Wâng-fan, lequel devait exécuter l’arrêt. Malheureusement Wâng-fan était peu discret. Il parla. L’eunuque Wâng cheou-teng accusa Sóng chenn-si de méditer un coup d’État contre l’empereur. Celui-ci crut, ou feignit de croire, exila Sóng chenn-si à K’āi-tcheou, et laissa punir injustement une foule de gens, tous ceux qui lui avaient offert de le délivrer des eunuques. Sóng chenn-si mourut à K’āitcheou. En 833, l’empereur ressentit les premières atteintes de la névrose héréditaire, épilepsie ou autre, qui désolait et crétinisait sa famille. Wâng cheou-teng lui recommanda Tchéng-tchou. L’empereur se laissa droguer par ce médicastre. L’effet fut, qu’il perdit ce qui lui restait de libre arbitre. En 834, la sécheresse désolant l’empire, on chercha partout des artistes capables de faire tomber la pluie. Lì tchoung-minn déposa la censure suivante : « Il ne pleut pas, parce que l’innocent Sóng chenn-si a été injustement banni, parce que le misérable Tchéng-tchou abuse de votre faveur. Coupez la tête à Tchéng-tchou, réhabilitez la mémoire de Sóng chenn-si et le Ciel fera tomber p.1482 sa pluie... Ce placet n’ayant été suivi d’aucun effet, Lì tchoung-minn donna sa démission sous prétexte de maladie, et rentra dans la vie privée. En 835, la discorde se mit entre les eunuques et leurs créatures. Entrée en scène de l’eunuque K’iôu cheu-leang, qui cherche à supplanter Wâng 414 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. cheou-teng. Lì-hunn et Tchéng-tchou font bande à part. Soudain, semé par les eunuques, le bruit se répand dans la capitale, que Tchéng-tchou, devant préparer une potion pour l’empereur, a besoin de cœurs et de foies de petits enfants, et va faire des razzias en conséquence. Le peuple s’émeut, se soulève. Tchéng-tchou soupçonne le préfet Yâng u-k’ing d’être l’auteur ou le fauteur de ces rumeurs, Il l’accuse. L’empereur fait jeter le préfet en prison. Puis Tchéng-tchou et Lì-hunn s’attaquent à l’eunuque Wâng cheou-teng que l’empereur fait empoisonner. Enhardis par ces succès, Tchéng-tchou et Lìhunn trament un massacre général des eunuques. Ils manquent leur coup, et sont eux-mêmes massacrés par K’iôu cheu-leang, qui devient à son tour cornac de l’empereur. Réaction terrible des eunuques, contre les ministres et les lettrés (cf. p. 763, la Pléiade). Plusieurs grands personnages, en particulier le célèbre Wâng-ya, furent coupés en deux par le milieu du corps, en plein marché, au pied d’un mât, devant tous les officiers convoqués pour que ce spectacle les intimidât. Les corps de ces malheureux restèrent sans sépulture, et leur familles furent exterminées. En 836, le censeur Kou-tch’ou ts’oung-joung osa demander que la sépulture fût donnée aux ossements de ces victimes. L’empereur accorda la requête. Mais K’iôu cheu-leang l’ayant su, se dépêcha de ramasser les os, et les fit jeter à la rivière. Le censeur Lì-cheu insista à son tour, pour que la mémoire de Sóng chenn-si fût réhabilitée. L’empereur éclata en sanglots, et dit : — Je sais qu’il a été victime de trames iniques ! p.1483 et il lui fit restituer ses titres. En 837, comète de huit toises de longueur. L’empereur interdit la musique au palais, et se mit à la ration, tellement que ce qu’on servait jadis sur sa table en un jour, suffit désormais pour dix jours. Bien entendu les eunuques gardaient mémoire des censeurs qui osaient parler contre eux. En 838, comme Lì-cheu se rendait au palais, on lui décocha une flèche qui blessa son cheval ; l’animal prit le mors aux dents, et l’emporta loin du danger. Une autre fois, comme il passait sous une porte, on lui porta un coup de sabre ; ce fut encore le cheval qui écopa ; il y laissa sa queue. Dans aucun des deux cas, on ne découvrit l’assassin. C’était 415 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. significatif. L’empereur était navré de se sentir l’esclave de cette clique. Un jour, le pauvre homme demanda à Tcheōu-tch’eu : — A qui ressemblé-je, des anciens empereurs ?.. — A Yâo et à Choúnn, répondit le courtisan... — Dites plutôt à l’empereur Nàn des Tcheōu, et à l’empereur Hién des Heóu-Hán, dit Wênn-tsoung... — Du tout, dit Tcheōu-tch’eu ; ceux-là ont perdu leur empire ; vous n’en êtes pas là... — Ils ont été victimes de feudataires devenus puissants, dit l’empereur ; et moi je suis victime d’esclaves devenus insolents ; mon cas est pire que le leur. Et ce disant, il pleurait, au point que ses larmes ruisselaient sur sa robe... Tcheōu-tch’eu se prosterna, lui aussi tout en larmes. A dater de ce jour, l’empereur ne donna plus aucune audience, et ne s’occupa plus des affaires. En 839, recensement de la population ; 4.996.752 familles ; donc environ 28 à 30 millions d’âmes. Comparez page 1459. En 840, l’empereur étant tombé gravement malade, l’eunuque K’iôu cheu-leang nomma son frère Tch’ân prince héritier. Puis, l’empereur Wênntsoung étant mort, son frère monta sur le trône, et devint l’empereur Oùtsoung. Ici, événement important. Un nouveau p.1484 peuple, les Kirghiz, débouchant de leur steppes (Carte XX, Z), envahissent la vallée de l’I-li (W), les plaines de la Dzoungarie (L), l’Altaï, et vont faire aux Ouïgours (Tölös), ce que ceux-ci avaient fait aux Turcs. Ils les brisèrent d’abord en Orientaux et Occidentaux puis détruisirent les Ouïgours orientaux, Nous avons vu que, en l’an 648, ils se mirent en rapport avec la Chine. Vers 758, 759, ces relations furent interrompues par les Ouïgours, qui refoulèrent les Kirghiz vers l’Ouest, pour un temps. A la longue, les Kirghiz parvinrent à s’enclaver, au bout de l’Altaï, entre les Ouïgours de l’Orkhon, et les Tibétains des Nàn-chan. Ces deux peuples les courtisèrent, afin de les gagner, à cause de leur bravoure 416 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. extraordinaire. Puis, le pouvoir des Ouïgours diminuant, le chef des Kirghiz Ajouo se donna le titre de khan. Durant plus de trente ans, les combats continuels de ces deux races nomades, ensanglantèrent le steppe. Enfin, dans une grande bataille, les Kirghiz tuèrent le khan ouïgour K’eûe-sa, et brisèrent en deux ses hordes. Ils attaquèrent ensuite les Ouïgours orientaux de l’Orkhon. Ce fut vite fini. Le khan Meng-mou-seu dut déguerpir de ce paradis des nomades qui tomba aux mains des Kirghiz. Traînant avec lui les débris de ses hordes, il vint, comme nous avons déjà vu venir les débris de tant de peuples, camper devant la Grande Muraille, et demander du pain à l’empereur de Chine. Il fut naturalisé en 842, et s’appela désormais Lì, comme tant de bons bourgeois chinois. Encore une bulle de savon crevée ! Le P. Gaubil raconte que les Kirghiz comptaient le temps, au moyen d’un cycle de douze animaux, Rat, Bœuf, Tigre, Lièvre, Dragon, Serpent, Cheval, Bélier, Singe, Coq, Chien, Porc, et que c’est des Kirghiz que les Chinois prirent, non le cycle duodénaire qu’ils possédaient inclus dans leur cycle sexagénaire, mais la série de ces douze animaux, pour désigner les années du cycle de douze ans. Les savants croient à une origine turque. En tout cas, actuellement encore, ce cycle de douze animaux, sert de base à la chronologie pratique des paysans chinois. @ 417 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Où-tsoung, 841 à 846. @ p.1485 Il prit Lì tei-u pour ministre factotum. Quand les Kirghiz avaient enlevé le douar du khan ouïgour K’eûe-sa, ils y avaient pris la khatoun, sœur de l’empereur Móu-tsoung (p. 1478). Ils la renvoyèrent à l’empereur Où-tsoung, avec une trop faible escorte. Les Ouïgours occidentaux enlevèrent la petite caravane dans le désert, massacrèrent les Kirghiz et retinrent la khatoun comme otage. En 842, ne voyant pas revenir leurs envoyés, les Kirghiz en demandèrent des nouvelles à Tch’âng-nan. C’est alors seulement que l’empereur apprit l’enlèvement de la khatoun. En homme pratique, il commença par lui envoyer, chez les Ouïgours, des habits d’hiver : c’était le plus pressé. En 843, une armée suivit ces habits. Les Ouïgours battus, durent restituer la khatoun, qui revint au pays. De plus en plus gentils, les Kirghiz envoyèrent à l’empereur deux coursiers de noble race. L’empereur fit fête à leur ambassadeur. Il songea, à cette occasion, à reprendre pied dans le Tarim, complètement perdu pour la Chine depuis l’an 751... — C’est trop loin, dit le ministre Lì tei-u ; cela coûtera gros, et ne rapportera rien ; ce serait une mauvaise spéculation... L’empereur s’en tint là. Avec la puissance des Ouïgours, finit aussi, dans la Chine proprement dite, leur religion. Nous avons vu le Manichéisme déclaré, en 732, être une religion mauvaise, tolérée seulement parce qu’elle était la religion des Ouïgours, dont on avait besoin. Nous l’avons vu ensuite s’établir dans six des principales villes de l’empire. Il fut supprimé tout d’un coup, brutalement, radicalement, le jour où l’on n’eut plus à compter avec les Ouïgours. Il y avait alors en Chine, dit Chōu yuan-u, (outre le Buddhisme) trois religions introduites par diverses nations barbares, le Manichéisme, le Nestorianisme, le p.1486 Zoroastrisme (Mazdéisme, Parsisme). En 843, un édit impérial ordonna la 418 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. destruction de tous les temples manichéens de l’empire, et proscrivit la secte. A la capitale, 70 prêtresses manichéennes furent mises à mort ; celles qui se trouvaient parmi les Ouïgours récemment soumis à la Chine, furent aussi pourchassées, et les deux tiers environ périrent. Quant aux prêtres qui se trouvaient chez les Ouïgours soumis, ou dans les deux capitales, on les obligea à revêtir le costume chinois, c’est-à-dire qu’on les sécularisa. Les livres et les images des Manichéens, furent saisis et brûlés aux carrefour des rues. Enfin, conclusion substantielle de toutes les proscriptions religieuses en Chine et ailleurs, leurs propriétés furent confisquées. @ Le Manichéisme, inventé par le Chaldéen Mani (en grec Manès, en chinois) Mouoni, Maoni, Mani) mort en 274 ou 275 de l’ère chrétienne, sortit du Mazdéisme. Dans sa jeunesse, Mani fut esclave d’une riche veuve de Ctésiphon, laquelle le fit instruire dans les sciences des Mages. Il commença par s’adonner à la médecine, et se fit fort de guérir le fils du roi de Perse Chahpour I (Sapor). Le prince mourut. Mani fut jeté en prison. Pour charmer les loisirs de sa captivité, il lut les ouvrages de deux hérétiques orientaux, Scythien et Térébinthe, qui avaient tenté d’amalgamer le dualisme mazdéen avec le Christianisme, il lut aussi tout ou partie de la Bible. Mauvais médecin, Mani fut un philosophe pire encore. Par manière de distraction, il composa un système nouveau. Supprimant la divinité universelle et éternelle des Zoroastriens, il fit les deux principes, le bien et le mal, incréés et éternels, puis développa les conséquences imaginaires de ce dualisme, quant à l’univers et aux êtres qui le remplissent. Il fit des âmes, des parcelles, des étincelles émanées du bon principe, et par conséquent bonnes. La matière et les corps étaient, selon lui, du mauvais principe, et par conséquent mauvais. Les âmes sont enfermées dans les corps, comme dans une gangue impure, dont la mort les délivre. Après la mort, les âmes des Manichéens, passant par les planètes et le soleil (mazdéisme), sont finalement réabsorbées par le principe bon, d’où elles étaient sorties. Les âmes des non-Manichéens, passent dans les végétaux et les animaux (métempsycose). Conséquence principale de ce système : La matière, la gangue, la chair étant mauvaise, le mariage est mauvais, car il incorpore les âmes ; par contre la luxure stérile, quelle qu’elle soit, est chose irréprochable... Vous pensez que le deuxième 419 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. principe va être : Délivrer les âmes, en tuant les corps, est une bonne œuvre, Du tout ! La conséquence est logique, pourtant ; mais les inventeurs de