L`empereur Où - InvestigacionesHistoricaseuroAsiaticas

Transcription

L`empereur Où - InvestigacionesHistoricaseuroAsiaticas
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Léon WIEGER
S. J.
TEXTES
HISTORIQUES
Histoire politique de la Chine
TOME II
[a. De 420, début de la dynastie Song,
à 906, fin de la dynastie des T’ang]
Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole,
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Dans le cadre de la collection : “Les classiques des sciences sociales”
fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,
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Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque
Paul-Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi.
http://bibliotheque.uqac.ca
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
à partir de :
TEXTES HISTORIQUES,
Histoire politique de la Chine.
depuis l’origine, jusqu’en 1929.
par Léon WIEGER S. J. (1856-1933)
Imprimerie de Hien-hien, 3e édition, 1929, 2 tomes, 2103 pages.
Présente section : de la dynastie Song (période Sud et Nord, 420) à la fin de
la dynastie des T’ang (906), (Tome II, pages 1068-1524).
Police de caractères utilisée : Verdana, 10 pts.
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Cartes
Les cartes des Textes Historiques sont disponibles sur le site.
Les deux cartes de repérage XIV et XX sont à utiliser par défaut, lorsqu’un
numéro de carte n’est pas précisé dans le texte :
XIV, de l’an 317 à l’an 626.
XX, depuis l’an 627.
Édition complétée le 1er septembre 2007 à Chicoutimi, Ville
de Saguenay, Québec.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
TABLE
DES
SECTIONS
TOME I : jusqu’en 87 av. J.-C.
de 86 av. J.-C. à 419
SÉCESSION SUD et NORD
Dynastie SONG. Famille Liôu. 420-478.
L’empereur Où, 420 à 422 : Fin du royaume de Sī-Leâng. — Culte.
Liôu i-fou, 423 : Taoïsme.
L’empereur Wênn, 424 à 453 : dans le Nord. — Cochinchine. — Yûnn-nan. — Culte.
— Astronomie. [— Mort.]
L’empereur Hiáo-Où, 454 à 464 : Personnages. — Culte. — Mœurs.
Liôu tzeu-ie, 464.
L’empereur Mîng, 465 à 472.
Liôu-u, 473 à 476.
L’empereur Choúnn, 477 à 479.
Dynastie NAN-TS’I. Famille Siáo. 479-501.
L’empereur Kāo, 479 à 482.
L’empereur Où, 483 à 493. Anecdotes. — Culte.
L’empereur Mîng, 494 à 498.
Siáo pao-kuan, 499 à 501.
L’empereur Hoûo, 501 à 502.
Dynastie LEANG. Famille Siáo. 502-556.
L’empereur Où, 502 à 549. Culte. — Heôu-king.
L’empereur Kièn-wenn, 550 à 551.
L’empereur Yuân, Siáo-i, 552 à 554. Les Turcs.
L’empereur Kíng, Siáo fang tcheu, 555 à 556.
DYNASTIE TCH’ENN. Famille Tch’ênn, 557 à 588.
L’empereur Où, 557 à 559.
L’empereur Wênn, 560 à 566.
Tch’ênn pai-tsoung, 567 à 568.
L’empereur Suān, 569 à 582.
Tch’ênn chou-pao, dit Heóu-tchòu, 583 à 588.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
UNIFICATION DÉFINITIVE
DYNASTIE SOEI. Famille Yâng, 589-617.
L’empereur Wênn, 589 à 604. Culte.
L’empereur Yâng, 605 à 618.
DYNASTIE T’ANG. Famille Lì, 620 (618)-907.
L’empereur Kāo-tsou, 620 (618) à 626.
L’empereur T’ái-tsoung, 627 à 649. Anecdotes. — Politique extérieure et Guerres —
Culte. Sectes (Buddhisme, Taoïsme, Fōng-chán, Zoroastrisme, Nestorianisme,
Mahométisme, Mênn-chenn, Conclusion)
L’empereur Kāo-tsoung, 650 à 683. Politique extérieure et Guerres — Culte
L’empereur Tchoūng-tsoung, 684 à 710.
L’empereur Joéi-tsoung, 710 à 712.
L’empereur Huân-tsoung, 713 à 755. Politique extérieure, Guerres. —
L’empereur Sóu-tsoung, 756 à 762.
L’empereur Tái-tsoung, 763 à 779.
L’empereur Têi-tsoung, 780 à 804.
L’empereur Choúnn-tsoung, 805.
L’empereur Hién-tsoung, 806 à 820. [Hân-u]
L’empereur Móu-tsoung, 821 à 824.
L’empereur King-tsoung, 825 à 826.
L’empereur Wênn-tsoung, 827 à 840.
L’empereur Où-tsoung, 841 à 846. [Manichéisme].
L’empereur Suān-tsoung, 847 à 859.
L’empereur Í-tsoung, 860 à 873. Arabes.
L’empereur Hī-tsoung, 874 à 888.
L’empereur Tchāo-tsoung, 889 à 904.
Tchāo-Suān-ti, le dernier des T’âng, 905 à 907.
Notes :
Le voyage en Inde de Sóng-yunn et Hoéi-cheng. — Le devin Koàn-lou. — Le magicien
Tsoùo-tseu. — Le médecin Hoâ-t’ouo. — Les Hoâ. — Les Ephthalites. — L’Empire grec
d’orient. — Mœurs des Turcs. — Turcs et Grecs. — Itinéraires.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE SONG. Famille Liôu. 420-478.
L’empereur Où,
420 à 422.
Carte XIV — @
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Kién-k’ang (Nankin, K) continue d’être la capitale de l’empire.
Fin du royaume de Si-Leâng... En 420, tandis que Tsōu-k’iu Mông-sunn
roi de Pèi-Leâng guerroyait contre les Sī-Ts’inn, son cher voisin Lì-hinn jugea
devoir l’attaquer par derrière. Ses conseillers le blâmèrent. La reine douairière
Yìnn-cheu lui dit :
— Ton royaume vient à peine de naître. Il est étendu et peu
peuplé. Tu auras bien du mal à te maintenir. Cela étant, convient-il
que tu cherches noise aux autres ? Ton père mourant ne t’a-t-il pas
enjoint de ne prendre les armes qu’à la dernière extrémité ? Môngsunn ne t’a rien fait. Commence par être un bon roi dans ton petit
royaume, et attends les événements. Prends garde que ton
ambition ne te fasse faire des folies. Mon idée est que, si tu fais la
guerre, tu perdras et ton armée et ton trône...
Lì-hinn fut sourd à toutes les remontrances. Alors le conseiller Sóng-you dit :
— C’en est fait !
Lì-hinn marcha vers l’est, à la tête de trente mille hommes. Dès que Môngsunn l’apprit, il revint sur ses pas, attaqua l’armée de Lì-hinn et la battit. On
conseilla à Lì-hinn de se retirer au plus vite, pour couvrir du moins sa
capitale. Il répondit :
— J’ai entrepris cette guerre contre la volonté de ma mère ; je ne
puis me représenter devant elle, sans rapporter la tête de Môngsunn...
Il livra donc une seconde bataille, dans laquelle il fut tué. Ses frères Lì-fan et
Lì-sunn s’enfuirent dans l’Altaï. Mông-sunn fit son entrée à Tsiòu-ts’uan, et
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
annexa le Sī-Leâng. Il interdit à ses troupes toute violence et tout pillage ;
personne n’eut à
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souffrir. Il établit comme gouverneur à Tsiòu-ts’uan
son fils Tsōu-k’iu Móu-k’ien, prit à son service le fidèle Sóng-you, et revint à
Kōu-tsang sa capitale. Là il visita la douairière Yìnn-cheu, sa prisonnière, et
lui présenta ses condoléances...
— Mon pays est détruit, ma famille est ruinée, je suis esclave, ditelle ; pauvre femme, je n’ai plus qu’à mourir !..
Mông-sunn admira sa sagesse, lui donna la liberté, et maria sa fille à son
propre fils Móu-k’ien. Mông-sunn étant devenu ainsi le maître des Nân-chan,
ceux du Tarim lui firent hommage.
Culte... En l’an 421, l’empereur fit les offrandes impériales aux deux
tertres du Ciel et de la Terre ; amnistie. Puis il donna ordre de supprimer tous
les sacrifices non autorisés (d’introduction récente), à commencer par ceux
qu’on faisait à Tsiàng tzeu-wenn. Ce Tsiàng tzeu-wenn, né à Koàng-ling,
officier durant les dernières années de la dynastie Heóu-Hán, mourut d’une
blessure reçue au front, alors qu’il pourchassait des brigands. Quelques
années plus tard, un de ses anciens subordonnés le rencontra. Il était
exactement le même, que jadis, de son vivant. Effrayé, notre homme s’enfuit.
Tsiàng tzeu-wenn courut après lui, le rattrapa et lui dit :
— J’ai été nommé Génie tutélaire de ce district, pour le bien de
ses habitants. Fais-leur savoir, de ma part, qu’ils aient à me faire
des offrandes...
Une autre fois, se servant d’un magicien comme médium, Tsiàng tzeu-wenn
fit dire au roi de Oû, qu’étant l’auteur de sa fortune, il attendait de lui un culte
officiel. Le roi de Oû lui fit élever un temple, et l’honora d’un titre.
En 422, l’empereur étant tombé malade, tandis que les grands ministres
le soignaient, les petits officiers priaient pour lui les Génies du ciel et de la
terre. L’empereur l’ayant appris, leur ordonna de cesser. Il envoya seulement
Síe fang-ming au temple de la famille, pour annoncer sa
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maladie aux
Ancêtres (Annales p. 213 seq.).. Ces traits prouvent que Liôu-u était
Confuciiste, ou par conviction, ou par politique.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 422, au cinquième mois, l’empereur sentant approcher sa fin, fit
appeler le prince héritier Liôu i-fou, et lui dit :
— Que désormais, durant les minorités, les ministres soient
Régents ! Que jamais aucune impératrice ne gouverne comme
Régente !..
Puis, ayant donné ses derniers avis à Sû sien-tcheu, Fóu-leang, Síe-hoei et
T’ân tao-tsi, Liôu-u expira, après trois années de règne, âgé de 67 ans. On
l’ensevelit au septième mois. Liôu i-fou monta sur le trône. Il avait 17 ans.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Liôu i-fou,
423.
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Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre impérial posthume.
Les Tongouses T’ou-kou-hounn du Koukou-nor font hommage aux Sóng,
c’est-à-dire qu’ils se déclarent contre leurs voisins les Wéi.
Vexés par les Jeóu-jan, ceux-ci reconstruisent et perfectionnent la Grande
Muraille, sur une étendue de deux mille lì, à travers l’anse ascendante du
Fleuve, et la munissent de forts et de garnisons. Tranquilles du côté du nord,
les Wéi commencèrent ensuite à guerroyer contre l’empire.
Depuis que Liôu-u avait pris Tch’âng-nan (p. 1059), ils avaient payé à
l’empire une espèce de tribut. Après sa mort, ils le refusèrent, et résolurent
de s’emparer de Láo-yang (L), Hòu-lao et Hoâ-t’ai, citadelles qui, bordant le
Fleuve au sud, couvraient l’empire contre les incursions du nord. Leur général
Hī-kinn passa le Fleuve avec 30 mille hommes. Le dernier prince de sang des
Tsínn, Sēu-ma tch’ou-tcheu, se donna aussitôt à lui, et devint général au
service des Wéi (p. 1064). Un coup de main sur Hoâ-t’ai ne lui ayant pas
réussi, Hī-kinn demanda des renforts. Le roi de Wéi entra lui-même en
campagne avec
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une armée de 50 mille hommes, tandis que le prince
royal conduisait des renforts à Hī-kinn. Hoâ-t’ai fut enlevé de vive force, puis
Hī-kinn alla assiéger Hòu-lao, défendu par le général Mâo tei-tsou. Une armée
Wéi inquiéta Láo-yang ; une autre envahit le Chān-tong ; une troisième vint
renforcer Hī-kinn... Láo-yang fut pris.
Commandés
par
T’ân
tao-tsi
et
Wâng
tchoung-tei,
les
impériaux
s’avancèrent pour couvrir P’eng-tch’eng (a). Chôu-sounn kien marcha contre
eux du Chān-tong ; mais les impériaux ayant ramassé le peuple dans les
places fortes, et ayant détruit toutes les moissons, les Wéi ne trouvant pas de
quoi subsister, durent se retirer.
Cependant, à Hòu-lao, Mâo tei-tsou tenait toujours contre Hī-kinn, Koūngsounn piao, et l’élite des troupes de Wéi. Quand les assiégeants furent bien
installés, les assiégés creusèrent dans la ville un puits profond de sept toises.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Du fond de ce puits, ils poussèrent six galeries souterraines divergentes,
jusque par delà les camps des assiégeants. Une belle nuit, 400 braves
déterminés, sortant de dessous terre, assaillirent les Wéi par derrière, et leur
firent une telle peur, qu’ils purent incendier tous les parcs de siège, tuer pas
mal de monde, rentrer dans leurs trous, les boucher, et revenir sains et saufs.
Cependant les Wéi, un moment interdits, reprirent le siège avec une vigueur
nouvelle... Or jadis Mâo tei-tsou avait été lié d’amitié avec Koūng-sounn piao.
Il envoya un émissaire chuchoter à l’oreille de Hī-kinn, que les deux anciens
amis s’entendaient. Hī-kinn crut à cette calomnie, et en fit part au roi de Wéi,
lequel fit étrangler Koūng-sounn piao dans sa tente, durant la nuit, sans
jugement.
A l’est, scènes analogues au siège de Tōng yang-tch’eng par Chôu-sounn
kien. La ville était défendue par Tchóu-k’oei, avec 1500 hommes de garnison,
tout au plus. La cavalerie des Wéi bloquait la place, tandis que leurs
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sapeurs exécutaient les travaux d’approche. La ville était entourée de quatre
fossés concentriques. Les Wéi en comblèrent trois, et approchèrent du pied
des remparts leurs béliers roulants. Sortis par des galeries souterraines, les
assiégés y attachèrent des câbles, puis les hissèrent sur leurs remparts. Les
Wéi entourèrent la ville d’un mur de circonvallation, puis attaquèrent le
rempart avec de nouvelles machines, et en firent écrouler un pan. L’indécision
de Chôu-sounn kien, qui n’osa pas donner l’assaut aussitôt après la chute du
mur, rendit ce succès inutile... Enfin l’été étant survenu, une maladie
contagieuse éclata parmi les assiégeants, et en eut mis bientôt plus de la
moitié hors de combat.
— Mieux vaut reculer, avec les hommes qui me restent, dit Chôusounn kien, que de les perdre tous ici.
Il brûla donc ses baraques et ses machines, puis se retira. T’ân tao-tsi qui
manquait de vivres, ne put pas l’inquiéter. Jugeant la ville incapable de
soutenir un nouveau siège, Tchóu-k’oei l’abandonna et se retira à Pôu-k’itch’eng, avec armes et bagages.
Chôu-sounn kien mena les restes de son armée à Hī-kinn, qui assiégeait
Hòu-lao depuis 200 jours, livrant un combat chaque jour, avec des pertes
énormes. Étant arrivé à faire brèche au rempart, il s’aperçut que Mâo tei-tsou
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
en avait construit deux autres à l’intérieur. La seconde enceinte ayant été
forcée, les assiégés défendirent la troisième. Il veillaient avec tant de
vigilance, qu’officiers et soldats en eurent des maux d’yeux. Cependant Mâo
tei-tsou les traitant fort bien, personne ne songeait à capituler. Ils espéraient
que T’ân tao-tsi viendrait enfin à leur secours. Vaine espérance ! Enfin, par
des galeries souterraines, les Wéi dérivèrent l’eau des citernes et des puits de
la ville. Décimée par le fer, la garnison eut bientôt à souffrir les horreurs de la
faim, de la soif, et de la maladie. Enfin les Wéi prirent d’assaut
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la
dernière enceinte...
— Fuyez avec nous, dirent à Mâo tei-tsou malade, quelques braves
déterminés...
— J’ai juré de périr avec cette ville, dit le commandant ; je ne lui
survivrai pas !..
Cependant le roi de Wéi, qui admirait son courage, avait donné ordre de le lui
amener vivant. Teóu tai-t’ien le prit. De tous ses officiers, Fán tao-ki seul
échappa, avec 300 hommes, qui se firent jour à travers les rangs des
assiégeants. Le siège de Hòu-lao avait coûté aux Wéi plus des trois dixièmes
de leur armée. Sa prise leur valut la possession des vallées de la Láo, de la
Hán, et du Chān-tong. — De plus, les indigènes Mân du sud-ouest, et le
royaume de Sī-Ts’înn, se reconnurent leurs tributaires.
En 423, le roi de Wéi, T’oûo-pa seu, étant mort, son fils T’oûo-pa tao lui
succéda.
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Taoïsme... Ts’oēi-hao, conseiller de Wéi, avait étudié à fond tous les
livres. Il était consulté, en dernier ressort, sur les rites, les affaires, et le
reste. Or Ts’oēi-hao avait en abomination les doctrines de Lào-tzeu et de
Tchoāng-tzeu. Il détestait le Buddhisme, plus encore que le Taoïsme. Des
princes et des ministres, que cette incrédulité choquait, desservirent Ts’oēihao auprès du roi de Wéi, qui le priva de sa charge.
L’histoire a noté, de ce personnage, sa beauté et sa vanité féminines...
Quand il fut disgracié, il se mit en tête d’imiter Tchāng-leang (p. 314), et
s’appliqua à l’étude de la diététique taoïste.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Or un certain K’eóu k’ien-tcheu (p. 788), táo-cheu sur le mont Sōng,
ayant étudié les grimoires de Tchāng tao-ling, et ayant été favorisé
d’apparitions de Lào-tzeu, ce patriarche lui avait révélé le dernier mot sur l’art
de vivre sans manger et de s’élever dans l’espace, et l’avait chargé de donner
une organisation à la secte taoïste. L’Immortel Lì p’ou-wenn, un descendant
de Lào-tzeu, le gratifia aussi d’un grimoire, et le députa au Prince
Transcendant et
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Pacifique du Nord (le roi de Wéi), dont il devait être le
ministre et l’auxiliaire, dans la promulgation des Règles du Palais Céleste.
K’eóu k’ien-tcheu ayant présenté ses grimoires et fait part de sa mission au
roi de Wéi, la plupart des conseillers se montrèrent très incrédules.
Converti par la disgrâce, ou considérant la simulation comme un moyen
de rentrer en grâce, Ts’oēi-hao sa fit le patron de K’eóu k’ien-tcheu, et écrivit
au roi ce qui suit :
Quand un roi sage occupe le trône, le Ciel lui fait quelque faveur.
Jadis un dragon et une tortue apportèrent à Fôu-hi et à Ù le Grand
les diagrammes tracés en signes mystérieux. A vous, les Immortels
ont fait remettre un écrit en caractères lisibles, plein de sens
profonds. C’est là une faveur supérieure à celle que reçurent les
grands Anciens. Vous qui vous appliquez à tant de considérations
mondaines,
négligeriez-vous
les
avis
des
Intelligences
transcendantes ?
Bien entendu, ces flatteries plurent énormément au Tongouse T’ouo-pa
tao roi de Wéi. Il envoya offrir du jade, de la soie, et des victimes, au mont
Sōng. Il reçut à sa cour K’eóu k’ien-tcheu, décida que ses disciples
l’appelleraient Maître céleste, et lui permit de propager ses doctrines sous son
patronage royal. Lui-même érigea, en 423, dans un faubourg de sa capitale,
sur une aire plane, un tertre géminé à cinq assises, près duquel ou tint un
festival chaque mois. Ces faits donnèrent au Taoïsme une grande vogue.
(Voyez HCO, L. 61.)
An 424... Liôu i-fou observa très mal les préceptes rigoureux de la
période du deuil. Il se permit œillades, batifolage, et autres crimes. Les
Régents le tancèrent en vain. Alors Sû sien-tcheu prenant l’initiative de sa
dégradation, convoqua T’ân tao-tsi, tandis que Síe-hoei réunissait les troupes
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
nécessaires et les introduisait au palais, avec l’aide
p.1075
de Hîng nan-k’ang
et de P’ān-cheng. La nuit qui précéda le coup d’État, Síe-hoei ne ferma pas
l’œil, T’ân tao-tsi dormit à poings fermés. Liôu i-fou était au parc impérial,
occupé à une buverie nocturne. Il dormit dans une barque, sur l’étang du
parc. Au matin, T’ân tao-tsi entré au palais sans éprouver de résistance, le fit
prisonnier, après avoir tué deux de ses domestiques. On lui enleva le sceau
de l’empire, les officiers lui firent un salut d’adieu, ensuite il fut conduit
provisoirement à l’hôtel qu’il occupait jadis étant prince impérial. Puis les
Régents produisirent un édit supposé de l’impératrice douairière, laquelle,
après un long réquisitoire, détrônait Liôu i-fou et le remplaçait par son frère
Liôu i-loung. Hîng nan-k’ang reçut ordre officiel de conduire Liôu i-fou au lieu
de son exil, et ordre secret de le supprimer en route. Liôu i-fou se douta de la
seconde partie du programme. Comme il était très vigoureux, au départ, il se
débattit, échappa à ses gardes et courut jusque dans un faubourg de la
capitale, où il fut rejoint et massacré. Il avait 19 ans. — Quand son frère Liôu
i-loung arriva à la capitale, les officiers sortirent à sa rencontre. Au palais, ils
lui présentèrent les insignes du pouvoir suprême. Il refusa quatre fois,
conformément aux rites, puis accepta, monta sur le trône, proclama une
amnistie, alla visiter les Ancêtres, etc. Il avait 17 ans. Son règne durera 30
ans.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Wênn,
424 à 453.
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En 425, Sû sien-tcheu et Fóu-leang résignèrent leurs fonctions de
Régents. L’empereur refusa trois fois, conformément aux rites, puis gouverna
par lui-même... Peu à peu Wênn-ti devint hostile aux hommes qui l’avaient
élevé au trône. Fut-ce piété fraternelle, ressentiment de la mort de son
frère ? Fut-ce crainte d’être traité comme lui, s’il venait à leur déplaire ?
L’histoire insinue un troisième motif, l’ambition
p.1076
des familiers de
l’empereur, qui convoitaient leurs places et leurs émoluments. Bref, sous
prétexte de préparer la guerre contre les Wéi, l’empereur arma contre les
auteurs de sa fortune. Son secret fut bientôt divulgué. Prévenu par un parent,
Síe-hoei arma pour se défendre. Chose singulière, l’empereur chargea de
punir les instigateurs du coup d’État, celui-là même qui l’avait exécuté, T’ân
tao-tsi. Un édit impérial mit hors la loi Sû sien-tcheu Fóu-leang et Síe-hoei,
comme assassins d’un empereur. Le même édit ordonnait à T’ân tao-tsi de les
poursuivre, et à Liôu-ts’oei de leur couper la retraite. Sû sien-tcheu se pendit.
Fóu-leang fut tué. Síe-hoei qui avait réuni 30 mille partisans, fut abandonné
par eux au premier choc. Pris dans sa fuite vers le nord, avec son frère Síetounn, il fut conduit à la capitale dans une cage roulante, et exécuté.
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Voyons ce qui se passe dans le Nord. — Chez les Tongouses T’ou-kouhounn du Koukou-nor, en 424, mort du khan Neue-tch’ai. Il avait vingt fils.
Quand il se sentit près de sa fin, il les réunit tous dans sa tente, ainsi que
tous ses frères, et leur dit :
— Après ma mort, votre oncle Mou-koei sera votre khan...
Puis il demanda à ses fils de lui remettre chacun une flèche. Des vingt
flèches, il tendit la première à son frère Mou-li-yen, et lui dit de la briser, ce
que celui-ci fit facilement. Il lui tendit ensuite le faisceau des 19 autres, que
Mou-li-yen ne put pas rompre...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Comprenez-vous ? demanda Neue-tch’ai à ses enfants. Si vous
vous séparez, vous serez brisés un à un ; si vous restez unis, vous
vivrez heureux et tranquilles...
Cela dit, il expira.
Mou-koei fut un très bon khan. Ayant ouvert ses hordes aux transfuges
des Nân-chan, aux Tangoutains et aux Tibétains qui voulurent se donner à lui,
il eut bientôt à son service des centaines d’habiles canailles, et son prestige
s’accrut notablement.
p.1077
En 424, Keue-cheng-kai khan des Jéou-jan ayant
appris la mort de T’ouo-pa seu roi de Wéi, jugea l’occasion favorable pour
rétablir ses affaires, et envahit le nord avec soixante mille chevaux. Surpris,
T’oûo-pa tao s’élança contre lui, avec sa cavalerie légère seulement. Une
chevauchée ininterrompue de trois jours et trois nuits, le mit en présence de
ses adversaires. Supérieurs en nombre, les Jeóu-jan l’enveloppèrent. Les Wéi
eurent peur. T’oûo-pa tao ne changea pas de visage. Alors ses hommes
reprirent aussi courage. Une flèche adroitement lancée ayant tué U-cheekinn, le neveu de Keue-cheng-kai et le meilleur capitaine des Jéou-jan, ceuxci prirent peur à leur tour et se retirèrent.
En 425, grande expédition des Wéi contre les Jeóu-jan. Cinq colonnes
indépendantes. Le Gobi traversé du sud au nord, par la cavalerie légère, sans
bagages, chaque cavalier portant pour quinze jours de vivres. Désarroi des
Jeóu-jan surpris, lesquels abandonnant la plaine mongole, se réfugient vers le
lac Baïkal.
Comme corollaire de ce succès, les tribus tibétaines les plus avancées vers
le nord, transportèrent leur allégeance aux Wéi, à la mode nomade, c’est-àdire jusqu’au jour où, pour l’intérêt d’alors, ils la retransporteront aux Jeóujan.
Chez les Huns de Hiá, en 425, mort du khan roi Heue-lien Poúo-pouo, à
qui son fils Heue-lien Tch’āng succède.
En 426, le roi de Wéi marche en personne contre les Hiá, voisins remuants
et urticants. C’est par le sommet de la boucle, qu’il envahit leurs plaines,
après avoir passé le Fleuve sur la glace. T’oùng-wan, le douar royal, fut
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
investi par la cavalerie légère des Wéi, au moment où le roi festoyait avec ses
officiers. Sorti en toute hâte pour livrer bataille, celui-ci fut bousculé et
reconduit l’épée dans les reins, par l’avant-garde des Wéi, jusque dans le
douar, jusque dans son palais, auquel les Wéi
p.1078
mirent le feu. Revenus
de leur stupeur, les Hiá fermèrent les portes. Trop faibles pour résister, les
Wéi s’échappèrent par-dessus les murs. Pour cette fois, le roi de Wéi se
retira,
emmenant
dix
mille
familles
de
prisonniers,
après
avoir
consciencieusement massacré pillé ravagé et brûlé tout le district de T’oùngwan... Durant cette invasion par le nord, Hī-kinn avait pris Tch’âng-nan (T)
par le sud, et avait soumis les hordes de Tangoutains et de Tibétains établies
dans ses environs... Edifiés de ces succès, les Leâng des Nân-chan, et les
Tangoutains du Tsaïdam, firent alliance avec les Wéi.
En 427, le prince Hiá, Heue-lien Ting, chercha à déloger Hī-kinn de
Tch’âng-nan. Pendant que ces deux capitaines étaient aux prises, jugeant que
T’oùng-wan, le douar royal des Hiá, devait être dégarni, T’oûo-pa tao essaya
de l’enlever par un raid semblable à celui de l’année précédente. Il risqua
l’aventure lui-même, avec 30 mille cavaliers. Ses conseillers insistèrent pour
lui faire emmener l’infanterie nécessaire en cas de siège.
— C’est une surprise, que je médite, et non un siège, dit T’oûo-pa
tao.
Il partit, après avoir établi le reste de son armée dans un camp retranché,
à mi-chemin. Arrivé en vue de T’oùng-wan, il cacha ses escadrons dans une
vallée profonde, et approcha de la ville avec une petite troupe seulement. Les
Hiá commencèrent par l’observer. Après avoir examiné la place, T’oûo-pa tao
fit mine de reculer. Or il avait préalablement fait passer aux Hiá quelques
faux déserteurs, pour leur faire croire qu’il n’était venu qu’avec un faible
corps de cavalerie, sans infanterie et sans bagages ; qu’on l’enlèverait donc
aisément. Ses mouvements confirmant le récit des déserteurs, Heue-ling
Tch’āng sortit avec 30 mille hommes. Alors T’oûo-pa tao, simulant la fuite,
tira vers la vallée où ses escadrons étaient cachés. Les Hiá se déployèrent,
pour l’envelopper, avec
p.1079
grands cris et grand tapage. Soudain un vent
impétueux se mit à souffler contre les Wéi, leur jetant le sable au visage, et
obscurcissant le ciel.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Le Ciel est pour les Hiá, soupira l’eunuque Tcháo-i...
— Tais-toi ! lui dit Ts’oēi-hao. L’interprétation des phénomènes
naturels, est pure ineptie ; chacun y voit ce qu’il lui plaît...
A ce moment, débouchant de la vallée, les escadrons Wéi chargèrent les Hiá.
Le combat fut terrible. Son cheval s’étant abattu, T’oûo-pa tao allait être pris,
quand T’oûo-pa ts’i mit pied à terre, le couvrit de son corps et lui fit
enfourcher son cheval. Quoique blessé, le roi continua de combattre. Enfin les
Hiá lâchèrent pied et se débandèrent. Craignant d’être pris s’il rentrait dans
T’oùng-wan avec la cohue des fuyards, Heue-lien Tch’āng s’enfuit d’une
traite, jusqu’à Koēi, dans la haute vallée de la Wéi. De fait, une troupe de
Wéi, le bouillant T’oûo-pa tao en tête, pénétra dans la ville et jusque dans le
palais. Cependant les Hiá, ayant réussi à fermer les portes, le roi faillit être
tué. Ses hommes lui firent franchir les murs, au moyen de leurs habits tordus
en cordes, et de leurs longues lances. Le lendemain, le douar dut capituler.
T’oûo-pa tao prit tous les officiers de Hiá, tout le harem du roi, plus de 10
mille personnes, 300 mille chevaux, 10 millions de bœufs et de moutons, tout
le trésor, les bannières et les bibelots du royaume. Il livra tout le butin à ses
officiers et soldats.
Quand Heue-lien Tíng apprit la prise de T’oùng-wan, il leva le siège de
Tch’âng-nan, et alla rejoindre Heue-lien Tch’āng à Koēi.. Le roi de Wéi voulait
en rester là. De grâce, lui dit Hī-kinn, dénichez-les à Koēi, et c’en sera fait des
Hiá. Il insista tant, que le roi de Wéi le chargea de l’entreprise. Lui-même
revint à sa capitale, où il fit son entrée au huitième mois. Dans cette
campagne, T’oûo-pa tao s’était révélé comme le brave des braves. Alors que
les
p.1080
flèches et les pierres pleuvaient sur lui, tuant ses officiers à ses
côtés, il ne changea jamais de visage. Vêtu et nourri comme ses hommes, il
était aimé et craint, et pouvait compter sur l’entier dévouement de tous et de
chacun. Après ses victoires, ses officiers lui dirent :
— Maintenant il vous faut fortifier votre capitale, et y bâtir un
palais, pour en imposer par votre magnificence, comme dit jadis
Siáo-heue à Liôu-pang le fondateur des Hán (p. 290)...
T’oûo-pa tao répondit :
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Un roi doit en imposer par sa vertu, et non par sa magnificence,
ont dit les anciens, non sans raison, et Siáo-heue a eu tort de
parler à Liôu-pang autrement qu’eux.
En 428, Heue-lien Tch’āng ayant passé de Koēi à P’îng-leang vers les
sources de la Kīng, Hī-kinn marcha contre lui. Bientôt une maladie des
chevaux, et le manque de vivres, arrêtèrent sa marche. Il se retrancha. Le roi
de Hiá se mit à l’inquiéter jour et nuit, harcelant et enlevant ses fourrageurs.
Les officiers maugréèrent contre Hī-kinn. Nān-hie lui dit :
— Décidez-vous ! Mieux vaut périr de la main de l’ennemi, qu’être
décapité comme général vaincu. D’ailleurs nous sommes entourés.
Si nous n’arrivons pas à nous faire jour à travers les ennemis, il
nous faudra mourir, ou par le fer, ou par la faim. Le premier de ces
deux genres de mort me paraît préférable...
— Je n’ai pas de chevaux, dit Hī-kinn...
— Donnez-moi ceux des officiers, dit Nān-hie ; il y en a 200 ;
j’enlèverai Heue-lien Tch’āng, lequel s’aventure imprudemment
dans les reconnaissances et dans les mêlées...
Hī-kinn n’arrivant pas à se décider, Nān-hie s’entendit secrètement avec
quelques cavaliers d’élite. Heue-lien Tch’āng étant venu reconnaître la ville,
Nān-hie l’enleva et l’envoya à T’oûo-pa tao, qui l’enferma, mais le traita bien,
et lui donna sa propre sœur en mariage... Heue-lien Tíng monta sur le trône
de Hiá... Humilié par ce succès obtenu malgré lui, Hī-kinn voulut
p.1081
lui
aussi avoir la face. Il chercha à enlever Heue-lien Tíng, comme Nān-hie avait
enlevé Heue-lien Tch’āng. Mais un petit officier qu’il avait puni, déserta et
vendit aux Huns le secret de son raid. Ceux-ci lui tendirent une embuscade.
Sept mille Wéi périrent. Hī-kinn fut pris. Les Hiá reprirent toute la vallée de la
Wéi, et même la ville de Tch’âng-nan. Furieux de ce revers, T’oûo-pa tao mit
à mort son beau-frère et prisonnier Heue-lien Tch’āng.
En 429, les Tīng-ling (Kirghiz) de la Dzoungarie (18), reconnurent la
suzeraineté de T’oûo-pa tao. Ils furent bien reçus, parce qu’ils pouvaient
servir utilement les Wéi contre les Jeóu-jan.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 430, Heue-lien Tíng roi de Hiá sollicita l’alliance de l’empire, offrant de
partager le Nord avec les Sóng. Quand T’oûo-pa tao apprit ces projets de
vivisection, ils lui déplurent, naturellement. Il prépara donc une nouvelle
campagne contre les Hiá.
Fort opportunément, K’i-fou Mou-mouo khan et roi des Sī-Ts’înn pressé
par les Pèi-Leâng, s’offrit à le servir. T’oûo-pa tao lui offrit le territoire des
Hiá, comme ceux-ci avaient offert le sien aux Sóng, à charge de le conquérir,
bien entendu. Mou-mouo mit le feu à son ancien douar, détruisit tout ce qu’il
possédait d’objets précieux, et envahit la haute vallée de la Wéi, traînant à sa
suite quinze mille familles. Les Hiá se mirent sur la défensive. Mou-mouo
s’arrêta. Derrière lui, les T’ou-kou-hounn du Koukou-nor occupèrent le
territoire qu’il venait d’abandonner, au nez des Pèi-Leâng.
Au onzième mois, T’oûo-pa tao fit envahir le pays entre la Muraille et la
Wéi, par son général Kòu-pi. Heue-lien Tíng se retourna contre les Sī-Ts’înn et
les entoura. Bientôt la famine fut telle dans le douar de ces pauvres
émigrants, qu’ils se dévorèrent les uns les autres. K’i-fou Mou-mouo capitula.
Heue-lien Tíng le massacra. Ainsi finirent les Tongouses K’i-fou de
p.1082
Sī-
Ts’înn, en 431.
Au sixième mois de la même année, sentant qu’il ne pourrait pas tenir
contre les Wéi, Heue-lien Tíng tenta à son tour d’émigrer. Traînant à sa suite
plus de cent mille habitants de la vallée de la Wéi, il essaya de passer le
fleuve, pour aller s’établir dans les Nân-chan. Mou-koei khan des T’ou-kouhounn, attendit qu’il eût effectué son passage à demi, le prit, et massacra ses
gens sur les deux rives. — Devenu ainsi le voisin des Wéi, Mou-koei chercha à
se faire bien venir de T’oûo-pa tao, en lui envoyant son prisonnier. T’oûo-pa
tao le mit à mort. Ainsi finirent les Hiá, Huns de la horde Heue-lien, en 432.
Racontons maintenant la fin des Pèi-Yén... Jadis, en 425, dans le pays de
Yén, un beau jour une fille se trouva transformée en garçon. Ne riez pas !
C’est grave ! Désordre dans les Deux Principes !.. Le roi de Yén demanda à
ses Sages l’interprétation du phénomène. Fóu-k’uan lui dit :
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Jadis la ruine des Ts’iên-Hán fut annoncée par la transformation
d’une poule en coq. Ce qui vient d’arriver, est bien plus fort. Je
pense que ce signe concerne votre royaume.
Accomplissement de la prophétie, en 430. Fông-pa roi de Yén (p. 1044)
étant tombé gravement malade, ordonna à son héritier désigné Fông-i de
prendre le commandement de la garde, en vue des événements possibles. Or
la dame Sông qui voulait procurer le trône à son propre fils, dit à Fông-i jeune
homme pieux et timide :
— Si vous faites cela, et que, comme c’est probable, le roi vient à
guérir, on dira que vous aviez l’air bien pressé de lui succéder...
Fông-i ne fit donc aucun préparatif. Alors la dame Sóng confia ses intérêts à
Fông-houng, frère du roi. Celui-ci occupa le palais avec une troupe de
cuirassiers. Fông-pa mourut de peur, ou autrement. Au lieu de mettre sur le
trône le fils de la dame Sóng, Fông-houng s’y assit
p.1083
lui-même, et
massacra tous les princes du sang Fông, au nombre de plus de cent.
En 435, pressé par les Wéi, Fông-houng s’aboucha avec l’empire, offrant
de lui payer tribut. L’empereur le reconnut comme roi de Yén. Cette
reconnaissance ne lui servit guère.
Les Wéi le pressant de plus en plus, et les Sóng n’arrivant pas à son
secours, Yâng-minn lui conseilla d’envoyer son fils à Kién-k’ang, pour y servir
dans la garde impériale, manière d’attendrir l’empereur...
— Quand je serai à bout, je demanderai plutôt du secours aux
Coréens, dit Fông-houng...
— Ce coin-là, dit Yâng-minn, n’est pas capable de résister aux Wéi.
D’ailleurs les Coréens sont fourbes et traîtres ; ils vous vendront...
Fông-houng fit la sourde oreille, et envoya un ambassadeur aux Coréens.
En 436, les Wéi envahirent Yén. Les Coréens envoyèrent quelques
troupes, non pour défendre Yén, mais pour recevoir le roi, s’il était battu, ce
qui arriva en effet. Abandonnant sa capitale Loûng-tcheng (9), Fông-houng se
retira vers la Corée, emmenant les populations, brûlant les habitations,
ravageant le pays.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ce que Yâng-minn avait prédit à Fông-houng, arriva en 438. Les relations
du roi détrôné avec l’empire, déplurent au roi de Corée, qui le fit mettre à
mort, avec ses dix fils et petits-fils. Ainsi finit le royaume Pèi-Yén des Fông
(Chinois).
Après les Pèi-Yén, les Pèi-Leâng... Wéi, cherchait un prétexte pour entrer
en matière. Or le Sramana T’an-ou-tch’an, originaire du pays de Kaboul, qui
évoquait les démons et guérissait les maladies par ses formules magiques,
avait gagné la confiance du roi hun Tsōu-k’iu Mông-sunn, au point que celui-ci
avait mis à son école ses femmes et ses filles (cf. p. 1041). T’oûo-pa tao qui
avait une parente dans son harem, trouva la chose inconvenante, et lui
envoya, en 432, un député
p.1084
chargé de le reprendre. Mông-sunn se
fâcha, emprisonna puis tua l’envoyé. Wéi avait le casus belli désiré. D’ailleurs, dit l’Histoire, Mông-sunn était cruel, débauché, et haï du peuple.
En 433, Mông-sunn étant tombé grièvement malade, ses Huns trouvant
l’héritier désigné P’ôu-t’i trop jeune, exigèrent qu’il le remplaçât par Móu-kien,
adulte, instruit et prudent. Mông-sunn étant mort, Móu-kien fit au roi de Wéi
des excuses, qui le calmèrent provisoirement.
En 435, un vieillard afficha un écrit à la porte orientale de Toūnn-hoang,
puis disparut. L’écrit portait : les 30 années (vie) du roi de Leâng, se
réduiront à 7 ans... Móu-kien consulta Tchāng-chenn.
— Jadis, dit celui-ci, un Chênn descendit à Sīnn, pour annoncer la
ruine de Koâi (p. 115). Amendez-vous, gouvernez bien, et les 30
années vous seront peut-être rendues. Si vous vous adonnez à
l’oisiveté et à la débauche, dans 7 ans c’en sera fait de vous...
L’interprétation déplut à Móu-kien.
En 439, T’oûo-pa tao proposa à son conseil de faire la guerre aux PèiLeâng. Lì-chounn parla fortement contre le projet royal.
— Kōu-tsang (Kān-tcheou) dit-il, est situé dans un désert pierreux,
sans eau, sans herbe, sur la pente de montagnes neigeuses, dont
les torrents, captés par les indigènes, servent à l’irrigation,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
condition nécessaire de toute culture. Ils couperont leurs canaux,
et notre armée privée d’eau, ne pourra pas tenir dans ce pays...
— S’il en était comme vous dites, répliqua Ts’oéi-hao, comment ce
pays nourrirait-il tant de bestiaux et de troupeaux ?..,
— Je sais ce que je dis, dit Lì-chounn...
— On vous a payé pour le dire, dit Ts’oéi-hao...
Cette altercation déplut au roi de Wéi, qui se fâcha et leva la séance.. I-pouo
lui dit :
— De fait si le Pèi-Leâng était fait comme a dit Lì-chounn,
comment pourrait-on y vivre ? Ts’oēi-hao doit avoir raison.
Le roi de Wéi se décida donc à faire
p.1085
la guerre. Il commença par
lancer un manifeste, dans lequel il accusait Móu-kien de douze péchés. Ce
factum se terminait par les conclusions substantielles suivantes, adressées à
Móu-kien :
« Venez vite vous prosterner devant nous ; ce sera le mieux.
Attendre, pour vous rendre à merci, que nous soyons arrivés chez
vous, ce sera moins bien. Que si vous vous défendez, je devrai
vous tuer.
Au septième mois, arrivé parmi les nomades tributaires, le roi de Wéi
chargea le petit khan Yuân-heue de guider son armée, et de dresser le plan
de la campagne.
— Autour de Kôu-tsang, dit celui-ci, campent quatre hordes de
Tongouses Sièn-pi, mes parents et amis. Laissez-moi prendre les
devants. Je vous les gagnerai. Entourée et isolée, la ville sera facile
à prendre...
— Bien, dit le roi de Wéi.
Cependant Móu-kien averti de ce qui se préparait, appela à son aide les
Jeóu-jan, et envoya contre les Wéi son frère Tòng-lai, avec dix mille hommes
qui s’enfuirent dès qu’ils virent l’ennemi. Arrivé devant Kōu-tsang, T’oûo-pa
tao somma Móu-kien de se rendre. Celui-ci qui attendait l’effet de la diversion
promise par les Jeóu-jan, refusa. Toûo-pa tao investit la place. Yuân-heue lui
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
amena trente mille Tongouses gagnés aux Wéi. T’oûo-pa tao bloqua la place
pour l’affamer... Voyant que le pays de Kōu-tsang était bien arrosé, herbeux
et fertile, T’oûo-pa tao gronda Lì-chounn et loua Ts’oēi-hao.
Au neuvième mois, les assiégés perdirent courage et se débandèrent.
Móu-kien, ses officiers, ses fidèles, cinq mille personnes en tout, se rendirent
à merci, avec l’appareil humiliant de ces cérémonies. T’oûo-pa tao les reçut
bien. Il donna à Yuân-heue les 200 mille âmes qui se trouvèrent dans la ville,
et les petites hordes qui avaient fait leur soumission séparément. Il prit
ensuite Tcháng-ie, Tsiòu-ts’uan, la ligne entière des Nân-chan. Ainsi finit le
royaume de Pèi-Leâng des Huns Tsōu-k’iu.
Revenu à sa capitale
p.1086
P’ïng-Tch’eng, T’oûo-pa tao donna à Móu-kien
une de ses sœurs. Il en avait, paraît-il, de disponibles pour toutes ses
victimes. Ces pauvres filles étaient bientôt veuves.
En 440, Oû-hoei, frère de Móu-kien, s’empara de Tsiòu-ts’uan. En 441,
T’oûo-pa tao envoya une expédition contre lui, et reprit la ville.
En 442, traînant à sa suite plus de dix mille familles, Oû-hoei passa chez
les Chán-chan du Lob-nor. La marche à travers le désert, coûta la vie à la
moitié de son monde. Pì-loung, roi des Chán-chan, effrayé de cette invasion,
s’enfuit à Ts’ìe-mouo (l’antique Asmiræa). Au neuvième mois, Oû-hoei surprit
Tourfan (t) et s’y établit ; les Tsōu-k’iu y régnèrent jusqu’à l’an 460.
En 444, le brave Oû-hoei mourut. Son frère Nān-tcheou lui succéda.
En 447, les Wéi eurent reconquis toute la chaîne des Nân-chan.
Il paraît que Móu-kien pensa qu’un beau-frère de roi pouvait se permettre
quelques petites choses. Il puisa dans le trésor royal. Les gardes du trésor
l’accusèrent de vol. T’oûo-pa tao fit faire des perquisitions à son domicile. On
y retrouva les objets disparus. T’oûo-pa tao entra dans une grande colère. A
quelque temps de là, Móu-kien ayant été accusé de comploter, T’oûo-pa tao
lui ordonna de se suicider, puis fit massacrer toute sa famille.
Pèi-Leâng étant le dernier des petits royaumes du Grand Emiettement,
désormais deux puissances seulement, l’empire méridional chinois des Liôu de
Sóng, et le royaume septentrional tongouse des T’oûo-pa de Wéi. Dans les
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
steppes du nord, les Jeóu-jan sont à ces derniers, ce que les Huns furent aux
Hán, une épine dans le flanc, un souci continuel.
p.1091
En 429, commencement des grandes expéditions de T’oûo-pa tao
contre les Jeóu-jan (Avars). Le projet conçu par le roi, de leur faire une
guerre d’extermination, fut d’abord combattu par tous les ministres et
officiers,
Ts’oēi-hao
seul
excepté.
Les
Annalistes
insistèrent
sur
les
avertissements donnés par les Astrologues : le principe yīnn dominait ;
Jupiter était contraire, Vénus aussi ; faire la guerre dans de pareilles
conjonctures, c’était vouloir se faire battre ; même une victoire ne profiterait
pas...
Ts’oēi-hao dit :
— Tout au contraire, les conjonctures sont favorables. Le principe
yīnn régit les châtiments ; or c’est pour châtier les Jeóu-jan, qu’on
veut faire la guerre. La lune (qui est yīnn) vient d’occulter
l’astérisme des peuples nomades ; etc. etc. ; nous connaissons
cela...
— Mais, reprirent les Astrologues, à quoi bon conquérir le pays des
Jeóu-jan, pays éloigné, qui ne nous sera d’aucune utilité ; vaut-il
qu’on fatigue, pour l’avoir, les hommes et les chevaux ?..
— Parlez des choses du ciel, dit Ts’oēi-hao, car c’est là votre
partie ; mais ne faites pas de discours sur celles de la terre, car
vous n’y entendez rien. Les Jeóu-jan ont été nôtres jadis. Ils ont
rompu avec nous depuis. Cette rupture est un crime que nous
devons punir. Reprendre ce qu’il y a d’hommes capables parmi ces
évadés, sera un profit pour nous...
T’oûo-pa tao goûta fort ce discours, et décida la guerre.
— Mais, dit quelqu’un à Ts’oēi-hao, si, durant cette expédition vers
le nord, les impériaux nous attaquent par le sud ?!..
— Ils ne nous attaqueront pas de si tôt, dit Ts’oēi-hao; et il nous
faut précisément nous débarrasser des Jeóu-jan, pour pouvoir
ensuite nous occuper de l’empire... Et, à supposer que les
impériaux nous attaquent : Ils sont fantassins ; nous sommes
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
cavaliers. Ils arriveront chez nous épuisés de fatigue, et nous les
battrons facilement. Que peut une bande de poulains et de veaux,
contre une légion de loups et de
p.1092
tigres ?.... Ces Jeóu-jan
paissent au nord durant l’été, puis rabattent vers le sud en
automne, et brigandent sur nos frontières en hiver. Attaquons-les
en été, dans leurs pacages. A cette époque, les chevaux ne sont
bons à rien ; les étalons sont occupés des cavales, les juments
sont occupées des poulains. Coupons-leur l’herbe et l’eau. En peu
de jours, ils seront à bout, pris ou détruits, et nous serons délivrés
d’un souci chronique.
Le Maître céleste K’eóu k’ien-tcheu demanda à Ts’oēi-hao:
— Les Jeóu-jan pourront-ils vraiment être vaincus (il n’était donc
pas prophète) ?...
— Bien sûr, dit Ts’oēi-hao, à condition qu’on aille droit au but,
franchement, rapidement, sans tenir trop de conseils de guerre ;
c’est l’indécision qui est à craindre, dans cette entreprise...
Or il arriva que l’empereur écrivit au roi de Wéi, pour lui réclamer le Heûenan, et le menacer de la guerre, s’il ne lui rendait pas ce pays. T’oûo-pa tao
rit de l’empereur, et dit à ses officiers :
— Une tortue a beau se dresser, c’est toujours une tortue. Et puis,
si nous devons jamais avoir la guerre avec l’empire, raison de plus
pour en finir au plus vite avec les Jeóu-jan...
Et il se mit en campagne.
Quand il fut arrivé au bord méridional du Gobi, T’oûo-pa tao abandonna
ses bagages, et traversa le désert avec sa cavalerie seulement. Le khan
Keue-cheng-kai ne s’attendait nullement à cette visite. Surpris, il incendia luimême son douar, et s’enfuit vers l’ouest (68). T’oûo-pa tao fit battre la plaine
par sa cavalerie, sur cinq mille lì de l’est à l’ouest, et trois mille lì du nord au
sud (70, 69). Tout Jeóu-jan rencontré, était massacré sur-le-champ. Leurs
voisins les Kāo-kiu (Sarmates), voyant les Jeóu-jan (Avars) ruinés, leur
donnèrent aussi la chasse ; charité de nomade ; nous connaissons cela. Peu à
peu 300 mille Jeóu-jan, préférant la servitude à la mort, se rendirent aux
24
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Wéi, et livrèrent un million de chevaux de guerre, et plusieurs
p.1093
millions
de chariots, bœufs et moutons. T’oûo-pa tao voulait absolument prendre le
khan.
Craignant
d’être
enveloppés
dans
le
désert,
ses
officiers
le
contraignirent à revenir. Quand l’armée eut repassé le Gobi, on apprit des
prisonniers, que, si on avait continué la chasse deux jours de plus, on aurait
pris le khan dans son dernier refuge. T’oûo-pa tao se mordit les doigts de
colère... Cependant le khan Keue-cheng-kai étant mort, son fils Oû-t’i lui
succéda, et devint le khan Tch’éu-lien.
Au sud du Gobi, T’oûo-pa tao soumit une grande horde de Kāo-kiu
(Sarmates), laquelle livra encore plus d’un million de chevaux, bœufs et
moutons... Au dixième mois, T’oûo-pa tao rentra en triomphateur dans sa
capitale. Il établit tous les Jeóu-jan et Kāo-kiu soumis, au sud du désert, au
nord et à l’ouest de la boucle. Il leur donna des terres et des pacages,
n’exigeant d’eux qu’un tribut annuel. Il leur donna, pour surveillants, un
prince du sang et plusieurs grands officiers. A partir de cette époque, chevaux
bœufs moutons feutres et peaux, devinrent, parmi les Wéi, des valeurs
courantes, comme parmi les nomades dépourvus de monnaie et commerçant
par troc.
En 430, parmi ces pauvres transplantés, la horde Tch’éu-lei, comptant
mille familles, vexée par les percepteurs royaux, tenta de s’évader et de
repasser le Gobi. Tous moururent de faim dans le désert. Les autres se le
tinrent pour dit.
En 434, les gardes des frontières de Wéi, ayant pris une patrouille de
Jeóu-jan, vingt hommes environ, le roi de Wéi les habilla de neuf et les
renvoya libres. Ce procédé toucha le khan Tch’éu-lien, qui renoua depuis lors
des relations avec T’oûo-pa tao. Ces relations allèrent bientôt jusqu’à un
double mariage. T’oûo-pa tao donna à Tch’éu-lien une de ses filles, et épousa
une de ses sœurs.
Au septième mois de la même année, dans
p.1094
une petite expédition
contre Pâi-loung khan d’une horde de Huns montagnards, T’oûo-pa tao
s’étant imprudemment avancé, faillit être pris ou tué. L’officier Tch’ênn-kien
couvrit de son corps le roi tombé de cheval, fut criblé de blessures, mais lui
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sauva la vie. Les Huns furent battus, leur douar fut passé au fil de l’épée, et
Pâi-loung fut décapité.
En 435, tout le versant sud de l’Altaï jusqu’à Kachgar, les montagnards
des Pamir, les Oū-sounn de l’I-li, les Ue-pan tribu hunne établie vers la mer
d’Aral, les Sou-t’ei tribu d’Alains établie vers la mer Caspienne, firent
hommage aux Wéi... T’oûo-pa tao savait son Histoire. Il se souvint que les
peuples du Tarim et d’au delà, avaient fait des avances aux Hán chaque fois
qu’ils avaient eu besoin d’eux, et leur avaient tourné le dos chaque fois qu’ils
avaient pu se passer d’eux. Il se souvint que, à cette distance, les relations
sont coûteuses, les expéditions impossibles. Cependant, en vue de l’avenir, et
pour ne pas les offenser, il envoya à ces peuples l’ambassadeur Wâng nenncheng, avec une suite de vingt personnes. Les Jeóu-jan capturèrent toute
l’ambassade. Wâng nenn-cheng protesta fièrement devant le khan Tch’éulien. T’oûo-pa tao fit aussi faire, à ce cher beau-frère et beau-fils, de sévères
représentations. Tch’éu-lien finit par lâcher Wâng nenn-cheng, mais ne permit jamais le passage aux envoyés des Wéi. Il se réservait le Tarim, in petto.
Cependant, en 437, une nouvelle ambassade chinoise parvint dans le
Tarim sans sa permission. Elle poussa jusque chez les Oū-sounn de l’I-li, dont
le roi, très flatté, les fit passer chez quelques peuplades ou hordes
avoisinantes,
chez
les
P’ouo-lao-na
(Ferghana)
et
les
Tchee-chee.
L’ambassadeur chinois fut bien reçu partout. Seize principicules s’inscrivirent
parmi les amis de la Chine ; parmi les tributaires, dit le texte. En 438,
p.1095
T’oûo-pa tao répéta sa chevauchée de 429, contre les Jeóu-jan. Elle ne lui
réussit pas, cette fois. Les Jeóu-jan se retirèrent, si bien qu’il n’en vit pas un
seul. Il ne trouva pas à se ravitailler au nord du Gobi, la sécheresse ayant,
cette année-là, tué la végétation et tari les eaux. Il dut revenir en toute hâte,
non sans avoir perdu beaucoup d’hommes et de chevaux.
En 439, incursion des Jeóu-jan, pour le compte des Pèi-Leâng, qui périrent
cette année-là (p. 1084).
En 443, grande expédition des Wéi contre les Jeóu-jan. Les Wéi partirent
du bord sud du Gobi, en quatre colonnes indépendantes. T’oûo-pa tao en
personne marcha contre le douar du khan Tch’éu-lien. Quand il fut arrivé en
vue...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Fondons sur eux à l’improviste, lui dit son fils Hoàng !..
— N’en faites rien, dit le conseiller Liôu-hie. Voyez cette poussière !
Ils sont très nombreux ! Attendez les autres colonnes !..
T’oûo-pa tao attendit. Or la poussière était soulevée par les Jeóu-jan qui
fuyaient éperdus. Quand les Wéi s’en furent assurés, il était trop tard pour les
poursuivre. Désormais T’oûo-pa tao donna toute sa confiance à son fils
Hoàng.
Sēu-ma tch’ou-tcheu, l’ex-prince Tsínn (p. 1064), commandait le train des
Wéi. Un matin on lui annonça que, dans le camp, un âne avait disparu durant
la nuit. Le général connaissait les nomades.
— Ceci est un signe certain, dit-il, qu’un espion a pénétré dans
notre camp, la nuit dernière ; il a pris l’âne pour fuir ; l’ennemi
n’est pas loin ; à l’œuvre, vite !..
Les Wéi s’entourèrent en toute hâte d’un abatis de saules, sur les troncs
desquels ils versèrent de l’eau, que le froid convertit aussitôt en verglas. A
peine l’enceinte était-elle fermée, que les Jeóu-jan parurent. Ils n’arrivèrent
pas à la forcer.
En 444, T’oûo-pa tao fit savoir à Kòu-pi, le directeur des haras, qu’il eût à
livrer de bons chevaux pour les chasses royales. Kòu-pi livra un assortiment
de rosses. T’oûo-pa tao
p.1096
se fâcha, et parla de le décapiter, avec tous ses
employés. Tout le monde eut peur, excepté Kòu-pi.
— Ma charge exige, dit-il, que je prenne à cœur les intérêts de
mon maître. Compromettre ses plaisirs, n’est qu’un petit méfait.
Compromettre ses expéditions, serait un grand péché. Or il reste
encore des Jeóu-jan. J’ai réservé les bons chevaux pour leur
donner la chasse. Si j’ai eu tort, je suis le seul coupable ; mes gens
n’y sont pour rien...
Quand T’oûo-pa tao fut informé de ces paroles, il soupira et dit :
— Cet officier est le joyau de mon royaume...
et il lui fit un cadeau de vêtements... Un autre jour, dans une chasse royale,
les chasseurs ayant tué plusieurs milliers de cerfs daims et antilopes,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
demandèrent au roi d’ordonner que Kòu-pi fournît 500 chars à bœufs, pour
transporter leur gibier à la capitale.
— J’ordonnerai en vain, dit le roi ; le Pinceau ne les fournira pas ;
chargez votre gibier sur vos chevaux ; d’ailleurs, si vous voulez,
faisons l’expérience...
Kòu-pi répondit à l’ordre royal par le billet suivant :
« Les moissons sont mûres ; la campagne est pleine de fruits que
les sangliers les cerfs et les oiseaux mangent, que le vent et la
pluie endommagent ; mes chars n’ont pas le loisir de transporter
votre gibier...
— Ne vous l’avais-je pas dit ? dit T’oûo-pa tao. Le Pinceau ne
connaît que les intérêts de l’État...
Kòu-pi, grand, droit et raide, avait une tête pointue ; voilà pourquoi T’oûo-pa
tao l’appelait le Pinceau.
Chez les Jeóu-jan, le khan Tch’éu-lien étant mort, en 444 son fils T’ouheue-tchenn devint khan Tch’óu-louo à sa place.
Les Wéi ayant occupé les Nān-chan après la ruine des Pèi-Leâng, les
Chán-chan du Lob-nor devenus leurs voisins, eurent grand peur d’être
conquis à leur tour. Les ambassades des Wéi aux pays occidentaux, les
inquiétaient beaucoup. En passant et repassant chez nous, se dirent-ils, ces
ambassadeurs verront que nous ne sommes pas forts, et le diront au roi
p.1097
de Wéi, lequel nous raflera un beau jour... Ils interceptèrent donc la
route du Tarim, dévalisèrent les courriers, et provoquèrent ainsi ce qu’ils
avaient voulu éviter. En 445, expédition punitive. Les Chán-chan furent raflés,
et les routes rouvertes derechef.
En 445, Mou-li-yen khan des T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, se permit
une excursion audacieuse. Traversant d’une traite le Tsaidam, le Tangout, et
les plaines désertes du Tarim-sud, il alla surprendre et piller la riche ville de
Kotan, dont il tua le roi. Plusieurs myriades d’hommes périrent dans cette
affaire. Mou-li-yen ne put pas conserver sa conquête. Il dut se replier, en
446.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 448, ambassade des Huns Ue-pan (p. 1094)... Expédition punitive des
Wéi, le long du versant sud de l’Altaï, Prise de Karachar et de Koutcha ;
pacification du Tarim... Expédition manquée contre les Jeóu-jan ; on n’en vit
pas un seul, les malins s’étant retirés dans le bassin de Kobdo (71).
En 449, grande expédition contre les Jeóu-jan, en trois colonnes. Le khan
Tch’óu-louo enveloppa celle du prince T’oûo-pa na. L’approche des autres,
l’obligea de se retirer. T’oûo-pa na s’élança à sa poursuite. La chasse dura
neuf jours et neuf nuits. Tch’óu-louo dut abandonner tous ses bagages, et fuir
dans le pays de Kobdo. Le prince T’oûo-pa kie-eull prit aux Jeóu-jan beaucoup
d’hommes et plus d’un million de bêtes. Ils furent si affaiblis, par ces
saignées, qu’ils disparurent pour un temps.
En 452, mort de Mou-li-yen khan des T’ou-kou-hounn, que son neveu
Chêu-yinn remplace.
Les Jeóu-jan étant refoulés, Wéi pouvait s’occuper de l’empire. Reprenons
de plus haut la lutte des deux dynasties... L’empereur rêvait de reconquérir le
Heûe-nan. En 430, il avait réuni, à cette fin, 50 mille cuirassiers, puis avait
député au roi de Wéi le
p.1098
général T’ién-k’i, pour lui dire ceci :
— Le Heûe-nan a jadis appartenu aux Sóng. Vous me l’avez
enlevé. Rendez-le-moi !...
Le roi de Wéi, très mécontent, répondit :
— Quand je naquis, mes cheveux n’étaient pas encore secs, que
j’entendis déjà dire que le Heûe-nan appartenait aux Wéi. Si vous
l’envahissez, l’hiver prochain, quand le Fleuve sera gelé, vous
entendrez parler de moi.
Cependant les gouverneurs Wéi au sud du Fleuve, sur les frontières de
l’empire, demandaient au roi de Wéi 30 mille hommes et la permission de
prendre l’initiative. Ils demandaient aussi l’autorisation de massacrer la
population flottante de la frontière, pour empêcher l’espionnage, etc. Le roi de
Wéi soumit ces demandes à son conseil. Les conseillers inclinaient à les
accorder, quand Ts’oēi-hao dit :
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Refusez ! Les pays méridionaux, humides et boisés, sont
extrêmement malsains. N’y engagez pas vos soldats. Il vous
faudrait les diviser en plusieurs corps, et les ravitailler à de
grandes distances. Laissez plutôt venir les Sóng. Ils arriveront
épuisés de fatigue, pour nous attaquer dans toute notre force. Tous
les avantages seront de notre côté... Si les gouverneurs du sud
pressent ainsi, c’est qu’ils sont jaloux de ceux du nord, que la
guerre a enrichis ; il convoitent les dépouilles de l’empire. Pour le
bien de votre royaume, ne les écoutez pas.., Que si l’empereur
vous déclare la guerre, tous les présages vous promettent la
victoire. Des vapeurs de carnage on été vues, s’élevant du sud. Les
caractères cycliques de l’année sont néfastes pour le sud. La
dernière éclipse de soleil, était aussi néfaste pour le sud, Les
constellations le menacent de troubles et de deuils. Vénus n’est pas
visible (p. 989). Un prince n’a chance de réussir, que quand les
hommes, la terre et le ciel (la triade), sont pour lui. Or le ciel, la
terre et les hommes, sont contre l’empereur. S’il vous attaque, il
sera sûrement battu..
Il
est
piquant
de
p.1099
voir
Ts’oēi-hao
développer
ces
arguments
astrologiques, qu’il avait si bien réfutés jadis (p. 1079). Cet homme, qui eut
longtemps une grande influence, fut un politicien sans principes ni conscience,
lequel souffla le chaud et le froid selon les besoins de sa cause.
Le roi de Wéi se décida à attendre. Au lieu de les renforcer, il retira même
les garnisons qu’il avait au sud du Fleuve Jaune. Les Sóng envahirent. Sans
coup férir, Tchōu siou-tcheu occupa Hoâ-t’ai, Yìnn-tch’oung occupa Hòu-lao,
Tóu-ki occupa Láo-yang ; enfin leur armée s’échelonna tout le long de la rive
méridionale du Fleuve. Le général en chef Táo yen-tcheu était enthousiasmé
de ce facile triomphe.
— Attendez ! lui dit Wâng tchoung-tei. Rien de plus traître, que ces
hommes du nord. S’ils ont reculé, c’est pour revenir en nombre.
Alors vous serez moins gai !
En effet, comme le roi de Wéi l’avait promis à l’empereur, dès que le Fleuve
fut gelé, on eut de ses nouvelles. Les Wéi passèrent sur la glace. Leur général
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Nān-hie marcha contre Táo yen-tcheu, le battit et lui tua beaucoup de monde.
Puis il tira droit à Láo-yang, que Tóu-ki abandonna sans combattre. Hòu-lao
fut enlevé de même, presque sans résistance.
Les choses tournant mal, l’empereur donna tout pouvoir au général T’ân
tao-tsi. Tandis que celui-ci cherchait à organiser la résistance, Táo yen-tcheu
évacuait tout le nord, et Chôu-sounn kien récupérait, sur ses talons, pour le
roi de Wéi les provinces envahies l’été précédent. Ce dernier pressa même la
retraite de Táo yen-tcheu, au point qu’elle devint une fuite. Les Sóng durent
brûler leurs barques et abandonner leurs armes lourdes. Ils arrivèrent à
P’êng-tch’eng (a) en fuyards. Seul Tchōu siou-tcheu se maintint à Hoâ-t’ai.
Les Wéi le négligèrent, provisoirement.
En 431, T’ân tao-tsi tenta de secourir Hoâ-t’ai. Aux abords du Fleuve, il
livra aux Wéi plus de trente combats. Chôu-sounn kien
p.1100
chargea sa
cavalerie légère de détruire, dans tout le pays, les grains et les herbages.
N’arrivant plus à se ravitailler, T’ân tao-tsi dut arrêter sa marche en avant...
Cependant Nān-hie et Sēu-ma tch’ou-tcheu attaquaient Hoâ-t’ai pour de bon.
Bientôt, dans la ville, la famille fut extrême. On mangea les rats, et le reste.
Enfin Hoâ-t’ai succomba. Pris vivant, Tchōu siou-tcheu passa au service des
Wéi.
T’ân tao-tsi se trouva aussi à court de vivres durant sa retraite. Des
déserteurs passés aux Wéi, les en avertirent. Ceux-ci s’élancèrent à sa
poursuite. L’armée de T’ân tao-tsi allait se débander, quand il s’avisa d’un
stratagème, devenu célèbre dans la littérature chinoise. Durant la nuit, il fit
entasser du sable, comme on entassait les grains, dans les armées. Les
contrôleurs hélant les porteurs, criaient le nombre des charges. Quand les tas
furent alignés, T’ân tao-tsi fit répandre à la surface du sable, le grain qui lui
restait. Au jour, les Wéi ayant vu ces amas de loin, conclurent que les Sóng
avaient des provisions en abondance, et que les déserteurs leur avaient
menti. Ils massacrèrent ces pauvres diables. T’ân tao-tsi se retira en bon
ordre, chaque homme sauvant ses armes, chose rare en ce temps-là. Les Wéi
ne le poursuivirent pas.
Revenu à sa capitale, T’oûo-pa tao célébra son triomphe. Annonce aux
Ancêtres, banquet donné aux officiers, promotion, récompenses, etc. Les
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
simples soldats furent exemptés d’impôts pour dix ans, et tout le royaume de
Wéi pour un an.
Récompenser libéralement les généraux vainqueurs, fut l’usage constant
de tous les nomades, Huns, Tongouses, et autres ; aussi les officiers de ces
princes avaient-ils le cœur à la besogne. Pour servir les empereurs de la
Chine, il fallait avoir un cœur de chien, et consentir à être traité comme tel.
En voici une nouvelle preuve... L’empereur Wênn avait à T’ân tao-tsi les plus
grandes obligations (p. 1074, 1076).
p.1101
Cet homme l’avait mis sur le
trône. Or, en 436, l’empereur étant tombé malade, le chancelier Liôu i-k’ang,
craignant que T’ân tao-tsi ne profitât de sa popularité pour renverser les
Sóng, l’appela à la cour.
— On t’appelle sans motif, lui dit sa femme ; c’est de mauvais
augure...
Quand T’ân tao-tsi fut entré au palais, on l’arrêta, avec onze de ses fils et
parents. Sans aucun jugement préalable, un édit impérial annonça à l’empire
que, profitant de la maladie de l’empereur, T’ân tao-tsi et son clan avaient
voulu faire une révolution. Le Grand Juge les fit tous mettre à mort, ainsi que
Sūe-t’oung et Kāo tsinn-tcheu les deux aides de camp de T’ân tao-tsi. Au
moment de son arrestation, jetant à terre son chapeau (insigne de son rang),
les yeux étincelants de colère, T’ân tao-tsi s’écria :
— Malheureux ! Vous abattez vous-mêmes le rempart de votre
empire !..
La nouvelle de la mort de T’ân tao-tsi, remplit les Wéi de la plus grande joie.
Désormais, dirent-ils, nous n’avons plus besoin d’avoir peur de rien.
@
Cochinchine... En 430 et 433, ambassades cochinchinoises à l’empereur
de Chine... Hélas, gémit l’Histoire en 446, alors qu’il envoyait des ambassades
à l’empereur (ce qui lui coûtait), Fán-yang-mai roi de Cochinchine brigandait
sur la frontière de l’empire (ce qui lui rapportait). L’empereur envoya T’ân
houo-tcheu pour lui donner une leçon. Tsoūng-k’iao, jeune brave issu d’une
famille lettrée, se joignit à T’ân houo-tcheu, dans l’intention de se distinguer.
Celui-ci lui confia le commandement de son avant-garde. Ils pénétrèrent en
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cochinchine. Le roi Fán-yang-mai réunit toutes ses forces. Il avait des
éléphants de guerre. J’ai ouï dire, dit le savant Tsoùng-k’iao, que les
éléphants ont peur des lions. Il fit donc peindre des lions, que ses soldats
présentèrent aux éléphants, au
p.1102
commencement de la bataille. Les
éléphants prirent la fuite, et les Cochinchinois furent vaincus. Fán-yang-mai
dut fuir. Les Chinois firent un très riche butin. Tsoūng-k’iao ne prit ni
n’accepta rien pour lui-même. Il rentra chez lui, vêtu de haillons, et les mains
vides.
@
Yûnn-nan... An 432. Liôu tao-tsi, gouverneur des provinces du sudouest, bonhomme qui n’y regardait pas d’assez près, avait donné sa confiance
à Féi-k’ien et à Tchāng-hi, lesquels en abusaient, plumant le peuple,
squeezant les marchands, entravant le commerce, etc. Hiù mou-tcheu, un
vagabond, profita de l’indisposition des esprits, pour faire du grabuge. Il se
donna pour un prince Tsínn, s’appela Sēu-ma fei-loung, s’entendit avec le roi
barbare Yâng nan-tang qui lui prêta ses guerriers, s’aboucha avec ceux du
Séu-tch’oan, et commença les hostilités. Liôu tao-tsi le défit et le tua.
Alors un certain Tcháo-koang, se donnant pour le lieutenant de Sēu-ma
fei-loung, chercha à continuer la révolte. Il eut d’abord du succès et prit
plusieurs villes, la plupart lâchement abandonnées par leurs gouverneurs.
Cependant Tcháo-koang constata bientôt que ses bandes tenaient pour Sēuma fei-loung et non pour lui, et qu’elles se disperseraient, le jour où elles
sauraient que Sēu-ma fei-loung n’était plus. Or un táo-cheu nommé Tch’êng
tao-yang ressemblait à s’y méprendre à feu Sēu-ma fei-loung. Tcháo-koang
alla le trouver, dans son couvent, avec quelques soldats.
— Tu vas dire que tu es Sēu-ma fei-loung, lui dit-il, ou je te coupe
la tête !..
Épouvanté le táo-cheu dit tout ce que Tcháo-koang voulut. Celui-ci le
proclama roi de Chòu, le mit à la tête de ses 40 mille hommes, marcha droit
sur Tch’êng-tou, et mit le siège devant la ville. Liôu tao-tsi confia ses soldats
à son officier P’êi fang-ming. Celui-ci battit plusieurs fois les rebelles, qui
finirent
p.1103
par lever le siège.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tch’êng-tou souffrant de la famine, Liôu tao-tsi profita de ce répit pour
chercher à ravitailler la ville. Chargé de cette opération, P’êi fang-ming fut
battu par les rebelles, s’enfuit à grand’peine, et rentra seul à Tch’êng-tou, où
la panique était telle, que les habitants ne lui ouvrirent pas la porte, mais le
hissèrent au haut du rempart, au moyen d’une corde. P’êi fang-ming pleurait
de rage, et refusa toute nourriture. Liôu tao-tsi le consola.
— Vous n’êtes pas un vrai brave, à ce que je vois, lui dit-il. Qu’estce qu’un petit échec ? Le succès des rebelles ne durera pas. Ils
faibliront avec le temps. Des renforts nous arriveront. Tout finira
bien, à condition que vous ne désespériez pas...
Cela dit, il lui donna ses derniers soldats et jusqu’à ses gardes du corps, ainsi
que tout son argent, pour lever des volontaires... Les rebelles ayant répandu
le bruit que P’êi fang-ming avait péri dans la défaite, Liôu tao-tsi le fit
promener aux flambeaux dans les rues et sur le rempart, ce qui rassura le
peuple et effraya l’ennemi... A quelques jours de là, nouvelle panique dans
Tch’êng-tou. Liôu tao-tsi étant tombé malade, le bruit courut qu’il était mort.
P’êi fang-ming styla son personnel, qui se répandit par la ville, disant à tous,
au nom du gouverneur, que son indisposition était insignifiante, etc. — Puis,
Liôu tao-tsi étant vraiment décédé, P’êi fang-ming tint sa mort si secrète, que
même sa mère et sa femme l’ignorèrent. Enfin, profitant de la lassitude
croissante des assiégeants, il fit une sortie heureuse qui les culbuta. Tcheōu
tsie-tcheu étant ensuite arrivé avec deux mille hommes, les rebelles livrèrent
bataille. Commandés par P’êi fang-ming et Tcheōu tsie-tcheu, les impériaux
les écrasèrent, et prirent Koàng-han, leur principal repaire. P’êi fang-ming
acheva d’étouffer la révolte. En 433, le Yûnn-nan et le Séu-tch’oan étaient
rentrés dans l’ordre.
p.1104
En 450, nouvelle campagne des Wéi contre l’empire. Averti de leurs
préparatifs, l’empereur donna à ses gouverneurs les instructions suivantes :
— S’ils viennent en petit nombre, cherchez à défendre les places ;
s’ils viennent en grand nombre, alors emmenez les populations et
rabattez sur Cheòu-yang.
Or l’invasion fut si soudaine, que, près de la frontière, ce programme ne put
pas être exécuté. Un beau jour T’oûo-pa tao en personne, avec cent mille
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
fantassins et cavaliers, enveloppa la bicoque de Huân-p’ao, dont la garnison
ne se montait pas à mille hommes. Il donna assaut sur assaut, jour et nuit. Il
éleva des tours pour ses archers, plaça des catapultes qui lançaient de
grosses pierres, approcha des remparts avec la tortue à crocs qui saisissait
les créneaux et les faisait écrouler dans les fossés ; bref il employa toutes les
ressources balistiques de son temps. Mais le brave commandant Tch’ênn-hien
réparait au fur et à mesure toutes les brèches, au moyen de murailles élevées
à l’intérieur. Les Wéi livrèrent enfin un assaut désespéré. Les assiégés. se
défendirent de même. Les cadavres s’entassèrent à la hauteur des remparts.
Montés sur cet amas de corps, les Wéi abordèrent les créneaux à
l’arme blanche. Mais la bravoure de Tch’ênn-hien croissait avec le danger, et
ses soldats se battirent un contre cent. La moitié des assiégés périt, mais
l’assaut fut repoussé... Le siège durait depuis 42 jours, quand une armée
impériale commandée par Tsāng-tcheu et Liôu k’ang-tsou, arriva enfin au
secours de la place. Le roi de Wéi détacha contre elle le prince K’i-ti-tchenn,
qui fut battu et tué. Alors T’oûo-pa tao leva le siège de Huân-p’ao.
L’empereur anoblit Tch’ênn-hien. Chiche !
Quand l’hiver fut venu, les Wéi envahirent l’empire, en cinq colonnes, sur
cinq points à la fois. T’oûo-pa tao lui-même envahit le Chān-tong. A cette
occasion (450), il examina, sur le mont
p.1105
T’ái-chan, la stèle élevée à
cette montagne (diplôme, p. 211), par le Premier Empereur des Ts’înn. Il la
fit saluer et vénérer par ses gens.
Cependant une armée impériale s’étant faufilée de la vallée de la Hán
dans celle de la Wéi, menaçait celle de la Láo. Mais la ville de Hiâ, qui
commandait les passes, tint bon d’abord, et arrêta les impériaux. Le général
Wéi Tchāng-cheu lien-t’i accourut pour soutenir la ville, avec un renfort de
vingt mille hommes. Le général impérial Sūe nan-tou lui barra le passage.
Comme son infanterie craignait beaucoup la cavalerie des Wéi, Sūe nan-tou
se dévoua pour l’entraîner. Ayant ôté son casque, sa cuirasse, et les
ornements de son cheval, il se mit à caracoler sur le champ de bataille, avec
des yeux terribles et la lance en arrêt, tenant tête, tout seul, à tous les Wéi,
lesquels tirèrent sur lui de tous les côtés sans l’atteindre, tandis que lui leur
démolit nombre de cavaliers. La journée resta indécise. Le soir, Lòu yuan-pao
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
amena des renforts aux Sóng. Le lendemain Lòu fang-p’ing dit à Sūe nantou :
— Engagés comme nous sommes, il nous faut aujourd’hui vaincre
ou mourir. Si vous n’avancez pas, je vous tue ! Si je n’avance pas,
tuez-moi !..
— Tope, dit Sūe nan-tou...
Sur ce la bataille s’engagea. Elle fut terrible. Sūe nan-tou voltigeait, frappant
d’estoc et de taille, les deux bras ruisselants de sang. Sa lance s’étant brisée,
il saisit celle d’un soldat, et chargea derechef, sans prendre haleine. Enfin
Tchāng-cheu lien-t’i ayant été tué, les Wéi lâchèrent pied. Trois mille furent
tués, beaucoup se noyèrent dans le Fleuve, deux mille capitulèrent.
Le lendemain, le général en chef Liòu yuan-king étant arrivé, dit à ces
deux mille prisonniers :
— Vous qui êtes Chinois, vous avez aidé les Barbares ; n’ayant pas
réussi, maintenant vous demandez grâce ; dites, n’est-ce pas là
votre cas ?..
— Si nous avons marché avec les Barbares, dirent-ils, ç’a
p.1106
été
pour éviter la mort, nous et nos familles. Si nous avions refusé,
nous aurions été aussitôt massacrés. Demandez à qui vous
voudrez, si nous pouvions faire autrement...
Malgré ces protestations, les officiers étaient d’avis de les massacrer tous en
bloc.
— Non, dit Liòu yuan-king ; nous marchons contre le nord, au nom
de l’empereur ; il faut qu’un renom de clémence nous précède...
et il les renvoya libres. Aussi, l’acclamèrent-ils, avant de le quitter.
Liòu yuan-king prit ensuite Hiâ, puis occupa la passe. Les bravi de la
vallée de la Wéi, des Huns, des Tibétains, et autre engeance, vinrent lui offrir
leurs services. Cependant les Wéi ayant pénétré profondément dans l’empire
sur d’autres points, et Liòu yuan-king risquant par suite d’être coupé,
l’empereur lui envoya l’ordre de se replier. Il revint à Siāng-yang, dans la
vallée de la Hán.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
T’oûo-pa jenn ayant pris Huân-p’ao et Hiáng-tch’eng, l’empereur rappela
aussi Liôu k’ang-tsou qui commandait dans ces parages. T’oûo-pa jenn lui
donna la chasse, avec 80 mille cavaliers. Liôu k’ang-tsou avait 8 mille
hommes. Il les forma en colonne, entre deux files de chars montés par des
archers, et chercha à continuer ainsi sa marche, coupant la tête à ceux de ses
hommes qui regardaient en arrière, et les pieds à ceux qui essayaient de fuir.
Les Wéi l’entourèrent. Un combat atroce s’engagea. Les Sóng tuèrent dix
mille Wéi. Ils pataugeaient dans le sang jusqu’à la cheville. Liôu k’ang-tsou
reçut dix blessures. Il n’en devint que plus enragé. Les Wéi se partagèrent en
trois bandes, qui se relayaient pour combattre, sans laisser aux Sóng un seul
instant de répit. Vers le soir, un grand vent s’étant élevé, les Wéi réussirent à
mettre le feu aux chars. Dans un choc suprême, Liôu k’ang-tsou eut la gorge
traversée par une flèche, et tomba mort de son cheval. Ses braves se
débandèrent. La cavalerie Wéi les sabra jusqu’au
p.1107
dernier.
L’officier Wâng louo-han gardait Wéi-ou avec 300 hommes. Quand les Wéi
approchèrent, la garnison demanda au commandant de battre en retraite.
— J’ai ordre de tenir cette place, dit-il ; je ne me retirerai pas.
Les Wéi prirent, et la place, et le commandant, qu’ils enchaînèrent par le cou,
et attachèrent à trois de leurs hommes. Durant la nuit, Wâng louo-han coupa
la tête à ses trois gardiens, s’enfuit la chaîne au cou, et arriva sain et sauf à
Hū-i... Toûo-pa jenn alla mettre le siège devant Cheóu-yang, défendu par
Liôu-chao.
Cependant le roi T’oûo-pa tao étant arrivé devant P’êng-tch’eng (a),
envoya Lì hiao-pai en parlementaire à la porte du sud, pour remettre au
commandant Liôu i-koung une robe de zibeline, avec ces paroles :
— Le roi de Wéi n’a pas l’intention d’assiéger cette ville ; il va au
midi, boire de l’eau du Fleuve et des Lacs (conquérir l’empire)...
Tchāng-tch’ang dit à Liôu i-koung :
— Dans ce cas, nous pouvons nous rassurer. T’oûo-pa tao ne nous
fera pas de mal. Car un enfant a prophétisé (p. 100) en ces
termes : Quand les chevaux des Barbares (des Wéi) auront bu de
37
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
l’eau du Fleuve (Bleu), le Renard Buddhiste (le roi de Wéi) mourra
en l’année mao.
Au douzième mois de l’an 450, T’oûo-pa tao ayant organisé ses colonnes,
l’invasion systématique de l’empire commença sur toute la ligne. Les Wéi
détruisaient tout sur leur passage. Tout le monde fuyait à leur approche. Ils
arrivèrent si vite sur le Hoâi, que Tsāng-tcheu, envoyé par l’empereur avec
des renforts pour P’êng-tch’eng, dut s’arrêter aux environs de Hū-i. T’oûo-pa
tao le surprit et le battit. Laissant à l’ennemi armes et bagages, Tsāng-tcheu
courut à Hū-i, avec 700 hommes, tout ce qui restait de son armée. Or Hū-i
avait un excellent gouverneur, en la personne de Chènn-p’ou. Au début de
son gouvernement, il avait réparé les remparts et creusé les fossés
p.1108
de
sa ville, y avait amassé des grains, des pierres et des flèches (les vivres et
munitions d’alors), si bien que la guerre le trouva parfaitement prêt. Il admit
Tsāng-tcheu dans sa ville. Celui-ci fut très content de la trouver en si bon
état, et se mit au service de Chènn-p’ou pour la défendre... Dans leurs
courses rapides, les Wéi n’emportaient pas de provisions. Ils comptaient, pour
vivre, sur les ressources du pays envahi. Or le pays, au sud du Hoâi, étant
abandonné et ravagé comme l’empereur l’avait ordonné, hommes et bêtes
souffrirent bientôt cruellement de la famine. Les Wéi apprirent alors qu’il y
avait de grands magasins à Hū-i. Cela les détermina à investir cette place. Ils
ne purent pas la prendre. T’oûo-pa tao laissa quelques milliers d’hommes
pour la garder, et continua sa course vers le sud. Quand il eut atteint le
Fleuve, il démolit toutes les habitations du pays pour en retirer les bois, et fit
couper les joncs des marais pour construire des radeaux pour le passage. La
capitale Kién-k’ang était dans la terreur. On y leva le peuple en masse, on
prit les plus extrêmes précautions pour éviter une surprise. Du haut des tours
de la citadelle Chêu-t’eou, l’empereur contempla le camp des Wéi assis sur
l’autre rive. Il pâlit et dit à Kiāng-tchan son aide de camp :
— J’ai eu tort de provoquer les Wéi (p. 1098), contre l’avis de mes
conseillers ; c’est moi qui suis cause des maux du peuple...
Puis, avec un soupir :
— Ah si T’ân tao-tsi vivait encore ! (p. 1101), les chevaux de ces
Barbares ne boiraient pas l’eau du Kiāng.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cependant les préparatifs de traversée ne réussirent pas au gré de T’oûopa tao. Il s’aboucha avec l’empereur, lui offrit des chameaux, des coursiers, la
paix, et une alliance par mariage. L’empereur lui envoya aussi de beaux
présents, T’oûo-pa tao présenta son petit-fils aux envoyés de l’empereur, et
leur dit :
— Je suis venu jusqu’ici de très loin, non par amour de la gloire,
mais pour me
p.1109
procurer de bons officiers (il s’appropriait tous
ceux qu’il prenait, comme jadis Fôu-kien, p. 997). Si l’empereur
donne sa fille à ce mien petit-fils, je donnerai la mienne à son
petit-fils, je me retirerai, et jamais les chevaux des Wéi ne
courront plus vers le sud...
L’empereur soumit ces propositions aux délibérations de ses conseillers.
Ceux-ci opinèrent qu’il fallait accepter, crainte de plus grands malheurs...
— Cette concession ne vous servira de rien, dit Kiāng-tchan, car
ces Barbares n’ont ni foi ni loi...
De fait, aucun mariage ne fut conclu.
Le premier jour du premier mois de l’an 451 (mào, voyez la prédiction p.
1107), le roi de Wéi donna un grand festin à ses généraux et officiers, avec
promotions, récompenses, feux de joie, etc. On vit, de la rive sud, tout ce
remue-ménage. Yìnn-houng dit à l’empereur :
— Je connais les mœurs des Barbares. Les Wéi vont lever le
camp...
De fait, le lendemain, après avoir pillé à fond ce qui restait à piller, les Wéi
mirent le feu à leurs baraques, et reprirent le chemin du nord.
Quand ils repassèrent à Hū-i, ville célèbre pour son bon vin, le roi de Wéi
en fit demander à Tsāng-tcheu. Celui-ci lui envoya une jarre de purin.
Furieux, T’oûo-pa tao fit entourer la ville d’un mur de circonvallation, que sa
nombreuse armée acheva en une seule nuit. Quand la ville fut ainsi bloquée,
il adressa à Tsāng-tcheu la lettre suivante :
— Vous ne valez pas que je vous attaque avec mes troupes. Aussi
vous fais-je assiéger par des Kirghiz, des Huns, des Tangoutains et
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
des Tibétains. Tuez-les tous, si vous pouvez ; vous me rendrez
service en diminuant le nombre des brigands dans mes États...
Tsāng-tchen répondit :
— Il m’importe peu de vivre. Si le Ciel et la Terre sont dépourvus
d’intelligence au point de permettre que je tombe entre vos mains,
broyez-moi, égorgez-moi, écartelez-moi, à votre bon plaisir ; ma
vie est à mon empereur. Cependant vous ne réussirez
p.1110
peut-
être pas mieux que Fôu-kien (p. 998) n’a réussi jadis en ces
parages, n’étant ni plus sage ni plus puissant que lui...
T’oûo-pa tao entra dans une telle colère, qu’il fit forger un siège de fer tout
hérissé de pointes, pour y asseoir Tsāng-tcheu après qu’il aurait pris Hū-i...
Alors Tsāng-tcheu écrivit aux soldats Wéi :
« Quiconque coupera la tête du Renard Buddhiste sera fait marquis
d’une terre de dix mille familles...
Les Wéi approchèrent des remparts avec leur fameuse machine, la tortue à
crocs. Les assiégés saisirent les crocs avec des nœuds coulants et tirèrent si
bien à eux, que les machines ne purent pas se retirer ; puis durant la nuit,
des hommes descendus du haut des remparts dans des tonneaux attachés à
des cordes, les détruisirent. Les béliers furent impuissants, les remparts étant
construits en matériaux très solides. Enfin les Wéi recoururent à leur grand
moyen, l’assaut désespéré, en colonnes successives lancées l’une derrière
l’autre, si bien que toute reculade était impossible, et qu’il fallait, ou escalader
le rempart, ou périr dans le fossé. Les cadavres s’entassèrent au niveau des
créneaux, mais la ville ne fut pas prise. Après 30 jours de siège, une maladie
pestilentielle éclata parmi les Wéi. Enfin une flottille impériale remontant le
Hoâi avec des renforts, le roi de Wéi brûla ses machines, et battit en retraite
(451).
Ceux de Hū-i voulurent le poursuivre :
— Non, fit le sage gouverneur Chènn-p’ou ; nous sommes trop peu
nombreux ; nous avons pu tenir derrière nos murailles, mais nous
ne sommes pas de force à livrer bataille en rase campagne...
40
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Dans son rapport au trône, Tsāng-tcheu rapporta tout l’honneur de la défense
à Chènn-p’ou, et celui-ci à Tsāng-tcheu. L’empereur fut très édifié de leur
conduite à tous les deux... Quand les Wéi, dans leur retraite, défilèrent près
de P’êng-tch’en, le gouverneur Liôu i-koung n’imita
p.1111
pas la sage
prudence de Chènn-p’ou. Il mit son lieutenant T’ân houo-tcheu aux trousses
de T’oûo-pa tao. Celui-ci l’enveloppa et le massacra avec tous ses hommes,
jusqu’au dernier.
@
Culte chez les Sóng... En 435, le préfet Siáo mouo-tcheu présenta à
l’empereur la requête suivante :
« Voici la quatrième dynastie, depuis que le Buddha (le buddhisme)
a été introduit en Chine. Ses statues et ses images, ses temples et
ses
bonzeries,
s’y
comptent
maintenant
par
milliers.