religions, sujets généralement névrosés toqués ou fous, n’ont cure d’être logiques. Tuer une plante, un animal, un homme, était un péché. En user ensuite, n’était pas péché. Avant de manger son pain, le Manichéen maudissait l’Auteur de la matière, le laboureur, le meunier, le boulanger, puis dégustait en toute sécurité. Les disciples de Mani étaient divisés en deux classes : les Auditeurs, tenus p.1487 à s’abstenir seulement de vin, de chair, d’œufs, de laitage, de tout aliment de haut goût ; les Elus, tenus de pratiquer l’abstention la plus rigoureuse de toutes les choses de ce monde, abstinence, pauvreté, etc. Du Christianisme, Mani n’emprunta que le Paraclet, et les douze Apôtres. Echappé de sa prison, il se donna pour le Paraclet promis (comme fit depuis, en Chine, Hoûng siou-ts’uan, l’auteur de la rébellion des T’ái-p’ing), et s’entoura de douze Maîtres. Réfugié sur le territoire de l’empire romain, il y sema ses erreurs. Réfuté par Archélaüs évêque de Charcar ou Cascar en Mésopotamie, dénoncé et poursuivi, il crut, Chahpour (Sapor) étant mort, pouvoir rentrer impunément en Perse. Mais le roi Bahram (Varane) le fit écorcher vif. Absorbant partout les rôles du Gnosticisme, le manichéisme se répandit rapidement en Syrie, en Égypte, en Afrique, jusqu’à Rome et en Espagne. Il se répandit aussi dans l’Inde, dans l’Asie centrale et dans la Chine. A cause de ses conséquences néfastes pour les mœurs, Dioclétien condamna les Manichéens au feu. Durant plus de 200 ans, dans tout l’empire romain, l’exil et les supplices furent inutilement employés contre eux. En 491, la mère manichéenne de l’empereur Anastase, leur procura la liberté. Leur propagande fut surtout active au sixième siècle, par suite du fait suivant. Le Manichéen Mazdek d’Estakhar (Persépolis) ayant capté, vers l’an 500, la confiance du roi de Perse Kobad (Cahad), devint premier ministre et fut toutpuissant durant près de trente ans. En vue de s’attacher les petits contre les grands, il leur donna toute liberté d’embrasser le Manichéisme, et de le pratiquer, avec toutes ses conséquences, y compris celles relatives au mariage. Cet encouragement à la turpitude, fut naturellement du goût de la populace, et la secte se répandit prodigieusement. Plus tard Khosrou I (Chosroès), fils et successeur de Kobad, fit mettre à mort Mazdek, et 420 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. massacra 80 mille de ses adeptes, en 533. Cette réaction politique, dissémina les Manichéens persans dans tous les pays d’alentour... En 841, l’impératrice Théodora leur déclara la guerre, et en fit massacrer cent mille, dit-on, dans les provinces orientales de l’Empire. Tout ce qu’elle y gagna, fut qu’ils se révoltèrent, s’allièrent aux Arabes, et devinrent une puissance contre laquelle il fallut guerroyer. Vaincus enfin, ils se réfugièrent en Bulgarie vers la fin du 9e siècle ; puis, au 10e siècle, en Dalmatie (Trau), d’où ils passèrent, au 11e siècle, en Lombardie (Monteforte), puis en France, en Allemagne et en Angleterre. Combattus partout ailleurs, ils pullulèrent, au 12e siècle, dans le Languedoc et la Provence, pays alors autonomes, où Albi devint leur Jérusalem, d’où le nom d’Albigeois. Ils s’appelèrent aussi Petrobrusiens, Henriciens, Poplicains, Cathares, etc. Au 13e siècle, plusieurs conciles, une croisade, le fer et le feu, n’en vinrent pas à bout. Au 14e siècle, les Templiers furent suspectés de Manichéisme. La secte disparut, du 14e au 15e siècle, après avoir légué aux Wiclefites et aux Hussites, ses conclusions contre le dogme chrétien. Dans l’Asie centrale, toute la nation des Ouïgours fut manichéenne au 9e siècle. Mais le Manichéisme s’était implanté dans ces pays beaucoup plus tôt, probablement après la réaction de Khosrou. Une découverte récente vient de donner du corps à cette hypothèse. Mr le prof. Grünwedel ayant rapporté de Tourfan un ancien palimpseste buddhique, et Mr le Dr Müller de Berlin ayant reconstitué l’écriture effacée de ce document, il s’est trouvé que le texte primitif était un original manichéen, écrit, pensent ces savants, au 5e ou au 6e siècle. En Chine, nous avons constaté la venue d’un Manichéen, en l’an 694 (p. 1383) ; il se peut que ses congénères y aient pénétré beaucoup plus tôt. Le système dualiste chinois était, pour les Manichéens, un terrain favorable. Ils furent proscrits officiellement en 843 ; (p. 1486). Il semble bien pourtant, que l’espèce ne s’éteignit pas dans l’empire. Les Manichéens sont nommés, à propos d’une insurrection à Tch’ênn-tcheou du Heûe-nan, en 920. L’histoire des Sóng les signale à Tourfan, en 981-984. Entre 1150 et 1200, Hoûng-mai nous apprend que des sectaires végétariens et magiciens, vivaient en nombre sur les Trois Montagnes (rive droite du Fleuve en amont de Nankin, pays alors farci d’étrangers). Ils s’appelaient Doctrine Lumineuse. Ils appelaient leur 421 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Buddha Mouo-mouoni. De leur livres sacrés, le premier était le Livre des Deux Principes ; le second était le Livre des Trois Époques. Les Deux Principes, dit le Texte, sont la Lumière et les Ténèbres. Les Trois Epoques sont le Passé, le Futur, le Présent... Ils prétendaient que le poète Pâi kiu-i (9e siècle) avait chanté ; la Voie des Manichéens est admirable, les Deux Principes agissent avec mystère... Leurs principales pratiques étaient de ne faire qu’un repas par jour à midi, d’enterrer les morts tout nus, et d’observer certains rites dans sept circonstances (voyez plus bas)... A la même époque Lóu-you nous apprend que la Doctrine Lumineuse était en grande vogue au Fou-kien, que cette secte était ancienne, et connue sous ce nom dès le 10e siècle... Un peu plus tard, vers 1240, le bonze Tsoūng-kien nous apprend que les Manichéens prêchent encore leurs erreurs au pays des Trois Montagnes... Je pense donc que, après leur proscription, les Manichéens chinois se seront donné le nom nouveau de Doctrine Lumineuse, et un certain air de Buddhisme, pour se dissimuler. Ils firent de Mani un Buddha, et l’appelèrent Mouo Mani, nom qui, interprété selon le sens, signifiait pour eux Mani le Dernier, Manès le Paraclet ; tandis que, interprété selon le son, il signifiait pour les Buddhistes le dernier Mani (Mouoni, Mani, le Joyau, la Perle), c’est-à-dire le dernier Buddha. Pour l’historien, le dogme des Deux Principes identifie assez clairement la Doctrine Lumineuse avec le Manichéisme, et la différencie nettement du Buddhisme. Pour les contemporains ferrés en dogmatique (chose rare en Chine), il dut en être de même. Voilà pourquoi Tsoūng-kien, savant et hostile, appelle les Manichéens de leur vrai nom, Mani, dans sa méchante phrase. Il est probable, très probable même, que les Végétariens chinois modernes, dont nous parlerons sous la dynastie Yuân, descendent des Manichéens. Il me reste à expliquer ici les quatre préceptes manichéens, cités à la page 1383, an 694. Le premier, prohibition du mariage, a été expliqué plus haut. Le second a toujours été mal interprété jusqu’ici ; voici sa vraie signification... Les Zoroastriens gardaient un silence absolu, religieux, rituel, dans sept circonstances de la vie ; quand ils priaient Ormuzd ; quand ils vénéraient le feu ; quand ils se baignaient (purification) ; enfin quand ils mettaient en jeu leurs puissances naturelles considérées comme des dons de la divinité... absorption (manducation)... 422 deux excrétions (miction et Textes historiques. II.a : de 420 à 906. défécation)... génération (coït)... Les Manichéens condamnant le mariage comme une coopération avec le Principe du mal, et ne pratiquant le coït que comme un acte bestial dont l’intention d’engendrer devait être exclue, ils renforcèrent la prescription du silence absolu durant cet acte, afin qu’aucune parole exprimant un consentement mutuel, une volonté générative, n’en fit, par accident, un acte mauvais. Sit venia verbis !.. Quant aux deux derniers préceptes, les médicaments sont mauvais, parce qu’ils entravent la destruction, phénomène naturel ; les morts sont enterrés nus, afin que les agents naturels aient prise directe sur le cadavre. — Voyez HCO page 534. p.1489 An 844. L’empereur Où-tsoung était taoïste. Il donna sa confiance à Tcháo koei-tchenn que nous connaissons ; celui qui, en 826, avait endoctriné l’empereur Kíng-tsoung. Le ministre Lì tei-u fut mécontent, plutôt par jalousie peut-être, que par amour de l’orthodoxie. — Soyez tranquille, lui dit l’empereur, je cause avec Tcháo koeitchenn, uniquement pour me distraire. Croyez bien que je ne traiterai d’affaires qu’avec vous seul. D’ailleurs ma tête est solide ; cent Tcháo koei-tchenn ne m’influenceraient pas ! — Hélas, soupire Maître Hôu, les trois Ecoles sont mal dénommées, mais c’est le Taoïsme qui est le plus mal défini. Les Lettrés se sont appelés ainsi, parce qu’ils étudient les livres. Les Buddhistes, parce qu’ils tendent à l’abstraction. Les Taoïstes, parce qu’ils prétendent que leur doctrine est l’expression du sens commun universel, la Voie Commune. Or cela est faux. La Vraie Voie (cf. p. 1475), a été enseignée aux hommes par Yâo, Choúnn, Wênn-wang et Confucius. La doctrine de Lào-tzeu est séparatiste et égoïste. Depuis les Hán, elle a complètement dégénéré. Maintenant ceux qui cherchent à voler dans les airs, à se métamorphoser, les magiciens, les alchimistes, se disent tous taoïstes. Toutes les formules et cérémonies superstitieuses, tous les racontars fabuleux sur les enfers et les démons, tout cela vient de cette secte abominable... Lì tei-u n’eut aucun succès. 423 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Devenus absolument maîtres de l’empereur, ses amis les Taoïstes lui firent porter au Buddhisme, en 845, le coup le plus terrible qu’il ait jamais reçu en Chine. Le même coup extermina le Nestorianisme et le Zoroastrisme. Voici les documents relatifs à cette célèbre affaire... D’abord le texte de l’Histoire (résumé de Sēu-ma koang) : An 845. Mécontent de ce que les bonzes et les bonzesses dévoraient l’empire, l’empereur résolut de s’en défaire. C’est le p.1490 táo-cheu Tcháo koei-tchen et ses amis, qui le poussèrent à cet acte. L’empereur commença par faire détruire toutes les petites bonzeries éparses dans les montagnes et les campagnes. Ensuite, par décret, il ordonna que, à Tchâng-nan et à Láo-yang, on laisserait une seule pagode, avec trente bonzes au plus. Que dans les villes ou gros bourgs, on laisserait aussi une seule pagode. Que ces petites pagode de la province, divisées en trois catégories, pourraient héberger un nombre de bonzes proportionné (inférieur à trente). Que tous les autres bonzes, que toutes les bonzesses, retourneraient au siècle, obligatoirement. Que, sauf les pagodes tolérées, toutes les autres seraient démolies, dans un délai déterminé. Des délégués impériaux furent envoyés partout de la capitale pour présider, au nom de l’empereur, à l’exécution de cet édit. Terres et biens, tout devait être confisqué au profit du fisc. Les biens devaient être appliqués au service des postes. Le bronze des statues et des cloches, devait être converti en sapèques. On détruisit donc dans tout l’empire, plus de 4600 grandes bonzeries et pagodes. Les pagodins ruraux supprimés auparavant, s’élevèrent à plus de 40 mille. Les sécularisés, bonzes et bonzesses, furent au nombre de 260.500 personnes. Les bonnes terres confisquées, se chiffrèrent par milliers de myriades de k’ing. Les serfs et esclaves confisqués, furent au nombre de 150 mille... Comme il arrive toujours en Chine, en temps de persécution, certains fonctionnaires firent plus qu’on ne leur demandait, et massacrèrent les bonzes. Ainsi ceux de la célèbre pagode Où-t’ai-chan (Chān-si), ayant émigré vers le Leâo-tong et la Corée, le gouverneur Tchāng-tchoung-ou du Yoùng-p’ing-fou actuel, ordonna aux gardes des barrières de