Les
matériaux, bambou, cuivre, étoffes, victuailles pour son culte, ne
se calculent plus. Oubliant les Génies du ciel et de la terre, on ne
pense plus qu’à cet homme (Buddha). Si on ne met obstacle à ce
désordre, il se répandra indéfiniment. Je demande que désormais
quiconque voudra couler une statue en cuivre, élever un temple ou
bâtir un couvent, devra en solliciter préalablement l’autorisation,
par
une
pétition
détaillée
et
circonstanciée,
adressée
au
gouvernement...
L’empereur approuva.
An 436. Jadis quand Liôu-u, le fondateur de la dynastie, prit Tch’âng-nan
(p. 1059), il y trouva, parmi les bibelots des Ts’înn, une antique sphère
céleste, mais à laquelle les sept luminaires (soleil, lune, cinq planètes)
manquaient. On sait la place que cette sphère tient dans le gouvernement
chinois, depuis la plus haute antiquité (p. 34). L’empereur ordonna à Ts’iên
lao-tcheu de fondre (en cuivre) une nouvelle sphère armillaire complète. Elle
eut un peu plus de six pieds de diamètre. Une horloge à eau la faisait tourner
sur elle-même. Elle reproduisait exactement les phénomènes célestes, la nuit,
le jour, le mouvement des astres.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 438, l’empereur distingua et autorisa quatre sortes d’études, savoir :
Taoïsme, Histoire, Lettres, Confuciisme. Ce sur quoi Sēu-ma koang observe :
« L’Histoire étant une des branches, et les Lettres étant la
récréation des Confuciistes, il n’y avait pas lieu de les
p.1112
distinguer comme des études spéciales. Quant aux doctrines de
Lào-tzeu et de Tchoāng-tzeu, ces spéculations creuses n’ayant rien
de scientifique, il n’y avait pas lieu d’en autoriser l’étude. On
étudie, pour trouver la voie (la vérité). Or il n’y a pas, en ce
monde, deux voies (deux vérités). Il n’y en a qu’une. Alors
pourquoi distinguer et autoriser quatre études ? !...
L’empereur Wênn était donc un de ces Confuciistes pour la vie présente, qui
croyait au Taoïsme pour l’au-delà. Il y en eut beaucoup de cette sorte, et
parfois de beaux esprits. Tendance naturelle du cœur humain, auquel le
positivisme nu répugne... L’empereur ne fut personnellement, ni buddhiste, ni
favorable au buddhisme, qu’il persécuta durement. Le sobriquet de Renard
Buddhiste souvent donné à T’oûo-pa tao, est donc assez étonnant. Il visait
probablement les princes T’oûo-pa en général.
En 442, l’empereur ordonna de réparer le temple élevé à Confucius au lieu
de sa sépulture, et l’école attenante à ce temple. Cinq familles furent
affectées à l’entretien de la sépulture, du temple et de l’école ; au balayage et
à l’arrosage, dit le texte. Depuis que la capitale était établie au sud du Fleuve
Bleu, on faisait, sans accompagnement de musique, les sacrifices aux tertres
du Ciel et de la Terre ; durant les offrandes aux ancêtres, il y avait des
chants, mais pas de danses. En 445, l’empereur ordonna que désormais le
sacrifice au tertre du Ciel, serait accompagné du chant des hymnes.
@
Culte chez les Wéi. En 438, T’oûo-pa tao fit retourner au siècle tous les
moines âgés de moins de cinquante ans, ce qui enraya pour un temps le
progrès constant du buddhisme. Le roi de Wéi avait besoin de soldats.
En 440, T’oûo-pa tao ayant reçu un grimoire cabalistique du táo-cheu
K’eóu k’ien-tcheu (p. 1073), il en fut
p.1113
si heureux et si fier, qu’il institua
une ère nouvelle, et se nomma le Prince Génie de la Paix Suprême.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 442, K’eóu k’ien-tcheu dit au roi de Wéi :
— Puisque vous êtes maintenant Prince Génie, puisque vous avez
érigé le tertre du palais céleste et propagez sa loi, vous devez
recevoir, devant ce tertre, le diplôme de votre mission, la plus
haute qui ait jamais été, afin qu’elle soit manifestée à tous...
T’oûo-pa tao se soumit à cette investiture, et depuis lors, à leur intronisation,
les rois de Wéi reçurent tous, près du tertre élevé par T’oûo-pa tao, le
diplôme qui les créait Prince Génie ; imitation, sous une forme plus concrète,
du fameux mandat du Ciel, des empereurs chinois... Puis K’eóu k’ien-tcheu
persuada à sa royale dupe, de construire, pour ses rapports avec les Génies
célestes, une tour si élevée, que du sommet on n’entendrait plus les bruits de
la terre (aboiements des chiens et chant des coqs, dit le texte). Le roi donna
des ordres en conséquence. La tour fut entreprise, coûta beaucoup d’argent,
et ne fut jamais achevée.
Jadis, quand les Wéi (Tongouses Soùo-t’eou, p. 856) habitaient encore
aux environs du lac Baïkal, ils avaient aménagé, dans le pays de Ou-lao-heou
(Orkhon, 72), une grotte naturelle, pour être le temple où ils offriraient des
sacrifices à leurs Ancêtres. La grotte était haute de 70 pieds, et profonde de
90 pas. Depuis que les Wéi avaient pénétré en Chine, ces bons Ancêtres
étaient oubliés. En 443, un envoyé venu du pays de Ou-lao-heou, les leur
rappela. T’oûo-pa tao députa un officier pour leur offrir un sacrifice. Celui-ci
grava sur le mur l’oraison sacrificale, puis revint. Ou-lao-heou est à plus de
quatre mille lì de P’îng-tch’eng (11) la capitale des Wéi, dit le texte.
En 443, T’oûo-pa tao étant parti en guerre contre les Jeóu-jan, Liôu-hie
dit à ses familiers :
— S’il ne revient pas, je mettrai T’oûo-pa p’ei
p.1114
à sa place.
Il demanda aussi à Tchāng song, qui possédait des livres de magie, si les Liôu
n’étaient pas appelés à régner, et s’il n’avait pas des chances. Informé de ces
agissements, T’oûo-pa tao ordonna une enquête sévère. Liôu-hie et Tchāngsong furent mis à mort, avec toute leur famille. T’oûo-pa p’ei n’était pas tout
à fait net, à ce qu’il paraît, car il mourut de chagrin, dit le texte, c’est-à-dire
qu’il se suicida, ou fut suicidé... Jadis, dit l’Histoire, le roi ayant bâti une
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
terrasse élevée, T’oûo-pa p’ei avait rêvé qu’il était au haut de cette terrasse,
regardant de tous les côtés, sans voir personne. Il demanda à Tòng tao-siou
de consulter l’achillée sur la signification de ce songe...
— Il est faste (il vous promet que vous monterez au pinacle), dit le
devin...
T’oûo-pa p’ei rit de joie.., Cette histoire ayant été divulguée après la mort du
prince, T’oûo-pa tao fit lapider Tòng tao-siou par la populace du marché...
« Il ne l’a pas volé, dit Kāo-yunn. Tout devin qui manie l’achillée,
ne doit tirer, de ses manipulations, que des conclusions morales,
qui portent à la fidélité et à la piété filiale. Consulté par le prince,
Tòng tao-siou aurait dû lui citer le sentences suivantes des
Mutations : Le pinacle est un lieu dangereux... Le dragon qui fait
l’insolent, aura lieu de s’en repentir... et surtout celle-ci, qui résout
son cas : Hauteur et isolement, c’est néfaste... Ainsi il aurait
détourné le roitelet de mal faire. En manquant à son devoir, il a
perdu, et le roitelet et lui-même. Il n’a eu que ce qu’il méritait.
La même année 444 un décret de T’oûo-pa tao ordonna à tous ses sujets,
depuis les princes du sang jusqu’aux gens du peuple, de livrer à l’autorité tout
moine ou magicien privé (nourri clandestinement par eux, dit le texte). Dans
le cas de tous ceux qui n’auraient pas obéi avant le 15 de la 2e lune, le maître
de maison et toute sa famille, seraient mis à mort
p.1115
avec le moine ou le
magicien.
La même année, décret ordonnant que tous les fils de nobles et officiers,
iraient obligatoirement à l’école de la capitale ; que tous les fils d’artisans ou
de marchands, apprendraient obligatoirement la profession de leur père, ou
de leur frère aîné. Défense d’ouvrir aucune école privée, sous peine de mort,
et pour le maître enseignant, et pour le propriétaire de l’immeuble avec toute
sa famille.
Après leur entrée en Chine, les Wéi avaient adopté l’antique culte des
Chinois, sacrifiant, comme ces derniers, au Ciel, à la Terre, aux Ancêtres et
aux Chênn. Mais ils avaient conservé en outre le culte de beaucoup de Chênn
tongouses. En 444, Ts’oēi-hao demanda au roi de ne conserver, de ceux-là,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
que ceux dont le culte s’harmonisait avec le culte chinois, 57 en tout, et de
supprimer tous les autres. Ainsi fut fait.
T’oûo-pa tao et Ts’oēi-hao, l’un dupe l’autre allié de K’eóu k’ien-tcheu,
étaient très zélés pour le taoïsme. Tous deux étaient très hostiles au
buddhisme. Ts’oēi-hao ne manquait aucune occasion de représenter au roi le
vide doctrinal de cette secte, et le tort économique qu’elle lui causait. Il
demandait son abolition pure et simple. L’événement suivant le servit à
souhait... En 446, un jour que T’oûo-pa tao s’était rendu à Tch’âng-nan, il
entra dans un temple buddhique. Tandis qu’il y était, les moines traitèrent ses
gens, comme c’est l’usage en Chine. Ceux-ci flânant dans le couvent, y
découvrirent un dépôt d’armes, et avertirent le roi.
— Que font-ils de ces armes ? demanda celui-ci en colère ; ils
doivent être d’intelligence avec mes ennemis...
On découvrit de plus, dans les dépendances du couvent, une distillerie d’eaude-vie, et un souterrain plein de femmes et de filles... Édifié sur leurs mœurs,
T’oûo-pa tao ordonna d’exécuter tous les habitants de ce couvent, sans
exception... Ts’oēi-hao battit le fer pendant qu’il
p.1116
était chaud.
— Je vous le disais bien ! Faites-en autant à tous les moines de
votre royaume, ! Détruisez et brûlez leurs temples, leurs livres et
leurs images !..
— Soit, dit le roi ;
et il fit rédiger un édit ainsi conçu :
« Jadis un prince imbécile de la dynastie Heóu-Hán (l’empereur
Mîng, p. 689), ajoutant foi à une doctrine fausse et perverse,
bouleversa les anciens usages, supprima l’enseignement classique,
ruina les rites et abusa du territoire (mainmorte). J’ai résolu
d’abolir la fausseté, de rétablir la vérité, et d’éteindre jusqu’aux
derniers vestiges de sa funeste erreur. Que les officiers de la police
recherchent donc exactement toutes les images buddhiques, tous
les livres hindous, et les brûlent tous, sans exception. Que les
moines, sans distinction d’âge, soient tous mis à mort. Que
désormais quiconque honorera des Chênn exotiques, quiconque
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
fera des images humaines en argile ou en cuivre, soit mis à mort
avec toute sa famille...
Or T’oûo-pa hoang, le prince royal de Wéi, était un fervent buddhiste. Il
chercha, mais en vain, à obtenir que l’édit de proscription ne fût pas
promulgué. Du moins arriva-t-il à en retarder la promulgation, le temps qu’il
fallut pour prévenir les moines du malheur qui allait les frapper. Par suite de
ce retard beaucoup de moines sauvèrent leur vie, leurs livres et leurs images,
dit le texte mais leurs temples furent détruits, jusqu’au dernier.
A propos de cet édit important et instructif, l’Histoire contient les passages
suivants : Depuis que le buddhisme s’était introduit en Chine, beaucoup de
gens l’avaient reçu avec révérence, et lui avaient demandé leur bonheur ou
leur profit. Il n’avait éprouvé aucune contradiction violente. Que T’oûo-pa tao
roi de Wéi le supprima de cette manière radicale, cela prouve que c’était un
prince ferme, droit, et pas superstitieux. Ceux qui ont écrit sa vie, depuis lors,
prétendent que sa mort funeste fut le châtiment de cette
p.1117
persécution
du buddhisme. Moi je réponds, l’empereur Où des Leang (voyez an 549),
dévot buddhiste s’il en fut, n’est-il pas lui aussi mort misérablement ? Le
Buddha aurait-il vu clair dans le cas de T’oûo-pa tao, et pas clair dans le cas
de Leâng Où-ti ? La vérité est, que le bonheur et le malheur de l’homme,
dépendent uniquement de sa bonne ou de sa mauvaise conduite. Le Buddha
n’y est pour rien... Pour ce qui est des moines, l’Histoire dit qu’ils furent mis à
mort justement et pour cause (et non pas injustement)... Mais, me dira-t-on,
était-ce un crime, à ces gens-là, d’observer leur loi, et de conformer leur vie à
ce qu’ils croyaient vrai et bien ?.. Je réponds, leur crime, le voici : Vivant en
Chine, ils suivaient une loi exotique. Rejetant la croyance commune, ils
s’attachaient à une doctrine hétérodoxe. Renonçant au service de leur
Souverain (service militaire, impôts), rejetant les devoirs de la piété filiale
(entrée en religion), éteignant les relations sociales (célibat), détruisant leur
corps (austérités), flânant et mangeant sans travailler (quêtes), ils étaient
tous des vers rongeurs du peuple, et allaient parfois jusqu’à la débauche
cachée, jusqu’à l’inconduite éhontée, jusqu’à des choses qui ne peuvent pas
se dire. Jugez maintenant s’il y eut crime ou non, s’ils périrent innocents ou
coupables ? J’accorde qu’ils n’avaient pas l’intention de nuire. Ce n’en étaient
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pas moins des malfaiteurs ! Que désormais tous ceux qui seraient tentés
d’honorer les moines, se souviennent de cela !
Un autre Lettré roucoule : Hélas, si le prince doit aimer ceux de ses sujets
qui sont sages et bons, il doit avoir pitié de ceux qui sont stupides et mal
venus. Tout citoyen qui erre dans la doctrine, qui manque aux rites, qui viole
la loi, doit d’abord être examiné quant à ses principes et intentions. Si le
prince le trouve répréhensible, il faut qu’il le lui intime, par un édit clair et
précis. Si le citoyen
p.1118
méprise cet édit, alors il est coupable, et doit être
mis à mort ; c’est juste et équitable. Que si le prince ne porte préalablement
aucune prohibition, et puis, un beau jour, sévisse brutalement (le cas de
T’oûo-pa tao), c’est là une iniquité. Quoique ce me soit volupté de penser que
T’oûo-pa tao égorgea les moines, cependant, parce qu’il le fit sans avoir
d’abord crié gare, sans leur avoir assigné un terme pour revenir à
résipiscence, sans leur avoir donné l’avis et le temps de se convertir, je
déplore son action. D’ailleurs, le cœur humain penchant invinciblement dans
un sens ou dans l’autre, T’oûo-pa tao aurait dû répandre la vérité confuciiste ;
il aurait ainsi mis fin à l’erreur buddhiste, sans effusion de sang. Or il ne le fit
pas (étant lui-même taoïste).
Anticipons,
pour
voir
tourner
la
roue
de
la
fortune,
phénomène
international, mais plus spécialement chinois, l’inconséquence et l’incohérent
semblant être, dans ce pays, le principe fondamental du gouvernement. En
452, T’oûo-pa tao étant mort et son cadavre à peine refroidi, son successeur
T’oûo-pa tsounn annula ses loi de proscription. Il le fit, dit l’Histoire à la
demande des ministres et des officiers. Après la destruction des pagodes, le
peuple avait continué à pratiquer le buddhisme en particulier. T’oûo-pa
tsounn commença par permettre l’érection d’un temple par district. Il permit
à ses sujets de se faire moines, à raison de 40 à 50 par district. Ces
restrictions ne furent jamais observées. L’Histoire confesse ingénument que
tout ce que T’oûo-pa tao avait mis par terre, se releva du coup. T’oûo-pa
tsounn fut si fervent buddhiste, qu’il portait la tête rasée, à la manière des
moines, par dévotion.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Astronomie... En 448, révision du calendrier, dans le royaume de Wéi.
Heûe tch’eng-t’ien fit savoir au roi ce qui suit :
« Au temps de Yâo, le solstice
p.1119
d’hiver était au 10e degré de
la constellation Sū-niu ; maintenant, en réalité, il est au 17e degré
de la constellation Teòu, tandis qu’on le met vers le 12e degré de
cet astérisme. Les deux solstices aberrent de près de 4 jours. Je
demande qu’on les mette au point au moyen du gnomon, puis
qu’on corrige toutes les stations solaires. L’erreur est de trois jours
et dix (vingt) heures... De plus, l’erreur causée par l’addition des
restes lunaires (fractions de 12 heures 44 minutes) négligés, est
cause que les éclipses de soleil et de lune ne tombent plus le 1 et
le 15 du mois. J’ai redressé le calendrier lunaire, d’après ces
enseignements tirés des éclipses...
Le Grand Astrologue approuva toutes les conclusions de Heûe tch’eng-t’ien. Il
rejeta seulement l’ordre nouveau de succession des lunes grandes et petites,
proposé par Heûe tch’eng-t’ien, pour montrer que lui aussi était capable...
Voyez Chine à travers les âges, page 161. Le calendrier réformé de Heûe
tch’eng-t’ien, fut adopté par décret royal. On pense que cet astronome avait
appris ce qu’il savait des Indiens.
@
Mort de T’oûo-pa tao... Un certain Tsoūng-nai, officier du roi de Wéi, était
odieux à Kiôu-ni tao-tch’eng favori du prince royal Hoàng (p. 1116). Celui-ci
l’ayant desservi auprès du prince, pour se venger Tsoūng-nai le calomnia
auprès du roi. En 451, T’oûo-pa tao fit mettre à mort le favori de son fils, et
plusieurs autres de ses officiers. Le prince Hoàng, ayant perdu la face, mourut
de chagrin, ou autrement. Ensuite T’oûo-pa tao découvrit la calomnie, et
regretta son fils. Redoutant sa vengeance, Tsoūng-nai l’assassina, en 452.
Les ministres voulurent lui donner pour successeur son fils T’oûo-pa han.
Mais Tsoūng-nai qui s’était déjà secrètement entendu avec le prince T’oûo-pa
u, supposa un ordre de la reine douairière, appela les ministres au palais, les
fit décapiter un à un
p.1120
par les eunuques au fur et à mesure de leur
arrivée, tua T’oûo-pa han et mit son frère T’oûo-pa u sur le trône. Celui-ci
nomma Tsoūng-nai Maréchal de Wéi ; échange de bons procédés.
48
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Dès que l’empereur eut appris la fin tragique de T’oûo-pa tao, il envahit le
royaume de Wéi. Son général Siáo seu-hoa mit le siège devant le fort de Kāonao. Les assiégés creusèrent un tunnel, et sortirent un beau jour de terre, au
milieu du camp des assiégeants, le brûlèrent avec tout le parc de siège, et
firent un grand carnage. Siào seu-hoa dut retourner piteusement d’où il était
venu.
Cependant, en moins d’un mois, les largesses de T’oûo-pa u eurent vidé le
trésor de Wéi ; il comptait se faire pardonner par là son intrusion, et
s’attacher des créatures. Il était aussi grand buveur, grand chasseur, et
extrêmement
paresseux.
Cumulant
les
fonctions
de
Maréchal
et
de
Chancelier, Tsoūng-nai finit par régner sous son nom. A la longue, cependant,
T’oûo-pa u se lassa de cette espèce de servage, et projeta de se débarrasser
de son maître. Tsoūng-nai eut vent de ses projets, et ne fut pas long à
prendre sa détermination. La nuit du premier jour de la 10e lune, T’oûo-pa u
étant allé offrir un sacrifice au temple de l’est Tsoūng-nai le fit assassiner par
l’eunuque Kià-tcheou. Sans lui donner le temps de mettre une nouvelle
créature sur le trône, ou de s’y asseoir soi-même ce qui était probablement
son intention, l’officier des gardes Liôu-ni, aidé de quelques amis, mit sur le
trône le prince T’oûo-pa tsounn. Puis il courut au temple de l’est, et cria à la
foule encore réunie :
— C’est Tsoūng-nai qui a fait assassiner le roi T’oûo-pa u. Son
neveu T’oûo-pa tsounn est monté sur le trône !..
Aussitôt le peuple acclama T’oûo-pa tsounn... Liôu-ni saisit Tsoūng-nai, Kiàtcheou et leurs complices, épuisa sur eux toutes les tortures, les mit à mort et
égorgea leurs familles.
p.1121
@
Mort de l’empereur Wênn... Jadis, en 426, l’impératrice Yuân ayant donné
le jour au prince Cháo, examina elle-même les bosses du nouveau-né.
Épouvantée de ce qu’elle découvrit, elle fit dire à l’empereur :
— L’enfant qui vous est né, a les bosses de tous les crimes ; il
ruinera son pays et sa famille ; il ne faut pas qu’il vive ; je vais le
faire mettre à mort...
49
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur courut à la fenêtre de l’impératrice (un mari n’entre pas dans la
chambre de sa femme accouchée, rites), et défendit de tuer l’enfant. Il sauva
ainsi la vie à son futur meurtrier.
Plus tard, la dame P’ān ayant donné le jour au prince Tsoúnn, l’impératrice
en mourut de dépit. Par suite, Cháo voua une haine mortelle à Tsoúnn et à sa
mère. Mœurs de harem... Cependant, à force de bassesses, Tsoúnn finit par
se mettre assez bien avec son frère... Or le magicien Yên tao-u se targuait de
commander aux koèi et autres êtres transcendants. Il était d’intelligence avec
Wâng ying-ou (Wâng la Perruche), soubrette d’une princesse du sang. Il
corrompit, par son entremise, les deux princes Cháo et Tsoúnn. La bande fit
une image en jade de l’empereur, pratiqua sur cette image les cérémonies
ordinaires de l’envoûtement (p. 469), et la fit enterrer dans le palais, par
Tch’ênn t’ien-u et Tch’ênn k’ing-kouo, le premier domestique de la princesse,
le second eunuque du palais. Tch’ênn t’ien-u ayant ensuite abusé de la
Perruche, celle-ci le fit supprimer par le prince Cháo. Alors Tch’ênn k’ing-kouo
se dit : On doit l’avoir supprimé, parce qu’il savait le fait de l’envoûtement ;
mon tour va donc venir... et, pour sauver sa vie, il révéla tout à l’empereur.
Fou de peur et de colère, celui-ci fit arrêter la Perruche. On découvrit l’image
de jade. On trouva aussi une lettre du prince Tsoúnn au prince Cháo, ainsi
conçue :
« Si cet homme (l’empereur leur père) continue à
p.1122
nous
gêner (il leur avait fait des reproches sur leur conduite), il nous
faudra abréger ses jours et faire nos affaires.
L’empereur ordonna une enquête sérieuse. Cependant le magicien Yên tao-u
parvint à s’échapper. L’empereur ne fit pas non plus emprisonner ses deux
fils, quoique leur culpabilité fût démontrée.
Enfin il se résolut à dégrader Cháo, et à faire mourir Tsoúnn, mais voulut
nommer un nouveau prince royal, avant d’exécuter cet arrêt. Il tint à ce sujet
d’interminables séances nocturnes avec Sû tchan-tcheu. Avertis de ce qui se
préparait, par la dame P’ān mère de T’soúnn, ses deux fils furent plus
prompts à se décider que lui... La dynastie Sóng étant de date assez récente,
et encore mal affermie, il y avait au palais une caserne de dix mille
cuirassiers. Le prince Cháo était très populaire parmi ces gens, qu’il avait
50
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
gagnés en leur payant à manger et à boire, allant jusqu’à leur verser du vin
de sa propre main. Décidé à pousser les choses à l’extrême, il appela, durant
la nuit, leurs officiers Siáo pinn Yuân-chou et Yīnn-tchoung-sou, pleura devant
eux et leur dit :
— Trompé par des calomniateurs, l’empereur veut me dégrader.
Étant innocent, je ne puis me résoudre à subir cet affront. Au point
du jour, je ferai la grande chose (j’assassinerai mon père, p. 125).
Je compte sur vous pour m’aider...
et se levant, les salua... Le premier moment de stupeur fut tel, que personne
ne lui répondit. Enfin Siáo-pinn et Yuân-chou ayant repris haleine, dirent :
— On n’a jamais vu chose pareille ; veuillez y bien penser !..
Cháo pâlit de colère... Ce que voyant, Siáo-pinn dit :
— J’obéirai...
— Es-tu sûr, lui demanda Yuân-chou, que ce garçon parle
sérieusement ? Ne sais-tu pas que, depuis son bas âge, il est
toqué ?
— Alors tu crois que je manquerai mon coup ? demanda Cháo
furieux.
— Vous ne le manquerez pas, dit Yuân chou ; mais quand vous
l’aurez fait,
p.1123
le Ciel et la Terre vous réprouveront !..
Les deux autres le poussèrent dehors. Il retourna dans sa chambre, y marcha
à grands pas jusqu’à la quatrième veille (lutte intérieure), puis se coucha. A
l’aube, cuirassé par-dessus sa robe d’écarlate, avec Siáo-pinn sur son char,
Cháo se présenta aux portes encore fermées du palais, et fit appeler Yuânchou. Celui-ci refusa de se lever. Tiré de son lit, il fut amené devant Cháo, qui
lui ordonna de monter aussi sur son char. Sur son refus, Cháo le fit décapiter
sur place. Puis, exhibant un faux ordre impérial, il pénétra dans le palais avec
sa troupe. Tchāng tch’ao-tcheu courut aussitôt à l’appartement de l’empereur,
lequel, encore sur pied, discutait à son ordinaire avec Sû tchan-tcheu sur le
choix de son successeur. Au moment où les conjurés se jetèrent sur lui,
l’empereur essaya de parer avec la petite table placée, à la mode chinoise,
51
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
entre lui et son interlocuteur. Le coup de sabre de Tchāng tch’ao-tcheu,
glissant sur le rebord de la table, lui trancha les cinq doigts d’une main. La
table étant tombée, un second coup le renversa mort. Sû tchan-tcheu qui
avait à peine eu le temps de se lever, tant cette tragédie avait été rapide, fut
abattu comme son maître... Cependant les gardes qui n’étaient pas dans le
secret, avaient pris les armes au bruit. Sans prendre le temps d’endosser sa
cuirasse, l’officier Poùo t’ien-u saisit son arc, tira sur le prince Cháo, et le
manqua. Il fut aussitôt dépêché, avec quelques autres officiers fidèles. Puis
Cháo, esprit pratique, fit égorger la dame P’ān, mère de Tsoúnn, qu’il haïssait
comme nous avons dit, ainsi que les favoris et favorites de l’empereur défunt,
qui lui étaient contraires. Le prince Tsoúnn n’était pas parmi les envahisseurs.
Cháo ne l’avait prévenu de rien. Quand il entendit, de son hôtel, les cris et le
tumulte, il ne sut d’abord que penser. Puis un messager de Cháo l’ayant
appelé, il s’arma et alla le
p.1124
rejoindre...
— Votre mère a péri par accident dans la bagarre, lui dit Cháo...
— Quel bonheur pour vous, répliqua Tsoúnn...
Cependant, supposant un ordre du défunt empereur, Cháo avait fait arrêter
Liôu i-koung et Heûe Chang-tcheu, les principaux ministres. Il convoqua en
suite la foule des petits officiers. Dès qu’ils furent quelques dizaines, sans
attendre les autres, Cháo s’assit sur le trône et dicta l’édit suivant :
« Sû tchan tcheu ayant résolu d’assassiner l’empereur mon père, je
suis accouru en tout hâte, avec mes soldats, pour prévenir le
forfait. Hélas, quand je suis arrivé c’en était déjà fait. Maintenant,
le meurtrier étant mort, je proclame un amnistie, et l’ère nouvelle
du Grand Commencement...
Puis, descendant du trône, il se retira et feignit une maladie, pour ne pas
assister aux funérailles de son père. Il se fit garder, jour et nuit, par des
hommes en armes. Cependant l’usurpateur parricide avait grand’peur de son
frère
Liôu-tsunn
lequel
était
en
province,
avec
sa
mère :
Il
écrivit
secrètement, de sa propre main, au général Chènn k’ing-tche un ordre de
l’assassiner. Quand celui-ci demanda une entrevue à Liôu-tsunn le prince se
doutant de quelque chose de néfaste, refusa de le recevoir. Chènn k’ing-tcheu
52
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pénétra de force dans son appartement, et lui lut la lettre de Liôu-chao. Liôutsunn demanda, en pleurant, le temps de faire ses adieux à sa mère.
— Pas la peine ! dit Chènn k’ing-tcheu ; j’ai fait ma commission ;
parlons maintenant d’autre chose. J’ai été comblé de biens par
votre père. Croyez-vous que je prenne mon parti de ce qui vient
d’arriver ?
Liôu-tsunn se leva, le salua et dit :
— Je remets entre vos mains ma famille et l’État...
Aussitôt Chènn k’ing-tcheu donna ordre de mobiliser les troupes du district...
— Pas si vite, dit Yên-tsounn, jeune secrétaire de Liôu-tsunn ;
entendez-vous d’abord avec d’autres gouverneurs, pour que la
levée soit
p.1125
générale...
— Blanc bec ! cria Chènn k’ing-tcheu avec une voix terrible,
occupe-toi de barbouiller du papier ! Le délai est-il possible, dans
un cas pareil ? Veux-tu que je te coupe la tête, pour apprendre aux
ergoteurs ?..
Yên-tsounn répondit à cette prosopopée, par sa plus belle révérence... En
moins d’un mois, une armée de Soldats Transcendants (Vengeurs du droit)
fut sur pied. Liôu-tsunn les adjura, nomma Chènn k’ing-tcheu Grand Général,
et lui adjoignit Liôu yuan-king, Tsoūng-k’iao, Tchōu siou-tcheu, tous officiers
célèbres. Yên-tsounn fut chargé de la politique... Dès qu’ils apprirent le fait de
l’insurrection, les trois gouverneurs Liôu i-suan Tsāng-tcheu et Lòu-choang,
rompirent avec Liôu-chao, et amenèrent leurs soldats à Liôu-tsunn. Quand
celui-ci fut arrivé à Sûnn-yang (c), il lança un manifeste contre le parricide.
L’empire tout entier se souleva à cet appel.
Or Liôu-chao, se croyant bon général, et craignant d’être assassiné, avait
écarté tous les militaires et s’était entouré de lettrés, en disant :
— S’il se produit des troubles, je les réprimerai moi-même...
Quand il apprit que les troupes de quatre gouvernements marchaient contre
lui, très effrayé, il se mit sur la défensive. Au quatrième mois, les colonnes
des insurgés convergèrent sur la capitale. N’osant se lier à aucun des anciens
53
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
officiers de son père, Liôu-chao avait confié ses troupes à des hommes
nouveaux, Lòu-siou, Wâng louo-han et autres. Son complice Siáo-pinn
dirigeait les opérations. On conseilla à Liôu-chao de défendre la forteresse
Chêu-t’eou.
— Si je l’essayais, dit-il, tout serait perdu ; la seule chance que
j’aie, est une victoire en rase campagne.
Quand le commandant P’âng siou-tcheu apprit cela, il s’enfuit de Chêu-t’eou
et passa aux insurgés. Son exemple jeta le désarroi parmi les partisans de
Liôu-chao. Wâng seng-ta préfet de Suān-tch’eng passa
p.1126
également aux
insurgés... Cependant Liôu-tsunn était tombé gravement malade à Sûnnyang. Cet incident pouvait devenir fatal à sa cause, en provoquant une
panique, chose si terrible en Chine. Yên-tsounn séquestra le malade, le soigna
lui-même, confectionna en son nom tous les décrets et ordres nécessaires, si
bien que l’armée des Vengeurs ignora absolument la maladie de son chef... La
colonne de Liôu yuan-king arriva la première devant Kién-k’ang. Siáo-pinn
s’avança à sa rencontre, avec dix mille hommes d’élite. Monté sur une des
portes de la capitale, Liôu-chao contemplait la bataille... Liôu yuan-king
donna à ses officiers l’ordre du jour suivant :
« Rien n’étant fatal, dans une bataille, comme un signal mal
répété, comme un cri poussé à contretemps, bâillonnez vos
hommes, ne donnez aucun signal, suivez-moi tous, moi et mon
tambour !..
Libéralement payés, les soldats de Liôu-chao se battirent d’abord très bien.
Mais leur premier assaut ayant été repoussé, leur commandant Lòu-siou
donna
le
signal
de
faire
halte.
Cet
ordre
inattendu
répandit
une
certain inquiétude parmi les impériaux. Liôu yuan-king profita de ce moment
critique, pour les charger avec furie. Les impériaux se débandèrent, et Lòusiou s’enfuit. Ce que voyant, Liôu-chao descendit de sa porte, se mit à la tête
de ses réserves, et marcha à l’ennemi. Il fut enfoncé, en un instant, mais
parvint à rentrer dans la ville et à s’y maintenir.
Liôu-tsunn ayant reçu nouvelle de cette victoire, prit aussitôt le titre
d’empereur à Sīnn-t’ing, donna un titre posthume à son père, le titre de
douairière à sa mère, et celui d’impératrice à la dame Wâng ; puis il donna
54
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
des titres et des récompenses à tous les auteurs et acteurs de l’insurrection.
Des renforts leur étant arrivés, les insurgés marchèrent en nombre contre la
capitale, battirent Wâng louo-hang qui capitula, et entourèrent la
p.1127
ville.
Alors la défection devint générale ; ce fut à qui abandonnerait Liôu-chao le
plus vite ; ministres, généraux, officiers, se faisaient descendre du haut des
remparts, pour passer aux assiégeants. Siáo-pinn capitula avec ses troupes.
Cet acte ne lui sauva pas la vie. Il fut décapité, à cause du rôle qu’il avait
joué dans le meurtre impérial. La ville ayant été prise, l’exécuteur du
meurtre, Tchāng tch’ao-tcheu, fut tué. Les officiers
l’éventrèrent, lui
arrachèrent le cœur, hachèrent son cadavre, et le mangèrent intégralement,
cru et sans sauce... Liôu-chao se jeta dans un puits. Il en fut retiré vivant, et
présenté au général Tsāng-tcheu. Celui-ci pleura, à sa vue.
— Pourquoi pleurer sur celui que le Ciel refuse de couvrir, que la
Terre refuse de porter (p. 1123), dit le parricide.
Tsāng-tcheu ordonna de le lier sur un cheval, et de le transporter au
camp. Comme on ne trouvait pas le sceau impérial :
— Il est aux mains de Yên tao-u (p. 1122), dit Liôu-chao.
On prit le magicien, qui livra le sceau. Ensuite, les arrêts ayant été scellés, les
exécutions légales commencèrent. Liôu-chao fut décapité, avec ses quatre
fils, devant la tente du général en chef. Son frère Liôu-tsounn qui avait fui,
fut ramené et décapité de même, avec ses trois fils. Leurs neuf têtes furent
suspendues, et leurs cadavres exposés nus sur le marché, pour y être
outragés par la populace. L’hôtel de Liôu-chao fut converti en un dépôt public
d’immondices. Le magicien Yên tao-u et la soubrette Wâng, furent fouettés
dans les rues, décapités, brûlés, enfin leurs cendres furent jetées dans le
Fleuve. Tous les autres acteurs et fauteurs du parricide, furent pareillement
mis à mort. On regrette de trouver, parmi leurs noms, celui du brave Chènnp’ou (p. 1107).
L’empereur Wênn, dont l’histoire se termine par cette page lugubre, avait
occupé le trône durant 30 ans. Il
p.1128
55
mourut à l’âge de 47 ans. Liôu-tsunn
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
était son troisième fils. Après la mort tragique de ses deux frères, il devint
l’empereur Hiáo-Où, à l’âge de 24 ans.
@
56
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Hiáo-Où,
454 à 464.
@
Nous avons vu quel rôle les gouverneurs Tsāng-tcheu et Liôu i-suan
jouèrent dans son exaltation. Se prévalant des services rendus, Tsāng-tcheu
médita de s’affranchir du joug impérial. L’empereur ayant abusé des filles de
Liôu i-suan, Tsāng-tcheu souffla le ressentiment du père outragé, et le gagna
à son projet. A son tour Liôu i-suan embaucha ses amis les gouverneurs Lòuchoang et Sû i-pao. Tous devaient faire leurs préparatifs, pour lever
l’étendard de la révolte en automne. Or Lòu-choang était un ivrogne : Un
jour, pris de vin, il laissa échapper le secret de la conspiration. Revenu à lui,
pour éviter les suites, il se révolta aussitôt. Bon gré mal gré, Sû i-pao puis
Liôu i-suan et Tsāng-tcheu, durent en faire autant. Ils lancèrent un manifeste,
dans lequel ils annonçaient à l’empire, qu’ils s’étaient levés pour châtier les
mauvais conseillers de l’empereur (cf. p. 361). Heureusement qu’ils n’eurent
pas le temps d’organiser et d’exercer leurs troupes. Sūe nan-tou battit Tsāngtcheu à plate couture. Les bandes de Liôu i-suan se dispersèrent sans
combattre. Tué dans sa fuite, Tsāng-tcheu fut décapité post mortem ; sa
famille fut livrée à la populace. Liôu i-suan fut décapité à Kiāng-ling, avec ses
seize fils. Ces événements se passèrent en 454.
En 455, Liôu-tan, un autre prince du sang, se révolta à Koàng-ling.
Furieux, l’empereur commença par faire massacrer tous ses parents, amis et
connaissances, plusieurs milliers de personnes, dit le texte. Puis Chênn k’ingtcheu conduisit une armée contre le prince, et assiégea Koàng-ling. Liôu-tan
voulut lui passer, du haut du rempart, un mémoire au trône, contenant ses
doléances.
— J’ai été envoyé ici, dit Chènn k’ing-tcheu, pour prendre un
rebelle, et non pour transmettre ses papiers. Si tu veux, je te ferai
transporter toi-même à la capitale, sous bonne garde ; c’est tout
ce que je ferai pour toi...
Jadis l’officier Heúe-pi s’était fortement opposé à la rébellion du prince.
Pour le faire taire, celui-ci avait été jusqu’à le menacer de son poignard.
57
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Quand la ville fut assiégée et que les défections eurent commencé, quelqu’un
conseilla à Heúe-pi de déserter comme les autres, pour sauver sa vie.
— Non, dit-il. Mon prince est un rebelle, je ne puis donc pas
défendre sa cause. Comme il m’a fait du bien, je ne puis pas le
trahir. Je dois donc mourir.
Et il s’empoisonna... Heûe k’ang-tcheu tenta d’ouvrir une porte aux
impériaux. N’ayant pas réussi, il déserta. Liôu-tan fit élever un pilori sur le
rempart à la vue des impériaux, y attacha nue la mère de Heûe k’ang-tcheu,
et la laissa mourir de faim. Elle agonisa durant plusieurs jours, en appelant
son fils... Enfin Chènn k’ing-tcheu prit la ville d’assaut. Liôu-tan fut décapité.
Sa mère et ses femmes durent se suicider... A cette nouvelle, l’empereur
passa une revue triomphale, et se fit acclamer. Ts’ái hing-tsoung qui était
tout près de lui, ne cria pas.
— Pourquoi ne me félicites-tu pas de ma victoire ? lui demanda
l’empereur mécontent...
— Parce que vous avez dû faire mourir votre parent ; or, aux jours
de deuil, on pleure, on ne félicite pas (Rites)...
L’empereur dut empocher la remarque. Il ordonna à Chènn k’ing-tcheu de
massacrer tous les habitants de Koàng-ling, sans exception. Chènn k’ingtcheu se permit d’épargner les garçons qui avaient moins de cinq pieds de
haut, et toutes les filles qu’il livra à ses soldats. Il ne massacra en tout que
trois mille personnes.
@
Personnages... L’Histoire consacre la note suivante à Yên yen-tcheu, le
père
p.1130
du lettré Yên-tsounn, chancelier de l’empereur Hiáo-Où : Jamais il
n’accepta le moindre objet en présent. Vêtu de toile, habitant dans une
masure, il vécut dans la fortune aussi déguenillé qu’il l’avait été dans la
misère. Il ne voyageait que dans une charrette traînée par un bœuf maigre,
et faisait ranger cet équipage, pour faire place à tous les véhicules qu’il
rencontrait (ce qui est, en Chine, le dernier degré de l’humilité, pratiqué par
très peu de cochers). Il n’était pas tendre pour son fils Tsoúnn. Quand celui-ci
fut devenu l’objet des faveurs impériales, le père lui dit, par manière de
58
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
félicitation :
— Moi qui n’ai jamais pu sentir les aristocrates, fallait-il que je
t’eusse sous mon toit ?..
Quand Tsoúnn se fut bâti une maison :
— Bien, dit le terrible père mais tâche qu’on ne se la montre du
doigt, un jour, en riant de ta ruine…
Un jour le père étant allé trouver son fils de grand matin, le trouva encore
couché, avec des quémandeurs faisaient antichambre. Pour le coup il se fâcha
rouge.
— Toi qui es né sur un fumier, lui dit-il, vas-tu, dans ton orgueil,
monter au-dessus des nuages ? Crois bien que cela te perdra !..
Quand le père fut mort, le fils si bien formé quitta sa charge et prit le deuil
près de sa tombe, comme Confucius l’exige. L’empereur refusa de se priver
de ses services. Yên-tsounn refusa, au nom des Rites, de remplir ses
fonctions. L’ empereur envoya un député, lequel empoigna Yên-tsounn près
de la tombe de son père, l’emballa de ses propres mains dans un char, le
voitura à son tribunal, le déballa et l’assit sur son siège, après l’avoir revêtu
de force du costume de sa charge, couvert d’un sarreau de toile de chanvre
(deuil) envoyé par l’empereur. Admirables, les casuistes chinois ! Ils se tirent
de toutes les difficultés.
@
Culte.. En 458, le moine buddhiste T’ân-piao, grand magicien, se crut
p.1131
appelé à faire une révolution. Il complota avec l’officier Miâo-yunn, pour
renverser l’empereur, et mettre sur le trône un certain Kāo-chee. La chose
ayant transpiré, les conspirateurs furent exécutés. Puis l’empereur publia
contre les moines, un édit très sévère, ordonnant de les cribler tous avec la
plus extrême rigueur, et de mettre à mort ou de séculariser tous ceux qui ne
vivaient pas strictement selon leur règle. L’accès du harem impérial fut
interdit à toute nonne.
En 462, les Cérémoniaires se rappelèrent que jadis, sous l’empereur
Tch’êng des Tsínn, Ù-ping le frère du chancelier Ù-leang (p. 931), avait
59
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
demandé qu’on imposât aux moines de se prosterner devant l’empereur,
comme tout le monde. Ils refusaient obstinément cette forme d’hommage. Sa
demande fut mise ad acta. Irrités contre les moines, les Cérémoniaires
l’exhumèrent en 462. Ils présentèrent au trône la note suivante :
« Le Buddhisme détruit la doctrine des livres et pervertit les
mœurs. Ses adeptes qui se prosternent devant les quatre
catégories de Vénérables (bikchous moines mendiants, bikchounis
nonnes mendiantes, upasakas et upasikas membres du tiers ordre,
hommes et femmes), saluent à peine leurs parents. Ils se mettent
le front dans la poussière devant un vieux moine, et se tiennent
droits et raides devant l’empereur. Après en avoir conféré, nous
demandons qu’on impose aux moines le cérémonial de la cour,
quand ils y sont reçus...
L’empereur sanctionna cet édit (lequel fut rapporté peu d’années après)...
Nous verrons, en son temps (an 631), un édit impérial ordonner aux enfants
buddhistes de se prosterner devant leurs parents. Les hommes à qui il faut
enjoindre ce devoir par un édit, sont-ils des hommes ? se demande le
commentateur... Nous verrons aussi, en son temps (an 713), les Mahométans
refuser de se prosterner devant les empereurs de Chine, au péril de leur vie,
la prosternation étant réservée à Allah.
S’il était hostile au Buddhisme, l’empereur n’était pas pour cela un
Confuciiste éclairé, car, en cette même année 462, il restaura le culte des
Cinq Ti, si souvent flétri par les Lettrés (pp. 352, 864, etc.). Aussi les
commentateurs ricanent.
@
Mœurs... L’empereur chassait, flânait, courait la prétantaine. Sorti de
grand matin, il ne rentrait souvent qu’à la nuit close, et se faisait alors ouvrir
une porte de la capitale. Un jour Síe-tchoang
p.1132
étant de garde, refusa de
le laisser rentrer, autrement que sur un ordre écrit parfaitement en règle. Le
lendemain l’empereur lui dit :
— Vous posez pour imiter Tchéu-yunn (p. 670) paraît-il !...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Quand l’empereur sort de la capitale, dit Síe-tchoang, soit pour
sacrifier, soit pour chasser, il doit observer les usages établis. Vous
sortez avant le jour, et rentrez durant la nuit. Je crains qu’un jour
de mauvaises gens ne vous fassent un mauvais parti. Voilà
pourquoi j’ai demandé un ordre écrit ; je tenais à couvrir ma
responsabilité (p. 387, 558).
Un autre jour, le lettré Kóu-fa présenta à l’empereur le factum suivant :
« Quand la source est pure, le ruisseau est limpide ; quand l’âme
est morigénée, le corps est en sûreté. Prenez-y garde ! La vie est
comme le vent, comme l’herbe !..
Ces jolies phrases ne plurent pas à l’empereur. Il jeta le placet à terre, avec
colère et mépris.
L’empereur allait souvent, avec ses officiers, visiter la tombe de feu sa
favorite la dame Yīnn (chose très indécente). Un jour, devant cette tombe, il
dit à Liôu tei-yuan :
— Si vous la pleurez comme il faut, je vous récompenserai
libéralement (chose extrêmement indécente).
Aussitôt le courtisan fit des bonds et poussa des hurlements absolument
extraordinaires, taudis que les larmes ruisselaient de ses yeux. Ravi de joie,
l’empereur le nomma illico gouverneur d’une province.
L’empereur était intelligent, lettré, brave, bon cavalier et bon archer, mais
perdu de vices. Depuis que les Tsínn avaient transporté la capitale à Kiénk’ang (en 317), les temps étant mauvais, on n’avait jamais élevé dans cette
ville aucun édifice remarquable. L’empereur Hiáo-Où épuisa le trésor, pour se
faire bâtir un somptueux palais. A cette occasion, on démolit l’appartement
qu’avait occupé jadis le fondateur de la dynastie, et qui avait été conservé
jusque-là dans son état primitif. Avant démolition, l’empereur le visita avec
p.1133
ses officiers. La pauvre lanterne qui avait éclairé les veilles de Liôu-u,
pendait encore, par une ficelle, à une fiche enfoncée dans le mur en terre
battue à la tête du lit. A ce spectacle, Yuân-k’ai exalta la simplicité de Liôu-u.
— Après tout, dit l’empereur avec flegme, pour ce parvenu-là
c’était encore trop bon.
61
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Avec l’âge, l’empereur ajouta, à ses autres vices, ceux de l’avarice et de
l’ivrognerie. Il ne se couchait plus, mais s’accotait sur la table, quand l’ivresse
et le sommeil le terrassaient. Chose étonnante, quand on le tirait de cet état
pour lui parler d’affaires, aussitôt qu’il avait levé la tête, il retrouvait toute sa
lucidité. Il était craint, et partant bien servi. Un jour, en 464, on le trouva
mort, dans la position susdite. Il était âgé de 35 ans, et avait occupé le trône
durant 11 années. Un testament vrai ou supposé remettait la régence à Liôu
i-koung et Liôu yuan-king. En cas de guerre, tout pouvoir devait être donné à
Chènn k’ing-tcheu. Le prince impérial Liôu tzeu-ie, âgé de 16 ans, fut mis sur
le trône. Il reçut les insignes du pouvoir avec tant d’indifférence et de
nonchalance, que le Cérémoniaire Ts’âi-hing dit de lui, après la séance :
— Ce garçon perdra sa famille et l’empire.
@
Remettons au point les affaires des Wéi.
Il paraît que, dans ce pays, officiers et peuple buvaient beaucoup ; puis,
quand ils étaient ivres, ils se disputaient entre eux et critiquaient le
gouvernement. Le roi T’oûo-pa tsounn n’y alla pas de main morte. En 453, il
porta peine de mort, pour quiconque aurait fabriqué, vendu, bu, une liqueur
fermentée. On n’est pas plus pratique !.. La loi fut abrogée en 465. Les
bonnes choses ne durent pas !
Il paraît que les fonctionnaires et officiers de Wéi, recevaient aussi
volontiers des présents, ou s’en faisaient aux dépens des contribuables,
vendaient la justice, etc. T’oûo-pa tsounn les fit surveiller par des enquêteurs
secrets, et sévit contre les
p.1134
délinquants avec la plus extrême rigueur. Il
ajouta au Code 79 articles nouveaux.
En 454, les Wéi prirent Khami (i).
En 458, expédition contre les Jeóu-jan. Surpris par une pluie mêlée de
neige, au début de l’expédition, le roi allait la remettre à un autre temps.
— Ne faites pas dire, lui dit Ù-kuan, que, ayant mobilisé une
armée, vous soyez revenu sur vos pas ! Les Jeóu-jan penseraient
qu’une révolution intérieure vous a contraint de retourner en
62
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
arrière. Ils nous envahiraient, sur vos talons. L’armée souffre du
froid, c’est vrai, mais il faut avancer !..
Le roi avança, franchit le désert, reçut la soumission de quelques hordes
insignifiantes. Le khan Tch’óu-louo s’était retiré, avec son monde, dans son
repaire de Kobdo (71). Le roi de Wéi éleva une stèle commémorative de cette
promenade militaire, puis revint sur ses pas.
En 460, Chêu-yinn roi des Tongouses T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, ami
et allié des Wéi, se fit aussi l’ami et l’allié de l’empire ; panier à deux anses.
Cette manière d’être l’allié de tout le monde, déplut aux Wéi. T’oûo-pa sinntch’eng alla donner une leçon aux T’ou-kou-hounn.
La même année, traversant la passe, les Jeóu-jan prirent Tourfan (t), sur
un roitelet Hun de la horde Tsōu-k’iu que nous connaissons (p. 1086), mirent
fin à cette dynastie, et firent un roi de leur façon, nommé K’ān-pai-tcheou.
En 464, chez les Jeóu-jan, mort du khan Tch’óu-louo. Son fils U-tch’eng
lui succéda, et devint le khan Cheóu-louo pou-tchenn.
@
63
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Liôu tzeu-ie,
464.
@
Comme il périt dans l’année, il ne reçut pas de titre posthume.
L’impératrice douairière étant tombée gravement malade, fit prier Liôu
tzeu-ie de venir la visiter...
— Les malades ont des lutins plein le ventre, dit celui-ci (croyance
superstitieuse) ; je n’irai pas...
— Qu’on m’éventre, pour voir, s’écria l’impératrice furieuse...
On peut habiter un harem, un palais,
Famine
dans
les
provinces
p.1135
sans être gens bien élevés.
orientales,
par
suite
de
sécheresses
prolongées. Le grain en vint à coûter plusieurs centaines de pièces de
monnaie la mesure. A la capitale même, il coûta plus de cent pièces. Sept
dixièmes de la population moururent de faim. — Aussi le recensement de 464
donna-t-il les chiffres suivants : 22 provinces, 274 préfectures, 1299 districts,
940 mille familles. Ce qui fait, au taux moyen de 5 à 6 personnes par famille,
environ cinq millions d’âmes pour la moitié méridionale de la Chine.
Comparez les statistiques antérieures p. 874.
Dès son enfance, Liôu tzeu-ie avait donné des signes non équivoques d’un
mauvais naturel. Dans les premiers jours de son règne, la crainte de la
douairière et des régents, le retint. Mais, quand la douairière fut morte, il
lâcha la bride à ses passions. Son gouverneur Tái fa-hing ne fut plus écouté.
L’eunuque favori Hoâ yuan-eull, qui en voulait à ce gouverneur, lequel gênait
ses tripotages, dit à Liôu tzeu-ie :
— On dit partout, que le véritable empereur, c’est Tái fa-hing, et
que vous n’êtes qu’un mannequin ; on craint même qu’il ne vous
supplante...
Il n’en fallut pas davantage. Tái fa-hing reçut aussitôt l’ordre de se suicider.
Après la mort de l’empereur Hiáo-Où qui les avait tenus très raide, Liôu ikoung et les autres régents s’étaient dit :
64
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Nous sommes sauvés ! nos mauvais jours sont passés !
et ils manifestèrent leur joie par des chants et des bombances. La mort de Tái
fa-hing les affecta désagréablement et leur inspira des craintes. Liôu yuanking projeta de détrôner Liôu tzeu-ie, et de le remplacer par Liôu i-koung. Il
s’en ouvrit à Chènn k’ing-tcheu. Celui-ci détestait Liôu i-koung. Il trahit les
conspirateurs. Liôu tzeu-ie se mit lui-même à la tête de ses gardes, tua Liôu
i-koung avec ses quatre fils, puis fit appeler Liôu yuan-king. Se doutant
p.1136
de ce qui l’attendait, celui-ci dit adieu à sa mère, puis sortit de sa maison. Les
bourreaux l’attendaient dans la rue, et le décapitèrent sur-le-champ, tel qu’il
était, en robe de cour. Il ne changea pas de visage, avant le coup fatal. Ses
fils, frères et neveux, furent tous massacrés.
Ces exécutions mirent Liôu tzeu-ie en appétit. A partir de ce jour, princes
et officiers, furent traités par lui comme les plus vils esclaves. Son frère Liôu
tzeu-loan, le préfet K’oùng ling-fou, le général Heûe-mai, enfin le Grand juge
Chènn k’ing-tcheu, furent tous sommairement exécutés, en moins de deux
mois.
Débarrassé des régents, Liôu tzeu-ie songea à se débarrasser de ses
oncles. Pour les rendre inoffensifs, il commença par les enfermer au palais,
puis les fit traiter de la manière la plus ignominieuse, fustiger etc. Ceux qu’il
maltraita le plus, étaient les plus âgés, Liôu-u, Liôu hiou-jenn, Liôu hiou-you.
Liôu-u étant fort gras, il l’appela le Porc. Il appela Liôu hiou-jenn le Boucher,
et Liôu hiou-you le Brigand. Il appela l’Ane, Liôu-wei, qui était mou et docile,
et l’obligea à manger dans une mangeoire. Il fit dépouiller le Porc, l’obligea à
se vautrer dans la boue, et à y prendre sa nourriture. A chaque instant il lui
prenait envie de l’égorger. Heureusement que Liôu hiou-jenn, qui se
possédait et avait le mot pour rire, arrivait à obtenir des sursis. Ainsi quand la
dame Mông se fut retirée en attendant ses couches, Liôu tzeu-ie ayant de
nouveau voulu faire égorger Liôu-u…
— On tue les porcs pour les fêtes, dit Liôu hiou-jenn ; attendez que
le prince impérial soit né...
C’est à Hiōu-jenn (qu’il égorgera plus tard), que Ú (le futur empereur
Mîng) dut de vivre. Cependant ces horreurs indignaient les uns, soulevaient
les autres. Liôu tzeu-hunn, frère de Liôu tzeu-ie (ou plutôt ses officiers, car il
65
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
avait 10 ans), leva l’étendard de la révolte à Sûnn-yan (c), et eut plus de cinq
mille partisans
p.1137
en moins d’un mois. — Dans l’entourage même de Liôu
tzeu-ie, Cheóu tsi-tcheu et Wâng king-tsai complotaient pour l’assassiner.
Liôu tzeu-ie n’était pas moins débauché que sanguinaire. Il faisait faire,
dans son parc, des courses de femmes nues. Un jour, une des filles du harem
ayant refusé de prendre part à ce jeu, il la fit décapiter. La nuit suivante elle
lui apparut et lui dit :
— J’ai porté plainte contre toi au Seigneur d’en haut !..
Une autre nuit, une fille qu’il ne connaissait pas, lui apparut et lui dit :
— Brute ! tu ne verras pas la moisson prochaine !..
Le lendemain, Liôu tzeu-ie ayant passé en revue toutes les filles du harem, fit
décapiter celle qu’il trouva la plus ressemblante à l’apparition.
Les sorcières consultées ayant déclaré que le parc impérial était hanté, et
qu’il fallait y pourchasser les koèi (revenants, lutins), Liôu tzeu-ie voulut
diriger en personne cette opération. Sans gardes ni témoins, accompagné
seulement d’une bande de sorcières et de filles, il tira et fit tirer des flèches
dans toutes les directions, pour détruire les koèi. Tandis qu’il commandait les
salves de ses amazones, Cheóu tsi-tcheu, à la tête des conjurés, envahit le
parc, sabre au clair, et le tua, sans phrases. Puis il avertit les gardes du
palais, que la douairière lui ayant ordonné (ordre supposé) de tuer ce fou
furieux, tout le monde eût à se tenir tranquille. Liôu hiou-jenn mit Liôu-u (le
Porc) sur le trône, fit appeler les ministres, et produisit un édit supposé de la
douairière, lequel, après un long réquisitoire contre Liôu tzeu-ie, le dégradait
et appelait Liôu-u à régner... Un frère et une sœur de Liôu tzeu-ie, nés de la
même mère, furent suicidés. Puis les princes captifs quittèrent le palais...
Cependant le cadavre de Liôu tzeu-ie gisait encore à l’endroit où il avait été
tué. Ts’ái hing-tsounn dit à Wâng-u :
— Cette brute ayant régné, il faut l’enterrer !...
On l’enterra.
Devenu l’empereur Mîng, Liôu-u ne fut pas d’abord
p.1138
reconnu par tout
l’empire. Trois provinces prirent les armes, et embrassèrent la cause de Liôu
66
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
tzeu-hunn, qui prit le titre d’empereur. Question de légitimité ; le frère avant
l’oncle.
@
67
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Mîng,
465 à 472.
@
Aussitôt qu’il fut assis sur le trône, il envoya ce qu’il avait de troupes,
contre
son
compétiteur.
Les
officiers
de
celui-ci,
vrais
fauteurs
du
soulèvement, lui épargnèrent la peine de combattre. Tchāng-ue invita Téngwan à venir boire dans sa tente, après avoir donné ordre à ses gardes de
massacrer son hôte, quand il demanderait du vin.
— Qu’allons-nous faire, demanda-t-il à Téng-wan...
— Coupons la tête au roitelet, dit celui-ci, et présentons-la pour
racheter les nôtres...
— Je vais racheter la mienne, en coupant la tienne, dit Tchāng-ue ;
du vin !..
Aussitôt les gardes dépêchèrent Téng-wan, et Tchāng ue porta sa tête au
général impérial Liôu hiou jenn... Entré dans Sûnn yang, Ts’ái na-tcheu arrêta
le petit prince Liôu tzeu-hunn. Quand le général Chènn you-tcheu fut arrivé, il
le fit décapiter. La tête de cet enfant de 11 ans, fut envoyée à la capitale.
Sans rival désormais, l’empereur Mîng mit un zèle infatigable, à quoi ?..
massacrer les membres de sa nombreuse famille. A voir les œuvres de sang
du Porc, on se prend à regretter que son neveu Tzèu-ie ne l’ait pas converti
en charcuterie. Il commença par faire égorger, sans aucune raison, par pure
précaution, ses neveux Liôu tzeu-soei, Liôu tzeu-hu, Liôu tzeu-yuan. Son
frère Liôu hiou jenn qui désirait peut être lui succéder, stimulait son zèle
sanguinaire.
— Tant qu’il restera un seul fils de l’empereur Hiáo-Où, lui dit-il,
vous ne pourrez pas être sûr du lendemain.
L’empereur ordonna donc à Liôu tzeu-fang et à ses 9 frères encore
survivants, de se suicider. Des 28 fils de l’empereur Hiáo-Où, pas un seul ne
fut épargné.
68
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’impératrice Lôu n’aimait guère, à ce qu’il paraît, un mari si aimable.
L’ayant invité à dîner, elle lui présenta une coupe empoisonnée.
— Buvez-la à ma santé, dit l’empereur.
L’impératrice mourut le jour même. L’empereur la remplaça par la dame
Wâng.
Comme il était sans enfants, et sans espoir d’en avoir, il prêta sa
concubine Tch’ênn à son mignon Lì tao-eull. Elle conçut un fils, que
l’empereur appela Liôu-u. Il fit aussi enlever les femmes enceintes de
plusieurs roitelets. Celle qui accouchait d’un garçon, était supprimée, et
l’enfant était donné à quelque favorite de l’empereur, qui passait pour être sa
mère.
Délivré de ses neveux, Mîng l’Empoisonneur s’occupa de ses frères... En
470, ordre à Liôu-wei l’Ane, de se suicider, sous prétexte qu’il avait maugréé
contre le gouvernement.
Ensuite, craignant que les survivants ne fissent un jour à son fils supposé
Liôu-u, ce que lui-même avait fait à ses neveux, il fit tuer Liôu hiou-you,
durant une chasse au faisan, par Cheóu tsi-tcheu dont nous connaissons la
poigne (p. 1137). L’assassin fut supprimé, peu de jours après sa victime. On
raconta que le prince s’était cassé le cou en tombant de cheval, et l’empereur
paya ses funérailles.
Le tour de Liôu hiou-jenn était venu. L’empereur l’appela au palais, et lui
fit présenter le breuvage classique.
— N’est-ce pas moi qui l’ai mis sur le trône ? dit celui-ci aux sbires,
avant de boire.
Liôu hiou jao fut pareillement appelé et suicidé. — De toute la famille
impériale, il ne resta en vie que le seul Liôu hiou-fan, que l’empereur jugea
trop bête pour pouvoir nuire.
@
69
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Encore en 470, durant un grand banquet de la cour, l’empereur ordonna à
quelques dames de se dévêtir, pour le plaisir des spectateurs. L’impératrice
Wâng se voila la face avec
p.1140
son éventail...
— Pourquoi ne regardez-vous pas ? lui cria l’empereur furieux ; ces
filles de rien ne sont-elles pas nées pour cela ?..
— Je pense qu’il y a d’autres manières convenables de s’amuser,
dit l’impératrice ; celle-ci ne convient pas...
Au comble de la rage, l’empereur ordonna de l’expulser...
— A la maison, dit son frère Wâng king-wenn, cette petite était
faible et timide. Comme elle est forte et hardie maintenant !
Ces repoussoirs sont la beauté du Miroir Historique. On ne reste jamais
sur le récit affadissant d’un désordre, sur le narré scandaleux d’un crime. La
conscience humaine a le dernier mot, et ce mot est généralement juste et
fort.
Wâng king-wenn était un noble caractère. Son exaltation, suite de la
fortune de sa sœur, lui fit toujours peur. Il donna souvent sa démission,
laquelle fut toujours refusée. La pudeur de sa sœur causa sa perte.
L’empereur lui envoya à domicile le breuvage classique, avec l’ordre écrit de
se suicider. Wâng king-wenn jouait aux échecs avec un ami. Il ouvrit la
missive, la lut, la replia, la déposa, finit la partie sans, changer de visage,
enfin rangea lui-même avec soin les échecs dans leur boîte, puis dit
tranquillement :
— L’empereur me fait la grâce de me permettre de mourir...
Après avoir écrit de sa propre main un billet de remerciement il but et
mourut.
Le trait suivant montre jusqu’où allait la défiance féroce de l’empereur.
Une nuit il rêva que Liôu-yinn, le préfet de U-tchang, allait se révolter.
Aussitôt qu’il fut éveillé, il lui envoya préventivement le bourreau.
En 472, Mîng-ti tomba malade. Il institua pour assurer le trône à son fils
supposé Liôu-u, alors âgé de dix ans (né, par conséquent, avant l’avènement
70
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
de son père), un conseil de régence composé des hommes qu’il croyait les
plus dévoués à sa personne,
p.1141
Liôu hiou-fan, Yuân-ts’an, Tch’òu-yuan,
Liôu-mien, Ts’ái hing-lsoung, Chènn you-tcheu. Tch’òu-yuan fit donner le
commandement de la garde, à l’officier Siáo tao-tch’eng, qui renversera la
dynastie. Ces dispositions prises, le Porc mourut, à l’âge de 34 ans, après
s’être vautré durant 7 ans sur le trône. Il nous reste à mentionner quelques
événements arrivés durant cette période.
@
Culte des Sóng... En 470, décret pour régler les sacrifices au Ciel et aux
Ancêtres. Le gouvernement de l’empereur Mîng fut Confuciiste. Lui-même
était Buddhiste.
En 471, i’empereur fit transformer en pagode l’hôtel qu’il avait habité jadis
dans sa principauté. Il dépensa, à cet effet, beaucoup d’argent. Un jour, le
préfet Tch’âo chang-tcheu étant venu à la cour de ce pays-là :
— Avez-vous visité ma pagode ? lui demanda l’empereur ; c’est ce
que j’ai fait de mieux...
Alors l’officier Û-yuan, qui assistait au colloque, dit :
— Vous l’avez bâtie avec l’argent du peuple, qui a dû vendre, pour
la payer, ses femmes et ses enfants. Si le Buddha le sait, loin de la
bénir, il doit maudire votre pagode. En l’élevant, vous avez commis
un crime, vous n’avez pas fait une bonne œuvre !..
Les assistants pâlirent de terreur. L’empereur fit jeter Û-yuan à la porte. Il
s’en alla paisiblement.
Guerres des Wéi... Ils conquirent sur l’empire, en 466, P’êng-tch’eng (a) ;
en 467, tout le nord du Hoâi, le fond occidental du bassin de ce fleuve, et la
partie septentrionale de la vallée de la Hán (31, 32, 33, 54, 55). En 469, la
presqu’île du Chān-tong (25, 26, 27). — En 470, ils défirent les T’ou-kouhounn du Koukou-nor, et les Jeóu-jan des steppes du nord.
71
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Culte des Wéi... T’oûo-pa tsounn étant mort en 465, en 467 son fils T’oûopa houng franchement Buddhiste, fait fondre une gigantesque statue du
p.1142
Buddha. On y employa cent mille livres de cuivre, et six cents livres
d’or. L’Histoire enregistre le fait, dit le commentaire, pour faire rire du Buddha
et du roi.
En 469, après la conquête du Chān-tong, les Wéi transplantèrent nombre
d’habitants de cette province, dans les environs peu peuplés de leur capitale
P’îng-tch’eng (11), et les y établirent comme colons. A cette occasion, T’ânyao supérieur général des moines de Wéi, fit au gouvernement la proposition
suivante :
— Le peuple ne sachant que vivre de la main à la bouche, déclarez
notables les familles
qui déposeront dans un couvent 600
boisseaux de grain par an ; en temps de famine, les moines
distribueront ces grains aux nécessiteux ; déclarez hommes liges
du Buddha, ceux que la loi livre aux mandarins pour être esclaves ;
ils balayeront et arroseront les pagodes...
T’oûo-pa houng accorda les deux requêtes. Bientôt le nombre des familles
notables, qui déposaient du grain chez les moines, fut très considérable.
En 471, l’Histoire contient la complainte suivante : T’oûo-pa houng était
intelligent, perspicace, brave et décidé ; mais dévot, tout ensemble, et au
Buddha, et à Lào-tzeu, il était travaillé de l’envie d’abdiquer en faveur du
prince T’oûo-pa tzeu-t’oei, pour se retirer dans la solitude. Enfin il en fit
sérieusement la proposition à son conseil. Au premier moment, personne ne
dit mot. Puis T’oûo-pa tzeu-yunn, le frère de T’oûo-pa tzeu-t’oei, dit :
— La paix du royaume tient à votre personne. Oseriez-vous bien
manquer aux Ancêtres et au Peuple, en compromettant cette
paix ? Que si vous abdiquez, ce ne peut être qu’en faveur de votre
fils, car ce que vous avez reçu de vos Ancêtres, doit passer à leurs
descendants. Vous déplairiez certainement aux Ancêtres, en
transmettant leur héritage à un collatéral, et vous causeriez des
troubles, en allumant des convoitises…
72
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les principaux conseillers se
p.1143
rangèrent à l’avis de Tzèu-yunn. Le roi
se fâcha, au point de changer de visage... Oui, songez à vos Ancêtres, insista
Kāo-yunn ; songez combien le Duc de Tcheōu se donna de peine, pour
conserver le trône à un mineur (à Tch’êng-wang, à la lignée directe, au lieu
de s’asseoir lui-même sur le trône, p. 87)...
— Eh bien, dit le roi, j’abdique en faveur de mon fils, et je vous
charge tous d’être ses protecteurs ; que Lóu-pouo, le plus franc
d’entre vous, soit son tuteur en titre !..
et il fit aussitôt remettre au prince T’oûo-pa houng, les insignes de la dignité
royale. L’enfant avait 5 ans. Il était éveillé et pieux. Un an auparavant, son
père souffrant d’un ulcère, il le lui avait léché consciencieusement. Quand on
l’assit sur le trône, il pleura amèrement...
— Pourquoi cela ? demanda le père...
— Parce que je vous évince, répondit l’enfant.
Après l’intronisation, les ministres dirent : Jadis l’empereur Kāo des Ts’iênHán étant monté sur le trône du vivant de son père, il donna à celui-ci le titre
d’Empereur Suprême (p. 281), pour bien montrer à tous qu’il ne considérait
pas son père comme son sujet. Or l’empereur Kāo était majeur et gouvernait
par lui-même. Vous donc qui êtes mineur, et qui ne pouvez encore gouverner
par vous-même, vous devez à votre père un titre encore plus honorable ;
appelez-le Empereur Souverain Suprême... T’oûo-pa houng obéit... Son père
se retira dans une pagode construite dans le parc royal, et y vécut en
communauté avec des bonzes contemplatifs, refusant d’apprendre autre
chose que les événements d’une gravité exceptionnelle.
@
73
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Liôu-u,
473 à 476.
@
Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume.
En 474, Liôu hiou-fan que l’empereur Mîng avait épargné comme trop bête
pour nuire, se révolta et tenta un coup de main sur la capitale. Siáo taotch’eng le défit et le tua. Cette
p.1144
victoire fit de lui le plus influent des
régents. Yuân-ts’an, Tch’òu-yuan, Liôu-ping, firent cause commune avec lui.
Ces quatre hommes décidaient toutes les affaires. On les appela les Quatre
Précieux.
Cependant Liôu-u avait manifesté, dès son enfance, un détestable
caractère. Plus d’une fois son père putatif, dut ordonner à sa mère la dame
Tch’ênn, de le fouetter cruellement. Quand il fut intronisé, il se tint d’abord
assez bien, par peur de la douairière, de sa mère et des régents. Mais bientôt
il se laissa aller à tous les déportements. Ayant appris qu’il était en réalité le
fils, non de l’empereur, mais du mignon Lì tao-eull, il s’en fit gloire. Quand il
sortait incognito pour courir la prétantaine, il se faisait appeler général Lì. Il
alla jusqu’à fréquenter les ruelles (mauvais lieux), en pantalon et chemise
(sans robe). Ou bien il allait passer la nuit dans quelque auberge. Ou bien il
se couchait le jour au bord de la route, mangeant et conversant avec la
populace. Quand quelqu’un l’insultait, l’impérial lazarone empochait sans rien
dire, avec plaisir même, dit le texte... Le gamin avait 12 ans. Précoce !
En 476, rébellion de Liôu king-sou, réprimée par le général Lì nan-minn.
Par suite de ce succès, dit l’Histoire, en 477 Liôu-u âgé alors de 14 ans,
devint d’une insolence extrême. Il sortait chaque jour, pour courir, précédé de
gardes armés, qui fondaient sur quiconque ne se rangeait pas à son
approche. Il détroussait les voyageurs, forçait les habitations, mettait sa vie
en danger, rentrait mécontent, le soir, quand il n’avait tué personne, etc. (cf.
p. 386). Un certain Yuân tien-fou ayant voulu l’enlever, dans une de ces
escapades, le complot fut découvert juste à temps. Sa mère l’ayant chapitré,
Liôu-u tenta de l’empoisonner... Un jour, durant la chaude saison, étant entré
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dans le camp de la garde, il trouva Siáo tao-tch’eng qui dormait la
méridienne, tout nu, more sinico. Liôu-u le fit lever dans cet état, prit un
pinceau, peignit sur son gros ventre un rond et un point, puis s’étant reculé, il
saisit son arc, et visa cette cible d’un nouveau genre, avec une flèche à
pointe... Siáo tao-tch’eng se couvrant avec une planche, cria :
— Quelle faute ai-je commise ?..
Alors Liôu-u changeant la flèche à pointe contre une flèche à bouton, tira,
l’atteignit au nombril, jeta son arc, et battit des mains en riant aux éclats...
Siáo tao-tch’eng déclara à ses collègues, qu’il fallait se défaire de ce fou...
— Il est jeune, dit Yuân-ts’an ; il se corrigera...
Mais Siáo tao-tch’eng était décidé à ne pas servir de cible une seconde fois. Il
était au mieux avec Wâng king-tsai, qui joua le rôle que nous savons, lors du
nettoyage de Liôu tzeu-ie (p. 1137). Siáo tao-tch’eng le pria de donner une
nouvelle exhibition de son talent de nettoyeur. Cela ne fut, ni long, ni difficile.
Wâng king-tsai acheta les valets de pied de Liôu-u. Un jour que celui-ci était
allé flâner, d’abord dans un couvent de nonnes, puis dans une pagode de
moines, ses gens l’enivrèrent, le couchèrent dans un char, le ramenèrent, lui
coupèrent le cou en chemin, et portèrent sa tête à Wâng king-tsai, qui avertit
Siáo tao-tch’eng, lequel courut en armes au palais. Expédié !
Quand on sut que Liôu-u n’était plus, ce furent partout des cris de joie.
Siáo tao-tch’eng convoqua le Grand Conseil, censément au nom de
l’impératrice. Il demanda d’abord à Liôu-ping :
— A qui donnerons-nous le pouvoir ?..
Il comptait que Liôu-ping le lui offrirait ; mais Liôu-ping s’excusa de
répondre. Les yeux de Siáo tao-tch’eng étincelèrent et sa barbe se hérissa. Il
interrogea Yuân-ts’an ; même silence... Alors Wâng king-tsai brandissant son
sabre (p. 496), dit à Siáo tao-tch’eng :
— Le pouvoir est entre vos mains. Prenez aussi le titre. Quiconque
trouvera à y redire, sera
p.1146
embroché par moi, avec cette
lame !..
et saisissant le bonnet impérial, il en coiffa Siáo tao-tch’eng, en lui disant :
75
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Cela presse !...
Cependant Siáo tao-tch’eng avait senti que la poire n’était pas encore mûre.
Il déposa le bonnet, rabroua Wâng king-tsai pour la forme, et nomma
empereur le roitelet Liôu-tchounn, un enfant de 11 ans. L’impératrice donna
un édit, dans lequel les péchés de Liôu-u, sa dégradation et sa mort, étaient
expliqués à l’empire. Siáo tao-tch’eng régenta, bien entendu. Liôu-tch’eng
passait pour être fils de l’empereur Mîng. En réalité, l’empereur avait pris sa
mère enceinte (p. 1139) au roitelet Liôu hiou-fan (p. 1139). En tout cas,
c’était un Sóng authentique. Il devint l’empereur Choúnn.
Mettons au point l’histoire des Wéi. Guerres... En 472, incursion des Jeóujan.
En 473, incursion des T’ou-kou-kounn du Koukou-nor.
En 474, les Jeóu-jan s’abouchent avec l’empire, contre les Wéi, attaquent
les postes des Nân-chan, et sont battus.
Culte... En 473, T’oûo-pa houng roi de Wéi (il avait 12 ans) anoblit
K’oùng-tch’eng, descendant de Confucius à la vingt-huitième génération, et
lui conféra le titre de Seigneur de la vénération du Sage. En 472, les censeurs
de Wéi avertirent le roi, que les sacrifices officiels, offerts en 1075 divers lieux
saints,
consommaient
chaque
année
75.500
victimes
(y
compris,
évidemment, les sacrifices aux Chènn barbares conservés par les Wéi, après
leur adoption du culte chinois, p. 1115)... Cet avertissement, probablement
suggéré par lui, fut porté à la connaissance du roi-moine (le Buddhisme
interdit de tuer les animaux), qui fut très affligé de ces massacres. Un édit
défendit d’immoler désormais des animaux, excepté au Ciel, à la Terre, et aux
Ancêtres. Mais tous les autres sacrifices, on
p.1147
devait se contenter d’offrir
du vin et des mets.
En 475, défense absolue de tuer aucun bœuf, aucun cheval. Effet de la foi
en la métempsycose. Wéi devint un éden pour les animaux. Pour couper des
têtes d’hommes, les T’oûo-pa n’y regardaient pas de si près. Les suppliciés
pouvaient se consoler par l’espoir de renaître bœufs.
76
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cependant, en 474, parut l’édit humanitaire suivant, inspiré aussi par le
roi-moine : Quand un homme a commis un crime, toute sa famille en pâtit.
Moi qui suis père et mère de mon peuple, je souffre de cet état de choses.
Désormais, sauf le cas de rébellion flagrante, qu’on ne punisse que les seuls
délinquants... Cette loi fit cesser les exécutions en masse, pour un temps.
Nous avons vu que ces exécutions, supprimées en théorie de très bonne
heure (p. 316), avaient toujours été maintenues dans la pratique.
Inspiré par son père le moine, le jeune roi de Wéi était juste, sévère, très
ennemi de toutes les formes de squeeze, d’exaction et de concussion. Jusquelà, dans le royaume de Wéi, les procédures avaient été purement orales, et
les sentences portées par un juge, selon son opinion personnelle. T’oûo-pa
houng ordonna que les procédures seraient désormais écrites, que le dossier
serait étudié par des juristes, lesquels appuieraient leur sentence sur le
Code... Il remplaça aussi certains supplices, comme les mutilations, par un
emprisonnement prolongé, agrémenté de flagellations périodiques. Les
officiers ayant protesté contre cette innovation :
— Vous n’y entendez rien, leur dit-il. La réclusion est un grand
bienfait. Quand il est enfermé, l’homme pense. Que les malfaiteurs
comprennent les biens que je leur procure ! Je les fais de plus
fustiger, pour que la douleur éveille en eux le repentir, et les rende
dignes de pardon. Ce mode de punir est moralisateur...
D’un autre côté, T’oûo-pa houng supprima les amnisties.
— Le pardon gratuit multiplie les crimes, disait-il.
p.1148
En 479, le roi-moine finit d’une manière assez lamentable. Trois
fonctionnaires, Lì-hinn, Lì-fou et son frère Lì-i, s’étaient rendus coupables de
tripotages, recels, etc. Or Lì-i était le favori, probablement l’amant de la
reine. Conformément à ses décrets, le roi fit mettre à mort Lì-fou et Lì-i (qui
n’étaient pas des bœufs), et punit sévèrement Lì-hinn. La reine Fông trouva
mauvais qu’on eût ainsi supprimé son favori. Elle empoisonna son mari le
moine ; et se fit régente du roi son fils, alors âgé de 15 ans.
@
77
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Choûnn,
477 à 479.
@
Les projets de Siáo tao-tch’eng n’étaient plus un mystère. Chènn youtcheu se souleva contre lui ; pas pour le bon droit, probablement, mais pour
faire ses propres affaires. Wâng yunn essaya de coaliser contre lui Yuân-ts’an
et Liôu-ping, ancien collègues devenus ses adversaires puisqu’il visait au
pouvoir. Les généraux Hoâng-hoei et Poùo pai-hing entrèrent aussi dans la
conjuration. On devait faire massacrer Siáo tao-tch’eng par la garde du
palais, sur un ordre supposé de l’impératrice... Mais Siáo tao-tch’eng fut
prévenu, et confia le soin de le tirer d’affaire, au spadassin Wâng king-tsai
que nous connaissons (p. 1145). Celui-ci assassina Wâng-yunn et Poùo paihing. Envoyé pour tuer Yuân-ts’an, Tái seng-tsing sauta seul le mur de sa
demeure. Yuân-tsoei fit à son père Yuân-ts’an un rempart de son corps. Tái
seng-tsing l’abattit d’un coup de sabre. Le père dit au fils mourant :
— Moi je meurs fidèle, toi tu meurs pieux !..
Tái seng-tsing ne lui laissa pas le temps d’en dire davantage... Le peuple
pleura père et le fils.
En 478, Chènn you-tcheu tenta d’enlever Yìng (dans le Hôu-pei actuel). Il
n’était pas aimé de ses hommes, qui craignaient ses emportements. La ville
ayant tenu bon, les défections commencèrent. Il dut se
p.1149
retirer, n’ayant
guère plus que vingt mille hommes, vers Kiāng-ling. Tchāng king-eull surprit
cette place avant son arrivée, et y massacra toute la famille de Chènn youtcheu. Quand celui-ci reçut la nouvelle de ce désastre, tout son monde
l’abandonna. Il se pendit, de désespoir.
Anecdote : Jadis Piēn-joung, officier de Chènn you-tcheu, ayant été
offensé par un de ses inférieurs, Chènn you-tcheu lui permit de le faire
fustiger et mettre à mort. Piēn-joung voua une reconnaissance débordante,
au maître qui l’avait ainsi aidé à assouvir sa vengeance. Quand Tchāng kingeull eut surpris Kiāng-ling, on conseilla à Piān-joung de lui faire des avances.
78
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— J’ai été si bien traité par Chènn you-tcheu, dit-il, que je ne lui
serai pas infidèle...
Tchāng king-eull le fit prendre. Quand on le lui eut amené :
— Tu viens bien tard ! dit-il...
— Je ne tiens pas à la vie, dit Piēn-joung ; pourquoi serais-je venu
plus tôt ?..
— Puisque tu veux mourir, tu mourras, dit Tchāng king-eull ;
et il ordonna de le conduire au supplice... Piēn-joung le remercia en souriant,
et suivit les exécuteurs... Dehors, son ami Tch’êng young-tcheu l’embrassa,
demandant à mourir avec lui et avant lui... Les exécuteurs demandèrent à
Tchāng king-eull ce qu’il fallait faire...
— Mais, ce qu’il désire, dit celui-ci...
Les bourreaux tuèrent donc d’abord Tch’êng Young-tcheu, ensuite Piēn-joung.
Leur mort attendrit les spectateurs.
Après ces succès, Siáo tao-tch’eng n’avait plus besoin de cacher ses
visées. En 478, il se fit Grand Juge, et Gouverneur général de seize provinces.
En 479, au troisième mois, il se fit Chancelier et Duc de Ts’î. Un mois plus
tard, il se fit Roi de Ts’î. C’est toujours le dernier pas, avant un changement
de dynastie.
L’empereur Choúnn comprit ce que parler voulait dire. Il envoya à Siáo
tao-tch’eng l’acte de son abdication. Wâng king-tsai le Nettoyeur (p. 1145)
entra au palais avec ses soldats...
— Est-ce que vous allez me tuer ? demanda le petit empereur, en
pleurant...
— Non, dit Wâng king-tsai ; mais il vous faut déménager. Jadis
votre Ancêtre a fait aux Sēu-ma (Tsínn), ce qu’on vous fait
aujourd’hui...
Le petit empereur joignit les mains en sanglotant, et pria ainsi :
79
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Oh ! de grâce ! que dans aucune de mes existences futures, je
ne renaisse dans le palais d’un roi !..
Tous les assistants pleuraient... L’enfant caressa Wâng king-tsai et lui dit :
— Je n’ai pas de prétentions ; je me contenterai bien volontiers
d’une rente de cent mille sapèques.
Or, ce jour-là, parmi les Cérémoniaires, Síe-k’ou était de service. C’est
donc lui qui devait enlever à l’empereur les insignes du pouvoir et les porter à
Siáo tao-tch’eng. Il s’alita et dit :
— Que le cérémoniaire de Ts’î fasse cette besogne !..
Celui qui devait rapporter cette réponse, eut peur et dit :
— Je vous dirai plutôt malade !..
— Gardez-vous en bien, dit Síe-k’ou ; je ne suis pas malade !..
et pour qu’on n’interprêtât pas ainsi son abstention il se leva, s’habilla, et alla
se promener dans la rue (cf. p. 618). A son défaut Wâng-kien fit la triste
opération. L’empereur dégradé fut logé hors du palais.
Tandis qu’on le conduisait à son nouveau domicile, le vieux chambellan
Wâng-k’ounn, qui avait déjà été témoin du précédent changement de
dynastie, embrassa le brancard du char, en gémissant :
— D’autres sont heureux d’avoir longtemps vécu ; moi je regrette !
Si nous avions su chasser les fourmis (les usurpateurs encore
petits, Liôu-u, Siáo tao-tch’eng), ces révolutions ne seraient pas
arrivées...
Tous les officiers pleuraient.
Cependant Tch’òu-yuan, l’auteur de la fortune de Siáo tao-tch’eng (p.
1141), était allé le quérir à son domicile. Siáo tao-tch’eng monta sur le trône,
nomma l’empereur dégradé roitelet de
p.1151
Jòu-yinn, le confina à Tān-yang,
et l’y fit garder par des soldats, lesquels avaient ordre de le mettre à mort, au
moindre événement spontané ou provoqué par eux. Bref, au cinquième mois,
un cavalier ayant passé au galop devant le logis du prince, les gardes
feignirent de croire à une tentative d’enlèvement, coururent aux armes, se
précipitèrent dans son appartement, et le tuèrent. Il avait 14 ans. Siáo tao80
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
tch’eng récompensa libéralement les meurtriers, puis fit mettre à mort,
jusqu’au dernier, les membres survivants de la famille Liôu de Sóng, laquelle
finit ainsi, après avoir occupé le trône durant 60 ans.
Pour ce qui concerne les relations avec l’Occident, sous cette dynastie,
nous avons parlé, page 1094, des ambassades Wéi, jusque chez les Alains de
la Mer Caspienne. — Pas signe de vie de l’empire de Byzance, auquel les
Perses, Genséric et Attila, donnaient assez de distractions. — Quant aux
relations maritimes, le commerce chinois, dans les mers du sud, était des
plus actifs. Les jonques chinoises touchaient à Galle (Ceylan), à Calicut
(Malabar), à Siref (Farsistan), et remontaient le Chat-el-Arab jusqu’à Hira.
Les historiens arabes, Massoudi (mort au Caire en 958), et Hamzah
d’Ispahan, attestent que, vers le milieu du cinquième siècle, chaque année
une flotte considérable de jonques chinoises arrivait à Hira, terminus du
commerce de la Chine vers l’Occident. Voyez page 721.
@
81
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE NAN-TS’I. Famille Siáo. 479-501.
L’empereur Kāo,
479 à 482.
Carte XIV — @
p.1152
Kién-k’ang (Nankin, K) continua à être la capitale de l’empire.
Jusque-là (depuis plus de 160 ans) cette ville n’était entourée que d’une
palissade. L’empereur la fit entourer d’une muraille. Il voulut imposer à la
population flottante qui l’habitait, le système antique de la surveillance
mutuelle et de la responsabilité par groupes de cinq et dix familles. On l’en
dissuada, par cet argument typique : La capitale est l’égout collecteur de
l’empire, l’asile et le refuge de la pire racaille. S’occuper de ces gens-là,
occasionnera bien des ennuis, sans procurer aucun avantage. Mieux vaut les
ignorer.
Les Wéi poursuivaient toujours leurs tentatives contre l’empire. En 480, ils
envahirent, au nombre de deux cent mille, le pays de Cheóu-yang (Hoâi). Le
commandant impérial Yuân tch’oung-tsou barra la Fêi, après avoir construit
un fort avancé dans un bas-fond.
— Vous servirez d’appât, dit-il aux soldats qu’il y mit ; quand vous
serez assiégés, je romprai mon barrage, et nous aurons le plaisir
de voir les cadavres des Wéi s’en aller à vau-l’eau.
De fait les Wéi donnèrent bêtement dans le piège. Des milliers d’hommes et
de chevaux furent noyés.
Une autre de leurs colonnes échoua devant K’iû-chan. Tandis qu’ils
assiégeaient la place, un petit renfort impérial arriva du sud par mer et par le
Hoâi. Il faisait nuit. Ts’oēi ling-kien qui le commandait, imagina de faire
illuminer
ses
jonques.
Croyant
avoir
affaire
à
forte
partie,
les
Wéi
déguerpirent.
En 481, courses des Wéi dans le Hoâi-yang. Une armée impériale arrive,
commandée par Lì nan-minn. Le fils du commandant charge, enfonce les Wéi
82
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
p.1153
puis est entouré. Le père charge à son tour, pour dégager son fils. Le
fils dégagé recharge, pour dégager son père. Ces deux hommes tinrent en
respect, pour un temps, toute l’armée des Wéi.
En 479, apparition d’un nouveau peuple, dont le nom fatiguera désormais
nos oreilles. Il s’agit des K’í-tan. En 479, leur khan s’établit dans la
Mandchourie actuelle, comme tributaire des Wéi. L’Histoire nous apprend que
les K’í-tan étaient des Tongouses, descendants ou remplaçants des anciens
Sièn-pi. Ils descendaient, disaient-ils, d’un homme et d’une femme, venus on
ne sait d’où, et qui s’étaient rencontrés par hasard ; ce que le commentaire
explique du confluent des deux branches terminales de la Soungari, où fut le
berceau de leur race.
En 481, mort du khan Chêu-yinn des T’ou-kou-hounn (Koukou-nor). Son
fils Tou-i-heou lui succède.
En 481, chez les Wéi, le moine Fā-siou causa une émeute. On le prit et on
le lia ; mais il défit ses liens, par ses formules magiques (le peuple chinois
attribue ce pouvoir à tous les magiciens). Alors les bourreaux lui dirent :
— Si tu es vraiment Chênn, tu dois être invulnérable ; essayons !..
Sur ce, ils lui passèrent un croc sous le ligament occipital, et le suspendirent
par la nuque. Il mit trois jours à mourir. — Si l’histoire enregistre si
soigneusement les émeutes causées par les bonzes (dit le commentaire),
c’est pour avertir de ce qu’ils risquent, ceux qui seraient tentés de croire aux
superstitions de ces gens-là.
Siáo tao-tch’eng, empereur Kāo, mourut en 482, à l’âge de 54 ans. Son
fils Siáo-tchai lui succéda, et devint l’empereur Où.
Dans son éloge funèbre, l’Histoire dit de Siáo tao-tch’eng qu’il était
prudent, savant, intègre, économe. Un jour on lui cousit du jade à un habit
neuf ; il le fit arracher, sous prétexte
p.1154
curiosités et les objets rares.
83
d’hygiène. Il avait en horreur les
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Si je règne dix ans, disait-il, j’espère que l’or et la terre
coûteront le même prix...
Comme il ne régna que quatre ans, l’or continue à valoir plus que la terre.
@
84
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Où,
483 à 493.
@
Anecdotes :
Tchāng king-eull que nous connaissons (p. 1149), croyait aux songes et
aux présages. Sa femme ayant rêvé que sa main brûlait, peu de jours après,
son mari fut fait préfet. Elle rêva que son bras brûlait, et son mari devint
gouverneur. Elle rêva que la moitié de son corps brûlait, et son mari devint
ministre. Un jour l’ambitieux Tchāng king-eull dit à un confident :
— Qui sait si ma femme ne finira pas par rêver que son corps tout
entier brûle (qui sait si je ne finirai pas par devenir empereur) ?...
Le propos fut rapporté à l’empereur Où, qui fit décapiter Tchāng king-eull,
prophylactiquement.
Chez les Wéi, le préfet Û lao-heou traitait son peuple avec la dernière
barbarie. Il coupait le poignet à l’un, arrachait la langue à l’autre, en faisait
écarteler, etc. Le roi l’ayant su, envoya sur les lieux un enquêteur secret ;
Constatation faite, le préfet fut décapité.
Hân k’i-linn, au contraire, était un philanthrope.. Liôu p’ou-k’ing lui dit :
— Si vous ne faites pas une exécution quelconque de temps en
temps, on vous respectera pas...
— Un mandarin humain, dit Hân k’i-linn, ne punit qu’à contrecœur, et seulement les vrais coupables. D’ailleurs mon peuple est
très sage. Mais quand j’aurai besoin d’un bourreau, je vous
donnerai la préférence..
Liôu p’ou-k’ing fut très honteux.
An 484 : Siáo tzeu-leang, prince du sang impérial, le Mécène des lettrés
de son temps, était un fervent Buddhiste. Fán-tchenn, l’un de ses protégés,
osa lui dire un jour que la doctrine buddhique n’était qu’un conte bleu...
— Si vous ne croyez pas à la rétribution des actes humains
(soutenue
p.1155
par les Buddhistes), dit le prince, comment
85
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
expliquez-vous que les uns naissent riches et les autres pauvres,
les uns nobles et les autres roturiers ?..
— Voici mon explication, dit Fán-tchenn : La même portière
s’accroche, à volonté, à la porte d’une salle de fêtes, ou à celle
d’un lieu d’aisances. Ainsi en est-il des hommes. Sans mérite ni
démérite précédent, de par leur destin, les uns trônent dans le
luxe, les autres traînent dans la fange...
Dans une dissertation devenue célébre, Fán-tchenn nia la survivance et par
suite la métempsycose :
La matière, disait-il, est le substratum de l’esprit ; l’esprit est
l’énergie de la matière. L’esprit est au corps ce que le fil est à la
lame. A-t-on jamais ouï dire, que la lame ayant cessé d’exister, le
fil ait subsisté ?..
Le prince Siáo tzeu-leang fit tout ce qu’il put pour gagner Fán-tchenn à sa
croyance.
— Sans cela, lui insinua un ami officieux, il n’y aura pas
d’avancement pour vous.
— Croyez-vous, demanda Fán-tchenn
en souriant, que je sois
homme à monnayer mes convictions ?
Un jour on conduisit le prince impérial hors de la capitale, pour lui faire
voir la moisson du blé. Après avoir bien regardé :
— C’est un assez joli spectacle, dit-il...
Désagréablement affectés de la légèreté de l’enfant, les officiers se taisaient.
Fán-yunn parla :
— Ce n’est pas pour vous montrer un joli spectacle, qu’on vous a
conduit ici. C’est pour que, sachant combien le peuple peine, vous
ayez honte de vivre oisif.
Chez les Wéi, durant le règne de T’oûo-pa houng, une foule de faits divers
instructifs... En 482, le jeune roi étant allé voir sa ménagerie :
86
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Prendre des bêtes féroces, dit-il, c’est dangereux et inutile.
Qu’on n’en prenne plus, désormais, pour me les offrir.
En 482, le roi sacrifia pour la première fois lui-même à ses Ancêtres. Il
ordonna qu’avant la cérémonie tous les préparatifs et exercices fussent faits
avec
p.1156
le plus grand soin, et que tout fût parfaitement conforme au rituel
ancien. Depuis lors il fit régulièrement les offrandes, en personne, aux quatre
saisons.
En 483, la dame Lînn donna au jeune roi son premier fils. La douairière
Fông l’adopta, et l’enfant fut nommé prince héritier. Or c’était la coutume des
Wéi, que la mère de l’héritier présomptif devait mourir. La douairière Fông
ordonna donc à la dame Lînn (lui accorda gracieusement, dit le texte ; c’est
l’expression consacrée) de se suicider.
En 484, chez les Wéi nouvelle réglementation des impôts.. Jadis, chaque
groupe de 3 à 10 familles, payait en nature, au gouvernement général, deux
pièces d’étoffe, deux livres de filasse, une livre de fil, deux cents boisseaux de
grain ; plus une pièce d’étoffe, pour le gouvernement local. Les mandarins
prélevaient arbitrairement ce qu’ils jugeaient bon... En 484, le roi ayant
décidé que tous les fonctionnaires recevraient un traitement fixe, il imposa en
plus au peuple, trois pièces d’étoffe et vingt-neuf boisseaux de grain pour le
gouvernement général, deux pièces d’étoffe pour le gouvernement local.
Défense
absolue,
aux
mandarins,
de
s’approprier
désormais
chose
quelconque. Peine de mort, pour celui qui aurait détourné la valeur d’une
pièce d’étoffe, ou extorqué quoi que ce fût. Pour montrer qu’il tenait à son
édit,
T’oûo-pa
houng
fit
exécuter
une
quarantaine
de
préfets
concussionnaires, et le gouverneur de province Lì houng-tcheu, homme très
en vue, allié aux plus grandes familles... Pour tous les autres péchés des
mandarins, T’oûo-pa houng était très indulgent. Il les graciait volontiers, ou
commuait leur peine, si bien qu’il n’y eut plus guère chaque année, que cinq à
six exécutions de ces gens-là.
En 485, édit de T’oûo-pa houng contre la magie.
« Les pratiques magiques, dit-il, inventées durant la décadence des
Ts’iên-Hán par de vulgaires imposteurs, sont
p.1157
mauvaises,
perverses, et en contradiction avec les livres classiques de la
87
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
nation. J’ordonne donc que tous les livres de magie soient brûlés.
Ceux qui les conserveront, seront punis comme grands criminels...
Je défends de même toute sorte de divination, spécialement la
divination privée clandestine, par la tortue et par l’achillée, car cela
aussi est contraire à la doctrine des livres classiques.
Encore en 485, un certain Lì nan-cheu présenta un mémoire, dans lequel
il attribuait la misère croissante du peuple, à la multiplication excessive des
grandes propriétés. Le mémoire concluait à la division de toutes les terres en
lots, qu’on confierait aux agriculteurs, de manière à en tirer le plus grand
rendement possible. La douairière Fông donna son approbation au projet
utopique suivant : Chaque homme marié, âgé de plus de 15 ans, recevrait 40
acres ; chaque femme mariée, recevrait 20 acres de terre. Les esclaves
seraient nourris par leurs maîtres. Tout agriculteur qui élevait un bœuf,
recevait 30 acres de plus. S’il élevait quatre bœufs, il recevait un lot familial
double (120 acres). Tous les lots étaient doublés, dans les districts où la terre
était peu productive (où il fallait la laisser en jachère deux ans sur trois, dit le
texte). Les terres ne seraient plus la propriété des tenanciers. Confiées à
l’homme devenu adulte, elles devaient être restituées à l’État par le vieillard,
et reconfiées à d’autres familles... Il arriva à l’auteur de ce projet agraire, ce
qui est arrivé depuis à tous ses inconscients imitateurs. Son factum fut logé
dans un carton, ce qui le rendit inoffensif, et permit aux humains de continuer
leurs labours.
En 486, un autre utopiste, Lì-tch’oung, proposa d’introduire dans le
royaume de Wéi, le système antique de surveillance mutuelle, par groupes de
cinq familles (p. 162). La douairière Fông approuva, et le projet eut autant
d’effet que le précédent.
La même année,
p.1158
les Wéi se chinoisant de plus en plus, introduction
de cinq babioles honorifiques, robes de cour, jaquette rouge, breloques,
rubans grands et petits. Érection d’une salle du trône, fondation d’une école
des nobles, etc. Division du royaume en 38 préfectures, dont 25 au sud du
Fleuve Jaune, et 13 au nord.
En 487, sécheresse, famine, épidémies, épizooties dans le Nord. Quand
les greniers publics furent vides, le gouvernement permit gracieusement aux
88
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
affamés d’aller mendier dans les provinces plus fortunées. Les mendiants
étaient munis de passeports, assistés sur les routes, protégés là où ils
séjournaient.
Cette famine fut aussi l’occasion des mesures suivantes : Licenciement de
toutes les ouvrières du harem, autres que les tisseuses (travaux d’art inutiles,
broderie, brocart, gaze, etc.) ; on les maria à des célibataires trop pauvres
pour pouvoir acheter une femme. Vente de toutes les provisions du
gouvernement, bijoux, costumes, meubles, armes, étoffes, etc., au bénéfice
des petits officiers, artisans et marchands, qui mouraient de faim ; le strict
nécessaire fut seul conservé.
En 490, mort de la douairière Fông de Wéi. Son fils T’oûo-pa houng en
conçut un tel chagrin, qu’il passa cinq jours entiers sans prendre même une
cuillerée de nourriture ou de boisson. Cette piété filiale excessive déplut aux
censeurs.
— D’après les Sages, dirent-ils, le deuil ne doit pas nuire à la santé.
N’éteignez pas votre race, en voulant être plus pieux que les
Sages !..
Converti par ce discours, le roi prit désormais un potage par jour. Édifiant !
@
Culte des Wéi... En 491, la pluie ne tombant pas, les officiers
demandèrent au roi de prier tous les Chênn. Le roi répondit :
— Jadis, dans un cas semblable, T’āng le Victorieux (p. 58) obtint
que la pluie tombât, en s’amendant lui-même, non en priant les
Monts et les Fleuves. Je me garderai bien
p.1159
d’augmenter la
misère générale, en faisant offrir des sacrifices de-ci de-là (courses
et frais). Je vais tâcher de profiter des avertissements du Ciel, en
m’amendant moi-même.
Cette même année, T’oûo-pa houng régla l’ordre définitif des tablettes,
dans le temple de ses Ancêtres. Il fut décidé que T’oûo pa koei jouirait du
privilège des fondateurs de lignée, c’est-à-dire que sa tablette, placée au
centre, serait honorée à perpétuité. T’oûo-pa tao et T’oûo pa houng (le
moine), furent placés en tête des deux séries de droite et de gauche.
89
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Encore en 491, T’oûo-pa houng révisa le culte officiel. Jusque-là, au
premier jour faste de la première lune, sous une tente dressée dans la cour
du palais, et ornée de branches de thuya (souvenir de la vie nomade), les rois
de Wéi avaient sacrifié aux tablettes des Cinq Tí, puis jeté les sorts, afin
d’obtenir des renseignements sur l’avenir de leur dynastie. T’oûo-pa houng
abolit ces usages, comme déraisonnables... Il transporta aussi ailleurs le
fameux tertre de Lào-tzeu, si cher à son aïeul T’oûo-pa tao (p. 1113), et
changea son titre Tertre du Táo au sobriquet Culte du Vide... Il déclara, par
un édit spécial, que, faire chaque année des offrandes comestibles aux Chênn
de plus de 1200 lieux saints, était une charge exorbitante qu’il fallait
diminuer. L’Histoire ne dit pas comment on exécuta cette opération... Jusquelà, le roi avait salué le soleil au matin de l’équinoxe printanier, et la lune au
soir de l’équinoxe automnal ; le soleil à l’est, la lune à l’ouest. T’oûo-pa houng
observa judicieusement que, la course de la lune étant variable, ce système
obligeait parfois le roi à la saluer à l’ouest, quand elle était à l’est, ou même
quand elle n’était pas visible. Il fut donc décidé, que le soleil serait salué le
premier jour du mois dans lequel tomberait l’équinoxe printanier (la lune
obscurcie étant alors censée
p.1160
absente), et la lune au troisième jour du
mois de l’équinoxe automnal, le croissant redevenant alors visible... Les
sacrifices du temple des Ancêtres, qui s’étaient toujours fait durant le second
mois de chaque saison, furent fixés au premier jour faste du premier mois de
la saison... Jusque-là, chaque année lors du sacrifice au Ciel dans le faubourg
de l’Ouest (usage des Wéi), le roi avait observé le rituel suivant : Avant le
jour, à cheval, armé de pied en cap et suivi de vingt cavaliers, le roi faisait le
tour du tertre. Puis, le jour venu, mettant pied à terre, il gravissait armé le
tertre, et offrait le sacrifice. Enfin, remontant à cheval, il refaisait le tour du
tertre. On appelait cette cérémonie, faire le tour du ciel. T’oûo-pa houng
l’abolit.
Nous ne sommes pas au bout ; vraiment l’activité rituelle fut exubérante
en cette année 491. Au neuvième mois, pour l’anniversaire du décès de sa
mère, T’oûo-pa houng passa la nuit dans son temple, en grand deuil, pleurant
avec ses officiers, Le lendemain, au jour, il sacrifia à ses mânes, puis sortit du
temple, se lamenta encore longuement, puis se retira... Au dixième mois,
90
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
même exhibition de douleur, cette fois au point qu’il en tomba malade.. Le
ministre Móu-leang fit des représentations.
— Les rois, dit-il, sont les Fils du Ciel et de la Terre, les Père et
Mère du peuple. Vous agissez contre les intérêts de vos parents, en
ruinant votre corps.. Quittez le deuil, nourrissez-vous bien,
fréquentez vos femmes, faites plaisir au Ciel et au peuple !..
Le roi répondit :
— La piété filiale parfaite, obtient toute prospérité. Or les temps
sont mauvais. Ma piété est donc imparfaite, et ceux qui la trouvent
excessive, me mentent...
Au onzième mois, nouveau sacrifice, à la tombe de sa mère. Item, au
solstice d’hiver ; puis sacrifice au temple des Ancêtres, et banquet de gala
donné aux officiers ; les musiciens présents ne jouèrent pas de leurs
instruments ; dernier signe du deuil... Avant le
p.1161
nouvel an, translation
des Tablettes des Ancêtres dans un temple neuf, et réception officielle du
Printemps dans le faubourg oriental.
En 492, T’oûo pa houng sacrifia au Souverain d’en haut, et à son père le
moine ; puis il monta à la tour des observations célestes, pour considérer les
nuées et les émanations. C’est avec amour que l’Histoire enregistre ces
choses, pour montrer comment les Wéi se chinoisèrent petit à petit.
Restait à déterminer par la vertu de quel élément (p. 19) la dynastie des
T’oûo-pa régnait. Cette grave question fut longuement discutée dans le
conseil. Enfin la lumière se fit. On découvrit que les Wéi régnaient par la vertu
de l’eau. Nous verrons, en son temps, qu’on dut y revenir... On découvrit
aussi que les Wéi descendaient de Hoâng-ti. De plus en plus Chinois, T’oûo-pa
houng ordonna des offrandes officielles régulières à Yâo, Choúnn, Ú le Grand,
au Duc de Tcheōu, à Confucius. Lui-même sacrifia au Maître, et lui conféra le
titre de Illustre Sage Père Nî (p. 139).
La même année, banquet officiel offert aux vieillards.
Au neuvième mois, lors de l’anniversaire de sa mère, T’oûo-pa houng
hurla devant sa tombe, durant tout un jour, sans aucune interruption, et resta
deux jours entiers sans prendre aucune nourriture.
91
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
T’oûo-pa houng n’aimait pas sa capitale P’îng-tch’eng (11), où il neigeait
parfois encore au sixième mois, et où les tempêtes de poussière faisaient
rage. Il désirait s’établir au sud du Fleuve, à Láo-yang ; mais les ministres y
consentiraient-ils ? Il recourut à l’expédient des sorts (p. 61). Le Grand
Cérémoniaire T’oûo pa tch’enn, dûment stylé, consulta l’achillée. Celle-ci
indiqua complaisamment le diagramme keûe. La question est résolue, dit
T’oûo-pa houng. C’est ce diagramme que T’âng le Victorieux (fondateur des
Yīnn) et Où-wang (fondateur des Tcheōu) tirèrent avant leurs glorieuses
p.1162
entreprises. Le Ciel est pour moi. Le transfert de la capitale sera pour le
plus grand bien du peuple. Il ne se peut rien de plus faste !
@
Constatons que nous n’avons rien eu à dire, jusqu’ici, de l’empereur Où.
En 491 il prit une mesure, qui jette de la lumière sur la manière dont on
entendait pratiquement le culte des morts. Il décida, par décret, le menu
qu’on servirait désormais à chacun de ses Ancêtres, lors des offrandes des
quatre saisons. L’aïeul eut des galettes et un consommé de canard ; l’aïeule,
des pousses de bambou et des œufs de cane. Le père reçut un hachis de
viande et un potage aux herbes ; la mère, du thé avec croquignoles et du
poisson frit. Car, dit le texte, c’est là ce qu’ils avaient aimé de leur vivant.
Cette explication est à noter.
Cette même année l’empereur vit en songe son aïeul, qui lui dit :
— Les empereurs Sóng (dont nous avons détruit la dynastie et fait
cesser
les
sacrifices),
m’obsèdent
dans
mon
temple,
me
demandent à manger et volent mes offrandes ; fais en sort que
j’obtienne ce qui me revient.
L’empereur ordonna donc de sacrifier aux quatre saisons, aux anciens
empereurs Sóng, au berceau de leur famille, avec les rites des sacrifices
privés.
En 493, mort du prince impérial.
L’empereur Où le suivit dans la tombe la même année, après un règne de
11 ans, à l’âge de 54 ans. Siáo tchao-ie fils du prince impérial, lui succéda.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Siáo tchao-ie et Siáo tchao-wenn,
493, 494.
@
Le nouvel empereur était arrogant, fourbe, et profondément dépravé. Il
vécut, mangea, coucha, avec une bande de mignons.
En 494, un neveu du fondateur de la dynastie, Siáo-loan, pénétra en
armes dans le palais. Siáo tchao-ie n’ayant pas réussi à se tuer, s’enfuit, fut
massacré dans la rue, puis enterré sommairement. Tous ses mignons furent
p.1163
exécutés.
Par ordre supposé de la douairière, Siáo-loan mit sur le trône Siáo tchaowenn, le frère du défunt, un enfant. Affaire de pouvoir, comme Tuteur,
supprimer les princes du sang qui auraient pu le gêner.
Quand cette besogne fut faite, sur un nouvel ordre pareillement supposé
de la douairière, Siáo-loan supprima Siáo tchao-wenn, et s’installa sur le
trône.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Mîng,
494 à 498.
@
En 493, T’oûo-pa houng était parti en guerre contre l’empire, avec une
armée de 300 mille fantassins et cavaliers. Arrivé à Láo-yang, il alla voir,
dans l’ancienne école impériale, le texte des livres classiques gravé sur pierre
par Tsái-young (p. 772). Il voulut ensuite pousser en avant, quoiqu’on fût à la
saison des pluies. Tous ses conseillers étaient contre. Le roi tint bon et sortit
à cheval, tout armé et la cravache en main, pour se mettre à la tête des
colonnes. Les officiers se prosternèrent devant son cheval, et lui barrèrent le
passage, en disant :
— Tout le royaume désapprouve votre expédition ; nous osons
vous le dire, au péril de notre vie ; veuillez retourner à P’îngtch’eng, en attendant qu’on ait fait à Láo-yang les aménagements
nécessaires...
Le roi dut obéir.
A P’îng-tch’eng, en 494, les ministres cherchèrent encore à lui faire
abandonner son dessein. T’oûo-pa p’ei dit :
— Le transfert de la capitale est chose si grave, que vous devriez la
soumettre à nouveau à la décision de la tortue et de l’achillée (cf.
p. 1161).
Il est probable que les ministres avaient gagné les devins. T’oûo-pa houng
devina le piège.
— Sous les Tcheōu (p. 79), dit-il, il y avait des Sages capables de
faire parler les sorts ; maintenant personne n’a plus ce talent ;
alors à quoi bon consulter la tortue et l’achillée ? D’ailleurs, on ne
consulte les sorts que sur les choses douteuses ; or les avantages
du transfert de la capitale à Láo-yang
p.1164
sont évidents. Mes
ancêtres sont venus à P’îng-tch’eng, des steppes du Baïkal, par
trois déplacements successifs (p. 856) ; moi, leur successeur,
pourquoi n’aurais-je pas le droit d’en faire un quatrième ?...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
La résolution du roi étant inébranlable, les ministres ne dirent plus rien.
Quand l’hiver fut venu, T’oûo-pa houng confia l’ancienne capitale à la
garde de T’oûo-pa p’ei. Lui-même alla annoncer son départ aux Tablettes des
Ancêtres, chargea T’oûo-pa young de convoyer ces Tablettes à la nouvelle
capitale, puis se mit en route. Un mois plus tard, à Láo-yang, T’oûo-pa houng
chargea Ù-wenn fou d’installer dans la vallée de la Láo (16) un haras royal. A
ce propos, l’Histoire donne quelques détails sur l’élevage en ce temps-là.
T’oûo-pa tao entretenait, dans ses pacages des Nân-chan, deux millions de
chevaux, un million de chameaux, des bœufs et des moutons en si grand
nombre qu’on ne le comptait pas. Les pacages de la Láo furent installés de
manière à avoir là, sous la main, cent mille chevaux de guerre. On y amena,
des Nân-chan, les étalons et les juments, par petites étapes, pour les
habituer graduellement à l’eau et au fourrage de leur nouvel habitat. D’abord
très prospère, ce nouveau haras fut dévalisé et détruit par une bande de
rebelles, vers 520.
T’oûo-pa houng prit prétexte de l’usurpation de Siáo-loan, pour déclarer la
guerre à l’empire. Ses armées envahirent l’entre-deux du Hoâi et du Fleuve
Bleu (34). T’oûo-pa yen investit Tchoūng-li, mais fut repoussé avec perte par
le commandant Siáo hoei-hiou. Les généraux Liôu-tch’ang et Wâng-sou
investirent Í-yang, dont le commandant Siáo-tan tint bon. T’oûo-pa houng
s’établit à Cheóu-yang (31), avec une armée de 300 mille hommes. Durant
les marches, quand il pleuvait, il faisait enlever le toit de sa voiture, pour
n’être pas mieux
p.1165
protégé que ses hommes. Il visitait et consolait lui-
même les officiers et les soldats malades. Le pays ne souffrit aucunement de
son passage, tant la discipline de son armée était stricte. Ayant ensuite passé
le Hoâi, il investit Tchoūng-li, pour la seconde fois. Le général impérial Ts’oēi
hoei-king s’avança au secours de cette place... Liôu-tch’ang et Wâng-sou
assiégeaient toujours Í-yang avec 200 mille hommes. Ils l’avaient entourée
d’une triple enceinte de fossés et de palissades. Le général impérial Siáo-yen
parvint, par une marche de nuit hardie, jusqu’en vue de la place. Les assiégés
l’ayant aperçu, firent une sortie et mirent le feu aux palissades. Les Wéi
levèrent le siège. Ils furent poursuivis et battus par Siáo-yen.
95
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Dans cette campagne (495), ils eurent le dessous partout. Profitant du
prétexte d’un deuil, T’oûo-pa houng se retira, après avoir envoyé ses hérauts
crier, sur les bords du Fleuve Bleu, les péchés de l’empereur. Exploit plus
facile qu’une bataille. On ne dit pas si les poissons en furent impressionnés.
Il y avait alors, à la cour des Ts’î, un ambassadeur nommé Lôu-tch’ang,
précédemment envoyé par T’oûo-pa houng. Quand la nouvelle de la retraite
des Wéi fut arrivée, les Ts’î se payèrent aussi un exploit facile. Ils ne
donnèrent plus à l’ambassadeur que des fèves bouillies. Celui-ci les mangea,
sans mot dire, par peur. Son assesseur Tchāng seu-ning, plus brave, protesta
et fut mis à mort. Plus tard, quand Lôu-tch’ang fut revenu auprès de T’oûo-pa
houng, celui-ci lui dit :
— Ne te faudra-t-il pas mourir tôt ou tard ? Alors pourquoi t’es-tu
laissé traiter comme un bœuf ou un cheval, à ta propre honte et à
la honte de ton pays ? Pourquoi n’as-tu pas fait comme Sōu-ou (p.
482) ou comme Tchāng seu-ning ?..
Cela dit, il le dégrada.
En revenant de cette expédition,
p.1166
T’oûo-pa houng visita le tombeau
de Confucius, lui fit des offrandes, et donna des charges à quatre membres de
la famille du Sage, et à deux membres de la famille de sa mère. Il décida que
désormais un descendant de Confucius porterait le titre de Marquis
Vénération du Sage, et serait chargé des offrandes à son aïeul. Par ordre du
roi, la tombe du Sage fut mise en meilleur état, et ornée de stèles neuves.
T’oûo-pa houng rêvait de chinoiser complètement ses Tongouses. Une fois
installé à Láo-yang, il imposa aux fonctionnaires l’usage de la langue chinoise
et du costume chinois ; langage et costume tongouses furent prohibés, sous
peine de dégradation.
Il fit savoir partout qu’il récompenserait libéralement ceux qui lui
procureraient des livres rares. Il imposa aux Wéi les mesures chinoises de la
dynastie Hán. Il se donna une garde de 150 mille hommes. Il établit à la
capitale une Grande École et quatre petites écoles.
96
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Vers la fin de l’an 495, comme il discutait avec des lettrés sur le
cérémonial des sacrifices au Ciel, Lì-piao dit :
— Quand ceux de Lòu font des offrandes au Souverain d’en haut,
ils en font préalablement à Confucius ; faites comme eux, et allez à
son temple, la veille du sacrifice au Ciel...
Le roi adopta cette motion.
En 496, T’oûo-pa houng découvrit que sa famille régnait, non par la vertu
de l’eau, comme on avait cru en 492, mais par la vertu de la terre. Or la terre
est jaune et elle est yuân le principe de toutes choses. T’oûo-pa houng donna
donc à sa dynastie le nom de Yuân, et adopta le jaune comme couleur royale.
Pour
plaire
au
maître,
les
principaux
officiers,
les
grandes
familles,
s’affublèrent aussi de noms de famille chinois.
Une sécheresse persistante désolant le pays, le roi jeûna. Il avait passé
trois jours entiers sans prendre aucun aliment, quand les grands officiers lui
demandèrent une audience. Le roi était
p.1167
si faible, qu’il dut s’excuser de
les recevoir...
— Faites savoir au roi, dit Wâng-sou, qu’il a plu partout
abondamment, excepté dans le district de la capitale. Parmi le
peuple, personne ne s’est privé même d’un seul repas, et voilà que
le roi est resté à jeun durant trois jours entiers. Ministres et
officiers, nous craignons tous pour sa santé...
Le roi leur fit répondre :
— Voilà plusieurs jours que je jeûne, sans avoir encore obtenu la
grâce que je sollicite. Il a plu, dites-vous. Je crains que vous ne
mentiez, par pitié pour ma personne. Je vais faire prendre des
informations. S’il a plu, je mangerai. Sinon, pourquoi vivrais-je ? Je
dois à mon peuple, jusqu’au sacrifice de ma vie...
Le soir du jour où le roi fit cette réponse, il plut abondamment dans tout le
district de la capitale.
A ses heures, T’oûo-pa houng le philanthrope était atroce, par raison
d’État. Ainsi, en 497, le roi ayant fait reine la dame Fông, et celle-ci ayant
97
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
adopté le petit T’oûo-pa k’iao, la dame Kāo, mère de cet enfant, fut aussitôt
supprimée.
En 497, T’oûo-pa houng tenta une nouvelle expédition contre l’empire.
Ayant mobilisé 300 mille hommes, il envahit la vallée de la Hán (54). Hân
siou-fang
et
une
quinzaine
de
commandants
impériaux,
capitulèrent
lâchement. En 498, les Wéi prirent Yuàn (54). Les choses en restèrent là.
T’oûo-pa houng fut un guerrier plus que médiocre.
En 497, Mà-jou roi de Tourfan (t), dont le trône branlait, pria T’oûo-pa
houng de lui donner asile sur ses terres. Celui-ci prenait ses dispositions pour
l’établir dans le territoire de Khami (i), quand les sujets de Mà-jou, peu
disposés à déménager, le tuèrent et se donnèrent pour roi un certain K’iū-kia,
lequel s’allia aussitôt avec les Jeóu-jan (Avars), ennemis héréditaires des Wéi.
En 498, T’oûo-pa houng ayant requis ses alliés les Kāo-kiu (Sarmates) de
l’aider
p.1168
contre l’empire, effrayés par la distance, ceux-ci rompirent avec
lui et se retirèrent vers le nord. Le roi envoya contre eux le général Ù-wenn
fou, lequel se fit battre. Alors T’oûo-pa houng qui revenait de son expédition
contre l’empire, marcha en personne vers le nord. Il tomba gravement
malade. T’oûo-pa hie sauva la situation par sa calme confiance, soignant le
malade et commandant les troupes simultanément. A l’instar du Duc de
Tcheōu (p. 73), ayant fait élever un tertre au bord de la rivière Jòu, il adjura
le Ciel la Terre et les Ancêtres, demandant à mourir à la place du roi. Celui-ci
se rétablit assez pour qu’on pût le transporter à Íe (20). Là T’oûo-pa ki
représenta que, si l’on exaspérait les Kāo-kiu, il serait ensuite très difficile de
se raccommoder avec eux ; qu’il vaudrait donc mieux leur faire des conditions
bénignes ; n’exiger, par exemple, comme réparation, que la tête d’un seul
personnage notable, et pardonner à tous les autres... Ainsi fut fait ; et tout le
monde fut content, excepté le décapité, j’imagine.
Pour ce qui est de l’empereur Mîng tout ce que l’Histoire trouve à en dire
c’est qu’il était avare au point de mettre de côté lui-même, à son dîner, des
morceaux de pâté ou de dessert, qu’il se faisait resservir à son souper... Étant
tombé gravement malade en 498, il se prépara à mourir, en tuant et en
assassinant. Il restait dix princes du sang, chefs de familles, descendants de
98
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ses deux prédécesseurs. Craignant qu’il ne cherchassent à supplanter son fils,
l’empereur résolut de les supprimer tous. Le Grand-Juge Tch’ênn hien-ta
n’ayant pas accepté cette besogne, il la proposa à Siáo yao-koang. Celui-ci
demanda seulement qu’on procédât systématiquement, par coupe réglée. Il
eut, avec l’empereur, une série de conférences nocturnes. Quand, à l’issue de
la
conférence,
l’empereur
brûlait
de
l’encens
p.1169
et
se
lamentait
piteusement, le lendemain, sans faute, quelques princes du sang passaient de
vie à trépas. Enfin, la mort de l’empereur étant imminente, Siáo yao-koang
extermina en bloc les dix-huit princes survivants. Tous les collatéraux furent
éteints, avec leurs familles. Après leur mort, les officiers les accusèrent
juridiquement de crimes imaginaires, et demandèrent leur exécution. Le
comble, c’est que l’empereur refusa, par humanité, et n’accorda enfin ce qui
était déjà fait, et fait par son ordre, que bien à contre-cœur, après bien des
instances. Comédie macabre !
Durant tout son règne, remarque l’Histoire, l’empereur Mîng ne sacrifia
jamais au Ciel. Par contre, il fit des superstitions sans nombre. Avant chaque
sortie du palais, il faisait jeter les sorts. Pour dérouter les Koèi malins, quand
il allait à l’est, il faisait annoncer qu’il irait à l’ouest ; quand il allait au sud, il
faisait annoncer qu’il irait au nord. Il mourut au septième mois de l’an 498,
âgé de 40 ans, nommant par testament Sû hiao-seu tuteur de son fils. Celuici, qui s’appelait Siáo pao-kuan, monta sur le trône. Digne fils d’un tel père, il
commença par trouver que le cercueil paternel le gênait, et voulut le faire
enterrer de suite. Le tuteur eut beaucoup de peine à le faire patienter jusqu’à
la fin du premier mois du deuil. Chaque fois qu’il fallait pleurer, Siáo pao-kuan
était pris d’un mal de gorge de circonstance. Quand le conseiller Yâng-chan
vint se lamenter devant le cercueil de son maître, tête découverte, selon les
Rites... à la vue de son crâne chenu...
— Est-il drôle, ce vieux chauve l s’écria Siáo pao-kuan, en éclatant
de rire.
@
99
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Siáo pao-kuan,
499 à 501.
@
Il ne reçut pas de titre posthume.
Revenu à Láo-yang, T’oûo-pa houng demanda au gouverneur T’oûo-pa
teng :
— Tout va-t-il bien ici ?..
— Grâce à votre influx transcendant, tout va bien, dit
p.1170
le
gouverneur...
— Alors comment se fait-il, dit le roi, que j’aie vu, dans la ville, des
femmes qui allaient en voiture, et d’autres qui portaient des
chapeaux et des robes courtes ? Et vous dites que tout va bien ?..
— Celles qui commettent ces abus, sont en petit nombre, dit le
gouverneur...
— Voilà une mauvaise parole, dit le roi. Je vous avais fait
gouverneur, pour qu’il n’y en eût pas une seule...
T’oûo-pa teng se prosterna et demanda pardon.
Durant l’absence du roi, la reine Fông s’était mal conduite. Il fut prouvé
qu’elle avait des relations avec un certain Kāo p’ou-sa. Pour éviter le
scandale, le roi permit à la reine de se retirer, à la manière des veuves. Il lui
conserva son rang, mais défendit au prince royal de la visiter désormais.
Son père Fông-hi avait eu trois filles. Deux furent impératrices, la
troisième fut concubine. Grâce à la faveur de ses filles, Fông-hi devint GrandDuc. Ses fils remplirent tous de hautes charges...
— Prenez garde, dit Ts’oēi-koang, à Fông-u, l’un d’entre eux ; le
bonheur appelle le malheur ; c’est l’ordre constant du Ciel et de la
Terre ; vous finirez mal...
La disgrâce de la reine réalisa cette prédiction ; les Fông finirent tous
misérablement.
100
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cependant T’oûo-pa houng ne relevait pas de sa longue maladie. T’oûo-pa
hie lui prodiguait les soins les plus assidus, ne le quittant pas, préparant les
remèdes, goûtant les aliments, ne se peignant pas, ne se lavant pas le
visage, ne changeant pas de linge, ne dénouant pas même sa ceinture ;
accomplissant, en un mot, tout ce que les Rites exigent du fils pieux dont le
père est malade. Le roi l’ayant nommé Généralissime, T’oûo-pa hie refusa,
alléguant que cette charge était incompatible avec ses fonctions de gardemalade...
— Je sens que je ne guérirai pas, dit T’oûo-pa houng. Or la charge
de Généralissime est la plus importante, pour la paix et l’ordre du
royaume, durant la vacance du trône ; voilà pourquoi je vous en ai
investi.
Et il le
p.1171
nomma de plus Grand Directeur, lui mettant ainsi tout le pouvoir
entre les mains. — La maladie s’aggravant toujours, T’oûo-pa houng dit à
T’oûo-pa hie :
— Je vais mourir. Notre pouvoir n’est pas bien affermi. Mon fils est
bien jeune. Je vous charge de tout...
T’oûo-pa hie eut beau protester et s’excuser. T’oûo-pa houng appela son fils,
et lui dit en désignant T’oûo-pa hie :
— Après ma mort, tu obéiras en tout à cet homme fidèle. Tu
obligeras la reine Fông à se suicider, et tu l’enseveliras avec moi...
Cela dit, T’oûo-pa houng mourut (499). T’oûo-pa k’iao monta sur le trône.
Conformément au testament de son père, il ordonna aussitôt à la douairière
de se suicider. Puis il anoblit la victime de cette reine (p. 1167), sa propre
mère, la dame Kāo.
L’Histoire qui a pour T’oûo-pa houng un faible évident, fait de lui le
panégyrique suivant :
Il aima toujours beaucoup tous ses frères. Il leur disait souvent :
après ma mort, si mes fils tournent mal, que quelqu’un de vous me
succède ; pourvu que le trône reste dans notre famille, peu
m’importe qui l’occupera... Il aimait et s’attachait les hommes
sages et habiles. Il faisait le bien, naturellement, spontanément,
101
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
comme l’eau suit une pente. D’une activité prodigieuse, il ne se
donnait aucun repos, depuis le matin jusqu’au soir. Très exigeant
pour les officiers dans les choses de conséquence, il fermait
volontiers les yeux sur leurs petits méfaits. Très pieux, il fit
toujours en personne les sacrifices au Ciel et aux Ancêtres. Quand
il allait en tournée, il dispensait le peuple de mettre à neuf la route
par laquelle il devait passer, exigeant seulement qu’on vérifiât la
solidité des ponts. Durant ses campagnes contre l’empire au sud
du Hoâi, il fit observer à ses troupes la même discipline que dans
son propre royaume ; défense de fouler les moissons, de couper
aucun arbre. Il ne faisait réparer les bâtiments de son palais, que
quand ceux-ci tombaient en ruines, et
p.1172
n’y ajouta jamais rien.
Il faisait laver ses robes salies, et les remettait. Jamais il ne permit
d’employer, pour ses selles et ses harnais, d’autres matériaux que
le bois et le fer. Vigoureux et alerte, dans son adolescence il avait
beaucoup aimé la chasse ; il y renonça soudain absolument, à l’âge
de quinze ans, pour se donner tout entier à l’étude et au
gouvernement. C’est une bonne chose, disait-il souvent, que les
Annalistes écrivent tout ce que font les Souverains, sans que ceuxci puissent les empêcher de dire la vérité ; c’est là un frein
salutaire, pour les empêcher de mal faire.
@
Parlons maintenant de l’empereur. Celui-là, l’Histoire ne le flatte pas.
Alors qu’il n’était encore que prince impérial, dit-elle, Siáo pao-kuan montrait
déjà un très mauvais naturel. Il détestait l’étude et n’aimait qu’à jouer. Quand
il fut empereur, écartant les officiers, il se livra tout entier aux eunuques. Il
installa, dans le palais, une sorte de cirque ou d’hippodrome. Il se couchait le
matin, dormait le jour, et se levait le soir. Le tuteur Sû hiao-seu et ses
assesseurs l’ayant repris, il les fit tous mettre à mort. Les autres officiers se le
tinrent pour dit, et ne cherchèrent plus qu’à conserver leur vie.
Cependant l’ex-Grand Juge Tch’ênn hien-ta, que nous avons appris à
connaître (p. 1168), tenta un coup de main sur la capitale, pour détrôner ce
prince indigne. Il échoua et fut tué. Ce succès mit le comble à l’insolence de
102
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Siáo pao-kuan. Las des plaisirs du palais, il se mit à flâner dehors. Il ne se
contenta pas de faire fermer les portes et les fenêtres sur son passage ; il
exigea que toutes les maisons fussent évacuées. Ses gardes y entraient,
frappaient ou tuaient les personnes qui y étaient restées. Comme il sortait
une vingtaine de fois par mois, sans avis préalable, ordinairement la nuit à la
lueur des torches, la vie devint impossible au peuple
p.1173
de la capitale, qui
ne put plus célébrer ni noces ni funérailles, ni assurer le repos des femmes en
couches et des mourants. Un jour, dans un faubourg, une femme enceinte
n’ayant pas pu fuir, Siáo pao-kuan la fit éventrer, pour voir si l’enfant qu’elle
portait était un garçon ou une fille.
En l’an 500, las d’avoir à obéir à un être pareil, le gouverneur impérial
P’êi chou-ie livra aux Wéi les pays au sud du Hoâi, que T’ouo-pa houng avait
vainement tenté de conquérir. Siáo pao-kuan envoya contre les Wéi le
général Ts’oēi hoei-king, avec une flotte qui devait passer du Fleuve Bleu
dans le Hoâi. Ts’oēi hoei-king lui aussi en avait assez d’un pareil maître.
Quand il eut dépassé Koàng-ling (n), il rassembla ses officiers et leur dit :
— Notre jeune empereur est une bête féroce. L’empire va à sa
perte. Son salut dépend de la résolution que nous allons prendre.
Je songe à le sauver, avec vous. Qu’en pensez-vous ?...
Tous les officiers ayant applaudi à ce pronunciamento, Ts’oēi hoei-king revint
aussitôt sur ses pas, et occupa Koàng-ling, dont le gouverneur Ts’oēi koungtsou fit cause commune avec lui. Ensuite, ayant passé le Fleuve Bleu pour
marcher contre la capitale, Ts’oēi hoei-king envoya offrir le trône au prince
Siáo
pao-huan,
frère
de
l’empereur.
Celui-ci
décapita
ostensiblement
l’envoyé, mais accepta sous main. Arrivé à Kién-k’ang, Ts’oēi hoei-king mit le
siège devant le palais. Cependant le gouverneur impérial Siáo-i reçut avis de
la révolte. Il était à table. Jetant ses bâtonnets, il se leva en sursaut, et
courut à la capitale avec ses troupes. Ts’oēi hoei-king dut déguerpir et fut tué
dans sa fuite. Siáo pao-huan fut arrêté et mis à mort par ordre de son frère.
Mais les Wéi conservèrent le sud du Hoâi, dont les impériaux ne réussirent
pas à les déloger.
Cette aventure n’améliora pas Siáo pao-kuan. On conseilla à Siáo-i de le
détrôner. Ce brave homme n’en voulut
103
p.1174
rien faire. Les mignons de
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
l’empereur, que la présence de Siáo-i gênait, insinuèrent à Siáo pao-kuan que
son sauveur reluquait son trône. Celui-ci leur prêta l’oreille. Un ami conseilla à
Siáo-i de pourvoir à sa sûreté.
— Bah ! dit-il, il me faudra mourir tôt ou tard...
Pour prix de ses services et de sa fidélité, Siáo pao-kuan lui fit servir le
breuvage classique. A la nouvelle de sa mort, son frère cadet Siáo-yen se
révolta à Siāng-yang (s). Siáo pao-joung, un frère de l’empereur, en fit
autant à Kiāng-ling (l).
En 501, Siáo-yen descendit le long de la Hán. Le troupes impériales
envoyées contre lui s’étant débandées au premier choc, il prit Yìng-tch’eng
(o). Au commencement du siège, cette ville contenait cent mille hommes.
Quand elle capitula, il en restait vingt mille, 80 mille hommes étant morts de
maladie... Poursuivant ses succès, Siáo-yen enleva Sûnn yang (c), puis
marcha droit à la capitale. Il y arriva au dixième mois, s’établit dans la
forteresse Chêu-t’eou, entoura Kién-k’ang d’un mur de circonvallation, et la
bloqua étroitement.
Le danger ne rendit pas Siáo pao-kuan plus sérieux. Il continua à dormir
le jour et à courir la nuit. La garnison de la capitale se montait à 70 mille
hommes. Tous leurs assauts contre le mur de circonvallation furent
repoussés. L’avarice de Siâo pao-kuan les lassa. La désertion en masse se
préparait... Les mignons dirent à l’empereur :
— Vous devriez mettre à mort, tous ensemble, tous ces ministres
et officiers qui vous ont laissé enfermer ainsi.
Quelques officiers jugeant l’empereur capable d’accéder à cette requête,
résolurent de prendre les devants. Un affidé leur ouvrit la porte du palais,
Siáo pao-kuan jouait de la flûte. Il lui coupèrent la tête, l’enduisirent de cire,
et l’envoyèrent à Chêu-t’eou, avec l’offre de leur soumission. Siáo-yen députa
d’abord un officier, pour mettre, en son nom, les scellés sur le
p.1175
trésor,
les magasins, les arsenaux et les archives. Il fit ensuite arrêter la fameuse
dame P’ān, et la bande des mignons, 41 personnes en tout. Puis, par ordre
supposé d’une douairière quelconque (forme légale), Siáo pao-kuan (déjà
mort) fut créé Marquis Imbécile, et Siáo-yen fut nommé Grand Maréchal,
104
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
c’est-à-dire dictateur. Il s’occupa aussitôt des prisonniers. La beauté de la
dame P’ān l’impressionna...
— Cette femme a perdu les Ts’î, lui dit le conseiller Wâng-mao ; si
vous la laissez vivre, elle vous en fera autant !..
Siáo-yen ordonna d’égorger la concubine et les mignons, maria à ses officiers
deux mille filles du palais, annula les lois vexatoires de Siáo pao-kuan et
proclama une amnistie.
C’est à cette dame P’ān, que certains font remonter l’usage chinois de
bander les pieds des femmes pour les rapetisser, et l’expression kīnn-liên
lotus d’or pour désigner les pieds ainsi mutilés. Un jour qu’elle dansait
devant l’empereur, sur un parquet incrusté de lotus d’or : Voyez, s’écria Siáo
pao-kuan ravi, chacun de ses pas fait éclore une fleur... L’anecdote n’est pas
prouvée. D’autres placent l’introduction de cette vilaine coutume beaucoup
plus tard, au dixième siècle de l’ère chrétienne, dans un cadre historique à
peu près identique.
@
105
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Hoûo,
501 à 502.
@
Nous avons dit que Siáo pao-joung, frère de Siáo pao-kuan, se révolta
contre lui en l’an 500. C’est lui qui est désigné par ce titre posthume,
quoique, en réalité, il n’ait jamais régné. Son nom couvre les quelques mois
qu’il fallut à Siáo-yen pour s’emparer du trône en douceur. Toujours au nom
d’une douairière invisible, Siáo-yen se nomma Chancelier, puis Duc de Leâng.
Il procéda ensuite au nettoyage des princes du sang, et mit à mort les six
frères restants de Siáo pao-kuan et Siâo pao-joung, sous des prétextes
quelconques. Enfin Siáo-yen se fit Roi de Leâng, le dernier pas avant
l’usurpation. Siáo pao-joung lui offrit sa démission. La douairière lui envoya,
du fond des coulisses, tous les sceaux de l’empire. Douces violences, dont
nous avons déjà vu tant d’exemples, que nous
p.1176
ne sommes plus tenus
d’y croire. Comédie stéréotypée, toujours invariablement la même, jusque
dans les plus petits détails... Siáo-yen monta sur le trône, et nomma Siáo
pao-joung roi de Pá-ling...
— La clémence est une belle chose, lui dit Chènn-yao, mais qui
peut coûter cher...
Siáo-yen comprit, il envoya au roi de Pá-ling l’or qui devait servir
suicide...
— Je préfère le vin, dit cet enfant de 14 ans...
Quand il fut parfaitement ivre, le bourreau l’étrangla.
Le suicide distingué par l’or (chēng-kīnn, or cru, or métallique), est
souvent mentionné dans les livres chinois. La chose est diversement
expliquée. Les uns prétendent que le patient aspirait lui-même une feuille
d’or, qui l’étouffait par obstruction du larynx ; opération si délicate, que je la
juge pratiquement impossible. D’autres disent qu’on lui enfonçait dans le
gosier un tampon de feuilles d’or, qui l’étouffait ; ceci me paraît très
probable. D’autres pensent qu’il s’agit d’une dose de poison, enveloppée
dans une feuille d’or ; interprétation arbitraire.
106
son
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ainsi finirent les Nân-Ts’î, après avoir occupé le trône de Chine durant 23
ans. Quoique membre de la famille Siáo, le nouvel empereur ne jugea pas à
propos de continuer le titre dynastique Ts’î. Il donna à sa dynastie le nom
Leâng de son apanage.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE LEANG. Famille Siáo. 502-556.
L’empereur Où,
502 à 549.
Carte XIV — @
p.1177
Devenu empereur, Siáo-yen fut simple, presque austère. Il faisait
laver ses habits et les remettait. Très sobre, il ne mangeait que des légumes.
Il choisissait, pour être officiers, les hommes probes et capables, et les faisait
ensuite avancer selon leurs mérites, ce qui porta les aspirants aux charges, à
la vertu et à l’application.
Il nomma prince héritier son fils Siáo-t’oung. Cet enfant de cinq ans savait
par cœur le texte complet des cinq livres canoniques.
Siáo pao-yinn, un frère du dernier empereur Ts’î, s’était enfui chez les
Wéi. Prosterné en suppliant à la porte du palais de T’oûo-pa k’iao, par le vent
et par la pluie, il demandait vengeance contre Siáo-yen, le meurtrier de son
frère. T’ouo-pa k’iao le prit à son service, le nomma roi de Ts’î, le traita bien,
lui confia le commandement de dix mille hommes, et lui promit une
expédition punitive pour l’hiver suivant. Tout à sa douleur et à sa vengeance,
Siáo pao-yinn passait les nuits à se lamenter, ne mangeant pas de viande, ne
buvant pas de vin, vêtu de deuil, maigre hâve et ne riant jamais.
En 503, sixième mois, ordre de mobilisation. Au dixième mois, les Wéi
envahissent les pays au sud du Hoâi. Yuân-ying assiège Í-yang, qui résiste
bravement. Le général impérial Kiāng k’ing-tchenn le tourne, et essaie de
surprendre Cheóu-yang (près 32) sur le Hoâi, dont le gouverneur T’oûo-pa
teng était absent. Il avait compté sans Madame. Celle-ci (née Móng) se mit à
la tête de la garnison, la harangua, et fit, durant toute l’action, le tour des
remparts, sans crainte des traits ni des pierres. Siáo pao-yinn étant arrivé
avec son corps de troupes, battit Kiāng k’ing-tchenn
p.1178
et débloqua la
place. Alors Í-yang capitula et se rendit aux Wéi, qui en restèrent là, pour
cette fois.
108
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ici l’Histoire place le trait de piété filiale suivant : Un certain Kî, mandarin
gouvernant un hién, ayant été accusé faussement par des officiers qu’il avait
punis, fut livré au Grand-Juge et condamné à mort. Son fils Kî-fenn âgé de 15
ans, battit le tambour de requêtes (p. 31), et demanda à mourir à la place de
son père. Le voyant si jeune, l’empereur soupçonna qu’on lui avait fait la
leçon, et chargea un juge de l’examiner...
— Quoique je sois très jeune, dit Kî-fenn, je sais fort bien que la
mort est une chose redoutable. Le motif qui m’a poussé à faire ma
demande, c’est que je ne saurais voir supplicier mon père. J’aime
mieux mourir à sa place. Ma pétition est réfléchie. Personne ne me
l’a suggérée..
Le juge lui tendit tous les pièges possibles ; Kî-fenn ne se coupa pas. Enfin le
juge en référa à l’empereur, qui fit grâce au père... Le préfet de Tān yang, sa
patrie, voulut honorer la piété filiale de Kî-fenn.
— Vous m’étonnez, Ô préfet, dit l’enfant. N’est-ce pas le devoir
d’un fils, de ne pas survivre à son père disgracié ? Ne serait-il pas
honteux pour moi, de vouloir tirer ma gloire du malheur de mon
père ?..
Le préfet en resta là.
@
En 504, les Jeóu-jan (Avars) s’étant permis de courir sur les terres de
Wéi, T’oûo-pa k’iao envoya à la frontière du nord le général Yuân-hoai avec
mission d’aviser à la situation. Quand celui-ci arriva, les Jeóu-jan avaient
disparu, comme toujours. Yuân-hoai jugea qu’il fallait couvrir la frontière par
une bande de forts, disposés en quinconce, de telle sorte qu’ils pussent se
soutenir les uns les autres. L’empereur approuva ce plan, qui fut logé dans un
carton, à l’ordinaire.
p.1179
En 505, l’Histoire nous apprend ce qui suit. L’empereur était très
favorable à la doctrine des Lettrés. Les Tsínn, les Sóng et les Ts’î avaient, il
est vrai, établi des écoles, mais l’enseignement, dans ces écoles, avait été
entièrement négligé. L’empereur donna donc l’édit suivant :
109
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Si les Hán ont été glorieux et prospères, c’est qu’ils ont propagé la
doctrine classique (cf. p. 303). Si les mœurs ont dépéri sous les
Wéi et les Tsínn, c’est au dépérissement de la doctrine classique
qu’il faut attribuer ce mal. Que les Académiciens s’occupent de
relever les études dans les écoles de la capitale. Que les élèves y
soient bien traités, puis mis en charge, s’ils le méritent. Qu’on
fasse de même dans les provinces.
Au sixième mois de la même année 505, l’empereur érigea le premier
temple à Confucius, à la capitale...
Jadis, dit le Commentaire, les Sông avaient bien érigé un temple à
Confucius, mais près de sa tombe, à Lòu (p. 1112). Or les T’oûo-pa
de Wéi, étant maîtres de Lòu, à l’époque qui nous occupe, ce
temple n’était pas abordable pour les Chinois du sud. Voilà
pourquoi l’empereur Où éleva un temple à Confucius dans sa
capitale. Il montra par là qu’il comprenait qui il faut honorer. Qu’il
en soit loué !
En 508, l’empereur institua neuf ordres de mandarins, sous-divisés en 18
degrés, à peu près comme les boutons des Ts’īng.
En 509, au premier mois, l’empereur fit le sacrifice impérial au Ciel, dans
le faubourg du sud. Il songea ensuite à faire la cérémonie fōng-chán, et
ordonna aux Lettrés d’étudier cette question (p. 454). Hù-mao dit :
— Les Classiques ne connaissent que la visite de l’empereur
Choúnn au mont T’ái-chan (en l’an 2042 avant J.-C., p. 35),
laquelle fut faite à l’occasion d’une tournée impériale. Il y alluma
un bûcher en l’honneur du Ciel, dit le Texte (Annales p. 17). Pour
ce qui est de l’assertion qu’il fit la cérémonie fōng sur le T’ái-chan,
et la cérémonie
p.1180
chán à Leâng-fou, puis érigea une stèle
commémorative de ces deux cérémonies, cette phrase est une
note sans valeur, qui ne fait pas partie du texte. Il n’y faut donc
pas croire, pas plus qu’aux cérémonies fōng-chán qu’auraient faites
au T’ái-chan, d’après Koàn-tzeu, 72 princes légendaires antérieurs
à Soéi-jenn (p. 18), cérémonies absolument impossibles dans l’état
de civilisation rudimentaire de cette époque lointaine. Donc, un
110
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
empereur distingué ne doit pas daigner faire cette cérémonie, et un
empereur vulgaire ne doit pas oser la faire, Si le Premier Empereur
des Ts’înn la fit sur le mont T’ái-chan (en 21 avant J.-C., p. 211), si
Soūnn-hao roi de Où la fit sur une montagne de son pays (cf. p.
868), c’est qu’ils voulaient faire parler d’eux, et en imposer au
peuple. Leur exemple n’est pas à imiter !..
L’empereur reçut favorablement cette réponse, et cessa de penser à la
cérémonie fōng-chán.
En 510, il visita l’école de la capitale, assista à une leçon, puis ordonna
que le prince impérial et tous les enfants nobles suivraient les cours... A cette
époque, dit l’histoire, l’esprit de l’empereur Où était pur et lumineux, car il ne
s’était pas encore entiché de doctrines perverses (il devint buddhiste fervent,
plus tard).
En 512, publication d’un Rituel officiel, en 8019 articles. Ouf !
En 513, Chènn-yao, l’instigateur du meurtre de Siáo pao-joung (p. 1176),
étant tombé malade, rêva que sa victime lui coupait la langue. Pour se
soustraire à sa vengeance, il charge un táo-cheu d’adresser au Ciel, en son
nom, une protestation solennelle, dans laquelle il déclinait la responsabilité du
meurtre, la rejetant ainsi tacitement sur l’empereur. Très mécontent, celui-ci
reprit vivement Chènn-yao, lequel mourut de chagrin.
En 514, à propos de la cérémonie du labour impérial, l’histoire contient
cette note importante :
Les
Ts’î
avaient
institué
p.1181
des
sacrifices
aux
Anciens
Agriculteurs. Ils entendaient, par ce terme, conformément au rituel
des Hán, les anciens empereurs Chênn-noung et Hoâng-ti. Ces
sacrifices s’offraient sur les tertres du patron des terres. Ils
continuèrent
sous
les
Leâng.
Sous
les
T’âng,
les
Lettrés
protestèrent contre cet abus, par suite duquel le peuple en était
venu à confondre le Patron des terres et l’Ancien Agriculteur (au
singulier). Leurs protestations eurent quelque succès en 650, mais
en
685
l’abus
l’emporta.
L’Ancien
Agriculteur,
officiellement
reconnu, fut associé à Keōu-loung (p. 58), et les deux confondus
111
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
devinrent, dans l’esprit du peuple, le Chênn des tertres. Ainsi fut
perverti définitivement le culte antique, qui remerciait de leurs
dons l’Auguste Terre associée à l’Auguste Ciel, et qui honorait deux
personnages
anciens
comme
Protecteurs
des
terres
et
des
moissons (p. 58).
Chez les Wéi, en 505, l’anecdote suivante est à noter. Un champignon
poussa sur une des poutres de la salle du trône. Ts’oēi-koang dit, à propos de
ce cryptogame inoffensif, les méchancetés suivantes :
— Les champignons croissent dans les lieux inhabités. L’apparition
de celui-ci, dans la salle du trône, est un fait anormal. Il a la même
signification, que l’apparition, dans le palais, d’animaux ou de
volatiles sauvages (p. 961) ; c’est un présage de destruction.
Veuillez vous examiner, vous amender, mieux faire !...
C’est que, dit l’Histoire, le roi de Wéi était noceur. Le champignon servit à
Ts’oēi-koang de prétexte pour le chapitrer.
En 505, les Wéi se remettent en campagne contre l’empire, et s’emparent,
après une grande victoire, de toute la vallée de la Hán.
En 507, T’oûo-pa ying et Yâng ta-yen envahissent, avec une armée de
près de cent mille hommes, l’entre-deux du Hoâi et du Fleuve Bleu, théâtre
de tant de combats, et
p.1182
mettent le siège devant Tchoūng-li. Cette place
touchait à la rive sud du Hoâi. Vis-à-vis, sur la rive nord, était la ville de
Cháo-yang. Le côté de Tchoūng-li contigu au Hoâi, étant relativement faible,
les Wéi s’installèrent dans Cháo-yang, et commencèrent à construire un pont
sur pilotis, en vue d’aborder la place par le nord. La garnison de Tchoūng-li ne
comptait que trois mille hommes. Malgré cette infériorité numérique, le
commandant Tch’āng i-tcheu résista bravement. Les Wéi ayant achevé leur
pont et franchi le fleuve, comblèrent le fossé et attaquèrent avec leurs béliers
le rempart qui ne tarda pas à s’écrouler par endroits ; mais Tch’āng i-tcheu fit
réparer les brèches avec de la terre détrempée, sur laquelle les béliers
n’eurent plus aucune action... Alors les Wéi donnèrent l’assaut. Leurs
colonnes se relayaient, à cet effet, jour et nuit, afin de ne donner aucun répit
112
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
aux assiégés. Plus de dix mille hommes périrent dans ces tentatives. L’amas
de leurs cadavres s’élevait presque à la hauteur des créneaux du rempart...
Au deuxième mois, une armée impériale commandée par Wêi-joei, vint au
secours de la place. Comme elle approchait de Cháo-yang, le repaire des Wéi,
Yâng ta-yen marcha à sa rencontre, avec un corps de dix mille cavaliers. Wêijoei forma ses chars en carré, et se mit sur la défensive, derrière ce rempart.
Yâng ta-yen approcha. Il fut reçu par une salve meurtrière, partie de deux
mille arbalètes. Lui-même ayant eu le bras percé d’un trait, dut abandonner
la partie. Le lendemain T’oûo-pa ying en personne attaqua Wêi-joei avec
toute son armée. Après plusieurs assauts, il dut se retirer... Au troisième
mois, les eaux du Hoâi ayant crû de sept pieds, Wêi-joei fit attaquer le pont
des Wéi, par une flottille que commandait Fông tao-kenn. Cette flottille se
composait de petits brûlots, et de grandes
p.1183
jonques à tours, du haut
desquelles on pouvait exécuter un tir plongeant sur les remparts de Chaoyang. Tandis que les jonques tenaient les Wéi en respect, les brûlots
incendièrent le pont, puis l’armée impériale donna l’assaut à la ville de Chaoyang, par le côté de l’eau. Les troupes de T’oûo-pa ying lâchèrent pied et
l’abandonnèrent ; il s’enfuit presque seul. Yâng ta-yen mit le feu à son camp,
et se retira. Cent mille Wéi furent noyés, cent mille furent tués, cinquante
mille furent pris. Ils avaient donc reçu des renforts considérables, ou ces
chiffres sont considérablement exagérés. Le butin fut immense.
En 516, l’armée impériale ayant investi Tzèu-t’oung, alors que le
commandant Keôu kinn-loung était gravement malade, sa femme, née Liôu,
se mit à la tête de la garnison et du peuple. Durant plus de cent jours, elle fut
l’âme de la défense. L’officier Kāo-king ayant tenté de livrer la ville aux
ennemis, Liôu-cheu lui fit couper la tête. Vêtue et nourrie comme les soldats,
elle partagea toutes leurs fatigues, redoutée et aimée de tous. L’ennemi
s’étant emparé des puits, qui étaient à l’extérieur des remparts, les assiégés
furent réduits à boire de l’eau de pluie. Liôu-cheu la faisait recueillir au moyen
de toiles étendues, que l’on tordait quand elles étaient trempées. Enfin
l’armée impériale leva le siège et se retira.
Cependant de bien vilaines choses se passaient à la cour des Wéi. La
concubine Kāo, favorite de T’oûo-pa k’iao, haïssait la reine Û et son fils T’oûopa tch’ang. Elle les fit assassiner par son frère Kāo-tchao. Après ce forfait,
113
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
T’oûo-pa k’iao eut la faiblesse de la nommer reine, et de donner à Kāo-tchao
toute sa confiance. Le tuteur T’oûo-pa hie, dont nous avons raconté les
loyaux services (p. 1170), blâma le roi. Kāo-tchao lui voua une haine
mortelle. Avec le temps, le favori arriva à persuader à
p.1184
T’oûo-pa k’iao,
que son tuteur conspirait avec ses ennemis. Le roi l’invita à un festin. Quand
la nuit fut venue, les convives, tous ivres, se retirèrent dans divers
appartements. Alors l’officier Yuân-tchenn porta à T’oûo-pa hie la potion
classique...
— Quel mal ai-je fait ? demanda-t-il ; je veux voir le roi !...
— A quoi bon ? dit Yuân-tchenn...
Comme les gardes le frappaient avec le pommeau de leurs sabres, T’oûo-pa
hie s’écria :
— J’en appelle à toi, Auguste Ciel, de l’injustice dont je suis
victime ! Je meurs innocent et loyal !..
et il avala le poison. Les gardes l’achevèrent. A l’aube, son cadavre fut porté à
son domicile, et l’on fit courir le bruit qu’il était mort d’apoplexie en état
d’ivresse. Ce fut un deuil général... T’oûo-pa k’iao donna à Kāo-tchao les
charges de sa victime. Le Ciel fit justice de ce gredin, sept ans plus tard,
comme nous verrons.
T’oûo-pa k’iao roi de Wéi était fervent buddhiste. Il ne faisait aucun cas
des livres canoniques. P’êi yen-tsounn présenta le placet suivant :
« Même durant leurs campagnes, l’empereur Koāng-Où des HeóuHán, le célèbre Ts’âo-ts’ao, et feu votre père ne déposèrent jamais
leurs livres, C’est que l’étude ayant d’innombrables avantages, il ne
faut jamais la négliger. Dans votre jeunesse, vous avez été très
bien instruit. La doctrine des cinq canoniques est la grande règle de
ce monde. Je vous prie de veiller à sa conservation. Alors tout ira
pour le mieux.
A cette époque (509), continue le Texte, le Buddhisme avait une vogue
extraordinaire à Láo-yang. Il avait, dans cette ville, plus de trois mille moines
114
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
étrangers, venus du Tarim ou de l’Inde, sans compter les moines chinois. Le
roi fit construire, pour ces hôtes, le couvent de la Lumière Perpétuelle, qui
contenait plus de mille cellules. Il établit aussi, au milieu du plus beau site
des Sōng-chan, le
p.1185
splendide couvent de la Retraite. Quand le peuple
eut constaté cette dévotion du souverain, tout le monde se fit buddhiste. Un
dénombrement fait durant la période Yên-tch’ang (entre 512 et 515), accuse
l’existence de plus de treize mille pagodes.
Ici, entrée en scène d’une femme, qui fera beaucoup parler d’elle. En 510,
la concubine Hôu donna à T’oûo-pa k’iao un fils, qui fut appelé T’oûo-pa hu.
Jadis, lors de son entrée au harem, ses compagnes lui avaient dit :
— Passe pour des filles ; mais n’ayez pas l’infortune de donner un
fils au roi (la loi de Wéi condamnant à mort la mère des
héritiers) !..
— Je ne pense pas comme vous, leur avait répondu la dame Hôu ;
je mourrai volontiers, s’il m’est donné de continuer la lignée
royale...
Devenue grosse, comme ses compagnes la poussaient à se faire avorter, elle
répéta les mêmes paroles. Enfin elle accoucha du prince T’oûo-pa hu.
En 512, T’oûo-pa hu fut nommé prince héritier, et, pour la première fois,
la mère fut épargnée, probablement à cause des paroles édifiantes rapportées
ci-dessus.
En 515, T’oûo-pa k’iao étant mort, T’oûo-pa hu alors âgé de cinq à six
ans, fut assis sur le trône.
Or nous savons de quoi la reine Kāo (p. 1183) était capable. Elle essaya
aussitôt de supprimer la dame Hôu. Mais Ts’oēi-koang mit celle-ci en lieu sûr,
et la fit garder avec le plus grand soin.
Quand Kāo-tchao entra au palais pour pleurer le roi, il y fut étranglé par
les officiers qui le détestaient, et son cadavre emporté par une porte de
derrière, fut envoyé à sa famille, comme il avait jadis envoyé le cadavre de
T’oûo-pa hie à la sienne.
115
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Puis sa sœur, la reine Kāo, fut rasée et enfermée dans un couvent de
nonnes.
Proclamée reine, la dame Hôu prit en mains la régence. Tout ce que les
Wéi avaient voulu éviter, en immolant durant si longtemps la mère du prince
héritier,
p.1186
arriva donc dès la première fois qu’ils ne la supprimèrent pas,
dit l’historien, avec un malin sourire.
La Régente débuta par un attentat inouï. En l’an 515, elle osa sacrifier
pour le roi son fils. Les officiers préposés aux rites eurent beau remontrer
qu’une femme ne pouvait pas offrir les sacrifices officiels. La reine ayant
consulté
Ts’oēi-koang,
celui-ci
se
rappela
que,
sous
les
Heôu-Hán,
l’impératrice Téng (p. 728) sacrifia aux Ancêtres de la dynastie. Ce précédent,
plus ou moins authentique, suffit à la reine Hôu, qui sacrifia. Les historiens
feignent de ne pas savoir à qui elle sacrifia. Si ce fut au Ciel, disent-ils, elle
dut mettre des habits d’homme... Pourquoi pas ? Elle en était capable ! Le fait
est qu’elle sacrifia, et très probablement au Ciel.
En 518, elle fit assassiner sa rivale détrônée, la nonne Kāo. Nous
raconterons plus tard la suite de ses exploits.
En 515, dans le pays de Kí-tcheou (k), le moine Fā-k’ing, prophète d’une
secte nouvelle, causa des troubles parmi le peuple. Il épousa la nonne Hoéihoei, puis, jugeant que cette prouesse facile ne suffirait pas pour le poser
dans l’estime du vulgaire, il se donna pour une incarnation du Grand Véhicule
(p. 1041), chose peu banale, capable d’ébahir les plus difficiles badauds. Il
inventa aussi une drogue, qui troublait la raison, au point que père fils et
frères ne se reconnaissaient plus, et s’entre-tuaient comme des bêtes féroces.
Yuân-yao dut marcher avec des troupes contre ces fanatiques.
En 516, la reine Hôu fit bâtir, à côté de son palais, le couvent de la Paix
Perpétuelle. Elle augmenta aussi les temples souterrains du défilé Ī-k’ue.
Ī-k’ue est une brèche, entre deux piliers rocheux, par laquelle passe la Ī,
petit affluent de la Láo (non marqué sur la carte, au sud de L). Dans les deux
rochers sont creusées de nombreuses grottes, ornées d’images buddhiques
colossales, ciselées en haut-relief dans la paroi, à l’instar de certains temples
116
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
p.1187 de l’Inde. Commandés vers l’an 500, pour être à la nouvelle capitale
Láo-yang, ce que les Chêu-k’ou-seu du mont Où-tcheou avaient été à
l’ancienne capitale P’îng-tch’eng ; commencés vers 504, augmentés en 510,
ces temples souterrains avaient déjà consumé 182.000 journées de travail,
quand la reine Hôu ordonna, en 516, de les multiplier et de les embellir. En
523, ils avaient coûté 802.366 journées de travail. Ils ne furent terminés que
plus de cent ans plus tard, en 642, par le roitelet T’ái, quatrième fils de
l’empereur T’ái-tsoung des T’âng. Ils existent encore. M. Ed. Chavannes a
publié, avec un texte excellent, des photographies prises dans ces grottes,
par M. Leprince-Ringuet (Journal Asiatique, juillet-août 1902).
La reine Hôu ne ménagea, dans ces travaux, ni la main-d’œuvre, ni les
matériaux. Elle fit aussi élever une tour (stupa) haute de 90 toises (300
mètres), et une pagode haute de 10 toises, d’une splendeur inouïe... Lìtch’oung ayant vainement protesté contre ces prodigalités, T’oûo-pa teng
adressa à la Régente le factum suivant :
« Quand la capitale fut transférée ici à Láo-yang (en 494), le roi
permit d’y établir un seul couvent de bonzes, et un seul couvent de
bonzesses. En 506, le bonze Hoéi-chenn contrevint à cette
ordonnance, et multiplia les pagodes. Actuellement (516), dans
l’enceinte de la capitale, il y en a plus de cinq cents. Il y a là un
danger. L’instigateur des troubles de Tái (p. 1153), fut le bonze Fāsiou. La révolte du Kí-tcheou (p. 1186), eut pour chef le bonze Fāk’ing. Si les bonzes affluent actuellement dans les villes, c’est
précisément
dans
l’intention
d’y
exciter,
à
l’occasion,
des
mouvements populaires. Ces gens-là sont la lie des buddhistes, le
rebut de la nation. Il faut nous mettre en garde contre eux. Je
demande qu’il ne soit permis d’établir de pagodes que dans les
campagnes, et qu’aucune pagode ne puisse recevoir plus de 50
bonzes, les bonzillons compris...
La reine donna, à contre-cœur, un édit conforme à la pétition, lequel resta
lettre morte.
Beaucoup de familles s’éteignant, par suite du grand nombre d’entrées
dans les bonzeries, Lì-tch’ang s’émut et présenta le placet suivant :
117
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
« La pire de toutes les impiétés, c’est celle qui prive les
p.1188
Ancêtres défunts des offrandes qui leur reviennent. Se peut-il que,
s’affranchissant de tous les devoirs sociaux pour suivre ses goûts
personnels, on déserte sa famille, on ne nourrisse pas ses parents
(vivants ou morts), on renonce aux biens de cette vie, pour un
avantage hypothétique à recueillir dans une existence future ?..
Confucius n’a-t-il pas dit : du moment qu’on n’entend rien à la vie,
qu’entendrait-on à la mort ? Alors pourquoi abandonner les nobles
principes (de Confucius), pour s’attacher à une secte vile, qui
honore un Koèi (un homme mort, le Buddha) ?..
Conduits par leur chef Sién, les bonzes de la capitale allèrent en corps pleurer
devant la reine, de ce que Lì-tch’ang avait fait injure au Buddha... Touchée,
ou effrayée, la douairière chapitra Lì-tch’ang, qui manifesta la plus parfaite
impénitence.
— Les Génies célestes, dit-il, ont noms Chênn ; les Génies
terrestres sont K’î ; après leur mort, les hommes s’appellent Koèi.
Or le Buddha étant un homme mort, je ne lui ai donc fait aucune
injure en le traitant de Koèi...
Mais les bonzes étaient une puissance. Pour se tirer d’affaire, la douairière
condamna Lì-tch’ang à dérisoire amende d’un taël.
@
En 514, les impériaux résolurent de récupérer les forteresses de la ligne
du Hoâi, alors aux mains des Wéi. Ils commencèrent par Cheóu-yang, qu’ils
entreprirent de noyer, en barrant le fleuve en aval de la place. En vain les
experts déclarèrent-ils, que la terre du pays, trop meuble, ne se prêterait pas
à ce travail ; la noyade fut décidée ; restait à l’exécuter. Dans tout le bassin
du Hoâi, cinq hommes furent levés par vingt familles. Y compris les officiers
et les soldats nécessaires pour diriger et protéger les travailleurs, 200 mille
hommes furent réunis près de Cheóu-yang. Appuyés à la montagne, des deux
côtés, les deux tronçons de la digue furent
p.1189
conduits jusqu’au Hoâi. Ils
devaient se rejoindre, au milieu du lit du fleuve, au moment des basses eaux.
118
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Une première fois, l’un des deux tronçons fut emporté par l’eau. On
imputa l’accident à la malveillance des petits caïmans du pays. Un Sage ayant
déclaré que les caïmans sont chassés par la présence du fer, on amena à
grands frais des centaines de milliers de livres de fer, qu’on enterra dans la
digue. On appuya celle-ci par des contreforts en pierre. Dans tous les pays
d’alentour, il ne resta pas un morceau de bois, pas un morceau de pierre.
Dévorés par les moustiques, couverts de plaies, les travailleurs mouraient en
masse.
Au quatrième mois de l’an 516, le remblai fut achevé, et le fleuve se
trouva barré. La digue avait 9 lì de long (cinq kilomètres), 140 toises (420
mètres) d’épaisseur à la base, et 45 toises (130 mètres) de largeur au haut,
sa hauteur totale étant de 20 toises (60 mètres). On la planta de saules. Des
soldats furent logés sur le haut, dans des fortins, pour la garder.
On avait pourtant bien dit au directeur des travaux Kià k’ang-huan, que
les fleuves étant les artères par lesquelles le Ciel épanche sa vitalité, il ne
barrerait pas le Hoâi impunément (p. 140). Terminé au quatrième mois, au
neuvième mois le barrage fut emporté par les hautes eaux. Le fracas de la
débâcle fut tel, qu’on l’entendit à 300 lì à la ronde (!). Villes, villages, fermes,
tout fut emporté. Les eaux du fleuve roulèrent à la mer plus de cent mille
cadavres. Cheóu-yang n’eut aucun mal.
En 515, premiers signes de la conversion de l’empereur Où au
buddhisme. Il interdit de tisser, dans les étoffes, des figures de Génies,
d’hommes ou d’animaux. Il jugeait que, couper ces figures en coupant
l’étoffe, était un outrage fait aux Génies, une cruauté envers les hommes et
les animaux. Peu édifié par cette tendresse de cœur
p.1190
et de conscience,
sans rien dire des Génies, l’historien observe en ricanant, que cet empereur
qui ne pouvait souffrir qu’on coupât en deux la figure d’un animal, avait sans
le moindre scrupule noyé cent mille hommes au siège de Cheóu-yang.
La piété de l’empereur Où s’accentuant de plus en plus, il défendit peu
après d’immoler des victimes, dans les sacrifices offerts aux Ancêtres, et
autres. On sacrifia depuis lors des animaux faits en pâte, les viandes furent
remplacées par des farineux, le reste par des légumes. On ne dit pas si les
119
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ancêtres se trouvèrent bien ou mal du régime végétarien. Le peuple murmura
hautement ; tant était forte la croyance, que le sang est le seul breuvage
apte à restaurer les Mânes ; tout comme au temps d’Ulysse et d’Achille
(Odyssée 11 1 ).
@
Les Wéi étaient aussi fervents buddhistes. Désirant combler les lacunes de
la littérature buddhique chinoise, en 518 la reine Hôu envoya dans l’Inde
l’ambassadeur Sóng-yunn, flanqué du bonze Hoéi-cheng. Ambassade célèbre,
car sa relation, qui est parvenue jusqu’à nous, est un des documents les plus
importants de la géographie indo-chinoise ancienne. Elle rapporta, en 521, du
Gandhara et de l’Udyana, 170 ouvrages buddhiques encore inconnus en
Chine.
L’histoire blâme le luxe de la reine Hôu, et accuse ses relations avec
l’Inde, pour raison de buddhisme, d’en avoir été la cause. Elle prit tant de
goût à la gaze indienne, qu’elle ne s’habilla plus que de ce tissu, et l’imposa
aussi à ses cent suivantes. Elle multiplia les bonzeries, les pagodes et les
tours. Elle combla de largesses les bonzes. Ces prodigalités ayant épuisé le
trésor et le peuple, afin de pouvoir les continuer, elle rogna les honoraires des
fonctionnaires.
@
Nota :
p.1191
Partis de Láo-yang (a) en 518, Sóng-yunn et Hoéi-
cheng passèrent par le pays des T’ou-kou-hounn (e, g) et par celui
des Chán-chan (h)... A Hân-mouo (près Keria), ils vénérèrent la
célèbre statue, venue à cet endroit en volant à travers les airs. Les
oriflammes suspendues dans le temple, en ex-voto, se comptaient
par myriades... A Kotan (j), ils observèrent que les femmes, portant
pantalon, cavalcadaient comme les hommes... Ils passèrent ensuite
par Koukyar et Tach-kourgane dans le Wakhan (W), chez les Ye-ta
(Ephthalites), peuple guerrier et brave, alors en possession de tout le
territoire des Indo-Scythes. Dans ce pays, dit la relation, les rites
sont inconnus. Personne ne sait les règles de l’évolution du yīnn et du
1 [cf. le site philoctète, édition/rechercher ‘sang’]
120
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
yâng, du calendrier, etc. Redouté de tous ses voisins, le roi des
Ephthalites reçoit les hommages de plus de 40 peuples... Ayant
passé ensuite par la passe Baroghil dans le Tchitral (T), nos deux
Chinois descendirent la vallée du Svat (Udyana). Ce pays, dit la
relation, est fertile et beau. Irrigué par mille canaux, le sol produit en
abondance du riz et du blé. Les Brahmanes interprètent les astres et
les augures. Avant d’agir, le roi les consulte toujours. Le peuple
honore le Buddha. Il y a nombre de pagodes et de tours fort belles.
Quand deux hommes ont un différend, on leur fait prendre à tous les
deux une drogue, laquelle rend furieux celui qui a tort, tandis que
celui qui a raison n’en éprouve aucun mal. La loi n’inflige pas la peine
de mort. On se contente de chasser le criminel dans les montagnes
(où les tigres le dévorent). Le roi qui réside à Manglaor, est très
sage. Il garde constamment l’abstinence buddhique, et fait sa prière
matin et soir. Pendant la nuit, le son des cloches des pagodes retentit
dans tout le pays. Quand le roi vit Sóng-yunn, il lui dit :
— O envoyé des grands Wéi, approche !
Et s’étant prosterné, il reçut à genoux la lettre de la reine Hôu.
Quand il eut appris qu’elle était fervente buddhiste, il se tourna vers
l’Est, joignit les mains et adora. Puis il demanda à Sóng-yunn :
— Es-tu vraiment du pays où le soleil se lève ?..
Sóng-yunn répondit :
— A l’est de mon pays, il y a un vaste océan ; le soleil en
sort...
Le roi demanda encore si ce pays avait produit des hommes saints.
Sóng-yunn s’étendit sur les vertus du Duc de Tcheōu, de Confucius,
de Tchoāng-tzeu et de Lào-tzeu. Il parla aussi des palais féeriques de
l’île P’êng-lai (p. 212) et des Génies qui les habitent, du devin Koànlou, du magicien Tsoúo-ts’eu, du médecin Hoâ-t’ouo, etc...
— Quand j’aurai achevé cette existence, dit le roi émerveillé,
je désire renaître dans ce pays-là.
121
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
(L’éclectisme
et
la
tolérance
de
Sóng-yunn,
qui
loua
les
représentants des diverses écoles chinoises, antagonistes acharnés,
sont à noter. Nous parlerons à la fin de la présente note, des trois
personnages nommés en dernier lieu)... Ensuite Sóng-yunn étant
tombé malade, fut guéri par les incantations d’un Brahmane. Il passa
dans le Gandhara (G), en l’an 520. Le roi ou vice-roi (tegin
ephthalite)
de
Indicopleustes),
ce
pays,
homme
Mihira
Kula
méchant
et
(le
Gollas
sanguinaire,
de
Cosmas
n’était
pas
buddhiste. Il avait 750 éléphants de guerre, montés chacun par dix
hommes. Chaque éléphant portait, attaché à sa trompe, un glaive
avec lequel il combattait. A sept lì de Peshawer, Sông-yunn vit le
stupa du loriot, tour haute de 700 pieds, 300 pas de circuit à la base,
bâtie par le fameux Kaniska (p. 716). Mihira Kula reçut mal et traita
chichement Sóng-yunn et son compagnon. Tandis que ceux-ci
résidaient auprès de lui, on amena au roi deux lions vivants. Sóngyunn les admira, et observa que les représentations chinoises des
lions sont très défectueuses... Enfin les deux voyageurs revinrent en
Chine en 521, édifiés de la vie et des discours des bonzes hindous, et
rapportant 170 traités buddhistes nouveaux.
La biographie du devin Koàn-lou (209 à 256 de l’ère chrétienne),
est
p.1192
insérée dans l’Histoire officielle. Extraordinairement laid, il
lisait dans le passé, prédisait l’avenir, et devinait le secret des cœurs,
au moyen de l’achillée et des diagrammes. Exemples :
□ Dans une famille, trois enfants naquirent successivement perclus
des jambes. On consulta Koàn-lou.
— C’est le fait d’un revenant, qui hante votre cimetière de
famille, dit le devin. C’est une femme, qui a été assassinée par
les vôtres, l’année de la famine. Ils ont commis ce crime, pour
lui ravir le grain qui lui restait. Elle a été jetée dans un puits,
près de votre cimetière, et, comme elle gémissait encore, on
lui a brisé la tête à coups de pierres. Son hoūnn (âme
supérieure) est allée porter plainte au Ciel ; son koèi (âme
122
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
inférieure) hante votre cimetière, et cause, par son influx
néfaste, le malheur de vos descendants...
De fait, on retrouva le puits, le squelette, les pierres, etc.
□ Dans la famille du préfet de Kí-tcheou, les femmes souffraient de
migraine et de cardialgie. On consulta Koàn-lou.
— Il y a, dit-il, sous les fondements de cet édifice, deux
squelette anciens, l’un tenant une hallebarde, l’autre tenant un
arc. Les coups de l’un causent les migraines, les flèches de
l’autre causent les cardialgies...
On fit des fouilles, on découvrit les deux squelettes avec leurs armes,
on les enleva, et tout le monde guérit.
□ A Nān-tei-hien, des pies s’abattirent sur la maison du devin, et
se mirent à jacasser.
— Savez-vous ce qu’elles disent ? fit le devin. Elles disent que,
au nord-est d’ici, une femme vient de tuer son mari...
De fait, la journée n’était pas passée, qu’on vint d’un village situé
dans la direction indiquée, pour livrer au mandarin la femme
coupable.
□ Un jour Koàn-lou ayant rencontré un de ses amis qui causait
avec deux étrangers, quand ceux-ci eurent pris congé, Koàn-lou dit à
son ami :
— Ces deux hommes mourront de malemort. Leurs âmes
iront à la mer, leurs os reviendront à leur famille...
Peu de jours après, comme ces deux hommes longeaient la rivière
Tchang dans un char traîné par des bœufs, l’attelage prit peur et les
jeta à la rivière, où ils se noyèrent. Le courant entraîna leurs âmes.
On repêcha leurs corps, qui furent inhumés dans leur cimetière de
famille.
□ Par une grande sécheresse, le mandarin de Ts’ing-heue
demanda à Koàn-lou quand il pleuvrait.
123
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Cette nuit, dit le devin.
Or le ciel était d’airain. Mais quand la nuit fut venue, contre toute
probabilité, une pluie torrentielle mit fin aux anxiétés du peuple.
□ Enfin Koàn-lou prédit sa mort, etc.
Le magicien Tsoùo-ts’eu (155 à 220 de l’ère chrétienne), espèce
d’escamoteur, a aussi sa biographie dans l’Histoire...
□ Un jour de grand régal, Ts’âo ts’ao n’avait aucun mets friand à
offrir à ses convives. Tsoùo-ts’eu qui en était se fit apporter une
cuvette pleine d’eau et une ligne. En présence de tous les convives, il
amorça
la
ligne,
jeta
l’hameçon
dans
la
cuvette,
et
retira
immédiatement une superbe perche de Sōng-kiang... Ts’âo-ts’ao
applaudit, puis dit :
— Une c’est trop peu pour tant de monde...
Tsoùo-ts’eu amorça et jeta de nouveau sa ligne. A chaque fois, il
retira de la cuvette une perche longue de trois pieds...
— Maintenant, dit Ts’âo-ts’ao, il nous faudrait du gingembre
frais, comme condiment...
— J’en ai envoyé quérir au Séu-tch’oan, dit Tsoùo-ts’eu.
Un instant après, un inconnu l’apporta.
□ Une autre fois, Tsoùo-ts’eu régala les officiers de vin et de
viande. Mais cette fois Ts’âo-ts’ao découvrit que les incantations du
magicien avaient fait sortir ces provisions de ses propres magasins.
Furieux, il ordonna de le saisir. Tsoùo-ts’eu passa à travers la
muraille et s’enfuit. On le poursuivit sur le marché. Soudain tous les
hommes qui remplissaient la place, prirent les traits du magicien, si
bien qu’on ne put pas le reconnaître... Poursuivi plus loin, Tsoùots’eu se cacha dans un troupeau de moutons, devenu mouton luimême. Pour le découvrir, Ts’âo-ts’ao fit traîtreusement crier son
pardon.
124
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Merci, dit un
p.1193
bélier, en se dressant sur ses pattes de
derrière.
Comme on allait le saisir, tout le troupeau se trouva composé de
béliers parfaitement semblables. Etc.
Au même temps vivait le magicien Liôu-kenn. Le soupçonnant de
conspiration, son préfet le fit arrêter.
— S’il y a vraiment des Chènn, lui dit-il, fais-les-moi voir ;
sinon, tu vas mourir...
— Je ne puis vous montrer que des Koèi, dit le magicien...
— Passe pour des Koèi, dit le préfet...
Au même instant entrèrent dans la salle, en longue file, le père et
tous les ancêtres défunts du préfet, lesquels, prosternés et battant
de la tête, dirent à Liôu-kenn :
— Veuillez nous pardonner l’insolence de ce garçon !..
— Qu’avez-vous fait ? impie ! s’écria l’assesseur du préfet.
Voyez quelle humiliation vous avez infligée à vos ancêtres !..
Éperdu, le préfet se prosterna à son tour devant Liôu-kenn, et battit
de la tête jusqu’à se meurtrir le front. Alors la vision disparut.
Quant au médecin Hoâ-t’ouo, qui finit centenaire vers l’an 220
de l’ère chrétienne, sa biographie est répétée deux fois dans
l’Histoire.
Il
éclipsa
l’ancien
Piên-ts’iao.
Il
eut
certainement
connaissance de procédés exotiques, indiens, peut-être grecs. Il
pratiquait l’acupuncture, appliquait des moxas, faisait des incisions
hardies, après avoir préalablement marcotisé le patient au moyen
d’une infusion de chanvre (chanvre indien, haschisch). Il tirait ainsi
toutes les humeurs peccantes ; extrayait, rafistolait, rinçait les
viscères ; recousait et appliquait une pommade merveilleuse, qui
ressoudait les lèvres de l’incision en cinq jours de temps. L’histoire
raconte en détail les plus abracadabrants de ses diagnostics. Il faisait
125
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
vomir à ses malades, pour leur consolation, des couleuvres, des
poissons,
des
insectes ;
ce
qui
donne
à
penser
qu’il
était
prestidigitateur, et suggestionnait les névrosés, tout comme nos
aliénistes modernes.
En l’an 519, l’Histoire raconte ce qui suit : La reine Hôu de Wéi, se mit à
faire des visites à domicile, d’abord à des parents, puis à d’autres personnes.
Son sauveur et patron Ts’oēi-koang (p. 1185) protesta.
— D’après les Rites, dit-il, un feudataire ne peut entrer dans une
demeure particulière, que pour visiter un malade ou pour pleurer
un mort, sous peine d’être taxé d’inconvenance ; à plus forte
raison un prince ou une princesse doivent s’abstenir de toute visite
suspecte...
La reine ne tint aucun compte de cet avertissement. De plus en plus hardie,
elle finit par passer la nuit hors du palais, durant plusieurs jours de suite.
En 520, elle imposa sa faveur au prince T’oûo-pa i. L’influence qu’acquit
sur le gouvernement ce favori lettré, fut plutôt favorable. Mais bientôt deux
ambitieux, T’oûo-pa i
1
et Liôu-t’eng, réussirent à le perdre. Ils achetèrent le
maître d’hôtel du palais, qui raconta que
p.1194
T’oûo-pa i lui avait proposé
d’empoisonner le roi alors âgé de onze ans. T’oûo-pa i et Liôu-t’eng firent un
coup d’État au bénéfice de cet enfant, ou plutôt à leur propre bénéfice. Ayant
envahi le palais en armes, ils commencèrent par enfermer la douairière.
T’oûo-pa i étant accouru, T’oûo-pa i lui demanda d’un ton menaçant ce qu’Il
prétendait...
— Serais-tu rebelle, par hasard ? demanda le favori...
— C’est toi qui es rebelle ! dit l’autre ;
et il le fit lier. Puis, Liôu-t’eng ayant réuni les ministres, les deux compères
leur déférèrent le favori, comme coupable de lèse-majesté. Les ministres
ayant prudemment décliné leur compétence, ils passèrent outre et firent
1[Même transcription de caractères différents. Le prince T’oûo-pa i sera ici écrit en bleu]
126
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
exécuter T’oûo-pa i, sur un ordre supposé de la douairière prisonnière. Puis ils
produisirent une autre pièce supposée, par laquelle la reine faisait savoir au
conseil que, étant malade, elle se retirait des affaires, et remettait le
gouvernement aux mains du roi. Ils l’enfermèrent ensuite dans le palais du
nord, et la tinrent si bien au secret, que même son fils le petit roi ne put plus
la voir. C’est à peine s’ils lui donnèrent le strict nécessaire, en fait d’habits et
d’aliments.
— Ah ! dit-elle en soupirant, ce que dit le proverbe, que quiconque
nourrit des tigres, finit par être dévoré, s’est vérifié en moi !..
T’oûo-pa i et Liôu-t’eng, gouvernèrent au nom du petit roi. Le peuple regretta
bientôt T’oûo-pa i.
@
Ici l’Histoire reprend les fastes des Jeóu-jan (Avars) depuis l’an 506.
En 506, mort du khan K’óu-tchee. Son fils, le khan T’oūo-han, lui succède.