les décapiter, au fur et à mesure qu’ils passeraient. p.1491 Aucun autre document ne nous permet de contrôler l’exactitude des chiffres donnés dans ce Texte. Le P. Havret a remarqué, avec raison ce me semble, que mille myriades de k’ing (le k’ing vaut cent acres chinoises, soit 424 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. plus de 600 ares) représentant une superficie plus grande que celle de la France, attribuer aux bonzeries la propriété de plusieurs milliers de myriades de k’ing, est une assertion suspecte d’exagération. Plusieurs milliers de myriades, est un de ces clichés littéraires, une de ces locutions toutes faites, qui ne coûtent pas, à écrire, plus d’encre qu’un chiffre moindre. Manière de parler poétique, pas arithmétique. Voici maintenant le texte, probablement original, de l’édit de proscription, conservé dans le recueil [], chap. 29. C’est l’empereur lui-même qui parle : « Que je sache, au temps des Trois Dynasties (Hiá, Chāng-Yīnn, Tcheōu), le nom du Buddha était inconnu. C’est depuis les Hán et les Wéi, que les images et les livres buddhiques, se sont introduits en Chine. Dans ces derniers temps, virus pénétrant, herbe traçante, cette superstition s’est propagée, au point de supplanter nos coutumes nationales, et de pervertir les mœurs de nos sujets. Dans les provinces, dans les villes, dans les deux capitales, jusque dans le palais, les disciples des bonzes se multiplient chaque jour. Les temples buddhiques sont chaque jour plus fréquentés. Le peuple épuise ses forces pour construire ces temples, et ses ressources pour les orner. Bien plus, des hommes désertent le service de leur prince et de leurs parents, pour y servir un bonze ; des hommes quittent la société de leur épouse, pour y embrasser le célibat selon la loi. Vraiment, jamais rien n’a été aussi contraire aux lois de cet empire et au bien de ses citoyens, que cette religion. Car enfin, dès qu’un homme néglige la culture des champs, la faim se fait sentir ; dès qu’une femme néglige l’élevage des vers à soie, le froid fait souffrir. Et voilà que, innombrables, les bonzes et les bonzesses, non seulement ne travaillent pas, mais mangent et s’habillent aux frais des autres. Leurs pagodes et bonzeries, en nombre incroyable, splendides, éclipsant les palais. p.1492 s’élèvent majestueuses et Ce sont ces gens-là, qui ont ruiné la fortune et les mœurs des dynasties Tsínn Sóng Ts’î et Leâng. Les deux premiers empereurs de notre dynastie, Kāo-tsou et T’ái-tsoung, ont pacifié le pays par les armes, puis l’ont morigéné par l’enseignement. Les armes et l’enseignement, voilà 425 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. les deux moyens nécessaires et suffisants, pour gouverner la Chine. A quel titre une vile doctrine venue de l’Occident, nous en imposerait-elle ? A deux reprises, les empereurs T’ái-tsoung et Huân-tsoung sévirent contre elle ; mais ils ne l’exterminèrent pas, et le mal continue. Moi donc, ayant lu tout ce qui a été écrit jadis sur ce sujet, et ayant consulté les conseillers actuels du trône, j’ai résolu fermement d’en finir une fois pour toutes. Tous les ministres et gouverneurs sont de mon avis et me pressent, disant qu’il faut agir, qu’il faut restaurer les institutions des Anciens, et rendre ses biens au Peuple. J’agirai donc !.. Que 4600 grandes pagodes et bonzeries soient démolies ! Que 260.500 bonzes et bonzesses soient sécularisés, et portés sur le rôle des contribuables ! Que 40 mille pagodins ruraux, répandus dans tout l’empire, soient détruits ! Que les milliers de myriades de k’ing d’excellentes terres, que toutes ces pagodes possèdent, soient confisqués ! Que leurs 150 mille esclaves soient affranchis, et couchés sur le rôle des contribuables. Quant aux Bonzes et Bonzesses (buddhistes) venus de l’étranger, qui ont habité la Chine comme hôtes, et y ont prêché leur doctrine exotique ; quant aux Nestoriens (étrangers), et aux Moghbeds (Zoroastriens étrangers), au total, ces gens-là sont au nombre de plus de trois mille. J’ordonne qu’ils soient tous sécularisés, et ne s’avisent plus d’amalgamer leurs coutumes, avec celles de la Chine. Si l’on badinait avec eux, nos anciennes traditions tomberaient en désuétude. La tolérance n’a duré que trop longtemps. Maintenant qu’on trouver cette mesure p.1493 intempestive en finisse ! Qui oserait ou inopportune ? Ces vagabonds fainéants se chiffrent par dizaines de myriades, et les biens dont ils abusent valent des millions ! Que désormais ces prédicateurs du quiétisme et du farniente, vivent comme le commun des mortels, et que les Têtes Noires (le peuple) de tout l’empire, se conforment aux lois de leur Souverain. J’ai donné cet édit, pour extirper un abus. Qu’on accomplisse ma volonté ! Nota : Il n’est pas question, dans l’édit de l’an 845, des Manichéens, exécutés en 843. 426 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Le chapitre 42 nous apprend qu’il faut décomposer les trois mille étrangers sécularisés, comme suit : 1000 Bonzes et Bonzesses buddhistes, originaires du Tarim ou de l’Inde ; 2000 Nestoriens et Mazdéens. Voici les variantes instructives et intéressantes, recueillies dans divers livres chinois, qui n’ont cité, de l’édit de proscription, que le sens, non la lettre : Furent sécularisés, Bonzes et Bonzesses buddhistes 260.500 personnes, Bonzes nestoriens et Bonzes mages adorateurs de Hiēn (p. 1347) 2000 personnes... Tous les Bonzes et Bonzesses buddhistes qui ne trouvèrent pas place dans les pagodes autorisées, plus les Bonzes nestoriens, et les Bonzes mages adorateurs de Hiēn, furent tous sécularisés de force... Les Nestoriens, les Mages adorateurs du feu et de Hiēn, et autres, 2000 personnes en tout, furent tous sécularisés de force... Les Nestoriens, les Mages, et autres sectaires, furent tous sécularisés de force. Les étrangers qui se trouvaient parmi eux, retournèrent dans leurs pays... Cette dernière particularité ne se trouve que dans un sommaire de l’édit, publié en 1557 par [] qui l’a probablement inventée. Le Zoroastrisme disparut dans cette bagarre. Cela devait être. Cette religion ne pouvait pas prospérer en Chine. Le seul fait du non- ensevelissement des cadavres, la rendait impossible dans le pays du culte des morts. Le Nestorianisme disparut aussi. Cela devait être. Comment ce Christianisme sans vrai Christ, sans véritable Rédemption, aurait-il fait des prosélytes ? Si les Nestoriens prêchèrent le dieu Un et Trine doctrine nouvelle du Trois Un Pur Souffle Sans Paroles, d’une manière approximativement orthodoxe, il faut convenir que leur énoncé fut extrêmement obscur. Leur annonce de l’incarnation, fut dogmatiquement et linguistiquement défectueuse. La Vierge a mis au monde le Chéng (titre de Confucius, et de bien d’autres : un Sage, tout au plus un Saint) dans le pays de Tá-Ts’inn. Ils n’affirmèrent pas la divinité du fils de la Vierge, parce qu’ils ne la croyaient pas. Quant à la Rédemption, ils l’escamotèrent, tout bonnement. Après avoir raconté que le Chéng expliqua les trois vertus (terme taoïste), inaugura la vie et éteignit la mort, la Stèle de Sinanfou enseigne que, en plein midi il monta 427 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Immortel (terme taoïste). C’est tout. Les Nestoriens turent la Passion, et turent le Crucifié, qui n’était pour eux que p.1494 l’homme né de Marie. Par conséquent, ils n’évangélisèrent pas la Chine, ne lui annoncèrent pas le Salut, ne lui procurèrent pas la Grâce. Branche morte de l’arbre de vie, ils furent retranchés à leur heure, et ne méritent pas d’être pleurés. Une seule religion a reçu les promesses, de la durée jusqu’à la fin des temps, de la vie éternelle ; la religion du Christ-Dieu, la religion de la Croix. Celle-là ne meurt pas. Ses rameaux brisés par les tempêtes du siècle, repoussent, repullulent. Son franc parler est compris de toutes les nations, parce que c’est un langage de la commune patrie des âmes. Elle se propage dans tous les lieux, parce que Dieu a des élus partout ; parce que la force qui lui soumet les intelligences et qui lui gagne les cœurs, n’est pas d’Elle, mais de Dieu. Après avoir si bien déblayé le terrain au Taoïsme, l’empereur appela à la capitale le célébre ermite Liôu huan-tsing, et le nomma Maître du Culte de l’Abstrus. Il en fut pour ses frais, Le digne vieux en eut vite assez de la cour, et retourna à ses montagnes. Ici l’Historien se permet de rire. L’empereur supprima le Buddhisme, dit-il, parce que le Buddhisme est une superstition. Puis il favorisa le Taoïsme, lequel l’est tout autant. Pourquoi cette inconséquence ? Parce que Où-tsoung voulait vivre toujours. Il croyait à l’Elixir de Longue Vie, et espérait que les Taoïstes le lui procureraient. Voilà la racine de sa folie. De fait l’empereur tâta de la fameuse drogue. Le résultat fut, qu’il devint extrêmement nerveux et irascible. Il maltraitait tout le monde. Un jour qu’il conférait avec le ministre Lì tei-u sur les affaires, celui-ci lui dit : — Vous faites trop peur aux gens ! Puisque l’État est en paix, soyez bon et affable ! Que les méchants ne puissent pas se plaindre ! Que les bons n’aient pas à craindre ! Alors tout ira bien ! L’empereur finit par sentir qu’il dépérissait. Les charlatans qui l’entouraient, lui firent croire que ce qu’il ressentait n’était pas une maladie, mais la transformation de ses os. Bon signe ! Il commençait à devenir Génie ! Vers la fin de l’année, l’empereur se trouva si faible, qu’il fallut supprimer les solennités du jour de l’an. 428 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Au commencement de l’année 846, il perdit l’usage de la parole. De leur propre autorité, les eunuques créèrent prince p.1495 impérial son oncle Chênn. Au troisième mois, l’empereur mourut. Le prince Chênn monta sur le trône, et devint l’empereur Suān-tsoung. Le premier soin du nouveau Souverain, fut de défaire ce que son prédécesseur avait fait contre les Buddhistes. Il coupa la tête à Tcháo koei-tchenn l’instigateur de la persécution, permit de multiplier les pagodes, autorisa à entrer dans les bonzeries. Tout cela moins d’un an après la grande bourrasque. Ce peu de temps avait pourtant suffi, pour exécuter l’édit de proscription à la lettre. On s’était dépêché, parce qu’il y avait à prendre. Malgré cela, très vivace, le Buddhisme se releva de suite. Recensement de l’an 845 : familles 4.955.151, soit approximativement 30 à 32 millions d’âmes. Comparez page 1483. @ 429 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Suān-tsoung, 847 à 859. @ En 847, pour cause de sécheresse, l’empereur jeûna, s’abstint de musique, donna la liberté aux femmes du harem et aux faucons de la fauconnerie impériale. Prince et ministres, dit le Texte, s’évertuèrent à qui mieux mieux, pour guérir les plaies faites au Buddhisme sous le règne précédent, et bientôt tout fut dans le même état qu’auparavant. En Chine, un bâtiment sort vite de terre, et y rentre vite aussi. Constructions et démolitions, se font avec bien moins d’embarras qu’en Europe. Le gouvernement leur étant favorable, les bonzes durent aussi avoir bientôt fait de rattraper tout ou partie de leurs terres. Les Tibétains imaginèrent de profiter des funérailles de l’empereur défunt, pour faire une incursion. Ils avancèrent, renforcés par des bandes de Tangoutains et d’Ouïgours. Mais Wâng-tsai les battit, et les renvoya d’où ils étaient venus. La victoire fut due aux braves Turcs Chā-t’ouo, qui formaient l’avant-garde de l’armée chinoise. Les affaires des Ouïgours occidentaux allaient de mal en pis. Le khan Oukie, stationné au bout de p.1496 l’Altaï, vit ses sujets réduits, par la défection et la famine, à trois mille hommes à peine. Son ministre l’assassina, et le remplaça par son frère Neue-nien. En 848, ce pauvre homme se trouva n’avoir plus guère que 500 guerriers, Il se tint coi, pour un temps, dans son douar fortifié de Chéu-wei. Puis il en sortit, pour s’offrir à la Chine. Ayant eu vent que le gouverneur chinois de la frontière méditait de le faire prisonnier, pour se donner la face, Neue-nien retourna sur ses pas. Les Kirghiz l’enlevèrent dans le steppe, prirent Chéu-wei resté sans défenseurs, et emmenèrent tous les sujets de Neue-nien, comme esclaves, dans leurs pâturages de l’Orkhon. Ainsi finirent les Ouïgours voisins de la Chine. Il resta de la graine de cette nation, plus à l’Ouest, à Kachgar et ailleurs, jusqu’au temps des Mongols. 430 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Suān-tsoung aimait beaucoup ses frères. Il leur bâtit un palais, les visitait souvent, festoyait et jouait à la balle avec eux. Quand l’un d’entre eux était malade, il le visitait dans sa chambre, et manifestait du chagrin. L’empereur fit ensuite construire un palais, pour ses propres enfants et petits-enfants. Avant d’en jeter les fondements, il demanda au géomancien Tch’âi u-ming d’examiner le terrain pour voir s’il était faste ou néfaste, et ce qu’il promettait de bon. L’artiste courtisan s’en tira avec un chic rare. — Les pronostics, dit-il, ne s’appliquent qu’à ceux dont la fortune est changeante (au vulgaire) ; mes livres ne parlent pas des palais des empereurs (dont la fortune est stable)... Cette flatterie plut à sa Majesté, qui la paya bien. Depuis la mort si soudaine de son père Hién-tsoung, le prince Chênn avait soupçonné l’impératrice Koūo (p. 1477), épouse de son père, d’avoir été pour quelque chose dans sa mort. Quand il fut devenu l’empereur Suān-tsoung, il la traita fort mal. Un jour celle-ci tenta de se suicider. Mécontent de cet p.1497 esclandre, l’empereur lui fit une scène. Elle mourut soudainement la nuit suivante. On glosa sur cet évènement. L’empereur la poursuivit de sa haine jusque dans la mort, et refusa de l’enterrer à côté de son père... — Vous n’avez pas ce droit, lui dit Wâng-hao ; elle a été impératrice ; il ne sied pas de la priver de ses droits positifs, pour des motifs douteux... L’empereur se fâcha. Wâng-hao s’emporta. Tcheōu-tch’eu lui donna un soufflet. L’empereur le dégrada. Vilaine scène. En 850, les Tibétains dévastèrent le Kān-sou actuel. En 851, l’empereur apprit que, si dans ces dernières années les Tangoutains faisaient cause commune avec les Tibétains, c’est qu’ils avaient été rançonnés par les commandants militaires des frontières. Il n’envoya donc plus désormais, dans les Marches de l’Ouest, que des gouverneurs civils lettrés. Cela plut beaucoup aux Tangoutains, dit l’Histoire. 431 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 852, un certain Soūnn-ts’iao essaya de lancer un nouveau mouvement contre les Buddhistes. — Alors, dit-il, que les paysans qui travaillent, ont de la peine à vivre, ces fainéants de bonzes sont bien nourris, bien habillés, bien logés. Chacun d’eux dévore le revenu de dix familles. L’empereur Où-tsoung en a obligé 170 mille, à laisser croître leurs cheveux (les a sécularisés ; l’édit de 845 portant 260 mille, il y avait, par conséquent, 90 mille bonzesses). En ce faisant, il a restitué à l’empire le revenu de 1.700.000 familles. Et vous relevez maintenant les pagodes qu’il a abattues, vous permettez que les bonzeries se repeuplent, vous remettez tout dans l’état antérieur. Vous n’auriez pas fait ce qu’il a fait, soit ; du moins ne le défaites pas, puisque c’est fait. Déclarez clairement que vous n’avez pas cette intention. Arrêtez la réaction buddhique. Empêchez qu’on ne se fasse bonze sans autorisation... L’empereur concéda cette requête. C’est qu’il devenait Taoïste ; nous en aurons des preuves p.1498 tout à l’heure. En 857, le musicien du palais Loûo-tch’eng, guitariste favori de l’empereur, ayant commis un meurtre, fut arrêté et jeté en prison. Les autres musiciens supplièrent l’empereur de le gracier, pour l’amour de son talent. — Vous aimez l’art, dit l’empereur, et moi je dois aimer la loi. Loûo-tch’eng fut assommé, supplice ordinaire des eunuques et gens du palais. Devenu Taoïste , l’empereur appela à Tch’âng-nan un certain Huan-yuan tsi, táo-cheu célèbre, et lui demande, — Peut-on arriver à l’immortalité ?.. — Oui, dit le táo-cheu ; par la répression des convoitises, et la pratique des vertus… L’empereur qui désirait une pilule facile à prendre, renvoya l’ermite à ses montagnes. 432 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 858, le bassin du Hoâi eut à souffrir d’une inondation désastreuse. La Séu, affluent du Hoâi, monta à l’énorme hauteur de cinq toises, s’épandit et emporta des myriades d’habitations. En 859, l’empereur prit une drogue préparée par un certain Lì huan-pai. L’effet fut qu’il lui poussa un anthrax dans le dos. Au huitième mois, il alla ad patres. Son fils monta sur le trône, devint l’empereur Í-tsoung, et fit couper le cou au droguiste Lì huan-pai. Tout homme doit mourir, ajoute le Commentateur. Les Sages n’échappent pas à la loi commune. S’il y avait une drogue conférant l’immortalité, les Sages l’auraient cherchée et trouvée. Les princes crédules de la dynastie T’âng, furent l’un après l’autre victimes des alchimistes. Pauvres sots !.. Si l’Histoire se donne la peine de raconter en détail ce qui concerne Tcháo koeitchenn Lì huan-pai et consorts, ce n’est pas qu’elle s’intéresse à ces gredins vulgaires, c’est qu’elle veut faire plaindre les T’âng qui furent leurs victimes. Que ces anecdotes servent d’avertissement aux générations à venir. Sous les trois grandes dynasties, depuis le Fils du Ciel jusqu’au dernier citoyen, chacun pratiquait durant sa jeunesse les enseignements p.1499 traditionnels reçus des Anciens, et enseignait durant sa vieillesse ces mêmes traditions à la génération suivante. Tous passaient leur vie, dans l’accomplissement de leurs devoirs, en attendant la mort. Dans ces temps-là, il n’y avait dans l’empire aucune doctrine hétérodoxe. Qui aurait songé alors, à vouloir s’exempter de la loi universelle du trépas (drogue d’immortalité) ? En ce temps-là, on punissait de mort, comme un malfaiteur insigne, quiconque troublait le peuple par des pratiques clandestines ; il n’y avait donc pas de magiciens. C’est depuis les Ts’înn et les Hán, qu’on parle des Immortels, et d’une drogue qui confère l’immortalité. Ces fables ont affolé les hommes, et leur ont fait oublier les enseignements des Sages. Hélas, même des empereurs ont fini par en être victimes. Rien que sous les T’âng, six ou sept grands personnages ont perdu la raison ou la vie, pour avoir pris les drogues préparées par des magiciens imposteurs. De tous ces malheureux, Suān-tsoung fut le plus fou, car le sort de ses prédécesseurs aurait dû le détourner de faire comme eux. @ 433 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Í-tsoung, 860 à 873. @ Gamin âgé de 17 ans. La faiblesse du gouvernement donna des espérances aux condottieri toujours à l’affût du trône. Un certain K’iôu-fou se leva dans le Tchée-kiang. Il fallut mobiliser toutes les milices de l’empire, pour en venir à bout. Wângcheu le prit enfin, et l’envoya à la capitale, où il fut décapité. Le méchant voisin du Sud-Ouest, le royaume de Nân-tchao (Yûnn-nan), profita aussi des circonstances favorables. En 861, il envahit le Koāng-si actuel, s’étendant ainsi vers la mer. L’empereur devint Buddhiste, et si pieux, que ses dévotions ne lui laissaient pas le temps de gouverner. Il installa une chaire pour l’explication des sutras dans l’intérieur de son palais, p.1500 chantait lui-même des hymnes, copiait de sa propre main des textes, visitait les pagodes et leur faisait de grandes largesses. Les censeurs l’en reprirent en vain. Le roi de Nân-tchao, lui, cultivait les armes. Il envahit le Tonkin et l’Annam. Le générai Ts’ái-si fut chargé de le combattre. Il se jeta dans la capitale du Tonkin (Ketcho, Hanoï), puis demanda des renforts, lesquels n’arrivèrent pas. Les Nân-tchao assiégèrent et prirent la place. Ts’ái-si fut massacré avec tout son armée. Quatre cents Braves qui avaient tenté de fuir, furent arrêtés par le Fleuve. — Il n’y a plus de salut pour nous, se dirent-ils ; vengeons du moins notre mort !.. Ils marchèrent droit à l’armée ennemie, lui tuèrent plus de deux mille hommes, et périrent jusqu’au dernier. Ceux du Nân-tchao avaient perdu 150 mille hommes dans cette guerre. Ils durent en laisser 20 mille en garnison dans les pays conquis. Tous les Î du Sud-ouest et les Lolos, se soumirent à eux. En 864, apparition d’une petite comète. Les Astrologues l’interprétèrent dans un bon sens. L’empereur leur en sut gré, et fit savoir à tout l’empire, 434 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. qu’on eût à se réjouir, et non à s’inquiéter... Le méchant maître Hôu ajoute ce commentaire : Les comètes, météores en forme de balais, ont toujours été interprétées dans ce sens, qu’il fallait balayer quelque abus existant. Elles ne sont donc jamais des astres fastes. Ceux qui firent accroire à l’empereur Í-tsoung que sa comète était de bon augure, étaient de la catégorie de ces gens dont Confucius a dit « qu’ils osent tout, et ne craignent même pas les avertissements du Ciel ». Maître du Sud, le roi de Nân-tchao s’occupa de nouveau du Koāng-si, où une armée chinoise de dix mille hommes disparut sans laisser de traces. En 865, l’empereur Í-tsoung réhabilita la mémoire de l’impératrice Koūo, la victime de son père, et ordonna qu’on lui fit des p.1501 offrandes, en même temps qu’à son époux l’empereur Hién-tsoung. En 866, le général chinois Kāo-ping parvint enfin à infliger au roi de Nântchao un échec qui arrêta ses envahissements. Il lui tua trente mille hommes, et reprit le Tonkin... La même année, l’assassinat du roi du Tibet, donna aux Chinois du répit, aussi de ce côté-là. En 867, on constata que, outre sa dévotion pour le Buddhisme, l’empereur avait encore d’autres dévotions moins distinguées. Il aimait la musique, la table et les flâneries. Il entretenait un orchestre de 500 musiciens, et donnait au moins dix grands banquets par mois. Il faisait des excursions, par terre ou par eau, en si grand apparat, que chacun de ces déplacements mobilisait cent mille hommes, et causait des frais énormes (cf. p. 1276). Un jour il nomma général, l’auteur d’un chant nouveau. En 868, révolte des garnisons chinoises du Koāng-si, lesquelles trouvèrent plus commode et plus fructueux de piller l’Empire, que de combattre les Barbares. Ces Braves marchèrent vers le Nord, et firent, comme toujours en pareil cas, boule de neige en route. Le flot arriva jusque dans le Nān-hoei actuel, puis jusqu’à Sû-tcheou-fou du Kiāng-sou. Là les rebelles subirent un échec. En 869, le général K’āng tch’eng-hunn les acheva. 