En 508, les Kāo-kiu (Sarmates) infligent une grande défaite aux Jeóu-jan,
près du Lob-nor. Le khan T’oūo-han périt dans la bataille. Son fils, le khan
Fôu-pa, lui succède.
En 516, les Jeóu-jan prennent leur revanche sur les Kāo-kiu. Mi-neue-t’ou,
le khan de ces derniers, est tué. Son crâne monté et verni, sert de coupe à
Fôu-pa, lequel extermine tous les petits peuples voisins, qui avaient fait cause
commune avec les Kāo-kiu, après leur succès de 508. Les Jeóu-jan se
trouvèrent alors très puissants.
En 517, Fôu-pa demande à s’allier aux T’oûo-pa de Wéi. Prenant exemple
sur les Hán, ceux-ci accueillent favorablement sa demande, pour avoir la paix
sur leur frontière du nord.
En 520, singulière histoire chez les Jeóu-jan. Le feu khan T’oūo-han avait
laissé une veuve nommée Heôu-lu-ling, mère de Fôu-pa, de A-na-koei, et de
quatre autres princes. Quand Fôu-pa fut devenu khan, son fils Tsòu-hoei,
jeune enfant, disparut. La magicienne Tí-wan dit à Fôu-pa, que l’enfant avait
été enlevé au ciel, mais qu’elle espérait pouvoir l’en faire redescendre. A cet
effet, elle fit dresser une tente au milieu d’un marais (inabordable), y sacrifia
au Chênn du ciel, puis produisit Tsòu-hoei, lequel raconta qu’il revenait du
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ciel. Très édifié, Fôu-pa donna à la magicienne le titre de Sainte Femme,
l’épousa, et la fit k’eue-han-tounn reine en titre (khatoun des anciens
auteurs). Bientôt cette femme causa de grands troubles parmi les Jeóu-jan.
Cependant Tsòu-hoei étant devenu grandelet, raconta à sa mère qu’il n’avait
jamais été au ciel, mais que la magicienne l’ayant enlevé et enfermé chez
elle, lui avait fait la leçon. La mère, jalouse d’ailleurs de cette femme qui
l’avait supplantée, avertit Fôu-pa. Celui-ci ne la crut pas, et fit mourir Tsòuhoei comme calomniateur. Alors la douairière Heôu-lu-ling fit assassiner la
magicienne. Fôu-pa allait tirer vengeance de ce meurtre, quand une incursion
de brigands l’obligea de différer. Se doutant de ce qui les attendait quand il
reviendrait de son expédition, la mère et l’épouse prirent les devants, firent
assassiner leur fils et mari Fôu-pa, et mirent son frère A-na-koei sur le trône.
Dix jours après, celui-ci fut détrôné par son cousin Chéu-fa, qui fit mourir la
douairière.
p.1196
A-na-koei se réfugia à la cour des Wéi.
Heureux d’avoir l’occasion de patronner un prétendant, truc politique
souvent très profitable, le roi de Wéi reçut le fugitif avec de grands honneurs,
l’appela roi des Jeóu-jan, le plaça premier après les princes du sang (p. 524),
etc. Cependant A-na-koei eût préféré à tous ces honneurs quelques escadrons
qui l’auraient réintégré sur son trône. Les conseillers discutaient son cas, sans
aboutir. En homme qui connaît son monde, A-na-koei graissa la patte à
T’oûo-pa i. Aussitôt la discussion aboutit, et quinze mille hommes lui furent
promis... Comme il convenait, le censeur Tchāng p’ou-hoei remontra que les
Jeóu-jan, ces « puants barbares odieux au Ciel », étant des voisins
éminemment désagréables, autant valait les laisser s’entre-détruire ; que,
malgré toutes leurs protestations d’amitié, il était palpable qu’ils ne
cherchaient que leur propre intérêt ; timeo Danaos, et dona ferentes ; etc.
Mais T’oûo-pa i ayant été bien graissé, tous ces arguments furent trouvés de
nulle valeur. Entre temps, une nouvelle révolution avait éclaté chez les Jeóujan. P’oūo-louo-menn, un oncle de A-na-koei, ayant détrôné Chéu-fa, avait
été reconnu khan par les hordes. Le roi de Wéi lui fit demander, par un
ambassadeur, de réintégrer A-na-koei. L’offre fut mal reçue, naturellement
P’oūo-louo-menn se montra très arrogant. L’ambassadeur se retira fort irrité.
P’oūo-louo-menn le fit filer par deux mille cavaliers. A-na-koei revint
prudemment à Láo-yang, avec l’ambassadeur. Les choses en restèrent là.
128
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 521, Ī-fou, roi des Kāo-kiu, fit les affaires d’A-na-koei et des Wéi, en
faisant les siennes propres, Il battit P’oūo-louo-menn. Sur ce, schisme parmi
les hordes des Jeóu-jan. Dissertation du censeur Yuân-fan, sur le thème
Divide et impera :
— Les Jeóu-jan et les Kāo-kiu sont toujours à se mordre les uns les
autres, fort heureusement pour
p.1197
nous. On ne tirera jamais
rien de ces brutes. Cependant les empereurs et les rois devant,
comme le Ciel, veiller à la conservation des êtres, il ne faut pas les
exterminer, mais il ne faut pas non plus les choyer. Qu’ils
continuent à guerroyer entre eux. Même si les Jeóu-jan se divisent
en deux, comme ils sont fort nombreux, les Kāo-kiu ne viendront
pas encore à bout de les détruire et de s’agrandir à leurs dépens.
Tous ces désordres sont pour notre avantage. Reconnaissons-leur
deux khans. Que P’oūo-louo-menn règne sur les hordes de l’Ouest,
et A-na-koei sur celles de l’Est. Cela nous donnera la paix au
Nord...
Ainsi fut fait.
En 522, Ī-fou khan des Kāo-kiu fut assassiné et remplacé par son frère
Úe-kiu.
La même année, le khan P’oūo-louo-menn s’aboucha avec les Ephthalites,
alors maîtres du Tarim. Prévoyant de nouveaux troubles, le roi de Wéi
ordonna au général Féi-mou d’aviser. Féi-mou captura P’oūo-louo-menn dans
le Tangout, et l’envoya à Láo-yang. A-na-koei réunit de nouveau tous les
Jeóu-jan sous son sceptre.
Il n’était guère plus sincère que P’oūo-louo-menn. Profitant d’une grande
sécheresse, ce qui signifie, en langue nomade, mort des troupeaux et ruine
des hommes, il demanda la permission de paître sur les terres des Wéi. Or les
300 mille hommes qu’il amena, ne se contentèrent pas de paître ; ils pillèrent
aussi, autant qu’ils purent. Le roi de Wéi dut envoyer cent mille cavaliers. Ana-koei se retira dans les vallées de l’Orkhon et de Kobdo. La cavalerie des
Wéi ne le joignit pas. Il est probable qu’elle ne tenait pas à le joindre.
129
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les Hoâ, petit peuple Joûng (c’est-à-dire ni Tongouse ni Turc,
mais plutôt parent des Tangoutains et des Tibétains), stationné dans
le pays de Tourfan (q), sont mentionnés pour la première fois à
propos de Pān-young (second siècle, page 733), qu’ils aidèrent
contre les Huns. Ils subirent ensuite toutes les vicissitudes, par
lesquelles passa le pays de Tourfan. Encore tributaires des Jeóu-jan,
au commencement du 5e siècle, ils s’affranchirent et devinrent très
puissants vers le
p.1198
milieu du même siècle. Ils conquirent peu à
peu tout le fond du Tarim (Karachar, Koutcha, Kachgar, Yarkend,
Kotan, p m I k j), franchirent le Pamir-Bolor, prirent Koukyar, Tachkourgane, le Wakhan (W), la Sogdiane et la Bactriane (hautes vallées
de l’Iaxartes et de l’Oxus, 21, 23) et tout l’Afghanistan actuel (24),
envahirent le Tchitral et le Gilgit (T), l’Udyana et le Gandhara jusqu’à
Peshawer (G), en un mot tout l’ancien empire Indo-Scythe (Procope,
Ménandre, Tabarî, Aboulféda). Au Nord-Ouest, ils poussèrent par
Merw (B) jusqu’à Gourgan (C) à l’angle Sud-Est de la Mer Caspienne,
puis
attaquèrent
l’empire
Persan
(25).
En
484,
le
roi
Hoá
Akschounwar défit en bataille rangée le roi Sassanide Firouz, qui périt
dans le combat. Le nom de famille de cet Akschounwar, était Ethailit
ou
Ephthal.
De
là
les
transcriptions
grecques
et
chinoises,
Ephthalanos et Ephthalitæ, Ye-tai-i-li-t’ouo et Ye-ta.
L’histoire de Chine nous a conservé, des mœurs des Ephthalites,
les traits suivants... Nourriture : bouillie de grain préalablement
grillé, et viande de mouton... Costume : robe longue, manches
courtes serrées au poignet, ceinture ornée de bijoux et de pierres
précieuses... Habitation : tentes de feutre, ouvertes du côté de
l’Orient... Polyandrie, tous les frères épousant en commun une seule
femme, laquelle portait sur sa coiffure autant de petites cornes,
qu’elle avait de maris... Le trône doré du roi s’orientait d’après les
sorts. La reine y trônait, assise à côté du roi. Le roi était vêtu d’une
robe de soie à traîne. La reine portait, sur la tête, un hennin haut de
huit pieds... Les Ephthalites n’avaient pas d’écriture propre. Pour
leurs relations avec les autres peuples, ils se servaient de l’écriture
de chacun de ces peuples, écrivant avec de l’encre sur des peaux de
130
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
mouton préparées. Ils adoraient le Chênn du ciel (leur culte primitif),
et le Chênn du feu (emprunté aux Perses). Chaque matin le roi
sortait, pour sacrifier à ces Chênn. Il ne mangeait et ne traitait
d’affaires, qu’après ce sacrifice... Rites : Les Ephthalites saluaient par
une prostration unique. Ils enterraient leurs morts dans des cercueils
de bois. Quand ils perdaient leurs parents, les fils se coupaient ou
s’entaillaient les oreilles.
En 523, les déportements de T’oûo-pa i exaspérant le peuple de plus en
plus, un certain Hân pa-ling souleva les populations du nord du Chān-si actuel
(11, 12). Chinois et Barbares, tous furent pour lui. On massacra les
fonctionnaires Wéi, et le reste, à l’ordinaire.
En 524, les rebelles prirent Où-tch’oan. Trois armées Wéi, arrivées
lentement et timidement, furent successivement battues par eux.
De plus, en 525, révolte d’un prince du sang, T’oûo-pa fa-seng.
Les Wéi étaient faibles, à ce qu’il paraît. Heureusement que A-na-koei le
khan des Jeóu-jan, avait alors envie de se faire pardonner ses récents méfaits
(p. 1197). Sa cavalerie envahit le nord de la Chine, et défit Hân pa-ling, dont
les bandes (200 mille hommes) se soumirent.
p.1199
Nous avons dit comment, en 520, T’oûo-pa i et Liôu-t’eng avaient
séquestré la reine Hôu. Liôu-t’eng étant mort, et T’oûo-pa i s’étant relâché de
sa vigilance, en 525, durant une absence de cet usurpateur, la reine trouva
moyen de sortir de sa prison, se présenta au roi son fils, et lui dit :
— On nous a violemment séparés ! On ne vous permet même plus
de me voir ! Alors pourquoi resterais-je au palais ? Je vais me faire
bonzesse dans quelque bonzerie solitaire !..
et ce disant, elle fit mine de se couper les cheveux séance tenante. Ému, le
roi se prosterna en pleurant, et supplia sa mère de n’en rien faire...
— Alors vengez-moi de T’oûo-pa i, dit la reine...
Prenant pour prétexte une insulte vraie ou supposée faite par T’oûo-pa i à
la dame P’ān concubine favorite, par un ordre secret le jeune roi lui retira
131
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
toutes ses charges. Le lendemain, quand T’oûo-pa i voulut rentrer au palais,
les gardes lui refusèrent la porte. La reine Hôu reprit officiellement la
régence. Puis les officiers de feu T’oûo-pa i, (p. 1194) ayant demandé qu’on
le réhabilitât et qu’on le vengeât, la reine accéda volontiers à cette demande
qui allait à la réhabiliter et à la venger elle-même. La tombe de Liôu-t’eng fut
ouverte, ses cendres furent jetées aux quatre vents, sa famille fut
exterminée, ses biens furent confisqués. T’oûo-pa i étant marié à la sœur de
la reine, il convenait de faire, pour la forme, un peu plus d’embarras. Enfin,
sur les instances réitérées des censeurs (poussés par elle), et pour donner
satisfaction au juste ressentiment du peuple (formule usuelle), la reine Hôu
lui permit de se suicider.
Ici, entrée en scène d’un personnage, qui jouera bientôt un grand rôle.
Dans le Chān-si actuel, un certain Eúll-tchou joung (famille tongouse), vend
ses terres et s’attache des bravi
p.1200
(cf. p. 798), pour être prêt à pêcher en
eau trouble en temps opportun.
La plaine du Heûe-pei actuel était alors en ébullition. Un certain Keûejoung l’avait soulevée. En 527, le roi de Wéi nomma Ts’oēi-k’ai préfet de
Yìnn-tcheou (dans le Wéi-hoei-fou, 19), ville alors menacée par les rebelles,
Le nouveau préfet déclara que, pour remplir sa mission, il lui fallait des
troupes. On ne lui en donna pas. Quelqu’un lui conseilla alors de déserter son
poste.
— Étant fonctionnaire, dit-il, je dois souffrir avec ceux qui
souffrent….
— Alors renvoyez du moins les bouches inutiles...
Il le fit, et renvoya, à cette occasion, son fils et sa fille. Il s’en repentit
ensuite, comme d’une lâcheté, et rappela ses enfants. Son courage donna du
cœur à la faible garnison, qui résista énergiquement au premier choc des
rebelles. Cependant la ville finit par être prise d’assaut. Son sceptre de
commandement à la main, Ts’oēi-k’ai refusa de capituler. Keûe-joung le fit
mettre à mort, puis alla assiéger Kì-tcheou, défendu par Yuân-fou. La ville fit
une belle résistance, mais la famine ayant exténué les défenseurs, elle fut
aussi prise d’assaut. Les officiers refusèrent de capituler, et se prosternèrent
devant Keûe-joung en lui demandant la mort.
132
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Vous êtes de braves gens, leur dit celui-ci ;
et il les renvoya libres.
Cependant le roi de Wéi désigna Yuân tzeu-young pour combattre les
rebelles ; puis, par un nouvel ordre, il lui adjoignit P’êi-yen. Yuân tzeu-young
dit au roi :
— Si P’êi-yen marche, permettez que je reste ; si je dois marcher,
faites-le rester !..
Le roi maintint sa détermination. Les deux rivaux se gênèrent si bien l’un
l’autre, qu’ils furent battus au passage de la Tchāng, et tués tous les deux, ce
qui les mit d’accord.
Au neuvième mois, Keûe-joung était devant Íe, avec plus de cent mille
hommes. C’est alors que Eùll-tchou joung entra en campagne.
p.1201
Après
avoir bien examiné la situation, il jugea plus profitable, pour l’heure, de
soutenir les Wéi que de les renverser. Avec son corps franc de sept mille
hommes, il livra bataille aux rebelles, au nord de Íe (20). Malgré son
infériorité numérique, il attaqua de front. Craignant que ses hommes ne
perdissent leur temps à couper la tête des tués et des blessés, comme c’était
l’usage alors, il avait armé ses cavaliers de massues au lieu de sabres, et
ordonné qu’on ne donnât qu’un coup à chaque ennemi. Les rebelles, qui
étaient probablement une cohue mal armée, furent complètement défaits par
cette poignée d’hommes résolus. Keûe-joung fut pris, envoyé à Láo-yang et
décapité. Quant à ses brigands, Eùll-tchou joung leur donna 24 heures pour
disparaître. Le surlendemain, quand il commença à les poursuivre, il ne
trouva plus personne, bien entendu. Tous étaient redevenus braves gens, à la
mode de Chine, c’est-à-dire qu’ils avaient retourné leur jaquette, dehors
dedans.
Fâng king-pai était alors préfet de Ts’īng-heue. Son subordonné Liôu kienhou l’ayant insulté, Fâng king-pai ne se vengea pas, et donna même une
charge au fils de son insulteur. Il y avait aussi, dans son district, des
partisans de Keûe-joung. Ceux-ci ayant constaté, par cet exemple, que leur
préfet n’était pas vindicatif, lui firent tous leur soumission, et il les laissa en
paix. La mère du préfet, née Ts’oēi, était si sage, que son fils lui demandait
133
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
souvent conseil pour les choses de son administration. Un jour une femme du
peuple ayant accusé son fils d’impiété, Fâng king-pai en parla à sa mère.
— Ce garçon n’est pas criminel, dit la mère ; il ignore évidemment
les rites.
Elle prit chez elle la mère du jeune homme, qu’elle fit asseoir à sa table.
Or, pendant qu’elle mangeait, le préfet la servait, avec tous les raffinements
de piété filiale prescrits par le Lì-ki. Le fils impie
p.1202
assistait au spectacle.
Au bout de dix jours, il eut honte de son impiété. Madame Ts’oēi jugea que
cette contrition n’était pas encore assez profonde, et l’enseignement continua.
Au bout de vingt jours, le fils impie fit amende honorable, et battit de la tête
au point de se mettre le front tout en sang. Alors le préfet congédia la mère
et le fils, lequel devint un modèle de piété filiale...
« Ah ! dit le commentateur, il est vrai que beaucoup de gens du
peuple paraissent être des brutes ; cependant leur cœur d’homme
n’est pas éteint. Les bons fonctionnaires ne sont pas ceux qui
tapent sur ces gens-là à bras raccourcis, mais ceux qui savent
s’adresser à ce reste de cœur humain, pour les amender. Elle fut
excellente, la leçon donnée à son fils par Madame Ts’oēi-cheu. On
bonifie les hommes, en s’adressant à leur cœur.
Recommandé à l’attention de tous les mandarins.
Entre temps Siào-yen (l’empereur Où) était devenu un buddhiste
convaincu et pratiquant. En 527, il céda sa personne (dit le Texte) au temple
T’oûng-t’ai-seu ; c’est-à-dire qu’il se fit bonze. — Ici les commentateurs
jettent feu et flammes, bien entendu.
« Elle fut extrême, la stupidité de l’empereur Où ! Quand un
homme est né sur la terre, son plus grand bien n’est-il pas sa
personne ? S’il ne convient pas qu’il se tue, il ne convient pas non
plus qu’il fasse cession de sa personne. D’ailleurs on ne voit pas
trop comment l’acte de l’empereur Où fut une cession de sa
personne. Il renonça à ses trésors et à ses femmes ; c’est là céder
ses biens, non céder sa personne. S’il s’était vraiment donné, le
134
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Buddha aurait dû le prendre, ce dont on ne voit pas trace. Appeler
ce qu’il fit, cession de sa personne, est donc illusion mentale et
abus de mots. Mais comment qualifier l’acte des ministres qui le
rachetèrent aux bonzes pour une grosse somme, alors qu’il n’y
avait eu aucune
p.1203
cession réelle ? Toute cette comédie fut un
affront fait à l’empereur, à son peuple, et même au Buddha.
Mencius a dit : On cède un poisson pour une patte d’ours, on cède
sa vie pour la vertu. Dans le premier cas, il y a choix entre deux
objets indifférents ; on cède l’un pour l’autre. Dans le deuxième
cas, on préfère le bien à la vie, ce qui est légitime. Mais dans le cas
de l’empereur Où, il n’y eut pas choix, il n’y eut pas mort. Dire qu’il
céda sa personne au Buddha, est donc une baliverne, n’en déplaise
aux Lettrés qui ont employé ce terme dans la rédaction de
l’Histoire.
@
Chez les Wéi, en 528. Après son retour au pouvoir, la reine Hôu ne fut
pas meilleure qu’auparavant. Elle donna toute sa confiance à des favoris
(amants), qui en abusèrent. Elle tenait le jeune roi à l’écart, lui cachait toutes
les
affaires,
surveillait
soigneusement
son
entourage,
éliminant
immédiatement quiconque lui devenait cher. A la longue, ces procédés la
rendirent odieuse à son fils.
Cependant Eùll-tchou joung, que nous connaissons, attendait l’occasion de
faire ses affaires. Comme il était puissant, tous les autres petits aventuriers
firent cause commune avec lui. Liôu-koei, l’un d’entre eux, lui recommanda,
comme habile marchand de politique, un certain Kāo-hoan. Quand on le lui
présenta, Eùll-tchou joung fut choqué de la chétive apparence de cet homme.
Cependant pour voir ce qu’il saurait faire, il le chargea de tondre un cheval de
ses écuries, rétif et hargneux au possible. Kāo-hoan ligota l’animal, puis le
tondit paisiblement. L’opération terminée, il dit à Eùll-tchou joung:
— J’en ferai autant, s’il vous plaît, à des êtres plus méchants...
Se sentant deviné, Eùll-tchou joung le fit asseoir, congédia tout le monde, et
lui demanda son avis sur les choses du temps...
135
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— A propos, pourquoi faites-vous élever douze troupeaux de
chevaux de robe diverse ?
p.1204
fit Kāo-hoan, à brûle-pourpoint...
— C’est à moi de vous interroger, dit Eùll-tchou joung, qui sentit
ses projets de révolte percés à jour...
Sûr des intentions de son interrogateur, Kāo-hoan dit :
— La reine est une femme débauchée, le roi est un enfant
imbécile, des favoris gouvernent, ou plutôt, il n’y a plus de
gouvernement ; je pense qu’un dictateur militaire devrait mettre
ordre à ce gâchis...
Suffisamment translucide ce discours réjouit fort Eùll-tchou joung, lequel
s’aboucha aussitôt avec divers princes du sang et gouverneurs. Il fit aussi des
offres au jeune roi. Las du joug des amants de sa mère, celui-ci accepta. Eùlltchou joung marcha aussitôt sur la capitale, menant avec lui Kāo-hoan,
devenu son conseille intime. Effrayé du danger qu’il allait courir, le jeune roi
lui envoya contrordre. Cette démarche le trahit. Les favoris avertirent la
reine, laquelle empoisonna son fils le roi T’oûo-pa hu et mit sur le trône
T’oûo-pa chao, un enfant de trois ans ; car, dit le Texte, le grand souci de la
reine, était de rester toujours régente ; voilà pourquoi elle choisit un si petit
enfant.
Quand Eùll-tchou joung reçut ces nouvelles il feignit une grande colère, et
déclara qu’il allait venger le roi défunt, et mettre un roi adulte sur le trône,
afin d’imiter Ī-yinn et Hoùo-koang d’illustre mémoire, bien entendu... Pour
déterminer qui il mettrait sur le trône, Eùll-tchou joung recourut à un
singulier mode de divination, très usité en ce temps-là. Il fit couler en bronze
les statuettes de divers princes du sang, descendants de T’oûo-pa houng.
Seule la statuette de T’oûo pa tzeu-you réussit. Eùll-tchou joung lui offrit le
trône. Le prince accepta. Alors Eùll-tchou joung qui avait concentré toutes ses
troupes dans la vallée de la Fênn, marcha droit à la capitale.
Quand la reine Hôu reçut la nouvelle de ces événements, éperdue de
frayeur, elle convoqua les princes
p.1205
T’oûo-pa qui se trouvaient dans la
ville. Ceux-ci, las de son gouvernement, refusèrent de parler. Cependant Eùlltchou joung s’étant emparé du pont du Fleuve Jaune, T’oùo-pa tzeu-you se
136
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
proclama roi. Comprenant que tout était perdu, la clique de la reine
l’abandonna. Elle se coupa les cheveux et se réfugia dans une bonzerie. Au
nom du nouveau roi, Eùll-tchou joung la fit saisir, ainsi que l’enfant qu’elle
avait assis sur le trône pour régner en son nom. Amenés au pont, la
douairière et l’enfant furent, précipités dans le Fleuve, par l’ordre de Eùlltchou joung. Celui-ci ordonna ensuite à tous les ministres et officiers de la
feue reine, de se réunir à T’âo-tchou, entre le Fleuve et Láo-yang. Là, les
ayant fait préalablement entourer par un corps de cavalerie barbare, il leur
adressa un discours virulent, les déclara coupables des désordres de la reine
et de la mort du roi, et les fit enfin sabrer par ses cavaliers, par manière de
péroraison. Tous furent tués sur place. On compta plus de deux mille
cadavres. Nettoyage expéditif et radical ! — Après cet exploit, Kāo-hoan
conseilla à Eùll-tchou joung de monter sur le trône, et de supprimer le roi
qu’il avait fait. Heúe pa-yao, officier très influent, fut d’un avis contraire. Eùlltchou joung recourut à son moyen ordinaire de divination. Il fit couler sa
statue. Quatre fois de suite la coulée rata. Il fit consulter l’achillée et la
tortue. Réponses négatives. Alors Eùll-tchou joung conduisit T’oùo-pa tzeuyou à Láo-yang, le mit sur le trône, et proclama une amnistie générale. Ces
manigances n’avaient pas échappé au nouveau roi. Cependant lui, et son
auteur,
se
firent
publiquement
les
plus
beaux
serments.
Après
cet
épanchement, on but copieusement, pour se refaire. Eùll-tchou joung ayant
glissé sous la table le premier, le roi pressa ses assistants de lui couper le
cou. Ils n’osèrent pas.
p.1206
Revenu à lui, Eùll-tchou joung se douta du péril
qu’il avait couru, sortit, et se garda désormais du roi. Il lui imposa pourtant sa
fille, pour être sa reine. Décoré des titres de Chancelier et de Maréchal
Soutien du Ciel, Eùll-tchou joung alla résider à Tsínn-yang (17), à l’abri du
poignard et du poison, pensait-il.
T’oûo-pa tzeu-you se croyant intelligent, prétendit gouverner. On ne
l’avait pas fait roi pour cela. Sa reine et gouvernante avertit son père. Or tout
juste (en 530) une comète ayant balayé de sa queue le quadrilatère de la
Grande Ourse, les devins de Eùll-tchou joung jugèrent que cela signifiait qu’il
fallait balayer la cour royale. De son côté, le roi résolut de se défaire du
Chancelier. Pour cela, il fallait l’attirer à la capitale et au palais, chose assez
difficile, vu ses défiances. On lui manda que sa fille venait d’accoucher d’un
137
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
prince royal. Il donna dans le piège, fut assailli par les gardes dans la salle du
trône, et percé d’un coup d’épée par le roi lui-même. Les partisans du roi
firent grande fête.
Leur joie ne fut pas longue. Le frère du Chancelier, Eùll-tchou cheu-loung,
s’empara du pont du Fleuve, marcha sur la capitale, et battit la poignée de
soldats que le roi essaya de lui opposer. Mille de ses cavaliers barbares,
entrés à Láo-yang sous prétexte de réclamer le corps du Chancelier, faillirent
s’emparer du roi. Cependant un brave officier, Lì-miao, ayant réussi à
incendier le pont du Fleuve. par lequel les renforts attendus par Eùll-tchou
cheu-loung devaient arriver, le dernier acte de la tragédie fut quelque peu
retardé... Les Eùll-tchou concentrèrent leurs forces au nord du Fleuve,
proclamèrent T’oûo-pa hoa roi de Wéi, et se partagèrent les provinces. Outre
Eùll-tchou cheu-loung, les principaux chefs étaient Eùll-tchou tchao au nord,
Eùll-tchou tchoung-yuan au sud. Kāo-hoan, l’ex-conseiller de Eùll-tchou joung
(p. 1203), se tenait à l’écart, attendant
p.1207
l’occasion de faire ses propres
affaires. T’oûo-pa tzeu-you confia son sort à T’oûo-pa hoei, un pleutre. Eùlltchou tchao étant arrivé à Láo-yang, marcha droit au palais. Les gardes
s’enfuirent. T’oûo-pa hoei fit de même, à la barbe de son maître. Eùll-tchou
tchao enchaîna le roi, fit assommer ses enfants sous ses yeux à coups de
bâton, livra Láo-yang au pillage, etc.
Cependant T’oûo-pa hoei, avec tout ce qu’il avait sauvé, cent livres d’or et
cinquante chevaux, était allé demander asile à K’eóu tsou-jenn qu’il croyait
extrêmement dévoué, trois membres de cette famille ayant été faits
gouverneurs par les princes T’oûo-pa. Quand K’eóu tsou-jenn eut vu l’or, il dit
secrètement à ses fils :
— Voilà que la fortune nous arrive.
Puis il dit à T’oûo-pa hoei :
— On viendra certainement vous chercher ici ; allez ailleurs !..
Or il avait aposté des gens, qui assassinèrent le fugitif. K’eóu tsou-jenn
envoya sa tête à Eùll-tchou tchao, et prit pour soi l’or et les chevaux... Durant
la nuit suivante, T’oûo-pa hoei apparut à Eùll-tchou tchao, et lui dit :
138
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Ma fortune, savoir deux cents livres d’or et cent chevaux, est
entre les mains de K’eóu tsou-jenn...
Dès le matin, Eùll-tchou tchao qui était extrêmement cupide, exigea de
K’eóu tsou-jenn l’or et les chevaux. Le compte n’y étant pas, sur la foi de son
rêve, il fit massacrer toute la famille K’eóu. Némésis !.. L’histoire de ce
revenant malin et menteur, trouble beaucoup les commentateurs. Quand
l’homme est mort, dit maître Hôu, son k’í se dissipe, comme la lueur disparaît
quand le feu s’éteint. Alors comment T’oûo-pa hoei a-t-il pu apparaître en
songe à Eùll-tchou tchao ?.. Sans doute, la traîtrise de K’eóu tsou-jenn
méritait que les koèi le châtiassent. Sans doute, T’oûo-pa hoei ayant assimilé
durant sa vie bien des quintessences (p. 144), quelque chose de lui a pu
survivre pour un temps. Cependant ce quelque chose put-il, en un jour,
p.1208
revenir de si loin, reprendre son corps et venir jusqu’à Láo-yang pour exercer
sa vengeance ?.. Maître Hôu nous laisse sur ce point d’interrogation.
Láo-yang étant pris, tous les Eùll-tchou s’y concentrèrent. Ils s’y
querellèrent bientôt. Eùll-tchou tchao qui était un homme très violent, en
voulait à Eùll-tchou cheu-loung. Une révolte éclatée dans la vallée de la Fênn,
les sépara, fort à propos. Eùll-tchou tchao courut défendre Tsínn-yang (17). Il
emmena avec lui le roi détrôné T’oûo pa tzeu-you. Mais bientôt, le trouvant
gênant, il le mit à mort.
En 531 Eùll-tchou cheu-loung et son frère Eùll-tchou tchoung-yuan,
jugeant que le roi T’oûo-pa hoa ne faisait pas leur affaire, le remplacèrent par
T’ouo-pa koung... Jadis, durant l’usurpation de T’oûo-pa i (p. 1193), ce prince
avait contrefait le muet, pour sauver sa vie. Il fut huit années entières, sans
prononcer un seul mot. Est-ce à cause de cette infirmité supposée que les
Eùll-tchou le jugèrent apte au trône ? Quand il y fut assis, il parla, à la
satisfaction générale, dit le Texte. Eùll-tchou cheu-loung s’institua son
ministre-factotum. Les Eùll-tchou se partagèrent les provinces. Eùll-tchou
t’ien-koang gouverna l’Est ; Eùll-tchou tchao le Nord ; Eùll-tchou tchoungyuan le Sud. Ils furent bien tôt tous universellement et mortellement
détestés.
@
139
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Obligés de compter avec Kāo-hoan (p. 1206), les Eùll-tchou l’avaient fait
gouverneur du Kí-tcheou. En 531, il s’y révolta contre eux, battit Eùll-tchou
tchao, nomma roi le prince T’oûo-pa lang, le fixa à Íe, et se fit son ministre.
Eùll-tchou t’ien-koang ayant tenté de le réduire, Kāo-hoan le battit. Poussant
sa pointe, il prit et mit à mort Eùll-tchou t’ien-koang et cheu-loung, s’empara
de Láo-yang, détrôna, et T’oûo-pa koung le roi des Eùll-tchou, et T’oùo-pa
lang sa
p.1209
propre créature, puis mit sur le trône T’oûo-pa siou, à qui il
imposa sa fille comme reine. Ensuite, au nom de ce roi, il mit à mort les trois
rois déposés T’oûo-pa hoa, T’oûo pa koung et T’oûo-pa lang.
Enfin, en 533, Kāo-hoan surprit et tua Eùll-tchou tchao. Ainsi finit cette
famille d’aventuriers.
En 534, las de la tutelle de Kāo-hoan, T’oûo-pa siou s’enfuit de Láo-yang
à Tch’âng-nan, et prit pour ministre Ù-wenn t’ai, l’instigateur de cette
escapade... Sans se troubler, Kāo-hoan fit un nouveau roi, T’oûo-pa chankien, qu’il fixa à Íe, Láo-yang étant trop près de Tch’âng-nan... Le grand
royaume de Wéi des T’oûo-pa, se trouva ainsi divisé en deux petits royaumes.
A partir de cette année 534, nous aurons à distinguer les Wéi Occidentaux,
capitale Tch’âng-nan, Ù-wenn Maires du palais ; et les Wéi Orientaux, capitale
Íe, Kāo Maires du palais. — Avant la fin de l’année, Ù-wenn t’ai empoisonna
T’oûo-pa siou, et le remplaça par T’oûo-pa pao-kiu.
En 526, famine épouvantable chez les Wéi occidentaux, anthropophagie,
disparition des huit dixièmes de la population. Kāo-hoan (Wéi orientaux) en
profite pour leur faire la guerre. Mais Ù-wenn t’ai qui lui était supérieur
comme talent militaire, le bat, s’empare de Láo-yang et de la vallée de la Láo.
En 539, Kāo-hoan impose à T’oûo-pa chan-kien sa fille comme reine. Il
avait, paraît-il, des filles disponibles pour toutes ses créatures successives.
En 546, nouvelle expédition de Kāo-hoan contre les Wéi occidentaux. Il
envahit la vallée de la Fênn, et mit le siège devant la forteresse de Ù-pi. Cette
place n’ayant pas de puits, buvait l’eau de la Fênn. En une nuit, Kāo-hoan
détourna le cours de cette rivière. Puis il éleva, au sud-est de la ville, un
tertre plus haut que les remparts, pour tenter l’assaut par le moyen d’un
140
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pont-levis à crocs. Mais le brave commandant
p.1210
Wêi-hiao-k’oan déjoua
tous ses plans. De solides chevaux de frise, empêchèrent le pont-levis de
s’abattre... Dix tunnel souterrains creusés ensuite, allèrent tous déboucher
dans une tranchée creusée à l’intérieur des remparts. A chaque fois, les
assiégés tuèrent les sapeurs puis flambèrent ou étouffèrent, par le feu et la
fumée, les soldats entassés pour l’assaut dans l’étroit boyau souterrain... Aux
béliers, ils opposèrent des matelas mobiles, qu’on descendait du haut du
rempart à l’endroit où la machine attaquait, et qui amortissaient ses coups.
Ils démolirent les tours incendiaires de Kāo-hoan avec des leviers à crocs.
Celui-ci ayant miné le rempart, en étayant sa mine avec des bois qu’il alluma
ensuite, un partie du rempart s’écroula ; mais avant l’assaut, Wêi hiao-k’oan
avait déjà fermé la brèche au moyen d’une palissade... Le siège dura 50
jours, et coûta à Kāo-hoan 70 mille hommes qu’il fit tous enfouir dans une
immense fosse commune. Enfin Kāo-hoan lui-même étant tombé malade, les
Wéi orientaux levèrent le siège.
En 547 éclipse de soleil, pour annoncer la rébellion imminente de Heôuking. On voit, dit le commentaire, combien il faut faire cas des signes
célestes...
Cette
même
année,
Kāo-hoan
étant
mort,
Heôu-king
qui
gouvernait pour les Wéi orientaux au sud du Fleuve, trahit leur cause et passa
aux Wéi occidentaux. Un mois plus tard, il trahit les Wéi occidentaux et se
donna à l’empereur, lequel le fit roitelet, lui donna sa confiance et des
troupes, pour son malheur.
Cependant Kāo-teng avait succédé à son père Kāo-hoan, comme Maire du
palais des Wéi orientaux. T’oûo-pa chan-kien n’étant pas un imbécile, le roi et
le ministre furent bientôt brouillés. Un jour qu’ils buvaient ensemble, Kāoteng souhaita à Chân-kien dix mille années de vie...
— Balivernes ! dit le roi, qui savait combien ce souhait partait du
cœur.
p.1211
Aussitôt Kāo-teng lui fit donner, par un officier, une volée de coups de
poing, que lui-même accompagna de grossières injures... Jolies mœurs !..
Toutes les portes du palais étant gardées par Kāo-teng, quelques serviteurs
du roi essayèrent de se mettre en communication avec l’extérieur par un
tunnel souterrain. La chose fut découverte. Kāo-teng entra au palais avec des
141
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
soldats, pénétra dans l’appartement du roi, s’assit sans façon, et lui demanda
à brûle-pourpoint :
— Pourquoi voulez-vous vous révolter ?..
— J’ai bien ouï parler de ministres qui se sont révoltés contre leurs
princes, dit T’oûo-pa chan-kien ; mais je n’ai jamais entendu dire
qu’un prince se soit révolté contre son ministre ; si vous voulez
m’assassiner, faites !...
Kāo-teng qui n’était probablement pas encore assez fort ce jour-là, se
prosterna avec de grandes protestations de fidélité. Trois jours plus tard,
T’oûo-pa chan-kien était prisonnier dans son palais, et Sûnn-tsi, l’auteur du
tunnel, était bouilli publiquement dans un chaudron, sur la place du marché, à
la mode antique.
@
Culte des Leâng... En 529, l’empereur Où se fit bonze pour la deuxième
fois (p. 1202). Cette fois, il le fit avec ostentation, quitta le costume impérial,
revêtit la robe des bonzes, s’enferma dans une cellule, fit usage de la
couchette et de la vaisselle réglementaire, et se fit expliquer le Nirvana-Sutra.
Les ministres le rachetèrent pour un milliard de pièces de monnaie.
L’empereur ne consentit à rentrer au palais, qu’à la troisième sommation... Ici
le commentateur jette les mêmes cris de paon qu’en l’an 527.
Parmi les cinq bonnes œuvres du buddhisme, dit-il, le don de soi
est la première, c’est vrai. Mais un empereur a-t-il le droit de
renoncer à son empire, à ses armées, à ses femmes, à ses
enfants ? Je crois, pour ma part, que Bodhidharma (HCO, L 62)
p.1212
n’aurait pas reçu Siáo-yen comme novice. Vraiment, le
buddhisme éteint toutes les relations humaines. Il annule la
personne propre. Il détruit les liens de famille. Il rend tout
gouvernement impossible. Aussi les Lettrés l’ont-ils toujours
réprouvé et flétri.
En 537, l’empereur Où ayant bâti une pagode et une tour, et accordé une
amnistie à tout l’empire, en l’honneur de certains ongles et cheveux du
Buddha qu’il venait de recevoir, maître Hôu gémit :
142
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
« Supposé même que le Buddha ait été un Sage, après tout il n’a
été qu’un homme. Supposé que son esprit ait été plein de doctrine,
quelle vertu peuvent avoir ses os, ses cheveux, ses ongles ou ses
dents ? Et ces cendres de Saints (Sariras) qu’on nous vante comme
la quintessence des plus purs k’í ? Tous ces objets ne servent, ni à
manger, ni à s’habiller ; ils ne guérissent d’aucune maladie ; ils ne
conservent pas la vie. Et dire que l’empereur Où en fit cas au point
de leur bâtir une pagode ! Et que, quand il eut bâti cette pagode, il
mourut de faim ! Ne voyez-vous pas, par cet exemple, le néant des
talismans buddhiques ?
En 538, grande amnistie, pour célébrer l’arrivée de nouvelles reliques du
Buddha... Plus il vieillissait, plus l’empereur Où devenait dévot, dit l’Histoire.
Il ne pouvait plus se résoudre à condamner un criminel à mort. Quand il le
fallait absolument, comme dans le cas de révolte flagrante, il sanglotait à
faire pitié. Cette faiblesse multiplia le nombre et augmenta l’audace des
brigands. On le dit à l’empereur, mais sa piété l’empêcha de tenir compte de
l’observation.
En 546, s’étant rendu au T’oûng-t’ai-seu sa pagode favorite, il y expliqua
lui-même un Sutra. Durant la nuit suivante, la pagode fut incendiée par la
foudre.
— C’est Mara (le diable) qui a fait ce coup, dit l’empereur ;
et il ordonna de reconstruire la pagode, plus grande et plus belle, avec une
tour à douze étages.
En 547, l’empereur Où se fit bonze pour la
p.1213
troisième fois. Tout ce
qu’on peut dire sur ce sujet ayant été dit, les commentateurs ridiculisent
cette fois la sollicitude de l’empereur Où pour la vie des bêtes.
« Personne, ricane maître Hôu, n’a jamais cru plus fermement que
lui, le dogme buddhique qui affirme que les chiens, les porcs, les
bœufs et les moutons, sont nos parents (sic). Il osa prétendre que
Yâo, Choúnn, le Duc de Tcheōu et Confucius, lesquels tuèrent des
animaux, avaient tous été des êtres inhumains. Vraiment, si les
dogmes buddhiques de la métempsycose et de la rétribution
143
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
étaient vrais, tous les bonheurs auraient dû pleuvoir sur l’empereur
Où. Or, tout au contraire, son règne fut malheureux, sa fin fut
lamentable. Après avoir vécu de légumes, pour ne causer la mort
d’aucun être vivant, il mourut misérablement de faim. Son histoire
méditée suffit à elle seule, pour persuader du néant absolu des
promesses buddhiques.
Culte des Wéi... Ceux-ci aussi étaient dévots buddhistes. Il s’ensuit que,
à cette époque (commencement du sixième siècle), toute la Chine fut
buddhiste, officiellement.
En 534, avant le partage des Wéi, la grande pagode de Láo-yang fut
incendiée par la foudre.
En 538, chez les Wéi orientaux, un édit interdit de fonder de nouvelles
bonzeries et pagodes, sans autorisation. Il y en avait, de fait, bien assez. Rien
que dans le Heûe-pei et le Chān-tong actuels, trente mille pagodes étaient
desservies par deux millions de bonzes et bonzesses. Altéré de paix, dans ces
temps troublés, le peuple quittait en masse champs et métiers. C’est pour
restreindre la désertion du travail, ruine de l’État, que l’édit fut porté.
En 548, encore chez les Wéi orientaux, interdiction du culte taoïste. Kāoteng prit cette mesure, dit l’Histoire, à cause de l’inconduite des táo-cheu. Il
est plus probable qu’il la prit, à cause des menées subversives de ces devins
et
p.1214
magiciens. A ce propos le commentaire nous apprend, que la vitalité
du taoïsme a toujours été beaucoup moindre que celle du buddhisrne ; que le
taoïsme s’est toujours relevé lentement et avec peine des coups qui lui ont
été portés, tandis que le buddhisme s’est chaque fois redressé plus florissant
et plus vivace au lendemain même de la persécution.
@
Rébellion de Heôu-king... En 547, les impériaux barrèrent la Séu, pour
noyer P’éng-tch’eng (a), alors aux Wéi orientaux. Móu-joung chao-toung,
général tongouse au service des Wéi, les bat. Heôu-king le bat à son tour.
144
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 548, Móu-joung chao-toung prend sa revanche, et inflige à Heôu-king
une défaite complète. Les Wéi prennent aux impériaux 23 préfectures (bassin
du Hoâi).
Craignit-il d’être puni ? Jugea-t-il que l’empire affaibli serait facile à
prendre ? Bref, Heôu-king battu se tourna contre l’empereur Où. La défection
d’un prince du sang, Siáo tcheng-tei, lui permit de passer le Fleuve Bleu et
d’investir la capitale. Heôu-king attaqua vivement Kién-k’ang. Mais les
assiégés, dirigés par Yâng-k’an, se défendirent bravement. Ils écrasèrent ses
tortues, en jetant, du haut des remparts, d’énormes pierres. Ils brûlèrent ses
machines d’approche, au moyen de flèches incendiaires... Voyant qu’il ne
réussirait pas à prendre la ville de vive force, Heôu-king l’entoura d’un mur de
circonvallation, et la bloqua pour l’affamer.
Cependant des têtes chaudes tentèrent une sortie, contre l’avis formel de
Yâng-k’an. Heôu-king les jeta dans les fossés de la place, où ils se noyèrent
presque tous. Le fils de Yâng-k’an fut pris dans cette bagarre. Heôu-king le fit
montrer de loin à son père.
— Tuez-le ! cria celui-ci ; je consens à mourir sans postérité, pour
l’amour de mon souverain...
A quelques jours de là, comme on ramenait encore le
p.1215
jeune homme à
la vue du rempart, son père essaya de le percer d’une flèche. Édifié par la
fidélité du père, Heôu-king fit grâce au fils.
Le général Kiāng tzeu-i ayant subi un échec, l’empereur le gronda...
— La faute en est à mes soldats, qui m’ont abandonné, dit Kiāng
tzeu-i ; je vais vous prouver que je ne suis pas un lâche.
Aussitôt, accompagné de ses frères Kiāng tzeu-seu et Kiāng tzeu-ou, et d’une
centaine de braves piqués d’honneur comme lui, il sortit de la ville et alla
provoquer les ennemis. Il fut tué d’un coup de sabre, qui lui abattit une
épaule. Ses frères déposant leurs armes défensives, se jetèrent dans la
mêlée, et se firent tuer de même.
Au commencement du siège, Heôu-king qui s’attendait à enlever la ville
en peu de jours, avait contenu ses troupes dans l’ordre et la discipline. La
résistance se prolongeant, et ses provisions s’épuisant, il permit à ses bandes
145
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
de piller et de dévaster. Elles s’en donnèrent à cœur joie. Bientôt le grain se
paya, devant Kién-k’ang, 80 mille sapèques le litre. On mangea de la chair
humaine. Les six dixièmes des assiégeants périrent de faim.
Alors, pour presser la reddition de la place, Heôu-king fit élever à
proximité des remparts des monticules de terre. Quiconque ne travaillait pas
bien à cette corvée, était enterré vif dans le tas, dit la légende. Pour n’être
pas dominés par ces monticules, dont le tir plongeant aurait rendu leurs
remparts intenables, les assiégés élevèrent eux aussi des monticules. Chacun,
jusqu’au prince impérial, y travailla. Sur les monticules, ils dressèrent des
tours en bois, hautes de douze mètres. Deux mille braves archers les
occupèrent, tirant, sans désemparer, jour et nuit... Survinrent des averses,
qui firent écrouler les monticules mal tassés des assiégés. Profitant du
désastre, les assiégeants donnèrent l’assaut. Mais Yâng-k’an arriva à les
repousser, au moyen de projectiles incendiaires.
Alors Heôu-king fit offrir à tous ceux qui, dans la ville, étaient de condition
servile, la liberté, des richesses, etc.. Ces offres firent déserter des milliers de
personnes.
Cependant, de l’intérieur, par une galerie creusée jusque sous le principal
monticule des assiégeants, Liòu tsinn-ming parvint à miner et à faire écrouler
ce bastion. Il relia aussi les tertres des assiégés par une sorte de pont
suspendu garni d’archers, dont le tir plongeant exécuté en ligne, obligea les
assiégeants à évacuer les abords du rempart. Il arriva aussi à incendier leurs
machines, et leur infligea de sérieuses pertes d’hommes.. Un essai fait par les
assiégeants de noyer la place, ne réussit que partiellement... Voilà les deux
points forts de la stratégie chinoise ; fouir et inonder.
Un certain Tch’ênn-hinn ayant été fait prisonnier par Heôu-king, celui-ci
lui offrit du service. Tch’ênn-hinn refusa. Heôu-king le confia à la garde de
Fân t’ao-pang, qu’il chargea de le gagner. Au contraire Tch’ênn-hinn gagna
son gardien, qui l’envoya en ville, durant la nuit, pour offrir sa soumission. Le
prince impérial, homme indécis, se défia de cette offre. Les officiers eurent
beau l’exhorter à l’accepter, pour démoraliser les bandes de Heôu-king ; il
refusa de laisser ouvrir la porte. Cependant Heôu-king averti, avait supprimé
Fân t’ao-pang. Au matin, quand Tch’ênn-hinn revint au camp des assiégeants,
146
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Heôu-king le fit saisir, et exigea de lui qu’il introduisit ses hommes dans la
ville, comme étant ceux de Fân t’ao-pang. Tch’ênn-hinn s’étant refusé à cette
trahison, Heôu-king le fit massacrer.
Siáo-lunn ayant tenté de venir du dehors au secours de la capitale
assiégée, Heôu-king le repoussa. Hoùo-tsounn fut pris dans cette affaire.
Heôu-king lui promit la vie sauve, s’il voulait dire aux assiégés que Siáo-lunn
avait été battu et tué. Bon, fit Hoùo-tsounn... Conduit au pied du rempart, il
cria :
p.1217
— Siáo-lunn n’a subi qu’un échec insignifiant. Il est allé se refaire.
Tenez bon !..
Les soldats qui le tenaient, lui lardèrent le dos avec la pointe de leurs
sabres. Il n’en cria que plus fort. Heôu-king le fit achever.
Wêi-ts’an et Liòu tchoung-li essayèrent aussi de débloquer la capitale.
Wêi-ts’an s’égara dans le brouillard. Surpris par la nuit, il essaya de se
retrancher. Avant qu’il y eût réussi, Heôu-king était sur lui. Les officiers de
Wêi-ts’an lui conseillèrent de fuir. Non, dit-il ; et appelant à lui ses frères fils
et autres parents, il se jeta sur les ennemis, et se fit tuer avec tout son
monde. Prévenu de la catastrophe au moment on il prenait son repas, Liòu
tchoung-li jeta ses bâtonnets, prit les armes, et courut à l’ennemi avec une
poignée d’hommes. Son attaque soudaine fit fléchir l’avant-garde de Heôuking. Liòu tchoung-li allait le joindre et lui porter un coup de lance, quand luimême, frappé par derrière, fut grièvement blessé. Heôu-king se retira. Liòu
tchoung-li se retrancha devant la ville.
Au commencement de l’an 549, le siège durait encore. Jusque-là les
grains avaient suffi ; on n’avait souffert que du manque de sel (condiments
salés). A la longue, tout fit défaut. On démolit les édifices, pour en brûler les
bois. On défit les nattes, pour en donner les joncs comme nourriture aux
chevaux. Les soldats firent bouillir le cuir des vieilles cuirasses, prirent les rats
et les moineaux, tuèrent tous les chevaux, mangèrent enfin la chair des
hommes tués. Bientôt tous furent malades.
147
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les assiégés ayant dévasté tout le pays, souffraient eux aussi de la
famine. Wâng-wei conseilla à Heôu-king de proposer un traité, pour gagner le
temps de se refaire. Le prince impérial, mauvais génie des assiégés, opina
pour qu’on l’acceptât.
— Plutôt mourir, que de traiter avec un rebelle, dit Siáo-yen,
chez
p.1218
lequel l’empereur se réveilla ce jour-là sous le bonze. Le prince
ayant insisté :
— Fais ce que tu voudras, lui dit l’empereur ; mais prends garde
que la postérité ne rie de toi !..
Le prince accorda le traité et délégua Wâng-k’eue pour le jurer avec Wângwei le délégué de Heôu-king. La cérémonie faite, il envoya ordre, dans toutes
les provinces, de ne plus envoyer de troupes à Kién-k’ang. Désormais
parfaitement tranquille, Heôu-king continua à tenir la malheureuse ville
étroitement
bloquée,
tandis
que
ses
commissaires
le
ravitaillaient
paisiblement.
Ici l’Histoire note avec ironie le fait suivant : Depuis de longues années,
par dévotion buddhique, l’empereur Où n’avait mangé que des végétaux.
Ceux-ci étant venus à faire complètement défaut, et Siáo-lunn ayant réussi à
lui faire passer quelques centaines d’œufs (êtres vivants) l’empereur les
mangea. O inconséquence ! Il aurait dû plutôt mourir de faim. Les
commentateurs se gaussent.
Quand Heôu-king eut transporté dans son repaire de Chêu-t’eou tout le
grain nécessaire, Wâng-wei lui dit :
— Vous ne serez pas le premier qui aura violé un traité juré ! Ne
vous laissez pas arrêter par si peu de chose ! Ne consultez que
votre avantage !
Heôu-king lança donc contre l’empereur Où un réquisitoire en dix points.
Quand celui-ci l’eut lu, il rougit de honte et de colère. Mais que faire ? La
famine et les maladies avaient emporté les neuf dixièmes de la garnison. Les
rues étaient jonchées de cadavres en décomposition. Il n’y avait plus que
quatre mille hommes valides ; encore étaient-ils si faibles, qu’à peine
pouvaient-ils se tenir debout... Cependant le général Liòu tchoung-li était
148
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
toujours retranché devant la ville. Son père Liôu-tsinn monta sur le rempart
de la ville et lui cria :
— C’est ainsi que tu abandonnes ton prince et ton père ? Que dira
de toi la postérité ?...
Liòu tchoung-li n’en fit pas davantage...
p.1219
Ravitaillé et renforcé, Heôu-king se décida à en finir. Il attaqua la ville.
Des traîtres lui livrèrent un pan du rempart. Incapables de résister, les
défenseurs se replièrent. Averti de ce malheur, l’empereur Où qui était
couché à bout de forces, ne bougea même pas, soupira et dit :
— J’avais conquis le trône ; je l’ai perdu ; pourquoi en voudrais-je
à qui que ce soit ?..
Cependant Heôu-king étant entré au palais à la tête de 500 cuirassiers, salua
l’empereur, puis s’assit au banc des ministres. Sans changer de visage,
l’empereur lui dit avec le plus grand calme :
— Voilà bien longtemps que vous faites campagne ! Vous devez
être très fatigué !..
Suant d’émotion, Heôu-king sortit et alla saluer le prince impérial, qui le reçut
avec un flegme semblable... En sortant, Heôu-king dit à Wâng seng-koei :
— J’ai vu bien des batailles ; je suis resté calme sous des grêles de
traits et dans les mêlées corps à corps ; eh bien, ces deux Siáo
viennent de m’émouvoir. Ce que c’est que la majesté impériale ! Je
ne veux plus les voir...
Sur ce, il fit sortir les gardes qui restaient, livra au pillage de ses soldats le
palais et le harem, éloigna tous les nobles et les officiers, se nomma Régent
et proclama une amnistie. Siáo tcheng-tei qui lui avait livré le passage du
Fleuve, fut fait Grand Maréchal. Le peuple de la capitale déserta en masse.
Siáo-lunn s’enfuit à Hoéi-ki. Liòu tchoung-li et consorts firent cause commune
avec l’usurpateur. Quand Liòu tchoung-li se présenta devant l’empereur,
celui-ci ne lui dit pas un mot. Quand il se présenta devant son père, Liòutsinn lui déclara qu’il ne le reconnaissait plus pour son fils. Heôu-king donna
ordre de licencier toutes les armées des provinces.
149
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Son intention n’était pas de faire du bien à l’empereur Où, bien entendu. Il
commença par lui demander de faire ministre l’un de ses pires ennemis.
L’empereur refusa. Toujours lâche, le prince
p.1220
impérial le blâma, et lui dit
qu’il jouait son trône.
— Si les Patrons des terres des moissons peuvent quelque chose,
dit le vieil empereur, ils me conserveront mon trône. S’il est écrit
que je dois le perdre, pourquoi le regretterais-je ?
Alors commença, de part de Heôu-king, une suite de persécutions
mesquines, qui exaspérèrent le vieillard. Étant tombé malade, il demanda un
peu d’hydromel. Heôu-king le lui ayant refusé, il se laissa mourir de faim. Agé
de 86 ans, il avait occupé le trône durant 48 ans. Son fils le lâche Siáo-kang
lui succéda, et devint l’empereur Kièn-wenn.
@
150
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Kièn-wenn,
550 à 551.
@
Parlons d’abord des Wéi Orientaux. Kāo-teng, le Maire du palais de ce
royaume, était un brutal personnage. Ayant fait prisonnier Lân-king, le fils
d’un gouverneur impérial, il l’obligea à servir dans ses cuisines, comme
esclave. Un jour Lân-king s’étant plaint, Kâo-teng le fit battre, puis l’avertit
que s’il venait à se plaindre encore, il le ferait aussitôt mettre à mort. Lânking s’entendit avec cinq de ses compagnons d’infortune. Un jour que Kāoteng soupait en tête-à-tête avec Tch’ênn yuan k’ang dans un appartement
retiré, Lân-king qui les servait, ayant dissimulé un couteau de cuisine sous le
plat qu’il présentait, lui en porta un coup mortel. Tch’ênn yuan-k’ang qui
essaya de le saisir, reçut aussi un coup dont il mourut la nuit suivante. Kāoyang, le frère cadet de Kāo-teng, prit Lân-king et ses complices, et en fit faire
un pâté qu’on mangea.
Cependant le roi T’oûo-pa chan-kien ayant appris la mort de son Maire du
palais, s’en réjouit imprudemment...
— C’est un coup du Ciel, dit-il ! je vais recouvrer ma liberté !..
Le pauvre homme constata bientôt, qu’il n’avait fait
p.1221
que changer de
maître, et pas à son avantage. Kāo-yang lui fit visite, accompagné de 8 mille
cuirassiers, dont 200 entrèrent avec lui dans la salle du trône, les manches
retroussées et le sabre à la main, comme quand on va combattre...
— J’ai affaire à Tsínn-yang (17), dit Kāo-yang, après un moment...
et il sortit. Le roi pâlit, le survit des yeux, puis dit :
— Celui-là sera pire que le précédent ! Mes jours sont comptés !
En 550, Kāo-yang se nomma lui-même Chancelier et Roi de Ts’î. Nous
savons ce que cela veut dire. Restait à donner à son usurpation le coloris
superstitieux convenable.
Sû tchen-ts’ai manda à Kāo-yang que les signes célestes exigeaient qu’il
détrônât le roi de Wéi... Kāo-yang en parla à sa femme. Celle-ci lui dit :
151
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Ton père (Kāo-hoan) était un dragon ; ton frère (Kāo-teng) était
un tigre ; or ils ne se sont pas fait rois. Tu ne les vaux pas. Reste
ministre !..
Alors Kāo-yang recourut au système de divination alors fort en usage, et dont
nous avons déjà vu plusieurs exemples. Il coula en bronze sa propre statue,
laquelle réussit parfaitement dès la première coulée. Cela dissipa toutes ses
irrésolutions. Il partit de Tsínn-yang (17) avec ses troupes, et marcha sur Íe
(20). Là il éleva un tertre, prépara tout, puis fit sommer le roi d’abdiquer en
sa faveur...
— Bien volontiers, dit celui-ci, car je suis las de mon servage.
Et, séance tenante, il descendit du trône, sortit de la salle, prit congé des
ministres, monta sur un vieux char à bœufs, passa dans le quartier nord de la
ville, puis envoya le sceau et son acte d’abdication au roi de Ts’î. Celui-ci
monta aussitôt sur le trône, dans le faubourg du sud.
Peu après, il fit empoisonner et enterrer à l’ouest de la ville de Íe, le roi
détrôné T’oûo-pa chan-kien et ses trois fils. Ensuite, par crainte de leur
vengeance (cf p. 976), il les fit déterrer et jeter dans la rivière Tchāng... Ainsi
finit, sans gloire, la
p.1222
branche orientale des Tongouses T’oûo-pa de Wéi.
Elle fut remplacée par la famille chinoise Kāo, dynastie royale Pèi-Ts’î (ainsi
nommée pour la distinguer de la dynastie impériale Nân-Ts’î, p. 1152).
Voyons maintenant ce qui se passe dans l’empire. Par suite d’une
sécheresse prolongée accompagnée de sauterelles, il y régnait une famine
épouvantable. Les riches revêtaient leurs plus beaux habits, mettaient leur or
et leurs bijoux dans leur sein, fermaient leur porte, se couchaient et
mouraient de faim. Les pauvres mouraient dans les champs, où leurs
ossements restaient sans sépulture. Heôu-king gouvernait en tyran, au nom
de l’inepte empereur. Il avait fait établir à Chêu-t’eou un grand pressoir, dans
lequel il faisait écraser ceux qui lui déplaisaient. Craignant qu’on ne se
soulevât contre lui, il commença par interdire tous les rassemblements,
toutes les réunions ; plus tard il fit mettre à mort, avec toute sa famille
comme conspirateur, quiconque avait parlé à un autre en tête-à-tête. En 550,
152
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
il se fit roi de Hán. Ses projets d’usurpation devenant de plus en plus
transparents, le gouverneur Tch’ênn pa-sie se leva contre lui.
En 551, au huitième mois, Heôu-king détrôna l’empereur Kièn-wenn
(Siáo-kang), mit Siáo-tong à sa place. Deux mois plus tard, il mit à mort
Siáo-kang, emprisonna Siáo-tong, et se mit lui-même à sa place. Comme il
revenait du tertre sur lequel il s’était proclamé empereur, il se fit acclamer
par sa clique dans la salle du trône, puis se confina dans le palais, et n’eut
plus de commerce qu’avec un petit nombre d’anciens amis. Cette conduite lui
aliéna les officiers, qui espéraient faire fortune par sa faveur.
En 552, le prince Siáo-i, gouverneur du Hôu-nan actuel, se lève contre
Heôu-king, et fait marcher contre lui Wâng seng-pien et Tch’ênn pa-sien.
p.1223
Leurs vaisseaux descendirent le Fleuve Bleu. Wâng seng-pien était
déjà à Oû-hou, quand Heôu-king lui opposa Heôu tzeu-kien. Les deux flottes
étant en présence, Wâng seng-pien fit reculer ses petites barques derrière les
grosses jonques. Heôu tzeu-kien prit ce mouvement pour une panique, et
fonça imprudemment. Les grosses jonques de Wâng seng-pien entourèrent
les siennes, et l’abordage commença. La flotte de Heôu tzeu-kien fut détruite.
Lui-même eut du mal à s’échapper. Quand Heôu-king reçut cette nouvelle, il
fut consterné... Après cette victoire navale, Wâng seng-pien conféra avec
Tch’ênn pa-sien sur la suite des opérations. Celui-ci déclara résolument qu’il
fallait marcher droit sur Chêu-t’eou, et s’offrit à exécuter son plan lui-même,
s’il faisait peur aux autres. On suivit son avis. Tch’ênn pa-sien livra bataille à
Heôu-king, tandis que Wâng seng-pien donnait l’assaut à la forteresse. Heôuking fut battu, et Chêu-t’eou capitula. Dans un dernier combat, Heôu-king fit
des efforts désespérés pour rompre par ses charges les lignes de Tch’ênn pasien. Il n’y réussit pas. La panique s’empara de ses troupes, qui se
dispersèrent. N’osant rentrer dans la capitale, Heôu-king s’enfuit vers l’Est
avec quelques fidèles. Wâng seng-pien livra la ville au pillage. Ses soldats
brûlèrent le palais. Le pauvre Siáo-tong qui y était prisonnier, fut mis à mort
par ordre de Siáo-i.
Le lendemain on courut après Heôu-king, qui fut encore battu près de
Sōng-kiang. Il se jeta dans une barque, et descendit le Fleuve Bleu. Il
touchait à la mer, quand Yâng-k’ounn, le fils de son ancien adversaire Yâng-
153
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
k’an (p. 1214), le joignit et le tua. Son corps fut envoyé à Kién-k’ang. Sa tête
fut suspendue à Kiāng-ling. Ses deux mains coupées furent envoyées au roi
de Ts’î (qu’il avait trahi, p. 1210). Le peuple outragea le cadavre de
l’usurpateur de toutes les
p.1224
manières. Ce fut à qui en mangerait, si bien
qu’il n’en resta même pas un os. Sa femme, princesse du sang, qui le haïssait
mortellement, voulut en manger sa part. Le roi de Ts’î massacra ses cinq fils,
qui avaient cherché un refuge auprès de lui. Tous ses adhérents se
soumirent. — Dans ses derniers jours, Heôu-king portait toujours avec lui le
sceau de l’empire. Il avait ordonné à Tcháo seu-hien de le jeter dans le
Fleuve, au cas où il lui arriverait malheur. Après sa mort, Tcháo seu-hien
s’étant réfugié au nord du Fleuve, le sceau vint aux mains du roi de Ts’î, à Íe.
Au onzième mois de cette année 551, Siáo-i monta sur le trône à Kiāngling (I), et devint l’empereur Yuân.
@
154
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Yuân, Siáo-i,
552 à 554.
@
Tandis que Siáo-i se levait contre Heôu-king au sud, à l’ouest un autre
prince du sang, Siáo-ki, en avait fait autant. Après le succès de Siáo-i, Siáo-ki
refusa de le reconnaître, se fit roi à Tch’êng-tou (50), déclara la guerre à
Siáo-i, confia Tch’êng-tou à la garde de Siáo-hoei et marcha vers l’est. Quand
l’empereur le sut, il recourut d’abord à la magie. Ayant fait faire, par un táocheu, un image en bois de Siáo-ki, il la cribla lui-même de clous, comptant
ainsi immobiliser son rival et faire cesser son entreprise. Il s’allia aussi avec
les Wéi occidentaux, voisins de Siáo-ki du côté du nord. Mû par des
sentiments plus ou moins désintéressés, Ù-wenn t’ai, le ministre de Wéi,
chargea Ú-tch’eu hoei d’envahir le Séu-tch’oan par les passes, et d’investir
Tch’êng-tou, dégarni de troupes et dépourvu de provisions. Quand Siáo-ki
reçut cette nouvelle, il envoya Yâo fong-ie à Kiāng-ling pour y solliciter son
pardon. Au lieu de s’acquitter de sa commission, Yâo fong-ie découvrit à Siáoi la situation précaire de Siáo-ki. Siáo-i rejeta donc sa demande, et envoya
p.1225
contre lui le général Fân-mong. L’armée de Siáo-ki se débanda au
premier choc. Lui-même fut pris. Siáo-i fit savoir à son général, qu’il ne tenait
pas à voir Siáo-ki vivant. Fân-mong l’égorgea donc, et envoya à la capitale
ses trois enfants. Siáo-i ordonna de les laisser mourir de faim. Ils
agonisèrent, dans un cachot, douze jours durant, rongeant à belles dents la
chair de leurs bras (dit la légende). Le peuple fut outré de cette barbarie.
Ù-tch’eu hoei ayant assiégé Tch’êng-tou durant cinquante jours, et fait
subir plusieurs échecs aux assiégés, Siáo-hoei capitula. Ù-tch’eu hoei
distribua les trésors et les femmes de Siáo-ki à ses soldats, mais ne fit pas
d’autres dégâts.
Cependant l’empereur était toujours à Kiāng-ling (I). Au neuvième mois, il
proposa de rentrer à Kién-k’ang (K). Le général Hôu seng-you s’y opposa.
— Les émanations de cette place, dit-il, ne sont plus impériales
(géomancie). Elle est aussi trop à la portée des Ts’î. Si elle était
surprise, c’en serait fait de nous, d’un seul coup...
155
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur
consulta
son
conseil.
Tcheōu
houng-tcheng
et
Wâng-pao
opinèrent qu’il fallait revenir, sous peine de voir le peuple se désaffectionner
de la dynastie, qu’il considérerait comme disparue, si elle ne rentrait pas dans
son ancienne capitale... Au fond, chacun parlait pour soi. Ceux du Sud
voulaient qu’on restât à Kiāng-ling ; ceux de l’Est voulaient qu’on retournât à
Kién-k’ang... L’empereur réunit une assemblée de 500 personnes. A la
pluralité des voix, le départ pour Kién-k’ang fut décidé. Mais, après le vote,
Tchōu mai-tch’enn dit à l’empereur :
— Moi qui suis pourtant de l’Est, je vous conseille, pour votre bien,
de ne pas retourner à Kién-k’ang.
Alors l’empereur fit jeter les sorts, qui se prononcèrent contre le retour à
Kién-k’ang. Il considéra aussi que Kién-k’ang était ruiné, et Kiāng-ling en bon
état. Il resta donc à Kiāng-ling, posta
p.1226
Wâng seng-pien à Kién-k’ang et
Tch’ênn pa-sien à King-k’eou, pour garder le fleuve. L’histoire donne tous ces
détails, en prévision de la catastrophe future. Malgré tout le mal qu’il se
donna, l’empereur se trompa. C’est que le cas n’était pas résolu par la Grande
Règle (Annales p. 205).
L’homme de confiance de l’empereur était un certain Lóu fa-houo. Ce
singulier personnage avait pour principe de n’infliger ni châtiments corporels
ni prison. Il faisait exhorter les malfaiteurs par des bonzes, et bonifiait le
peuple par des exorcismes.
Chez les Wéi Occidentaux, en 554, le Maire du palais Ù-wenn t’ai détrône
et assassine le roi T’oûo-pa k’inn, et le remplace par T’oûo-pa k’ouo.
L’empereur Yuan (Siáo-i) s’étant converti au taoïsme, poussa la ferveur
jusqu’à faire lui-même des gloses publiques sur le texte de Lào-tzeu. Le
commentateur ricane. Son père, dit-il, glosa sur les textes buddhistes, et
mourut de faim. Lui, glosa sur les texte taoïstes, et mourut assassiné. Donc
les deux doctrines ne valent également rien.
156
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 554, un devin nommé Ù ki-ts’ai dit à l’empereur :
— L’an dernier, au jour pìng-chenn, la lune a heurté la constellation
Sīnn. Cette année, au jour pìng-su, une vapeur rouge a voilé le
quadrilatère de la Grande Ourse. Ces mansions célestes et ces
caractères cycliques présagent une entreprise contre votre pouvoir.
J’ai bien peur que vous ne soyez pas en sûreté à Kiāng Ling (I).
Descendez à Kién-k’ang (K)...
L’empereur dit en soupirant :
— Le bonheur et le malheur viennent du ciel ; à quoi bon chercher
à y rien changer ?..
Bientôt la prédiction commença à se réaliser. Ù-wenn t’ai, ministre des
Wéi occidentaux, fit marcher contre
p.1227
l’empire une armée de 50 mille
hommes. Le préfet Tsoūng-kiunn annonça leur approche.
— Pas possible, lui répondirent les ministres impériaux ; nous ne
sommes pas en guerre avec les Wéi...
Ceux-ci avaient déjà occupé, sans rencontrer aucune résistance, les passes et
les abords du Fleuve. Quand ils les virent devant Kiāng-ling, les ministres
finirent par y croire. A la hâte, ils entourèrent la ville de retranchements et de
palissades, qui lui donnèrent un périmètre de 60 lì. Les Wéi entourèrent cette
immense étendue, d’un mur de circonvallation, puis attaquèrent vivement.
D’abord les Leâng résistèrent bravement. Le général Hôu seng-you était l’âme
de la défense. Quand il eut été tué d’un coup de flèche, les assiégés perdirent
courage. Durant un assaut des Wéi, des traîtres leur ouvrirent une porte.
L’empereur
se
retira
dans
la
citadelle
Kīnn-tch’eng.
A
la
nuit,
ses
derniers défenseurs l’abandonnèrent. Voyant que tout était perdu, l’empereur
qui était un bibliophile passionné, mit lui-même le feu à sa bibliothèque,
laquelle contenait 140 mille kuán. Il brisa ensuite son épée, en la frappant
contre une colonne, et dit en soupirant :
— Adieu les lettres et les armes !..
Puis il ordonna de rédiger l’acte de sa capitulation...
157
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Pourquoi ne chercheriez-vous pas plutôt à fuir ? lui demanda Síe
ta-jenn...
L’empereur était très mauvais cavalier.
— Je ferais honte aux Génies de la terre ! répondit-il...
Síe ta-jenn mourut de dépit... L’empereur sortit du palais en habits de deuil.
Siáo-tch’a, un prince du sang transfuge, le prit et l’enferma...
— Pourquoi avez-vous brûlé vos livres ? demanda quelqu’un au
prisonnier...
— Parce qu’ils ne m’ont pas appris à éviter mon malheur actuel !
dit l’empereur.
Averti de la prise de Kiàng-ling, Ù-wenn t’ai envoya l’ordre de mettre à
mort l’empereur, le prince impérial, et tous les prisonniers de marque. Ses
généraux enlevèrent pour lui le trésor impérial, la sphère
p.1228
céleste des
Sóng, le cadran solaire des Leâng, et les bibelots impériaux. Ils réduisirent en
esclavage les adultes vigoureux, massacrèrent les enfants et les vieillards, et
livrèrent le reste à la soldatesque. Ce qui resta de toute la population de
Kiāng-ling, suffit à peine pour reconstituer une centaine de feux. Les trois
dixièmes des esclaves périrent encore, par suite des mauvais traitements et
du froid... L’annaliste Yīnn pou-hai ayant perdu sa mère dans cet horrible
massacre, la chercha parmi les cadavres qui flottaient dans la rivière, sans
boire ni manger, sept jours et sept nuits durant, et finit par la retrouver.
Ù-wenn t’ai établit le transfuge Siáo-tch’a comme gouverneur à Kiāngling. Il s’y maintiendra, presque indépendant, après la disparition des Leâng
et des Wéi, grâce au talent de son ministre Wâng-ling. L’Histoire appelle
Heóu-Leâng ce brimborion d’État.
Quand ils eurent appris l’horrible désastre, les deux généraux impériaux
Wâng
seng-mien
(à
Kién-k’ang)
et
Tch’ênn
pa-sien
(à
Kīng-k’eou),
intronisèrent Siáo fang-tcheu à Kién-k’ang.
@
Les Turcs... Avant de narrer l’agonie et la fin des Leâng, prêtons notre
attention à l’entrée en scène d’un peuple nouveau, dont les bruyants exploits
158
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
nous occuperont beaucoup désormais. Il s’agit des T’óu-kue (Turcs) 1 ,
rejetons de ces Huns, dont nous avons tant parlé jadis. L’Histoire en fait
mention pour la première fois en 545, à propos d’une ambassade que les Wéi
Occidentaux leur envoyèrent. A cette occasion, elle récapitule leurs origines.
Les Turcs, dit-elle, commencèrent par être un petit royaume de l’Ouest, au
sud de l’Altaï. Tributaires des Jeóu-jan (Avars), ils extrayaient et travaillaient
le fer, pour le compte de ces maîtres. Leur famille régnante s’appelait A-cheuna. Sous le khan T’òu-menn
p.1229
(Boumin kagan), les Turcs étant devenus
puissants, commencèrent à infester les frontières occidentales des Wéi. C’est
alors que ceux-ci leur envoyèrent un ambassadeur. Cette démonstration
remplit les Turcs de vanité.
— Voilà, dirent-ils, que le grand royaume vient à nous ; nous allons
devenir quelque chose.
A cette entrée en scène si simple, l’Histoire ajoute les notes suivantes :
Les Barbares du nord (il s’agit de la race turque), ont porté des noms
différents aux différentes époques. Vers le vingtième siècle avant J.-C., ils
s’appelaient Hunn-u. Vers le dixième siècle, ils s’appelaient Hien-yunn. Au
troisième siècle avant J.-C., ils s’appelaient Hioung-nou (Huns)... Il est
probable que ces trois variantes, tiennent aux variations de la prononciation
chinoise à travers les âges, plutôt qu’à une variation du nom de ces peuples...
Au sixième siècle après J.-C., ils s’appelaient T’ou-kue (Turcs)... Très
puissants au temps des Han, les Huns tombèrent ensuite en décadence. Les
Tongouses Ou-hoan occupèrent leur ancien habitat. Aux Ou-hoan succédèrent
les Tongouses Sièn-pi. Puis les Jeóu-jan (Avars) devinrent les maîtres du
steppe. Les Turcs les remplacèrent, et furent détruits, à leur tour, par les
Chinois. Ensuite, pour un temps, dans les steppes du nord, les nomades
restèrent fractionnés en peuplades relativement insignifiantes, les Moúo-heue
ou Môu-ki (Tongouses Moukri des Grecs) les Tâ-tan, les Mông-kou (Mongols),
les T’ái-tch’eu-ou, les T’à-t’a-eull (Tartares), les K’eūe-lie. Parmi ces divers
peuples, les Tongouses K’í-tan devinrent d’abord une grande puissance
(dixième siècle). Puis les hordes des mongols s’étant coalisées, devinrent à
leur tour un grand empire (treizième siècle), lequel détruisit la dynastie
1 [Cf. Documents sur les Tou-kioue, trad. Stanislas Julien.]
159
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
chinoise Sóng, et régna sur la Chine comme dynastie Yuan (1280), jusqu’au
jour où le fondateur chinois de la dynastie Mîng
p.1230
(1368) brisa leur
pouvoir.
Revenons à l’an 551. Alliance par mariage des Wéi Occidentaux avec les
Turcs. Le cadre historique de ce mariage, n’est pas banal. Les T’ie-lei (Tölös,
de race hunne, souche des Ouïgours), dont les
hordes nombreuses
s’étendaient depuis la Tola à l’Est, jusqu’aux frontières de l’empire grec à
l’Ouest, ayant projeté d’attaquer les Jeóu-jan, le khan des Turcs T’òu-menn
éventa leurs projets et les battit. Il demanda, pour sa peine, la main d’une
princesse Jeóu-jan. A-na-koei, khan des Jeóu-jan, que nous connaissons (p.
1196), se fâcha, et lui fit répondre avec insulte :
— N’es-tu pas mon esclave forgeron ?
T’òu-menn prit mal cette réponse, et A-na-koei se trouva mal de l’avoir
faite. En 552, les Turcs tombant à l’improviste sur les Jeóu-jan, les
écrasèrent. A-na-koei se suicida de dépit. T’òu-menn demanda ensuite et
obtint une princesse T’oûo-pa. Il mourut l’année suivante 553. Son frère
cadet Móu-kan devint Grand Khan des Turcs. Brave et sage, il se rendit
redoutable à ses voisins, Ephthalites à l’Ouest, T’oûo-pa et K’í-tan à l’Est.
Cette même année 553, par le nord-est (8), les Tongouses K’í-tan firent
une incursion dans le royaume de Ts’î (plaine du Pèi-ho). Mal leur en prit. Ils
furent battus et reconduits dans leurs steppes, avec des pertes sérieuses.
Enfin, toujours en 553, le nouveau khan des Turcs pourchassant les débris
des Avars, ceux-ci se réfugièrent sur les terres des Ts’î. Le roi de Ts’î
s’apitoya sur leur sort, les reçut, les établit dans les environs de Mà-i (11), les
secourut de toute manière, et repoussa si vivement les poursuites des Turcs,
que ceux-ci durent traiter avec lui.
Il nettoya ensuite la chaîne des Yīnn-chan (12 à 8) des tribus de
Tongouses pillards qui les infestaient, massacra tous les mâles au-dessus de
treize ans, et réduisit les femmes en servage. Les Tongouses se le tinrent
pour dit, et le
p.1231
bassin du Pèi-ho respira pour un temps... Dans cette
expédition, un officier supérieur ayant été blessé, et sa garde de dix hommes
n’ayant pas fait ce qu’il fallait pour le sauver, le roi de Ts’î fit éventrer le
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dizenier, et fit dévorer ses viscères par ses neuf hommes. Premier échantillon
des fureurs que nous raconterons plus tard.
Cependant les Avars, sauvés par le roi de Ts’î, se permirent de brigander
dans ses États, et faillirent même le prendre dans un guet-apens. L’amitié
finit là, bien entendu. Le roi de Ts’î les fit pourchasser. Ce que voyant, les
Turcs recommencèrent aussi la chasse. Les derniers Avars se réfugièrent chez
les Wéi Occidentaux, à Tch’âng-nan.
Le khan des Turcs Móu-kan était alors un puissant personnage. A l’Ouest il
avait refoulé les Ephthalites par delà les Pamirs. A l’Est il avait repoussé les
K’í-tan dans la vallée de la Soungari. Au Nord il avait chassé les Kí-kou dans
les plaines de la Sibérie. Son pouvoir s’étendait, depuis l’embouchure du Leâo
à l’Est, jusqu’à la Mer Caspienne à l’Ouest. A un pareil voisin, les Wéi ne
pouvaient rien refuser. Móu-kan leur ayant envoyé des ambassadeurs, pour
exiger les Avars réfugiés chez eux, Ù-wenn t’ai les livra aux envoyés turcs.
Ceux-ci les conduisirent hors la porte de Tch’âng-nan, et les massacrèrent
jusqu’au dernier (3000 personnes). Ainsi finit la puissante et remuante nation
des Jeóu-jan, vrais Avars, qu’il ne faut pas confondre avec les Pseudavars
(Ouarchonites, Hermichions des Grecs), hordes ouïgoures refoulées en Europe
par les Turcs en 558, établies en Hongrie, puis soumises par Charlemagne...
Encore une fois, l’histoire des empires nomades, est toujours celle de la bulle
de savon, qui disparaît dans une explosion. Les Turcs prirent la place des
Avars, gonflèrent, brillèrent, s’agitèrent, firent du bruit, et finirent comme
eux, à leur heure.
En 556, de concert avec les Wéi, les
p.1232
Turcs battirent les T’óu-kou-
hounn du Koukou-nor, mais ne les achevèrent pas.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Kíng, Siáo fang tcheu,
555 à 556.
@
Parlons d’abord des choses originales qui se passaient chez les Ts’î. En
555, mécontent des disputes entre buddhistes et taoïstes, Kāo-yang roi de
Ts’î se décida à supprimer l’une des deux sectes. Mais laquelle ?.. Il eut une
idée lumineuse. Il réunit en champ clos les plus savants maîtres des deux
sectes, et les obligea à argumenter. Les vaincus, dans ce tournoi d’un
nouveau genre, seraient supprimés. On ne dit pas qui furent le jury et les
juges. Les táo-cheu ayant été vaincus, reçurent ordre de couper leur longue
chevelure et de devenir bonzes ras. Ils protestèrent. Kāo-yang fit couper
quatre têtes. Les autres táo-cheu préférèrent ne se faire couper que les
cheveux.
En 556, Kāo-yang se fait bâtir à Íe un superbe palais ; 300 mille hommes
furent condamnés à cette corvée.
Au commencement, dit l’Histoire, Kāo-yang avait bien gouverné. Plus tard
il devint ivrogne, débauché, brutal, cruel éhonté, au point de courir demi-nu
les ruelles de la capitale. Un jour qu’il était ivre, sa mère la douairière Leôuche le fustigea...
— Je remarierai cette vieille à un Turc, dit Kāo-yang...
La douairière se pâma de colère... Le roi grimpa à quatre pattes sur son
divan, et la jeta à terre, si rudement qu’elle se blessa au front. Quand il eut
cuvé son vin et appris ce qu’il avait dit et fait, sa piété filiale se réveilla. Il
déclara qu’il allait se brûler vif, en expiation de son crime. La douairière eut
peur de ce fou, et lui pardonna, pour cause d’ivresse. Le roi n’accepta pas ce
pardon. Il fit étendre une natte, se mit en position, et ordonna qu’on lui
donnât la bastonnade. La douairière s’émut encore. Cependant, comme il y
tenait, elle finit par lui faire appliquer
p.1233
cinquante coups, sur quoi, s’étant
rhabillé, il fit des excuses. Le roi resta juste dix jours sans s’enivrer, puis ce
fut pire que devant. Il fouettait ses officiers à grands coups de cravache. Il
prêtait ses femmes à n’importe qui, et les tuait quand elles refusaient. Il fit
faire une chaudière, une scie, un pressoir, et autres instruments de torture.
162
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Quand il était soûl, pour se divertir, il torturait et tuait n’importe qui. Son
ministre imagina de tenir toujours prêts, pour l’heure de ces lubies
sanguinaires, quelques criminels condamnés à mort.
Un censeur ayant repris le roi, celui-ci demanda à son ministre Yângyinn :
— Que désire ce fou ?..
— Il désire, dit le ministre, que vous le mettiez à mort, pour que
son nom passe à la postérité...
— Alors il faudra que je te tue aussi, dit le roi, car sans cela tu n’as
guère de chances que la postérité se souvienne de toi.
Un jour qu’il faisait courir son char sur une pente, Tcháo tao-tei l’arrêta.
Le roi ordonna de le mettre à mort...
— Volontiers, dit Tchào tao-tei ; j’irai aux enfers dire à vos
Ancêtres, que leur descendant est ivrogne et fou !
— Qu’on le lâche ! dit le roi.
Lì-tsi l’ayant comparé à Kîe et à Tcheóu (p. 47 et 63) le roi le fit jeter à la
rivière, puis retirer au moment où il se noyait...
— Trouves-tu encore que je ressemble à Kîe et à Tcheóu ? lui
demanda-t-il...
— Davantage, dit le censeur...
Le roi le fit tremper trois ou quatre fois de suite... Même réponse... Enfin,
éclatant de rire, le roi dit :
— A-t-on jamais vu pareille toquade de vouloir mourir comme Koān
loung-p’eng et Pì-kan (p. 49 et 68) ? Qu’on le lâche !..
Cependant, peu de temps après, Lì-tsi l’ayant encore censuré, il le fit égorger.
— Nous aurons à reparler de cette brute.
En 557, deux coups de théâtre changèrent, presque sans secousse, plutôt
les appellatifs que les choses de ce temps-là.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
p.1234
Fin des Wéi Occidentaux... Le ministre Ù-wenn t’ai étant mort, eut
pour successeur son fils Ù-wenn kiao. Celui-ci se fit Duc de Tcheōu, puis Roi
Céleste ; puis il détrôna T’oûo-pa kouo et se mit à sa place, sacrifia au Ciel,
érigea un temple à ses Ancêtres, assassina le roi détrôné, et le reste, à
l’ordinaire... Il ne jouit pas longtemps du fruit de son crime. La même année,
Ù-wenn hou l’assassina, et mit Ù-wenn u à sa place. Le royaume des Tcheōu
remplaça celui des Wéi Occidentaux.
Fin de la dynastie impériale Leâng… Le général Tch’ênn pa-sien se fait Duc
puis Roi de Tch’ênn, détrône l’empereur Kíng et se met à sa place, puis
assassine le prince détrôné, à l’ordinaire, et fonde la dynastie impériale
Tch’ênn.
Les Leâng (famille Siáo) avaient occupé le trône impérial durant 55 ans (la
famille Siáo, Ts’î et Leâng, durant 78 ans).
Les Wéi (famille T’oûo pa) avaient régné sur le nord de la Chine durant
149 ans (comptés depuis l’avènement de T’oûo-pa seu ; en réalité 171 ans).
Après leur division, les Wéi Occidentaux durèrent 17 ans, et furent remplacés
par leurs ministres, famille Kāo, dynastie royale Pèi-Ts’î. Les Wéi Occidentaux
durèrent 22 ans et furent remplacés par leurs ministres, famille Ù-wenn,
dynastie royale Tcheōu.
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE TCH’ENN. Famille Tch’ênn, 557 à 588.
L’empereur Où,
557 à 559.
Carte XIV — @
p.1235
En 558, il se fit bonze... Voulut-il par là expier son usurpation et
l’assassinat de son souverain ? se demande le commentateur, avec ironie... Il
mourut l’année suivante 559, laissant le trône à son neveu Tch’ênn-kiou, qui
devint l’empereur Wênn.
Le roi de Ts’î, Kāo-yang la Brute, continuait ses exploits. En 559 son
Annaliste et Astrologue l’avertit que, d’après les astres, cette année il fallait
supprimer Kióu l’ancien, et faire Sīnn du neuf. Le nouvel empereur s’appelait
Tch’ênn-kiou. L’Astrologue avait probablement l’intention d’exciter Kāo-yang
contre lui. Kāo-yang le comprit autrement. Il fit rechercher avec soin tous les
membres de l’ancienne famille royale des T’oûo-pa (Wéi Orientaux), et les
supprima, au nombre de 721 personnes. Pour ne pas être inquiété par leurs
ombres (p. 975), il fit jeter tous leurs cadavres dans la rivière Tchāng...
T’oûo-pa king-nan échappa au massacre de la manière suivante. Tenant plus
à la vie qu’à sa généalogie, il demanda à changer de nom, et à s’appeler Kāo,
comme la famille royale. T’oûo-pa king-hao lui en fit d’amers reproches.
— Est-ce ainsi, lui dit-il, que vous reniez vos Ancêtres ?..
Pour se faire bien venir, Kìng-nan le dénonça. Kāo-yang fit exécuter Kìng-hao,
et accorda sa requête à Kìng-nan, que l’Histoire flétrit.
Ici Maître Hôu consacre à l’illustre maison des T’oûo-pa, la petite oraison
funèbre suivante :
Pourquoi périrent-ils si misérablement, ces princes dont plusieurs
furent
si
sages,
qu’aucun
empereur
des
petites
dynasties
impériales contemporaines ne les valut ? C’est que, depuis T’oûopa koei, ils firent incessamment la guerre.
p.1236
Or les armes sont
des instruments néfastes, dont il ne faut se servir que dans le cas
de nécessité, sous peine de se rendre odieux au Ciel. Car la voie du
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ciel, c’est de multiplier les êtres vivants (non de les faire mourir).
A l’instar du Ciel, le Souverain doit favoriser la multiplication des
êtres (et ne pas les faire périr). Voilà pourquoi les guerriers sont
privés de postérité.
Au dixième mois, Kāo-yang la Brute ayant trop bu, tomba malade.
Sentant sa fin approcher, il dit à la reine Lì :
— Tout homme devant mourir, je ne me plains pas. Je crains
seulement que notre fils, encore bien jeune, ne puisse pas s’en
tirer...
Puis il dit à son oncle Kāo-yen, dont il suspectait les intentions :
— Si tu détrônes mon fils, au moins ne le tue pas !..
Enfin il nomma exécuteur testamentaire, le ministre Yâng-yinn que nous
connaissons (p. 1233), et mourut, à la satisfaction générale. Yâng-yinn seul le
pleura, sa charge l’y obligeant. Puis il mit le jeune Kāo-yinn sur le trône, et
rapporta les lois sanguinaires de Kāo-yang.
Entre les années 552 et 556, Kāo-yang avait fait remettre à neuf, par
tronçons, la Grande Muraille. Un poste militaire y fut installé, de dix en dix lì,
sur toute la longueur. En 555, plus d’un million d’hommes travaillèrent à cet
ouvrage. Est-il étonnant, demande le commentateur, que les Ts’î qui
pressurèrent ainsi leurs peuples, aient péri comme ils ont péri ?
@
166
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Wênn,
560 à 566.
@
En 560, dans le royaume de Tcheōu, Ù-wenn hou empoisonne le roi Ùwenn u (cf. p. 1234), et le remplace par son frère cadet Ù-wenn young.
La même année, dans le royaume de Ts’î, Kāo-yen détrône le petit roi
Kāo-yinn, et se met à sa place. En 561, il le fit assassiner. Trois mois après,
alors qu’il chassait, son cheval
p.1237
l’ayant désarçonné, il se brisa les côtes
et mourut. Son frère Kāo-tchan évinça son neveu Pài-nien, et monta luimême sur le trône. Ce fut une brute, comme Kāo-yang. La douairière Leôucheu (p. 1232) étant morte en 562, Kāo-tchan ne prit pas le deuil, mangea
but et fit de la musique à son ordinaire. Il sollicita ensuite la reine Lì-cheu,
veuve de Kāo-yang, en la menaçant, si elle ne consentait pas à ses désirs, de
tuer Cháo-tei le seul fils qui lui restât. La reine étant devenue enceinte, Cháotei sut l’affaire, et lui fit de sanglants reproches. La reine ayant accouché
d’une fille, la supprima, de honte.
— Puisque vous avez tué ma fille, lui dit Kāo-tchan, je vais en faire
autant à votre fils !
et il assomma Cháo-tei avec le pommeau de son sabre, sous les yeux de sa
mère. Celle-ci ayant osé pleurer, il la battit, puis la fit enfermer dans un
couvent de bonzesses.
Les conseillers de ce digne Kāo-tchan, valaient leur seigneur et maître.
Son favori Hoûo cheu-k’ai lui tint le discours suivant :
— Les anciens empereurs sont tous sans exception retournés en
poussière, Yâo et Choúnn tout aussi bien que Kîe et Tcheóu. Alors
à quoi bon imiter les uns plutôt que les autres ? Tandis que vous
êtes jeune et vigoureux, amusez-vous le plus possible, faites tout
ce qui vous plaira. Mieux vaut un jour joyeux, que mille ans
sérieux...
Kāo-tchan fut ravi de cette morale claire et facile. Depuis lors, il ne s’occupa
plus d’affaires, ou plutôt, il ne signa plus les pièces qu’une fois tous les trois
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ou quatre jours, laissant à Hoûo cheu-k’ai et à la reine Hôu le soin de tout
élaborer.
Le
prince Kāo
hiao-u
ayant blâmé
ce
système,
Kāo-tchan
l’empoisonna dans un festin, en présence des autres princes du sang, parmi
lesquels seul Kāo hiao-wan son frère osa pleurer.
En 564, halo solaire, parhélie, et autres phénomènes célestes. Le roi de
Ts’î feignit de croire que son neveu Pài-nien, qu’il avait
p.1238
évincé du trône,
en était coupable. Il le fit appeler. Le neveu comprit ce qui l’attendait. Avant
de se rendre au palais, il détacha une pièce de jade qu’il portait à la ceinture,
et la remit, comme souvenir, à sa femme Kìe-cheu. Dès qu’il fut arrivé en
présence de Kāo-tchan, celui-ci le fit assommer à coups de bâton, puis
décapiter. Son cadavre fut jeté dans un vivier, dont l’eau devint rouge de son
sang. La veuve se laissa mourir de faim. Durant toute sa longue agonie (un
mois, dit le texte), elle tint dans sa main le morceau de jade. Quand elle fut
morte, sa main crispée l’étreignait encore, et ne le céda qu’à son père Kìehoang.
En 565, apparition d’une comète. Kāo-tchan se sentant visé par cet astre
néfaste, abdiqua en faveur de son fils Kāo-wei. Manière de se soustraire au
châtiment du Ciel.
En 563, alliés aux Turcs, les Tcheōu attaquèrent les Ts’î. Les Tcheōu
étaient 30 mille cavaliers et fantassins, les Turcs cent mille cavaliers. Cette
armée arriva jusque devant Tsínn-yang (17). Quand il s’agit de livrer bataille,
soit panique, soit trahison, les Turcs se dérobèrent. Par suite, les Tcheōu
furent complètement écrasés.
Peu après, les Tcheōu ayant demandé à Móu-kan une alliance par
mariage, le khan retint leur envoyé durant plusieurs années, sans lui donner
de réponse, et sans lui permettre de s’en retourner. Enfin, durant un violent
orage, la foudre étant tombée sur sa tente, Móu-kan prit ce phénomène pour
une réprimande du Ciel. Il envoya sa fille au roi de Tcheōu, avec de grands
présents. Le roi de Tcheōu alla lui-même à sa rencontre.
168
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 566, mort de l’empereur Wênn. Son fils Pâi-tsoung lui succède.
Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume.
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169
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tch’ênn pai-tsoung,
567 à 568.
@
Chez les Ts’î... Quoiqu’il eût abdiqué, Kāo-tchan n’avait pas perdu le goût
du meurtre, ni son favori Hoûo cheu-k’ai celui de l’intrigue. En 567, Kāo hiaowan que nous connaissons (p. 1237), ayant percé de flèches un homme de
paille (cible), Hoûo cheu-k’ai fit croire à Kāo-tchan que cette opération avait
été faite dans le dessein de l’envoûter... Puis Kāo hiao-wan s’étant procuré
une dent du Buddha qui devenait lumineuse durant la nuit, Kāo-tchan
suspecta encore quelque maléfice dirigé contre sa personne... Il fit donc faire
des perquisitions au domicile de Kāo hiao-wan. On découvrit des armes et
autres objets, qu’on fit passer pour la preuve des projets de révolte supposés
du pauvre prince. Kāo hiao-wan fut assommé de coups. Finalement on lui
cassa le cou...
En 568 Kāo-tchan mourut. Cette mort fut-elle l’effet d’un sort ou un
châtiment du Ciel ? L’Histoire insinue, mais ne se prononce pas.
Dans l’empire, en 568, révolution pacifique. Tch’ênn-hu détrône son
neveu Tch’ênn pai-tsoung, comme incapable, et se met à sa place.
@
170
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Suān,
569 à 582.
@
Chez les Ts’î... Nous avons vu que, sous Kāo-tchan, le favori Hoûo cheu
k’ai gouvernait de concert avec la reine Hôu (1237). Il paraît que la bonne
entente du compère et de la commère alla trop loin. En 571, Kāo-yen, frère
du roi Kāo-wei, scandalisé, assassina le favori. Ce Kāo-yen était un garçon
précoce ; à l’âge de 14 ans, il avait déjà 4 fils. A l’instigation de la reine Hôu,
son frère Kāo-wei, le mit à mort avec tous ses enfants... Privée de Hoûo
cheu-k’ai, la reine Hôu imposa ses faveurs à T’ân-hien, le supérieur des
bonzes de Íe. Puis elle eut des relations
p.1240
intimes avec deux bonzesses,
qu’on découvrit un beau jour être des bonzes déguisés. Ces choses ayant fait
trop de bruit, Kāo-wei fit couper le cou aux trois bonzes, et enferma sa mère.
Chez les Tcheōu, en 572... Ù-wenn hou avait déjà assassiné deux rois,
comme nous avons dit (p. 1236). Sentant que son tour viendrait bientôt, Ùwenn young résolut de le prévenir. Il s’y prit d’une façon assez singulière…
— La reine ma mère boit, dit-il un jour à ce cher oncle, et moi je
ne puis pas convenablement le lui reprocher ; veuillez me rendre
ce service...
et en disant, il lui remit, pour servir de thème à son exhortation, le texte
classique Contre l’abus du vin (Annales p. 245)... Sans défiance, Ù-wenn hou
entra chez la reine. Comme il lisait et déclamait, Ù-wenn young jouant le fils
pieux indigné, lui porta par derrière un grand coup de son sceptre qui le
renversa évanoui. On le porta dehors pour lui trancher la tête. Toute sa
famille fut exterminée.
En 573, son fils ayant pris à la chasse une antilope blanche, animal rare
superlativement faste, comme on félicitait Ù-wenn young de cet heureux
augure, il dit :
— Mieux vaut bonne conduite qu’heureux présage !..
Cette belle phrase fait sourire, dans une bouche pareille.
171
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 573, l’empire entre en campagne contre le royaume de Ts’î. Le général
Oû ming-tch’ee prend Koàng-ling (n), repousse les Ts’î jusqu’au Hoâi, et
assiège Cheóu-yang (32). La ville ne se rendant pas, il barra la Fêi, pour la
noyer. Enfin, quand les maladies eurent emporté les sept dixièmes des
défenseurs de la ville, il arriva à la prendre. Le brave gouverneur Wâng-linn
fut fait prisonnier. Bien fait de sa personne, maître de ses passions,
connaissant par leur nom chacun des milliers d’hommes qui servaient sous
ses ordres, juste et libéral, Wâng-linn était
p.1241
l’idole de son peuple.
N’osant le faire mourir à Cheóu-yang, Oû ming-tch’ee l’envoya à Kién-k’ang,
avec ordre de l’assassiner en route, ce qui fut fait. Quand le peuple de Cheóuyang apprit sa mort, ce fut une inexprimable désolation. Un vieillard alla
aussitôt lui faire des offrandes et des libations, à l’endroit où il avait été
égorgé, et recueillit pieusement son sang... Nommé Grand Général de
l’empire, Oû ming-tch’ee envahit ensuite et conquit l’entre-deux du Hoâi et du
Fleuve Jaune.
Ù-wenn young roi de Tcheōu s’occupait de théologie. Au commencement
de son règne, il avait classé ainsi les trois Sectes chinoises : 1 Lettrés, 2
Taoïstes, 3 Buddhistes. En 574, il proscrivit le Taoïsme et le Buddhisme,
ordonna de détruire les livres et les images de ces deux sectes, sécularisa les
táo-cheu et les bonzes, et prohiba tous les cultes non officiellement reconnus.
Maître Hôu orne ce texte du commentaire suivant :
Quand une substance se putréfie, les vers y pullulent. Là où les
hommes sont peu nombreux, les bêtes sauvages se multiplient.
Quand la vitalité baisse, l’harmonie de l’organisme dépérit. Ainsi en
a-t-il été de la Chine et des Sectes. Quand les Sages eurent
disparu, quand les lois furent tombées en désuétude, les doctrines
subversives se répandirent. Ù-wenn young roi de Tcheōu fit bien de
vouloir les extirper, mais le fait est qu’il n’y arriva pas. Il aurait
fallu, pour réussir dans cette entreprise, donner tout pouvoir aux
Lettrés, donner les charges aux Sages, et propager efficacement
les doctrines confuciistes. Ù-wenn young n’eut pas assez d’esprit
172
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pour ce faire ; son successeur en eut moins encore que lui. Aussi
deux persécutions consécutives des Buddhistes, et trois des
Taoïstes, restèrent-elles sans résultat appréciable. Jadis les Wéi
ayant porté peine de mort contre les bonzes (p. 1116), 7 ans après
p.1242
le Buddhisme était de nouveau florissant. Cette fois, 6 ans
après la proscription des deux sectes, elles étaient de nouveau
prospères. Oh que les superstitions sont difficiles à détruire !
Les princes de Ts’î continuaient à se distinguer par leur bestiale férocité.
Tous ces Kāo chinois en tenaient. Ils éclipsèrent, dans ce genre, tous les
Barbares des siècles précédents... Quand Kāo-tch’ao rencontrait une femme
portant un petit enfant, il lui arrachait son nourrisson, et le faisait dévorer par
ses chiens qui le suivaient partout. Parfois, pour avoir plus de plaisir, il
barbouillait la mère avec le sang de l’enfant, et la faisait dévorer de même...
Le roi de Ts’î le cita, pour rendre compte de ces atrocités. Mais les loups ne se
mangent pas entre eux. Kāo-tch’ao l’intéressa. Le roi lui pardonna, puis lui
demanda quelque recette du même genre, pour s’amuser lui aussi....
— J’en sais une bonne, dit Kāo-tch’ao ; c’est de mettre, dans une
baignoire, un singe avec des scorpions ; c’est très divertissant !..
Le roi fit aussitôt quérir une baignoire et des scorpions ; puis, comme il
n’avait pas de singe, il fit mettre dans la baignoire un homme nu, et l’obligea
à s’y vautrer sur les scorpions. A la vue des contorsions de ce malheureux,
Kāo-wei et Kāo-tch’ao riaient aux éclats. Puis Kāo-wei dit à Kāo-tch’ao, sur le
ton du reproche :
— Pourquoi ne m’as-tu pas indiqué cette recette plus tôt ?..
Kāo-tch’ao devint le premier favori du roi. Cela ne dura pas. Un beau jour, sur
une simple délation, le roi le fit mourir.
L’heure des Ts’î est venue. Ce n’est vraiment pas trop tôt. Le Ciel fut
patient à l’égard de ces monstres... En 576, les Tcheōu leur déclarèrent la
guerre, et enlevèrent la vallée de la Fênn.
En 577, pour apitoyer le Ciel, Kāo-wei abdiqua en faveur de son fils Kāoheng. Trop tard ! Les Tcheōu parurent devant Íe sa capitale. Kāo-wei s’enfuit
173
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
avec
p.1243
son fils. Leur Chancelier les livra tous les deux. Le roi de Tcheōu
fit massacrer toute cette race maudite. Personne ne les pleura. Tcheōu
annexa Ts’î (tout le Nord).
Les Heóu-Leâng (Siáo-koei, à Kiāng-ling, p. 1228) reconnurent le roi de
Tcheōu pour leur suzerain.
Donc, à partir de cette année 577, deux pouvoirs seulement : Tch’ênn
(l’empire) au sud, Tcheōu au nord du Fleuve Bleu.
En 573, Móu-kan le Grand Khan des Turcs étant venu à mourir, laissa sa
succession à son frère cadet T’oûo-pouo, au préjudice de son fils Tá-louopien. Le roi de Tcheōu s’allia par mariage avec le nouveau khan, et, disons le
mot, lui paya, sous couleur de présents, un lourd tribut annuel en soie et
soieries. Cette condescendance rendit T’oûo-pouo très insolent.
En 578, rupture. Ù-wenn young roi de Tcheōu part en guerre contre les
Turcs, tombe malade, revient et meurt, laissant le trône à son fils Ù-wenn
pinn.
En 579, paix cimentée par un mariage. Ù-wenn pinn livre au khan la fille
d’un prince du sang, qu’il fait passer pour sienne.
Cette même année, Ù-wenn pinn abdique en faveur de son fils Ù-wenn
chan. Il le fit par orgueil, dit l’Histoire ; par folie, plutôt, je pense. Il était
atteint de cette forme de la manie des grandeurs, dont les victimes se croient
des dieux. Ù-wenn pinn appela donc sa personne Principe Céleste, sa
demeure Palais Céleste, et se déclara pour le moins l’égal du Souverain d’en
haut, sinon ce Souverain lui-même. Quiconque paraissait en sa présence,
devait d’abord se préparer par trois jours d’abstinence et un jour d’ablutions.
Il interdit, pour tous les noms d’hommes, l’emploi des caractères Ciel, Haut,
Supérieur, Grand ; ces termes étant réservés à lui seul. Il flânait d’ailleurs et
se conduisait mal. Son plaisir était de faire fustiger ses officiers. La dose de
120
p.1244
coups s’appelait Bastonnade Céleste, Plus tard, par suite de
quelque révélation sans doute, il la porta à 240 coups. Il en vint à la faire
donner à ses quatre reines, à ses concubines, aux filles du palais, etc.
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Rapportant le décret de proscription du Buddhisme et du Taoïsme porté
par son père en 574, en 579 le Principe Céleste fit faire des statues du
Buddha et de Lào-tzeu. Il les fit mettre sur le même rang, s’assit entre les
deux, et se fit vénérer publiquement. En 580, le Principe Céleste Ù-wenn pinn
trépassa, comme le dernier des sublunaires... Aussitôt, avec la connivence de
la reine veuve Yâng, son frère Yâng-kien, Duc de Soêi, se fit Chancelier, et
convoqua à Tch’âng-nan tous les princes de la famille Ù-wenn. Dès qu’il les
tint, il les massacra tous ensemble. Nettoyage !.. Au bout de l’an, il se fit Roi
de Soêi. Au nouvel an 581, il détrôna Ù-wenn chan roi de Tcheōu, et
extermina intégralement tous les membres restants de sa famille. Ainsi finit la
dynastie royale des Tcheōu famille Ù-wenn, qui fut remplacée par la dynastie
royale, plus tard impériale, des Soêi.
Le premier acte de Yâng-kien, fut de favoriser avec ostentation le
Buddhisme et le Taoïsme. Il le fit, dit le texte, pour s’attirer le bonheur ; en
réalité, je pense, pour se gagner des adhérents par cette réaction. Il fit savoir
expressément au peuple de son royaume, que quiconque voudrait se faire
bonze ou táo-cheu, était libre de suivre ses goûts. Il approuva aussi qu’on fit
des collectes, pour recopier les livres détruits, et refaire de nouvelles images.
En peu de temps, entre les mains de ses sujets, il y eut mille livres
buddhistes contre un livre confuciiste, constate l’historien avec dépit.
Chez les Turcs, à partir de l’an 581, division, ou plutôt consommation
définitive d’une division qui existait en germe, dans cette nation, depuis
l’origine de
p.1245
sa prospérité. Le khan T’òu-menn (Boumin) qui la fit
indépendante (p. 1229), avait un frère nommé Chêu tien-mi (Istämi), son
bras droit, mais aussi son rival de gloire et de popularité.
« Au-dessus des fils des hommes, dit l’inscription turque de Kultegin (Orkhon), s’élevèrent Boumin et Istämi.
De là, petit à petit, la division des Turcs en deux groupes, les Septentrionaux
(Boumin) et les Occidentaux (Istämi). A l’époque où nous sommes, Tá-t’eou
(Tardou), fils de Istämi, gouvernait les Turcs Occidentaux, tandis que T’oūopouo, le troisième frère de T’òu-menn, gouvernait les Turcs Septentrionaux.
En 581, T’oūo-pouo se sentant mourir, appela son fils Yèn-louo et lui dit :
175
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Mon frère Móu-kan m’a jadis légué son trône, au préjudice de son fils Tálouo-pien (p. 1243) ; quand je serai mort, rends le trône à ton cousin Tálouo-pien... La nation ayant refusé de ratifier cette dernière volonté de T’oūopouo, Yèn-louo monta sur le trône des Turcs Septentrionaux. Bientôt son
cousin Tá-louo-pien lui rendant la vie impossible, Yèn-louo abdiqua en faveur
de son cousin Chā-pouo-leao, fils du premier frère de T’òu-menn. On négocia.
Il y eut quatre khans ; deux khans supérieurs, savoir Chā-pouo-leao khan des
Turcs Septentrionaux, et Tá-t’eou khan des Turcs Occidentaux ; plus deux
khans inférieurs, Yèn-louo et Tá-louo-pien. Brave et aimé de la nation, Chāpouo-leao se fit craindre des autres.
Nous avons dit, en 579, que T’oūo-pouo avait épousé une princesse Ùwenn (Tcheōu). Quand Yâng-kien eut détruit le royaume Tcheōu et massacré
toute la famille Ù-wenn, cette khatoun cria vengeance au khan Chā-pouoleao. Celui-ci dit dans le conseil de ses Grands :
— Je suis parent des Tcheōu. Yâng-kien a usurpé leur trône. Je n’ai
pas la face devant la khatoun. Il nous faut châtier cet homme !..
Donc,
p.1246
en 582, à la tête de 400 mille archers, Chā-pouo-leao franchit
la Grande Muraille. Yâng-young, fils de Yâng-kien, se retrancha sur la ligne de
la Wéi. Un officier qu’il avait envoyé en reconnaissance avec deux mille
cavaliers, se heurta à cent mille Turcs. Poursuivi par eux durant trois jours, il
livra quatorze combats. Quand leurs armes furent brisées, ses soldats
empoignèrent les Turcs à belles mains. La bravoure de ces hommes
impressionna tellement les Turcs, dit l’Histoire, que leur armée s’en retourna
sans avoir rien fait. En réalité, ils raflèrent tout le bétail de sept préfectures,
et s’en retournèrent, parce que Tá-t’eou voyant Chā-pouo-leao engagé dans
la Chine, s’apprêtait à lui tomber dans le dos. Le narré chinois de toute cette
aventure, est un poème. On y voit les Chinois frappant les ennemis, jusqu’à
ce que les os de leurs mains traversent les chairs ; les Turcs affamés
mangeant des ossements pilés ; etc. Croie qui voudra !
Sentant bien que, pour être tranquille désormais, il lui fallait prendre
l’offensive et intimider les Turcs, en 583 Yâng-kien fit marcher contre eux le
général Teóu joung-ting, avec une armée de 30 mille hommes. Celui-ci se
heurta aux hordes de Tá-louo-pien. Il leur fit dire par un parlementaire :
176
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Pourquoi nous battrions-nous, nous officiers et soldats qui
n’avons rien les uns contre les autres ? Vidons la querelle de nos
maîtres par un combat singulier. Ceux dont le champion sera
vaincu, reculeront...
— Bien, dirent les Turcs ;
et ils envoyèrent leur homme. Le champion chinois, nommé Chèu wan-soei, le
vainquit et le décapita. Les Turcs traitèrent et retournèrent chez eux.
En 584, Yâng-kien fit contre les T’ou-kou-hounn du Koukou-nor, une
expédition qui fut pareillement heureuse.
Alors le khan Chā-pouo-leao eut peur de Yâng-kien, dit l’Histoire. Il eut
plutôt peur de son voisin le khan Tá-t’eou. Quoi qu’il en soit, il demanda à
Yâng-kien sa fille en mariage, et, palinodie risible, la khatoun Ù-wenn, cause
première de la brouille, demanda à Yâng-kien de l’adopter, et de lui permettre
de s’appeler désormais sa tendre fille la khatoun Yâng... Dans les pièces
échangées pour cette négociation, Chā-pouo-leao s’appelait Empereur et
Khan né du Ciel, sage et saint, de la grande nation des Turcs et du monde
entier. Yâng-kien se nommait Fils du Ciel de la grande dynastie Soêi... Quand
le négociateur, un certain Û k’ing-tsai, approcha du douar de Chā-pouo-leao,
il apprit que celui-ci lui avait préparé une réception martiale, pour lui en
imposer. Aussitôt il s’arrêta, s’alita, et fit le malade. Son adjoint Tchàngsounn cheng donna à entendre au khan, que, étant gendre de Yâng-kien, il
pouvait et devait l’honorer. Chā-pouo-leao avait besoin de l’alliance chinoise.
Il se prosterna donc, reçut des mains de Û k’ing-tsai subitement guéri les
lettres de Yâng-kien, et les mit sur sa tête. Après la séance, il pleura de honte
et de rage, avec ses Turcs.
En 585, Tá-louo-pien ayant fait cause commune avec Tá-t’eou (Turcs
Occidentaux), Chā-pouo-leao (Turcs Septentrionaux) déjà pressé, par les
Tongouses K’í-tan de l’Est, demanda secours à son beau-père Yâng-kien.
Celui-ci lui envoya une armée, commandée par Yâng-koang, laquelle, jointe
aux Turcs Septentrionaux, battit les Turcs Occidentaux. Très content, Chāpouo-leao écrivit à Yâng-kien :
— Il n’y a qu’un soleil, il n’y a qu’un empereur, et c’est Yâng-kien.
Comment oserais-je jamais vous faire opposition, ou m’arroger de
177
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
vains titres ? Prosterné le front dans la poussière, je vous prie de
m’agréer pour votre vassal !..
Échine politique souple... Chā-pouo-leao envoya de plus son fils K’óu-houotchenn servir dans les gardes du corps de Yâng-kien, et paya chaque année
une sorte de tribut.
Chez les T’ou-kou-hounn du
p.1248
Koukou-nor, le khan K’oā-lu, vieillard
centenaire fantasque, avait déjà dégradé et mis à mort successivement
plusieurs de ses héritiers désignés. Celui qui portait ce titre, en 586, craignant
d’avoir le même sort que ses prédécesseurs, conçut le projet de se saisir de
son vieux père, et de le livrer aux Soêi. Il demanda des troupes à Yâng-kien,
pour exécuter ce coup. Le commandant chinois des Marches du Nord-Ouest,
appuya sa demande. Yâng-kien la rejeta, comme impie. Le prince ayant été
découvert, fut mis à mort. Son successeur fit à Yâng-kien l’offre de déserter
son père, et de se donner à lui, avec quinze mille familles. Cette fois Yângkien s’échauffa, sur le thème de la piété filiale.
— Décidément, dit-il, en parlant des T’ou-kou-hounn, les mœurs de
ces brutes sont différentes de celles des hommes. Chez eux, les
pères sont cruels, les fils sont dénaturés. Moi qui donne en tout le
bon exemple à mon peuple, comment pourrais-je aider un fils
rebelle ? Qu’il s’accorde avec son père, et prenne garde d’être flétri
par la postérité. S’il veut venir à moi, que ce soit pour recevoir des
leçons de piété filiale. Je ne lui enverrai pas des soldats, pour
l’aider à mal faire...
Les choses en restèrent là.
En 587, nouveaux événements chez les Turcs. Le khan Chā-pouo-leao des
Turcs septentrionaux étant tombé malade et trouvant son fils Yoùng-u-lu trop
faible pour régner, fit savoir à son frère cadet Tch’óu-louo-heou qu’il le
désirait pour successeur. Quand Chā-pouo-leao fut mort, Yoùng-u-lu envoya
des députés à son oncle, pour le prier de monter sur le trône...
— Règne toi-même, dit celui-ci ; je te reconnaîtrai loyalement pour
mon khan...
178
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Je ne désobéirai pas aux dernières volontés de mon père, dit
Yoùng-u-lu...
Après bien des instances, Tch’óu-louo-heou monta enfin sur le trône, et
devint le khan Móu-heue. Il était brave et sage. Yâng-kien lui offrit aussitôt
p.1249
son amitié, un étendard, un tambour, et, ce qui est mieux, des troupes.
Tch’óu-louo-heou attaqua les Turcs occidentaux, les battit, fit prisonnier et
supprima le remuant Tá-louo-pien.
L’empereur Suân étant mort en 582, après 14 ans de règne, à l’âge de 52
ans, une bien vilaine scène se joua près de sa couche funèbre. Tandis que
Tch’ênn chou-pao, l’héritier désigné, se pâmait de douleur comme le veulent
les Rites, son frère Tch’ênn chou-ling, qui convoitait le trône, tira un coutelas
et le frappa par derrière. Chôu-pao tomba. La reine Liòu, accourue à son
secours, reçut aussi un coup. Tch’ênn chou-kien, un troisième frère, saisissant
Chôu-ling à bras-le-corps, l’empêcha d’achever ses victimes et le désarma.
Chôu-ling s’enfuit à son hôtel, chercha à provoquer une émeute, ouvrit les
prisons, distribua de l’argent, fit appel aux princes du sang. Il n’eut guère de
succès. Seul Tch’ênn pai-kou vint se joindre à lui... La reine Liòu étant
revenue à elle, chargea Chôu-kien de mettre en mouvement Siáo mouo-neue
le commandant de la garde, lequel alla mettre le siège devant l’hôtel de
Chôu-ling. Celui-ci fut tué, avec Pâi-kou. Tch’ênn chou-pao guérit de sa
blessure, monta sur le trône, et devint Heóu-tchòu, le dernier des Tch’ênn.
@
179
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tch’ênn chou-pao, dit Heóu-tchòu,
583 à 588.
@
Comme il fut détrôné, il ne reçut pas de titre posthume.
En 582, Yâng-kien roi de Soêi, trouvant l’ancienne ville de Tch’âng-nan
trop étroite pour son ambition, donna ordre de construire une ville nouvelle
sur les collines Loûng-cheou-chān, à proximité.
Encore en 584, Yâng-kien charge Ù-wenn k’ai de canaliser la Wéi, cette
rivière torrentueuse, avec ses hausses et ses baisses, ses sables et
p.1250
ses
vases, étant d’une navigation difficile et sujette à trop d’aléas. Le canal eut
300 lì de long, et remplaça le cours inférieur de la rivière.
En 585, Yâng-kien envoie 30 mille hommes commencer, au Nord-Ouest
du Fleuve Jaune (58), ce prolongement occidental de la Grande Muraille, qui
couvre actuellement Nîng-hia-fou et les Nân-chan. On en fit sept cent lì. En
586, le nombre des travailleurs fut augmenté de cent cinquante mille. Le mur
fut flanqué de nombreux forts. Ce travail devait contenir les Turcs.
En 584, les Heóu-Leâng de Kiāng-ling (p. 1243) s’étaient soumis à Yângkien, plus à craindre pour eux que l’empereur. Cela ne les sauva pas. Siáokoei étant mort en 585, son fils Siáo-ts’oung lui succéda.
En 587, Yâng-kien fit savoir à Siáo-ts’oung, qu’il eût à venir à Tch’âng-nan
pour faire sa cour. Siáo-ts’oung se mit aussitôt en route avec tous ses
officiers. Derrière son dos, le général Ts’oēi houng-tou investit Kiāng-ling, au
nom de Yâng-kien. Craignant une aventure analogue à celle de l’an 554, Siáoyen qui commandait la place, demanda secours à l’empereur. Le secours vint,
mais sous forme d’une simple escorte, qui conduisit sur le territoire de
l’empire Siáo-yen avec dix mille émigrants de Kiāng-ling. Yâng-kien prit
prétexte de cette défection, pour supprimer les Heóu-Leâng et occuper Kiāngling. Il ne mit pas à mort Siáo-ts’oung, mais le garda à sa cour, comme
dignitaire.
180
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Or l’empereur Tch’ênn chou-pao, dits, Heóu-tchòu, était un viveur. Sur
trois monticules artificiels, élevés au milieu d’un grand parc décoré de
rocailles et de viviers, il fit bâtir trois palais, ornés des bois et accessoires les
plus rares et les plus coûteux, jade, perles, etc. L’empereur habitait l’un de
ces palais. Sa principale favorite, la dame Tchāng (la fameuse Tchāng li-hoa),
habitait le second. Deux autres favorites, les
p.1251
dames Koūng et K’oùng,
habitaient le troisième. Les palais étaient reliés par des allées couvertes...
Chose neuve, l’empereur établit, dans ce sérail, une école, où l’Annaliste
K’oùng-fan, aidé d’une dizaine de lettrés et d’autant de maîtresses, apprenait
aux donzelles du palais à composer des chansons. Les plus réussies, étaient
mises en musique, et exécutées devant l’empereur, buveur émérite, lequel,
ayant le vin gai, faisait chorus avec ses ministres... La favorite Tchāng li-hoa
était fille d’un officier militaire. Elle était extrêmement belle et intelligente.
Adroite à deviner tous les instincts de l’empereur, elle l’avait complètement
fasciné. Magicienne, elle dirigeait en personne, dans le harem, les opérations
dirigées
contre
les
mauvaises
influences
(cf.
p.
729),
pantomimes
accompagnées de tambourins, etc... Les mémoires des gouverneurs passaient
d’abord par les mains des eunuques, puis étaient discutés par l’empereur
avec ses femmes. Ce système causa d’innombrables abus, les eunuques et
les dames du palais se faisant payer des gratifications, pour l’introduction et
l’expédition des affaires. Les choses en vinrent au point que, parmi les
fonctionnaires, quiconque ne payait pas cette clique, était cassé sous un
prétexte quelconque.
Avec des mœurs pareilles, l’empereur n’était pas dévot ; cela n’étonnera
personne. Chaque fois qu’il devait sacrifier au Ciel, il était pris d’une
indisposition de circonstance, et se dispensait de ce devoir. Le censeur Fóutsai l’ayant repris, il le fit incarcérer. Du fond de sa prison, le censeur lui
adressa le factum suivant :
« Un prince doit servir respectueusement le Souverain d’en haut,
et aimer paternellement son peuple. Il doit être sobre et chaste. Il
doit éloigner de sa personne les flatteurs. Il doit se lever avant le
jour, et s’appliquer aux affaires, au point d’en oublier l’heure des
repas. Ce prince-là sera heureux, et transmettra son trône à ses
p.1252
descendants. Or vous faites tout le contraire. Ivrogne et
181
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
débauché, vous ne vénérez même pas les Grands Chênn du tertre
(Ciel) et du temple (Ancêtres). Vous flattez des Koèi impurs
(superstitions de Tchâng li-hoa). Vous êtes entouré de gens de
rien. Les eunuques exercent l’autorité impériale. Ces gens-là
détestent les officiers intègres et méprisent le peuple. Vos sujets
s’épuisent pour les folles dépenses de votre harem et de vos
écuries. A bout de ressources, les uns émigrent, les autres
meurent de misère. Le gaspillage a mis votre trésor à sec. Les
Chênn vous haïssent, le peuple vous maudit. Je crains que les
émanations
impériales
ne
tarissent
bientôt
dans
vos
États
(géomancie)...
Cette jolie pièce mit l’empereur dans une grande fureur. Quand il se fut un
peu calmé, il envoya demander à Fóu-tsai s’il serait capable de modifier ses
sentiments...
— Je n’ai qu’un visage et qu’un cœur, répondit le censeur ; et, de
même qu’il n’est pas en mon pouvoir de changer mon visage, il
n’est pas non plus en mon pouvoir de modifier mon cœur (mes
sentiments)...
L’empereur lui ordonna de se suicider.
Informé du mécontentement des esprits dans l’empire, Yâng-kien jugea
l’occasion favorable pour se substituer aux Tch’ênn. Il rédigea un manifeste,
dans le goût antique (p. 68), où il énumérait les péchés de Tch’ênn chou-pao,
sa prodigalité, son immoralité, son injustice, sa tyrannie, son impiété, sa
superstition, causes des maux de l’empire. Il y en avait vingt articles. Yângkien envoya cette mercuriale à Tch’ênn chou-pao. En même temps, il en
faisait répandre trois cent mille copies par toute la Chine.
Les actes suivirent de près les paroles. Au dixième mois, une armée de
plus de cinq cent mille hommes, commandée par Yâng-koang, marcha contre
l’empire, tandis que Yâng-sou descendait le Fleuve Bleu avec une flotte
nombreuse...
182
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Ne vous inquiétez pas, dit Chéu wenn-k’ing à
p.1253
l’empereur.
Pareille chose est arrivée tant de fois ! Les gardes des frontières
aviseront...
K’oùng-fan, le professeur de poésie des dames du palais, s’exprima, comme il
convenait, en termes plus relevés.
— Le Fleuve Bleu, dit-il, est un fossé creusé par le Ciel, pour
défendre le Sud contre le Nord ; les Soêi ne le franchiront pas au
vol...
Ces bonnes paroles firent sur l’empereur une impression si heureuse, qu’il ne
se doutait encore de rien, quand le demi-million de soldats Soêi était déjà
aligné sur la rive nord du Fleuve.
— Ce n’est rien, disait-il. Les émanations telluriques sont pour
nous. Les Ts’î ont essayé trois fois, les Tcheōu ont essayé deux fois
de nous détruire, et s’en sont chaque fois retournés bredouille.
Cette fois ce sera comme les fois précédentes...
On continua donc, au palais de Kién-k’ang, à boire et à chanter.
Or le premier jour de l’an 589, durant la grande séance du trône pour les
félicitations du nouvel an, un épais brouillard s’éleva soudain, signe néfaste
au possible. Qu’était-il arrivé ?.. C’est que les généraux Soêi, Heúe jao-pi
et Hân k’inn-hou, venaient de passer le Fleuve à Kiāng-ling (I), non pas au
vol, mais sur des barques, tout prosaïquement. Divisés en deux corps, ils
tirèrent droit à la capitale. Ils n’eurent pas à combattre, car ils ne trouvèrent,
sur leur chemin, ni préparatifs, ni résistance. Arrivé le premier, Hân k’inn-hou
entra droit dans la ville. Éperdu, l’empereur ne songea qu’à s’enfuir.
— Finissez au moins dignement, lui dit Yuân-hien ; asseyez-vous
sur votre trône, en costume impérial, comme fit Où-ti des Leâng,
quand Heôu-king prit la ville (p. 1219)...
Mais Tch’ênn chou-pao avait des soucis d’un ordre moins relevé.
L’important, pour lui, était de sauver ses favorites. Malgré les supplications et
les résistances de quelques officiers, il se cacha avec elles dans une citerne
sèche. Quand les soldats Soêi eurent
p.1254
envahi la ville, ils découvrirent la
citerne. Y ayant jeté des pierres, Il entendirent qu’on criait merci. Ils
183
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
descendirent donc une corde dans la citerne, tirèrent, et furent tout étonnés
du poids de ce qu’ils remontaient. Quand la chose en question fut arrivée au
bord, il se trouva que c’étaient l’empereur et les dames Tchāng et K’oùng, liés
ensemble par une corde... L’impératrice Chènn-cheu était restée décemment
dans ses appartements. Son fils le prince héritier Tch’ênn-chenn, âgé de
quinze ans, avait aussi reçu les envahisseurs très dignement... L’officier Lòu
koang-ta fut le seul qui fit quelque résistance. Il défendit le parc impérial
jusqu’au soir. Voyant alors que tout espoir était perdu, il se prosterna dans la
direction du palais, pleura, déposa ses armes, et se rendit avec ses soldats...
Entre temps Heúe jao-pi étant survenu avec son armée, fut jaloux de Hân
k’inn-hou. Il se fit présenter l’empereur captif, qui se prosterna en suant à
grosses gouttes. Devant lui, les deux généraux Soêi se disputèrent, jusqu’à
mettre la main au sabre, pour décider à qui il appartiendrait.
Cependant Yâng-koang, le généralissime des Soêi, qui arrivait à son tour,
envoya par courrier l’ordre de lui réserver la dame Tchāng li-hoa... Kāo-ying
qui reçut cette commission, se dit :
« Si jadis Cháng de Lù (p. 66) se voila le visage, pour mettre à
mort Tān-ki (légende en contradiction avec l’histoire, p. 69), afin
que cette enchanteresse ne devint pas une cause de ruine pour
l’empereur T’āng, moi je ne laisserai pas vivre celle-ci, pour la
même raison...
et il la décapita. Quand Yâng-koang fut arrivé, furieux, il dit à Kāo-ying :
— Les anciens ne laissaient aucun mérite sans récompense ; je
saurai vous récompenser (me venger) en son temps !
Il ordonna ensuite de mettre à mort tous les mauvais conseillers de Tch’ênn
chou-pao, prit possession des registres
p.1255
impériaux, et scella les
magasins, sans rien prendre pour lui-même, ce dont l’Histoire le loue... Dans
cette catastrophe prosaïque, l’Histoire ne cite que le trait suivant de
dévouement, trait assez original d’ailleurs. Craignant que les ossements de
Tch’ênn pa-sien, le fondateur de la dynastie, ne fussent profanés, Wâng-pan,
le fils de son ancien collègue Wâng seng-pien (p. 1223), ouvrit secrètement
sa tombe, en retira les os, les calcina, mêla les cendres avec de l’eau, et les
avala intégralement... Croie cela qui pourra !
184
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Au quatrième mois, Yâng-koang étant revenu en triomphe à Tch’âng-nan,
amena l’empereur prisonnier à Yâng-kien, qui le présenta aux Ancêtres, à la
mode antique. Ensuite assis sur son trône, il fit faire lecture, au prisonnier
prosterné, d’une mercuriale très humiliante. Après cette cérémonie, il lui fit
grâce de la vie... Le fidèle Lòu koang-ta (p. 1254) fut si affecté de cette
scène, qu’il en mourut de chagrin... Yâng-kien donna à Tch’ênn chou-pao des
revenus. Celui-ci demanda aussi un titre. Yâng-kien le lui refusa... Les
nombreux princes du sang Tch’ênn, eurent tous la vie sauve ; mais, afin de
les empêcher de cabaler, Yâng-kien les envoya demeurer dans les provinces
frontières, où il leur assigna des revenus... Puis Yâng-kien récompensa ses
généraux victorieux, ce qui, vu leurs jalousies, ne fut pas chose facile (cf. p.
280.)... A quelque temps de là, un ambassadeur du khan des Turcs étant
venu à Tch’âng-nan, Yâng-kien lui demanda s’il avait jamais entendu parler
de l’empire des Tch’ênn au sud du Fleuve Bleu :
— Voici celui qui en fut l’empereur, dit-il en désignant Chôu-pao.
Puis, désignant Hân k’inn-hou :
— Voici, dit-il, celui qui l’a fait prisonnier.
Hân k’inn-hou roula des yeux si féroces, que le Turc en fut épouvanté, dit
l’Histoire... Yâng-koang ayant, selon sa menace, cherché à perdre Kāo-ying,
Yâng-kien défendit cet officier, et le prit sous sa protection.
—
p.1256
Ne vous affectez pas de ces menées, lui dit-il ; il en sera
de vous comme d’un miroir, qui devient d’autant plus brillant qu’on
le frotte davantage.
L’empire étant refait, et la Chine étant réunie de nouveau sous un sceptre
unique, Yâng-kien promulgua l’édit de pacification suivant :
« Que
désormais
la
guerre
cesse !
Qu’on
s’applique
aux
études ! Qu’on confisque et détruise toutes les armes !
Les officiers ayant demandé à Yâng-kien de consacrer son avènement par
les cérémonies fóng-chán (p. 442), il s’y refusa modestement.
————@————
Pour compléter ce qui précède, et n’avoir pas à nous interrompre dans la
185
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
suite, plaçons ici les notes suivantes :
I. L’Empire Grec d’Orient. Résumé des Kióu T’âng-chou chap.
198, Sīnn T’âng-chou chap. 221...
Fôu-linn
(πολιν,
maintenant
Istamboul
είς
την
πολιν),
Constantinople, l’Empire d’Orient, est l’ancien Tá-Ts’înn, Empire
Romain (p. 756). Il est situé sur la Mer Occidentale. Au Sud-Est, il
confine à la Perse. Au Nord-Est, il confine au territoire des Turcs
Khazars. Le pays est très peuplé. Il y a beaucoup de villes. Les
murailles de la capitale sont en pierres taillées. Elle contient plus de
cent mille feux. Il y a une porte, haute de vingt toises, toute revêtue
de bronze (la fameuse Porte d’airain, surmontée par la statue du
Sauveur). Dans le palais impérial, un homme d’or indique les heures,
en laissant choir des globes sonores. Les édifices sont ornés de
verres et de cristaux, d’or, d’ivoire, et des bois les plus rares. Les
toits sont en terrasse, cimentés. Durant les chaleurs de l’été, des
machines hydrauliques y montent de l’eau, laquelle rafraîchit l’air, en
tombant en nappe devant les fenêtres. Douze patrices assistent
l’empereur dans l’administration des affaires. Quand celui-ci sort du
palais, il est suivi par un homme qui porte un sac, dans lequel chacun
est libre de déposer ses pétitions. Les hommes portent les cheveux
coupés ras, et sont vêtus de robes (toges) brodées, qui laissent le
bras droit nu. Les femmes portent des coiffures en forme de tiare...
Ceux de Fôu-linn estiment beaucoup l’argent. Ils aiment le vin et les
pâtisseries. Chaque septième jour (dimanche), ils chôment... C’est de
ce pays que viennent le byssus, le corail, l’asbeste, et beaucoup
d’autres curiosités. Il y a des jongleurs très habiles, qui crachent de
leur bouche, du feu, des banderoles, des paquets de plumes ; qui
versent de l’eau de leurs mains, et font tomber des perles de leurs
pieds. Il y a aussi des médecins, qui guérissent certaines maladies en
extrayant des vers du crâne (trépan).
II. Mœurs des Turcs, d’après les Soêi-chou chap. 84, et
Théophylacte Simocatta...
186
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ils étaient nomades, se déplaçant avec leurs troupeaux à la
recherche de l’herbe et de l’eau. Ils habitaient des tentes en feutre,
mangeaient de la viande,
p.1257
buvaient du koumys, et s’habillaient
de peaux. Ils avaient une hiérarchie de 28 degrés. Ils étaient armés
de cuirasses, d’arcs en corne, de lances, de sabres et d’épées.
C’étaient des cavaliers et des archers incomparables. Ils n’avaient ni
lettres, ni livres. Ils brigandaient surtout aux environs de la pleine
lune de chaque mois. Leurs lois très simples, se réduisaient à peu
près à ceci : Tout meurtrier, rebelle ou traître, était puni de mort. Le
ravisseur et l’adultère subissaient le supplice de la castration, puis
étaient coupés en deux par le milieu du corps. Peine du talion ou
rachat, pour les coups et blessures. Compensation décuple des vols.
Quand un homme mourait, ses parents lui immolaient des moutons
et
des
chevaux ;
ensuite,
entourant
la
tente
mortuaire,
ils
s’entaillaient le visage, faisaient ruisseler ensemble leurs larmes et
leur sang, et hurlaient des lamentations en chœur ; enfin, le cadavre
étant assis sur celui de son cheval, ils brûlaient cheval et cavalier et
enterraient leurs cendres. C’était une gloire pour eux de périr de
mort violente, et une honte de mourir de maladie dans un lit. Quand
le père mourait, ses fils épousaient toutes ses femmes ; quand un
frère mourait, les frères survivants épousaient toutes leurs bellessœurs veuves. Ils croyaient aux Koèi (revenants), aux Chênn
(génies), et à la magie. Somme toute, leurs mœurs étaient à peu
près celles des Huns leurs aïeux... Le 8e jour du 5e mois, ils se
rassemblaient pour sacrifier aux Chênn. Chaque année ils envoyaient
un haut personnage, à la caverne, demeure supposée de leurs
Ancêtres, pour leur offrir un sacrifice... Ils vénéraient la terre, l’air,
l’eau, et spécialement le feu (emprunt fait aux Perses leurs voisins) ;
mais ils n’adoraient et n’appelaient Dieu, que l’auteur seul du ciel et
de la terre, auquel ils sacrifiaient des chevaux, des bœufs et des
moutons. Ils avaient une caste de prêtres, qu’ils croyaient capables
de prédire l’avenir.
187
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
III.
Turcs
et
Grecs...
Quand
Móu-kan
khan
des
Turcs
Septentrionaux eut détruit les Avars (en 553, p. 1231), le roi
Sassanide de Perse Khosrou Anou-schirwan (Chosroès I) jugeant
l’occasion bonne pour venger son grand-père Firouz (Perosès I) tué
par les Ephthalites en 484 (p. 1198), s’allia avec Istämi, le khan
des Turcs Occidentaux. Il épousa sa fille, entra en campagne, et, de
moitié avec son allié, anéantit l’empire des Ephthalites, entre 563 et
567. Khosrou et Istämi se partagèrent les provinces de cet empire.
L’Oxus devint la frontière entre eux deux. Le Nord (Carte X, 21, 22,
26) échut aux Turcs, le Sud (23, 24) échut aux Perses... Les auteurs
Byzantins et Arabes (Ménandre, Tabari), appellent le khan Istämi
Silziboul, Dilziboul ou Sindjibou, c’est-à-dire le jabgou Sil Dil ou Sin,
appellatif composé de son nom personnel, et du nom turc de sa
dignité.
Or les Grecs, grands consommateurs de soie, n’en produisaient
pas. Toute la soie était produite en Chine. Son commerce était le plus
important et le plus lucratif de l’Asie. Les Grecs étaient, pour cet
article, tributaires des producteurs chinois, et des courtiers persans
ou turcs. Ils essayèrent, il est vrai, de s’affranchir. Sous Justinien I
(527-564), des magnaneries avaient été établies à Byzance, par des
religieux (moines ou bonzes ?) venus du pays de Serinda (Ceylan ou
Kotan ?) d’après Procope ; par un persan revenu du pays des Sères
(la Chine), d’après Théophane de Byzance. Mais la sériciculture ne s’y
développa pas, ou pas assez, paraît-il, car Théophane nous apprend
que, sous l’empereur Justin II successeur de Justinien (565-577), les
Turcs étaient encore les courtiers de la soie entre l’Orient et
l’Occident. La voie de mer, si longue et si périlleuse, ne leur faisait
qu’une très insignifiante concurrence. Justinien avait essayé aussi de
tirer de l’Inde, par mer, la soie que les Chinois y envoyaient par
Kotan. Il avait traité, à cet effet, en 531,
p.1258
avec les Himyarites
(Homérites) de Yemen et avec les Ethiopiens, les poussant à se
charger de ce commerce maritime. Peine perdue ! La soie continua
d’arriver par terre. Or, par terre, il y avait deux voies ; l’une par le
Sud (23), par la Perse ; l’autre par le Nord (21), par les Turcs.
188
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Constatant les grands profits qu’il tirerait du monopole de ce transit,
vers l’an 568 le khan Istämi des Turcs Occidentaux accapara le
marché chinois de Tchāng-ie (Kān-tcheou, y, dans les Nân-chan), et
fit passer la soie à Byzance, par Kachgar, le Terek-davan, la
Sogdiane, le nord de la Mer Caspienne et le Caucase, tous pays
soumis à son influence. Il essaya même d’accaparer l’importation de
la soie en Perse, et envoya comme négociateur, à Khosrou
Anouschirwan, le Sogdien Maniach que Khosrou renvoya. Istämi
ayant envoyé un autre négociateur, Khosrou l’empoisonna. C’est à
partir de ce moment, et pour cette cause, que les Turcs et les Perses,
devenus amis jadis pour détruire les Ephthalites, devinrent mortels
ennemis... Rebuté par les Perses, Istämi choya les Grecs plus
tendrement
encore.
Au
nom
du
khan,
Maniach
partit
pour
Constantinople, où il arriva sous Justin II, en 567, après un voyage
aventureux, par la route indiquée ci-dessus. En 568, Justin le
renvoya à Istämi, accompagné de l’ambassadeur Zémarque de
Cilicie. Celui-ci trouva le khan dans le pays de Koutcha (m). Après
avoir été passé par le feu, comme c’était l’usage des Turcs, pour
détruire tout mauvais influx attaché peut-être à la personne de
l’étranger, Zémarque fut présenté à Istämi, qui était assis sur un
trône d’or, dans une tente tapissée de soie multicolore, et fut honoré
du
koumys
de
bienvenue.
Istämi
emmena
Zémarque
dans
l’expédition qu’il allait faire contre les Perses. On traita à Talas
(Aoulie-ata, 21). Puis Istämi, dont l’autorité s’étendait jusque sur les
Ouïgours de l’ouest du Volga, renvoya Zémarque par ce pays, à
Constantinople, accompagné du tartan Tagma, et sous bonne
escorte, afin qu’il ne tombât pas aux mains des Alains, payés par les
Perses pour l’assassiner... D’autres ambassades suivirent celle-ci. Le
Turc Anankastès (nom grécisé) alla à Constantinople. Les Grecs
Eutychès, Valentin, Hérodien, Paul de Cilicie, visitèrent le khan, à
Talas ou à Koutcha... Valentin fut envoyé par l’empereur Tibère II, en
576, pour renouveler avec le khan Tardou, le pacte conclu par
Zémarque avec feu son père Istämi. Il ramena au khan 106 Turcs qui
se trouvaient à Constantinople. Durant son voyage, une brouille
ayant éclaté entre les Turcs et les Grecs, une armée turque,
189
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
commandée par un certain Bokhan, alla guerroyer jusqu’en Crimée.
Ces conjonctures défavorables furent cause que Valentin ne réussit
pas, et fut abreuvé d’outrages et de mauvais traitements. Le
mécontentement du khan venait probablement de ce que les Grecs
ne faisaient pas la guerre aux Perses avec autant d’ardeur qu’il
l’aurait désiré.
Sous l’empereur Maurice (582-601), les Grecs devenus amis des
Perses, rompirent avec les Turcs. En 591, le roi de Perse Khosrou
Parwiz (Chosroès II le persécuteur), ayant battu le rebelle Bahram
lequel avait à sa solde un corps de Turcs, constata, après la bataille,
que parmi les prisonniers turcs, plusieurs portaient des croix tatouées
sur leurs fronts. Au lieu de les faire fouler aux pieds de ses
éléphants, comme les autres prisonniers, Khosrou les envoya à
Maurice, comme marqués de son signe. Or ces Turcs n’étaient pas
chrétiens. L’empereur leur ayant demandé d’où leur venaient ces
croix, ils répondirent que c’étaient leur mères qui les leur avaient
faites. Alors qu’une terrible épidémie décimait les Turcs, dirent-ils,
des chrétiens demeurant parmi nous, leur avaient persuadé de
marquer de ce signe protecteur leurs enfants, lesquels furent tous
sauvés. Il y avait donc des chrétiens parmi les Turcs, au milieu du 6e
siècle ; fait à noter pour plus tard... En 598, ambassades du khan
des Turcs à l’empereur Maurice, pour renouer des relations,
probablement. Ce khan était encore Tardou, dont le règne fut très
long. Maurice
p.1259
ayant été assassiné par Phocas (602), sous
prétexte de venger son ami et bienfaiteur, Khosrou Parwiz se tourna
contre l’empire, ravagea l’Asie Mineure, prit Jérusalem, enleva la
vraie croix, etc... Héraclius ayant renversé Phocas (610), fit trois
campagnes consécutives contre Khosrou, dans lesquelles il fut
alternativement
aidé
ou
trahi
par
les
Turcs
Khazars,
hordes
dépendantes des Turcs Occidentaux, qui campaient jusque vers la
Crimée. Khosrou ayant été assassiné (25 février 628), les Grecs
respirèrent, pas pour longtemps... Les Arabes étaient entrés en
scène. Le 20 Août 636, la bataille de Yarmouk leur livra l’Asie
grecque ; au commencement de l’année 637, la bataille de Kadesiya
190
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
leur livra la Perse. Yezdegerd III le persécuteur dut fuir. Il erra
longtemps, cherchant à rétablir sa fortune. En 638, Il sollicita l’aide
des Chinois, qui le rebutèrent. Alors il sollicita l’aide des Turcs. Trahi
par ceux-ci, il fut assassiné à Merw, en 651. Avec lui finit la dynastie
des Sassanides. Son fils Firouz se maintint pour un temps à Zereng,
dans le Séistan actuel. Expulsé par les Arabes, il arriva en Chine, à
Tch’âng-nan, en 674, y construisit en 677 un temple de sa religion
mazdéenne, et y mourut peu après. Après une vie d’aventures, son
fils que les Chinois appellent Ni-nie-cheu, mourut aussi en Chine, en
707.
IV. Itinéraires d’Orient en Occident, au début du 7e siècle...
Carte X. Trois routes, partant de Tchāng-ie (Kān-tcheou, y) dans les
Nân-chan.
1. Par le nord de l’Altaï, le lac Barkoul (s), Ouroumtsi (u), le col Talki
et la vallée de l’I-li, à Talas (Aoulie-ata, 20) qui fut pour un temps
résidence du khan des Turcs Occidentaux, puis à Fôu-linn (Byzance),
par le nord des mers d’Aral et Caspienne, par le Caucase et l’Asie
Mineure.
2. Par le sud de l’Altaï, Tourfan (q), Karachar (p), Koutcha (m)
résidence ordinaire du khan des Turcs Occidentaux, Kachgar (I), le
Terek-davan, puis le Ferghana (21), Och, Ouriatioube, Samarkand
(22), Bokhara, Merw (B), au Golfe Persique (H) ; voie peu sûre,
depuis les guerres entre Turcs et Perses, puis entre Perses et
Arabes... La passe de Outch (o, col Bédel) reliait ces deux routes par
Aksou et Tokmak.
3. Par le sud du Lob-nor, pays des Chán-chan (h), à Kotan (j) ; puis,
par
le
Wakhan
(W),
Sirikoul
Tachkourgane
et
Bamian,
dans
l’Afghanistan actuel et la Perse (23, 24) ; ou par le pas de Baroghil,
dans la vallée de l’Indus (T) et vers la mer des Indes.
@
191
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE SOEI. Famille Yâng, 589-617.
L’empereur Wênn,
589 à 604.
Carte XIV — @
p.1260
L’Histoire compte son règne, rétrospectivement, depuis l’année où il
se fit roi de Soêi (581) ; de sorte que cette année 589, date de son
avènement à l’empire, est la neuvième de son règne (cf. p. 274). Tch’âng-nan
resta capitale, provisoirement, et Kién-k’ang fut abandonné, après avoir été
capitale durant 272 ans.
Le règne de Yâng-kien, commença par quelques réformes. Il simplifia le
code, supprimant 81 cas punis de mort, 154 cas punis d’exil, et plus de mille
cas punis de peines moindres. Il ne conserva que cinq cents cas spécifiés,
répartis en douze sections.
Il ordonna ensuite une réforme de la musique, et fit ajouter un huitième
ton à la gamme.
Il fit organiser le peuple par groupes de cent feux. Chaque groupe eut son
centenier.
Au commencement de son règne, Yâng-kien mit beaucoup de soin à bien
choisir les mandarins. L’histoire raconte les gestes édifiants de plusieurs de
ces personnages. Ainsi Sīnn koung-i ayant été nommé gouverneur des pays
situés au pied des monts Mînn-chan (57), constata que, dans ces pays, quand
un homme tombait malade, par crainte de contracter le même mal, tous ses
parents l’abandonnaient et le laissaient mourir sans assistance. Le gouverneur
établit un hôpital, qui fut bientôt rempli. Lui-même examina les malades,
indiqua les traitements, fournit les médicaments, etc. Bien soignés, la plupart
des malades guérirent. Quand ils étaient rétablis, Sīnn koung-i les rendait à
leurs familles, avec ces bons avis :
La vie et la mort dépendant du destin, il ne faut craindre aucune
contagion. D’ailleurs ce péril existe-t-il ? Si les maladies étaient
192
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
p.1261
vraiment contagieuses, il y a longtemps que je serais mort,
moi qui visite sans cesse les malades...
Ces leçons produisirent leurs fruits. Peu à peu les habitants du Mînn-tcheou
apprirent à soigner leurs malades avec charité... Transféré plus tard dans le
Píng-tcheou, Sīnn koung-i se rendit droit à la prison, et interrogea lui-même
tous les détenus. Il expédia ensuite, en moins de dix jours, toutes les causes
pendantes. Depuis lors, il traita le jour même toutes les causes nouvelles.
Comme on lui conseillait de s’en remettre davantage à ses officiers :
— Moi gouverneur, dit-il, comme je n’ai malheureusement pas
assez de vertu pour empêcher mon peuple d’avoir des affaires, je
veux du moins ne jamais me coucher pour prendre mon repos,
laissant
un
malheureux
aux
mains
des
sbires
en
prison
préventive...
Quand on sut cela dans le pays, chaque fois que quelqu’un voulait faire un
procès, les vieillards l’exhortaient, disant :
— Ne donne pas ce mal à notre bon gouverneur !..
Bientôt la plupart des différends s’arrangèrent par voie d’accommodement.
Les pays au sud du Fleuve Bleu, traités un peu en pays conquis par la
nouvelle dynastie, ne lui étaient pas affectionnés, et n’acceptaient pas
volontiers ses lois. En 590, le gouverneur Sōu-wei imagina de faire apprendre
par cœur, à tous les habitants de ces pays, le texte des articles auxquels ils
manquaient le plus souvent. Irrité, le peuple se souleva en armes, et le
gouvernement dut envoyer Yâng-sou avec des troupes, pour réprimer cette
révolte.
En 593, Yâng-kien chargea le même Yâng-sou, de lui construire un palais,
au pied du mont K’î (haute vallée de la Wéi). Yâng-sou s’adjoignit un certain
Fōng tei-i. Ces deux hommes traitèrent d’une manière barbare les dizaines de
milliers d’ouvriers condamnés à cette construction. Beaucoup moururent, et
furent enfouis sommairement.
En 594,
p.1262
une famine épouvantable désolant la vallée de la Wéi,
Yâng-kien envoya voir ce que le peuple mangeait. On lui rapporta un brouet,
fait d’un peu de farine de fèves, et d’une masse de balle de grain. Yâng-kien
193
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pleura de pitié, défendit de servir de la viande sur sa table jusqu’à la fin de la
famine, et continua de bâtir.
Le palais ayant été achevé en 595, Yâng-kien alla le visiter. Il le trouva
trop beau, se fâcha (pour la forme sans doute, cf. p. 290), et gronda Yângsou.
— Ne vous affligez pas, dit à celui-ci son collègue Fông lei-i ;
attendez l’impératrice.
Quand celle-ci fut arrivée et eut vu le palais, elle en fut ravie. Yâng-sou fut
mandé, félicité, remercié, proclamé pieux et dévoué, enfin libéralement
récompensé.
Craignant toujours quelque révolution contre sa dynastie encore mal
assise, en 595 Yâng-kien ordonna de nouveau la confiscation de toutes les
armes existantes aux mains des particuliers. Il eut tort, dit l’Histoire (cf. p.
434), car il mit ainsi son peuple sans défense à la merci des brigands,
lesquels pullulèrent.
Yâng-kien crut remédier à ce nouveau fléau, par des lois atroces contre
les voleurs. Tout vol excédant une sapèque de cuivre ou une mesure de grain,
fut puni de mort. Un jour trois hommes furent exécutés, pour avoir volé
ensemble une pastèque.
Yâng-kien était illettré, rusé et défiant. Il épluchait les mémoires qu’on lui
adressait, et punissait sévèrement tout vice de fond ou de forme qu’il y avait
découvert. Il envoyait des agents secrets offrir des pots-de-vin aux
fonctionnaires, puis faisait décapiter quiconque avait accepté. Il faisait
fustiger ou même décapiter des officiers, à la cour, en sa présence. Les
censeurs lui ayant remontré que cela ne convenait pas, il méprisa leurs
remontrances. Alors les censeurs se présentèrent en corps, pour le supplier
de faire cesser ce scandale. Yâng-kien leur permit
p.1263
d’emporter les
férules ; mais, le lendemain, s’étant fâché contre un officier, il le fit encore
cravacher séance tenante.
Un jour, à l’époque des grandes chaleurs, il ordonna de fustiger et de
décapiter un homme, ce qui a toujours été défendu en Chine. Les censeurs lui
en ayant fait la remarque :
194
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— C’est le temps, dites-vous, où le Ciel multiplie les êtres, leur
répliqua Yâng-kien ; et moi je dis, c’est le temps aussi, où le Ciel
tue beaucoup d’êtres, par les coups de ses foudres ; pourquoi ne
ferais-je pas comme lui ?
Le fils de Siáo mouo-heue ayant trempé dans une révolte, Yâng-kien
voulut faire mourir le père. Le censeur Tcháo-tch’ao s’y opposa...
— Retirez-vous, lui dit Yâng-kien...
— Quand vous m’aurez accordé ma requête, dit le censeur...
Yâng-kien céda... Un autre jour, le même censeur s’étant encore opposé à un
acte de cruauté, Yâng-kien le fit mener au supplice. Au moment où il allait
recevoir le coup fatal, on lui demanda s’il voulait se rétracter.
— Je veux que la justice soit rendue, dit le censeur ; ma vie
m’importe peu...
Yâng-kien le fit mettre en liberté.
Un jour qu’il avait envoyé K’iū t’ou t’oung, officier de sa garde, dans le
Loùng-si (57), pour y examiner l’état de l’élevage des chevaux, celui-ci en
découvrit plus de vingt mille, qui n’avaient pas été déclarés. Furieux, Yângkien allait condamner à mort en bloc le préfet du Loùng-si et ses officiers,
1500 personnes en tout. K’iù-t’ou t’oung intercéda pour eux.
— Des hommes valent plus que des bêtes, dit-il ; ne tuez pas plus
de mille hommes pour quelques milliers d’animaux !..
Yâng-kien l’ayant regardé de travers, K’iū-t’ou t’oung s’inclina et dit :
— Je veux bien mourir, mais graciez ces hommes !..
Touché, Yâng-kien céda.
L’impératrice, une Tongouse Oū-hoan, de la tribu Tôu-kou, jalouse et
p.1264
méchante, terrorisait le harem. Une petite-fille de Ú-tch’eu hoei (p.
1225), ayant gagné les bonnes grâces de l’empereur, l’impératrice la fit
mourir. Furieux, l’empereur monta à cheval, sortit du palais tout seul, et alla
errer dans les montagnes, à plus de vingt lì de la capitale. On courut après
195
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
lui. Kāo-ying et Yâng-sou l’ayant trouvé, saisirent la bride de son cheval et lui
dirent :
— L’empire vaut plus qu’une femme...
L’empereur
revint.
L’impératrice
pleurnicha.
Kāo-ying
et
Yâng-sou
raccommodèrent ce digne couple. L’affaire finit par une joyeuse buverie, dit
l’Histoire.
Au commencement de son règne, Yâng-kien avait donné toute sa
confiance à son héritier désigné le prince Yâng-young. Plus tard l’esprit libéral
du prince lui déplut. Un jour qu’il portait une belle cuirasse du pays de Chòu,
l’empereur lui dit :
— Depuis l’antiquité, tous les princes prodigues se sont perdus.
Deviens plus économe, afin que ton règne soit prospère. Moi qui
suis devenu empereur, j’ai toujours conservé les pauvres objets qui
servaient à mon usage au temps jadis ; ils me servent maintenant
de préservatif contre les tentations de prodigalité. Je te donne mon
sabre et ma vaisselle, afin que ces objets te rendent désormais le
même service.
Au solstice d’hiver suivant, Yâng-young ayant été trop visiblement flatté
des visites que lui firent beaucoup d’officiers courtisans, Yâng-kien fut encore
mécontent. La faveur de Yâng-young déclina sensiblement. Son père se défia
de lui, et le traita froidement.
Yâng-young aimait les femmes. Il en avait un grand nombre. Il préféra
l’une de ces concubines, à la femme en titre qui lui avait été donnée par
l’impératrice. Cette femme mourut. L’impératrice soupçonna le prince de
l’avoir supprimée, le prit en grippe, et le fit espionner, afin de lui découvrir
des péchés.
Le roitelet Yâng-koang, ambitieux et intrigant, ayant constaté
p.1265
le
refroidissement de l’empereur et de l’impératrice pour son frère Yâng-young,
se mit à les caresser tous deux pour capter leur bienveillance. Il caressa
pareillement leurs familiers et conseillers. Quand l’empereur ou l’impératrice
le visitaient, Yâng-koang cachait ses jolies concubines, ne laissant en
évidence que quelques vieilles laides. Modestement vêtus, lui et sa femme
196
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
s’épuisaient en témoignages de piété filiale. Leur mobilier était des plus
simples. Les instruments de musique suspendus aux murs, étaient couverts
de poussière et veufs de leurs cordes, preuve qu’on n’en jouait pas. Cette
austérité de vie plut à l’empereur, qui préféra bientôt Yâng-koang à tous ses
autres fils. De son côté l’impératrice prit la ferme résolution de le substituer à
Yâng-young.
Sentant la partie gagnée, Yâng-koang demanda à son conseiller Ù-wenn
chou comment faire pour brusquer la solution.
— Il vous faut, pour cela, dit le conseiller, vous bien mettre avec
Yâng-sou. Son frère cadet Yâng-yao, qui est mon ami, vous servira
d’introducteur...
Yâng-koang remit à Ù-wenn chou de riches présents pour Yâng-yao. Celui-ci
se chargea de la commission. Yâng-sou qui ne demandait pas mieux que
d’avoir un jour un maître de sa façon, accepta de patronner Yâng-koang.
Désormais, surtout devant l’impératrice, il ne laissa perdre aucune occasion
de faire l’éloge de son protégé, et de mal parler du prince impérial.
— Que vous dites vrai ! dit un jour l’impératrice, en pleurant...
puis elle le pria de chanter la même antienne à l’empereur. Celui-ci le chargea
de rechercher les péchés secrets du prince. Comme Yâng-sou devait en
trouver, il en trouva, bien entendu. Il accusa le prince d’être mécontent du
gouvernement de son père, et impatient de lui succéder. L’impératrice
suborna aussi de faux témoins, qui accusèrent le prince de machinations
magiques, destinées à hâter
p.1266
son avènement. Toutes les délations étant
bien payées, les délateurs ne manquèrent pas. Enfin l’empereur dit
publiquement :
— Ce garçon-là n’est pas fait pour me succéder. L’impératrice me
l’a dit bien souvent. J’espérais qu’il s’amenderait. J’ai assez
patienté. Si je différais davantage, il pourrait arriver des malheurs.
Je vais le dégrader, pour assurer la paix de l’empire...
Un certain Kī-wei ayant accusé le prince de faire beaucoup consulter les sorts,
et d’avoir dit « le destin de mon père est de mourir la dix-huitième année de
son règne »...
197
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Quel être dénaturé ! dit l’empereur en gémissant...
Le prince fut appelé à la cour. L’empereur le reçut avec un appareil
formidable, revêtu de ses armes, entouré de ses gardes, des ministres et des
princes du sang. Le faisant tenir debout devant lui avec tous ses fils (cf. p.
497), il fit promulguer sa déchéance et celle de ses enfants. Tous étaient
dégradés et mis au rang du peuple... L’ex-prince se prosterna, puis se retira
en sanglotant et titubant comme un homme ivre. Sauf les intrigants qui
avaient machiné sa perte, tous les assistants plaignirent son sort... Quand il
fut sorti, le bénéficiaire de ce coup d’État, Yâng-koang, fut proclamé prince
impérial. Yâng-young fut enfermé dans la prison du palais (600)... Ce jour-là,
la terre trembla, signe de la colère du Ciel, présage de la ruine future. Cet
avertissement était on ne peut plus clair, dit l’Histoire ; mais Yâng-kien ne le
comprit pas.
En 602, l’impératrice étant morte, le prince impérial Yâng-koang, qui lui
devait sa fortune, la pleura, devant l’empereur et la cour, avec des
hurlements tels, qu’on crut qu’il allait rendre l’âme. Rentré ensuite dans ses
appartements, il mangea but parla et rit, comme si de rien n’était. Quand il
devait veiller près du cercueil (rites), il emportait, sous ses vêtements, de la
viande cachée dans un bambou creux bouché avec de la cire, qu’il mangeait
ensuite
p.1267
furtivement. — A l’occasion de ce premier décès dans sa
famille, Yâng-kien fit chercher un emplacement faste pour le cimetière de sa
dynastie. Chargé de cette opération, le géomancien Siáo-ki découvrit un
terrain, dont les émanations promettaient aux Soêi un règne de 200
générations et de 3000 années... C’était par trop beau.
— La prospérité et l’adversité dépendent de la conduite des
hommes, non de la situation de leur cimetière,
dit Yâng-kien, sans croire ce qu’il disait, car il acheta le terrain... En
particulier, le devin Siáo-ki dit à un ami :
— Par souci de ma renommée, je vais te dire la vérité. J’ai prédit
jadis à Yâng-koang, qu’il deviendrait prince impérial ; cela s’est
réalisé. Je lui ai prédit ensuite, qu’il serait empereur dans quatre
ans ; cela se réalisera. Maintenant, je te confie à toi, que cet
homme ruinera la dynastie. Ses méfaits réduiront à 2 générations
198
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
les 200, et à 30 années les 3000 promises par le destin. Retiens
cela !..
Ces devins étaient de curieux personnages. Se prenaient-ils au sérieux ? Le
fait est que leur influence sur l’opinion publique, était un facteur avec lequel il
fallait compter en politique.
Chez les T’ou-kou-hounn, en 591, mort du vieux khan centenaire K’oā-lu.
Son fils Chéu-fou, celui à qui Yâng-kien avait jadis offert des leçons de piété
filiale (p. 1248), lui succéda.
Chez les Turcs Septentrionaux, le khan Tch’óu-louo-heou étant mort
presque aussitôt après sa victoire, en 587, son neveu Yoùng-u-lu (p. 1248)
monta sur le trône, et devint le khan Tōu-lan. Or la khatoun Ù-wenn, adoptée
par Yâng-kien (p. 1247), continuait à intriguer et à comploter, pour arriver à
venger sur lui la ruine de sa famille. Elle poussait le khan Tōu-lan à faire la
guerre à l’empire. Yâng-kien qui l’apprit, envoya en 593 Tchàng-sounn cheng,
pour mettre le khan en garde contre les manœuvres de cette femme.
p.1268
En Turc pratique, pour faire plaisir à Yâng-kien, Tōu-lan supprima la khatoun.
En 597, un second khan, T’óu-li, s’éleva parmi les Turcs Septentrionaux.
Fidèle au principe fondamental de la politique chinoise, le balancier à deux
pistons, Yâng-kien reconnut T’óu-li au même titre que Tōu-lan, et lui fournit
aussi une princesse (il en avait pour tout le monde). Tōu-lan fut vexé, mais
qu’y faire ? Désormais Tōu-lan et T’óu-li s’espionnèrent et se contrecarrèrent
l’un l’autre, si bien que les Chinois n’eurent plus qu’à se croiser les bras.
En 597, les Tongouses T’ou-kou-hounn assassinèrent le khan Chéu-fou, et
mirent son frère Fôu-yunn à sa place.
En 599, le khan turc T’óu-li fit savoir que le khan Tōu-lan projetait une
incursion dans l’empire. Aussitôt trois armées impériales prirent le chemin du
nord. Averti du danger, Tōu-lan s’allia avec Tá-t’eou (Tardou), le khan des
Turcs Occidentaux. A eux deux, ils tombèrent sur T’óu-li, et le battirent à
plate couture. T’óu-li se sauva la nuit, avec le conseiller chinois qui résidait
auprès de lui, et cinq cavaliers seulement. Le lendemain ils racolèrent
quelques centaines d’hommes. T’óu-li courut jusqu’à Tch’âng-nan, où Yâng-
199
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
kien le reçut à bras ouverts. Cependant les armées chinoises entraient en
contact avec celles des deux khans confédérés. Kāo-ying battit Tōu-lan, et lui
donna la chasse durant plus de 700 lì. Yâng-sou se heurta à Tá-t’eou. Se
croyant sûr de vaincre, celui-ci descendit de cheval, adora le Ciel, et le
remercia de lui avoir livré ses ennemis. Puis, à la tête de cent mille cavaliers,
il attaqua avec impétuosité. Yâng-sou le reçut chaudement, et le défit
complètement, après un grand carnage.
Cependant Yâng-kien choyait T’óu-li. Il lui fit épouser une princesse,
l’appela K’ì minn (le Civilisateur), et l’établit dans la province chinoise de
p.1269
Choúo-tcheou (13). Là, petit à petit, plus de dix mille Turcs vinrent se
donner à lui. L’empereur lui fit construire le douar de Tá-li-tch’eng. Il lui
concéda peu à peu tout le nord de l’anse du Fleuve Jaune (14), territoire
actuel des Ordos, et fit protéger ses établissements, contre les entreprises du
redoutable Tá-t’eou, par vingt mille hommes de troupes chinoises.
L’empereur préparait une seconde expédition contre Tōu-lan, quand celuici fut assassiné par les Turcs Septentrionaux. Alors Tá-t’eou se décerna le
titre de khan suprême de tous les Turcs. Son ambition causa encore plus de
désordre parmi les Turcs, et Septentrionaux et Occidentaux. La conséquence
de ces troubles fut que beaucoup de Turcs se joignirent à ceux qui vivaient en
paix avec la Chine, sous le khan T’óu-li.
En 600, incursion de Tá-t’eou dans l’empire. Quatre armées chinoises
marchèrent contre lui. Tchàng-sounn cheng, que nous connaissons, ayant
empoisonné une source, beaucoup de Turcs périrent. Ils furent si effrayés,
qu’ils décampèrent durant la nuit. Tchàng-sounn cheng les poursuivit et en
tua un millier. Chèu wan-soei leur infligea aussi une sérieuse défaite.
Après ces victoires des Chinois, le mouvement de soumission des Turcs
s’accentua. Durant l’année 601, 90 mille Turcs passèrent à T’óu-li et aux
Chinois.
En 602, incursion des officiers de Tá-t’eou dans les Réserves de ces
protégés. Aussitôt les armées impériales entrèrent en campagne, rattrapèrent
les maraudeurs, les défirent, leur reprirent les prisonniers et le bétail.
200
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ces défaites successives, ruinèrent le prestige de Tá-t’eou. En 603, son
pouvoir fut anéanti, d’un seul coup, par la révolte des tribus Tölös (Ouïgours
de l’Altaï) de son obédience. Il dut fuir chez les T’ou-kou-hounn (Koukou-nor),
et mourut probablement peu après, car, à cette date, il disparaît de l’histoire,
laquelle reparlera plus tard de ses
p.1270
descendants. Grâce à la politique des
Chinois, à son tour T’óu-li, leur ami, régna sur presque tout le territoire des
Turcs.
@
Culte... Il éprouva, sous l’empereur Wênn, de singulières vicissitudes...
L’empereur commença par être approximativement Confuciiste. En 593, il
interdit, sous des peines grièves, la cabale taoïste, et toute divination, pour la
raison que nous avons déjà dite bien souvent ; il craignait qu’on ne lui
découvrît un successeur prédestiné.
La même année, il voulut faire construire un Ming-t’ang à la mode
antique, c’est-à-dire une salle devant servir aux grandes cours plénières et
aux sacrifices officiels. Les Annalistes feuilletèrent les vieux bouquins. De
leurs recherches sortit un modèle en bois, œuvre de Ù-wenn k’ai. L’empereur
ordonna de l’exécuter. Mais les lettrés, toujours les mêmes (p. 460),
trouvèrent tant à y redire, que cette exécution fut ajournée indéfiniment.
En 594, Yâng-kien chargea un membre survivant de chacune des
dynasties précédentes Ts’î Leâng Tch’ênn, d’offrir aux empereurs défunts de
sa propre dynastie les sacrifices annuels, et fit fournir par le gouvernement la
vaisselle et les provisions nécessaires à cette fin.
Plus tard, l’empereur se laissa influencer par l’occultiste Wâng-chao,
lequel lui fit croire à toute sorte de signes fastes pour sa dynastie, et
composa, à son usage, une compilation cabalistique intitulée Lîng-kan-tcheu,
en trente chapitres. L’empereur fit savoir ces choses à tout l’empire. Les
incantations et divinations du magicien, finirent par lui plaire beaucoup. N’estil pas curieux, dit le commentateur, de voir cet homme qui, un an
auparavant, avait prohibé la cabale, s’en servir un an après ? Fut-ce
inconséquence ? Non !.. Parvenu au pouvoir, comme par hasard, sans être ni
connu ni aimé du peuple, Yâng-kien
p.1271
craignit d’abord que les magiciens
ne lui découvrissent un remplaçant ; il interdit donc la cabale. Plus tard il
201
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
l’autorisa, quand elle le proclama cher au Ciel et digne du trône, quand elle
découvrit des signes favorables pour lui. En tout cela, nulle conviction ; tout
fut calcul. Il voulait léguer l’empire à ses descendants, et prohibait ou
approuvait la cabale, selon qu’elle était hostile ou favorable à ses vues. Aussi
le commentateur termine-t-il par une bordée d’injures à l’adresse de cet
égoïste.
En 595, l’empereur visitant les provinces orientales, offrit un sacrifice au
Ciel sur le mont T’ái-chan. Une sécheresse intense désolant alors l’empire, il
s’accusa, sur la montagne, de ses péchés, à la mode antique (p. 58). Il
employa, dans ce sacrifice au Ciel, les rites du sacrifice dans la banlieue du
sud.
En 598, interdiction spécifiée de quelques maléfices nouveaux, ou plutôt
de quelques formes nouvelles de l’envoûtement, usité dès le temps des
premiers Hán (p. 469). T’oûo, frère de l’impératrice Tôu-kou (p. 1263), avait
une esclave, laquelle possédait l’art de faire tuer les gens, non par des loupsgarous, mais par des chats-garous, qu’elle évoquait à son gré. Elle savait
aussi donner des cauchemars, des maladies de langueur, etc. Toujours la
même chose ; le mauvais œil, quoi !.. L’impératrice Tôu-kou et Madame
Yâng-sou étant tombées malades, les médecins de la cour déclarèrent, pour
des raisons tout autres que médicales, qu’elles avaient le diable au corps. Les
soupçons, savamment dirigés, se portèrent sur T’oûo. Convenablement
torturés, lui et ses gens confessèrent que leurs chats-garous étaient cause de
ces maladies. Les juges demandèrent la mort des inculpés. L’impératrice
chercha à sauver son frère.
— S’il avait fait du mal à d’autres, dit-elle, je demanderais que la
justice suive son cours ; mais puisqu’il n’en a fait qu’à moi, je
demande sa grâce.
L’empereur commua la peine, mais proscrivit par
p.1272
un nouvel édit, sous
peine de bannissement, l’exercice de la magie noire. Il aurait dû opposer à
ces pratiques, disent les commentateurs, l’instruction et l’amendement des
mœurs. En cette matière, proscrire ne suffit pas. Il fit bien, mais ne fit pas
assez.
202
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En l’an 600, premiers signes de la conversion de Yâng-kien au
Buddhisme, qui fut la religion du reste de sa vie. Il défendit, par un édit, la
destruction des statues et images buddhiques. Il fit mettre à mort des
hommes qui avaient contrevenu à cette défense, dit le commentateur, en
ricanant, comme si la vie d’un homme ne valait pas plus qu’une image.
Par suite de son Buddhisme, Yâng-kien devint hostile au Confuciisme. En
601, après avoir fait faire une enquête dans l’empire, fort de la prédominance
du Buddhisme parmi le peuple, il supprima d’un seul coup toutes les écoles de
l’empire, à l’exception d’une seule, l’école du palais, dont les élèves furent
réduits à 70, tout juste ce qu’il fallait pour recruter les Annalistes. On n’est
pas plus radical ! Aussi les Lettrés jettent-ils feu et flammes, et déclarent-ils
que l’empereur Wênn des Soêi ne valut guère mieux que le Premier Empereur
des Ts’înn. L’empereur Suān des Ts’iên-Hán maltraita les Lettrés (p. 534),
disent-ils. L’empereur Wênn des Soêi les traita comme des malfaiteurs. Aussi
la mémoire de ces deux hommes puera-t-elle (sic) dans les siècles des
siècles.
Encore en 601, l’empereur sacrifia au Ciel, dans la banlieue du sud. Cette
fois, pensez-vous, les Lettrés durent être contents de lui. Du tout ! Ils font
des gorges chaudes. Car l’empereur offrit ce sacrifice, pour remercier le Ciel
des signes fastes, que le magicien Wâng-chao lui faisait accroire. Faire savoir
ces signes au peuple, disent-ils, c’était se moquer du peuple ; en remercier le
Ciel, c’était se moquer du Ciel.
p.1273
Cependant le prince impérial Yâng-koang trouvait que son père
vivait trop longtemps. En 602, il fit faire son portrait, y écrivit son nom, lui lia
les mains, lui perça le cœur, et l’enterra dans le palais (envoûtement, cf. p.
1121).
En 604, l’empereur tomba malade. Sans l’affirmer expressément,
l’Histoire insinue, à son ordinaire, que ce fut vraiment par suite de ces
maléfices... Au septième mois, Yâng-kien prit congé de ses officiers, leur
serra la main et soupira... Sa femme favorite Tch’ênn suan-hoa le servait
affectueusement... Le prince impérial s’établit au palais. Yâng-sou son âme
damnée, Liòu-chou et Yuân-yen, se constituèrent les gardes-malade du père
agonisant. Le fils et Yâng-sou commencèrent leurs préparatifs. Le moribond
203
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
l’ayant appris, en fut très affecté. Au matin, la dame Suān-hoa qui avait veillé
toute la nuit, se rendant à ses appartements pour mettre ordre à sa toilette,
rencontra le prince qui lui tint des propos inconvenants, et dut s’échapper de
ses mains. Elle rentra dans la chambre du mourant, encore tout émue.
— Qu’avez-vous ? lui demanda l’empereur...
Elle lui conta ce qui venait d’arriver... Indigné, Yâng-kien frappa sur le bord
de son lit et dit :
— J’ai élevé une brute ! L’impératrice Tôu-kou m’a trompé !..
Puis, appelant Liòu-chou et Yuân-yen :
— Introduisez mon fils, leur dit-il...
Comme ils appelaient Yâng-koang :
— Pas celui-là, dit le mourant, mais Yâng-young (le prince dégradé
et prisonnier)...
Liòu-chou et Yuân-yen étant sortis de l’appartement pour exécuter cet
ordre, Yâng-sou les arrêta, et avertit en hâte Yâng-koang du danger qu’il
courait. Celui-ci fit aussitôt fermer les portes du palais et appela la garde aux
armes. Puis il fit sortir toutes les femmes de l’appartement de l’empereur, et
chargea Tchāng-heng de le servir (de l’achever). Un instant après que cet
homme fut entré dans sa chambre,
p.1274
Yâng-kien expira. Cette mort subite
fit beaucoup parler (l’opinion unanime des historiens, est que Yâng-koang fit
assassiner son père)... Avant le soir de ce jour, Yâng-koang fit remettre à la
dame Tch’ênn suan-hoa une petite cassette. Elle pensa d’abord que c’était le
poison avec lequel elle devait se suicider. Quand elle l’eut ouverte, elle y
trouva une déclaration d’amour. Elle allait protester, quand ses servantes
l’adjurèrent de ne pas les perdre avec elle. Elle accepta donc, et fut épousée
cette
nuit-là
même...
Le
lendemain,
annonce
officielle
du
décès,
et
avènement de Yâng-koang. Aussitôt, sur un ordre supposé émané du père
défunt, le nouvel empereur commanda à son frère Yâng-young de se suicider
(cf. p. 225).
L’Histoire ajoute, à cette page hideuse, le panégyrique suivant de Yângkien : Il était austère, sévère, appliqué au gouvernement. Très économe,
204
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ennemi de tout gaspillage, il récompensait cependant le mérite libéralement.
Il aima le peuple, fut plein de sollicitude pour l’agriculture, et exigea le moins
d’impôts possible. Il faisait raccommoder ou laver les habits et objets à son
usage. Pour ses repas particuliers, il se contentait d’un ragoût. Il ne
permettait à ses femmes, que des étoffes susceptibles d’être lavées. Il fit la
guerre aux bijoux et aux breloques, si bien que, pour un temps, l’or et le jade
furent dépréciés, et qu’on fit les agrafes de ceinture (le principal bijou chinois)
en cuivre fer os ou corne. L’empire prospéra sous sa ferme administration. Au
commencement de son règne, il n’y trouva que quatre millions de familles
(entre 20 et 25 millions d’âmes). A la fin de son règne, il y en avait près de
neuf millions (environ 50 millions d’âmes). Comparez ces chiffres, avec ceux
indiqués page 873... Le malheur fut que Yâng-kien était soupçonneux et
crédule. Par suite de ce vice, beaucoup de ses officiers les plus méritants
finirent misérablement
p.1275
(p. 1262) ; ses frères et fils furent traités par lui
comme des ennemis.
@
205
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Yâng,
605 à 618.
@
Ce fratricide et parricide ne pouvant pas convenablement régner sur le
théâtre de ses crimes (Tch’âng-nan), transporta sa capitale à Láo-yang.
Il chargea Yâng-sou, qui avait déjà bâti le palais de Tch’âng-nan, on sait
comment (p. 1262), de lui bâtir un nouveau palais à Láo-yang. Yâng-sou
leva, pour cette entreprise, plus de deux millions d’hommes. L’empereur qui
aimait le luxe et le faste, attira, à sa nouvelle capitale, tous les gros
marchands de l’empire. Il fit aussi ramasser tous les matériaux rares, bois,
pierres ; toutes les curiosités, animaux, plantes ; le tout pour l’ornementation
de son palais et de son parc. — Ce parc eut 200 lì (120 kilomètres) de tour. Il
contenait un lac artificiel de 10 lì (9 kilomètres) de tour, duquel émergeaient
les trois îles des Immortels (p. 444), hautes de cent pieds, et couvertes de
pavillons magnifiques. Le long d’une sorte de rivière, qui débouchait dans le
lac, l’empereur fit bâtir seize villas séparées pour ses femmes. On y abordait
en barque. Tout ce qu’on peut imaginer de luxueux, était prodigué dans ces
demeures et dans les jardins qui les entouraient. En automne, à la chute des
feuilles, on y garnissait les arbres et arbustes, de feuilles et de fleurs en
étoffe et en papier. Le lac était aussi orné de lotus artificiels, qu’on remplaçait
quand leur couleur passait. Le plaisir de l’empereur était de naviguer sur le
lac, ou de courir le parc à cheval, durant les nuits éclairées par la lune, avec
une
bande
de
plusieurs
milliers
de
filles,
faisant
des
vers
et
chantant des chansons.
C’est pour les voyages de plaisir de cet empereur, que fut créé le réseau
des canaux de la Chine. Je dis canaux ; il faut s’entendre. N’allez pas
imaginer qu’on les tira en ligne droite, d’un point à un autre, comme cela se
p.1276
pratique en Europe. Non. On raboutit les fleuves et les rivières, aux
endroits les plus commodes, de manière à pouvoir passer, tant bien que mal,
des uns dans les autres, et voilà tout. Œuvre sans idée ni plan, faite de pièces
et de morceaux, destinée à servir un moment, née d’un caprice, délaissée
ensuite pour une autre lubie, more sinico. Quand l’empereur Yâng eut fini de
206
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
se promener, sauf quelques tronçons qui furent entretenus pour intérêt local,
le reste s’envasa vite, et il n’eut fut plus question. Les anastomoses
principales
du
système,
existaient
d’ailleurs
avant
lui.
Bref,
on
fit
communiquer le Fleuve Jaune avec le Hoâi par la Pién et la Séu, puis le Hoâi
avec le Fleuve Bleu, ce qui permit à l’impérial canotier d’aller en barque de
Láo-yang à Kiâng-tou (Yâng-tcheou, n), haut fait que nous avons vu exécuter
par T’âo-p’ei dès l’an 224 (cf p. 836 et Carte XI). L’empereur chercha à se
donner une belle face, en annonçant, par un édit, qu’il allait voyager, afin de
communiquer avec son peuple, comme les grands souverains de l’antiquité. Il
fit construire, au sud du Fleuve Bleu, une flotte de bateaux-dragons, et des
myriades de jonques de transport. Les voies fluviales que le cortège impérial
devait suivre, furent bordées d’un chemin de halage planté de saules.
Quarante palais furent espacés sur le trajet de Láo-yang à Kiāng-tou, pour
servir à la cour de lieux de repos. Onze cent mille hommes furent
réquisitionnés pour corvées. Près de la moitié mourut à la peine, dit l’Histoire.
En 605, premier voyage de l’empereur vers le Fleuve Bleu. Il montait un
bateau-dragon à quatre étages, haut de 45 pieds, long de 200 pieds. A
l’étage supérieur, étaient la salle du trône et les appartements de l’empereur.
Au deuxième étage, il y avait 120 chambres luxueusement ornées (le harem).
Les étages inférieurs étaient affectés aux
p.1277
gens de service. L’impératrice
montait un bateau analogue. Des milliers de jonques portaient les princes et
les princesses du sang, les grands officiers, les eunuques et les femmes de
service, des bonzes et des táo-cheu, enfin les ambassadeurs ou résidents des
nations étrangères. Cette flotte était halée par 80 mille hommes, vêtus
d’uniformes à ramages. La garde impériale avait aussi ses jonques. En tout,
le cortège couvrait, sur la rivière, une longueur de 200 lì. Une haie de
cavaliers marchait, des deux côtés de l’eau, à la hauteur des barques. Dans
un rayon de 500 lì, sur les deux rives, les mandarins devaient apporter les
vivres nécessaires. Ces provisions furent en grande partie gaspillées par les
gens de la cour.