435 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 870, coup de main de ceux du Nân-tchao, sur Tch’êng-tou au Séutch’oan. On voit combien la situation était précaire. Succès jamais décisifs, revers aussitôt réparés. Coups frappés au hasard, sans plan ni suite, de part et d’autre. L’empereur avait une fille chérie, pour laquelle il vidait ses caisses, lesquelles avaient plutôt besoin d’être remplies. Quand il la maria, il lui bâtit un palais féerique, lui donna un pécule de cinq millions de ligatures, etc. Elle mourut peu après. Fou de douleur, l’empereur fit couper le cou aux vingt médecins qui l’avaient soignée, et poursuivit même p.1502 les familles de ces pauvres diables, plus de 300 personnes. Le ministre Liôu-tchan poussa les censeurs à représenter, que les médecins ne sont pas responsables de leur assassinats. Aucun n’osa risquer l’aventure. Alors lui-même écrivit et remit la note suivante : « Il est des hommes, dont le destin est de mourir jeunes ; votre fille était de ce nombre. Les médecins qui l’ont traitée, ne l’ont pas fait négligemment (il est à croire, de fait, que, more sinico, ces malheureux la droguèrent plutôt avec trop de zèle). Les décrets du destin ne s’éludent pas. Il n’est pas juste que tant d’innocents pâtissent pour des suppositions mal fondées. L’empereur fut mécontent... Liôu-tchan persuada au préfet Wênn-tchang de revenir à la charge. Cette fois l’empereur se fâcha, injuria Wênn-tchang et le fit jeter à la porte. En 871, il fit à sa fille des funérailles insensées. Cent vingt charretées d’habits, et autant de bibelots, la suivirent dans la tombe, Le cortège, d’une splendeur inouïe, avait trente lì de long. La marche funèbre, musique nouvelle, fut composée par Lì k’eue-ki. Des centaines de pantomimes accompagnaient l’air de leurs gestes. Enfin la tombe fut semée de perles, drapée de crêpe, etc. Au cinquième mois, l’empereur fit célébrer un service funèbre pour sa fille, à la pagode Nān-kouo-seu. A cette occasion, il fit don à cette pagode de deux chaires en bois précieux, hautes de deux toises chacune. La pagode pouvait accommoder dix mille auditeurs. En 873, au quatrième mois, l’empereur envoya quérir à la pagode Fāmenn de Fóng-siang, le fameux os du Buddha vénéré jadis par Hién-tsoung (p. 1471). Plusieurs censeurs s’insurgèrent contre cette lubie impériale. 436 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Hién-tsoung s’en est mal trouvé (il est mort peu après), direntils... — Pourvu que j’aie eu le bonheur de contempler cette relique, répondit l’empereur, je mourrai volontiers aussitôt après... Il n’y avait plus p.1503 rien à dire. Quand l’os arriva, l’empereur le fit recevoir et vénérer, avec des cérémonies beaucoup plus fastueuses que celles du grand sacrifice au Ciel. Lui-même descendit les marches du perron de son palais, pour aller à sa rencontre, s’inclina profondément, pleura abondamment, le conduisit lui-même dans l’intérieur du palais, puis fit en son honneur de grandes largesses et accorda nombre de grâces... Deux mois après, il était malade. Les eunuques nommèrent son plus jeune fils Yén prince impérial, et s’emparèrent du gouvernement. Puis l’empereur mourut, à l’âge de 30 ans. Il était exaucé ! L’Historien ricane. Le petit prince, enfant de 12 ans, monta sur le trône, et devint le pauvre empereur Hī-tsoung. @ Arabes. — Vers le milieu du neuvième siècle, le marchand arabe Soliman vint en Chine, à une ville qu’il appelle Kanfou (Koàng-tcheou Canton selon les uns, Hâng-tcheou selon les autres ; plus probablement Canton). Il a laissé une relation de son voyage. Les Musulmans étaient si nombreux à Kanfou, qu’un officier veillait à l’ordre chaque vendredi durant leur prière, et jugeait leurs différends. Le commerce maritime chinois-arabe, était alors très actif. Les Arabes allaient jusqu’à Canton, peut-être jusqu’à Hâng-tcheou ; les Chinois allaient jusqu’à Siref (golfe persique), et remontaient le Chat-el-Arab (cf. p. 1151). C’est pour favoriser ce commerce, que les Chinois construisirent, en 705, la fameuse route par le Méi-ling. La voie de terre par le Tarim, était parfaitement connue des Arabes, mais moins fréquentée, à cause de ses difficultés. Il fallait près de deux mois, disent les auteurs arabes, pour aller par cette voie de la Sogdiane à la Chine. Elle était coupée de déserts inhospitaliers. C’est pour cette raison, ajoutent-ils, que les guerriers du Khorassan n’envahirent pas la Chine. Cependant chaque année une caravane de marchands partie de la Sogdiane, se rendait, par la vallée volcanique qui produit le sel ammoniac (en chinois nao-cha, d’où l’arabe nushader... passe de Koutcha, par l’Ektagh), en Chine, aller et retour. 437 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 872, le marchand musulman Ibn-Vahab de Bassora, un Koreichite qui se disait parent de Mahomet, venu à Canton par mer, poussa par terre jusqu’à Tch’âng-nan (Kamdan), et fut reçu en audience par l’empereur Ítsoung. Abou-Zeyd de Siref, qui l’interviewa à son retour, nous a transmis les détails suivants, conservés par Massoudi (10e siècle)... Quand je fus reçu par l’empereur, dit Ibn-Vahab, celui-ci ordonna à l’interprète de me demander : — Reconnaîtrais-tu ton Maître, si tu le voyais ?.. l’empereur parlait de Mahomet, à qui Dieu soit propice....Je répondis : — Comment pourrais-je le voir, puisqu’il est auprès de Dieu trèshaut ?.. — Je parle de sa figure, dit l’empereur... — Je le reconnaîtrais, dis-je... Alors l’empereur se fit apporter une boîte, la plaça devant lui, et en tirant des feuillets, il les passait à l’interprète en disant : — Fais lui voir son Maître !.. Je reconnus les images des Prophètes, et je les bénis... — Pourquoi as-tu remué les lèvres ? demanda l’empereur... — Parce que je bénissais les Prophètes, dis-je... — A quoi les as-tu reconnus... — Aux attributs qui les caractérisent. Ainsi voici p.1504 Noé avec son arche, qui le sauva, lui et sa famille, quand le Dieu très-haut commanda aux eaux, et que toute la terre fut noyée avec ses habitants... A ces mots l’empereur se mit à rire et dit : — Tu as bien reconnu Noé. Quant à la submersion de la terre entière, nous ne croyons pas cela. Le déluge n’a pu noyer qu’une partie de la terre. Il n’a noyé, ni la Chine, ni l’Inde... 438 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — Voilà, dis-je, Moïse avec sa verge. — Oui, dit l’empereur. La scène sur laquelle il parut fut petite, et son peuple fut rétif... — Voilà, dis-je, Jésus sur un âne, entouré de ses apôtres... — Oui, dit l’empereur. Il a eu peu de temps à paraître sur la scène. Sa mission a duré trente mois à peine... Je vis ensuite la figure du Prophète, sur qui soit la paix ! Il était monté sur un chameau, et ses compagnons montés également sur des chameaux, étaient autour de lui. Je pleurai d’attendrissement... — Pourquoi pleures-tu ? demanda l’empereur... — Parce que je vois notre Prophète, notre Seigneur et mon parent, sur qui soit la paix !.. — C’est bien lui, dit l’empereur. Lui et son peuple ont fondé un glorieux empire. Il ne lui a pas été donné de voir l’édifice, mais ceux qui lui ont succédé l’ont vu... Au-dessus de chaque figure de Prophète, continue Ibn-Vahab, il y avait une longue inscription, que je supposai renfermer un abrégé de son histoire, Je vis aussi d’autres figures que je ne reconnus pas. L’interprète me dit qu’elles représentaient les prophètes de le Chine et de l’Inde. @ 439 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Hī-tsoung, 874 à 888. @ Dès que l’on sut, dans les provinces, que l’empire était gouverné par un enfant, les révoltes éclatèrent incontinent. La première, qui deviendra formidable, commença à Tch’âng-yuan-hien du K’āi-tcheou, près du Fleuve Jaune, tout au sud du Heûe-pei actuel. Le chef se nommait Wâng sien-tcheu. Il fut bientôt joint par un certain Hoâng-tchao, originaire du Ts’âo-tcheou-fou (Chān-tong), lettré habile dont un passe-droit avait fait un rebelle, et qui deviendra un des plus terribles ravageurs que la Chine ait connus. En 875, l’empereur, ou plutôt la clique des eunuques, nommèrent Kāoping que nous connaissons (p. 1501), gouverneur du Séu-tchoan, et le chargèrent de contenir le royaume de Nân-tchao. L’eunuque favori T’iên lingtzeu accapara toute l’administration. Il mangeait et buvait avec l’empereur, dit le Texte... Cette année Wâng sien-tcheu passa le Fleuve Jaune et prit Ts’âo-tcheou-fou... Les sauterelles ravagèrent le pays. Leur nombre était tel, que leurs nuées au vol obscurcissaient le soleil, et que, là où elles s’abattaient, elles mettaient la terre à nu, p.1505 détruisant jusqu’au dernier vestige de végétation. En 876, le gouvernement impérial prit une mesure, qui favorisa incroyablement la rébellion commencée, et la rendit générale. Ordre à tous les citoyens de s’armer, en leur particulier, contre les rebelles. Quand ils furent armés, ils se levèrent, mais contre le gouvernement... En un rien de temps, Wâng sien-tcheu fut maître de toute la partie occidentale du bassin du Hoâi... L’empereur recourut alors au procédé usité jusqu’à nos jours, dans le cas d’une rébellion dont on ne vient pas à bout. Il offrit à Wâng sien-tcheu une des premières dignités militaires de l’empire. Le rebelle refusa. Il divisa son armée en deux corps, commanda lui-même l’un, et confia l’autre à son lieutenant Hoâng-tch’ao. En 877, après diverses opérations de détail, les deux armées des rebelles convergèrent sur la ville de Koēi-tei-fou, (Heûe-nan), manquèrent leur coup, puis s’étendirent dans le Chān-tong. 440 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 878, Wâng sien-tcheu s’étant trop aventuré vers le Sud, fut battu et tué par le général impérial Tsēng yuan-u. Hoâng-tch’ao resta seul chef des rebelles, ce qui les rendit encore plus redoutables. Il prit le titre d’Adversaire du Ciel (de l’empire), ravagea à fond le Koēi-tei-fou et le K’āi-fong-fou, puis passa le Fleuve Bleu, et mit le siège devant Nîng-kouo-fou (Kiāng-nan). N’ayant pas réussi à prendre cette place, il se faufila entre le lac P’oûo-yang et les montagnes, à travers une partie du Kiāng-si actuel, franchit la passe, déboucha dans le Fôu-kien, et s’empara de Fôu-tcheou... Un ancien chef de bandes de Wâng sien-tcheu, nommé Ts’âo cheu-hioung, qui opérait pour son propre compte, envahit le Tchée-kiang, mais fut repoussé par Chêu-king, le gouverneur militaire de Hâng-tcheou (cf. note p. 1506). La même année l’extrême Nord du Chān-si actuel, le long de la Grande Muraille, se révolta, tua son gouverneur, et le remplaça par le Turc Chā-t’ouo Lì k’eue-young, qui deviendra très célèbre. En d’autres termes, cessant de former l’avant-garde des armées chinoises déconfites (p. 1467), les Turcs Chā-t’ouo commencèrent à préparer leur propre avenir. En 879, le gouverneur du Séu-tch’oan Kāo-ping envoya au Fôu-kien une armée, laquelle infligea à Hoâng-tch’ao un sérieux échec. Celui-ci offrit de devenir bon garçon, à condition qu’on le nommerait gouverneur de Canton, qu’il avait investi. L’empereur ordonna aux ministres de délibérer sur sa proposition. Le conseiller Û-ts’oung opina que Canton contenant d’immenses richesses, comme étant le port où abordaient les grands navires étrangers et l’entrepôt de tout le commerce maritime, il ne fallait pas exposer cette place à être pillée par un rebelle... Quand Hoâng-tch’ao apprit que sa proposition était rejetée, il poussa le siège avec fureur. La ville fut prise. Sommé d’écrire un acte d’abdication en faveur de Hoâng-tch’ao, le gouverneur Lì-t’iao dit : — Vous pouvez couper ma main, mais vous ne lui ferez pas écrire cet acte... La ville fut passée au fil de l’épée. Les historiens arabes (Abou-Zeyd, Massoudi) ont conservé mémoire de Hoâng-tch’ao (qu’ils écrivent Banshoa), de sa rébellion, et surtout du sac de Kanfou, qui mit fin, pour un temps, à leur commerce avec la Chine. Les auteurs européens se sont partagés sur l’identification de Kanfou. Les uns y 441 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. ont vu Koàng-tcheou (Canton), les autres Hâng-tcheou (au Tchée-kiang). Le texte chinois affirme formellement qu’il s’agit de Canton. L’itinéraire de Hoâng-tch’ao est parfaitement indiqué, ville par ville, depuis le Fleuve Bleu jusqu’à Canton. Il résulte de cet itinéraire, que Hoâng-tch’ao n’aborda pas Hâng-tcheou, mais passa par le Kiāng-si dans le Fôu-kien, puis du Fôu-kien, dans le Koāng-tong. Le chef de bandes Ts’âo cheu-hioung qui tenta d’enlever Hâng-tcheou pour son propre compte, fut repoussé. Les chroniques de la ville de Hâng-tcheou ne racontent pas, que je sache, qu’elle fut mise à sac par Hoâng-tch’ao. D’ailleurs Hâng-tcheou n’avait pas encore alors l’importance, qu’elle acquit plus tard sous la dynastie Sóng. Les auteurs arabes mettent au nord de Kanfou le port de Kantou, d’où l’on va par mer vers l’Est à Sila. Kanfou est Canton, Kantou est Hâng-tcheou, Sila est le Sin-ra, l’extrémité méridionale de la Corée, où se faisait le commerce de la Corée et du Japon... Le texte d’Abou-Zeyd, relatif au sac de Canton, contient les détails suivants, importants et intéressants : « Ce qui a ruiné p.1507 la Chine, et interrompu le commerce de ce pays avec notre port de Siref, c’est la révolte d’un rebelle nommé Banshoa (Hoâng-tch’ao). Cet homme ayant pris les armes, commença par rançonner les particuliers. Puis, petit à petit, des hommes malintentionnés s’étant réunis autour de lui, sa puissance s’accrut, son ambition prit de l’essor, il attaqua et prit des villes, entre autres Kanfou, le port où les marchands arabes abordent. Cette ville est à quelques journées de distance de la haute mer (l’estuaire de Canton), sur une grande rivière (le Sī-kiang). Les habitants de Kanfou ayant fermé leurs portes, le rebelle les assiégea. Cela se passait en l’an 264 (de l’hégire, 878 de J.-C.). La ville fut enfin prise de vive force (en 879), et les habitants furent passés au fil de l’épée. Ceux qui sont au courant des affaires de la Chine, m’ont affirmé qu’il périt en cette occasion, à Kanfou, 120 mille Musulmans, Juifs, Chrétiens (nestoriens), et Mages (parsis), outre les indigènes. Le chiffre des personnes de ces quatre religions est connu exactement, parce que le gouvernement chinois prélevant sur eux une capitation, il en existait des registres authentiques. De plus Banshoa coupa les mûriers de tout ce pays, 442 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. de sorte qu’il n’y eut plus, pour un temps, de soie à expédier dans les pays arabes et autres... Les Juifs, Nestoriens et Parsis, qui commerçaient à Canton en si grand nombre, y étaient évidemment venus par mer, comme les Mahométans. Ajoutons, par manière d’épilogue et d’oraison funèbre des Nestoriens en Chine, la citation suivante d’Aboulfarage : « L’an 365 de l’hégire (987 de J.-C.), je vis à Bagdad, dans le quartier des chrétiens, un moine de Nadjran, lequel, sept ans auparavant, avait été envoyé en Chine par le Catholique (patriarche nestorien), pour s’enquérir des affaires de sa religion. Il m’apprit que le christianisme était éteint en Chine. Les chrétiens avaient péri, les églises étaient détruites. Le moine n’ayant trouvé en Chine personne sur qui s’appuyer, était revenu plus vite qu’il n’était allé. Hommes du Nord, les soldats de Hoâng-tch’ao souffrirent beaucoup du climat chaud de Canton. Près de la moitié périt de la malaria et de la petite vérole. Hoâng-tch’ao reprit le chemin du Nord, par le Koāng-si, Koéi-linn et le Hôu-nan. Ses bandes descendirent la Siāng sur des jonques et des radeaux, détruisant tout sur leur passage, à leur ordinaire. Après avoir passé le Fleuve Bleu près de Où-tch’ang-fou, Hoâng-tch’ao entra dans la vallée de la Hán, et marcha sur Siáng-yang. Liôu kiu joung lui barra le passage, le battit et lui tua les quatre cinquièmes de son monde. S’il avait poursuivi le reste, c’en était fait de la rébellion. Ses officiers l’en supplièrent. — Bah, dit ce vrai Chinois, notre gouvernement ne fait cas des militaires, qu’autant que ses affaires vont mal ; faisons donc plutôt durer cette guerre, qui nous enrichira... Les rebelles p.1508 repassèrent au sud du Fleuve Bleu, se reformèrent dans le Kiāng-si, et furent bientôt de nouveau plus de 200 mille hommes. En 880, à la tête de 150 mille soldats, Hoâng-tchao repassa au nord du Fleuve Bleu, marcha vers le Nord-Est, dévasta Koēi-tei-fou, Sû-tcheou-fou, Yèn-tcheou-fou, etc. 443 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Cependant Lì k’eue-kiu avait marché contre les Turcs Chā-t’ouo. Battus, Lì k’eue-young et son père Lì kouo-tch’ang se sauvèrent chez les Tongouses Tatan (Tartares) dans les Yīnn-chan. Revenant du Chān-tong, et longeant la rive méridionale du Fleuve Jaune, au onzième mois de cette année Hoâng-tchao prit Láo-yang. A cette nouvelle, ordre fut donné, à Tch’âng-nan, d’envoyer aux passes tout ce qu’il y avait de troupes à la capitale. Il se trouva que ces troupes étaient composées exclusivement de cadets des riches familles, soldats de parade, qui avaient acheté leur place aux eunuques et n’avaient jamais songé à faire la guerre. Quand ils reçurent l’ordre de marcher, tout Tch’âng-nan fut en pleurs. Les uns se dirent malades, les autres achetèrent des remplaçants. Des deux mille qui restèrent, aucun ne savait manier une arme. Avant leur départ, l’empereur les passa en revue. A cette occasion, le général Tchāng tch’eng-fan lui dit : — Hoâng-tch’ao approche avec des centaines de milliers d’hommes. De notre côté Ts’î k’eue-jang campe devant la passe, avec cent mille hommes à peine, lesquels meurent de faim, à ce que j’ai appris. Moi je vais camper derrière la passe, avec les deux mille hommes que voici. Veillez d’abord à ce que nous soyons approvisionnés. Tâchez ensuite de nous envoyer du renfort... — Partez avec confiance, dit l’empereur ; les provisions et les renforts suivront... Cela dit, il se reposa. Bientôt les deux mille hommes de Tchāng tch’eng-fan eurent autant à souffrir de la faim, que les cent mille de Ts’î k’eue-jang. Hoâng-tchao p.1509 arriva. Ts’î k’eue-jang tint durant quatre heures juste, puis ses troupes se débandèrent. Tchāng tch’eng-fan essaya de défendre la passe T’oûng-koan, ces Thermopyles du Koān-nei. Hoâng-tch’ao le tourna. N’étant pas un Léonidas, Tchāng tch’eng-fan se sauva. Cependant les milices mobilisées arrivaient à Tch’âng-nan. Hélas, elles y firent tout autre chose, que ce qu’on espérait d’elles. Elles pillèrent d’abord les magasins, puis la ville, enfin le palais. L’empereur s’enfuit, accompagné de l’eunuque T’iên ling-tzeu, de quatre princes, de quelques femmes, et de 500 444 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. gardes. Il était temps. Ce jour-là même, dans l’après-midi, l’avant-garde des rebelles entra à Tch’âng-nan et fraternisa avec les émeutiers. La capitale fut livrée à un pillage systématique. Hoâng-tch’ao massacra jusqu’au dernier tous les membres de la famille impériale qu’il put saisir, proclama les T’âng déchus du trône, se fit empereur de la dynastie, inaugura une ère nouvelle, etc. L’empereur avait fui vers Tch’êng-tou au Séu-tch’oan, comme son ancêtre Huân-tsoung en 756. Il y arriva au commencement de l’année 881. De là, il fit la chose la plus basse qu’on puisse imaginer. Il tendit la main au Turc Lì k’eue-young, qu’il avait persécuté jusque-là (p. 1508). Celui-ci ne se fit pas prier deux fois. Non qu’il fût dévoué à l’empereur ; mais parce qu’il flairait une proie. Il se mit aussitôt à organiser un corps de dix mille Turcs Cha-t’ouo, et Tongouses Ta-tan. Avant qu’il arrivât, les rebelles se gardant mal, une petite troupe de soldats impériaux pénétra de nuit dans Tch’âng-nan. Las des vexations des rebelles, le peuple les aida, et tomba sur les bandits de Hoâng-tch’ao, à coups de tuiles et de pierres. Mais voilà que ces bons impériaux se mirent à piller et le reste, pis que n’avaient fait les rebelles. Ceux-ci revinrent, et un combat terrible se livra dans p.1510 Tch’âng-nan. Les impériaux furent anéantis. Pour se venger des habitants, Hoâng-tch’ao permit à ses rebelles de massacrer ad libitum. Le sang coula par ruisseaux. Voilà la ville lavée, dit Hoâng-tch’ao en riant. An 882. L’empire n’avait plus d’espoir que dans le gouverneur du Séutch’oan Kāo-ping, qui avait déjà battu Hoâng-tch’ao une fois en 879 (p. 1506). Mais, chose à peine croyable, cet homme de guerre était devenu, depuis lors, le jouet d’un magicien nommé Lù young-tcheu. Celui-ci arriva à écarter peu à peu tous les officiers du gouverneur, et à les remplacer par ses amis, dont le principal était Tchāng cheou-i. L’Histoire cite quelques exemples des tours que ces farceurs jouaient à l’imbécile gouverneur. Celui-ci était mal avec le ministre Tchéng-t’ien. Un jour Lù young-tcheu lui dit : — Mon art m’a découvert que le ministre va tenter de vous assassiner ; c’est pour cette nuit.. 445 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Kāo-ping fut très effrayé. — Tchāng cheou-i vous sauvera, dit le magicien... Les deux compères habillèrent le gouverneur en femme, le cachèrent dans un appartement retiré, et s’établirent dans sa chambre à coucher. Vers minuit, grand cliquetis et vacarme. C’étaient les deux compères, qui battaient des vases de cuivre. Ils arrosèrent aussi le carrelage avec du sang de porc. Le lendemain au jour, tout riants, ils firent voir au gouverneur le champ de bataille. — Vous l’avez échappé belle ! lui dirent-ils... Kâo-ping pleura de reconnaissance... Une autre fois, Lù young-tcheu grava sur une pierre, en caractères étranges, l’inscription suivante : « Le Pur Auguste offre ce gage, de sa faveur à Kāo-ping... Déposée sur l’autel devant lequel il brûlait chaque jour des parfums, la pierre fut trouvée, par Kāo-ping, qui fut rempli de joie et de crainte... — Cela signifie, lui dit Lù young-tcheu, que, plein d’estime pour vos mérites, le Pur Auguste vous a choisi pour un poste important dans p.1511 son empyrée ; n’en doutez pas, sous peu les argus et les grues viendront vous porter au ciel... Afin de faire bonne figure au jour prochain de cette chevauchée, ce bon Kāoping se fit faire une grue en bois, qu’il monta désormais chaque jour, enfourchant et démontant avec grâce, par manière d’exercice... Les Lettrés répandirent le bruit qu’il était toqué... Lù young-tchen lui dit : — Si les grues tardent à venir, c’est parce que les Lettrés disent des choses inconvenantes, et parce que vous ne renoncez pas à certaines habitudes vulgaires... Aussitôt Kāo-ping renonça à toutes ses femmes, cessa de converser avec les hommes, astreignit ses officiers à de sévères purifications avant de les admettre en sa présence, etc. Depuis lors Lù young-tcheu gouverna en son nom. C’est ce que le magicien avait voulu obtenir. 446 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ici, entrée en scène bien modeste, d’un futur empereur, Tchōu-wenn, brigand vulgaire, puis petit chef de rebelles au service de Hoâng-tch’ao. Il passe aux T’âng, et est fait par l’empereur officier d’abord, puis gouverneur de K’āi-fong-fou. Lì k’eue-young ayant fini d’organiser son corps de Barbares, apparut enfin dans la vallée de la Fênn. Il avait habillé ses cavaliers tout de noir, ce qui les fit surnommer Corbeaux de Lì k’eue-young. Ils étaient 40 mille. Les rebelles en eurent bientôt grand’peur. L’empereur nomma Lì k’eue-young gouverneur du Chān-si actuel, c’est-à-dire qu’il lui donna carte blanche, pour opérer comme il l’entendrait. Au troisième mois de l’an 883, Lì k’eue-young envahit la vallée de la Wéi. Gorgés de butin et ne trouvant plus de vivres dans le pays dévasté, les rebelles de Hoâng-tch’ao s’évadaient par petites bandes, chacun songeant à mettre son magot en sûreté, et à redevenir honnête homme. Réduit à 30 mille partisans, Hoâng-tch’ao s’établit dans la petite passe, entre les vallées de la Wéi et de la Hán. Lì k’eue-young harcela d’abord les p.1512 pillards, restés dans Tch’âng-nan, par des attaques nocturnes répétées. Après avoir incendié tous les édifices considérables, ceux-ci se retirèrent, semant la route d’objets précieux, que les Corbeaux se disputèrent, ce qui permit aux rebelles d’échapper. Lì k’eue-young entra à Tch’âng-nan. Il avait 28 ans. Il se trouva donc être en même temps, et le plus jeune, et le plus méritant des généraux de l’empire. Comme il était borgne, les contemporains le surnommèrent le Dragon à un œil... Hoâng-tch’ao franchit la passe, marcha vers l’Est dans la vallée de la Hán, déboucha dans le bassin du Hoâi, et apparut dans le pays de K’āi-fong-fou, au quatrième mois de l’an 884. Lì k’eue-young l’y défit dans une grande bataille. Hoâng-tch’ao s’enfuit à Yên-tcheou-fou du Chān-tong. Ici l’Histoire raconte un épisode, lequel montre à nu ce qu’étaient ces hommes et ces temps. K’āi-fong-fou était occupé, au nom de l’empereur, par l’ex-brigand Tchōu-wenn. Quand l’ex-proscrit Lì k’eue-young, devenu