Pour charmer les loisirs de ce voyage, l’empereur s’occupa du costumier
de sa cour, Il imagina d’abord d’orner de plumes les robes de ses dames. Ces
207
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
plumes furent demandées aux mandarins, qui mirent leurs peuples en
campagne. Grand massacre de tous les volatiles. A ce propos, l’Histoire
raconte sérieusement la célèbre anecdote que voici : A Oū-tch’eng (Tchéekiang), un arbre haut de plus de cent pieds, portait un nid de grue. La mère
couvait. Pour avoir ses plumes, le peuple se mit en devoir d’abattre l’arbre.
Par amour pour ses petits, la mère se pluma elle-même, et jeta ses plumes à
terre.
Reparti de Kiāng-tou au deuxième mois de l’an 606, au quatrième mois
l’empereur rentra à Láo-yang. Il y fit une entrée triomphale, comme il
convenait, après cet exploit de canotage, et accorda une amnistie à l’empire.
Puis, poursuivant son œuvre de costumier, il fit habiller les fonctionnaires
supérieurs en violet, les inférieurs en rouge, les petits officiers en vert, le
peuple en blanc, les marchands en noir, et l’armée en jaune.
Cependant l’empereur se défiait de Yâng-sou, l’auteur de sa fortune
p.1278
(p. 1265). En 606, le Grand Astrologue ayant annoncé qu’il s’élevait des
émanations de mort du pays de Tch’òu, l’empereur nomma aussitôt Yâng-sou
au gouvernement de ce pays, pour l’en faire bénéficier. Comprenant que si les
miasmes l’épargnaient, la potion classique lui serait envoyée à brève
échéance, Yâng-sou préféra se laisser mourir de faim.
Encore en 606, l’empereur fit construire deux immenses magasins à
provisions. Le premier, près de l’embouchure de la Láo, eut 20 lì de tour, et
contenait trois mille puits secs. Le second, près de la capitale, eut 10 lì de
tour, et contenait trois cents puits secs. Chaque puits pouvait contenir 80
mille boisseaux de grain.
En 607 et 608, réparation de la Grande Muraille, au nord du Chān-si et du
Heûe-pei actuels. Douze cent mille hommes furent affectés à cette corvée.
En 605, expédition ou plutôt brigandage dans le Tonkin. Des officiers
ayant raconté que le royaume de Lînn-i (Tonkin, Annam, Cambodge) était
riche en objets rares et précieux, et les armées impériales n’ayant alors rien à
208
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
faire, l’empereur envoya Liôu-fang faire une razzia dans ce pays. Pris au
dépourvu, le roi Fân-tcheu essaya en vain de défendre les passes. Il dut se
replier, et Liôu-fang passa le Song-koï. Les troupes de Fân-tcheu s’étant
ensuite concentrées, les Chinois s’arrêtèrent, surtout par peur des éléphants
de guerre cambodgiens. Enfin Liôu-fang s’en tira, par le procédé suivant.
Ayant fait creuser des lignes de fosses couvertes de branchages et d’herbe, il
fit mine de battre en retraite. Les éléphants chargèrent, tombèrent dans les
fosses, furent criblés de traits d’arbalète, se retournèrent furieux contre
l’armée cambodgienne et la mirent en désordre. L’armée de Liôu-fang les
p.1279
suivit au pas de charge, et fit du désordre une déroute complète.
L’armée chinoise dépassa de huit journées de marche le monument élevé par
Mà-yuan en l’an 42 (p. 661), et arriva jusqu’à la capitale (peut-être Vinh). Le
roi Fân-tcheu se sauva sur mer. Liôu-fang prit et pilla la ville. Dans le temple
royal, il enleva dix-huit statues d’or (arhans ou ancêtres). Enfin il reprit le
chemin du nord, après avoir élevé une stèle en mémoire de son expédition.
Durant le retour, près de la moitié de ses soldats moururent de plaies qui leur
vinrent aux jambes. Liôu-fang mourut aussi de maladie.
Encore en 605, les Tongouses K’í-tan du Nord-Est (7) ayant fait une
incursion dans l’empire, l’empereur chargea le général Wêi-yunn de les
châtier, au moyen de troupes turques, à prendre dans les réductions du khan
T’óu-li. Le khan fournit vingt mille cavaliers, que Wêi-yunn divisa en vingt
escadrons, auxquels il défendit de fusionner, pour éviter le désordre ordinaire
aux nomades. En marche, les escadrons se suivaient à un lì de distance,
partant au son du tambour, s’arrêtant au son de la trompe... Les K’í-tan
n’étant pas en guerre avec les Turcs, et ceux-ci leur ayant fait croire qu’ils
marchaient contre les Coréens, Wêi-yunn put arriver jusqu’à 50 lì de leur
douar sans que les K’ í-tan suspectassent ses intentions. Fondant sur eux à
l’improviste, il massacra les adultes, partagea avec les Turcs les enfants et les
troupeaux, et revint triomphant. L’empereur fut fort content.
Jadis, quand le khan Tch’óu-louo-heou eut fait prisonnier le khan Tá-louopien (en 587, p. 1249), les hordes de Tá-louo-pien se donnèrent pour chef un
209
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
petit-fils de Tardou, qui fut le khan Nî-li. Celui-ci étant mort, son fils le khan
Tch’óu-louo lui succéda. La mère de ce khan était une Chinoise, dont
p.1280
le
nom de famille était Hiâng. Après la mort de Nî-li, cette dame avait été
épousée, à la mode turque, par le frère cadet de son défunt mari. Elle revint
en Chine, à Tch’âng-nan, vers l’an 600, et y resta. Le khan Tch’óu-louo fixa
sa résidence ordinaire à Talas (Aoulie-ata). Sa dureté et ses violences firent
révolter contre lui beaucoup de hordes tributaires. En particulier les
principales hordes de race hunne des Tölös (futurs Ouïgours, les K’i-pi, les
Syr-Tardouch, et autres), rompirent avec lui. Ce peuple pillard avait des
mœurs presque identiques à celles des Turcs. Il n’avait pas de Grand Khan,
mais des chefs de horde appelés Séu-kinn. Faibles par suite de ce manque
d’unité, les Tölös étaient tributaires des Turcs Septentrionaux et Occidentaux.
En 605, le khan Tch’óu-louo les soumit en détail. Ayant battu les SyrTardouch, il réunit leurs notables, sous prétexte de traiter, et les massacra.
Cette trahison souleva la nation entière des Tölös, qui se coalisant, se donna
pour premier Grand Khan le Séu-kinn de la horde K’i-pi Moúo-heue, et pour
khan en second le Séu-kinn de la horde Syr-Tardouch. Entrés en campagne,
les Tölös battirent Tch’óu-louo. Fiers de ce succès et devenus une puissance,
ils s’attachèrent au brave Moúo-heue, qui se fit redouter de tous ses voisins.
Ceux de Khami, Tourfan et Kharachar, se soumirent à lui.
En 607, T’óu-li le khan des Turcs amis, vint faire sa cour à Láo-yang. Ce
voyage avait pour but de préparer un voyage de l’aventureux empereur Yâng
dans les pays du nord. Au sixième mois, il se mit en route. Le peuple de dix
préfectures, au nord du Fleuve, fut levé pour lui frayer un chemin, par monts
et par vaux. Arrivé à la Grande Muraille (dans la boucle), avant de pénétrer
dans le pays actuel des Ordos (14) où se trouvaient les réductions de T’óu-li,
il donna à celui-ci avis de son approche. T’óu-li réunit ses hordes, et fit, dans
son douar, les
p.1281
préparatifs de réception. Sis dans la prairie, le douar
était plein d’herbe. L’envoyé chinois jugea que, par honneur pour l’empereur,
il fallait enlever au moins celle qui poussait autour de la grande tente ; mais
comment dire cela au khan ? Le malin Chinois s’en tira.
— Ce sont là des plantes aromatiques, n’est-ce pas ? dit-il au khan,
en désignant l’herbe...
210
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Du tout, dit le khan ; c’est de l’herbe...
— Nous autres Chinois, dit l’envoyé, nous ne laissons autour des
palais impériaux que des plantes aromatiques ; mais, qu’à cela ne
tienne ! je dirai à l’empereur que ce sont là les plantes aromatiques
des Turcs...
Aussitôt le khan et les nobles, tirant leurs poignards, se mirent à déraciner
eux-mêmes les herbes... L’empereur franchit les portes de la Grande Muraille,
à la tête de 500 mille cuirassiers. Le cortège, bagages compris, avait mille lì
de long. Là où l’empereur campait, on dressait autour de lui, pour la nuit, une
ville peinte sur toile, immense décor de théâtre qui avait deux mille pas de
tour. Quand les nomades, tenus à distance respectueuse, virent cette
merveille, ils crurent tous que les Chinois étaient Chênn... L’empereur visita le
khan dans sa tente. Celui-ci but à la santé de son hôte. Tous les nobles turcs
entouraient la tente, très impressionnés par la majesté du spectacle.
L’empereur fut très content... L’impératrice, qui était du voyage, visita de
même la khatoun...On festoya durant trois jours, on se fit des présents
réciproques, puis l’empereur prit le chemin du retour.
Tchāng-ie (Kān-tcheou) était alors l’entrepôt du commerce des peuples du
Tarim avec la Chine. L’empereur qui, comme nous avons vu, aimait les
curiosités jusqu’à faire la guerre pour s’en procurer, fit gouverneur de cette
ville, en 607, un certain P’êi-kiu, homme curieux et entreprenant. Sur les
récits des marchands venus à Tchâng-ie
p.1282
pour y trafiquer, P’êi-kiu
compila une géographie descriptive de l’Asie centrale. Cet ouvrage est perdu,
mais il est probable que les excellentes indications géographiques de l’Histoire
des Soêi, rédigées sous leur forme actuelle dès le 7e siècle, en sont le
résumé. C’est P’êi-kiu qui décrivit les trois itinéraires, que nous avons
indiqués page 1259. Il poussait l’empereur à entreprendre des expéditions
commerciales et militaires lointaines. Il faisait de la propagande parmi les
hordes, cherchant à les gagner à l’empire. Sous son impulsion, le commerce
de Tchāng-ie devint extrêmement actif. Il envoya beaucoup de roitelets
barbares faire leur cour à Láo-yang, où on leur faisait des séances d’épate,
pour frapper leur imagination. Chose curieuse, les rédacteurs de l’histoire
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
officielle, qui en veulent à l’empereur Yâng, en veulent aussi à P’êi-kiu de ce
zèle. Ils l’accusent d’avoir appauvri la Chine, par les frais de voyage et de
séjour de ces princes barbares ; etc. Xénophobie.
En 608, le khan turc Tch’óu-louo (p. 1279) n’étant pas chaud pour les
Chinois, P’êi-kiu conseilla à l’empereur de lui faire donner des nouvelles de sa
maman, la dame Hiáng, retirée à Láo-yang, comme nous avons dit. Simple
manœuvre diplomatique, pour entrer en matière. L’empereur chargea de
cette commission un certain Ts’oēi kiunn-sou, Tch’óu-louo le reçut mal, et ne
se leva même pas pour saluer la missive impériale. L’ambassadeur lui fit alors
le discours suivant :
— Les Turcs, qui jadis ne formaient qu’un royaume, s’étant divisés
en deux, se battent entre eux depuis bien des années. Maintenant
le khan T’óu-li s’étant soumis à l’empereur, le pousse à vous faire
la guerre. L’empereur y est assez disposé. Seule votre mère, la
dame Hiáng, vous est affectionnée à la capitale. Craignant votre
p.1283
perte, chaque jour, prosternée en larmes à la porte du
palais, elle intercède pour vous. Touché par ses prières, l’empereur
m’a envoyé ici, pour vous offrir de vous soumettre vous aussi. Or
vous m’avez reçu avec une grande impolitesse. Quand on le saura
à Láo-yang, l’empereur vengera son injure sur votre mère. On la
lapidera sur le marché public, puis on vous enverra sa tête. Une
armée suivra. Vos jours sont comptés ! Est-ce habile, à vous, de
perdre ainsi vos États, plutôt que de vous prosterner en vous
appelant Serviteur ?..
Cette rhétorique substantielle fut comprise de Tch’óu-louo. Il se prosterna,
s’appela Serviteur, pleurnicha pieusement, reçut à genoux la missive
impériale, et renvoya Ts’oēi-kiunn-sou avec un lot de chevaux sogdiens, qu’il
plaît aux historiens d’appeler son tribut.
Encore en 608, P’êi-kiu arriva à confédérer les Tölös (Ouïgours) avec les
Chinois, contre les Tongouses T’ou-kou-hounn, assis depuis 3 siècles autour
du lac Koukou-nor (p. 1070). Ces derniers furent battus. Leur khan Fôu-yunn
s’enfuit vers l’Ouest (Tangout). Le général chinois Ù-wenn chou le poursuivit,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
prit les deux douars du khan, et plus de 200 princes et nobles. Fôu-yunn dut
se réfugier dans les inaccessibles montagnes du Tibet. Son territoire, qui
mesurait quatre mille lì de l’Est à l’Ouest, et deux mille lì du Sud au Nord, fut
divisé en préfectures et en districts, à la mode chinoise. L’empereur envoya
dans ces pays, pour les coloniser, toute la racaille de l’empire.
La même année, le général Sūe cheu-hioung soumit Khami (j) à
l’extrémité de l’Altaï.
En 609, l’empereur fit en personne une tournée dans ces nouvelles
acquisitions du Nord-Ouest. Entiché de faste et de pose, il fit savoir, par P’êikiu, aux roitelets K’iū-pai-ya de Tourfan et T’òu-t’ounn-chee de Khami, qu’ils
eussent à venir le saluer. Ils le firent, accompagnés des délégués de vingtsept petites
p.1284
principautés ou hordes du Tarim. L’empereur fut très
content. Il divisa en préfectures le Tsaidam et le Tangout, et y envoya une
nouvelle fournée de racaille, pour coloniser ces pays, les défendre contre les
incursions des Tibétains, et tenir ouvertes les routes du Tarim... Cette annéelà, l’empire chinois se trouva compter 190 préfectures, et 1255 districts. Il
s’étendit, de l’Est à l’Ouest, sur 9300 lì ; du Sud au Nord, sur 14815 li. La
population se montait à 8.900.000 feux, c’est-à-dire à 50 ou 55 millions
d’âmes. Ce fut l’apogée du pouvoir des Soêi.
L’empereur s’étant attardé, ne revint de cette excursion qu’au onzième
mois, en plein hiver. Mal lui en prit. Une tempête de neige surprit son cortège
dans une vallée. La moitié de l’escorte périt de froid et de faim. Le désarroi
fut tel, que les femmes de l’empereur durent bivouaquer avec les soldats, ce
que l’Histoire relève, comme un comble.
A la fin de cette année, le khan T’óu-li des Turcs amis étant mort, son fils
le khan Chèu-pi lui succéda.
En 610, des députés de tous ses nouveaux amis du Nord-Ouest étant
venus à Láo-yang pour lui faire leur cour, l’empereur les fit régaler et divertir
avec magnificence. Comédies et jongleries, toutes les nuits, durant un mois
entier. On fit tout ce qu’on put, pour jeter de la poudre aux yeux de ces bons
nomades. Ils y furent pris, plus ou moins. Un jour on les conduisit au marché
de la capitale, entouré de magasins, de restaurants et de buvettes. Tout était
décoré. Les marchandises les plus rares étaient étalées bien en évidence. On
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
promena les fils du steppe, parmi toutes ces belles choses. On les fit entrer
dans les restaurants, où ils burent et mangèrent à gogo. Quand ils voulurent
payer, on leur dit que la Chine était si riche, que quiconque venait au marché,
mangeait et buvait ainsi gratis. D’aucuns gobèrent cette blague ; d’autres
non. Un malin, montrant les étoffes qui pendaient aux
p.1285
arbres, dit :
— J’ai vu en Chine des pauvres qui n’avaient pas de quoi se
couvrir. Pourquoi habillez-vous les arbres, et laissez-vous les
hommes nus ?..
Ceux qui entendirent cette observation, furent honteux et ne surent trop que
dire.
Ici commencent les expéditions de Yâng-ti contre la Corée, lesquelles
perdirent sa dynastie... En 607, quand l’empereur avait visité le khan T’óu-li
(p. 1280), tout juste des ambassadeurs du roi de Corée se trouvaient à la
cour du khan. P’êi-kiu les présenta à l’empereur et dit :
— La Corée a fait partie de l’empire chinois, sous les Hán et sous
les
Tsínn.
Depuis
lors,
elle
s’est
détachée
de
nous.
Vos
prédécesseurs ont souvent pensé à la faire rentrer dans le devoir...
L’empereur enjoignit donc aux ambassadeurs, d’ordonner de sa part à leur
maître le roi de Corée, de venir au plus tôt faire sa cour. En 610, celui-ci
n’ayant pas encore donné signe de vie, l’empereur résolut de reconquérir la
Corée, et commença ses préparatifs.
En 611, ordre de mobilisation générale. Construction de 200 jonques de
haut bord, et de 50 mille chars de guerre. Transport du grain des magasins
impériaux (p. 1278), à l’embouchure du Fleuve Jaune, où il devait être
embarqué.
En 612, les milices de l’empire étant réunies dans les plaines du Pêi-ho,
on s’apprêta à marcher. Il y avait un million cent trente mille soldats, et au
moins autant de coolies. L’empereur commandait en chef. Chacune des 24
divisions, avait un général en chef, et un général en second. L’armée mit 24
jours à s’ébranler, une division par jour, marchant à 40 lì d’intervalle, pour
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
éviter toute confusion. La colonne entière couvrait mille li. Jamais, ni avant, ni
après, on ne vit une armée aussi considérable.
Quand elle fut arrivée au fleuve Leâo, les Coréens retranchés derrière ce
fleuve, l’arrêtèrent. Le général Mái t’ie-tchang se dévoua.
— Un
p.1286
brave ne doit pas mourir dans un lit, entouré de ses
femmes et de ses enfants, dit-il (cf. p. 662) ;
et il demanda la permission de tenter le passage. L’empereur lui fit
construire, le long de la rive gauche, un pont de bateaux. Chargé d’une
colonne de cuirassiers, le pont fut lancé d’un coup en travers du fleuve. Mais
comme il se trouva trop court d’une toise, la colonne ne put pas s’élancer à
l’assaut de la berge. Mái t’ie-tchang et quelques braves qui s’étaient jetés à
l’eau, furent tués par les Coréens. On rallongea le pont, et la même
manœuvre fut répétée deux jours plus tard, cette fois avec succès. Battue,
l’armée coréenne se retira ; mais toutes les places fortes fermèrent leurs
portes et résistèrent. L’armée impériale investit la ville de Leâo-tong-tch’eng
(Leâo-yang actuel, au nord de 3).
Cependant la flotte impériale, partie du Chān-tong sous les ordres de
l’amiral Lâi hou-eull, avait traversé le golfe et était entrée dans le fleuve qui
arrose Hpyeng-yang (cf. p. 425). Dans une bataille livrée à 60 lì de cette ville,
les Coréens furent défaits. Lâi hou-eull poussa sa victoire. Il arriva devant
Hpyeng-yang (y), et enleva les faubourgs. Aussitôt, cédant à leur penchant
traditionnel et irrésistible pour le pillage, les Braves chinois se débandèrent.
Les Coréens leur tombèrent dessus, en tuèrent un grand nombre, et
reconduisirent les autres, l’épée dans les reins, jusqu’à leurs vaisseaux,
lesquels auraient été enlevés sans la brave résistance de Tcheōu fa-chang,
qui était resté pour les garder.
Revenons à l’armée de terre. Pendant que le gros assiégeait Leâo-tongtch’eng (x), neuf généraux, avec leurs divisions, s’étant concentrés sur la rive
gauche, du fleuve Yā-lou, effectuèrent leur passage, et marchèrent sur
Hpyeng-yang par le nord. Ù-wenn chou commandait en chef. A mi-chemin, ils
furent à court de vivres.
p.1287
Le général coréen I-tcheu-wenn-tei qui s’en
aperçut, ne leur livra pas bataille, mais se contenta de les harceler, se
laissant vaincre exprès, pour les attirer de plus en plus vers le sud. Arrivé en
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
vue de Hpyeng-yang, Ù-wenn chou constata que la place était forte, et que
ses hommes n’en pouvaient plus. Il revint sur ses pas. Les Coréens
l’assaillirent, au moment où il passait une rivière. Son armée disparut. Il
arriva au Yā-lou, avec une poignée de fuyards, après avoir couru d’une traite
l’espace de 450 lì. Trois cent cinquante mille Chinois avaient passé le fleuve, à
l’aller. Deux mille sept cents le passèrent, au retour. Furieux de cette
déconfiture, l’empereur fit enchaîner Ù-wenn chou, leva le siège de Leâotong-tch’eng, et s’en revint en Chine. Tout le résultat de cette colossale
expédition, fut que les Coréens évacuèrent la rive gauche du Leâo. Maigre !
Quand l’empereur fut revenu à Láo-yang, la femme de Tchāng-heng,
l’assassin de Yâng-kien (p. 1273), accusa son mari de mal parler de
l’empereur. Par pudeur, l’Histoire parle laconiquement, confusément, de tout
ce qui se rapporte au parricide impérial. Il est probable que Tchāng-heng
avait jasé, et que sa femme, craignant de périr avec lui, chercha à se sauver
en le dénonçant. L’empereur fit intimer à Tchāng-heng l’ordre de se suicider.
Celui-ci n’obtempéra pas, et force fut de l’exécuter. Avant de mourir, il cria :
— Quoique je l’aie fait pour un autre (pour Yâng-koang), ce que j’ai
fait (le meurtre de Yâng-kien) mérite la mort !..
Les assistants se bouchèrent les oreilles, pour n’être pas accusés un jour d’en
savoir trop long ; et le bourreau coupa le cou à Tchāng-heng au plus vite.
L’empire était épuisé par la lamentable expédition de Corée. Comme
toujours, en pareil cas, des rebelles se levèrent ;
p.1288
et, comme toujours
aussi, ces rébellions commencèrent sous couleur de superstition... En 610,
une bande de brigands vêtus simplement, portant de l’encens et des fleurs, et
se donnant pour les disciples d’un Buddha quelconque, pénétrèrent dans le
palais, s’emparèrent des armes des gardes, et allaient peut-être assassiner
l’empereur, quand Yâng-kien étant survenu avec des troupes, les arrêta et
leur fit couper la tête. L’enquête qui suivit cette aventure, compromit plus de
mille familles.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 612, un táo-cheu nommé P’ān-tan, qui se donnait pour trois fois
centenaire, se mit à rechercher, pour l’empereur, la drogue d’immortalité.
Yâng-ti lui fit bâtir un laboratoire. Le táo-cheu déclara qu’il fallait, pour la
préparation de la drogue, du fiel et de la moelle de rocher. L’empereur fit
attaquer une montagne. On fora, jusqu’à cent pieds de profondeur, dans la
roche vive, en dix endroits différents, sans trouver ni fiel ni moelle. Alors le
táo-cheu déclara que le fiel et la moelle de petits enfants, pourraient
remplacer à la rigueur le fiel et la moelle de roche, mais qu’il en faudrait 31
boisseaux de chaque. L’empereur fit couper le cou à ce chimiste.
En 613, nouvelles émeutes, toujours provoquées par des magiciens.
Cependant l’empereur n’avait pas renoncé à ses projets sur la Corée. En
613, il donna l’ordre de mobiliser une seconde fois, réunit encore ses troupes
dans la plaine du Pèi-ho, et les conduisit en personne contre la Corée. Au
quatrième mois, il passa le Leâo, et investit Leâo-tong-tch’eng. Machines et
mines, tout fut mis en œuvre, et les remparts furent battus jour et nuit. Mais
les Coréens se défendirent vaillamment. Après 22 jours de siège, les Chinois
n’étaient pas plus avancés que le premier jour, et avaient fait des pertes
d’hommes considérables. — Cependant, dans le dos de l’empereur, une
p.1289
révolte importante avait éclaté en Chine. Cette fois il ne s’agissait pas d’un
brigand vulgaire. Un prince du sang, Yâng huan-kan, la dirigeait. Il assiégea
la capitale Láo-yang.
L’empereur leva donc, pour la seconde fois, le siège de Leâo-tong-tch’eng,
et revint en toute hâte avec son armée. Il envoya devant lui les généraux Ùwenn chou et Lâi hou-eull. Yâng huan-kan leva le siège de Láo-yang, et se
retira dans la vallée de la Wéi. Les impériaux l’y joignirent, et le battirent trois
fois, en un même jour. Yâng huan-kan s’enfuit avec une poignée de fidèles.
Poursuivi, et voyant qu’il allait être pris, il dit à son ami Tsī-chan :
— Je ne suis pas homme à mourir de la main du bourreau ; rendsmoi le service de me tuer !..
Tsī-chan lui coupa la tête. On mit à mort, à cause de cette révolte, plus de
trente mille personnes, dont plus de la moitié injustement, dit l’Histoire.
217
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 613,
Lì-yuan, duc de T’âng, fut fait préfet de Hoûng-hoa. C’est
l’entrée en scène du tombeur de la dynastie Soêi. En 616, il devint préfet de
la vallée de la Fênn. C’est là que nous le retrouverons bientôt.
En 614, troisième mobilisation et expédition contre la Corée. L’empereur
la commanda en personne, comme les précédentes. Vu les troubles dans
plusieurs provinces, bien des troupes manquèrent à l’appel. Ensuite, dès les
premiers jours de marche, désertions en masse. Pour les arrêter, dans le
grand sacrifice militaire offert pour le succès de la campagne, l’empereur fit
immoler une bande de déserteurs, et fit frotter, avec leur sang, les tambours
et les étendards. Les désertions continuèrent. Heureusement, pour les
Chinois, que les Coréens eux aussi étaient épuisés par leurs efforts
précédents. Lâi hou-eull les battit, et investit Hpyeng-yang. Le roi Yuân fit
faire des propositions de paix, par un
p.1290
certain Hôu seu-tcheng. Content
d’avoir enfin la face, l’empereur rappela Lâi hou-eull, rentra en Chine,
présenta Hôu seu-tcheng aux Tablettes des Ancêtres (triomphe facile), puis fit
citer le roi Yuân, pour rendre hommage... Pas si bête ! On ne le vit jamais...
Furieux d’avoir été joué, l’empereur fit cuire Hôu seu-tcheng, et le servit à ses
officiers. Pour lui complaire, quelques-uns, dit l’Histoire, en mangèrent tout
leur soûl. Elle ne dit pas si l’on en servit aux Ancêtres.
En 614, l’empereur sacrifia au Ciel. Il se dispensa des purifications et
abstinences rituelles préalables, et fit les cérémonies expéditivement et sans
respect. Aussi le Ciel manifesta-t-il son mécontentement, par un violent
ouragan. De plus, comme l’empereur revenait au palais, les chevaux de son
char s’emballèrent. Mauvais présages !
L’empereur Yâng était lettré. Dans sa jeunesse, il s’était fait composer,
par ses maîtres, une sorte d’anthologie littéraire, qui finit par compter dixsept mille chapitres, sur les sujets les plus divers, morale, guerre, agriculture,
géographie, médecine, divination, buddhisme, taoïsme, botanique, jeux,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
chiens, faucons, et le reste. En 615, il fit collationner et fondre ensemble les
bibliothèques de Tch’âng-nan et de Láo-yang, ce qui produisit une collection
de trente-sept mille chapitres.
En 615, exemple instructif de ce que peuvent l’intrigue et la superstition,
quand elles font cause commune. Jadis l’empereur avait rêvé qu’une grande
inondation (hoûng) submergeait sa capitale. En 615, un devin lui annonça
que, la dynastie suivante devant s’appeler Lì, s’il voulait perpétuer la sienne,
il lui fallait exterminer tous les Lì de l’empire... Or Lì-minn, le cousin d’un
certain
p.1291
Lì-hounn, s’appelait Hoûng de son petit nom. Li et Hoûng
réunis ! Pas de doute ! C’était lui, l’homme fatidique. Ù-wenn chou qui avait
de vieux comptes à régler avec Lì-hounn, ne laissa pas perdre une si belle
occasion de se venger. Il poussa la femme de Lì-minn à accuser son mari de
projets subversifs. Il n’en fallut pas davantage. Toute la famille Lì, composée
de trente-deux personnes, fut exécutée. La femme fut empoisonnée, pour
l’empêcher de se rétracter plus tard.
En 615, deux paons échappés du parc impérial, passèrent en volant audessus du palais. Kāo tei-jou, officier des gardes, et ses hommes,
annoncèrent aussitôt qu’ils avaient vu le phénix (heureux présage). On les
crut sur parole. Les ministres félicitèrent l’empereur, qui décora Kāo tei-jou.
Fort de ce signe, l’empereur fit, en 615, une nouvelle tournée dans le
Nord. Il la fit dans des circonstances malheureuses. Elle faillit lui coûter
cher... Après la mort de T’óu-li, sous le gouvernement de son fils Chèu-pi (p.
1284), les Turcs amis, établis dans l’anse du Fleuve (14), s’étaient multipliés
et avaient prospéré, au point d’inquiéter P’êi-kiu, l’agent impérial pour les
affaires barbares. Il avait proposé à l’empereur de les partager sous deux
khans, Chèu-pi et son frère Tch’éu-ki. Toujours la politique chinoise, diviser et
brouiller. L’affaire n’aboutit pas, parce que Tch’éu-ki refusa. Chèu-pi devint
très froid, à l’égard des Chinois... Imputant ce refroidissement au ministre
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Chèu-chou hou-si, P’êi-kiu fit venir celui-ci, sous prétexte d’affaires, et
l’assassina, puis écrivit au khan :
« Votre ministre Chèu-chou hou-si étant venu m’offrir de me servir
contre vous, j’en ai fait bonne justice...
Chèu-pi ne fut pas la dupe de cette chinoiserie. Il rompit avec l’empire, qui se
retrouva avoir des ennemis à ses portes. — C’est
p.1292
dans ces
conjonctures, que l’empereur Yâng s’aventura dans le Nord. Chèu-pi conçut le
projet de l’enlever. Heureusement pour l’empereur, que la douairière
chinoise, veuve de T’óu-li, le fit avertir secrètement. Le cortège impérial, qui
se trouvait alors dans le pays de Yén-menn (au nord de 17), se réfugia en
toute hâte dans cette ville, tandis que le prince Yâng-kien s’enfermait dans la
petite forteresse Koúo, avec les équipages. Arrivés comme une avalanche, les
Turcs investirent Yén-menn, et y bloquèrent 150 mille personnes. Tout
compte fait, il se trouva dans la ville des vivres pour vingt jours. Toutes les
places fortes du pays, 41 en tout, furent enlevées par les Turcs. Yén-menn et
Koúo seules résistèrent. Les Turcs serrèrent Yén-menn de si près, que leurs
flèches tombaient jusque dans le quartier habité par l’empereur. Celui-ci
embrassant son plus jeune fils, pleura jusqu’à en avoir les yeux tout gonflés,
dit l’Histoire. Ù-wenn cheu proposa à l’empereur d’abandonner son armée, et
de s’enfuir à cheval, à travers les ligues des Turcs...
— Gardez-vous-en bien ! dit Sōu-tch’eng. Derrière des remparts,
nous sommes supérieurs aux Turcs. En rase campagne, nous leur
sommes inférieurs. Ne risquez pas pareille aventure !.
L’empereur fit donc le tour de la ville, flattant lui-même les soldats.
— Sauvez-moi, leur disait-il, et je me charge personnellement de
votre fortune ! Je ne permettrai pas que les officiers vous frustrent
du fruit de votre dévouement !..
Ainsi encouragés, les soldats firent bonne garde jour et nuit. Cependant
l’empereur avait envoyé un émissaire à la douairière chinoise, la priant de le
tirer de ce mauvais pas. Celle-ci fit donner à Chèu-pi la fausse nouvelle d’une
grande incursion des Ouïgours sur sa frontière septentrionale. Le khan leva le
siège. L’empereur revint à Láo-yang. Glorieux ! (cf. p. 289).
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p.1293
Cette aventure ayant refroidi le goût de l’empereur pour les
chevauchées, son goût pour la batellerie se réveilla. Toute sa flotte de
bateaux-dragons (p. 1276) ayant été brûlée par le rebelle Yâng huan-kan (p.
1289), il en fit construire une nouvelle.
En 616, régates, et reproduction de batailles navales historiques, sur le
lac du parc impérial. Il y avait aussi des bateaux de femmes, des cantines
flottantes, etc... Ces fêtes se terminèrent par un grand incendie. Craignant
qu’il n’eût été allumé par des anarchistes, dans l’intention d’attenter à sa vie
durant le tumulte, l’empereur se cacha dans les halliers de son parc. A partir
de ce jour, toutes les nuits il rêva de cet incendie, et fut hanté de cauchemars
si terrifiants, qu’il ne put plus dormir qu’entouré de plusieurs femmes.
Au septième mois, les nouveaux bateaux-dragons étant arrivés à Láoyang, l’empereur résolut de partir aussitôt pour Kiāng-tou (Yâng-tcheou, n).
Le général Tcháo-ts’ai lui ayant représenté la misère du peuple, l’épuisement
du trésor, les soulèvements qui se produisaient partout, l’empereur se fâcha
et le dégrada. Jénn-tsoung qui le blâma ensuite, fut fustigé et décapité. Ts’oēi
minn-siang, auteur d’un placard, eut la langue puis la tête coupées. Durant le
voyage, Wâng nai-jenn et autres, qui lui déclarèrent que ce voyage lui
coûterait l’empire, eurent le même sort.
De fait, ces censeurs avaient raison. Dès que l’empereur fut parti pour le
midi, Lì-mi se souleva, dans la vallée même de la Láo (j), aux portes de la
capitale. Liôu ou-tcheou et Leâng cheu-tou en firent autant au nord, dans les
provinces limitrophes des Turcs (11, 12, 13), avec lesquels ils s’allièrent. Les
petites révoltes locales ne se comptaient plus. Tout l’empire, dit l’Histoire,
entra dans une effervescence semblable à celle d’une ruche d’abeilles qui
essaime.
p.1294
Ici, commencement de la fin des Soêi. Lì-yuan, duc de T’âng,
gouverneur de la vallée de la Fênn, avait quatre fils, Lì kien-tch’eng Lì cheuminn Lì huan-pa Lì-yuan-ki, plus une fille. Le second fils, Lì cheu-minn, était
la forte tête de la famille. Brave et sage, Il songeait à faire ses affaires, dans
la déconfiture des Soêi, et se créait, dans ce but, des amis et des affidés. En
617, Lìôu wenn-tsing, le commandant de Tsínn-yang (17), ayant été inculpé
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
d’intelligences avec le rebelle Lì-mi (ci-dessus), Lì cheu-minn alla lui faire
visite...
— L’empire s’effondre, dit Lìôu wenn-tsing ; pour le relever, il
faudrait un homme de génie !..
— Je pense comme vous, dit Lì cheu-minn...
— L’empereur est parti pour le midi, reprit le commandant ; Lì-mi
est aux portes de la capitale ; toutes les provinces sont soulevées ;
l’empire est à la disposition de celui qui le prendra. Tsínn-yang est
plein de réfugiés. Je connais tout ce monde. En un jour, je puis
vous trouver, parmi eux, cent mille soldats. De la vallée de la Fênn,
envahissez celle de la Wéi, et appelez l’empire à vous. Avant six
mois, vous serez empereur...
— Nous sommes faits pour nous entendre, dit Lì cheu-minn en
riant ;
et il convoqua ses amis et affidés.
Or son père Lì-yang ignorait toutes ces manœuvres. Craignant son
caractère irrésolu, Lì cheu-minn attendait, pour l’avertir, que la situation fût
nette et le fait accompli. L’occasion de parler se présenta bientôt. Les Turcs
ayant fait une course dans le pays de Mà-i (11), l’officier envoyé contre eux
par Lì-yuan, se laissa battre. Du coup, more sinico, Lì-yuan était passible de
mort. Son fils lui dit :
— L’empereur est une ganache, la patience du peuple est à bout,
on se soulève partout. Dans un temps pareil, il ne fait pas bon
rester honnête homme. Mieux vaut suivre le mouvement, se lever
pour la justice, faire ses affaires, et prendre ce que le Ciel
donnera...
Tout effaré, Lì-yuan
p.1295
dit :
— Qu’est-ce que tu dis là ? Je vais te livrer au juge !..
— Ne prenez pas la mouche, dit Lì cheu-minn placidement. J’ai
considéré à fond les signes célestes et terrestres. Je suis sûr de ce
que je dis. D’ailleurs, si vous voulez me livrer, faites !..
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Allons donc ! dit Lì-yuan ; mais ne parle pas !
Le lendemain Lì cheu-minn dit à son père :
— Tous les devins annoncent que des Lì vont régner. L’empereur
vient encore de faire mettre à mort Lì kinn-ts’ai avec toute sa
famille (cf p. 1291), uniquement parce qu’il s’appelait Lì. Comme
nous sommes coupables du même crime, pourquoi ne nous en
arriverait-il pas autant ? En tout cas, du moment que vous vous
appelez Lì, vous n’avez pas d’avancement à attendre, et vous avez
bien des malheurs à craindre. Faites ce que je vous ai dit hier, et
vous serez sauf. Ne balancez pas !..
— J’y ai pensé toute la nuit, dit Lì-yuan. Tu as raison. Si notre
famille périt dans cette entreprise, que son sang soit sur toi. Si elle
prospère, à toi le mérite et la gloire !
Passant ensuite des paroles aux actes, Lì-yuan fit aussitôt rédiger par le
commandant Liôu wenn-tsing, l’ordre de mobilisation de toutes les milices
dépendantes de lui. On appela tous les hommes valides, à partir de vingt ans,
sous prétexte d’une nouvelle expédition contre la Corée. Lì cheu-minn fut fait
général en chef de ces troupes. En dix jours, il eut dix mille hommes sous ses
ordres... Lì-yuan rappela aussi secrètement ses deux fils Lì kien-tch’eng et Lì
yang-ki, qui étaient dans le Heûe-tong (19)... De plus, au sixième mois, Lìyuan s’aboucha avec les Turcs. Au huitième mois, la cavalerie turque arrivait
à Tsínn-yang (17). Alors Lì-yuan envahit la vallée de la Wéi, tandis que Lìcheu-minn balayait l’entre-deux de la Muraille et de la rivière. Au dixième
mois, Tch’âng-nan fut investi. Le prince Yâng-you gouvernait cette ville. Au
onzième mois, Lì-yuan donna
p.1296
l’assaut, après avoir défendu à ses
soldats, sous les peines les plus grièves, de pénétrer dans le palais du prince,
dont il voulait se servir pour couvrir ses actes futurs. La ville fut prise. Le
prince fut abandonné de tout son monde. Fidèles aux instructions reçues, les
soldats de Lì-yuan entourèrent son palais, mais n’y pénétrèrent pas. Lì-yuan
lui-même fit le prince prisonnier, se logea dans son palais, donna à la ville un
code provisoire en douze articles, et déclara abrogées les lois vexatoires des
Soêi.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Le mandarin de son district natal, ayant détruit le temple et violé les
tombes des Ancêtres de Lì-yuan, à cause de sa révolte, celui-ci fit mettre à
mort, pour ce fait, une dizaine de personnes.
Il allait faire exécuter l’officier Lì-tsing, son ennemi de longue date, quand
celui-ci lui dit :
— Ne compromettez pas votre cause publique, par des vengeances
privées !..
Lì-yuan le lâcha. Lì-tsing lui rendit désormais les plus grands services.
Après avoir bien considéré. la situation, pour se concilier les esprits, pour
se bien donner l’air d’un réformateur et non d’un ambitieux, Lì-yuan déclara
l’empereur Yâng déchu du trône, proclama empereur régnant son prisonnier
Yâng-you, et se donna les titres de Roi de T’âng et de Chancelier de l’empire.
Maître des passes (56), il fit aussitôt envahir les pays occidentaux Pā et Chòu
(50, 51), qui se soumirent à lui presque sans résistance.
Cependant l’empereur Yâng étant arrivé à Kiāng-tou (n), continua à se
conduire comme par devant, se livrant sans frein et sans honte à l’ivrognerie
et à la débauche. Les nouvelles du Nord, finirent tout de même par
l’inquiéter. Il chercha à lire l’avenir dans les astres, qui ne lui dirent rien de
bon. Un jour, s’étant regardé dans un miroir :
— Quelle belle tête, dit-il ; quel beau cou ! Qui le coupera ?!..
Sentant qu’il lui serait impossible de récupérer
p.1297
le Nord, il voulut
conserver du moins les provinces au Sud-Est du Fleuve Bleu, et ordonna de
lui préparer un palais à Tān-yang (n, rive gauche). Or la détresse était alors
grande autour de lui, tellement que son entourage immédiat manquait
d’aliments. Ses officiers, presque tous originaires de la vallée de la Wéi,
avaient le mal du pays. Ù-wenn tcheu-ki dit à Sēu-ma tei-k’an :
— A voir la tournure que prennent les choses, le Ciel a rejeté les
Soêi. Tout le monde se soulève contre eux. C’est le moment de
faire nos affaires...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ils en parlèrent au frère de Tcheu-ki, Ù-wenn hoa-ki. Celui-ci fut d’abord très
saisi, sua à grosses gouttes, puis se fit à l’idée, et se laissa nommer général
en chef. Ces officiers en embauchèrent d’autres. Bientôt toute la suite de
l’empereur fut pour eux. Durant la nuit suivante, les conjurés réunirent leurs
hommes, à la lueur des torches. L’empereur ayant vu ces feux et entendu les
cris de ralliement, demanda ce que c’était.
— Le feu a pris dans les herbes, lui dit P’êi k’ien-t’oung ; on
travaille à l’éteindre.
Le lendemain, à l’aube, Sēu-ma tei-k’an força l’entrée du palais, avec un
corps de cavaliers. L’officier de garde, Tôu-kou cheng, se fit tuer à son poste.
Quand il fut mort, ses hommes se dispersèrent. Alors les soldats de Sēu-ma
tei-k’an se jetèrent dans le palais. L’empereur ayant entendu le bruit de la
lutte, se déguisa et se cacha dans le pavillon de l’Ouest. Une femme du
harem le trahit. Hôu hing-ta, le sabre à la main, le tira de sa cachette, et le
confia à la garde d’un peloton de soldats.
Quand le jour fut venu, Ù-wenn hoa-ki arriva. Sēu-ma tei-k’an et les
autres, lui présentèrent l’empereur...
— Était-ce la peine de garder cet animal ? demanda-t-il...
— Quel crime ai-je commis ? demanda l’empereur...
— Tu as ruiné l’empire, flâné, nocé, mal gouverné, fait tuer tes
sujets, donné ta confiance à des canailles, cria l’ex-chef de
brigands
p.1298
Mà wenn-kiu, et tu demandes quel crime tu as
commis...
— J’ai maltraité le peuple, c’est vrai, dit l’empereur ; mais vous
autres, je vous ai toujours très bien traités. Qui est votre chef ?..
— Nous sommes l’empire, dit Sēu-ma tei-k’an; il n’a pas de chef.
Durant toute cette scène, Yâng-kao, l’enfant chéri de l’empereur, se tenait
cramponné à son père et sanglotait. P’êi k’ien-t’oung lui coupa la tête. Le
sang de l’enfant jaillit sur la robe du père. P’êi k’ien-t’oung allait frapper
Yâng-ti, quand celui-ci dit :
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Donnez-moi le temps de mourir en empereur, par le poison, non
par le sabre...
— Baste ! dirent les conjurés ;
et ils le firent étrangler par Hôu hing-ta. Ils massacrèrent ensuite tous ses
parents.
Seul Yâng-hao fut épargné, parce qu’il était bien avec Ù-wenn tcheu ki, et
parce que les conjurés comptaient tirer parti de lui, provisoirement. Ù-wenn
hoa-ki le nomma Empereur, et se fit Chancelier, le tout par décret d’une
douairière quelconque ; nous connaissons ce truc politique, stéréotypé
comme tous les trucs chinois. Le Chancelier fit garder son Empereur par un
piquet de soldats, et ne lui conféra, en fait de souveraineté, que le droit, ou
plutôt le devoir, de signer, sans phrases, les papiers qu’on lui présentait.
Dans cette catastrophe, P’êi-kiu, que nous connaissons (p. 1281), trahit
indignement son impérial patron, l’auteur de sa fortune. Nul ne fut plus plat
devant les révoltés. Aussi fut-il bientôt en haute faveur parmi eux... Hù chansinn, au contraire, refusa de les servir. Il fut mis à mort. Sa mère âgée de 92
ans, ne le pleura pas. Embrassant son cercueil, elle dit :
— J’ai eu un fils digne de moi !
puis elle se laissa mourir de faim.
Quand Lì-yuan apprit la mort de l’empereur Yâng (qu’il avait déposé, et
auquel il avait donné un successeur de sa façon, p. 1296), il joua la comédie
du sujet fidèle, avec une perfection
p.1299
toute sinique. Pleurant et se
lamentant, il dit :
— Puisque je n’ai pas pu sauver mon prince, je le pleurerai du
moins comme il faut !..
Édifiant ! Le dernier acte de la comédie, fut que Yâng-you, l’empereur fait par
Lì-yuan, abdiqua (fut abdiqué) en sa faveur, et que Lì-yuan se proclama
empereur, 12 juin 618. L’Histoire compte son règne, et l’avènement de la
dynastie T’âng, rétrospectivement, à dater de cette année, quoique Lì-yuan
n’ait régné effectivement sur tout l’empire, que six ans plus tard, en 624 ; six
années de guerre civile. Il résida à Tch’âng-nan.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
A Láo-yang, les officiers Soêi mirent sur le trône le prince Yâng-t’oung...
Ce qui fait trois empereurs ; Yâng-hao à Kiāng-tou (n), Yâng-t’oung à Láoyang (L), et Lì-yuan à Tch’âng-nan (T) ; plus une foule de gouverneurs
révoltés, qui s’appelaient rois de Ts’înn, Wéi, Leâng, Tch’òu, Tchéng, Oû, Yén,
Hán, Sóng, etc... Anarchie en tout comparable à celle dont sortit la dynastie
Heóu-Hán. Autant de rois que de provinces. Tous ces rois avaient d’ailleurs
même origine et mêmes droits que Lì-yuan, lequel n’était comme eux qu’un
gouverneur révolté. Seulement, comme il réussit, et que les autres
échouèrent, Lì-yuan eut raison, et les autres eurent tort.
Ce furent les Turcs, qui firent le succès de Lì-yuan. A cette époque, les
Turcs Septentrionaux étaient redevenus très puissants. Maîtres du steppe,
depuis le pays des K’ í-tan (Soungari) jusqu’à Tourfan et jusqu’au Tangout à
l’ouest (5, 6, 70, 69, t, 63), ils pouvaient mettre en campagne un million
d’archers. S’ils rendirent à Lì-yuan de grands services, ils les lui firent payer
cher, naturellement. Sous forme de présents, il leur servit un onéreux tribut.
Quand les Turcs venaient le visiter à Tch’âng-nan, ils se conduisaient avec la
dernière insolence. Lì-yuan baissait la tête.
En 618, à Kiāng-tou, Ù-wenn hoa-ki assassine son empereur Yâng-hao, ce
qui fait un de moins. Lì-yuan bat et tue Ù-wenn hao-ki. — A Láo-yang, en
619, Wâng cheu-tch’oung assassine son empereur Yâng-t’oung, ce qui fait
deux de moins... Quand on signifia à Yâng-t’oung qu’il lui fallait mourir, il
étendit une natte à terre, invoqua le Buddha, et le pria en ces termes :
— Oh ! de grâce, ne me faites jamais renaître dans une famille
impériale !..
Cela dit, il avala le poison. Comme il n’en finissait pas de mourir, on
l’étrangla. Ce pauvre diable, reconnu par l’histoire officielle, porte le nom de
Koūng-ti.
Yâng-you, qui avait abdiqué en faveur de Lì-yuan,
p.1300
ayant eu la
complaisance de mourir aussi, plus ou moins naturellement, en cette année
619, les Yâng de Soêi se trouvèrent éteints.
@
227
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
DYNASTIE T’ANG. Famille Lì, 620 (618)-907.
L’empereur Kāo-tsou,
620 (618) à 626.
Carte XIV — @
p.1301
La conquête des petits royaumes n’avançant que lentement, il fallait
au plus vite accréditer la nouvelle dynastie, et lui donner du prestige, par
quelque fable superstitieuse. C’est au taoïsme, persécuté dans les derniers
temps, et par suite très disposé au dévouement, que Lì-yuan eut recours. Un
certain Kî chan-king rencontra sur le mont Yâng-kiao-chan (p) un vieillard
vêtu de blanc, qui lui dit :
— Va dire de ma part au Fils du Ciel de la dynastie T’âng, que moi
Lào-tzeu (Lì lao-kiunn) je suis son ancêtre...
Fier de cette filiation ignorée jusque-là, Lì-yuan fit bâtir à Lào-tzeu un temple
sur le lieu de l’apparition...
— Hélas, gémit maître Fân, n’est-ce pas une honte à Kāo-tsou et à
Kāo-tsoung,
d’avoir,
sur
la
foi
d’un
imposteur,
cru
qu’ils
descendaient de Lào-tzeu ? Ils outragèrent le Souverain d’en haut,
en subordonnant son culte à celui de cet homme. Ils avilirent leurs
Ancêtres, en les faisant descendre de cet homme.
Reprenons les affaires des Turcs, d’un peu plus haut. Nous avons dit
comme, en 608, le khan Tch’óu-louo des Turcs Occidentaux, fut amadoué par
Ts’oēi kiunn-sou (p. 1282). Ses bonnes dispositions ne durèrent pas
longtemps. Quand, en 609, l’empereur Yâng-ti fit sa tournée dans le NordOuest (p. 1283), Tch’óu-louo convoqué pour rendre hommage, ne parut pas.
L’empereur s’irrita fort de cette inconvenance. Chée-koei, un petit-fils de
Tardou, khan subalterne des Turcs Occidentaux, exploita cette irritation. Il
s’aboucha avec P’êi-kiu, lequel proposa à l’empereur de jouer à Tch’óu-louo le
mauvais tour de patronner Chée-koei. Toujours la politique chinoise, deux
p.1302
pistons conjugués, à compensation réciproque. Averti qu’il pouvait
compter sur la Chine, Chée-koei tomba à l’improviste sur Tch’óu-louo,
dispersa ses hordes et enleva son douar. Tch’óu-louo se réfugia près de
228
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tourfan. L’empereur lui envoya sa mère, la Chinoise Hiáng-cheu, pour lui dire
combien il serait choyé, s’il venait à la cour, se constituer pion volontaire sur
l’échiquier impérial. Tch’óu-louo qui était à bout de ressources, dut en passer
par là. Il se rendit à Láo-yang, visiblement à contre-cœur et faisant la moue.
Il ne se rasséréna, qu’à la fin de l’année 611. Alors, à un banquet de la cour,
Tch’óu-louo se prosterna et fit amende honorable.
— Occupé à gouverner les peuplades de l’Ouest, dit-il, je n’ai pas
pu arriver à temps pour vous présenter mes hommages. Je viens
très en retard. Ma faute est grande. Veuillez me pardonner !..
— Jadis, répondit l’empereur Yâng, Chinois et Turcs étaient
continuellement en guerre. Maintenant la paix est parfaite. Mon
désir est que tout le monde puisse vivre et prospérer. Mais, pour
me servir d’une comparaison, au ciel il n’y a qu’un soleil ; s’il y en
avait deux ou trois, les dix mille êtres ne seraient pas en paix. De
même il faut, pour la paix, qu’il n’y ait qu’un empereur, et que
vous vous reconnaissiez vassal. Je sais d’ailleurs que, distrait par
beaucoup d’affaires, vous n’avez pas pu venir plus tôt pour faire
votre cour. Aujourd’hui je vous vois, je vous embrasse, je suis
heureux et content. Soyez heureux et content, vous aussi !...
Tch’óu-louo profita de ce speech. Peu de jour après, le premier de l’an 612, il
salua l’empereur en ces termes :
— Sous le ciel et sur la terre, dans toute l’étendue que le soleil et
la lune éclairent, il n’y a que Vous de Sage ; puisse-t-il en être
ainsi durant mille et dix mille ans !..
Fidèle à l’empereur, Tch’óu-louo l’accompagna désormais dans ses
expéditions de Corée. L’empereur l’enrichit, et lui fit épouser une princesse.
p.1303
Après la mort de l’empereur Yâng, Tch’óu-louo alla trouver Lì-yuan à
Tch’âng-nan. Celui-ci se leva pour le recevoir, le fit asseoir à ses côtés, et
l’appela Khan Retour à la Justice. Tch’óu-louo lui offrit une grosse perle. Lìyuan la refusa, et dit :
— C’est là un beau joyau, mais je n’en ai que faire ; ce que je
prise, moi, c’est la loyauté !..
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Retenons cette belle phrase... Cependant Chèu-pi, le khan des Turcs
Septentrionaux, ayant appris que son ennemi Tch’óu-louo était à la cour de
son allié Lì-yuan, envoya demander à celui-ci de le mettre à mort. Lì-yuan
refusa. Ses officiers le blâmèrent.
— Si vous ne livrez pas cet homme, dirent-ils, vous perdrez peutêtre votre empire encore mal affermi...
Lì cheu-minn dit :
— Il est venu à nous en suppliant ! Le livrer serait une trahison !..
Les officiers prêchèrent Lì-yuan, tant et si bien qu’il finit par changer de
sentiment. Un beau jour, il prisa autre chose que la loyauté. Il invita Tch’óulouo, but avec lui, le caressa, l’enivra, puis l’envoya cuver son vin dans un
appartement, où les envoyés de Chèu-pi l’égorgèrent tout à leur aise
(automne 619).
Cette même année 619, Chèu-pi khan des Turcs Septentrionaux étant
mort, eut pour successeur son frère, un autre Tch’óu-louo, lequel étant mort
en 620, eut pour successeur son frère Kîe-li, lequel va nous occuper plus
longuement.
Dès 622, il eut l’indélicatesse d’envahir, avec 150 mille cavaliers, la vallée
de la Fênn. Lì-yuan consulta ses officiers.
— Faut-il combattre ? faut-il traiter ? leur demanda-t-il...
Fōng tei-i dit :
— Fiers de leur nombre et de leurs richesses, les Turcs nous
méprisent. Si vous traitez d’emblée, vous les rendrez encore plus
arrogants. Vous jugeant faible, ils reviendront dès l’an prochain.
Infligez-leur d’abord au moins un échec, puis montrez-vous bon
prince...
Lì-yuan suivit ce conseil. Le gouverneur Siáo-k’ai battit les Turcs, et
p.1304
leur coupa cinq mille têtes. Puis le légat Tchéng yuan-tao alla reprocher au
khan sa traîtrise, et lui proposa un accommodement.
— La terre et le peuple des T’âng, lui dit-il, ne sont pas comme les
vôtres. Donc, si vous arriviez à conquérir des provinces, à faire des
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
prisonniers, à quoi cela vous servirait-il ? Rentrez chez vous ; et
contentez-vous de nos présents (tribut). Ne rompez pas une amitié
profitable. Ne créez pas des ennuis à vos descendants !..
Kîe-li goûta ce discours et se retira.
En 623, nos vieilles connaissances les T’òu-kou-hounn ayant repris des
forces, firent des incursions dans les vallées des Mînn-chan (57). Lì-yuan
envoya Tch’âi-chao pour les déloger. Cet officier se laissa envelopper par les
T’òu-kou-hounn, lesquels, tirant des hauteurs, décimèrent ses troupes.
Tch’âi-chao s’avisa d’un expédient. Ses soldats traînaient à leur suite des
femmes, d’après l’usage du temps. Tch’âi-chao en fit danser deux, au milieu
du camp, avec accompagnement d’orchestre barbare : Ravis, les T’òu-kouhounn sortirent de leur embuscade, et s’approchèrent pour mieux voir, Tch’âichao tomba sur eux et les dispersa.
Encore en 623, le Cambodge (Annam, Tonkin) noua des relations avec les
T’âng.
En 624, le khan turc Kîe-li ayant mobilisé tout son monde, força la Grande
Muraille et envahit de nouveau la Chine (15). La vallée de la Wéi, désolée par
des pluies excessives, était alors dans une grande misère. Pour la couvrir, Lì
cheu-minn se porta à la rencontre du khan et le rencontra près de Pīnntcheou. Il se présenta hardiment devant le front de sa cavalerie, et cria au
khan :
— Nous sommes alliés par mariage. Pourquoi violant les traités,
nous envahissez-vous ? Si vous avez des griefs, sortez et venez
vous mesurer avec moi en combat singulier !...
Kîe-li se contenta de rire... S’avançant davantage, Lì cheu-minn cria aux
Turcs :
— Nous avons juré
p.1305
jadis, que chacun de nous aiderait celui
qui serait dans la détresse. Et maintenant vous venez nous
attaquer. Avez-vous oublié vos serments ?...
Pas de réponse... S’avançant plus près encore, Lì cheu-minn fit mine de
vouloir franchir le ruisseau qui séparait les deux armées, pour aborder le
khan... Alors Kîe-li lui fit dire :
231
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Ne vous donnez pas cette peine ; je suis venu pour confirmer
nos traités passés...
et il se retira, pour chercher ses quartiers de nuit... Lì cheu-minn dit à ses
hommes :
— Il n’a fait que pleuvoir ces jours-ci ; les arcs des Turcs et leurs
cordes doivent être ramollis et hors d’usage ; ne laissons pas
perdre cette occasion...
La nuit suivante, durant une forte averse, Lì cheu-minn pénétra dans le camp
des Turcs, et leur donna une chaude alerte. Alors Kîe-li proposa une nouvelle
alliance par mariage. Lì cheu-minn lui donna de bonnes paroles. On renouvela
l’ancien traité, et le khan se retira... Pour se rendre compte de ces scènes, qui
nous semblent baroques, il faut ne pas oublier le désaccord permanent entre
les chefs des hordes turques, et le désarroi dans lequel un simple mauvais
temps mettait ces légions de cavaliers, dépourvus de vivres, de bagages, de
tout. Vices internes, qui rendaient vaine leur supériorité numérique.
En 625, nouvelles alliances, nouveaux traités de commerce avec les T’òukou-hounn et les Turcs. Les Chinois en profitèrent, pour se remonter en
bétail. Ils en avaient le plus grand besoin. Les bœufs ayant tous été mangés
durant les dernières guerres civiles, les hommes en étaient réduits à tirer
eux-mêmes la charrue.
Au septième mois de cette année, ces bons Turcs recommencèrent leurs
razzias. Une armée envoyée contre eux, sous le commandement de Tchāngkinn, fut entièrement détruite.
En 626, le khan Kîe-li ayant de nouveau réuni plus de cent mille cavaliers,
reparut dans la vallée de la Wéi, et poussa d’une traite jusqu’au pont de
p.1306
cette rivière, aux portes de Tch’âng-nan, la capitale de Lì-yuan. La
situation était critique. Heureusement, pour Lì-yuan, que le khan perdit du
temps. Au lieu de forcer la ville, il envoya à l’empereur un certain Séu-li,
chargé de lui faire des discours emphatiques. Cela donna le temps, à Lì-yuan,
de ramasser quelques soldats. Alors il donna audience à Séu-li, et lui dit :
— Je suis allié à votre khan, par mariage. Je lui ai envoyé nombre
de présents. Maintenant, violant ses serments, votre khan ravage
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mon territoire. Je ne suis pas en faute. Quoique barbare, vous avez
un cœur d’homme, et devez comprendre qu’il a tort. Or vous venez
de me dire des paroles insolentes. Je vais commencer par vous
couper la tête, puis je m’occuperai de votre khan !...
Séu-li effrayé demanda grâce. Lì-yuan le fit enfermer. Puis, prenant les
devants avec quelques braves officiers, il alla se poster au pont de la Wéi (T).
Les Turcs étaient rangés de l’autre côté de la rivière. Criant de manière à se
faire entendre d’eux, Lì-yuan reprocha au khan sa traîtrise. Émus, les Turcs
descendirent tous de cheval, et se prosternèrent (ce sont les Chinois, qui
racontent cela). Sur ces entrefaites, l’infanterie de Lì-yuan arriva, et se
déploya derrière lui, le long de la rivière. Alors le khan demanda une nouvelle
alliance par mariage, qui lui fut accordée. Les T’âng étaient sauvés, le khan
avait la face. L’aventure finit par une noce, comme dans le plus plat des
romans. On immola un cheval blanc, on jura sur le pont de la Wéi, puis
chacun s’en retourna chez soi. Serment de Turcs et de Chinois ! on devine s’il
fut tenu.
En 624, l’empereur visita l’école impériale (cf. p. 1272), où il fit les
libations aux anciens Sages et aux anciens Maîtres.
Il visita, dit le Texte ; non il honora de sa visite, selon la formule
courante. Et c’est bien dit ainsi,
p.1307
ajoute le Commentateur, qui rappelle
tout au long la fameuse histoire de l’empereur Mîng des Heóu-Hán, racontée
page 686.
« Les historiens de la dynastie Hán ayant osé dire que l’empereur
honora de sa visite la demeure de Confucius, les historiens
postérieurs corrigèrent cette phrase, et écrivirent visita, pour
montrer le respect qu’on doit aux anciens Sages. On écrivit de
même visita, dans le texte qui nous occupe, quoiqu’il s’agit de
l’école impériale, non de la demeure du Sage. La raison en est que
les anciens Sages et les anciens Maîtres habitent tous cette école
(moralement, leur doctrine y étant conservée et enseignée). Il est
donc clair et évident, que l’Histoire s’est exprimée comme il faut.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Durant cette même année 624, l’empereur esquissa la constitution de la
dynastie T’âng. Il ne fit guère que changer les appellatifs, les choses restant
les mêmes, sauf quelques modifications de détail. Les historiens observent
expressément que, au fond, la constitution des T’âng fut celle des Hán,
laquelle remontait aux Tcheōu (p. 309). Les trois Grands-Ducs furent le Grand
Maréchal, le Grand Directeur, le Grand Ingénieur. Il y eut neuf Grands
Ministères :
impériale...
Sacrifices,
Armée
et
cérémonies,
choses
étiquette…
militaires...
monnaie... Mobilier, fêtes, galas... Equipages,
Ancêtres
Justice...
haras...
et
Trésor,
famille
finances,
Agriculture...
Fonctionnaires, personnel... De plus, les Annalistes, l’Ecole, l’Observatoire, les
deux corps de la Garde ; en tout 14 départements... Administration
provinciale comme sous les Hán (p. 310)... Quant au peuple, l’État devait
fournir à chaque individu mâle, à l’âge de vingt ans, cent acres de terre, pour
lesquels il devait payer, par an, 20 boisseaux de grain, et 60 pieds de
p.1308
tissu. Pratiquement irréalisable, cet affermage impérial resta lettre morte, à
l’ordinaire.
Ici se place l’épisode le plus alambiqué de toute l’histoire de Chine. Le
fondateur des T’âng, Lì-yuan, semble avoir été un homme médiocre, borné
même. Lì cheu-minn qui fit la fortune et la gloire de la dynastie, tua ses deux
frères et détrôna son père. Il s’agissait, dans le pays de la piété filiale et
fraternelle, de prouver que le célèbre T’ái-tsoung fit bien en faisant mal. Les
historiens en suent. Suivons leur récit, en l’abrégeant toutefois de moitié, car,
quand il s’agit d’en faire accroire au lecteur, ils sont d’une prolixité indigeste.
Donc, en 624, Lì yuan-ki avait proposé à Lì kien-tch’eng d’assassiner Lì
cheu-minn. Lì kien-tch’eng ayant trouvé le plan de son frère peu pratique,
avait refusé.
Plus tard, Lì kien-tch’eng s’étant assuré le concours de deux mille bravi,
s’entendit avec un certain Wênn-kan, qui ferait en province un simulacre de
rébellion, laquelle donnerait aux deux frères conjurés l’occasion de faire leur
coup. La chose fut éventée. L’empereur se fâcha. Lì kien-tch’eng demanda
234
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
grâce. L’empereur l’enferma, et chargea Lì cheu-minn de soumettre Wênnkan.
— A ton retour, lui dit-il, je te nommerai prince héritier, à la place
de Lì kien-tch’eng...
Quand Chéu-minn fut parti, les femmes du palais firent si bien, que
l’empereur changea d’avis, exhorta Kién-tch’eng à vivre désormais en bon
accord avec Chéu-minn, le mit en liberté et lui rendit même le gouvernement
de la capitale. Quand Chéu-minn revint vainqueur, il ne fut pas fait prince
héritier. Les Turcs ayant fait une incursion dans la vallée de la Wéi, quelqu’un
dit à l’empereur :
— Ce sont les richesses de Tch’âng-nan, qui attirent ces oiseaux de
proie. Incendiez cette ville, fixez votre résidence ailleurs, et les
incursions des Turcs
p.1309
cesseront...
L’empereur penchait dans ce sens. Chéu-minn lui dit :
— Les nomades du nord ont toujours fait des incursions. Si vous
reculez devant eux, vous y perdrez votre réputation militaire, et la
postérité rira de vous. Je vous prie de différer. Laissez-moi faire. Je
tâcherai de vous amener le khan prisonnier. Si je ne réussis pas,
alors soit, transportez votre capitale ailleurs...
— Bon ! dit l’empereur.
Sur ce Kién-tch’eng, et les femmes du palais qui étaient de son parti,
dirent à l’empereur :
— Chéu-minn veut profiter des guerres turques, pour se faire un
nom et s’attacher l’armée, après quoi il se révoltera contre vous...
— Bon ! dit l’empereur ;
et il gronda Chéu-minn... Puis, les Turcs ayant reparu, il le caressa et le pria
de les chasser... Et ainsi de suite, dit l’Histoire. Chaque fois qu’il avait besoin
de lui, il le traitait bien. Chaque fois qu’il pouvait se passer de lui, il le mettait
de côté.
235
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Il en alla de la sorte, jusqu’au sixième mois de l’an 626. Alors Kiéntch’eng
tenta
d’empoisonner
Chéu-minn.
Celui-ci
vomit
le
poison...
L’empereur ayant su la chose, dit à Chéu-minn :
— Tes frères te détestent. Il ne faut pas que tu restes ici. Je vais
t’envoyer, comme gouverneur de l’Est, résider à Láo-yang...
S’il part, se dirent les deux frères, il nous échappera. Ils dirent donc à
l’empereur, que, à la nouvelle que Chéu-minn allait être envoyé à Láo-yang,
ses gens avaient manifesté une joie significative, signe indubitable d’un projet
de révolte latent...
— Bon ! dit l’empereur ;
et il ordonna à Chéu-minn de rester.
Les officiers de ce dernier comprirent le sens de ce contre-ordre, et
sentirent le danger.
— Cette discorde, dit Fâng huan-ling à Tchàng-sounn ou-ki, ne
compromet pas seulement la vie de notre maître ; elle compromet
l’existence même de l’État.
Les deux frères cherchèrent ensuite à gagner par présents les officiers de
Chéu-minn. Ils envoyèrent à Ú-tch’eu king-tei une pleine voiture d’objets
précieux. Celui-ci les refusa, et avertit Chéu-minn... Alors les deux frères
rendirent Ú-tch’eu king-tei, Fâng huan-ling et d’autres, suspects à l’empereur.
Ils durent sortir de la maison de Chéu-minn, mais restèrent à portée, en
prévision des événements à venir.
Les Turcs ayant fait une nouvelle incursion, Kién-tch’eng obtint de
l’empereur que cette fois Yuân-ki, et non Chéu-minn, serait chargé de les
repousser. Yuân-ki exigea aussitôt que tous les gardes de Chéu-minn fussent
incorporés dans son armée, puis les deux frères décidèrent d’assassiner
Chéu-minn, désormais sans défense, à l’occasion du banquet d’adieu de
l’armée. Chéu-minn fut averti, et demanda conseil à Tchàng-sounn ou-ki.
— Il faut les prévenir, dit celui-ci...
— Ne pourrions-nous pas attendre qu’ils aient tenté leur coup ?
soupira Chéu-minn...
236
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Si vous atermoyez davantage, dirent Tchàng-sounn ou-ki, Útch’eu king-tei, et les autres, nous vous quittons pour ne pas périr
inutilement à cause de vous !
Chéu-minn n’arrivant pas à se décider :
— Quel homme fut Choúnn ? lui demandèrent ses conseillers...
— Un Sage, dit Chéu-minn...
— Eut-il tort de sortir du puits, où son père et son frère voulaient
l’enterrer vif ? Eut-il tort de descendre du grenier, où son père et
son frère voulaient le brûler vif ? (Quatre Livres, p. 512)...
— Il n’eut pas tort, dit Chéu-minn...
— Convient-il alors que vous attendiez que vos frères vous aient
mis à mort ? Se laisser faire, sied aux petites gens ; agir, est le
propre des grands hommes !..
— Consultons les sorts, dit Chéu-minn ;
et il fit apporter une écaille de tortue... Tchāng koung-kinn la jeta à terre, et
dit :
— On consulte les sorts sur les cas obscurs ; or votre cas n’est que
trop clair ; ne perdez pas le temps !
Vénus brillait alors au ciel. L’Astrologue Fóu-i déclara qu’elle était pour
Ts’înn (Chéu-minn, roitelet de Ts’înn), qui allait
p.1311
obtenir l’empire... Le
Ciel le voulant, Chéu-minn se décida... Le lendemain, il s’embusqua dans le
palais, avec quelques-uns de ses plus fidèles amis. Quand les deux frères
furent entrés et se trouvèrent en sa présence, ils voulurent fuir. Chéu-minn
bandant son arc, perça l’aîné Kién-tch’eng. Ú-tch’eu king-tei perça le cadet
Yuân-ki. Les gardes des deux princes étant accourus, Ú-tch’eu king-tei leur
présenta les deux têtes, en leur disant qu’il n’y avait plus lieu de s’échauffer.
Tous se débandèrent aussitôt.
L’empereur se promenait pour lors dans son parc.. Chéu-minn lui députa
Ú-tch’eu king-tei, pour lui apprendre ce qui venait d’arriver. Celui-ci s’étant
présenté la cuirasse au dos et la lance à la main, dit :
237
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Kién-tch’eng et Yuân-ki ont fait du désordre. Les gardes de
Chéu-minn les ont massacrés. Pour vous, ne craignez rien !..
— Fallait-il que pareille chose arrivât ? gémit Lì-yuan. Que
faire ?....
— Que faire ? dirent les gens de sa suite, qui comprirent qu’il n’y
avait plus qu’à s’exécuter de bonne grâce ; il n’y a qu’une chose à
faire. Kién-tch’eng et Yuân-ki ont été injustes envers Chéu-minn.
Ils n’avaient pas son mérite. Ils l’ont jalousé, maltraité, persécuté.
Ils ont fini par attenter à sa vie. Ils n’ont que ce qu’ils méritaient.
Accueillez bien Chéu-minn, abandonnez-lui le pouvoir, et tout ira
pour le mieux !..
— Bon ! dit l’empereur. J’y pensais depuis longtemps.
Ú-tch’eu king-tei exigea illico un édit nommant Chéu-minn chef unique de
toute la force armée.
Ainsi garanti contre toute représaille, Chéu-minn se présenta. L’empereur
le caressa. Chéu-minn se prosterna, pleurnicha, téta les mamelles de son
père (sic)... Enfin, pour éviter les vengeances futures, on massacra les
femmes, les enfants, toute la parenté de Kién-tch’eng et de Yuân-ki. Chéuminn fut fait prince impérial, avec pouvoir sur toutes choses. Pour se rendre
p.1312
populaire, il supprima aussitôt nombre de dons en nature, que le peuple
était obligé de faire au trône, impôts déguisés très onéreux. Il supprima les
faucons et la meute impériale, enjoignit aux fonctionnaires l’ordre et
l’économie, etc.
Voyant ces débuts, l’empereur comprit qu’il était de trop. Aimant mieux
manger ses rentes, que de boire la potion classique, il abdiqua prudemment.
C’est ce qu’on attendait de lui.
Chéu-minn monta aussitôt sur le trône. Son premier acte impérial, fut de
mettre à la porte trois mille femmes du harem de son père. Nous avons vu
(p. 1308) qu’il n’était pas aimé de ces dames. Après ce nettoyage, il nomma
impératrice la dame Soūnn, et fit prince impérial son fils Tch’êng-kien alors
âgé de huit ans. Puis il récompensa, comme il convenait, ceux qui l’avaient
aidé à faire sa fortune.
238
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
@
Culte... Durant les derniers mois de cette année 626, (laquelle fait encore
partie, officiellement, du règne de Kāo-tsou), le nouvel empereur T’ái-tsoung
prit, en matière de culte, quelques décisions importantes... D’abord il remit
en vigueur l’édit de l’an 197 avant J.-C., lequel confiait au peuple la garde du
tertre du Patron local du sol, et le soin de lui faire les offrandes convenables
(voyez page 441). Il paraît que les mandarins l’avaient de nouveau accaparé.
Cette mesure fit grand plaisir au peuple, dit l’Histoire. Chéu-minn la prit,
probablement pour se rendre populaire ; peut-être aussi pour que le peuple,
ayant un culte à lui, approuvé et facile, se détachât du buddhisme et du
taoïsme, que le nouveau maître n’aimait pas.
Fóu-i, l’Annaliste Astrologue que nous connaissons (p. 1310), était
l’auteur de cette antipathie. Il dit à l’empereur :
— Le Buddhisme nous est venu d’abord du Tarim (p. 689), sous
une forme étrange et barbare, laquelle était peu dangereuse. Mais
ensuite, depuis les Hán, on
p.1313
traduisit en chinois les livres
indiens. Leur diffusion fut cause que, petit à petit, la fidélité au
prince et la piété filiale dégénérèrent. On se rasa la tête, on refusa
la prostration aux princes et aux parents (p. 1131), on flâna, on
quêta, on se fit bonze pour échapper aux charges publiques, on
étudia les trois paramitas et les six gatis, on rejeta toute
obéissance, tout cela sous prétexte d’une plus stricte observance et
d’une plus haute perfection. Des bonzes ignares firent croire au
peuple que le Buddha était le seul arbitre de la vie et de la mort,
de la fortune et de l’infortune, de la richesse et de la pauvreté ;
comme si ces choses ne dépendaient pas de la nature, du prince,
de l’industrie d’un chacun. Ils s’arrogèrent à eux seuls le droit
d’éduquer le peuple, soustrayant au prince cet attribut qui lui
appartient en propre, et diminuant ainsi son autorité et son
prestige. Avant les Hán, alors que le Buddha était ignoré, les
princes étaient éclairés, les ministres étaient fidèles, les sacrifices
étaient offerts régulièrement. Depuis que l’on honore ce Chênn
exotique, les Barbares nous ont envahis, les princes sont nuls, les
239
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ministres sont traîtres, le gouvernement est tyrannique, les
sacrifices sont négligés. Et qu’obtiennent ces dévots, par leurs
momeries ? Souvenez-vous du sort de l’empereur Où des Leâng.
Son histoire suffit, à elle seule, pour démontrer le néant du
Buddhisme
(p.
1213)...
Or
actuellement
les
bonzes
et
les
bonzesses de l’empire, se chiffrent par dizaines de milliers. Je
demande qu’on les apparie. Cela donnera plus de cent mille
familles. Ils feront des enfants, ils les élèveront, et vous aurez des
soldats !..
Chéu-minn soumit ce réquisitoire à la délibération de son conseil. De tous les
conseillers, Tchāng tao-yuan seul se prononça pour Fóu-i, ce qui révèle
l’esprit de l’époque... Siáo-u dit :
— Le Buddha est un Sage. Fóu-i a donc mal parlé d’un
p.1314
Sage.
Qu’on le châtie !..
Fóu-i dit :
— Il n’y a pas de sagesse, sans piété envers le prince et les
parents. Or le Buddha, a manqué à ces deux devoirs, envers son
père (le roi Suddhodana). Siáo-u a-t-il été recueilli dans le tronc
d’un mûrier creux (génération spontanée), qu’il estime ainsi une
doctrine qui ne reconnaît pas la paternité ?..
Siáo-u qui était un fervent buddhiste, fut extrêmement scandalisé de ces
propositions, auxquelles il ne sut d’ailleurs pas répondre. Joignant les mains,
il gémit et dit :
— C’est pour les mécréants de cette sorte, qu’il y a un enfer !
Chéu-minn qui en voulait aux bonzes et aux táo-cheu, parce qu’ils se
soustrayaient aux charges et éludaient les lois, ne les supprima pas, mais
donna ordre de les cribler avec rigueur. Ceux qu’on trouverait mener une vie
parfaitement conforme à leur règle, devaient être réunis et surveillés dans un
petit nombre de grands couvents. Les relâchés devaient être licenciés et
renvoyés à leur village natal et aux devoirs communs. Il n’y eut plus, à la
capitale, que trois temples buddhistes, et deux taoïstes. Un seul temple fut
permis, par ville, dans les provinces.
240
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Un jour, dans une conversation particulière, Chéu-minn poussa Fóu-i sur
le chapitre du Buddhisme.
— Comment se fait-il, lui demanda-t-il, que vous soyez seul à ne
pas comprendre cette doctrine que tout le monde comprend ?..
— Ce n’est pas que je ne comprenne pas ces pernicieuses folies, dit
le terrible Annaliste. C’est que je les abhorre ! Je veux les
ignorer !..
Chéu-minn le loua... Il disait souvent à ses ministres :
— L’empereur Où des Leâng a si bien prêché le buddhisme à ses
officiers, que ceux-ci n’ont pas pu monter à cheval à temps pour le
défendre contre Heóu-king (p. 1214). L’empereur Yuân de la même
dynastie (p. 1226), expliqua à ses officiers les textes de Lào-tzeu,
au lieu de les faire marcher contre les Wéi qui ruinaient son
empire. Ces faits-là en disent long, à qui
p.1315
sait les entendre.
Moi je ne prise que la doctrine des empereurs Yâo et Choúnn, du
Duc de Tcheōu et de Confucius. Elle m’est, ce que l’air est à
l’oiseau, ce que l’eau est au poisson. C’est mon milieu, hors duquel
je ne pourrais pas vivre. Je ne puis pas m’en passer !
Vous pensez que les Lettrés applaudissent des deux mains ? Oui et non.
Oyez vous-même...
— Chéu-minn, dit maître Hôu, discerna bien la doctrine qu’il faut
suivre, de celle qu’il faut rejeter. Mais cet homme détrôna son
père, tua ses deux frères, épousa leurs femmes (?), etc. Ces
choses-là ne sont pas d’un Confuciiste. Elles ne sont même pas
d’un homme. Est-ce des Sages qu’il les avait apprises ?
Attrape !
A la fin de cette année 626, Chéu-minn proscrivit en bloc tous les cultes
non autorisés, toutes les formes de divination.
L’année 627 fut la première année officielle de son règne, comme
empereur T’ái-tsoung.
@
241
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur T’ái-tsoung,
627 à 649.
Carte XX
1
—@
Cet homme sut se rendre extrêmement populaire, et l’est resté jusqu’à
nos jours.
Anecdotes... Il commença par régaler et récompenser ses officiers.
Il permit aux censeurs d’assister aux conseils des ministres, leur livrant
ainsi même les secrets du gouvernement, avec permission de dire leur pensée
sur tout.
L’empire fut divisé en dix grandes circonscriptions administratives.
Tch’âng-nan resta la capitale de la dynastie.
L’empereur s’efforça de remettre en honneur les mœurs antiques.
L’impératrice et ses femmes élevèrent des vers à soie. Vains efforts ! le passé
défunt ne revit pas.
L’empereur ordonna d’ensevelir les ossements des victimes des dernières
guerres civiles, encore épars sur les champs de bataille.
Un jour qu’il se promenait dans son parc, il vit quantité de sauterelles. Il
frappa ces insectes de sa canne, et leur dit avec imprécation :
— Mon peuple vit des céréales que vous dévorez ! Ah rongez plutôt
mes entrailles !..
et ce disant, il en saisit quelques-unes, et se mit en devoir de les avaler. Ses
officiers l’arrêtèrent, craignant qu’il ne se fît du mal.
— Si je mourais pour mon peuple, dit l’empereur, où serait le mal ?
et il avala les sauterelles. Les dégâts de ces insectes cessèrent aussitôt (dit
l’Histoire). Trait quelque peu théâtral, devenu très célèbre, souvent cité et
peint.
1 [css : voir aussi les cartes de René Grousset, dans l’Empire des steppes et Le
Conquérant du Monde, et d’Edouard Chavannes, dans Documents sur les Turcs
occidentaux. ]
242
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Une autre fois, la sécheresse compromettant les moissons, Lì pai-yao fit à
l’empereur la remarque suivante :
— Quoique vous ayez déjà licencié quantité de femmes du harem
(p.
1312),
le
nombre
des
recluses
est
p.1316
encore
trop
considérable. De là vient que, le principe yīnn (féminin) étant trop
aggloméré et n’ayant pas son expansion normale, la pluie (qui est
yīnn) ne se répand pas...
L’empereur fit encore licencier trois mille femmes du harem. Constatons que
les principes naturalistes du T’iēn-koan (p. 989) continuent à régir la politique
chinoise. Ils la régiront de plus en plus, surtout sous la dynastie dite
philosophique des Sóng, et jusqu’à la fin de l’empire.
Edit défendant sous peine de mort, aux esclaves, d’accuser leurs maîtres.
Edit : Moi l’empereur pour faire du bien au peuple, il me faut passer par
les
gouverneurs.
fonctionnaires.
En
Leurs
conséquence,
noms
sont
je
m’efforce
écrits
sur
les
de
bien
choisir
paravents
de
ces
mes
appartements, de sorte que, jour et nuit, je ne les perds pas de vue. Sous
leurs noms, j’écris de chacun d’eux, au fur et à mesure, le bien et le mal qui
m’en reviennent, pour les récompenser ou les punir en son temps, comme il
convient.
L’empereur dit à son entourage :
— Le peuple pense que le Fils du Ciel est si grand, qu’il n’a
personne à craindre. Il se trompe. Je crains le Ciel qui scrute mes
actes, je crains le Peuple qui considère ma conduite. Oui je crains
sans cesse de n’être pas ce que le Ciel désire, de ne pas être ce
que le Peuple espère...
— Bien, dit le ministre Wéi-tcheng. Ce principe résume toute la
théorie du bon gouvernement. Mettez-le toujours en pratique, et
vous serez un prince parfait.
En 631, le prince impérial devant coiffer le bonnet viril, les officiers firent
savoir à l’empereur que le deuxième mois serait faste pour cette cérémonie,
et demandèrent la permission d’en commencer les préparatifs...
243
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Attendez au dixième mois, dit l’empereur...
— Mais, répliqua Siáo-u, les calculs basés sur le yīnn et le yâng
(deux principes), ont révélé que le deuxième mois serait faste...
— Bah ! dit l’empereur, le faste et le néfaste
p.1317
dépendent
après tout de la conduite de l’homme. Car, quelque favorables que
lui soient le yīnn et le yâng, un homme qui agit contre les Rites et
les Convenances, ne réussit pas. Au contraire, tout réussit à qui
procède avec Rectitude. Les travaux des champs pressant au
deuxième mois, ce n’est pas le moment de célébrer des fêtes.
La même année, profitant du rétablissement des relations amicales avec
la Corée, l’empereur fit ensevelir les ossements de la grande armée des Soêi,
lesquels blanchissaient dans les plaines du Leâo-tong depuis tantôt vingt ans
(p. 1287).
L’empereur chassait à courre dans son parc. Non content de présider la
chasse, il allait s’élancer à la poursuite d’un lièvre, quand un officier lui dit :
— Vous que le Ciel a fait Père et Mère des Chinois et des Barbares,
ne vous ravalez pas ainsi !...
Un instant après, comme l’empereur allait courir une antilope, le même
officier, déposant son bonnet et sa ceinture (insignes), s’agenouilla et le reprit
encore plus vivement. L’empereur se le tint pour dit.
Edit : Désormais, pour les condamnés détenus dans les prisons de la
capitale, qu’on me présente leur sentence cinq fois, en deux jours différents ;
elle ne sera exécutable, qu’après la cinquième présentation. Pour les criminels
des provinces, que leur sentence me soit présentée trois fois. Aux jours
d’exécutions capitales, on ne servira sur ma table ni viande ni vin, on ne fera
pas de musique au palais.
Edit : J’ai toujours peur de récompenser ou de punir arbitrairement, pour
m’être laissé aller à la joie ou à la colère. Aussi ai-je donné, aux ministres et
aux censeurs, tout droit de faire des observations sur mes mesures. Mais
qu’eux fassent de même, écoutent volontiers les critiques, et ne s’offusquent
pas des contradictions. Car celui qui est incapable de supporter une
réprimande, n’a pas ce qu’il faut pour réprimander autrui.
244
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Un jour, l’empereur ayant assisté à l’appel des prisonniers de la capitale,
s’émut à la vue de ceux qui devaient être exécutés à l’automne suivant. Il
leur permit à tous de retourner dans leurs familles, à charge de revenir se
livrer avant le terme fatal. Il étendit ce bienfait aux condamnés des provinces,
qui devaient venir se livrer à la capitale, pour le même terme. Au jour fixé,
aucun de tous ces hommes ne manqua à l’appel (dit l’Histoire). L’empereur
les gracia tous. Trait célèbre, souvent cité ou peint.
L’empereur ayant confié le prince impérial aux soins de deux gouverneurs,
tint à ces personnages le discours suivant :
— Moi, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, j’ai vécu de la vie du peuple.
p.1318
Je connais tous ses maux, toutes ses aspirations. Malgré
cela, je fais parfois des méprises... Or le prince impérial, né dans
un palais, n’a jamais ni vu ni entendu le peuple. Il se pourrait qu’il
devint arrogant on licencieux. Je vous enjoins de chercher à
prévenir ce mal, par une éducation sévère...
De fait, le prince ayant montré des propensions libertines, et peu de goût
pour l’étude des Rites et des Lois, ses deux gouverneurs le tancèrent
d’importance. L’empereur l’ayant su, fut fort content, et fit donner à chacun
une livre pesant d’or, et cinq cents pièces de soie.
En 634, l’empereur députa Lì-tsing et douze autres inquisiteurs, pour aller
s’informer, par tout l’empire, de la conduite des fonctionnaires et des
dispositions du peuple.
En 635, le père de l’empereur, Lì-yuan ex-empereur Kāo-tsou, mourut
dans l’obscurité et l’oubli.
En 636, l’impératrice tomba gravement malade. Le prince impérial
demanda que, pour obtenir la guérison de sa mère, l’empereur voulût bien
accorder une amnistie générale, et permettre à qui voudrait de se faire bonze
ou táo-cheu (voyez p. 1314). L’impératrice l’ayant su, dit :
— La mort et la vie étant régies par le destin, la science et la
puissance n’y peuvent rien. Une amnistie est une grande faveur,
qu’il ne faut pas accorder pour de petites raisons. Les bonzes et les
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
táo-cheu sont des hétérodoxes, des vers rongeurs de l’empire et
du peuple ; il ne convient pas de les multiplier. D’ailleurs, ces deux
choses n’ont jamais été du goût de l’empereur. Comment moi,
pauvre femme, lui demanderais-je ce qu’il n’a pas accoutumé de
permettre ?..
Quand son état fut désespéré, elle prit congé de l’empereur son époux.
— De mon vivant, lui dit-elle, je n’ai été bonne à rien. Après ma
mort, ne fatiguez pas le peuple à m’élever un tumulus funèbre. Il
suffira d’entourer ma tombe d’un simple mur.
p.1319
N’y employez
aussi, en fait de matériaux, que des briques et des bois ordinaires.
Mon vœu suprême, est que vous vous entouriez d’hommes de
valeur, et écartiez de votre personne les indignes. Ouvrez l’oreille
aux censures des serviteurs fidèles, fermez-la aux adulations des
vils flatteurs. Choisissez bien vos officiers. Cessez de flâner et de
chasser. Je meurs contente, dans l’espérance que vous accéderez à
mes désirs.
En 637, une fille de quatorze ans, remarquablement belle, fut introduite
dans le harem de l’empereur T’ái-tsoung. Elle deviendra la fameuse Où-heou.
En 637, réforme du Code. Il fut réduit à 138 sections. Du code des Soêi,
92 cas punis de mort, et 71 cas punis d’exil, furent supprimés. En général, la
réforme fut faite dans le sens de la simplification et de la mitigation.
L’empereur fit aussi éditer un recueil de 1590 pièces administratives.
Jusque-là, quand l’empereur allait faire, à la Grande Ecole, les offrandes
et libations aux anciens Sages, la tablette du Duc de Tcheōu (p. 87) trônait à
la place d’honneur, et celle de Confucius occupait la seconde place. En 637,
Fâng huan-ling (p. 1310) assigna à Confucius la place d’honneur, et à son
disciple Yên-hoei la deuxième place. C’en fut fait du Duc de Tcheōu. Cassé
aux gages, sans pension. Sic transit gloria mundi.
En 640, l’empereur ayant visité la Grande Ecole pour la cérémonie des
offrandes et libations, fit interpréter, en sa présence, par le directeur K’oùng
246
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ying-ta, le Traité de la piété filiale ; puis il fit distribuer aux élèves des
soieries, selon leurs mérites. A cette époque l’empereur, très zélé pour les
lettres, faisait chercher par tout l’empire les lettrés de renom, et les préposait
aux écoles. Lorsqu’il visitait la Grande Ecole, il faisait discourir, en sa
p.1320
présence, les professeurs qui y étaient attachés. Quant aux élèves, ceux qui
étaient à même d’interpréter plus d’un livre canonique, étaient sûrs de
recevoir une charge de mandarin. L’empereur fit ajouter 1200 kién
(appartements) aux bâtiments de la Grande Ecole, ce qui permit de recevoir
3260 élèves internes. Il fournit aussi des maîtres au corps de ses gardes.
Ceux de ces militaires qui arrivaient à quelque teinture de lettres, pouvaient
compter sur un avancement rapide... Bien entendu, ces faveurs attirèrent les
étudiants par nuées, dit le Texte. De la Corée septentrionale, centrale,
méridionale (alors trois royaumes) ; de Tourfan, du lointain Tibet, les princes
et les nobles envoyèrent leurs frères et leurs fils, pour étudier à l’Ecole
Impériale de Tch’âng-nan. Le nombre des étudiants s’éleva (internes et
externes) à plus de huit mille... Ayant remarqué que les commentaires des
livres canoniques variaient d’après les écoles, et étaient généralement diffus,
l’empereur chargea un comité de Lettrés, présidé par K’oùng ying-ta, de les
compulser, et imposa officiellement aux étudiants ce nouveau commentaire,
dit Droite Interprétation. Il existe encore, et représente pratiquement à peu
près tout ce qui nous reste des commentaires anciens, antérieurs à l’école des
Sóng.