le sauveur de l’empire, approcha de la ville, Tchōu-wenn qui flairait en lui un compétiteur, songea à s’en débarrasser. Il disposa toutes choses, l’invita, l’enivra, puis le fit assaillir par une bande d’assassins. Lì k’eue-young avait bu 447 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. comme un Turc. Ses gardes du corps, Sūe tcheu-king, Chèu king-seu, une dizaine d’hommes en tout, se défendirent vaillamment. Entre temps, Koūo king-tchou s’efforçait de réveiller Lì k’eue-young, en lui arrosant le visage avec de l’eau fraîche. Enfin le Turc ouvrit les yeux, mit la main à son arc, et se leva sur ses pieds. Il était temps ; les assaillants venaient de mettre le feu à la maison. Heureusement que la nuit était noire et orageuse. Sūe tcheuking et les autres entraînèrent Lì k’eue-young, sautèrent un mur, et coururent vers la porte de la ville, tandis que p.1513 Chèu king-seu combattait en désespéré pour couvrir la retraite. La petite bande ayant trouvé la porte fermée, descendit du rempart par une corde. Ce qui la sauva, fut que, dans l’obscurité, une flèche lancée par Tchōu-wenn, tua son agent Yâng yenhoung, qui conduisait les assassins. La femme de Lì k’eue-young, Liôu-cheu, qui le suivait à la guerre, était prudente et sage. Prévenue de ce qui se passait dans la ville, par un domestique qui s’était enfui dès le début de l’attaque, elle coupa elle-même la tête à cet homme pour l’empêcher de semer l’épouvante dans le camp, convoqua secrètement les officiers supérieurs et les avertit de prendre les mesures nécessaires. Elle croyait son mari tué. Au petit jour il arriva dégrisé. Furieux du guet-apens de Tchōu-wenn, il voulait aussitôt l’attaquer avec ses troupes. — Ne faites pas cela, lui dit sa femme. Portez plainte contre lui à l’empereur. Vous êtes tous les deux officiers des T’âng. Apaisé par ces paroles, Lì k’eue-young se borna à écrire une lettre de plaintes à Tchōu-wenn. Celui-ci lui répondit par une lettre de condoléances, assurant qu’il avait absolument ignoré ce qui était arrivé. L’empereur envoya un délégué, lequel découvrit que le guet-apens était l’œuvre de Yâng yen-houng. Celui-ci étant mort, il n’y avait plus lieu de le punir. C’est ainsi que finissent presque toujours les procès criminels chinois, dans lesquels il y a eu mort d’homme. C’est le mort qui avait tort. On l’enterre et on passe l’éponge... Lì k’eue-young étant Turc, ne goûta pas cette chinoiserie. Il ramena ses corbeaux dans la vallée de la Fênn, et garda rancune à Tchōu-wenn. 448 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Démoralisés par leur défaite, les partisans de Hoâng-tch’ao s’étaient dispersés. Cháng-jang, lieutenant de Lì k’eue-young, joignit le rebelle près de Tsi-ning-tcheou. Linn-yen neveu p.1514 de Hoâng-tch’ao lui coupa la tête, ainsi qu’à ses frères, à sa femme et à ses enfants, puis alla trouver Cháng-jang, dans l’intention de racheter sa propre vie par cette offrande. Mais des cavaliers turcs l’ayant rencontré, préférèrent toucher eux-mêmes la prime. Ils décapitèrent donc Linn-yen, et ajoutèrent sa tête à celles que contenait son sac... Ainsi finit la rébellion de Hoâng-tch’ao, la plus terrible que la Chine ait jamais vue. Elle dévasta successivement, durant onze années, à fond, toutes les provinces de la Chine actuelle, excepté le Séu-tch’oan, le Koéi-tcheou et le Yûnn-nan. La chute des T’âng l’ayant suivie de près, aucun recensement officiel ne nous a fait connaître le nombre de vies d’hommes qu’elle coûta. L’opinion des historiens est que la saignée faite à la nation par Hoâng-tch’ao, fut beaucoup plus forte que celle que lui Nān lou-chan (cf. p. 1452). Quelques concubines de Hoâng-tch’ao furent envoyées à l’empereur. — Pourquoi avez-vous vécu avec ce rebelle, leur demanda celuici ?.. — Pourquoi vous êtes-vous sauvé au Séu-tch’oan ? répliqua celle de ces femmes qui avait la meilleure langue. Il vous a chassé. il nous a prises. Qu’y pouvions-nous ?... L’empereur les fit égorger. En 885, il quitta Tch’êng-tou, et arriva à Tch’âng-nan au troisième mois. La ville était déserte, pleine d’herbes et de broussailles, de lièvres et de renards. Ce spectacle affligea l’empereur. Son empire se réduisait à une dizaine de préfectures. Partout ailleurs les gouverneurs faisaient ce qu’ils voulaient. Quand l’empereur fut revenu, Lì k’eue-young lui demanda la permission de se venger de son ennemi Tchōu-wenn. L’empereur le pria de se tenir tranquille. Aussi bien, il y avait déjà assez d’inimitiés et de désordres. Pour une affaire de gabelle, l’eunuque T’iên ling-tzeu venait d’indisposer le gouverneur Wâng tchoung-joung qui gouvernait p.1515 dans l’angle du Fleuve Jaune. Menacé par l’eunuque, celui-ci s’allia avec Lì k’eue-young, stationné 449 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. dans la vallée de la Fênn, lequel armait en secret contre Tchōu-wenn. Les ouvertures de Wâng tchoung-joung fournissant à Lì k’eue-young un prétexte spécieux, elles furent bien accueillies. Sous couleur de vouloir délivrer l’empire de l’eunuque T’iên ling-tzeu, les deux compères entrèrent en campagne. Lì k’eue-young pénétra dans la capitale, T’iên ling-tzeu avait fui dans la haute vallée de la Wéi, emmenant l’empereur alors âge de 24 ans. Les Turcs de Lì k’eue-young brûlèrent le peu de bâtiments qu’on avait relevés à Tch’âng-nan. Cette fois toutes les tablettes des Ancêtres de la dynastie y passèrent. En 886, l’empereur se réfugia dans la haute vallée de la Hán. En 887, il revint à Fóng-siang dans la vallée de la Wéi. Pauvre homme ! Il vécut en nomade. Le Séu-tch’oan qui avait été tranquille jusque-là, fut troublé lui aussi, à cette époque. Les grues n’ayant pas emporté à temps le gouverneur Kāo-ping (p. 1511), il fut victime d’une révolte. Un certain Pî cheu-touo le massacra avec toute sa famille, et enterra tous ces cadavres dans une fosse commune, ce qui est, en Chine, une circonstance particulièrement hideuse. Toujours morale, l’Histoire ajoute à cette catastrophe la note suivante : Jadis Kāo-ping ayant fait exécuter avec toute sa famille un homme innocent, au moment de mourir, la femme de celui-ci cria en battant des mains : — Gouverneur, je t’accuserai auprès du Souverain d’en haut, qui te fera un jour comme tu nous as fait !... Maître Hôu philosophe sur cet événement. « N’est-ce pas là, se demande-t-il, un cas évident de la rétribution, du talion, de la balance exacte que prêchent les Buddhistes ?.. Non ! Inutile d’en référer au Buddha. Les Mutations disent : Celui qui accumule des mérites, s’en trouvera bien ; celui qui amasse des p.1516 démérites, s’en trouvera mal. Tsēng-tzeu dit : Ce qui émanera de toi, reviendra sur toi. Le cas de Kāo-ping prouve plutôt contre la balance exacte, car son supplice n’équivalut pas exactement celui des milliers de personnes qu’il avait occis durant 450 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. sa vie. Il prouve seulement, comme disent les Lettrés, que la Règle du Ciel est de rendre à chacun selon ses œuvres. Quant à la métempsycose, au dogme que, après être mort en un endroit, on renaît ailleurs sous une autre forme ; quant à l’assertion qu’on expie dans le monde des morts le mal qu’on a fait dans le monde des vivants, ce sont autant de blagues. En 888, l’empereur rentra à Tch’âng-nan. Après tant de fugues, le repos lui fut fatal. Il mourut au troisième mois, à l’âge de 27 ans, Son frère Kîe, âgé de 23 ans, lui succéda, et devint l’empereur Tchāo-tsoung. @ 451 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. L’empereur Tchāo-tsoung, 889 à 904. @ Il commença par offrir un sacrifice au Ciel, puis conféra à Tchōu-wenn le titre de roi, dégrada Lì k’eue-young, et leva contre ce dernier les milices de l’empire, lesquelles se réduisaient à pas grand’chose. En 890 Lì k’eue-young les battit à Lóu-nan, Tchâi-tcheou, Tcháo-tch’eng, Wéi-pouo, etc. L’empereur dut demander paix, et rendre à Lì k’eue-young tous ses titres, etc. En 891, une comète longue de dix toises, sortit de la constellation Sānt’ai et traversa le quadrilatère de la Grande Ourse... Les événements de la terre se répercutent au ciel, dit Maître Hôu. Sān-t’ai est l’astérisme de Ministres, le Quadrilatère est celui de l’empereur. Les Ministres vont ruiner la dynastie. Ce signe était aussi clair que possible. Hélas, les intéressés n’en tinrent aucun compte. Aussi le Souverain d’en haut se fâcha-t-il, et balaya-t-il la dynastie, conformément à la signification ordinaire des comètes, (balais célestes, p. 1500). En 893, la guerre commença entre p.1517 Tchōu-wenn et Lì k’eue-young. En 894, partant du Chān-si, ce dernier s’empara du nord du Heûe-pei actuel. En 895, émeute militaire à la capitale. Bataille entre les deux corps de la garde. L’empereur se réfugie dans une tour. Bataille autour de cette tour. Une flèche effleure l’empereur. Le feu est mis au palais. Des troupes de passage délivrent l’empereur, lequel se réfugie dans leur camp, et appelle à son secours le Turc Lì k’eue-young, qu’il fait, pour l’amadouer, roi de la Fênn. Outré de voir son antagoniste honoré, en 896 Tchōu-wenn attaque et prend Yèn-tcheou-fou. Puis les deux adversaires se font, dans le Heûe-pei, une guerre indécise. Pendant ce temps, un certain Lì mie-tcheng se révolte dans le district même de la capitale. L’empereur s’enfuit à Hoâ-tcheou.. Lì mie-tcheng s’empare de Tch’âng-nan, et brûle tous les bâtiments qui y restent. Lì k’eue-young accourt dans la vallée de la Wéi. Lì mie-tcheng achète sa grâce. En 898, l’empereur revient à Tch’âng-nan. 452 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. En 900, appuyé sur Yèn-tcheou-fou et K’āi-fong-fou comme bases, Tchōu-wenn envahit le Hoûe-pei actuel, prend Têi-tcheou, Kìng-tcheou, Ts’āng-tcheou, Heûe-kien, Máo-tcheou, et assiège Tíng-tcheou. Au onzième mois de cette année, l’empereur ayant chassé tout le jour dans son parc et étant rentré ivre, tua de sa main, dans un accès de colère, plusieurs des femmes de service. Le lendemain, les portes du palais ne s’ouvrant pas, l’eunuque Liôu ki-chou les enfonça, et constata le meurtre. Sortant aussitôt, il alla trouver le ministre Ts’oēi-yinn, et lui dit : — L’empereur étant si violent, ne peut pas rester sur le trône. Il faut le déposer, pour le bien de l’empire. Ts’oēi-yinn ne répondit rien. Le P. Gaubil a dit de ce ministre, qu’il était de ces Lettrés chinois qui se croient capables de tout, parce qu’ils savent tourner une pièce en prose ou en vers, et parler des livres p.1518 canoniques... Liôu ki-chou convoqua les officiers, mit les troupes sur pied, appela le prince impérial à la régence, envahit les appartements de l’empereur, et lui dit : — Il faut vous soumettre ! Ne faites aucune résistance !.. Puis, l’ayant conduit avec l’impératrice Heûe dans une cour retirée, et ayant écrit sur le sol avec sa baguette d’argent les fautes de l’empereur, il enferma de sa propre main l’empereur et l’impératrice dans une petite maison, fit barder de fer le bois de la porte, et y mit des sentinelles. Les aliments étaient passés aux prisonniers par un guichet pratiqué dans le mur. Sapèques, étoffe, papier, pinceaux, tout leur fut refusé. Ils souffrirent du froid, et d’autres incommodités. Leurs plaintes et leurs pleurs s’entendaient au dehors... Liôu ki-chou intronisa le prince impérial sur la foi d’un faux acte d’abdication, puis fit assommer les eunuques et les dames qu’il suspectait d’être dévoués à l’empereur déposé. En 901, conspiration de quelques officiers de la garde pour délivrer les prisonniers. Ils massacrèrent Liôu ki-chou, pénétrèrent au palais, et frappèrent à la porte de la prison de l’empereur, en criant : — Ouvrez ! le traître est mort !.. — Montrez sa tête, dit l’impératrice, compromettre... 