En 643, le ministre et conseiller favori Wéi-tcheng étant venu à mourir,
l’empereur dit à ses intimes :
— Les hommes se mirent dans les miroirs, pour mettre en ordre
leur toilette ; dans les exemples des anciens, pour voir s’ils sont
dignes
d’éloge
ou
de
blâme ;
dans
l’opinion
de
leurs
contemporains, pour constater s’ils sont populaires ou non. Wéitcheng me rendait à lui seul tous ces services. Avec lui, j’ai perdu
mon miroir.
Le prince impérial Tch’êng-k’ien ayant dû être dégradé pour cause
d’intrigues, l’empereur lui substitua le prince Tchéu.
247
p.1321
Il se chargea lui-
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
même de donner à cet enfant des leçons de choses. Quand le prince
mangeait, il lui disait :
— Si tu apprécies toujours comme il convient les labeurs des
agriculteurs, tu ne manqueras jamais de pain...
Quand le prince montait à cheval, il lui disait :
— Si tu sais gré à cet animal, qui court pour toi malgré sa fatigue,
il te sera toujours dévoué...
Un jour que le prince allait en bateau, l’empereur lui dit :
— L’eau porte les bateaux, l’eau engloutit aussi les bateaux. Ainsi
en est-il du peuple. Il porte ou engloutit ceux qui le gouvernent,
selon qu’ils gouvernent bien ou mal...
Un autre jour, le prince se reposant au pied d’un arbre, son père lui dit :
— Si cet arbre a poussé si droit, c’est parce qu’on l’a bien réglé.
Ainsi en est-il des princes. Les censures les rendent droits.
Un jour l’empereur demanda à l’Annaliste Tch’òu soei-leang :
— Pourrais-je voir le commentaire que vous écrivez sur ma
conduite au jour le jour ?..
— Nenni, fit l’Annaliste (cf. p. 142). Les Annalistes enregistrent
tout ce que dit et fait l’empereur, le mal comme le bien.
L’empereur sachant cela, la crainte d’être stigmatisé pour jamais,
doit le détourner de tout mal. Il est inouï qu’aucun empereur ait
osé lire, ce que les Annalistes avaient écrit de lui...
— Vraiment, dit l’empereur, si j’agissais mal, vous l’écririez
aussi ?..
— Mon office, répondit l’Annaliste, m’oblige à toujours porter sur
moi mon pinceau pour tout noter...
— D’ailleurs, ajouta Liôu-ki, si Tch’òu soei-leang ne notait pas vos
fautes, l’empire les noterait.
248
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur était très intelligent et très érudit. La plupart de ses officiers
lui étaient fort inférieurs. Dans les conseils, c’était parfois un feu roulant de
citations, qui ahurissait les pauvres conseillers. Liôu-ki eut pitié d’eux. Voici la
substance de la remontrance qu’il fit à
p.1322
l’empereur :
— La majesté de votre personne, gêne déjà bien assez vos
conseillers. Si vous les écrasez encore de votre érudition, ils ne
diront plus rien. D’ailleurs, conserver la mémoire de tant de
choses, usera votre cœur ; parler autant que vous faites, usera vos
poumons. Ménagez-vous, pour l’amour de l’empire.
@
Politique
extérieure
et
Guerres...
D’abord
la
ruine
des
Turcs
Septentrionaux... Quinze hordes de Tölös (p. 1230, 1269, 1280), savoir les
Syr-tardouch,
les
Togouz-ogouz
(Tagazgaz
des
Arabes,
Ouïgours
des
Européens), les Tou-pouo, Kourikans, Télangouts, Tongras, P’ou-kou, Yerbayir-kou, Seu-kie, Hounn, Hoa-sue, Hi-kie, A-tie, K’i-pi, Pai-si, habitaient au
nord du Gobi, le long de l’Altaï. Ils étaient devenus vassaux des Turcs
Septentrionaux. En 627, exaspérés par les vexations du khan Kîe-li que nous
connaissons (p. 1303 seq.), les Syr-tardouch et les Ouïgours secouèrent son
joug...
En 628, Kîe-li envoya contre eux un certain T’óu-li. Celui-ci revint battu.
Kîe-li le fit fouetter. De dépit, T’óu-li s’offrit à l’empereur de la Chine, fut
agréé et reçu à la capitale.
Cependant, forts de leur succès, les Tölös se confédérèrent, et se
donnèrent pour chef le khan I-nan des Syr-tardouch, lequel, après plusieurs
déplacements, finit par se fixer au sud de la rivière Tola. Vite l’empereur
s’aboucha avec cette nouvelle puissance. Désormais il avait la partie belle,
contre son vieil ennemi Kîe-li, pris entre l’enclume et le marteau. Il chargea
les généraux Lì-tsing (p. 1296) et Lì cheu-tsi de le réduire. Dès que la chose
fut connue, neuf chefs turcs trahirent Kîe-li, et se joignirent aux Chinois.
Beaucoup de peuplades lointaines, toutes victimes des Turcs, offrirent aussi
leurs services à la Chine, contre l’ennemi commun. En l’année 629, le total
des Etrangers qui se donnèrent
p.1323
à la Chine, et des Chinois captifs qu’ils
restituèrent, se monta à un million deux cent mille âmes.
249
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Entré en campagne en 630, Lì-tsing attaqua Kîe-li au nord du Chān-si
actuel, le bouscula et le refoula jusqu’aux confins du désert. Lì cheu-tsi le
relança, et le rejeta dans les montagnes, avec ses derniers cent mille
hommes. Enfin, dans une attaque nocturne hardie, Lì-tsing surprit son douar,
et dispersa sa troupe. Kîe-li s’enfuit presque seul. Ses hordes se soumirent à
la Chine. Dix mille Turcs étaient morts, cent cinquante mille étaient
prisonniers. Kîe-li avait demandé asile au chef de horde Sou-ni-cheu. Celui-ci
le livra, et se soumit, avec sa horde. L’empereur reçut les vainqueurs et les
prisonniers, avec les cérémonies chinoises du triomphe. A cette occasion, les
Barbares soumis à la Chine décernèrent à l’empereur le titre de Khan Céleste
(suprême), que celui-ci accepta... Ainsi finirent, provisoirement, les Turcs
Septentrionaux. Les inscriptions de Koscho-Tsaïdam, pleurent en ces termes
leur servage : « Les fils et les filles des Turcs, devinrent esclaves des Chinois.
Dépouillés de leurs titres turcs, les nobles furent affublés de titres d’officiers
chinois. Soumis à l’empereur de la Chine, ils trimèrent pour lui, durant
cinquante ans. ».. L’Histoire fixe à cent mille environ, le nombre de ces
soumis. Les autres, dit-elle, passèrent, soit aux Tölös, soit aux Turcs
Occidentaux... Kîe-li fut fait général honoraire de la garde impériale. Sou-nicheu reçut aussi un titre ronflant. Plusieurs chefs turcs devinrent officiers
supérieurs chinois. Beaucoup de Turcs entrèrent dans la garde, ce qui fixa,
dans la seule ville de Tch’âng-nan, plus de dix mille familles de cette nation.
Le ministre Wéi-tcheng se prononça énergiquement contre la concentration
de ces hôtes dangereux ; mais le conseiller Yén-pouo ayant pris l’empereur
par la philanthropie, son faible, il l’emporta...
p.1324
Le territoire turc annexé à l’empire, équivalemment le pays des
Ordos, plus la Mongolie Orientale actuelle (R, N), fut divisé en dix districts,
avec deux grands centres administratifs à Ting-siang et à Yûnn-tchoung (dans
le Chān-si actuel). T’óu-li fut fait gouverneur du Choúnn-Tcheou (dans le
Heûe-pei actuel). Il ne faut pas confondre ce T’óu-li, avec le khan T’óu-li,
mort en l’an 609 (p. 1284).
Le coup qui frappa les Turcs Septentrionaux retentit chez les Turcs
Occidentaux, dont les premières hordes stationnaient près Barkoul (a). Ils
s’empressèrent de se mettre au mieux avec l’empire. Le roi de Tourfan (c)
K’iū wenn-t’ai fit de même, et, par ses bons offices, presque toutes les
250
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
peuplades du Tarim, turques et autres, vinrent prendre le la à Tch’âng-nan.
Pour un temps, la symphonie fut parfaite.
En 630, ambassade du Linn-i.
Linn-i, la Haute Cochinchine, au sud du Kiāo-tcheu et du Jéu-nan, Tonkin
Annam. Attenant au Tchān-tch’eng, Champa ; au Tchēnn-la et au Fôu-nan,
Basse Cochinchine et Cambodge.
Dans ces pays, il ne gèle jamais... Mœurs : Peuples brutaux. Yeux caves,
nez aquilin, cheveux noirs ramassés en chignon... Costume : Le torse nu, les
reins ceints d’une sorte de pagne. Presque tous pieds nus, sans chaussures.
Anneaux dans les oreilles. Cou et membres surchargés de lourds bijoux...
Palais couverts en plomb ou en tuiles. Le peuple habite des chaumières.
Presque pas de meubles. Des nattes. Une marmite... Nourriture, du riz.
Boisson, de l’hydromel fermenté... On enfouit tous les excréments, et l’on ne
fume pas les champs... Soieries, cotonnades, toiles fines venues de
l’Extrême-Occident qui sont très estimées... Armes, arcs en bambou, lances...
Conques et tambours... Eléphants de guerre. Chevaux et voitures. Barques et
jonques.
Les Brahmanes, lettrés du pays, tiennent le haut du pavé. Ils écrivent en
lettres qui ressemblent à l’écriture hindoue, sur des feuilles de palmier ou sur
des parchemins préparés.
Tout le peuple est Buddhiste. Pagodes riches, ornées de statues en or et
en argent. Nombreux bonzes buddhistes. Taoïstes d’une secte particulière.
Immoralité extrême... Sodomie sollicitée, rétribuée, et si éhontée, que les
Chinois s’en scandalisent (!)... Les femmes sont méprisées. Ce sont elles qui
cherchent mari. Elles sont très lascives. Je ne suis pas une âme sans corps,
disent-elles ; comment pourrais-je dormir seule ? Elles se baignent dans le
fleuve par milliers, en plein jour, sous les yeux du public, Le reste à
l’avenant... Toutes les filles sont déflorées officiellement et avec apparat,
avant l’âge de douze ans (âge nubile), par un bonze payé pour cette besogne.
Personne ne voudrait d’une vierge... Esclaves traités en bêtes, et vivant en
promiscuité.
251
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ordalie de l’eau bouillante, pour les voleurs ; celui qui en sort échaudé,
est réputé coupable. Ordalie de l’exposition sur deux stèles, des
p.1325
deux
parties, en cas de litige ; celui qui manifeste le premier quelque signe
d’indisposition, est censé avoir tort.
Dans le Tchēnn-la, chasse à l’homme, durant la nuit, pour se procurer le
fiel humain. On s’en sert pour oindre les éléphants de guerre, afin de les
rendre féroces. Les guerriers en mêlent au vin qu’ils boivent avant le combat.
On fait écraser les criminels par des éléphants, ou bien on les expose dans
des lieux où ils meurent de faim.
Les cadavres humains sont incinérés. Les cendres sont recueillies dans
une urne, qu’on jette dans la mer, dans le fleuve ou dans une rivière. Les
parents se coupent les cheveux, et vont, durant quelques jours, se lamenter
au bord de l’eau. C’est là tout le deuil... Au Tchēnn-la, au lieu d’incinérer, on
fait parfois décharner les cadavres par les vautours. Parfois aussi, on les jette
simplement à l’eau, tels quels.
La lèpre et la dysenterie sont endémiques et font rage.
Le narrateur chinois conclut : Dans ces pays, le riz est facile à gagner, les
maisons sont faciles à bâtir, le mobilier est facile à trouver, les femmes sont
faciles à acquérir, le commerce est facile à faire. Aussi les Chinois y vont-ils
en quantité.
En 631, ambassade du Japon. Comme ces ambassadeurs venaient de loin,
dit l’Histoire, l’empereur dit aux officiers de ne pas exiger d’eux le tribut.
Quand ils prirent congé, il envoya avec eux un certain Kāo jenn-piao, chargé
de nouer des relations. Cet envoyé n’ayant pas pu s’entendre avec le roi du
Japon sur certaines questions rituelles (il exigea probablement que le roi se
reconnut vassal), revint sans avoir rien conclu.
Pour ce qui est de l’origine de la nation japonaise, l’opinion la plus
commune actuellement, est que les Aïnos, premiers occupants de l’archipel,
furent envahis et refoulés vers le nord par des Malais. L’Histoire de Chine est
252
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
muette sur ce fait. J’ai cité, page 151, la légende qui apparente les Japonais
avec la maison chinoise Tcheōu (an 473 avant J.-C.). J’ai rapporté, page 213,
l’histoire de Sû-fou et de sa colonie chinoise (an 219 avant J.-C.). Quoi qu’il
en soit, les premiers contacts historiques eurent lieu entre la Chine et le
Japon, de nation à nation, vers l’an 600 après J.-C. Nous venons de voir qu’en
631 Japonais et Chinois étaient encore bien neufs les uns pour les autres, et
rien moins que chauds. Les sources chinoises nous apprennent qu’à cette
époque (7e siècle), les Japonais étaient un ensemble de tribus (familles,
clans) fédérées. La famille régnante des [] s’attribuait une origine céleste. Ils
n’avaient pas de villes murées, mais seulement des sortes de camps entourés
de palissades. Ils portaient les cheveux liés ensemble dans la nuque ; une
robe drapée, sans pans ni ceinture ; aucune coiffure ; aucune chaussure. Ils
étaient Buddhistes, et connaissaient les lettres (voyez ci-dessous).
En 631, ambassade du Sin-ra. — Au septième siècle, la presqu’île
coréenne était divisée en trois royaumes... Le Kāo-kiu-li Ko-kou-rye (r) au
nord, bassins du Ya-lou et du Ta-t’oung-heue... Le Pài-tsi Paik-tjyel (j) au
centre, sur le versant occidental... Le Sīnn-louo sin-ra (s), extrémité
méridionale de la péninsule.
Le Ko-kou-rye et le
p.1326
Paik-tjyel étaient habités par les descendants
des Hoêi, venus de la Soungari vers le commencement de l’ère chrétienne,
branche de la grande famille des Î orientaux... Le Sin-ra était peuplé par une
race spéciale, les Tch’ênn immigrés du Japon, probablement.
Jadis la Corée septentrionale avait été surtout peuplée de Chinois. Nous
avons raconté l’établissement dans la vallée du Ya-lou, du vicomte de Kī de la
maison impériale Yīnn, vers 1050 avant J.-C. (p. 71) ; l’histoire de Wéi-man
(p. 425), l’annexion de l’an 108 avant J.-C. (p. 427), etc. L’immigration des
Japonais au Sin-ra, dut précéder l’ère chrétienne, car, dès l’an 14 après J.-C.,
le Japon et le Sin-ra se battaient, comme nations.
En guerre avec la Chine, tant que celle-ci fut une grande puissance (Hán),
la Corée ne voulant rien accepter de ce voisin dangereux, resta obstinément
stationnaire à un degré de culture très inférieur. Mais quand l’émiettement de
la Chine eut commencé, les Coréens n’ayant plus peur, ni des petits
253
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
royaumes, ni de l’empire amoindri, ils commencèrent à accepter ce qui leur
parut bon. Le premier auteur de la civilisation coréenne (comme on dit en
style moderne), fut le bonze Choúnn-tao, envoyé au Ko-kou-rye, en 372, par
Fôu-kien, le souverain du royaume tangoutain Ts’iên-Ts’înn (p. 980 seq. et
1009). En 384, après la déconfiture de Fôu-kien, l’Empire un peu ravigoté,
envoya au Paik-tjyel le bonze hindou Marananda. Au cinquième siècle, la
Corée septentrionale, de race Hoéi, devint tout entière buddhiste. Avec leur
religion, les bonzes enseignèrent aux Coréens les caractères chinois, les
lettres chinoises, etc... Le Sin-ra, qui était d’une autre race, ne s’empressa
pas de faire comme ses voisins du nord. D’ailleurs les Japonais lui donnaient
des distractions militaires, qui l’empêchaient de vaquer à la paisible
contemplation. Descentes japonaises, toujours repoussées, en 208, 232, 249,
287, 346, 364, 408, 440, 459, 476, 497, etc. Suivit une accalmie. Les bonzes
de la Corée septentrionale en profitèrent pour envahir le pays. Leur succès fut
complet. En 528, le Sin-ra était buddhiste. Pour rattraper le temps perdu, il
alla très vite. Ce fut une effervescence tumultueuse. Des rois se firent bonzes.
Une hiérarchie buddhique tint le haut du pavé dans le pays. Les bonzes
pullulèrent. Lois et usages buddhistes. Défense de tuer aucun animal, etc.
Avec leur religion, les bonzes enseignèrent au Sin-ra les lettres de la Chine,
comme ils faisaient partout.
En 541, l’empereur Où des Leâng, le saint homme buddhiste (p. 1190),
envoya en présent impérial, au Paik-tjyel, le Livre des Odes (p. 499) et son
cher Nirvana Sutra... En 552, le Paik-tjyel passa ces trésors au Japon. Là le
feu prit, comme il y a repris, il y a cinquante ans, pour une forme de
civilisation plus neuve. Dès 553, les Japonais clament, pour obtenir des livres
et des bonzes. En 554, on leur envoie une cargaison des uns et des autres.
Au Sin-ra la fringale continue. En 565, la Chine envoie au Sin-ra 1700
volumes buddhistes. En 577, le Paik-tjyel envoie au Japon tous ses livres
disponibles. En 595, le bonze coréen Hoéi-ts’eu devient précepteur du prince
impérial japonais. Son influence se fit bientôt sentir. Importation, par bandes,
de bonzes et bonzesses. Importation de tous les artisans et artistes possible,
tailleurs, corroyeurs, fondeurs, potiers, jardiniers, menuisiers, constructeurs
de jonques, monnayeurs, musiciens, devins, médecins. A partir de 618, tous
les prisonniers de guerre chinois possédant quelque art ou quelque industrie,
254
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sont livrés par les Coréens aux Japonais, pour servir d’instructeurs à cette
race avide d’apprendre. En 645, le disciple de Hoéi-ts’eu, devenu mikado,
charge officiellement les bonzes de l’éducation de tout le peuple japonais.
Leur nombre ne suffisant pas à cette tâche, ceux-ci envoient, à partir de l’an
648, des novices japonais en quantité, dans les bonzeries de la Corée, pour
les y faire former vite et bien. En même temps que leurs dogmes, les bonzes
enseignèrent aux
p.1327
Japonais les livres de Confucius, et ses principes de
gouvernement. Le disciple de Hoéi-ts’eu appliqua ces principes, de 645 à 649.
Ils produisirent au Japon une révolution politique et sociale rapide et radicale,
et jetèrent ce pays dans les bras de la Chine. Par réaction, le Sin-ra se donna
aussi des institutions nouvelles, qui le mirent à même de tenir tête à son
voisin de l’Est, et de conquérir ses deux voisins du Nord, le Paik-tjyel et le Kokou-rye. C’est ainsi que la Corée fut unifiée.
Chose remarquable, quoique et la Corée et le Japon dussent tout aux
bonzes, ni les Coréens ni les Japonais ne s’astreignirent exclusivement,
comme religion, au Buddhisme... Les Coréens gardèrent quelque chose du
culte primitif de leurs ancêtres les Hoéi, savoir l’adoration du Ciel sur les
hauteurs. Ils adoptèrent ensuite intégralement le culte officiel chinois, Ciel
Terre Monts et Fleuves, et eurent des Lieux saints en quantité. Très florissant,
richissime, omnipotent jusqu’au 10e siècle, à partir du 15e siècle le Buddhisme
fut persécuté en Corée par les Confuciistes, et finit par tomber dans
l’abjection et le mépris... Au Japon, à côté du Buddhisme extraordinairement
prospère, le sintoïsme, culte d’anciens génies et héros, se maintint, par le fait
que les ancêtres de la maison régnante tiennent la place d’honneur dans ce
panthéon.
Encore en 631, ceux de K’āng (Samarkand) demandèrent à être reçus
sous le protectorat de la Chine...
— Vous êtes trop loin, j’aurais trop de mal à vous protéger, leur dit
Tái-tsoung...
et il refusa provisoirement.
255
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Dans le pays de K’āng (o, l’ancien K’āng-kiu, p. 545), étaient alors
réfugiés les restes des anciens Ue-tcheu Scythes (p. 408 et p. 715). La
famille régnante était Scythe. C’était un peuple puissant encore, riche et
civilisé, aimant les lettres et la musique, excellant dans le négoce. Comme
religion, ils avaient deux cultes. Celui du Buddha, importé de l’Inde ; et celui
de Ormuzd, en zend Ahura-Mazda (avec ses bons génies les Amschaspands).
Ils faisaient aussi des sacrifices à l’Esprit malin Ahriman, (et à ses mauvais
génies Darvands)... Ils avaient fait aussi des emprunts au Manichéisme,
paraît-il, car les historiens chinois nous ont conservé un trait, qui ne cadre
qu’avec les cérémonies funèbres par lesquelles les Manichéens célébraient
l’anniversaire de la mort de leur patriarche Mani (Manès). « Ils disent que le
Fils du Chênn est mort au septième mois, et que ses ossements ont été
répandus. Donc, ceux qui sont chargés du culte du Chênn, hommes et
femmes, au nombre de plusieurs centaines, vont errer au septième mois dans
la campagne. Vêtus de robes noires, les pieds nus, se frappant la poitrine et
se lamentant, les larmes et la pituite coulant des yeux et du nez, ils cherchent
durant sept jours les ossements du Fils du Ciel Mani, le Paraclet, écorché et
jeté à la voirie, par ordre du roi Bahram... Quant à la chose suivante, elle se
pratique encore chez les Parsis, de nos jours :
« Hors de la ville vivent, logées à l’écart, environ 200 familles
chargées du soin des funérailles. Ils élèvent des chiens lesquels
sont renfermés dans un parc muré. Quand un homme est mort, ils
vont chercher son cadavre, en font dévorer les chairs par leurs
chiens, recueillent les os décharnés, et les enterrent, sans cercueil.
Actuellement, à la Tour du Silence de Bombay et ailleurs, ce sont les vautours
qui décharnent les cadavres, sur une terrasse élevée ad hoc...
p.1328
Notons ici les détails sur les alentours du pays de K’āng (o), très
modifiés depuis la chute des Indo-Scythes et des Ephthalites. Au Nord-Ouest
(Carte XX, 1)
1
entre l’Aral et la Caspienne, les anciens An-ts’ai Aorsi,
devenus les A-lan-na Alains. — Près de l’Aral, le Houo-sunn (2), Kharizm. —
Au sud de l’Oxus, Mou (3), Amol, Tchardjoui. — Au nord de l’Oxus, Nan, ou
Pou-heue (4), Boukhara..., Na-chee-p’ouo (5), Nakhschab, Karchi... Mi (6),
256
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Maïmargh... Chèu (7), Kesch, les Portes de fer... Ts’ao (8), Satrouchana, le
Kaboudhan et l’Ischtikhan. Dans ce dernier pays, dans la ville de Ue-kan-ti,
on immolait une hécatombe chaque jour, à une divinité inconnue le Chenn
Tei-si ou Teue-si (Zeus, Deus ?)… Heue (9), Koschanyah. — Sur l’Iaxartes,
Chêu (10), Tachkend... Kiu-tchan-t’i (11), Khodjend... Pa-han-na (12), le
Ferghana. — Sur le haut Oxus, au Sud, T’ou-houo-louo (13), le Tokharestan,
Balkh Khoulm Koundouz Talekan, habités par les restes des Ephthalites,
pratiquant encore la polyandrie (p. 1198) etc... Au Nord, Kou-t’ou (14),
Khottal... Kiu-mi (15), Koumedh Karategin... Au Sud, Pa-tei-chan (16), le
Badakchan... A l’Est, Cheu-k’i-ni (17), le Chighnan... Hou-mi (18), le
Wakhan... Enfin Heue-p’an-t’ouo (19), le Garbandha, Tach-kourgane, Sarikol.
En 634, ambassade des T’òu-fan (20, Haut Tibet, Lhassa). Ce fut le
premier rapport officiel de cette nation avec la Chine. Ses rois portaient le
titre de Tsan-p’ou (Gam-po). Leur puissance, était de date récente.
Cependant celui qui s’aboucha avec l’empire, le Tsan-p’ou Loung-tsan (Srongtsan Gam-po), ayant réuni près de cent mille guerriers, et fait peur à tous ses
voisins,
l’empereur
le
prit
en
considération,
et
fit
reconduire
ses
ambassadeurs par un envoyé chargé de nouer des relations.
Les T’ou-fan de la haute vallée du Brahmapoutra, étaient une des 150
tribus de la race des K’iāng, que nous connaissons de longue date (p. 514).
Devenue très puissante, cette tribu s’attacha ou subjugua les autres. Capitale
Louo-souo (Lao-sao, Lhassa, 20). Tibet, Tibétains, sont des appellatifs
mongols.
Pays très élevé, très montagneux, très âpre, très froid en hiver. Peuple
dur, sobre et brave. Vie d’une extrême simplicité. Grande longévité. Pas de
maisons, mais tentes en feutre, si grandes parfois qu’elles peuvent
contenir des centaines de personnes. Vaisselle de bois. Pas de meubles.
Feutres et bure de laine.
1 [css : cf. plus haut les références aux cartes de René Grousset].
257
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Nourriture : Bouillie de grain. Lait coagulé, mélange de beurre et de
fromage. Dans les grandes occasions, viande crue ou sèche. Tous mangent
avec la main, sans aucun instrument.
Culture : Blé, orge, sarrazin, fèves. Elevage : Yak, chevaux, moutons,
porcs. Les hommes roulent leur chevelure, les femmes la tressent en nattes.
Tous se peignent le visage en rouge. Quand ils sont en deuil, ils se coupent
les cheveux et se peignent le visage en bleu.
Encore à cette époque, d’après les Textes chinois, aucune écriture. Ils
faisaient des nœuds à des cordelettes, des coches à de petites lattes.
Code primitif, extrêmement
p.1329
sévère. On descendait les querelleurs
dans une fosse profonde, où ils restaient jusqu’à ce que la température
ambiante les eût bonifiés. Knout jusqu’à l’effet voulu. Amputation du nez,
d’un œil, des deux yeux, etc. Aux lâches, on attachait un queue de renard, et
on les promenait ainsi dans la tribu.
Tous les homme portent un arc et un sabre. Feux allumés sur les
hauteurs, pour convoquer en cas de guerre. Cuirasse si complète, qu’elle
rendait les hommes invulnérables ; deux trous seulement, pour les deux
yeux. Conques et tambours. Quand ils combattaient, un bataillon seul
attaquait ; le second ne donnait, que quand le premier avait péri jusqu’au
dernier homme ; et ainsi de suite.
Serment de fidélité au Gam-po, renouvelé chaque année, avec sacrifice
d’un mouton, d’un chien ou d’un singe ; et plus solennellement tous les trois
ans, avec sacrifice d’un homme, d’un cheval ou d’un yak. Le sacrificateur
coupait les membres de la victime et lui fendait le ventre en criant
— Ainsi advienne à quiconque trahira son serment !
A la mort du prince, tous ses ministres se suicidaient pour le suivre dans la
tombe. Son cheval était aussi immolé et enterré avec lui. — Les T’òu-fan
étaient Buddhistes. Des bonzes étaient conseillers du gouvernement. En
outre, ils vénéraient un Mouflon Chênn, et divers Koèi. Ils avaient toute
confiance aux magiciens. Toutes les maladies étaient réputées possession ou
maléfice. Aussi ne pratiquaient-ils, en fait de médecine, que des incantations
et des exorcismes.
258
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Jouer aux échecs, était leur passe-temps favori. Ils célébraient aussi des
fêtes bruyantes, en particulier celle du nouvel an.
En fait de Rites, ils se prosternaient devant celui qu’ils saluaient, en
grattant et glapissant comme font les chiens.
Sur la tombe des morts, un tertre et des arbres.
Aux environs des T’òu-fan (20) du haut Brahmapoutra, à l’Est dans les
hautes vallées du Salouen et du Mékong, les Sou-p’i. — Au sud de l’Himalaya,
Ni-p’ouo-louo (21), le Népal. Là on vénère cinq Esprits Célestes, dont les
statues en pierre sont lavées avec respect chaque jour, et reçoivent une
ration de mouton rôti. — Au nord de l’Himalaya, sur le haut Indus, le Ta
Pouo-lu (22), Baltistan, Ladak actuel. Plus bas, le Siao Pouo-lu (23), Gilghit,
Tchitral. Puis la vallée du Svat, Ou-tch’ang l’Oudyana, et K’ien-t’ouo (54) le
Gandhara, Attock et Peshawer. — Au sud de l’Indus, Keue-cheu-mi
(25)
le
Cachemire.
En 635 arrivèrent à Tch’âng-nan des ambassadeurs de Kachgar (k),
Tachkourgane
(19),
Koukyar
(j).
C’est
très
probablement
avec
ces
ambassades, que le Nestorianisme s’introduisit en Chine, comme nous
dirons plus tard (Culte).
Encore en 635, Lì-tsing infligea une correction aux T’òu-kou-hounn,
lesquels s’étaient réorganisés durant les premières années des T’âng
(p. 1283).
La même année, chez les Turcs occidentaux très divisés à cette époque,
avènement du khan Tie-li-cheu.
En 636, le prince turc Acheuna-chee eull (des Turcs Septentrionaux),
lequel lors de la déconfiture de Kîe-li, s’était
nord
du
désert,
s’annexa
une
p.1330
bonne partie
maintenu indépendant au
du
territoire
des
Turcs
Occidentaux. Cela ne dura guère. Ayant réuni cent mille cavaliers, il voulut
faire rendre gorge aux Tölös. Mal lui en prit. Ecrasé dès la première bataille, il
s’enfuit jusqu’en Chine, et se donna à l’empereur avec tous ses hommes. T’ái-
259
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
tsoung le fit général de sa garde, et lui donna pour épouse une princesse du
sang. Acheuna-chee eull se montra reconnaissant, et rendit aux T’âng de
loyaux services. Ses hommes furent parqués dans le Nîng-hia-fou actuel (u).
En 638, ambassade du roi de Perse Yezdegerd. — Le nom de la Perse, lui
vient, dit l’Histoire, du nom de son fondateur, le Scythe à P’ouo-seu-ni,
Prasenadjit. Les Persans portent une robe sans pans ni fentes. Ils marchent
pieds nus, et coupent leurs cheveux ras. Chez eux la droite est le côté
d’honneur. Ils ont des chevaux et des ânes excellents, et des autruches. Ils
ont des éléphants de combat. Dans leurs guerres, ils égorgent tous les
vaincus. Une caste d’hommes impurs, et qui vivent séparés, sont chargés des
funérailles. Ils font dévorer les cadavres par les vautours qui abondent. Les
Persans se parfument pour leurs sacrifices. Ils sont Zoroastriens, vénérant
comme leur plus grand Chênn, le Chênn du ciel (Ormuzd). Ils vénèrent aussi
les Chênn du soleil, de la lune, de l’eau et du feu. Tous les peuples du Tarim
et autres, qui vénèrent Ormuzd et le Feu ont tous appris cette religion et ce
culte des Perses. — Les Turcs Occidentaux avaient brisé le pouvoir des
Sassanides. A Khosrou avait succédé son fils Schiroë, à celui-ci son fils
Ardeschir, à celui-ci son neveu Yezdegerd. Sous le règne de ce roi, les Arabes
(Ta-cheu, du persan Ta-zi ou Ta-i), envahirent la Perse, et poussèrent jusque
dans le Maïmargh (6) au nord de
p.1331
l’Oxus. En 638, Yezdegerd réfugié à
Merw (m), demanda du secours à l’empereur de la Chine. L’Histoire n’a pas
conservé la réponse de ce prince. Il répondit probablement, comme à ceux de
Samarkand (p. 1327), que la Perse était trop loin. Selon l’historien arabe
Tabari, T’ái-tsoung ayant pris des informations sur les Arabes, aurait exhorté
Yezdegerd à se soumettre au plus fort. Celui-ci fut complètement défait par
les Arabes, à la bataille de Nehavend, en 642. C’était, dit l’Histoire, un
mauvais prince. Les Grands du royaume se soulevèrent contre lui. Tandis qu’il
fuyait vers le Tokharestan (13), il fut joint et massacré par un parti de
cavaliers arabes. D’après les historiens persans, il aurait été tué à Merw par
des cavaliers turcs, auxquels le gouverneur de cette ville le livra. Une
troisième version raconte que, ayant quitté la ville, il fut assassiné par le
meunier, dans un moulin où il se reposait.
260
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Nous raconterons plus loin (Culte) les légendes mahométanes, qui se
rattachent à l’empereur T’ái-tsoung. Notons ici les détails brefs et précis, que
l’Histoire donne sur les Arabes, à cette époque.
« Le pays des Arabes est à l’ouest de la Perse. Les hommes ont le
nez aquilin, le teint basané, la barbe forte ; ils portent tous, dans
une ceinture en fil d’argent, un yatagan à poignée d’argent. Les
femmes ont le teint blanc ; elles ne sortent que voilées. Les Arabes
ne boivent pas de vin, et ne font pas de musique. Cinq fois chaque
jour, ils adorent l’Esprit du Ciel. Ils ont des temples si grands, qu’ils
peuvent contenir des centaines de personnes. Chaque septième
jour (vendredi), leur calife, monté dans une chaire (à la mosquée),
tient aux siens le discours suivant : Ceux qui sont tués par les
ennemis, renaissent au ciel ; ceux qui auront tué des ennemis,
seront comblés de bénédictions. De là
p.1332
vient que les Arabes
sont des guerriers extrêmement braves... Le sol de leur pays étant
si pierreux qu’on ne peut pas le labourer, ils chassent et se
nourrissent de viande. Ils recueillent aussi du miel dans les rochers
(abeilles sauvages). Leurs cabanes sont en forme de voitures
(wagons ?.. plutôt, en forme de bâche de voiture, je pense...
tentes). Ils ont des raisins, dont les grains atteignent la grosseur
d’un œuf de poule. Ils ont des coursiers hors pair... Voici leur
origine. Durant la période Tá-ie (605-616) des Soêi, un Hôu, sujet
persan (Mahomet), paissait des troupeaux dans les montagnes
près de Médine. Un homme-lion (l’archange Gabriel, d’après le
Coran) lui dit : A l’ouest de cette montagne, dans la troisième
caverne, il y a un glaive tranchant, et une pierre noire (celle de la
Kaaba) avec des lettres blanches ; celui qui obtiendra ces deux
objets, règnera. Le Hôu y alla, considéra, et trouva tout comme il
lui avait été dit. Les lettres tracées sur la pierre, Lève-toi !... Il se
fit donc roi, emporta la pierre noire, et en fit un palladium. Ses
compatriotes tentèrent en vain de le réduire ; il les battit tous.
Ensuite les Arabes étant devenus très puissants, éteignirent les
Sassanides de la Perse, défirent les empereurs de Byzance,
261
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
envahirent le Nord de l’Inde, asservirent Samarkand et Tachkend.
Depuis la mer au Sud-Ouest, leur empire finit par s’étendre
jusqu’au territoire des Turgäch (W) à l’Est. ...
L’Histoire nous reparlera de leurs exploits.
Au Sud des monts Hindou-kouch, à cette époque, Pa-ti-yen (B),
Badheghis, Hérat, l’ancienne capitale des Ephthalites. — Hou-cheu-kien le
Djouzdan, et Joei-mi le Joumathan (28). — Fan-yen (27), Bamyan. — Ki-pinn
(26), le Kapiça, Kaboul, communiquant avec Peshawer (24) par la passe
Khaïber. — Dans le Sie-hu Zaboulistan,
p.1333
Hao-si-na (26) Ghazna, et Tsi-
ling (30) Zereng. — Enfin P’ouo-seu (31), la Perse.
Les
Turcs
Occidentaux
étaient
alors,
pratiquement
parlant,
une
confédération plutôt qu’un empire. Leurs dix hordes, dont chacune avait son
chef particulier, étaient divisées en deux groupes de cinq, le groupe des cinq
Noucheu-pi à l’ouest du lac Issyk-koul (I), et le groupe des cinq Tou-lou à
l’est du même lac, sur le versant nord de l’Altaï, dans la vallée de l’I-li. Leur
glissade vers l’Ouest, qui les portera, en son temps, sur les trônes d’Ispahan
et de Constantinople, s’accentue. En 638, ils chassèrent Tie-li-cheu leur grand
khan, qui avait perdu leur confiance. Quelques hordes restées en arrière,
dans l’Altaï oriental et dans le Tarim, abandonneront les intérêts de la nation,
et finiront par se fondre dans les peuples de ces pays. La confédération des
Tölös, occupe les bassins de Kobdo et de l’Orkhon, berceau des Huns des
Avars et autres. — En 639, les Turcs Septentrionaux établis par les Chinois à
Tch’âng-nan (p. 1323), se rendirent désagréables. On dut couper la tête au
propre frère de T’óu-li. Puis, les censeurs continuant de protester contre la
présence de ces étrangers au cœur de l’empire, T’ái-tsoung leur donna pour
khan Acheuna seumouo, et les envoya habiter dans les Nân-chan, après avoir
enjoint à leurs ennemis les Tölös de les laisser en paix, s’ils ne voulaient pas
encourir sa colère.
@
262
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Positions géographiques... Dans le bassin de l’I-li, à l’ouest du Jouo-hai lac
Issyk-koul (I), entre Ta-louo-seu (T) Talas Aoulie-ata, et Soei-ie (S) Tokmak
Soujab, les cinq tribus turques Nou-cheu-pi. — Au nord de l’I-li, les T’ou-k’icheu (W) Turgäch. — A l’est du lac Issyk-koul (I), dans la haute vallée de l’Ili, et débordant encore dans
p.1334
la Dzoungarie, jusque vers les lacs Ebi-nor
et Ayar-nor, les cinq tribus turques Tou-lou (X). — Puis, le long du versant
nord de l’Altaï, vers l’Est, les Turs Tch’ou-mi, les Turcs Tch’ou-ue (G), enfin
les Turcs Cha-t’ouo (a), lesquels font bande à part. — Dans les plaines de la
Dzoungarie, des Keue-louo-lou (L) Karlouks. — Dans les steppes au nord du
lac Balkhach, les Kie-kou (Z) Kirghiz. — Au nord de l’Aral et de la Caspienne,
les K’eue-sa (K) Turcs Khazars. — Dans l’Altaï nord-est, Pei-t’ing (G),
Bichbalik les Cinq Villes, devient un centre important. — Les Tölös, bientôt
Ouïgours, dans les vallées herbeuses de Kobdo et de l’Orkhon (O). Siège de
leur gouvernement, près de la Tola (x). — Enfin, colonies de Turcs soumis à
la Chine (R, N, v).
Or K’iū wenn-t’ai, le roi de Tourfan (c), qui s’était allié aux Chinois en 630,
et avait pressé les roitelets du Tarim d’en faire autant (p. 1324), n’avait pas,
en ce faisant, des intentions bien pures. Quand les relations qu’il avait
moyennées furent bien établies, il se mit à détrousser les ambassadeurs et
les marchands, avec la plus parfaite impudeur. L’empereur le cita à
comparaître. Bernique ! Allié aux Turcs, il pilla Karachar (c). L’empereur lui fit
demander ce que cela voulait dire. Il répondit :
— Au vautour l’air, au faisan la brousse, au chat les maisons, au
rat les trous, à moi le Tarim !..
Très scandalisé du style de cette réponse, l’empereur le fit bénignement
exhorter à s’en repentir, avec nouvelle injonction d’avoir à comparaître. K’iū
wenn-t’ai en fut empêché par un accès de cette fameuse febris politica, dont
nous avons déjà vu tant de cas mémorables. L’empereur envoya deux
généraux, avec une armée, pour le soigner. Cette nouvelle n’affecta d’abord
pas trop le prétendu malade.
— Le Gobi est vaste, dit-il ; il y
p.1335
fait froid en hiver, et chaud
en été ; attendons que les T’âng arrivent...
263
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les T’âng arrivèrent. Cette fois K’iū wenn-t’ai tomba sérieusement
malade, si sérieusement qu’il en mourut. Son fils Tchēu-cheng se rendit à
discrétion. L’empereur annexa Tourfan, qui, sous le nom de Sī-tcheou, devint
le centre administratif chinois du Tarim... Ainsi, en l’an 640, l’empire des
T’âng eut pour limites, à l’Est la mer, à l’Ouest Karachar (e), au Sud la
Cochinchine, au Nord le Gobi. Il mesurait 9510 lì de l’Est à l’Ouest, et 10918 lì
du Sud au Nord... Au troisième mois, une ambassade des Liôu-koei (Démons
errants, Esquimaux quelconques) arriva à Tch’âng-nan. Ils racontèrent que
leur pays était à 15000 lì de la capitale, sur les bords de l’Océan glacial
arctique.
Positions géographiques, pourtour du Tarim, du Nord-Est au Sud-Ouest...
I-ou ou Ha-mi (b) Kha-mi. — Kao-tch’ang (c), le pays de Tourfan. — Ya-eullhou (d), Yarkhoto. — Yen-k’i (e), Karachar. Koei-tzeu (f), Koutcha. Puis Kiup’i-louo Saïram, Pai Baï, Kou-mei Yaka-arik. — Wenn-sou (g), Aksou ; et
Outch (o), passe Bedel. — Chou-lei (k), Kachgar. Souo-kiu (y), Yarkend. —
Tchao-keou-kia (h), Kargalik. — Tchou-kiu-p’ouo (i), Kou-kyar. — U-tien (m),
Kotan. — K’eue-li-ya (n), Keria. — Près du Lob-nor (p), les restes des ChanChan. — Près du Koukou-nor (q), les restes des T’ou-kou-hounn. — Le
Tangout (t).
En 641, le roi du Tibet (20) demanda la main d’une princesse chinoise.
L’empereur lui accorda la princesse Wênn-tch’eng. Le Gam-po fut très
content. Il se prit de goût pour les mœurs et usages chinois. Il bâtit, pour sa
p.1336
princesse, un château avec palais et temple, à la mode de la Chine. La
princesse ayant trouvé mauvais que les Tibétains ne se lavassent jamais et
eussent le visage peint en rouge, le Gam-po fit laver ses sujets et interdit
cette peinture. Il leur fit aussi donner des leçons de politesse. Il envoya ses
fils et frères à l’école impériale de Tch’âng-nan, pour y étudier les Odes et les
Annales.
@
264
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Encore en 641, les Tölös (O) ayant appris que l’empereur allait se rendre
au Chān-tong pour y sacrifier sur le T’ai-chan (voyez Culte), leur khan se dit
que l’occasion était belle, pour se débarrasser des Turcs Septentrionaux, que
l’empereur avait établis dans les Nân-chan (v. p. 1330). Il chargea de cette
besogne son fils Ta-tou-chee, auquel il confia 200 mille cavaliers. Les Turcs se
retirèrent à l’intérieur de la muraille, qui protégeait dès lors le Nîng-hia-fou
(u) actuel, et firent savoir à la capitale ce qui se passait. L’empereur ordonna
à Lì cheu-tsi de marcher contre les envahisseurs. Soit peur des Tölös, soit
haine des Turcs, Lì cheu-tsi refusa ; les autres généraux firent de même ;
l’empereur dut parlementer avec eux.
— Les Tölös étant venus de très loin, leur dit-il, ils sont fatigués,
hommes et bêtes, et ne pourront ni avancer ni reculer vite ; leurs
provisions
doivent
être
épuisées,
et
j’ai
déjà
donné
ordre
d’incendier les herbes ; ils ne pourront, ni se ravitailler, ni nourrir
leurs chevaux ; attendez qu’ils soient à bout de ressources, puis
tombez dessus avec les Turcs...
Quand les bons généraux chinois furent persuadés qu’il n’y avait que peu de
danger à courir, ils redevinrent très braves. De fait, l’empereur avait calculé
juste. Dans un combat facile contre un ennemi harassé, Lì cheu-tsi tua trois
mille Tölös, et en prit cinquante mille. Ta-tou-chee échappa, avec le reste de
son monde. Mais, durant sa
p.1337
retraite à travers le désert, plus terrible
que les Chinois, la neige lui en fit périr plus des huit dixièmes.
En 643, arrivée à Tch’âng-nan d’un ambassadeur de P’ouo-touo-li roi de
Fôu-linn (Constantinople, p. 1256). Il offrit du verre rouge et de la poudre
d’or. On lui donna un récépissé... Or l’empereur qui régnait alors à
Constantinople, était Constant II, un enfant de 14 ans. Qu’est-ce que ce
P’ouo-touo-li (prononciation méridionale Poto-lik, prononciation ancienne
Bat-da-lik) ? On a voulu reconnaître, sous ce nom, Théodore le pape d’alors
(peu probable) ; un préfet du prétoire ou patrice Pierre (plus probable) ;
enfin un patriarche Bathrik nestorien, ou son envoyé qui se serait fait passer
pour ambassadeur, pour entrer comme O-lo-pen (très probable). Nous avons
vu jadis l’histoire d’un ambassadeur douteux, probablement faux (p. 755). La
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pauvreté des offrandes de celui-ci, et le dédaigneux récépissé qu’il reçut, au
lieu d’un présent impérial, donnent à penser que c’était bien un faux
ambassadeur, et que les Chinois ne s’y trompèrent pas.
En 643, le général chinois Koūo hiao-k’iao prend Karachar (e), dont le roi
T’ou-k’i-tcheu est fait prisonnier.
Le Coréen Kāi sou-wenn ayant assassiné son roi, l’empereur T’ái-tsoung
déclara qu’il irait en personne tirer vengeance de ce meurtre. — Il entra en
campagne au premier mois de l’an 645. Avant de partir, il remit la régence
au prince impérial. Comme celui-ci pleurait, l’empereur lui dit, pour le
consoler :
— Gouverner n’est pas si difficile. Attire les bons, écarte les
méchants ; récompense le mérite, punis le démérite ; sois juste
pour tous, n’aie pas de favoris, et tout ira bien.. A quoi bon
pleurnicher ?..
Quand l’armée se mit en marche à Tíng-tcheou
p.1338
(Tchéng-ting-fou),
l’empereur tout armé boucla lui-même derrière sa selle son manteau contre la
pluie. L’armée ayant passé le fleuve Leâo, arriva à Huân-t’ou. Les Coréens se
renfermèrent dans leurs villes murées, et s’y préparèrent à la résistance.
Après un combat heureux, Tchāng-kien qui commandait un corps d’auxiliaires
barbares, prit Kién-nan. Lì cheu-tsi prit Kāi-mou. Tchāng-leang ayant atterri
avec la flotte chinoise, attaqua Pī-cha. Cette ville était inabordable de trois
côtés. L’officier Tch’êng ming-tchenn l’aborda par le quatrième, durant la nuit.
Le soldat Wâng ta-tou escalada le premier le rempart. La ville fut prise, et ses
huit mille habitants furent réduits en esclavage.. Alors Lì cheu-tsi aborda la
grande ville de Leâo-yang. Une armée de 40 mille Coréens, accourue pour la
secourir, fut mise en déroute par le prince Lì tao-tsoung, avec quatre mille
cavaliers seulement. Quand l’empereur arriva, ses troupes travaillaient à
combler les fossés de la place. Lui-même se mit à les aider, et tous ses
officiers portèrent des paniers de terre. La ville était investie depuis douze
jours. L’élite des troupes impériales donna un assaut général. La pyrotechnie
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
chinoise, lances à feu ou traits incendiaires, épouvanta les Coréens. La ville
fut prise. Dix mille guerriers furent tués, dix mille furent faits prisonniers, et
40 mille habitants furent réduits en esclavage.
De là, l’armée impériale alla assiéger Pâi-yen. Le prince turc Acheuna
seumouo ayant été blessé par un trait d’arbalète, l’empereur suça lui-même
sa blessure, ce qui enthousiasma les troupes. Le prince ouïgour Heûe-li ayant
été renversé d’un coup de hallebarde dans les reins, Sūe wan-pi fonça seul
dans la mêlée, le saisit à bras le corps, et l’emporta en lieu sûr. Furieux,
Heûe-li fit panser sommairement sa blessure, et retourna au combat. Les
Coréens furent enfoncés.
p.1339
La ville demanda à capituler, puis se dédit.
L’empereur trouva cette inconstance mauvaise, et promit aux soldats que,
quand la ville serait prise, tout serait à eux, personnes et choses. Serré de
près, la ville redemanda à capituler. L’empereur s’apitoya sur son sort. Lì
cheu-tsi s’avança et lui dit :
— Si vos soldats ont bravé la mort, et sont arrivés à réduire la ville
aux abois, c’est à cause de la promesse que vous leur avez faite.
N’allez pas vous dédire maintenant, car vos soldats vous en
voudraient...
L’empereur descendit de cheval, salua et dit :
— Vous avez raison. Mais je ne puis pas me résoudre à voir
massacrer ces hommes, à laisser réduire leurs femmes et leurs
enfants
en
esclavage.
Je
vous
promets
de
récompenser
libéralement à mes frais, tous ceux de vos soldats qui l’auront
mérité...
Lì cheu-tsi se retira. La ville capitula... Depuis que l’Ouïgour Heûe-li avait été
blessé, l’empereur avait chaque jour pansé sa plaie lui-même. Quand Pâi-yen
eut capitulé, le Coréen qui l’avait frappé ayant été découvert, l’empereur le lui
livra, pour qu’il eût la consolation de le tuer de sa propre main.. Heûe-li
montra, en cette conjoncture, qu’il n’était pas Chinois.
— Comment, dit-il, je tuerais cet homme brave et dévoué, qui s’est
jeté, pour son prince, au milieu des ennemis ?!.
et il lui donna la liberté.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
De Pâi-yen, l’armée impériale marcha vers Nān-cheu. Toutes ces
forteresses étaient situées dans la presqu’île du Leâo-tong. Après la défaite
d’une armée accourue au secours de la place, les Chinois investirent Nāncheu. Six ou sept assauts quotidiens, de jour et de nuit. Les béliers battaient
les remparts, les catapultes bombardaient les créneaux et les tours. Mais
toutes les brèches étaient immédiatement fermées par des palissades en bois
tenues toutes prêtes. Enfin des machines montées sur un tertre, dont la
construction avait coûté 500 mille journées de terrassier, firent tomber, en
s’abattant sur lui, une
p.1340
partie du rempart. Mais aussitôt, chargeant en
colonne à travers la brèche, les Coréens enlevèrent le tertre et s’y
retranchèrent. Les Chinois les attaquèrent durant trois jours, sans parvenir à
les en déloger... Considérant que le Leâo-tong est un pays sec et froid où
l’herbe et l’eau manquent en hiver, considérant aussi que son armée et ses
provisions étaient épuisées, l’empereur T’ái-tsoung donna ordre de lever le
siège de Nān-cheu, et de commencer la retraite. Du haut de son rempart, le
commandant coréen lui cria
— Bon voyage !..
— Donnez cent pièces de taffetas à ce brave officier, dit
l’empereur, afin d’encourager les sujets à bien servir leurs
princes...
La retraite fut désastreuse. La bise et la neige firent périr nombre de Chinois.
Les résultats de la campagne furent, la ruine de dix villes coréennes, la mort
de 40 mille Coréens, la réduction en esclavage de 70 mille autres que l’armée
chinoise ramena à sa suite. Les Chinois avaient perdu trois mille guerriers, et
presque tous leurs chevaux... L’empereur fut désolé de ce fiasco.
Arrivé à Yîng-tcheou, il fit des offrandes et des libations aux officiers et
soldats morts victimes de cette expédition. L’historien gouaille :
« Eh quoi, au commencement de son règne, T’ái-tsoung fit
ensevelir pieusement les os des soldats chinois qui blanchissaient
dans les plaines du Leâo-tong depuis le désastre de l’empereur
Yâng des Soêi (p. 1287), et voilà que, sur le tard, lui-même
ressema les mêmes plaines de nouveaux ossements. Après avoir
fait mourir les corps de ces hommes, il fit des libations à leurs
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
mânes, et crut sans doute que, cela fait, tout était pour le mieux.
C’est risible !
Quand l’armée impériale fut rentrée en Chine, il restait 14 mille des 70
mille prisonniers coréens ; les autres étaient morts ou évadés. Les soldats
allaient se les partager. T’ái-tsoung s’émut de voir, séparer les parents des
enfants, les époux des
captifs,
et
leur
donna
p.1341
la
épouses. Il acheta de ses deniers tous les
liberté.
Ces
pauvres
gens
lui
furent
très
reconnaissants, dit l’Histoire.
Puis l’empereur rentra à la capitale (646), déconfit, mais non converti.
C’est chose curieuse, que la rage avec laquelle les empereurs chinois qui
s’attaquèrent à la Corée, mordirent à leur entreprise. Presque tous s’y
brisèrent les dents. T’ái-tsoung donna ordre aux provinces du midi, de
construire des jonques de guerre, en vue d’une nouvelle expédition contre les
Coréens.
En 645, le khan Tchēnn-tchou des Tölös étant mort, son fils Toūo-mi lui
succéda. Celui-ci demanda à l’empereur une princesse chinoise, qui lui fut
accordée, en échange des villes de Koutcha, Kachgar, Tach-kourgane et
Koukyar (p. 1335). La cession de ces territoires, dut coûter peu aux Tölös, car
ils étaient indépendants. Ils cédèrent plutôt, ce semble, leurs droits ou
prétentions sur ces villes. Quoi qu’il en soit, la lune de miel fut courte. Toūomi, qui était de la horde Syr-tardouch, s’étant montré brouillon et cruel, la
horde des Ouïgours se souleva contre lui. Il les battit. L’empereur envoya une
armée au secours des Ouïgours. Les Syr-tardouch furent battus, et Toūo-mi
fut massacré. Désormais les Ouïgours (Togouz-Ogouz) primèrent dans la
confédération des Tölös, et devinrent rapidement une grande puissance. En
finauds qu’ils étaient, ils demandèrent en 647 à T’ái-tsoung de vouloir bien les
éduquer. Très flatté, celui-ci leur ébaucha un simulacre d’organisation et de
civilisation chinoise. En réalité, dit l’Histoire, les Tölös restèrent ce qu’ils
étaient et furent gouvernés par T’ou-mi-tou, le chef des Ouïgours.
269
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 648, première apparition, à Tch’âng-nan, d’ambassadeurs de la race
des Kirghiz (Z). Les Turcs molestaient ce
p.1342
peuple, ce qui lui fit tourner
les yeux vers la Chine. Provisoirement, on leur donna de bonnes paroles...
Les Kirghiz sont de grande taille, dit le texte ; ils ont la barbe et les cheveux
roux, et l’iris des yeux vert.
Encore en 648 ; exploits de Wâng huan-tch’ai dans l’Inde. Ce pays était
alors divisé en cinq puissances principales. L’Inde centrale (Magadha), était la
plus puissante ; les autres lui obéissaient. T’ái-tsoung envoya Wâng huantch’ai, comme ambassadeur, à Harsha Siladitya roi de Magadha. Ce roi étant
venu à mourir, le ministre A-louo na-chounn usurpa son trône, et tenta de
faire un mauvais parti à l’envoyé chinois. Celui-ci ne perdit pas la carte. Il se
sauva chez les Tibétains, dont nous savons la sympathie pour la Chine, à
cette époque. Ces bonnes gens montrèrent qu’ils avaient profité de l’étude
des Odes et des Annales. Eux (20) et les Népalais (21) fournirent à Wâng
huan-tch’ai une armée, avec laquelle ce hardi aventurier surprit Magadha (z,
Patna dans le Bahar), la réduisit en deux jours, captura l’usurpateur et le
ramena triomphalement jusqu’en Chine.
Cependant les roitelets de Karachar et de Koutcha n’étant pas sages,
l’empereur envoya le prince turc Acheuna-chee eull (p. 1330), pour les mettre
à la raison. Celui-ci surprit Karachar (e), par une marche tournante. Le
roitelet tenta de fuir vers Koutcha (f). Il fut pris en route et décapité... Puis
Acheuna chee eull ayant battu Pou-cheu-pi le roi de Koutcha, et son ministre
Na-li, prit Koutcha qu’il confia au général Koūo hiao-k’iao, puis alla assiéger
Yaka-arik (entre f et g) où Pou-cheu-pi s’était réfugié, l’enleva et prit le roi.
Derrière son dos, Na-li surprit et tua Koūo hiao-k’iao. Le général de cavalerie
Ts’âo ki-chou lui rendit la pareille. Acheuna chee eull prit cinq villes
p.1343
considérables, et reçut la soumission de 70 villes moindres, c’est-à-dire qu’il
rétablit le vasselage du Tarim, moitié par la force, moitié par la ruse, de
more. Comme tant d’autres avant lui, il fit graver ses exploits sur une stèle,
et revint. Dans ces pays où il ne pleut guère, et où toute pierre gravée est
considérée comme chênn, ces inscriptions chinoises se sont conservées, à la
270
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
grande joie des épigraphistes. Il en fut tout autrement des choses qu’elles
racontent, lesquelles ne durèrent généralement que jusqu’à la saison
prochaine.
@
Culte. Sectes.
Buddhisme. — En 631, par édit impérial, les Buddhistes reçurent ordre
d’avoir à se prosterner devant leurs parents, comme c’est la règle en Chine
(cf. p. 1335). Les Commentateurs se moquent de l’empereur T’ái-tsoung.
« Il
commença,
disent-ils,
par
poursuivre
sévèrement
les
Buddhistes (p. 1314), puis il se radoucit jusqu’à traiter avec eux
sur des questions rituelles. Il imposa la prostration, à ceux qui
refusaient le deuil. C’est un rabais. Ces Buddhistes qui se
prosternent devant leurs bonzes, et qui refusent de le faire devant
leurs parents, ce sont vraiment les Etres dépourvus de Rites, dont
Confucius a parlé.
Le terrible Fóu-i vivait encore. C’est lui qui fut le promoteur de toutes les
hostilités de T’ái-tsoung contre les Buddhistes (p. 1312). Fóu-i ne croyait à
rien. Il avait tant étudié, dit le Texte, les écrits sur la cabale et les traités sur
les nombres, qu’il aboutit au scepticisme universel et parfait. Si bien que,
étant tombé malade, il refusa de voir aucun médecin et de prendre aucun
remède. Or il y avait alors à la capitale un bonze venu du Tarim, qui possédait
l’art d’occire les gens par une première incantation, et de les ressusciter par
p.1344
une seconde formule. L’empereur lui ayant fait faire en sa présence
l’expérience de son talent, fut si émerveillé, qu’il proposa à Fóu-i de lui faire
rendre la santé par cet artiste...
— Cet homme est un magicien, dit l’Annaliste. Or le mal ne tient
pas en présence du bien. Qu’il vienne ! il n’aura pas prise sur moi...
L’empereur ordonna au bonze d’opérer. Fóu-i n’éprouva aucun effet, et le
bonze tomba mort. Les Lettrés, lesquels ont probablement inventé cette
histoire de toutes pièces, s’édifient à fond quand ils la racontent... Une autre
fois, on apprit à Fóu-i qu’un bonze exhibait une dent du Buddha, laquelle
271
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
brisait tous les objets qu’elle touchait. Tout Tch’âng-nan courait admirer la
merveille. Fóu-i dit à son fils :
— Ce doit être un morceau de kīnn-kang, corps plus dur que tous
les autres, mais que la corne d’antilope réduit en poussière ; va
faire l’expérience !..
Le fils y alla, la prétendue dent du Buddha se brisa, le scandale cessa, et les
Lettrés admirent.
Fóu-i mourut à 85 ans, impénitent. Quand il se sentit défaillir, dans un
effort suprême, il adjura son fils de ne jamais lire aucun livre buddhique, et
expira.
Sous le règne de l’empereur T’ái-tsoung, de 629 à 645, le bonze chinois
Huân-tsang fit un pèlerinage dans l’Inde (cf. p. 1047). Sa relation, document
géographique célèbre, existe encore. Il passa par Nân-chan (v), visita à
Tourfan (c) le roi K’iu wenn-t’ai, dévot Buddhiste, que nous connaissons (p.
1334), reçut de lui des lettres de recommandation pour le khan des Turcs
Occidentaux dont le fils avait épousé sa fille, alla de Tourfan, par Karachar
Koutcha Aksou Outch, à Tokmak (S). Là il rencontra le khan qui chassait.
« Il portait un manteau de soie verte. Sa chevelure était ceinte d’une
bande de soie, retombant par derrière. Il était entouré de 200
officiers, vêtus de brocart, et montés sur des chevaux caparaçonnés.
Les chasseurs étaient montés sur des chameaux ou sur des chevaux,
vêtus de fourrures et de fines laines, armés de lances et d’arcs.
Le khan donna au pèlerin un guide, pour le conduire, à travers ses domaines,
Talas, Kesch, les Portes de fer, Koundouz, Balkh, jusqu’au Kapiça T, 7, 13,
26). Puis le roi de ce pays le fit passer, par le col Khaïber, dans l’éden
buddhique Gandhara-Oudyana (24). A son retour, après 17 années de
voyages et d’études, Huân-tsang rapporta 657 ouvrages buddhiques, et
quantité de reliques... Le roman Si-you-ki a fait de l’empereur T’ái-tsoung le
pieux promoteur de ce voyage. Pure fiction. Voyez HCO pages 731, et 733 à
739.
@
Taoïsme. — Il n’en est pas parlé explicitement, sous le règne de T’áitsoung, mais ce qui suit s’y rattache... L’empereur ayant remarqué que les
traités divinatoires, basés sur les deux principes, en usage de son temps,
272
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
étaient pleins d’erreurs, il ordonna à Lù-ts’ai d’en faire une édition revue et
corrigée. Lù-ts’ai orna chaque section de son œuvre, d’une préface de sa
façon.
S’appuyant
sur
le
sens
commun
et
l’expérience,
il
attaqua
vigoureusement plusieurs formes de superstition.
1° la croyance à la prédestination à la fortune ou à l’infortune, de certains
noms ou
p.1345
clans ; on trouve, dit-il, des Tchāng, des Wâng, dans toutes
les positions et situations ; donc leur nom n’y est pour rien.
2° la croyance au destin identique, de tous ceux qui sont nés sous les
mêmes signes célestes. Les quatre cent mille hommes que Pâi-k’i massacra à
Tch’âng-p’ing
(p.
182),
étaient-ils
tous
nés
sous
le
même
signe ?
Certainement non.
3° la croyance à l’influx de la sépulture des Ancêtres, sur le destin de leur
famille. Ses paroles, sur ce dernier sujet, sont remarquables.
« Si les Anciens consultaient la tortue et l’achillée, avant les
funérailles, c’était uniquement pour se garantir des obstacles ou
accidents inopinés. Maintenant on recourt à la divination, pour
déterminer l’époque des funérailles, pour découvrir un terrain
faste, en vue d’obtenir longue vie aux descendants. Les Anciens ne
faisaient pas ainsi. Le rituel officiel déterminait avec précision
l’année et le mois des funérailles de l’empereur, des feudataires,
des officiers ; donc ils ne recouraient pas à la divination pour cela.
L’enterrement du duc Ting de Lòu fut remis à un autre jour, à
cause d’une pluie ; donc ils ne voyaient rien d’absolu dans le jour.
Ils enterraient uniformément tous les morts au nord des villes,
donc ils ne voyaient rien de fatidique dans le terrain. Et
maintenant, à cause des vains propos d’un devin, on choisit le
terrain, on détermine le temps, dans l’espoir que ces précautions
rapporteront à la famille des richesses et des honneurs. Jamais il
n’y eut chose plus contraire aux traditions et aux rites, que cette
chose-là.
273
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Fōng-chán. — En 632, les officiers demandèrent à l’empereur de faire,
sur le T’ái-chan, les cérémonies fōng-chán (p. 211, 442, 461, 680).
L’empereur répondit :
— Vous pensez qu’il faut faire cette cérémonie, pour rendre
l’empire prospère. Moi je pense que, la prospérité étant rétablie
par une bonne
p.1346
administration, on pourra se passer de cette
cérémonie. Le Premier Empereur des Ts’înn (p. 211) l’a faite.
L’empereur Wênn des Hán (p. 352) ne l’a pas faite. La postérité at-elle pour cela blâmé ce dernier, et loué le premier ? Est-il besoin
d’escalader le mont T’ái-chan, d’élever un tertre et d’aplanir une
aire, pour sacrifier au Ciel et à la Terre, et pour leur prouver sa
vénération ?
En 633, les officiers revinrent à la charge.
— Je souffre d’un asthme, qui m’empêche de gravir les montagnes,
dit l’empereur...
Les choses en restèrent là, provisoirement.
Commentaire :
« Dans l’antiquité, dit maître Fán, chaque fois que le Fils du Ciel faisait sa
tournée d’empire, quand il était arrivé au mont sacré de chaque région (p.
62), il allumait un bûcher pour annoncer au Ciel sa venue, sacrifiait, et
saluait les Monts et les Fleuves de la région, adorant le Ciel et propitiant les
Chênn. Dans les siècles postérieurs, le vrai sens de ce rit fut oublié. Des
Lettrés, vils flatteurs, en firent un droit régalien, une cérémonie par laquelle
l’empereur (au lieu de remercier et d’implorer), conférait des titres au Ciel et
à la Terre (p. 442). Il est certain que cette théorie fut inventée sous le
Premier Empereur des Ts’înn, et qu’on n’en trouve aucun vestige dans
l’antiquité.
« Le sacrifice au Ciel, dit l’antique répertoire Eùll-ya (sous la dynastie
Tcheōu), consiste à allumer un bûcher. Car le ciel est si haut, que les
hommes ne peuvent y atteindre. On allume donc un bûcher, dont la fumée
s’élève jusqu’au ciel (et y porte les hommages des hommes).
« Pour sacrifier au Ciel, dit Mà-joung (premier siècle de l’ère chrétienne), on
élevait un bûcher, on y couchait une victime, puis on brûlait le tout.
L’empereur annonçait au Ciel son avènement, par cette cérémonie.
274
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Encore une fois, ceux qui inventèrent la cérémonie fōng-chán, et qui
poussèrent par la suite les princes à la faire, étaient de vils adulateurs, qui
ne cherchaient qu’à complaire à leur maître.
La grandeur altérant toujours, à la longue, la molle cervelle des hommes,
T’ái-tsoung finit pourtant par y venir. En 637, il permit au conseil des
ministres, de délibérer sur les cérémonies fōng-chán.
En 640, les officiers ayant renouvelé leurs instances, il promit de faire la
chose. Mais la théorie étant que, pour avoir la face, l’empereur ne pouvait se
présenter devant le Ciel, que dans un moment où son empire était
parfaitement en ordre, divers troubles et malheurs firent ajourner de fois en
fois l’exécution de cette promesse.
Fixée d’abord au 2e mois de l’an 642, elle fut remise à cause d’une
comète, qui parut en 641 dans les
p.1347
constellations polaires.
Refixée au printemps de l’an 648, elle fut encore remise, à cause d’une
inondation. L’empereur T’ái-tsoung mourut en 649, sans avoir vu le T’ái-chan.
@
Zoroastrisme. — L’empereur T’ái-tsoung le connut et le favorisa...
« A Tch’âng-nan, dit le Texte, à l’angle sud-ouest de la Trésorerie,
se trouve le temple de Hiēn, construit en l’an 621. Hiēn est le
Génie du ciel des Hôu du Tarim (cf. p. 1330). Dans ce temple, les
sacrifices au Génie Hiēn sont gouvernés par un membre du collège
officiel des Sapao (en syriaque Sâbâ, Anciens, Prêtres), qui y est
attaché. On l’appelle vulgairement l’Invocateur des Hôu. — Pour ce
qui est de Hiēn Génie du Feu, il y eut jadis, en Perse, un certain
Sou-lou-tcheu (Zarathustra, Zoroastre), lequel mit en vogue son
culte. Ses disciples l’importèrent en Chine. En 631, un disciple de
Zoroastre, le Mage Heûe-lou, se présenta à la cour, et y parla en
faveur du culte du Génie Hiēn. Un édit impérial ordonna la
construction, à la capitale, d’un temple chaldéen.
La facilité avec laquelle cette concession fut accordée, et l’absence
d’aucune note, s’expliquent par le fait que ce culte n’était pas nouveau en
Chine. Il y était même officiellement reconnu, et avait déjà ses temples. Dès
275
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
le début du sixième siècle, raconte l’histoire des T’oūo-pa de Wéi (chap. 13,
fol. 12, col. 11), il y avait à Láo-yang un temple du Génie du ciel des Hôu.
Quant, à l’apogée de sa dévotion pour le Buddhisme, la reine Lîng de Wéi,
c’est-à-dire la fameuse reine Hôu (p. 1185 seq.), veuve de T’oūo-pa k’iao
(500-515), proscrivit en masse (probablement en 516) tous les cultes non
autorisés, le Génie du ciel des Hôu ne fut pas compris dans cette exécution...
Les Zoroastriens de la Chine, étaient gouvernés officiellement par le collège
de leurs Sa-pao, et par le fonctionnaire impérial Hiēn-tcheng... D’ailleurs, vu
les relations suivies de la Chine avec la Perse, il serait étonnant que les
Chinois n’eussent pas connu le culte persan. Les historiens chinois ont noté
une ambassade persane, dès 461, sous Firouz I. Deux ambassades, l’une en
518, l’autre en 528, sous le règne de Kobad (491 à 531), époque où le mage
Mazdek inventa sa secte et fit tant de bruit. Ambassades sous Khosrou I (531
à 578). Ambassades sous l’empereur Yâng-ti des Soêi (605-616), Khosrou II
Parwiz régnant sur la Perse. Le harem impérial chinois, se fardait alors avec
des cosmétiques persans.
L’époque
de
Zoroastre
(Zarathustra,
Zaradoust,
Souloutcheu)
est
douteuse. La ville de Balkh fut le centre du Zoroastrisme, dont les préceptes
sont contenus dans des poèmes (Naskas) écrits dans une langue morte (le
Zend). Voici les grandes lignes du système : Au-dessous d’un principe
suprême abstrait, éternité, durée sans limites (Zerwane-Akerene, d’où
Kronos, probablement), deux principes subalternes personnifiés luttent et se
disputent le monde : Spandomainyus
p.1348
le Producteur, appelé aussi
Ahuramazda le Maître omniscient (Ormuzd, (Oromaze) dieu du bien et de la
lumière, et Angromainyus le Destructeur (Ahriman, Arimane) dieu du mal et
des ténèbres. Ormuzd fut le premier, dit la secte ancienne des Zerwanites. Se
voyant seul, il se dit : Si je n’ai rien à vaincre, quelle gloire y aura-t-il pour
moi ? Cette pensée produisit Ahriman. Ormuzd et Ahriman commandent aux
anges (amschaspands, izeds) et aux démons (darvands, dews). La lutte des
deux principes se terminera un jour, par la défaite définitive d’Ahriman par
Ormuzd, du mal par le bien. Dans le Zoroastrisme (appelé aussi Mazdéisme,
culte d’Ahura-mazda), le feu était entretenu et vénéré comme le symbole
d’Ormuzd... Chez les Mèdes et les Perses, les Mages (Magh ou Meikousch des
276
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Arabes, en chinois Mouhou ; Maghpat, Moghbed, chef de Mogh, en chinois
Mouhoupa) prêtres du Zoroastrisme, devinrent une corporation extrêmement
puissante. Ils reconnaissaient un Etre Souverain Bon, Ormuzd, dont le feu
était le symbole, et qu’ils adoraient sous le ciel, en plein air, sans temples ni
autels, disant qu’on diminuait Celui qui remplit tout par sa présence et sa
bienfaisance, en l’enfermant entre des murailles. Ils croyaient à l’immortalité
de l’âme. Après avoir quitté la terre, les âmes faisaient, d’après eux, un stage
successif (purification, éthérisation) dans les sept planètes, pour aboutir enfin
au soleil, le séjour définitif des bons. Comme contre-partie, un monde des
ténèbres, pour les méchants. Les sciences occultes, très cultivées par les
Mages, en vue de conjurer Ahriman et ses suppôts, ont été appelées, de leur
nom, magie... De nos jours, cette forme primitive du Zoroastrisme, le
Mazdéisme, est encore conservée et pratiquée par les Guèbres (appellatif
mahométan, Ghebr, les mécréants) surtout dans le Farsistan (d’où les
appellatifs Parsis, Parsisme), dans quelques villes de l’Asie Centrale et de
l’Inde, en particulier à Bombay. Doux, tranquilles, hospitaliers, bienfaisants,
ayant grand soin de leurs familles, les Parsis conservent précieusement les
écrits de Zoroastre avec les additions qui y ont été faites (Zend-Avesta), et
vénèrent le feu. Au milieu d’un édicule carré (atesch-gah), une pierre
supporte un réchaud de bronze (atesch-dan), dans lequel brûle un feu,
alimenté par du bois et des parfums. Ceux qui l’entretiennent, n’en
approchent que la bouche couverte d’un bandeau, et les mains enveloppées
de linges. Si le feu vient à s’éteindre, on le rallume en frottant deux bois ou
en battant le briquet, ou en concentrant les rayons du soleil au moyen d’un
miroir concave ou d’une lentille. Le feu du temple de Damaun près de
Bombay, brûle, dit-on, depuis 1200 ans. Il fut apporté de la Perse, quand les
persécutions des musulmans contraignirent les Parsis d’émigrer, et de
chercher un refuge dans l’Inde. Les Parsis saluent et prient le soleil, à son
lever et à son coucher. Leur cuisine est un lieu sacré, à cause du feu de l’âtre.
Ils ne fument pas, pour ne pas profaner le feu. Ils vénèrent aussi, à
proportion, la lune, les étoiles ; et de plus, l’océan (dans lequel ils jettent du
sucre), les monts, les fleuves, toutes les forces de la nature. Les cadavres des
morts sont exposés nus à l’action des agents naturels, chaleur, pluie,
vautours ; les ossements qui restent, sont jetés dans un puits commun.
277
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Voici un échantillon du Zend-Avesta : Les hommes seront jugés, selon le
bien et le mal qu’ils auront fait. Leurs actions seront pesées. Ceux chez qui le
mérite l’emportera sur le démérite, habiteront la lumière ; ceux dont les
démérites l’emporteront sur les mérites, iront dans les ténèbres. Quand tu
douteras si une chose est bonne ou mauvaise, ne la fais pas. Quoi qu’il
t’arrive, bénis Ormuzd. Honore ton père et ta mère. Fais l’aumône. Ne mens
jamais, même quand le mensonge te serait profitable. Ne cherche à séduire la
femme de personne. Marie-toi dès ta jeunesse, car ce monde n’est qu’un
passage ; afin que ton fils te succède, et que la chaîne
p.1349
des êtres ne soit
pas interrompue. Que ta main, ta langue et ta pensée, soient pures. Jour et
nuit, pense à faire le bien, car la vie est courte. Dans le malheur, offre à
Ormuzd ta patience ; dans le bonheur, remercie-le.
@
Le Nestorianisme. — Le Christianisme fut-il prêché en Chine avant le
septième siècle ? Je ne pense pas qu’aucun document actuellement connu le
prouve. La statue de Canton ne représente, ni Saint Paul, ni Saint Thomas,
mais le prince-moine indien (p’ouo-louo-menn) Bodhidharma (Ta-mouo), qui
débarqua à Canton en 520, et importa le Védantisme en Chine. Voyez HCO, L.
62, page 523. voici les passages de l’inscription de Canton, qui établissent le
fait :
« Les annales de la pagode Ta-hi-seu rapportent que, durant la
période P’òu-t’oung (520-526), Bodhidharma y arriva par mer,
venant de l’Inde méridionale, avec son frère plus jeune que lui. Le
jeune frère ayant trouvé la pagode à son goût, s’y fixa. On lui bâtit
une cellule. Bodhidharma continua son voyage... Durant la période
Yuân-fong (1078-1085), pour remercier d’une faveur reçue du
Chênn, le préfet de Canton fit faire (ou orner) cette statue.
Le texte ne dit pas si la statue représente Bodhidharma, ou le frère cadet de
ce dernier.
Deuxièmement, pour ce qui est de certains textes liturgiques ou
canoniques des 4, 5, 6e siècles, qui font allusion à la juridiction de certains
patriarches ou évêques orientaux sur le pays des Sères, sur Sina la Chine
(par exemple, Ebedjesus Sobiensis in Epitome Canonum... Heriae, et
278
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Samarkandæ et Sinæ, metropolitanos creavit Catholicos Saliba-Zacha), ils
s’expliquent d’une manière bien simple. Ces personnages avaient juridiction in
potentia, c’est-à-dire avaient juridiction pour le jour où ils auraient mis le pied
dans le pays. Restait à l’y mettre. On ne voit pas qu’ils l’aient fait.
Troisièmement,
le
mot
Serica,
employé
dans
ces
textes,
signifie
vaguement le pays d’où vient la soie, et non pas précisément la Chine. Dans
la géographie ptoléméenne, alors en usage, Serica c’est le fond du Tarim,
Issedon serica c’est Kotan. C’est ainsi que s’explique le texte du 4e siècle, de
St Ambroise ou d’un contemporain (de moribus Brachmanorurn, ad calcem
operum Sti Ambrosii, Migne, patrologiæ latinæ tom. 17 col. 1131) : Musæus
frater noster Dolenorum episcopus mihi retulit, quod ipse aliquot ante annos
ad Indias, Brachmanos (les bonzes du Gandhara-Oudyana) visendi studio
profecturus, Sericam fere universam regionem peragravit... Ce qui suit,
prouve que Musæus n’a jamais vu la Chine : In qua refert arbores esse, quæ
non solum folia, sed lanam quoque proferunt tenuissimam, ex qua vestimenta
conficiuntur quæ serica nuncupantur (cf. Pline, p. 756)... Ce qui suit, prouve
que Musæus passa par la Sogdiane : Et ibi insignem quamdam conspici
lapideam columnam Alexandri nomine hoc titulo sculptam « Ego Alexander
huc perveni » ; car c’est en Sogdiane, près de Och, que se termina le raid
d’Alexandre dit le Grand... Enfin : Et quod plurimis populorum nationibus
regionibusque perlustratis, in Arianam tandem devenit provinciam prope
Indum amnem... Il paraît très clair, que l’évèque Musæus, ayant passé par la
Sogdiane à Kachgar, de là à Yarkend, de là à Kotan, finit par passer de Kotan
à Peshawer, par la route classique des caravanes. Ayant trouvé l’Inde trop
chaude, il revint en Europe dare dare, sans avoir étudié les mœurs des
Brachmanes, mais non sans avoir ramassé plusieurs bonnes histoires, par
exemple celle de la montagne d’aimant, qui se retrouve dans les aventures de
Sindbad le marin.
Quatrièmement, au 6e siècle, Cosmas Indicopleustes, qui donne de si bons
renseignements sur les chrétientés nestoriennes du Malabar et de Ceylan, sur
le commerce de Ceylan avec la Chine, sur la situation de ce dernier pays (p.
722), affirme catégoriquement qu’il n’a jamais ouï dire, qu’il y eût des
Chrétiens à l’est de Ceylan « an ulterius etiam ignoro ».
279
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cinquièmement : Il
p.1350
ressort des termes de l’inscription de Sī-nan-
fou, que, quand le moine nestorien O-lo-pen arriva en Chine, il y importa le
Nestorianisme, qui ne préexistait pas. Je ne ferai pas l’histoire de la fameuse
stèle de Sī-nan-fou, beaucoup de savants l’ayant racontée, et le R. P. H.
Havret S.J. ayant mis à cette question la dernière main, une main de maître
(Variétés Sinologiques nos 7, 12, 20). Je ne redirai pas non plus ce que dirent
et firent, en leur temps, à l’occasion de ce monument, tel Jansénistes et les
Philosophes. Ils ont passé, la pierre est restée, et le parterre fécond de la
bêtise humaine ayant produit depuis lors des effloraisons nouvelles, plus n’est
besoin, pour s’amuser, de recourir à ces vieilleries. Je ne donnerai pas non
plus le texte entier de la stèle, puisque, depuis le travail du R. P. Havret, il est
dans toutes les mains. Avant d’en exposer les passages historiques, lesquels
rentrent dans mon cadre, un mot sur le Nestorianisme.
Nestorius, patriarche de Constantinople, nia pratiquement l’Incarnation,
en niant la divinité du Fils de Marie. Il inventa un Jésus homme, dont la
Divinité s’empara quand il lui plut, qu’Elle habita tant qu’Elle voulut, et qu’Elle
abandonna quand Elle le jugea convenable. Cette hérésie fondamentale et
radicale, fut condamnée par le concile d’Ephèse en 431. Proscrits par les
empereurs de Constantinople, les Nestoriens se réfugièrent sous l’égide des
rois de Perse. Ceux-ci les accueillirent volontiers, comme des transfuges
haineux, qui leur seraient dévoués et utiles. Un certain Barsumas évêque de
Nisibe, s’étant acquis un grand crédit à la cour de Perse, répandit la secte
dans tout ce royaume. Au 6e siècle, les Nestoriens fondèrent de nombreuses
églises. Ils eurent une école célèbre, d’abord à Edesse, ensuite à Nisibe, Ils se
donnèrent un patriarche, dit Catholicos, qui résida d’abord à Séleucie, puis à
Mossoul. Ils tinrent des conciles, etc. Après s’être appelés d’abord Chrétiens
Orientaux, ils rejetèrent ensuite cet appellatif, ainsi que celui de Nestoriens,
pour s’appeler Chaldéens. Ils fondèrent des établissements nombreux dans
l’Inde, sur la côte du Malabar, et jusqu’à Ceylan, dès avant l’an 535 (chrétiens
dits de St Thomas). La stèle ne dit pas quel fut le Catholicos qui envoya O-lopen. Ce dut être Jesusyab II, habile politique, lequel négocia et tripota avec
les Byzantins, etc... Dans quel but envoya-t-il son moine ? L’histoire ne le dit
pas. Je pense que ce ne fut pas par pur zèle... En tout cas, un texte de l’an
745, ne laisse aucun doute sur le fait que O-lo-pen vint à Tch’âng-nan, de la
280
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Perse. Les Nestorien appelèrent leur religion doctrine de la Lumière. Les
Chinois l’appelèrent d’abord doctrine persane puis doctrine chaldéenne.
Texte : Alors que T’ái-tsoung régnait et gouvernait le peuple avec
sagesse, dans le pays de Tá-ts’inn (la stèle fut érigée après l’édit ordonnant
de dire Tá-ts’inn au lieu de T’oūo-seu), il y avait un homme d’une vertu
supérieure, nommé O-lo-pen (Neue-louo-penn). Portant les vrais Livres
Canoniques, malgré les difficultés du voyage, en 635 il arriva à Tch’âng-nan.
L’empereur envoya au-devant de lui le ministre Fâng huan-ling, pour le
recevoir dans le faubourg de l’ouest (ce qui prouve que O-lo-pen arriva, ou
comme ambassadeur, ou avec les
p.1351
ambassadeurs de Kachgar, Koukyar,
Tachkourgane ; voyez p. 1329). Ayant été reçu en hôte, il fut introduit. On
traduisit ses livres dans la Bibliothèque. On lui fit exposer sa doctrine dans le
Palais (devant l’empereur). On comprit qu’elle était droite et vraie, et un édit
fut donné, autorisant à la prêcher et à la communiquer. Trois ans plus tard,
au septième mois de l’an 638, l’édit impérial suivant fut promulgué :
« La Vérité n’a pas qu’un nom. Le Sage n’est pas qu’une personne.
Les Religions varient d’après les lieux. Leur influence fait du bien à
tous les êtres. O-lo-pen, homme de grande vertu du pays de Táts’inn (terme substitué, en 745, au terme P’oúo-seu), est venu de
loin pour présenter, dans notre capitale, ses Livres et ses images.
Après avoir scruté le sens de sa doctrine, nous l’avons trouvé
profond et paisible. Après avoir examiné ses principes, nous avons
constaté qu’ils produisent le bien et l’essentiel. Ses assertions ne
sont pas diffuses, ses raisons pénètrent sans effort. Sa religion fait
du bien aux êtres, et est profitable aux hommes. Qu’elle se
propage librement par tout l’empire !
Texte original du même édit, non retouché, tiré de la collection de
pièces... Edit du 7e mois de l’an 638.
La Vérité n’a pas qu’un nom. Le Sage n’est pas qu’une personne.
Les Religions varient d’après les lieux. Leur influence fait du bien à
tous les êtres. Le bonze (moine) persan O-lo-pen est venu de loin,
pour présenter à la capitale la doctrine de ses Livres. Après
281
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
examen, nous l’avons trouvée profonde et paisible, produisant le
bien et l’essentiel, bienfaisante pour les êtres et profitable aux
hommes. Qu’elle se répande librement dans l’empire ! Que ceux
qui sont chargés des affaires religieuses, construisent de suite,
dans le quartier I-ning (quartier de la
p.1352
Justice et de la Paix, à
Tch’âng-nan), un couvent qui puisse loger 21 bonzes (moines).
Voici, tiré de la même collection, le texte de l’édit de 745, qui fit changer
P’ouo-seu persan, en Tá-ts’inn chaldéen... Edit du 9e mois de l’an 745.
Le doctrine des livres de Perse, est venue primitivement du Táts’inn (Constantinople fut de fait le berceau du Nestorianisme. Mais
je pense que Tá-ts’inn signifie ici la Chaldée, et que cet édit fut
demandé et obtenu par les Nestoriens, après qu’ils eurent rejeté
leurs autres appellatifs, pour s’appeler Chaldéens). Elle a été
apportée jusqu’ici. Il y a longtemps qu’elle est répandue en Chine.
Les premiers édifices de cette religion, ont tous été appelée
temples persans. Maintenant, pour ramener les choses à leur
origine, nous ordonnons qu’on appelle chaldéens, les temples de
cette religion établis dans les deux capitales et par tout l’empire.
Reprenons le texte de la Stèle...
Dès que l’édit de l’empereur T’ái-tsoung eut été rendu, ceux que
l’affaire concernait, construisirent aussitôt à la capitale, dans le
quartier I-ning, un couvent chaldéen pouvant loger 21 moines. Dès
qu’il fut achevé, l’empereur ordonna à ses officiers de reproduire
authentiquement ce qu’il avait écrit (son édit de tolérance, ou une
inscription élogieuse), sur la muraille du temple.
Plus
tard
le
grand
empereur
Kāo-tsoung
(650-683)
suivit
respectueusement l’exemple de son père. Il glorifia le véritable
Principe. Il construisit un temple de la Lumière dans chaque
préfecture. Il honora O-lo-pen des titres de Grand maître de la Loi,
et Pacificateur de l’Empire. Ainsi la Loi se trouva répandue dans les
282
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dix cercles administratifs de l’empire. L’État se reposa dans la
richesse et la paix. Nos temples remplirent les cent cités. Les
p.1353
familles jouirent du bonheur de la Lumière.
Durant la période Chéng-li (698-699, usurpation de l’impératrice
Où), les sectateurs du Buddha employèrent contre nous la
calomnie et la violence. Dans l’année Siēn-t’ien (712, profitant du
changement de règne), des lettrés
de
rang
inférieur
nous
poursuivirent de leurs railleries et de leurs sarcasmes. Etaient alors
nos chefs, Louo-han, et Ki-lie, venus tous deux des contrées
occidentales, religieux éminents détachés de toute chose. Ils
tinrent
le
(réparèrent
câble
les
ferme,
pertes
et
renouèrent
subies
durant
les
la
mailles
rompues
persécution).
Enfin
l’empereur Huân-tsoung chargea cinq de ses frères, de se rendre
en personne au Temple de la Félicité, pour en relever l’autel. Ainsi
la poutre de la Loi, pour un moment fléchie, fut de nouveau
redressée ; le socle de la Doctrine, renversé pour un temps, fut de
nouveau relevé (entre 713 et 741)... Au commencement de la
période Tiēn-pao (742 à 755), le Grand Général (eunuque) Kāo licheu, fut chargé par le Souverain de placer dans le temple les
inscriptions des cinq empereurs précédents (de la dynastie T’âng),
et d’offrir cent pièces de soie... En 744, dans le Tá-ts’inn (Perse), le
moine Ki-houo qui évangélisait en se guidant sur les étoiles
(missionnaire voyageur), vint en suivant le soleil, jusqu’à la cour
impériale. Un décret le fixa, avec Louo-han, P’ou-lunn, et autres,
sept personnes en tout, dans le palais Hīng-k’ing, pour y exercer
leur ministère. L’empereur composa lui-même l’inscription qui fut
mise au fronton de leur temple, ornée du dragon impérial.
L’empereur Sóu-tsoung (756-762) fit construire à Lîng-ou (Ninghia-fou, u) et autres préfectures (du nord-ouest), cinq en tout, des
temples de la Lumière. L’empereur Tái-tsoung (763-779) eut
coutume de faire brûler chaque année, au jour anniversaire de sa
naissance,
célestes
p.1354
(dignes
dans le temple de la Lumière, des parfums
du
Ciel),
pour faire
savoir
(au
Ciel)
qu’il
s’acquittait bien de son mandat de Souverain. Il faisait servir, ce
283
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
jour-là, un festin impérial, à toute la communauté des sectateurs
de la Lumière.
Dans
notre
période
Kién-tchoung
(780-783),
nos
grands
bienfaiteurs sont, d’abord le moine I-seu décoré de la robe de
brocart, grand fonctionnaire, vice-gouverneur du Choúo-fang (u),
camérier impérial à chape violette, doux et bienfaisant, fidèle à
pratiquer, venu de loin de la ville royale (capitale de la Perse)
jusqu’en
Chine,
distingué
dans
toutes
les
sciences
et
connaissances, qui fut d’abord attaché au palais, puis à l’armée.
Ensuite le Grand Secrétaire Koūo tzeu-i, roitelet de Fênn-yang,
gouverneur du Choúo-fang. Tous deux furent emmenés par
l’empereur Sóu-tsoung, dans son expédition. Quoiqu’il eût droit
d’entrée dans la tente impériale, Koūo tzeu-i fut toujours simple
comme un homme du commun. Il fut griffes et dents, oreilles et
yeux de son maître. Lui qui distribua des sommes immenses, ne
s’appropria jamais rien pour les siens. Durant cette expédition
(vers le nord-est), il répara les anciens temples de la Lumière,
agrandit les palais de la Loi, en orna les édifices et y ajouta des
ailes. Il leur prodigua ses dons et ses aumônes. Chaque année, il
réunissait et entretenait durant cinquante jours, les moines et les
adeptes de quatre couvents (du Choúo-fang ?), Il nourrissait ceux
qui avaient faim, habillait ceux qui avaient froid, faisait soigner les
malades et ensevelir les morts. Jamais bonze buddhiste n’en a fait
autant. Les Docteurs de la Lumière, vêtus de robes blanches, ont
admiré, cet homme, et ont fait graver cette stèle, pour publier ses
belles actions. Elle fut élevée en l’an 781.