453 qui craignait de se Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Quand ils l’eurent vue, l’empereur et l’impératrice démontèrent la porte et sortirent (tour de force invraisemblable). Le ministre Ts’oēi-yinn vint alors présenter ses félicitations. Le prince impérial descendit du trône, et l’empereur y remonta. Cependant Tchōu-wenn continuant le cours de ses conquêtes, s’était emparé de tout le sud du Heûe-pei et de cette partie du Heûe-nan qui est au nord du Fleuve... Craignant des représailles de la part des eunuques, le ministre Ts’oēi-yinn l’appela au secours de l’empereur. Tchōu-wenn ne se le fit pas dire deux fois. On lui ouvrait le chemin du trône. Il accourut de K’āifong-fou... A son approche, l’eunuque Hân ts’uan-hoei enleva l’empereur, et le transféra à Fóng-siang-fou. En 902, jugeant que l’empereur et l’empire ne lui échapperaient pas, Tchōu-wenn prit le parti de se défaire, par précaution, de Lì k’eue-young son compétiteur éventuel. Il alla l’attaquer à T’ái-yuan-fou. Une maladie épidémique l’obligea à rétrograder. En 903, Lì mao-tcheng offrit à l’empereur de le délivrer du joug des eunuques, et de le ramener à la capitale. L’empereur lui donna carte blanche. Lì mao-tcheng décapita aussitôt Hân ts’uan-hoei et tous les eunuques sur lesquels il put mettre la main, 73 en tout. De son côté Tchōu-wenn en avait massacré plus de 90. L’empereur se rendit au camp de Tchōu-wenn. Celui-ci se prosterna, pleurnicha, et le reste de la comédie rituelle. L’empereur détacha sa ceinture, et la lui donna, en signe de reconnaissance et d’amitié. Le bonhomme Ts’oēi-yinn vint encore présenter ses félicitations. Quand l’empereur fut rentré à Tch’âng-nan, comme il n’y avait plus rien à craindre, Ts’oēi-yinn devint brave et demanda l’extermination des eunuques. L’empereur ayant consenti, Tchōu-wenn perquisitionna dans la capitale, massacra encore quelques centaines d’eunuques, et ne laissa vivre définitivement, de toute la tribu, que trente jeunes enfants, qu’on conserva pour le menu service du palais. Pour prix de ce nettoyage, Tchōu-wenn fut fait roi de Leâng. Le moment était venu, pour cet ex-brigand, de se défaire de ceux qui pouvaient le gêner. Lì mao-tcheng y passa le premier, puis ce benêt de 454 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Ts’oēi-yinn. Ensuite, de son camp, Tchōu-wenn intima à l’empereur qu’il allait le transférer à Láo-yang ; affaire de se rapprocher de K’āi-fong-fou, son gouvernement, pour le coup de théâtre final. La désolation fut grande à Tch’âng-nan. Le peuple pleura et cria : — Maudit Ts’oēi-yinn qui as appelé Tchōu-wenn p.1520 pour la ruine de la dynastie et pour notre malheur !.. Bon gré mal gré, l’empereur dut obéir. Tchōu-wenn laissa à Tch’âng-nan son lieutenant Tchāng t’ing-fan, avec ordre de tout détruire, après le départ de la cour. Tchāng t’ing-fan exécuta consciencieusement sa consigne. Il mit la ville à sac, l’incendia, puis descendit en barque, avec son butin, la Wéi et le Fleuve, vers Láo-yang. Tch’âng-nan resta absolument déserte. Cependant le cortège impérial marchait par terre. A Hoâ-tcheou, le peuple cria : — Vive l’empereur !.. — Ne criez pas ainsi, dit celui-ci, en pleurant ; je ne suis plus empereur que de nom, et n’ai plus que peu de temps à vivre... Au deuxième mois de l’an 904, on arriva à Hiâ, où l’on s’arrêta, le palais de Láo-yang n’étant pas encore prêt. De là l’empereur envoya en cachette à Lì k’eue-young le message suivant : « Quand je serai entré à Láo-yang, j’y serai le prisonnier de Tchōuwenn. Ne considérez plus alors aucun édit, comme émané de moi. Désormais je ne pourrai plus vous faire savoir ce que je pense. Le palais étant prêt, Tchōu-wenn fit dire à l’empereur qu’il eût à se remettre en marche. Celui-ci demanda un délai, à cause des couches de l’impératrice. Tchōu-wenn qui brûlait de voir sa victime en lieu sûr le plus tôt possible, envoya aussitôt un agent chargé d’exiger le départ immédiat. Il alla à la rencontre du cortège jusqu’à Sīnn-nan, tua plusieurs serviteurs et femmes de l’empereur qu’il soupçonnait d’être hostiles à sa cause, fit massacrer ensuite 200 fils de famille qui avaient suivi l’empereur pour lui servir de gardes, et les remplaça par 200 jeunes gens à sa dévotion, auxquels il fit endosser les vêtements des morts, si bien que l’empereur ne connut plus personne dans son entourage. 455 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Se voyant entièrement à la merci de Tchōu-wenn, le pauvre homme tomba dans une profonde mélancolie, et passa désormais les p.1521 journées, avec l’impératrice Heûe, à pleurer et à boire. Ne le trouvant pas assez résigné, Tchōu-wenn résolut de s’en défaire. Il confia cette commission à Tchōu you-koung, lequel chargea l’officier Chèu-t’ai de faire le coup. Celui-ci frappa à la porte de l’empereur au milieu de la nuit. Tchāo-tsoung qui était ivre, essaya de fuir, à peu près nu. Chèu-t’ai courut après lui, et le tua. Avant de pouvoir le transpercer, il dut abattre la concubine Lì tsien-joung qui le couvrait de son corps. Le coup fait, Tchōu-wenn fit courir le bruit que la concubine Lì avait assassiné l’empereur. Comme elle était morte, elle ne put pas s’en défendre (cf. p. 1124). Le fils du défunt fut intronisé devant le cercueil de son père. C’était un enfant de 13 ans. Les habitants du palais, ne sachant pas les intentions de Tchōu-wenn, n’osèrent pas pleurer Tchāotsoung. Tchōu-wenn l’ayant su, entonna lui-même les lamentations. Il alla jusqu’à se rouler par terre, en criant : — Ah les canailles ! ils ont ruiné ma réputation !.. Pour se réhabiliter, il fit conduire Tchōu you-koung au supplice. Avant de mourir, celui-ci cria : — Esprits Koèi et Chênn, sachez-le bien ; je meurs sacrifié à l’opinion publique ! @ 456 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. Tchāo-Suān-ti, le dernier des T’âng, 905 à 907. @ D’abord l’horrible scène à laquelle nous avons assisté déjà plusieurs fois, le massacre de sang-froid de tous les membres d’une famille régnante, pour empêcher toute réaction après l’usurpation. En 905, Tchōu-wenn donna une fête à l’ex-prince impérial (p. 1518) et à ses huit frères, tous fils de Tchāotsoung et frères de l’empereur. Quand ils furent ivres, il les fit tous étrangler dans la salle du festin, puis jeter dans l’étang voisin. Au quatrième mois, apparition d’une comète qui balaya tout le ciel. Considérant les T’âng comme finis, les Astrologues interprétèrent cet astre en faveur de Tchōu-wenn. Liòu-ts’an lui remit p.1522 une liste des têtes à couper. Lì-tchenn le pressa d’exterminer tous les fidèles serviteurs des T’âng. — Ces gens-là, lui dirent-ils, ne vous serviront jamais. Ils vous feront opposition. Il faut vous en défaire... L’idée sourit à Tchōu-wenn. Il fit réunir P’êi-chou et une trentaine des principaux personnages de l’empire, les massacra tous la même nuit, et jeta leurs cadavres au Fleuve. Voici la cause de cette dernière barbarie. — Ils prétendent être les Purs (pur courant), ces lettrés-là, lui avait dit Lì-tchenn ; jetez-les dans le Fleuve, pour en faire les Boueux (courant bourbeux ; jeu de mots) !. Tchōu-wenn rit beaucoup, et fit la chose. Son autre conseiller Liòu-ts’an lui déclara qu’il était inutile de temporiser davantage. Chose curieuse, cet homme périt dans ses propres filets ; l’Histoire a soin de relever le fait. L’impératrice veuve Heûe ayant eu vent de ses projets, le pria de vouloir bien du moins obtenir la vie sauve pour elle et pour son fils, la poupée impériale. Or Liòu-ts’an, avait des ennemis, qui l’accusèrent auprès de Tchōu-wenn, de comploter avec l’impératrice. Elle lui avait offert un banquet nocturne, disaient-ils ; ils avaient brûlé de l’encens et fait des serments ; etc. Tchōuwenn crut tout, supprima l’impératrice, et envoya Liòu-ts’an au supplice. Comme on allait lui couper la tête, celui-ci s’écria : 457 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. — J’ai mérité la mort, car j’ai perdu les T’âng ! Sur ce, Tchōu-wenn se fit prier par d’autres compères, de monter enfin sur le trône. — Le mandat du Ciel est transféré à votre maison, lui dit Loùo chao-wei... Le mandat du Ciel étant transféré, il n’y avait plus qu’à s’incliner. Douce nécessité !.. Averti de ce qu’il avait à faire, le petit empereur envoya à Tchōuwenn le sceau de l’empire. Celui-ci s’assit sur le trône, et inaugura la nouvelle dynastie Leâng. Les ministres le félicitèrent. Il leur donna un grand banquet, et dit, en portant leur santé : — C’est à vous que je dois le trône !.. p.1523 c’est-à-dire, c’est votre incapacité, votre traîtrise, qui ont ruiné les T’âng et préparé mon avènement. Les ministres comprirent, et suffoquèrent de honte... L’ex-brigand et rebelle donna ensuite un banquet à ses parents, dans l’intérieur du palais. Là son frère aîné, un rustre, lui tint le discours suivant : — Tchōu Numéro Trois (son petit nom), toi paysan de Tāng-chan, brigand des bandes de Hoâng-tch’ao, le Fils du Ciel t’a employé comme officier, et a fait ta fortune. Devais-tu après cela détrôner cette dynastie des T’âng, qui a gouverné l’empire durant trois siècles, et préparer la Némésis qui détruira notre famille ? !.. Furieux, Tchōu-wenn sortit de table... Il donna à l’empereur détrôné un titre de roitelet, et le relégua sous bonne garde à Ts’âo-tcheou-fou, dans un cottage entouré de palissades et de haies, où il le fit assassiner en 908. K’āi-fong-fou devint la capitale de la nouvelle dynastie ; Tch’âng-nan fut abandonnée. Jadis, durant sa carrière de condottiere, Tchōu-wenn avait été très dur pour ses soldats. Quiconque s’engageait dans ses troupes, était tatoué au visage du numéro de sa compagnie. S’il désertait puis se laissait prendre, il était mis à mort sans procès. Par suite, des déserteurs innombrables s’étaient réunis dans les marais et les montagnes. Ces amas d’aventuriers pouvaient devenir dangereux. Tchōu-wenn qui les avait persécutés comme prétendant, 458 Textes historiques. II.a : de 420 à 906. les amnistia donc comme empereur. Presque tous rentrèrent dans leurs foyers et devinrent inoffensifs. Ainsi finit tristement la triste dynastie des T’âng, 21 empereurs, 289 ans. Princes noceurs et superstitieux, très populaires, parce qu’ils pratiquèrent et patronnèrent tous les vices de leur peuple. Tchōu-wenn ne fut pas accepté comme empereur sans conteste. Un peu partout, d’autres aventuriers se trouvèrent autant de droits que lui. La Chine fut morcelée, comme elle l’a été si souvent, et resta morcelée durant près de 70 ans. Pour l’année 906, l’Histoire compte cinq principautés considérables, Leâng, Tsínn, K’î, Chòu, Hoâi-nan ; et cinq principautés moindres, Où-Úe, Hôu-nan, Kīng-nan, Fôu-kien, Lîng-nan ; soit dix morceaux. De vrai, il y en eut davantage... En d’autres termes, presque tous les gouverneurs de provinces tentèrent la fortune, et se firent indépendants, d’abord sous couleur de fidélité aux T’âng, ensuite pour leur propre compte. Plusieurs se maintinrent très longtemps. On appelle cette période Où-tai, les Cinq (petites) Dynasties. Ces dynasties reconnues, ne furent pas toujours la principauté la plus puissante, ni la plus nationale, car il y eut des Turcs p.1524 parmi ces souverains. Ce qui les a fait reconnaître comme impériales par l’Histoire, c’est uniquement le fait, que les Leâng détruisirent les T’âng, les T’âng les Leâng, les Tsínn les T’âng, les Hán les Tsínn, les Tcheōu les Hán. Extermination successive, voilà le lien. Pendant ce temps, les autres principautés se pouillaient comme elles l’entendaient. Enfin les Sóng, ayant détruit les Tcheōu, conquirent tous les autres. Cette conquête, qui dura vingt ans, unifia le pays et reconstitua l’empire. On fait ordinairement précéder les noms des Cinq Dynasties, du caractère [] Heóu, postérieur ; parce que ces noms avaient déjà tous servi à des dynasties antérieures. Ainsi Heóu-Tcheōu signifie la dynastie Tcheōu postérieure à celle qui régna sur Chine de 1050 à 255 avant Jésus-Christ. @ 459