Faut-il conclure, des derniers paragraphes, que le célèbre eunuque Kāo
licheu, et le célèbre général Koūo tzeu-i, aient été plus ou moins prosélytes
ou adeptes de la Lumière (Nestoriens) ? C’est possible, mais pas certain. Ce
p.1355
qui est sûr, c’est que certains moines nestoriens jouirent d’une haute
faveur aux 7e et 8e siècles, et que leur secte se répandit en Chine vite et loin.
Nous donnerons, à ce sujet, des chiffres, en son temps. La faveur impériale
propagea le Nestorianisme, la défaveur impériale le supprima plus tard. Il
n’en resta pas trace. Certains s’en sont étonnés. Il n’y a pas de quoi. Il ne
284
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
faut pas prendre le Nestorianisme pour le Christianisme, comme on fait trop
souvent, bien à tort. Le Christ des Nestoriens était un faux Christ, et leur
religion était une hérésie. Or les hérésies sont des plantes sans racines. Elles
peuvent végéter pour un temps, en épiphytes, sur la faveur des grands. Mais
la durée n’est promise qu’à la Vérité, dont la racine vivace ne meurt pas.
@
Mahométisme. — L’empereur T’ái-tsoung connut l’Islamisme, par l’ambassade du roi de Perse Yezdegerd (p. 1330). Pas de détails. Cette donnée
historique vague, prêtait aux développements poétiques. Les Mahométans
n’eurent garde de la négliger. Les Buddhistes ayant nimbé leur origine de
belles légendes, les Mahométans en firent autant, quand ils eurent pénétré en
Chine. Ils calquèrent même assez servilement les légendes des autres, pour
être plus sûrs de ne pas rester inférieurs. Ces contes sont évidemment
postérieurs à la première ambassade historique, dont nous parlerons en 713.
La plupart datent probablement d’une époque assez moderne. Ils fourmillent
d’anachronismes,
d’invraisemblances,
etc.
Néanmoins
ils
ne
sont
pas
entièrement dépourvus d’intérêt. Citons-en quelques échantillons.
D’abord le []... Au 2e mois de l’an 628, l’empereur T’ái-tsoung vit en
songe un homme d’Occident coiffé d’un turban, qui se tenait debout devant
lui sans se prosterner. A son réveil, l’empereur fit appeler en toute hâte
l’explicateur des songes, et lui demanda ce que cette vision présageait.
— L’homme au turban, dit le devin, doit en vouloir à votre
dynastie...
—
Que
dois-je
faire,
demanda
l’empereur,
pour
éviter
un
malheur ?..
— Envoyez à Khami chercher des interprètes, au moyen desquels
vous vous mettrez bien avec les pays étrangers.
Aussitôt T’ái-tsoung fit rédiger une lettre au roi de Khami. Le courrier
Chêu-t’ang part au galop. Le roi de Khami lui donne trois interprètes, Kays,
Ouways et Kassem. Les deux premiers meurent durant le voyage. Kassem
arrive à Tch’âng-nan. Le courrier le dépose dans une auberge, et va avertir
l’empereur. T’âi-tsoung se déguise, se rend incognito à l’auberge, reconnaît
285
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dans Kassem l’homme au turban qu’il a vu en songe, et le salue
respectueusement.
— Je ne mérite pas d’être salué par le Fils du Ciel, lui dit Kassem.
Stupéfait, l’empereur lui dit :
— Puisque tu m’as reconnu sous mon déguisement, suis-moi au
palais...
L’empereur conduit Kassem dans ses appartements privés, et le fait asseoir...
Dialogue :
L’empereur : La doctrine de l’occident est-elle la même que celle
de la Chine ?..
Kassem : Comme celle de la Chine, la doctrine de l’Occident traite
du Ciel et de la Terre, du Prince et des Parents, des Cinq Vertus et
des Trois Règles...
L’empereur : Confucius n’étant pas allé en Occident, où avez-vous
pris ces enseignements, qui sont les siens ?..
Kassem : Nous possédons un livre sacré, appelé al Forkan (le
Coran), qui contient 6666 versets. La doctrine de ce livre est
tellement complète, qu’elle prévoit tous les cas possibles dans la
vie, depuis le plus considérable jusqu’au plus petit. L’étendue des
matières, la clarté des solutions, en font un livre sans égal...
L’empereur :
Mais
enfin,
dans
laquelle
des
trois
doctrines
reconnues (Confuciisme, Taoïsme, Buddhisme), ou des neuf écoles
philosophiques (p. 582), faut-il vous classer ?..
Kassem : Dans aucune. Notre religion est la doctrine du Pur et du
Vrai..
L’empereur : Pourquoi l’appelez-vous ainsi ?...
Kassem : Nous l’appelons Pure, parce
p.1356
que, par les ablutions,
nous nous efforçons de nous tenir purs de toute souillure. Nous
l’appelons Vraie, parce que, par la rectification du cœur, nous
tâchons de nous tenir exempts de toute fausseté...
286
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur : Pourquoi vous appelle-t-on aussi Hoêi-hoêi ?..
Kassem : Parce que nous enseignons la doctrine du Retour. La
terre n’est, pour l’homme, qu’un séjour temporaire. Après l’avoir
quittée, il retourne dans l’au-delà. Nous enseignons aussi la
Conversion, qui est le retour du mal au bien, des illusions à la
réalité. Mais voici l’heure de la prière.
Sans se gêner, Kassem se lève, s’agenouille, s’accroupit, et fait sa prière tout
au long, sous les yeux de T’ái-tsoung. Celui-ci remarque que les gestes de
Kassem ne sont pas ceux de la Chine. Quand il a fini, il lui demande :
— Pourquoi, agenouillé, élèves-tu les mains à la hauteur des
oreilles ? Pourquoi, penches-tu la tête vers la terre ?..
Kassem : Ceci encore signifie le retour vers l’origine. Dans le sein
de sa mère, l’enfant tient ses mains appliquées sur ses oreilles.
Quand il naît en ce monde, sa tête est tournée vers la terre. En
priant, nous retournons, autant que possible, à notre état
originel...
La conversation continue, sur les cinq prières quotidiennes. Soudain, pris lui
aussi d’un accès de piété, l’empereur envoie brûler des parfums dans un
temple. Kassem rit et dit :
— Le Vrai Seigneur a créé les hommes, et les hommes ont fabriqué
de faux dieux, lesquels étant assis ne peuvent pas se lever, étant
debout ne peuvent pas marcher. Malgré la bouche qu’on leur a
faite, ils ne peuvent pas parler. Peut-on adorer pareille chose ?..
L’empereur sourit, nomme Kassem président du Tribunal des Mathématiques,
etc... Il est assez clair que cette légende a été calquée sur le songe de
l’empereur Ming (p. 689), et l’introduction du Buddhisme. Notons que, en
628, les habitants de Khami étaient tous Buddhistes, et que le Coran ne fut
publié que vers l’an 635.
Deuxièmement, dans la vie de Mahomet []... La Chine est le grand empire
de l’Extrême-Orient. La première année de la Mission de Mahomet, une étoile
extraordinaire parut au ciel. L’empereur de la Chine l’ayant vue, consulta ses
Astrologues. Ceux-ci lui annoncèrent l’existence, en Occident, d’un homme
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
extraordinaire. L’empereur lui députa aussitôt des ambassadeurs. Ceux-ci
n’arrivèrent auprès de lui qu’au bout d’un an, et le prièrent de vouloir bien les
suivre en Orient. Il s’y refusa. A la dérobée, les ambassadeurs peignirent son
portrait. Mahomet envoya avec eux son oncle maternel Saadi Wakkas, et trois
autres personnes. T’ái-tsoung fit exposer le portrait de Mahomet, et se
prosterna devant lui. Quand il se releva, l’image avait disparu. L’empereur
demanda à Saadi Wakkas la raison de ce phénomène.
— C’est que, dit celui-ci, notre religion interdit le culte des images.
Elle interdit aussi aux hommes de se prosterner devant leurs
semblables. Or vous avez manqué à ces deux points.
Troisièmement, dans le []... Lorsque, en 632, Wakkas, oncle maternel de
Mahomet, eut été chargé par le Prophète de porter en Chine sa doctrine, il se
rendit à Tch’âng-nan. L’empereur T’ái-tsoung des T’âng lui reconnut de la
science et du mérite. Il insista pour le retenir dans sa capitale, et lui bâtit un
grand temple du Pur et du Vrai. Wakkas rédigea à Tch’âng-nan un traité de sa
religion. Ses prosélytes s’étant multipliés, l’empereur T’ái-tsoung fit bâtir
deux autres mosquées, l’une à Nankin, l’autre à Canton, les Mahométans
étant en nombre dans ces deux villes. Devenu très vieux, Wakkas voulut
retourner en Occident. Mais le Prophète ne lui avait pas ordonné de revenir. Il
mourut donc en mer. Son corps, rapporté à Canton, fut enseveli hors de cette
ville. On appelle sa tombe Tombe du Son, parce que le son des prières y
retentit au loin.
Quatrièmement, dans le []... A la montagne Lînn-chan, au
p.1357
Fôu-kien,
sont ensevelis deux hommes venus du pays de Médine. Ils étaient docteurs
de la religion mahométane. Les auteurs mahométans racontent, que, dans le
royaume de Médine, naquit, durant la période K’āi-hoang des Soêi, un
homme dont la sainteté se révéla par la majesté de sa personne. D’abord
serviteur du roi du pays, il devint ensuite roi lui-même, et finit par publier un
livre renfermant les préceptes de sa religion. Quatre de ses disciples
arrivèrent à la cour de Chine, durant la période Où-tei des T’âng (618-626),
et se mirent à répandre leur doctrine. Le premier prêcha à Koàng-tcheou
(Canton), le second à Yâng-tcheou (au Kiāng-sou), le troisième et le
quatrième à Ts’uân-tcheou (au Fôu-kien). Après leur mort, ces deux derniers
288
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
furent ensevelis à la montagne Lînn-chan. Il y eut, sur leurs tombes, des
apparitions lumineuses. Le peuple l’appela la Tombe des Saints.
Cinquièmement, inscription trilingue (arabe, persan, chinois), sur la tombe
de Hadji Mahmoud, venu en 1749 en pèlerin à Canton... Dieu (qu’il soit
glorifié et exalté) a dit : Toute âme goûtera la mort, puis reviendra à moi. Le
Prophète (qu’il soit béni) a dit : Celui qui meurt au loin, meurt martyr... Ce
faible défunt Hadji Mahmoud, en visitant la tombe du seigneur Saadi fils
d’Abou Wakkas, a satisfait son pieux désir. Il a ensuite séjourné, durant deux
ans, à la mosquée Derguiahah. Enfin, le 27 du mois de Dou-l-Kadah, il a
goûté la mort. Hadji Mahmoud était venu à Canton, uniquement pour vénérer
l’antique sépulture de l’ancien Sage. L’ancien Sage, Saadi fils d’Abou Wakkas
(que Dieu l’ait en sa grâce), est mort le 27 du mois Zou-l-Hiddjeh, sous le
califat d’Omar Baba (anachronisme de cinq ans), la troisième année de la
période Tch’ēng-koan des T’âng (629).
L’homme désigné par ces textes, est un personnage historique. Saadi fils
d’Abou Wakkas, le troisième adepte et l’un des dix Saheb (compagnons) du
Prophète, le guerrier fameux qui écrasa les Persans à la bataille de Kadesiah
en 636. Il mourut entre 673 et 675, et fut enseveli à Médine. Il ne vint
certainement jamais en Chine. Il y a donc, dans les légendes citées, ou une
erreur de nom, ou un mensonge politique. Dans le doute, certains les
rejettent en bloc. Je pense que ce procédé est trop radical.
@
Mênn-chenn. — A la section du Culte, ajoutons encore ceci. Les Génies
gardiens des portes, figurés et honorés dans toute la Chine, sont les deux
officiers Ts’înn chou-pao et U-tch’eu king-tei, de l’empereur T’ái-tsoung des
T’âng. Ce prince étant tombé malade, des spectres vinrent, durant la nuit,
faire le sabbat à la porte du palais. Effrayé, l’empereur demanda protection à
ses fidèles. Ts’înn chou-pao et U-tch’eu king-tei lui dirent :
— Soyez tranquille ! Chaque nuit nous monterons la garde, avec
nos armes...
Ils le firent, et, de ce jour, l’empereur dormit en paix. A la longue, ayant
compassion de leurs fatigues, il fit peindre les deux braves, tout armés,
289
p.1358
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sur les deux battants de la porte du palais. Leurs images suffirent, par la
suite, pour repousser tous les influx néfastes.
@
Conclusion. — En définitive, quelle fut la religion de l’empereur T’áitsoung, qui connut tant de cultes, et qui les patronna tous. Je pense qu’il n’en
eut aucune, ou tout au plus une religion bien vague et bien commode. Il
craignit le Ciel et le Peuple, à l’en croire du moins. Il se délecta dans les
doctrines confuciistes, comme le poisson dans l’eau et l’oiseau dans l’air (p.
1395) ; chose aisée, car ces doctrines n’obligent à rien. Il fut toujours
sentimental, et parfois superstitieux. En tout cas, il mangea, but, et eut
beaucoup de femmes. Par-dessus tout, ce fut un habile politique, qui aima le
lustre que donnait à son règne l’affluence des étrangers à sa cour. Il autorisa
tous les cultes, et bâtit à tous des temples, pour contenter tout le monde et
être loué de tous. Ainsi firent plus tard ses deux imitateurs, Koubilai et K’anghi.
Dernier acte... En 648, la planète Vénus étant devenue visible plusieurs
fois en plein jour, le Grand Astrologue, lequel avait sans doute ses tuyaux,
jeta les sorts et déclara gravement que ce phénomène présageait l’usurpation
d’une femme (la fameuse Où-heou). Au même temps une prophétie se mit à
courir parmi le peuple, d’après laquelle, après trois empereurs, les T’âng
seraient renversés par une Dame Où. La prophétie étant orale et non écrite,
et les caractères cinq et guerrier se lisant également où, l’empereur prit le
change. Il soupçonna le général Lì kiunn-sien, dont le petit nom était Dame
Cinq, d’être la personne désignée par l’oracle. Il l’envoya donc à Hoâ-tcheou,
sous prétexte d’y être gouverneur, et l’y fit assassiner. Cet exploit ne rendit
pas la paix au pauvre T’ái-tsoung.
— Mais enfin, demanda-t-il au Grand Astrologue, cet oracle est-il
vraiment digne de foi ?..
— J’ai considéré, dit l’artiste, et le ciel, et les nombres. La personne
fatidique est déjà dans le palais. Dans 30 ans elle sera sur le trône.
Elle fera périr beaucoup de membres de la maison de T’âng. Les
signes qui annoncent ces choses, sont indubitables...
290
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Et si je faisais massacrer tous les habitants du palais ? demanda
p.1359
T’ái-tsoung...
— Ce que le Ciel a arrêté, dit l’Astrologue, aucun homme ne peut
l’empêcher. Vous tueriez une foule d’innocents, et l’être fatal
échapperait. Ou bien, si vous réussissiez à tuer cette personne, ce
ne serait pas pour l’avantage des vôtres. Car, comme elle ne doit
régner que dans trente ans, elle sera vieille, et n’aura pas le temps
de faire trop de mal. Tandis que, si le Ciel se voyait obligé de
transférer son mandat à une autre, il le passerait peut-être à une
personne plus jeune, laquelle aurait ensuite le loisir d’exterminer
toute la maison de T’âng...
Ces bonnes raisons décidèrent l’empereur à se tenir tranquille.
Très forte, cette prophétie, faite évidemment après l’événement. Pas fort,
l’empereur T’ái-tsoung, quoiqu’il eût volé et nagé dans le Confuciisme durant
plus de vingt ans.
En 649, l’empereur tomba malade de la dysenterie. Le prince impérial se
prodigua pour le servir, jour et nuit, au point que ses cheveux blanchirent de
douleur et de fatigue. Enfin le mourant fit appeler dans sa chambre ses
ministres les plus dévoués, Tchàng-sounn ou-ki et Tch’òu soei-leang.
— Aidez et dirigez mon fils, leur dit-il, car il en est digne.
Puis, s’adressant au prince :
— Tant que ces deux hommes vivront, lui dit-il, tu ne sentiras pas
le fardeau du gouvernement.
Enfin il dicta à Tch’òu soei-leang ses dernières volontés, et expira. Il avait 53
ans. Son fils, âgé de 22 ans, monta sur le trône... T’ái-tsoung était très aimé
des étrangers, dont il avait composé sa garde. Quand ils eurent appris sa
mort, plusieurs centaines de ces Barbares se coupèrent les cheveux, se
lacérèrent les oreilles et le visage, et le pleurèrent à grands cris, comme s’ils
avaient perdu père et mère.
@
291
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Kāo-tsoung,
650 à 683.
@
La dame Wâng fut nommée impératrice. Comme elle était stérile, elle
adopta le petit prince Tchoūng, et
p.1360
obtint qu’il fût nommé héritier
présomptif. Elle choisit cet enfant, parce que sa mère, étant de très basse
extraction, ne deviendrait jamais une rivale redoutable, pensait-elle.
En 653, scandale dans la famille impériale. Une fille de l’empereur T’áitsoung, sœur de l’empereur régnant, était mariée à un certain Fàng i-nai. Elle
s’amouracha d’un bonze, puis de plusieurs bonzes. La chose fit du bruit. La
princesse et son mari furent supprimés, elle pour inconduite, lui pour ne
l’avoir pas morigénée.
En 654, commencement de scandales beaucoup plus graves. Durant la
dernière maladie de son père, Kāo-tsoung, alors prince héritier, avait
remarqué, parmi les concubines qui servaient le mourant, la dame Où (p.
1319 et 1358). Après la mort de T’ái-tsoung, un certain nombre de dames du
harem ayant été licenciées, la dame Où entra comme bonzesse dans un
couvent. L’empereur étant allé au temple de cette bonzerie pour y brûler des
parfums, la vit, la reconnut sous sa robe de bonzesse, et pleura d’émotion.
Or, dans le harem impérial, la favorite était alors une certaine dame Siáo.
L’impératrice Wâng était entièrement délaissée. Folle de jalousie, cette
dernière imagina d’exploiter, contre sa rivale, la passion de l’empereur pour
l’ex-concubine de son père. Elle la retira de son couvent, l’obligea à laisser
croître ses cheveux, et l’introduisit parmi les concubines de son mari. Or,
outre sa beauté, la dame Où était encore douée d’une habileté extraordinaire.
Quand l’impératrice l’eut placée dans le harem, elle fut, devant sa maîtresse,
d’une platitude exemplaire, qui lui attira de sa part les plus beaux éloges.
Bientôt elle fut aussi en haute faveur auprès de l’empereur, lequel délaissa
pour elle, même la dame Siáo.
292
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Le Ciel s’émut des malheurs à venir. Une nuit, une pluie torrentielle
grossit
p.1361
tellement et si soudainement la Wéi, qu’elle déborda et envahit
le palais. L’empereur eut à peine le temps de se réfugier sur une élévation.
L’eau envahit la chambre à coucher qu’il venait de quitter. Trois mille
personnes furent noyées dans la ville. Manifestation de l’ire céleste. L’eau est
yīnn. La dame Où étant entrée au palais pour le malheur des T’âng, un
torrent symbolique l’y suivit. Avertissement donné à Kāo-tsoung, que celui-ci
ne sut pas comprendre, hélas ! Ainsi gémit l’Histoire.
Cependant, si l’impératrice Wâng était délaissée, elle n’était ni dégradée
de son rang, ni bannie du cœur du souverain. Donc la faveur de la dame Où
n’était pas assurée. Mais l’esprit diabolique de cette femme était fécond en
expédients. Elle accoucha d’une fille. L’impératrice alla la voir, félicita la mère,
caressa l’enfant dans son berceau, et se retira. Dès qu’elle fut sortie, la dame
Où étouffa sa fille. L’empereur vint à son tour. Le visage rayonnant de joie,
dame Où découvrit le berceau, pour lui montrer l’enfant. Horreur, elle était
morte ! Eclatant en sanglots, dame Où s’en prit aux femmes qui la
servaient... L’impératrice vient de la caresser, dirent celles-ci... Elle a tué ma
fille ! s’écria l’empereur furieux... Vite, la dame Où dégoisa la kyrielle des
griefs vieux et récents, vrais et imaginaires, qu’elle avait contre sa
bienfaitrice. Sans même entendre l’impératrice, l’empereur décida de la
dégrader.
Cependant, dégrader une impératrice, fut toujours une grave affaire, ces
dames ayant leurs familles, leurs clans, leurs créatures, qu’il ne faisait pas
bon indisposer. L’empereur essaya donc de gagner à son projet le pilier de la
dynastie Tchàng-sounn ou-ki (p. 1310). Faveur extrêmement rare, il alla le
visiter à son domicile, accompagné de la dame Où, et suivi de dix charretées
de riches présents. Il le fit boire, donna des titres à ses trois fils,
p.1362
le
caressa de mille manières. Enfin, quand il jugea le terrain parfaitement
préparé, d’un air dégagé :
— A propos, fit-il, l’impératrice est stérile...
Ou-ki changea immédiatement de conversation. L’empereur et la dame
comprirent, et se retirèrent mécontents.
293
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 655, l’empereur convoqua les grands conseillers de la couronne,
Tchàng-sounn ou-ki, Tch’òu soei-leang (p. 1359), Û-tcheu-ning, Hân-yuan, Lìtsi. Avant la séance, Tch’òu soei-leang dit à ses collègues :
— Il va s’agir, probablement, du changement de l’impératrice. Si
nous ne résistons pas jusqu’à la mort, quelle figure ferons-nous
devant l’empereur T’ái-tsoung quand nous le reverrons dans les
enfers ?...
De fait, l’empereur dit aux conseillers :
— La dame Où est féconde. Mon intention est de la faire
impératrice. Qu’en pensez-vous ?...
Tch’òu soei-leang prit la parole.
— L’impératrice, dit-il, est d’une famille illustre. C’est l’empereur
votre père qui vous l’a donnée pour femme. A son lit de mort,
tenant vos mains, il vous a appelés mon fils, ma fille. Il ne vous est
donc pas loisible de la répudier, sauf raison tout à fait majeure...
Irrité, l’empereur congédia aussitôt le conseil. Le lendemain, nouvelle séance,
même proposition.
— Si vous tenez absolument à changer l’impératrice, dit Tch’òu
soei-leang, choisissez une dame noble, mais non cette dame Où,
de laquelle chacun sait qu’elle a été femme de votre père : sinon la
postérité imprimera à votre nom une flétrissure indélébile. Excusez
que je vous résiste ainsi en face, pour votre bien...
Ce disant, Tch’òu soei-leang déposa ses tablettes, se prosterna, battit de la
tête à se meurtrir le front, et cria :
— Veuillez accepter ma démission, et me renvoyer dans mon
village !...
L’empereur ordonna de le mettre à la porte... Or la dame Où, assise derrière
un rideau, avait tout écouté. Furieuse, elle cria :
— Le mettre à la porte, cela suffit-il ? Comment, vous ne faites pas
assommer ce
p.1363
manant ? !..
294
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Tch’òu soei-leang, dit froidement Tchàng-sounn ou-ki, ayant été
l’homme de confiance de l’empereur défunt, ne pourrait pas être
châtié, même s’il était coupable...
Hân-yuan parla dans le même sens... L’empereur resta sourd à toutes les
remontrances... Après le conseil, Hân-yuan remit un placet écrit, dans lequel,
après avoir rappelé les malheurs dynastiques causés par Tān-ki et Pāo-seu
(p. 63 et p. 100), il avertissait l’empereur que, s’il persistait, ses Ancêtres
seraient probablement privés du sang des sacrifices... Lâi-tsi rappela l’histoire
de Tcháo fei-yen (p. 559), et menaça l’empereur de la colère des Génies
célestes et terrestres, de l’indignation du peuple, etc... Rien n’y fit.
L’empereur était coiffé de sa dame.
Lì-tsi, qui n’avait rien dit au conseil, sentit que c’était le moment de faire
sa fortune, plutôt que de suivre sa conscience.
— Après tout, dit-il à l’empereur, pourquoi consultez-vous vos
ministres sur les affaires de votre ménage, lesquelles ne regardent
que vous ?..
Très content de cette suggestion, l’empereur prit son parti. Tch’òu soei-leang
dégradé, fut envoyé comme fonctionnaire en province, exil déguisé. Puis
l’empereur donna un édit, panégyrique pompeux des vertus de la dame Où.
Comme conclusion, l’empereur annonçait à l’empire, qu’il la substituait à
l’impératrice Wâng. La foule des courtisans se tourna aussitôt vers la nouvelle
maîtresse. L’ex-impératrice Wâng, et la dame Siáo sa rivale, qu’elle avait
voulu perdre en introduisant la dame Où, partagèrent la même prison. Un
jour l’empereur les visita.
— En mémoire du passé, lui dit l’ex-impératrice en pleurant,
accordez-moi de revoir le soleil et la lune...
— J’y pourvoirai, dit l’empereur ému...
L’impératrice Où apprit la chose. Effrayée, elle envoya des assassins, qui
coupèrent les pieds et les mains aux deux malheureuses femmes, les
enfoncèrent dans une jarre à vin, les y foulèrent
p.1364
jusqu’à leur briser les
os, les y laissèrent expirer, enfin décapitèrent leurs cadavres... L’Histoire ne
dit
pas
que
le
digne
empereur
Kāo-tsoung
295
ait
protesté
contre
ces
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sauvageries. Elle raconte seulement que, de ce jour, les spectres de ses deux
victimes troublèrent les nuits de l’ex-bonzesse. C’est pour ce motif, qu’elle
quitta Tch’âng-nan pour Láo-yang, que son impérial esclave déclara capitale
orientale, pour l’amour d’elle.
En 656, le prince impérial Tchoūng (p. 1601) fut dégradé, et Hoûng, le fils
aîné de l’impératrice Où, fut fait prince héritier. Où cheu-sunn, le père de
l’impératrice, fut fait Duc de Tcheōu et ministre. Du coup, un raz de marée
dévasta
les
côtes
de
l’empire,
nouveau
phénomène
yīnn,
nouvel
avertissement céleste.
En 659, l’impératrice obtint, sur de fausses accusations, la condamnation
à mort du pilier de la dynastie, son ennemi Tchàng-sounn ou-ki. Tch’òu soeileang était mort dans son exil, heureusement pour lui.
En 660, naturellement ou autrement, l’empereur fut pris de vertiges,
accompagnés de troubles visuels. Il confia à l’impératrice le soin des affaires.
Perspicace, érudite, décidée, celle-ci eut bientôt fait d’accaparer tout le
pouvoir.
Il paraît cependant que l’empereur finit par se lasser de son esclavage.
Fut-ce spontanément, fut-ce à l’instigation d’autrui ? la dernière hypothèse
est
plus
probable.
En
664,
dit
l’Histoire,
l’empereur
ayant
conféré
secrètement avec Cháng-koan i, celui-ci récrimina contre les empiétements
de l’impératrice, et pria l’empereur de la dégrader. Kāo-tsoung lui dit de
rédiger, séance tenante, le brouillon de l’acte de dégradation. Les eunuques
de service coururent à l’appartement de l’impératrice, et l’avertirent de ce qui
se tramait. Elle arriva aussitôt.
— Ce n’est pas moi, dit l’empereur penaud ; c’est Cháng-koan i..
Or Cháng-koan i avait été jadis au service de l’ex-prince impérial Tchoūng.
p.1365
L’impératrice soupçonna qu’on en voulait, non seulement à elle, mais
encore à son fils. Elle chargea son âme damnée Hù king-tsoung, d’accuser le
prince et Cháng-koan i, de projets de révolte. Cháng-koan i fut supprimé. Le
prince Tchoūng se suicida, par ordre. Beaucoup d’officiers furent cassés,
comme suspects. Pour éviter que pareille chose arrivât de nouveau,
l’impératrice surveilla l’empereur de plus près. Assise derrière un rideau, elle
296
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
assista à tous ses entretiens, et exigea qu’il rendît compte de toutes choses,
avant et après. Bref, elle régna seule, et l’empereur se croisa les bras, dit le
Texte. Le peuple appela cette digne paire, les deux Sages.
En 670, une grande sécheresse désolant l’empire, l’impératrice pria
l’empereur de vouloir bien consentir à sa retraite. Elle ne fit cette demande,
qu’à bon escient, bien entendu. L’empereur refusa, la supplia de continuer à
gouverner, et, pour la consoler, nomma son père roitelet de T’ái-yuan.
Comédie !.. L’Histoire observe d’ailleurs gravement, que, en demandant à se
retirer pour cause de sécheresse, l’impératrice pécha contre la théorie des
deux principes. La sécheresse, excès de yâng, accuse les fautes de
l’empereur. L’inondation, excès de yīnn, accuse les fautes de l’impératrice.
N’étant pas visée par le phénomène, elle ne devait pas offrir sa démission.
En 674, l’empereur se décerna le titre d’Empereur Céleste, et conféra à
l’impératrice celui d’Impératrice Céleste.
En 675, les vertiges de l’empereur augmentant, il voulut abdiquer
formellement en faveur de l’impératrice. Le censeur Hào tch’ou-tsounn eut le
courage de l’en dissuader.
La même année, l’atroce Où-heou fit périr son propre fils aîné, l’héritier
présomptif prince Hoùng. L’empereur aimait beaucoup cet enfant, intelligent,
pieux, alerte. L’enfant préférait ostensiblement son père à sa mère, et
désobéit même plusieurs fois à
p.1366
celle-ci. Or deux princesses, filles de
l’infortunée dame Siáo que l’impératrice avait fait périr (p. 1363), ses demisœurs, languissaient depuis des années dans la prison du palais. Le jeune
prince l’ayant su, osa solliciter leur élargissement. L’empereur y consentit.
L’impératrice
se
fâcha
rouge.
Le
prince
mourut.
Les
contemporains
racontèrent, dit le Texte, laconiquement, que sa mère l’empoisonna ellemême. Elle fit ensuite nommer prince impérial, à sa place, le prince Hiên, fils
de sa sœur.
Aux fêtes du nouvel an de l’an 678, ce fut l’impératrice qui reçut les
fonctionnaires de l’empire, et les ambassadeurs des pays étrangers.
En 680, le magicien Mîng tch’oung-yen, que l’impératrice employait pour
capturer, dans le palais, les influences néfastes, lui suggéra que, d’après ses
297
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
grimoires et ses calculs, son second fils ferait mieux sur le trône que le fils de
sa sœur. Je pense que ce ne fut pas le magicien qui eut cette idée le premier.
Quoi qu’il en soit, Mîng tch’oung-yen fut assassiné peu de jours après.
L’impératrice crut, ou feignit de croire, que le prince impérial, mécontent de
ses prophéties, était l’auteur de ce coup. Elle fit faire des perquisitions à son
domicile. On trouva des armes. Plus de doute, il tramait quelque chose.
L’empereur l’aimait. Cela n’y fit rien. Le prince fit dégradé, ses familiers furent
exécutés, et Tchée, le second fils de l’impératrice, fut fait prince impérial.
Nous verrons plus tard comment cette douce mère traita ce second fils, puis
le troisième.
@
Politique extérieure et Guerres... C’est durant ce règne, si peu glorieux
d’ailleurs, que la Chine atteignit le maximum de son extension territoriale.
Extension passagère d’ailleurs, sans organisation et partant sans durée,
comme toutes les choses chinoises... En 650, vers Tokmak (S), Heue-lou
assassine le khan des Turcs Occidentaux, et se
p.1367
met à sa place. En 657,
les Chinois envoient une expédition contre lui. Heue-lou s’enfuit à Kesch (7).
Le général chinois Sōu ting-fang va l’y prendre. Tout le territoire des Turcs
Occidentaux (vallées de l’I-li et de l’Iaxartes), est momentanément annexé à
l’empire.
Par suite, en 658, le centre administratif du Tarim, est transféré de
Tourfan (e) à Koutcha (f). En 661, tout le Tarim est divisé en fòu et tcheōu,
comme l’empire. La bulle de savon est à son apogée.
Les choses allant si bien à l’Ouest, le gouvernement chinois tourna ses
yeux vers l’Est. En 660, Sōu ting-fang conquiert la Corée centrale Paik-tjyel
(j). Il attaque ensuite la Corée septentrionale Ko-kou-rye (r) et assiège
Hpyeng-yang, mais est obligé de lever le siège et de se retirer.
Au nord, les Tölös s’étant permis de faire quelque grabuge, Tchéng jennt’ai fut envoyé pour les remettre à la raison. Quand ils apprirent son
approche,
ils
vinrent
lui
présenter
bataille.
Leur
avant-garde
s’étant
approchée à portée de trait, l’officier chinois Sūe jenn-koei décocha trois
flèches qui tuèrent trois hommes. Effrayés, les Tölös vacillèrent. Les Chinois
chargèrent, et les massacrèrent tous. Ils les poursuivirent ensuite jusque
298
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dans leur repaire de l’Orkhon (O), et prirent les trois frères du khan. Les Tölös
se soumirent. L’armée chinoise revint en chantant : Avec trois flèches, notre
général a pacifié l’Altaï. Cependant Tchéng jenn-t’ai survenant par un autre
côté, tomba sur les Tölös déjà soumis, les dispersa, et pilla leurs douars.
Cette traîtrise ne lui profita pas. S’étant trop attardé, il dut faire sa retraite à
travers le désert, dans l’arrière-saison. A court de vivres, ses hommes se
dévorèrent les uns les autres. Le froid en tua un grand nombre. De toute son
armée, 800 hommes rentrèrent en Chine. Les censeurs l’accusèrent vivement
d’avoir, en tuant des hommes qui avaient capitulé, effarouché et éloigné les
autres. Mais l’empereur, qui estimait Tchéng jenn-t’ai,
p.1368
le gracia. Il
envoya aux Tölös le prince Heue-li que nous connaissons (p. 1338), avec
charge de les rassurer et de les ramener. Heue-li alla les trouver, avec une
faible escorte. Il leur dit :
— L’empereur de Chine sait vos menées ; il sait aussi qu’elles sont
le fait des chefs, non des particuliers ; livrez-les, et tout sera dit...
Ennuyées d’être pourchassées dans leurs pâturages, les hordes saisirent leurs
chefs, et les livrèrent à Heue-li, qui les fit décapiter. Les Tölös rentrèrent dans
l’ordre.
En 663, les Tibétains et les T’ou-kou-hounn s’étant pris de querelle, en
appelèrent à l’empereur, qui refusa de se mêler de leur différend. Ils se
battirent.
Les
T’ou-kou-hounn
furent
vaincus.
Leur
khan
Heûe-pouo
abandonna le Koukou-nor, autour duquel ses Ancêtres régnaient depuis plus
de 300 ans (p. 917), et se réfugia d’abord dans les Nân-chan chinois (v), puis
finalement dans le Ning-hia-fou (u) actuel, où la nation disparut vers 672.
L’empereur dut envoyer une armée, pour garder, contre les Tibétains, la ligne
des Nân-chan jusqu’au Lob-nor.
Cependant
les
hostilités
contre
la
Corée
continuaient,
avec
des
intermittences. En 666, P’âng t’oung-chan battit l’armée du Ko-kou-rye. En
667, Lì-tsi prit à ce royaume 17 places fortifiées. En 668, une comète ayant
paru au ciel, l’empereur se mit en pénitence. Le Grand Annaliste et Astrologue
Hù king-tsoung lui dit :
— Cette comète ayant paru au nord-est, ne vous concerne pas ;
elle présage la ruine de la Corée...
299
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Bah ! dit l’empereur, le Ciel donnerait-il un si grand signe, pour
un petit royaume barbare ? Les comètes paraissent pour avertir les
Fils du Ciel. D’ailleurs, même si ce que vous dites était vrai, les
Coréens étant aussi mes sujets, je devrais m’affliger de leur
malheur...
Ces nobles paroles firent évanouir la comète ; du moins l’histoire l’affirme
catégoriquement et sans rire... Peu après Lì-tsi prit Hpyeng-yang. Kāo-ts’ang,
roi
p.1369
du Ko-kou-rye, capitula. Lì-tsi le ramena à la capitale. L’empereur le
fit d’abord présenter devant la tombe de son père, puis dans le temple de ses
Ancêtres. L’armée victorieuse entra dans la capitale en triomphe. 38 200
familles
coréennes
influentes,
furent
déportées
dans
les
provinces
méridionales et occidentales de l’empire. On ne laissa à Hpyeng-yang que des
gueux.
En 670, devenus très fringants, les Tibétains enlevèrent aux Chinois tout
le fond du Tarim, Kotan, Yarkend, Kachgar et jusqu’à Koutcha (f), leur centre
administratif du pays. L’empereur envoya contre eux une armée, commandée
par Sūe jenn-koei. Elle fut complètement battue et dispersée, à l’ouest du
Koukou-nor (Tsaidam).
En 674, les Arabes ayant pris Zereng (30), le fils de Yezdegerd, Firouz,
que les Chinois continuaient à appeler roi de Perse, vint en fugitif à Tch’ângnan. L’empereur le nomma général honoraire dans sa garde. Firouz demanda
et obtint la permission de bâtir à la capitale un temple persan (particulier,
outre ceux qui existaient déjà p. 1347, soit pour se distinguer du vulgaire,
soit pour quelque autre motif). Il mourut à Tch’âng-nan peu de temps après.
L’occupation chinoise de la Corée ne dura guère plus longtemps que celle
du Tarim. En 677, le Sin-ra (r) qui avait profité des leçons de ses voisins les
Japonais, rafla, sous le nez des Chinois, le Paik-tjyel et le Ko-kou-rye, et
unifia la Corée sous le sceptre de ses rois.
En 678, l’empereur envoya vers le Koukou-nor, une armée de 180 mille
hommes, commandée par Lì king-huan, avec mission de venger la défaite de
Sūe jenn-koei. Hélas, les Tibétains la battirent et la dispersèrent de la même
manière. L’étude des Annales et des Odes (p. 1336), leur avait décidément
profité.
300
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tirant avantage de l’avance des Tibétains dans le Tarim, le Turc Acheuna
toutcheu avait secoué le joug de la Chine, et s’était emparé de Tokmak (S).
En 679,
p.1370
P’êi hing-kien proposa à l’empereur de récupérer cette ville,
par le stratagème suivant : On ferait semblant de convoyer dans son pays,
pour le remettre sur le trône, Ni-nie-cheu, fils de feu Firouz, le prétendant au
trône de Perse, réfugié à Tch’âng-nan. On passerait, sous ce prétexte,
pacifiquement, par le Tarim et la vallée de l’I-li, et l’on verrait ce que l’on
pourrait faire... L’empereur approuva... Quand P’êi hing-kien fut arrivé, avec
son prince persan, dans le pays d’Aksou (g), il convoqua les chefs de
quelques hordes qui paissaient dans les vallées, et leur dit :
— Jadis j’ai chassé dans ce pays. C’était très amusant. Si nous
organisions une grande battue ?..
— Bien volontiers, dirent les Hôu ;
et ils mirent à sa disposition environ dix mille hommes. P’êi hing-kien les
dressa durant quelques jours, puis soudain, franchissant la passe de Outch
(o), il enveloppa le douar du candide Acheuna toutcheu, et le fit prisonnier.
Wâng fang-i fut chargé de garder Tokmak. P’êi hing-kien laissa courir son
prince persan désormais inutile, et revint en Chine avec son prisonnier… Tous
ces mouvements, n’ont ni ordre ni suite, ni tête ni queue. Le génie militaire
chinois était ainsi fait. Les plans raisonnés lui étaient inconnus, les
organisations durables plus encore. On imaginait un expédient, on faisait un
coup de main, on perdait quelques milliers de canailles que personne ne
regrettait, on ramassait un bon butin qui payait les frais, et l’on revenait chez
soi. Voilà ! La guerre, en Chine, ne différait du brigandage, que par le
patronage du chef de l’État.
L’année suivante 680, soulèvement général de tous les Turcs contre
l’empire. Dévalant par le versant septentrional de l’Altaï, leur cavalerie courut
sus à la Chine. Surpris, durant une nuit neigeuse, le général chinois Siáo seuie fut complètement défait. Les Turcs parurent dans le nord du Heûe-pei
actuel. L’empereur dut en
p.1371
toute hâte faire garder les passes du Chān-si
et du Chàn-si, pour les empêcher d’enlever la capitale. Enfin P’êi hing-kien
leur ayant infligé une défaite, ils se retirèrent... Combien l’empire des T’âng
301
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
était peu solide, sous sa prospérité apparente ! nous en verrons des preuves
encore plus démonstratives plus tard.
Encore en 680, les Tibétains s’étant emparés de tout le haut cours du
Fleuve Jaune, leur empire s’étendit sur dix mille lì dans tous les sens, depuis
l’Himalaya au Sud et le Pamir à l’Ouest, jusqu’à l’Altaï occupé par les Turcs au
Nord.
En 681, P’êi hing-kien infligea une défaite aux Turcs, et ramena prisonnier
Acheuna fou-nien, l’un de leurs chefs. Or ce chef avait capitulé, parce que P’êi
hing-kien lui avait promis la vie sauve. Quand il eut été amené à Tch’ângnan, P’êi-yen jaloux de P’êi hing-kien, fit accroire à l’empereur que Fou-nien
avait capitulé, non par esprit de soumission, mais par crainte des Ouïgours.
L’empereur fit décapiter le captif. Désolé de ce qu’on eût manqué à sa parole,
P’êi hing-kien donna sa démission sous prétexte de maladie, et mourut peu
après. Je souligne le nom de cet honnête homme ; en narrant l’histoire de la
Chine, on n’a que rarement ce plaisir.
Profitant de leurs discordes, en 682, Wâng fang-i que nous avons laissé à
Tokmak (S), soumit de nouveau, pour un moment, les Turcs à l’empire.
@
Culte... En 656, par décret, Kāo-tsou le fondateur de la dynastie, est
associé à l’Auguste Ciel dans le sacrifice du Tertre, et l’empereur T’ái-tsoung
est associé aux Cinq Souverains dans l’offrande du Mîng-t’ang. Notons cette
mention des Cinq Souverains (p. 353), et du Mîng-t’ang (p. 380) salle du
trône, dont nous n’avons plus entendu parler depuis bien longtemps...
L’Auguste Ciel, dit le rituel des T’âng,
p.1372
c’est le Ciel. On l’appelle aussi
Souverain d’en haut de l’auguste ciel, ou Empereur du ciel Grand Seigneur.
On lui sacrifie, au solstice d’hiver, au Tertre rond... Les Cinq Souverains, ce
sont les Souverains des cinq régions du ciel. On leur sacrifie dans le mîngt’ang... L’empereur sacrifie au Ciel, comme à l’auteur de son premier ancêtre
le fondateur de la dynastie, pour le remercier du mandat qu’il lui a conféré ;
voilà dans quel sens le fondateur de la dynastie est associé au ciel.
L’empereur fait des offrandes aux Cinq Souverains, pour remercier des influx
favorables exercés par le ciel matériel, par les constellations et les saisons,
sur son empire.
302
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 657. Jadis, vers la fin du règne précédent, le magicien hindou Souop’ouo-mei s’étant fait fort de posséder la formule de la drogue d’immortalité,
l’empereur T’ái-tsoung l’envoya dans l’Inde, pour y quérir les ingrédients
nécessaires. Il reparut à Tch’âng-nan après la mort de T’ái-tsoung, n’ayant
pas trouvé, disait-il, tout ce qu’il lui fallait. Il fut question, un moment, de lui
payer un second voyage. Mais l’empereur Kāo-tsoung dit à ses ministres :
— Jamais personne n’est arrivé à l’immortalité. Ts’înn Cheu-hoang,
Hán Ou-ti, qui ont si passionnément recherché la drogue, sont
morts comme tout le monde. S’il y a des Immortels, où sont-ils ?..
Lì-tsi ajouta :
— De plus, le magicien est revenu de son voyage très vieilli. Or s’il
ne peut pas se soustraire lui-même à la vieillesse, comment
soustraira-t-il les autres à la mort ?
On le remercia donc. Il repartit pour l’Inde, et mourut en chemin.
Encore en 657, défense aux bonzes et bonzesses, de permettre désormais
à leurs parents et aux personnes nobles, de se prosterner devant eux (cf. p.
1343).
En 659, ordre au Grand Annaliste et Astrologue Hù king-tsoung, de
s’occuper de la question des cérémonies fōng-chán (p. 1345). Provisoirement,
ce digne homme demanda qu’on associât les deux premiers empereurs de la
dynastie au sacrifice fait au Ciel, et les deux premières impératrices au
sacrifice fait à la Terre, ce qui fut accordé. En 664, édit annonçant les
cérémonies fōng-chán pour l’an 666. En 665, l’impératrice déclare son
intention de participer à cette cérémonie. L’empereur sacrifiera au Ciel, et
l’impératrice à la Terre. Décret : Au commencement, quand on faisait les
cérémonies fōng-chán, l’impératrice sacrifiait après l’empereur (mensonge ;
cf. p. 1186)... L’empereur partit de
p.1373
Láo-yang, avec un cortège
splendide, qui couvrait sur les routes plusieurs centaines de lì. L’année ayant
été d’une fertilité extraordinaire, le riz ne coûtait que cinq pièces de monnaie
le boisseau, le blé et les fèves ne se vendaient plus, tant tout le monde était
dans l’abondance. Quand l’empereur passa à P’òu-yang (Carte III D), il
demanda au ministre Teóu tei-huan qui chevauchait à côté de lui :
303
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Pourquoi cet endroit s’appela-t-il jadis Ti-k’iou (la colline du
souverain) ?..
Le ministre ne sut que répondre. Le Grand Annaliste Hù king-tsoung qui
venait derrière, poussa son cheval et dit à l’empereur :
— Jadis l’empereur Tchoān-hu (p. 27) fit ici sa résidence. La
localité est ainsi nommée, en mémoire de lui...
L’empereur fut très content de cette explication...
— Un ministre devrait savoir son histoire, grommela Hù kingtsoung...
— Moi, dit Teóu tei-huan, quand je ne sais pas, je n’invente pas.
(Coup de patte à l’Annaliste, qui avait la réputation d’être blagueur, comme
nous verrons plus tard.)... Lì-tsi termina le différend, en disant que tous deux
avaient bien fait, l’un de dire qu’il ne savait pas, l’autre de dire ce qu’il
savait... Dans le même pays, l’empereur visita la famille Tchāng, célèbre
parce que tous ses membres vivaient en commun depuis neuf générations. Ils
avaient reçu les félicitations des trois dynasties Ts’î Soêi et T’âng. L’empereur
dit à Tchāng houng-cheu, le chef de la famille :
— Veuillez me donner la recette de votre bonne entente...
Celui-ci écrivit cent fois le caractère Patience, et tendit le papier à
l’empereur...
— Je comprends, dit celui-ci ;
et il lui fit un beau cadeau.
Au premier jour de l’an 666, l’empereur sacrifia au Souverain Seigneur
de l’Auguste Ciel, au sud du mont T’ái-chan. Le lendemain, il fit l’ascension de
la montagne, scella fōng un diplôme sur jade dans un socle de pierre,
répétant les cérémonies faites par l’empereur Koàng-Où des
p.1374
Heóu-Hán
en l’an 56 (p. 680). Le lendemain, cérémonie chán au bas de la montagne, au
lieu dit Chée-cheou, pour honorer l’Esprit de l’Auguste Terre. Quand
l’empereur eut fait son offrande, il se retira, avec toute sa suite. Alors, sous
un dais fermé porté par des eunuques, l’impératrice Où s’avança et fit aussi
304
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
son offrande. Il y eut amnistie et inauguration d’une ère nouvelle (p. 448). Il
y eut aussi pluie de décorations sur les officiers.
En s’en revenant du T’ái-chan, l’empereur passa à K’iū-fou, la patrie de
Confucius. Il visita la tombe du Sage, lui conféra le titre de Maître Suprême,
et lui sacrifia deux victimes (un bélier et un porc).
Passant ensuite à Poúo-tcheou (au sud de Koēi-tei-fou, la patrie de Làotzeu), il visita le temple de Lào-kiunn, et lui décerna, comme Ancêtre de la
dynastie (p. 1301), le titre de Suprême Mystérieux Originel Empereur (p.
755).
Ce bon Kāo-tsoung avait toutes les dévotions. La stèle de Sī-nan-fou
(p. 1352) raconte que, très favorable au Nestorianisme, il fit bâtir des
temples de cette religion dans toutes les préfectures (?). Religiosité vague,
échine souple. Son état mental étant ce que nous avons dit, il n’y a pas lieu
d’insister sur cette question... Au 4e mois de l’an 666, il rentra à Tch’âng-nan.
En 667, labour impérial. Les ministres lui mirent en main une charrue
enrubannée.
— L’instrument des paysans n’est pas fait de la sorte, dit
l’empereur ; donnez-moi une vraie charrue...
Quand on la lui eut remise, il traça neuf sillons.
En 668, le bonze hindou Lou-kia-i-touo venu de l’Oudyana (23), présenta
à l’empereur la drogue d’immortalité. Le même Kāo-tsoung qui, en 657, avait
si bien parlé contre cette drogue, faillit cette fois la gober. Il s’y disposait,
quand le censeur Hào tch’ou-tsounn lui dit :
— La vie et la mort dépendent du destin ; les drogues n’y peuvent
rien...
L’empereur renonça à sa fantaisie.
En 669, on décida en
p.1375
principe la construction d’un Mîng-t’ang. La
base serait octogonale ; le dôme serait rond et couvert de plaques de jade
bleu. Les portes, fenêtres, colonnes, tous les détails de l’aménagement,
répondraient aux nombres du Ciel et de la Terre, des deux principes, des
305
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
mansions célestes, des tons musicaux, etc. On discuta, sans aboutir. Une
famine qui survint, fit remettre l’exécution à plus tard.
Le Grand Annaliste et Astrologue Hù king-tsoung étant mort en 672, en
673 un décret chargea Liôu jenn-koei de réviser les histoires qu’il avait
rédigées, le bruit courant qu’il y avait inséré pas mal d’erreurs et de
mensonges. Ce trait est à mettre en parallèle avec le discours de Tch’òu
soei-leang à l’empereur T’ái-tsoung (p. 1321).
La dynastie descendant de Lào-kiunn, en 674 l’impératrice Où obtint un
édit recommandant l’étude de son livre, et promettant primes et faveurs à
ceux qui se rendraient experts dans sa doctrine.
En 675, l’impératrice Où fit des offrandes à la Première Eleveuse de vers à
soie. C’est Lèi-tsou, fille du seigneur de Sī-ling, épouse de Hoâng-ti (p. 24),
d’après les Rites et les Commentaires.
Mis en appétit par l’air vif du T’ái-chan, en 682 l’empereur conçut le projet
d’aller également enfouir des diplômes sur le sommet des quatre autres
monts sacrés. Le pauvre homme n’avait que ce prétexte pour faire des
excursions. Il projeta aussi de bâtir un temple au Ciel, au mont central
Sōng-chan, pas très éloigné de Láo-yang. En 683, il annonça sa tournée
pour l’année prochaine. Comme il mourut quatre mois après, la tournée ne
se fit pas.
En 683, autre exemple de dévotion, toute pratique celle-là. Un certain Pâi
t’ie-u, ayant préalablement enterré un vieux Buddha en bronze, attendit que
la végétation eût convenablement recouvert l’endroit, puis annonça à ses
concitoyens qu’il percevait des émanations lumineuses. On creusa et on
p.1376
trouva le Buddha, puisqu’il y était. Le bruit s’étant alors répandu, que
quiconque contemplerait
ce
Buddha, serait guéri
de toute maladie,
l’affluence des pèlerins commença. Il paraît qu’on enrôlait ceux qui
guérissaient, dans une sorte de congrégation, comme ont fait tant de Hiāngmeull jusqu’à nos jours. Quand le nombre de ses adeptes lui parut assez
considérable, Pâi t’ie-u se déclara empereur, nomma des ministres, et se
révolta contre le gouvernement. Il fallut faire marcher des troupes contre
cet exploiteur de la piété populaire. Toujours la même histoire, superstition,
puis rébellion, le tout provoqué et dirigé par quelque habile canaille.
306
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 683, au IIe mois, la tête de l’empereur enfla, et il devint complètement
aveugle. Le médecin Ts’înn ming-hao demanda l’autorisation de ponctionner
les parties tuméfiées. L’impératrice Où, qui était probablement pour quelque
chose dans la tuméfaction, dit avec colère :
— Cet homme mérite la mort, pour avoir osé vouloir tirer du sang
à l’empereur...
— Si on essayait tout de même, dit celui-ci...
Le médecin fit donc deux ponctions, après lesquelles l’empereur recouvra
partiellement la vue... Aussitôt, pour déguiser son jeu, l’impératrice se
frappant le front, s’écria :
— Grâces soient rendues au Ciel !...
puis elle courut elle-même chercher cent pièces de soie, et les présenta, par
brassées, au médecin.
Un mois plus tard, l’empereur retomba soudainement et gravement
malade. P’êi-yen fut appelé, au milieu de la nuit, pour rédiger à la hâte ses
dernières volontés. L’empereur décéda, sans autres témoins. L’Histoire n’en
dit pas davantage. Le testament plus ou moins authentique de Kāo-tsoung,
mettait sur le trône Tchée, le second fils de l’impératrice Où, âgé de 28 ans.
Sa mère était chargée d’arranger les affaires, dont le fils ne se tirerait pas.
@
307
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Tchoūng-tsoung,
684 à 710.
@
p.1377
Règne nominal comme nous allons voir. Au premier mois, la dame
Wêi fut faite impératrice.
Au deuxième mois, l’empereur manifesta à P’êi-yen, son intention d’élever
le Père de la nouvelle impératrice à une charge importante. Celui-ci voulut
l’en dissuader.
— Ne suis-je pas le maître ? dit l’empereur en colère. Si je voulais
lui donner l’empire, qui pourrait m’en empêcher ?..
Il oubliait maman. P’êi-yen courut vite la prévenir. Sans en demander
davantage, celle-ci réunit les ministres, appela la garde aux armes, puis cita
l’empereur, et lui déclara publiquement sa déchéance...
— Quelle faute ai-je commise ? demanda Tchoūng-tsoung...
— Vous avez voulu donner l’empire à Wêi huan-tcheng, dit
l’impératrice...
Sur ce, elle le fit enfermer, lui substitua son troisième fils qui fut Joéi-tsoung
(684), proclama une ère nouvelle, etc. Le nouvel empereur n’eut rien à voir
dans les affaires. L’impératrice Où gouverna seule. Tchoūng-tsoung fut
enfermé à Fâng-tcheou, dans la vallée de la Hán. Il y resta 14 ans ; heureux
encore de n’avoir pas le sort de son aîné.
Se sentant désormais maîtresse absolue de l’empire, la douairière Où
songea à le ravir aux T’âng, pour le donner à sa propre famille. Elle
commença par faire élever à ses Ancêtres un temple à l’instar du temple des
Ancêtres impérial. Puis elle plaça des Où dans toutes les hautes charges. Bien
entendu, les Lì (T’âng) furent mécontents. Lì king-ie se révolta. C’est ce que
l’impératrice désirait, pour avoir prétexte à sévir. Battu, Lì king-ie fut
assassiné par son lieutenant Wâng na-siang.
En 685, la douairière s’éprit du bonze Hoâi-i, qui devint son factotum pour
toute sorte de besognes. Elle le fit abbé de la célèbre bonzerie Pâi-ma-seu de
308
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Láo-yang. Le bonze eut un train impérial. Les personnages les
p.1377
plus haut
placés, ne se tinrent plus, devant lui, que à quatre pattes ou à plat ventre.
Les propres neveux de l’impératrice, lui rendaient les devoirs que les fils
doivent à leur père. Hoâi-i remplit son couvent de jeunes gens audacieux,
qu’il costuma en bonzes. Appuyé par cette garde, il se permit impunément
tous les excès.
En 686, l’impératrice voulant éprouver le degré de veulerie de son fils
Joéi-tsoung, offrit de lui remettre les rênes du gouvernement. Celui-ci refusa,
protesta, supplia, d’une manière satisfaisante. Il devina, dit l’Histoire, ce qui
en était de la proposition.
Alors la douairière entreprit l’extermination systématique de la maison de
T’âng et des familles qui lui étaient dévouées. Voici comment elle s’y prit. Elle
donna toute liberté aux délations secrètes. On fournissait des chevaux, on
remboursait les frais de route, à tous ceux qui voulaient venir de loin pour
accuser autrui. L’impératrice les recevait elle-même. Elle donna audience
jusqu’à des laboureurs et des bûcherons. Ainsi encouragés, les accusateurs
pullulèrent, et bourdonnèrent comme des guêpes. Trouvant que, pour
calomnier, il fallait encore trop se déranger, un certain Û pao-kia imagina des
boîtes en cuivre, fixées sur les places publiques (boîtes aux lettres), dans
lesquelles on pouvait introduire, par une fente, des dénonciations signées ou
anonymes. L’impératrice adopta cette invention avec enthousiasme. Û pao-kia
récolta ce qu’il avait semé. Un voisin ayant déposé dans la boîte de son
village, une accusation contre lui convenablement troussée, il fut mis à mort,
sans enquête et sans phrases.
Une petite montagne (volcan de boue) ayant surgi dans le Kiāng-si actuel,
la
douairière
considéra
la
chose
comme
un
bon
augure.
La
terre
s’émoustillait, de plaisir, sans doute, d’être gouvernée par elle. Le lettré Û
wenn-tsounn de Kiāng-ling, en jugea
p.1379
autrement. Il présenta le placet
suivant.
« Quand les k’i célestes sont déséquilibrés, il s’ensuit chaleur ou
froidure ; quand les k’i humains sont en désordre, il s’ensuit des
troubles et des maladies ; quand les k’i terrestres ne sont pas en
ordre,
il
pousse
des
monticules.
309
Actuellement
l’impératrice
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
gouverne l’empereur, le fort et le doux sont sens dessus dessous,
la terre étouffe de colère, voilà pourquoi il lui pousse des
excroissances. Vous vous trompez en prenant ce phénomène pour
un signe de bon augure. Je vous prie de changer de conduite, pour
apaiser le Ciel, sinon il vous arrivera malheur...
Furieuse, l’impératrice envoya ce lettré continuer ses études au Tonkin.
En 687, tentative de Yâng tch’ou-tch’eng, pour délivrer l’empereur
Tchoūng-tsoung renfermé à Fâng-tcheou. Il manqua son coup. La douairière
le fit mettre à mort.
En 688, elle se décerna les titres de Sage (ou Sainte dans le sens
buddhique) Mère, Impératrice Transcendante...Son neveu Où tch’eng-seu
ayant fait graver sur une pierre les caractères suivants Prospérité éternelle à
l’empire, sous le gouvernement de la Sage Mère, fit présenter cette pierre à
l’impératrice, comme ayant été rejetée par la rivière Láo, (Fôu-hi et Ù le
Grand, HCO p. 58). Folle de joie de cet hommage que lui rendait la nature, la
Sage Mère salua la pierre, puis ordonna de la vénérer. Elle annonça
l’événement au tertre du Ciel, au temple Ming-t’ang, et aux hauts
fonctionnaires réunis en cour plénière.
Cependant deux autres princes de la maison T’âng s’étant révoltés, furent
tués les armes à la main. Beaucoup d’autres furent exécutés, sous divers
prétextes.
La même année, Tî jenn-kie, gouverneur du Heûe-nan, fit savoir à
l’impératrice que, les pays de Oû et de Tch’ôu abondant en lieux saints de
cultes non autorisés, il en avait détruit par le feu plus de 1700, ne réservant
que les temples de
p.1380
Ù le Grand (p. 38), de T’ái-pai (p. 150), de Kí-tcha
(fils de Cheóu-mong p. 135), et de Où-yuan (ministre de Fōu-tch’a p. 149).
Nous avons dit plus haut, que le projet de bâtir un Mîng-t’ang, s’était
aheurté, comme toujours, aux disputes des Lettrés. Lasse d’attendre que ces
chicaneurs eussent fini de s’entendre, l’impératrice confia la chose au
bonze Hoâi-i. Ce que c’est, que de s’adresser aux habiles gens. Elle eut son
temple sur-le-champ. Sans le moindre scrupule archéologique, le bonze
construisit un édifice haut de 249 pieds, ayant 300 pieds de côté à la base, et
310
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
trois étages. Le premier étage consacré aux quatre saisons, fut peint en
quatre couleurs. Le second étage consacré aux douze mansions zodiacales,
eut un plafond rond, enguirlandé de neuf dragons. L’étage supérieur,
consacré aux vingt-quatre k’í, fut couvert d’un toit en coupole, surmonté par
un phénix en fer doré haut de dix pieds. On appela cet édifice le Palais
transcendant des dix mille Images... Au nord du mîng-t’ang, le bonze bâtit un
T’iēn-t’ang, Temple du Ciel, à cinq étages, destiné à abriter une image
gigantesque. Le bâtiment fut si élevé, que, du troisième étage, on dominait
déjà le Mîng-t’ang. L’impératrice paya. De plus elle fit général de la garde
impériale, l’auteur de ces chefs-d’œuvre.
En 689, grand festival au nouveau Mîng-t’ang. Revêtue du costume
impérial, tenant en main le sceptre que tient l’empereur quand il sacrifie au
Ciel, l’impératrice fit son offrande. L’empereur offrit en second lieu...
L’usurpation étant un fait accompli, le nom dynastique importait peu
désormais. L’impératrice changea celui de T’âng, en Tcheōu, la principauté de
son père. Elle créa, pour se désigner elle-même, le caractère Lumière
éclairant le Néant. Ses décrets s’appelèrent tchéu.
En 690, le bonze Fā-ming découvrit, dans le Sutra du Grand Nuage, que
la douairière était, ni plus ni
p.1381
moins, que Maitreya, le Buddha à venir, et
que, par conséquent, elle devait monter sur le trône et régner sur le monde.
Cette découverte fut portée à la connaissance de tout l’empire.
Dans le Mahamegha Sutra, en chinois [] Sutra du Grand Nuage, le
Buddha dit à un Deva : « Avant de devenir Buddha, tu renaîtras sur la terre
une fois encore, dans un corps de femme. Tu régneras sur un empire. Dans
toutes les villes, dans tous les villages de tes États, hommes et femmes,
grands et petits, tous à l’envi recevront les cinq préceptes, observeront la loi
et détruiront l’erreur. ».. Fā-ming appliqua ce texte à l’impératrice Où. Celleci fonda dans chaque district une pagode du Grand Nuage, multiplia avec
profusion les exemplaires du Sutra du Grand Nuage, etc.
Désormais les exécutions et suppressions des princes T’âng allèrent bon
train. Trente d’entre eux, plus l’ex-prince impérial Hién et ses deux fils, y
passèrent du coup. L’impératrice Où prit le titre d’Empereur. Son fils,
l’empereur Joéi-tsoung, fut fait prince impérial, après avoir vu changer son
nom Lì en Où. Les drapeaux de la nouvelle dynastie Tcheōu furent rouges.
311
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les tertres des Patrons des terres et des moissons à Láo-yang, furent refaits
à neuf. Les tablettes des Où, ancêtres de la douairière, remplacèrent, dans le
temple impérial, celles des T’âng. Au solstice d’hiver., l’impératrice sacrifia au
Ciel dans le Mîng-t’ang. A cette occasion, elle associa au Souverain d’en haut,
son propre premier ancêtre.
Sur ce, mêmes intrigues autour de Joéi-tsoung, que jadis autour de
Tchoūng-tsoung. Décidément, il valait mieux être le chien de cette femme,
que son fils. Une servante favorite de la douairière, ayant faussement accusé
de maléfice Liôu-cheu l’épouse de Joéi-tsoung, Où-cheu la fit aussitôt mettre
à mort, et ordonna d’enfouir son cadavre dans les jardins du palais, sans que
personne sût jamais où.
En 693, P’êi fei-koung ayant été accusé d’avoir comploté pour rétablir
Joéi-tsoung sur le trône, fut coupé en deux par le milieu du corps. Il ne fut
plus permis à l’infortuné Joéi-tsoung de voir qui que ce fût. Bientôt une
créature de l’impératrice, l’accusa lui-même de
p.1382
conspiration. Où-heou
ordonna de torturer ses domestiques. Plusieurs faiblirent et dirent tout ce
qu’on voulut. Alors Nān kinn-ts’ang s’écria :
— L’empereur est innocent, aussi vrai que voilà mon cœur à nu...
et il s’ouvrit le ventre d’un coup de poignard, si largement que ses entrailles
s’échappèrent. L’impératrice l’ayant appris, le fit porter dans le palais, et le
remit aux mains de ses médecins, qui lui replacèrent les entrailles, cousirent
la plaie avec des filaments d’écorce de mûrier, et lui appliquèrent une
excellente pommade. Il ne recouvra connaissance que le lendemain. Alors la
douairière alla le voir, soupira et dit :
— J’ai un fils tellement bête, qu’il n’a pas su se disculper luimême ; merci de ce que tu as fait pour le sauver...
C’est ainsi, dit l’Histoire, que Joéi-tsoung en réchappa.
Ensuite l’impératrice se fit décerner le titre de Sage Transcendant
Empereur dépositaire du Disque d’or (Tchakra, le disque d’or, de cuivre ou de
fer, qui tombe du ciel, signe d’investiture des Souverains Tchakravartti élus
pour la propagation du Buddhisme). Elle fit faire un grand disque en or qui fut
suspendu dans la salle du trône.
312
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 694, l’impératrice ajouta à ses titres, celui de Supérieur à tous les
Anciens.
Son neveu Où san-seu demanda qu’une colonne de bronze fût élevée,
devant le palais, aux vertus de sa tante. On rafla, à cet effet, le cuivre et le
fer, par tout l’empire ; les ustensiles et jusqu’aux instruments aratoires y
passèrent. Le fût de la colonne eut 105 pieds de haut. Elle s’éleva sur une
masse de fonte en forme de montagne, laquelle avait 170 pieds de tour.
Chaque tronçon de deux toises (la colonne fut coulée sur place, en position,
par assises successives, comme d’autres monstres chinois encore existants),
coûta deux millions de livres de métal (ce qui fait plus de dix millions de livres
en tout).
Si la construction du Mîng-t’ang avait réjoui l’impératrice, elle avait coûté
fort cher.
p.1383
Néanmoins, par un motif superstitieux qui m’échappe,
l’impératrice commanda un nouveau chef-d’œuvre. Ce fut une immense
image, haute de 200 pieds, peinte sur toile, avec le sang de bœufs tués ad
hoc. Hoâi-i la fit exécuter, et suspendre devant le pont T’iēn-tsinn...
Cependant l’impératrice se permit de donner à ce bonze, un rival en la
personne du médicastre Chènn nan-niou. Or Hoâi-i tenait à être seul maître
du cœur de la souveraine. Pour se venger, il mit le feu au Mîng-t’ang, qui fut
complètement réduit en cendres. Le vent déchira en mille pièces l’image
peinte au sang de bœuf. L’impératrice feignit de croire que l’imprudence des
ouvriers était cause de ces désastres, et interdit toute enquête.
Encore en 694, un Persan nommé Fou-touo-tan, apporta et présenta à la
cour la fausse doctrine des Deux Principes (Manichéisme). Les sectateurs de
cette religion disent que les hommes et les femmes ne doivent pas se marier,
qu’ils ne doivent pas parler quand ils se tiennent, que les malades ne doivent
pas prendre de médecines, que les morts doivent être enterrés tout nus... Ils
se reconnaissent entre eux, par l’emploi de certains parfums. Ils dorment le
jour, veillent la nuit, s’accouplent dans les ténèbres, s’appellent bons amis (et
non époux). Ils disent que, sauf la leur, toutes les mystiques sont fausses. Ils
sont de toutes les rixes et querelles. Quand on leur demande :
— D’après votre religion, en définitive où aboutirez-vous ?..
ils répondent :
313
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Nous ne monterons pas au ciel. Nous ne descendrons pas en
terre. Nous n’aurons pas recours au Buddha. Nous ne prendrons la
voie d’aucune autre secte. Nous passerons tout droit...
Cherchez dans la note sur le Manichéisme, page 1486, l’explication de ce qu’il
y a d’obscur dans ce texte.
En 695, l’impératrice Où prit le titre de Grand et Saint Empereur
Mandataire du Ciel au
p.1384
Disque d’or. Au douzième mois de la même
année, elle fit les cérémonies fōng-chán au mont Sōng.
En 696, un nouveau Mîng-t’ang fut achevé. Il eut 294 pieds de haut, et
300 pieds de côté à la base. On l’appela le Palais des communications
célestes. En 697, l’impératrice Où fit fondre neuf urnes, à l’instar de celles de
Ù le Grand (p. 39). Celle de la province Û, haute de 18 pieds, pouvait contenir
18000 boisseaux de grain. Celles des autres provinces, hautes de 14 pieds,
pouvaient contenir chacune 12000 boisseaux de grain. Chaque urne portait, à
l’extérieur, en relief, la carte ou plutôt une sorte de vue à vol d’oiseau de la
province, monts et fleuves, produits naturels, etc. On employa, pour fondre
ces colosses, 560.700 livres de cuivre.
En 698, l’impératrice ordonna à Où yen-siou, fils de son neveu Où
tch’eng-seu, d’aller demander la main de la fille de Mei-tch’ouo khan des
Turcs. On comprend que, avec son expérience des harems chinois,
l’impératrice préférât, pour ceux qu’elle aimait, des femmes turques. Ce Meitch’ouo (Kapagan), qui venait de succéder à son frère défunt Kou-tou-lou
(Eltérès), avait profité du mauvais gouvernement de l’empire, pour relever les
Turcs Septentrionaux ruinés en 630 (p. 1324). Il s’était allié aux Turcs
Occidentaux et aux Turgäch, et était devenu fort puissant. Quand Où yensiou, arrivé à sa cour, fit sa demande, le khan se moqua de lui.
— Moi, dit-il, j’ai reçu des bienfaits des Lì. Je ne connais que les Lì.
Qu’est-ce que les Où.. ? Puisqu’il reste encore deux princes Lì (les
deux empereurs), je vais aller les délivrer !..
et, ayant emprisonné Où yen-siou, il mobilisa sa cavalerie et fondit sur la
Chine... Pour donner satisfaction au khan, Tî jenn-kie conseilla à l’impératrice
de remettre Tchoūng-tsoung sur le trône. Elle le tira donc de sa prison, après
314
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
14 années de réclusion, mais ne le fit que prince
p.1385
héritier, avec droit de
lui succéder. Le khan mit à feu et à sang toute la plaine du Heûe-pei, puis se
retira. Les Chinois le poursuivirent, pour la forme. Mei-tch’ouo rit d’eux, arma
quatre cent mille guerriers, reconstitua l’empire des Turcs Septentrionaux, et
déclara ouvertement qu’il se moquait de la Chine.
En 699, l’impératrice étant tombée malade, envoya un certain Yên tch’aoyinn prier pour elle au mont Sōng. Celui-ci se lava, s’affubla en victime,
s’étendit sur l’autel, et demanda à mourir en place de l’impératrice. Quand il
fut revenu, l’impératrice guérie récompensa libéralement ce comédien.
La stèle de Sī-nan-fou nous apprend, que l’impératrice Où persécuta ou
laissa persécuter les Nestoriens à Láo-yang, en 698 et 699.
Cependant la Chine était pour les T’âng, race de viveurs, légers, fastueux,
veules, ayant tous les vices qui plaisent au peuple chinois. La douairière qui
vieillissait, sentit qu’elle ne pouvait plus oser davantage, et que, malgré tout
le sang qu’elle avait versé, l’avenir de sa famille n’était pas assuré. Tant
d’autres familles d’impératrices avaient disparu, après le décès de la
maîtresse, par voie d’égorgement sommaire (p. 320, 718) ! Elle réunit donc,
dans le Mîng-t’ang, les Où ses parents, les deux empereurs ses fils avec leur
sœur sa fille, et leur fit jurer réciproquement de ne pas se détruire. Leur
serment fut gravé sur une plaque de fer.
Un jour que l’impératrice était sortie, un bonze se jeta à la tête de ses
chevaux, la priant de venir à sa pagode pour y vénérer certaines reliques.
L’impératrice allait consentir, quand Tî jenn-kie se jeta lui aussi à genoux
devant les chevaux.
— Le Buddha, cria-t-il, est un Chênn barbare. Vous vous ravalez,
en lui rendant visite. Ce farceur de bonze ne vous invite, que pour
achalander sa marchandise. Il attirera les foules, en se ventant de
votre visite...
L’impératrice refusa d’aller à la pagode, en disant :
— Je tiens à donner la face, à un
p.1386
conseiller aussi loyal.
En l’an 700, la douairière ayant résolu de fondre un Buddha colossal,
exigea, à cette fin, une pièce de monnaie par jour, de chaque bonze et
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
bonzesse par tout l’empire. Étant plus habitué à recevoir qu’à donner, ils
trouvèrent cela dur.
En 702, un certain Sōu nan-heng, originaire de Où-i, présenta le placet
suivant :
« L’empire chinois est l’empire de Chênn-noung, Yâo, Wênn-wang,
Où-wang. Quoique vous gouverniez bien, il n’en est pas moins vrai
que vous avez usurpé le trône des T’âng, et qu’il est temps de le
leur rendre. Si, par ambition, vous oubliiez vos devoirs de mère,
jusqu’à déshériter vos fils, de quel front vous présenteriez-vous un
jour devant les T’âng ancêtres de vos fils ? Le Ciel et les Hommes
tiennent aux Lì. L’empire est en paix, il est vrai, mais qu’arrivera-til après vous ? Après l’apogée, la ruine ; quand la mesure est
pleine, on la vide. Ne faites pas une affaire de famille, du bien
général de l’empire !..
L’impératrice qui se sentait branler, ne punit pas ces paroles hardies.
En 703, nouveau camouflet donné à la douairière, le khan turc Meitch’ouo offrit sa fille, au fils de l’empereur Tchoūng-tsoung. Sa proposition
ayant été agréée, il relâcha le pauvre Où yen-siou, qu’il tenait en prison
depuis cinq ans.
Au neuvième mois de cette année, éclipse de soleil.
— Jadis, dit maître Hôu, une éclipse de soleil (p. 317) annonça la
fin de l’impératrice Lù, qui la maudit en disant « Ceci est pour
moi ». L’éclipse de 703 annonça la fin de l’impératrice Où. Le soleil,
c’est la quintessence du yâng, c’est la figure de l’empereur.
Pourquoi s’obscurcit-il pour une femme ? C’est que cette femme
s’étant assise sur le trône impérial, avait perverti jusqu’aux deux
Principes. Elle, et l’impératrice Lù, furent Empereur ; voilà pourquoi
le soleil s’obscurcit pour elles.
En 704, l’impératrice imposa de nouveau tous
p.1387
les bonzes et
bonzesses, pour trouver le cuivre nécessaire à la fonte d’une statue du
Buddha.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cette même année, étant tombée malade, elle se confina, et ne reçut plus
les ministres durant plusieurs mois. Deux eunuques favoris, Tchāng i-tcheu et
Tchāng tch’ang-tsoung, la servaient et la gardaient. Le censeur Ts’oēi huanwei protesta contre ce désordre.
— Vous devez vous faire servir par vos deux fils, dit-il ; ainsi le
veulent les rites et l’étiquette.
En 705, la maladie de la vieille impératrice s’aggrava. Les deux eunuques
continuaient à la séquestrer. Tchāng kien-tcheu et Ts’oēi huan-wei décidèrent
de les supprimer. Tchāng kien-tcheu alla trouver le général de la garde Lì
touo-tsouo.
— Qui a fait votre fortune ? lui demanda-t-il...
— C’est l’empereur Kāo-tsoung, dit celui-ci, en larmoyant...
— Vraiment ! dit Tchāng kien-tcheu ; et vous laissez deux gamins
(les deux eunuques) mettre à la porte les deux fils de votre
bienfaiteur ! Où est votre reconnaissance ?..
— Que faut-il faire ? demanda Lì touo-tsouo ; je vous suivrai...
Tchāng kien-tcheu s’assura aussi le concours des officiers de la garde, Hoân
yen-fan, Kíng-hoei et Yuân chou-ki. En fils chinois qui sait ses Rites, Hoân
yen-fan demanda à sa mère la permission de risquer sa vie.
— Soit, dit la mère ; quand le dévouement et la piété sont en
conflit, on peut faire passer le dévouement avant la piété.
(Ce principe est controversé parmi les moralistes chinois, qui se partagent
sur cette question.) Hoân yen-fan et Kíng-hoei allèrent trouver Tchoūngtsoung, et lui offrirent de le remettre sur le trône. Le prince ayant agréé les
services des conjurés, Tchāng kien-tcheu, Ts’oēi huan-wei et Hoân yen-fan
pénétrèrent dans le palais, à la tête de 500 hommes des gardes. Nous savons
que ces gardes étaient presque tous des Barbares, comme ceux des
empereurs romains. Lì touo-tsouo alla d’abord délivrer l’empereur Tchoūngtsoung, dont l’autorité
p.1388
devait couvrir leurs opérations ultérieures. Cela
fait, les conjurés prirent et égorgèrent Í-tcheu et Tch’āng-tsoung, puis
317
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pénétrèrent dans le Pavillon de la Vie Éternelle, habité par la douairière Où.
Effrayée, celle-ci se leva en sursaut, et demanda :
— Qui ose faire l’insolent ?..
Lì touo-tsouo répondit :
— Í-tcheu et Tch’āng-tsoung ayant conçu des projets pervers, nous
les avons mis à mort, par ordre de l’empereur...
Alors Tchoūng-tsoung s’étant montré, sa mère lui dit :
— Puisque ces deux garçons sont morts, tout est dit ; retournez
donc dans vos appartements...
— Non, dit résolument Hoân yen-fan, il n’y retournera pas. A son
lit de mort, l’empereur Kāo-tsoung vous a confié son fils, pour que
vous le fassiez régner. Quoique ce fils soit avancé en âge, vous le
tenez encore au rang de prince héritier. Le Ciel et le Peuple
demandent que le trône soit occupé par un Lì. Veuillez vous
démettre, et remettre le pouvoir à votre fils, pour donner
satisfaction au Ciel et au Peuple...
— Et vous, demanda l’impératrice à Ts’oēi huan-wei, vous qui me
devez votre fortune, êtes-vous aussi de cet avis ?..
— J’en suis, dit Ts’oēi huan-wei, pour l’amour de vous, par
reconnaissance pour ce que je vous dois ; abdiquez, c’est le mieux
que vous puissiez faire...
Tandis que la douairière réfléchissait, les conjurés prirent Tchāng tch’āngk’i et le reste de ses mignons, les décapitèrent tous, et suspendirent leurs
têtes, avec celles de Í-tcheu et de Tch’āng-tsoung. Sur un édit supposé de la
vieille, ils intronisèrent Tchoūng-tsoung, et firent partir immédiatement les
courriers officiels, pour annoncer cette nouvelle à tout l’empire. La douairière
ne se décida à abdiquer que le lendemain, quand elle se fut rendu compte
que tout espoir d’échapper à cette nécessité était définitivement perdu. Tant il
est vrai, comme disait l’empereur Où (p. 477), qu’aux femmes l’appétit du
gouvernement vient en gouvernant, et qu’elles ne se dégoûtent
p.1389
jamais
de régner... L’empereur enferma sa mère dans le palais Cháng-yang-koung,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
et l’y garda comme elle l’avait gardé, après lui avoir conféré, comme suprême
fiche de consolation, le titre de Grand Saint Auguste Empereur Règle Céleste.
Il restaura le nom et la couleur de la dynastie T’âng, les tertres, le temple des
Ancêtres, tout ce à quoi l’impératrice avait touché. Láo-yang, la ville favorite
de la douairière, qu’elle avait appelée Chênn-tou, redevint simplement la
capitale orientale. Le pauvre vieux Lào-tzeu eut aussi ses titres quelque peu
rognés, et ne fut plus que Empereur Mystérieux Originel. La dame Wêi-cheu
(p. 1377) redevint impératrice.
L’ennui tua l’impératrice Où. Elle mourut au onzième mois de cette année,
âgée de 82 ans. Par testament, elle renonça au titre d’Empereur, ce qui
dispensa son fils de le lui ôter. Concubine du père, épouse du fils, meurtrière
de ses rivales, meurtrière de son fils et de sa fille, meurtrière d’un nombre
incroyable de princes et de fonctionnaires, marâtre de deux empereurs,
usurpatrice du trône équivalemment durant 46 ans et absolument durant plus
de 20 ans, sanguinaire, superstitieuse, politique habile, telle fut, à grands
traits, la fameuse Où-heou.
En cette année 705, le recensement officiel de la population de l’empire
accuse 6.150.000 familles, 37.140.000 âmes. Comparez les chiffres donnés
page 837.
L’empereur Tchoūng-tsoung semble avoir été une absolue nullité. A peine
sorti des griffes de sa mère, il tomba dans celles de sa femme. L’impératrice
Wêi fit comme avait fait l’impératrice Où, du vivant de son mari l’empereur
Kāo-tsoung. Elle assistait aux audiences assise derrière un rideau, se faisait
rendre compte des projets et des choses, etc... L’empereur ayant nommé
prince impérial son fils Tch’oûng-tsounn qui était d’une autre mère, ce choix
déplut
p.1390
à l’impératrice, qui résolut de perdre le jeune prince. Elle confia
cette commission à Où san-seu, le neveu de l’impératrice Où, lequel haïssait
Tch’oûng-tsounn pour des motifs personnels. Averti de ce qui se tramait, le
prince gagna Lì touo-tsouo, le libérateur de son père (p. 1387). A la tête de
300 hommes de la garde, le prince et le général massacrèrent Où san-seu, et
forcèrent les portes du palais. L’empereur se réfugia au haut d’une tour, bâtie
319
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sur une des portes. Tandis qu’on se battait dans la cour, il cria aux soldats de
Lì touo-tsouo :
— N’êtes-vous pas mes hommes à moi ? Je vous paierai
généreusement la tête des rebelles !
Aussitôt les soldats décapitèrent le prince et le général. Comme aux jours de
triomphe, l’empereur présenta leur têtes dans le temple des Ancêtres, et fit
des libations devant le cercueil de Où san-seu.
Pour flatter son imbécile de mari, l’impératrice Wêi lui décerna le titre de
Empereur Auguste Cher au Ciel, Dragon Transcendant. Bien entendu,
l’empereur ne pouvait pas rester en arrière, l’impératrice reçu le titre de
Impératrice Auguste Chère au Ciel, Sage Auxiliaire.
En 708, les dames du harem ayant vu des émanations irisées s’échapper
des jupes de l’impératrice, l’empereur fit peindre ce phénomène, et montra
l’image aux ministres. Wêi kiu-yuan parent de l’impératrice, ayant demandé
que la faveur de contempler cette image, fût étendue à tout l’empire, ainsi fut
fait ; on l’afficha.
En 709, l’empereur sacrifia au Ciel devant le tertre du sud. A cette
occasion, le sacrificateur Tchóu k’inn-ming demanda que l’impératrice fut
associée à ce sacrifice,
— Dans l’antiquité, dit-il, l’impératrice jouait son rôle dans tous les
grands sacrifices, y compris ceux au Ciel et à la Terre...
— Non, dit bravement le suivant T’âng-chao ; l’impératrice n’avait
un rôle, que dans les sacrifices aux Ancêtres, et non dans ceux au
Ciel et
p.1391
à la Terre...
Mais le conseiller Wêi kiu-yang, organe de l’intéressée, persuada à l’empereur
d’adopter l’avis de Tchóu k’inn-ming. L’empereur permit donc à l’impératrice,
de sacrifier en second, après lui.
En 710, le quinze de la première lune, l’empereur ne se contenta pas
d’assister, du haut d’une tour, à la fête des lanternes, ce fameux réveillon,
cause de tant de désordres sous les T’âng. Il flâna dans les rues, incognito.
320
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’impératrice Wêi, et plusieurs milliers de filles du harem, en firent autant.
Beaucoup, dit l’Histoire, ne rentrèrent pas ; elles trouvèrent des maris, par
hasard.
L’impératrice
se
conduisait
mal.
Craignant
d’être
punie
pour
ses
déportements, au sixième mois de cette même année, elle pétrit pour son
mari l’empereur Tchoūng-tsoung une galette, qui le fit passer ad patres, à
l’âge de 55 ans. Elle mit ensuite sur le trône son fils Tch’oûng-mao, âgé de 16
ans.
Cependant l’empereur Joéi-tsoung, frère de Tchoūng-tsoung, vivait
encore. Il avait un fils nommé Lì loung-ki, homme brave et décidé, chose rare
parmi les princes T’âng. Celui-ci résolut de ne pas laisser à l’impératrice Wêi,
le temps de devenir une seconde Où-heou. Une belle nuit, suivi de Liôu youk’iou et d’une bande d’hommes armés, il s’introduisit dans le parc impérial.
Soudain un essaim d’étoiles filantes illumina le firmament.
— Le Ciel se déclare pour nous, dit Liôu you-k’iou ! ne perdons pas
cette heure !..
et entrant directement dans le quartier des gardes, il leur dit :
— L’impératrice Wêi a empoisonné l’empereur. Maintenant elle
trame je ne sais quoi contre l’empire. Tuons-la cette nuit,
remettons Joéi-tsoung sur le trône, et donnons ainsi la paix à
l’empire !..
— Hourra ! crièrent les gardes...
Aussitôt les conjurés envahirent le palais, décapitèrent l’impératrice, puis
allèrent trouver Joéi-tsoung.
—
p.1392
Pardonnez-moi, dit à celui-ci son fils Lì loung-ki en se
prosternant ; pardonnez-moi de ne pas vous avoir averti avant
d’agir ; je craignais les langues indiscrètes...
— Mon fils, lui dit Joéi-tsoung, si les Tertres sacrés et le Temple
des Ancêtres ne sont pas détruits, c’est à ta valeur qu’ils le
doivent.
321
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Entre temps les conjurés, ayant fermé les portes de la capitale, avaient
fait main basse sur le clan des Wêi. Tous furent massacrée, jusqu’aux enfants
à la mamelle. Pas un seul n’échappa. Le cadavre de l’impératrice Wêi fut jeté
sur la place du marché, pour y servir de jouet à la populace. Son fils
Tch’oûng-mao s’était assis sur le trône, refuge des empereurs quand une
révolution éclate dans le palais. La sœur de Joéi-tsoung, sa tante, pénétra
dans la salle et lui dit :
— Les cœurs de tout l’empire sont à Joéi-tsoung. Ce siège n’est
pas fait pour un enfant comme vous. Descendez vite !..
Après la formalité d’une abdication en règle du neveu, l’oncle monta sur le
trône, enferma le neveu, et nomma prince impérial son fils Lì loung-ki,
l’auteur de sa délivrance.
A cette période d’intrigues, de scandales et de crimes, nous avons à
ajouter les faits militaires suivants... En 689, le général chinois Wêi tai-kia se
fit battre par les Tibétains. — En 696, première incursion des Tongouses K’ítan du nord-est, lesquels deviendront un jour redoutables. Après avoir battu
les troupes chinoises, ils coururent jusqu’à Ki-tcheou, qu’ils prirent et
saccagèrent. En 697, ils battirent et tuèrent le général Wâng hiao-kie. — En
700, le général chinois T’âng hiou-ying inflige un échec aux Tibétains,
lesquels demandent la paix en 702. — En 708, incursion des Turgäch (W), qui
anéantissent le général Niôu cheu-tsiang avec toute son armée. — En 712, le
général Soūnn-ts’uan ayant attaqué les K’í-tan, fut battu par eux, pris et livré
au khan des Turcs Mei-tch’ouo, qui le
p.1393
@
322
fit mettre à mort.
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Joéi-tsoung,
710 à 712.
@
Sa première préoccupation fut de consacrer ses deux filles, comme
nonnes taoïstes, au culte de l’Impératrice Céleste. Il résolut de leur bâtir, à
chacune, un couvent... Le censeur Nîng yuan-ti protesta en ces termes.
— L’objectif des bonzes et des táo-cheu étant la vie pure et
paisible, il est inexpédient qu’ils aient trop et de trop beaux
couvents. Il ne convient pas de pressurer le peuple, pour leur en
bâtir. Il vaudrait même mieux éloigner de vous cette sorte de gens,
comme ont fait plusieurs empereurs, vos prédécesseurs...
Sīnn t’i-fao trempa son pinceau dans une encre plus noire.
— Je ne vous citerai pas, écrivit-il à l’empereur, des exemples
anciens de bons et de mauvais princes. J’aime mieux prendre mes
exemples dans l’histoire tout à fait récente. Votre aïeul T’ái-tsoung
fut un grand prince, à qui tout réussit. Or il n’autorisa que peu de
temples buddhistes et taoïstes, et ne permit qu’à peu de gens de
se faire bonzes ou táo-cheu. S’en est-il mal trouvé ? Non, le Ciel l’a
comblé de faveurs... Au contraire, votre frère Tchoūng-tsoung,
entre bien d’autres fautes, a bâti des temples buddhistes sans
nombre, et a permis à qui le voulait de se faire bonze. Il a arraché
les aliments de la bouche, et les vêtements du corps du peuple,
pour les donner à ces gueux. S’en est-il bien trouvé ? Non, car il
est devenu le jouet d’une femme, qui l’a assassiné... Et maintenant
que divers fléaux désolent l’empire, non seulement vous ne venez
pas en aide au peuple, mais vous faites de folles dépenses pour
bâtir des couvents à vos filles. Lequel de vos deux prédécesseurs
imitez-vous ? Votre frère, ce me semble, sous le règne duquel vous
avez pourtant tant souffert. Si vous n’y prenez garde, avant
longtemps le peuple grincera des dents contre vous...
p.1394
L’empereur admira ce mâle langage, et bâtit des couvents à ses
filles, qui devinrent toutes deux abbesses.
323
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 711, Joéi-tsoung appela à sa cour le célébre táo-cheu Sēu-ma tch’engtcheng, ermite de T’iēn-t’ai (Tchée-kiang), en vue de l’interroger sur les
révolutions des deux principes, sur les nombres et les formules...
— La Voie, dit celui-ci, consistant à anéantir même ses pensées,
pour arriver à l’inaction absolue, comment me fatiguerais-je l’esprit
à calculer des nombres ?..
— Alors, pour le particulier, dit l’empereur, c’est l’inaction qui est la
perfection mais la perfection du gouvernement, en quoi consiste-telle ?..
— Dans l’inaction, dit le táo-cheu. Laissez aller les choses, et le
monde se gouvernera de lui-même, et les cœurs seront réglés...
Ahuri, l’empereur soupira :
— Quelle grande parole ! Il ne se peut rien de plus sublime !..
Las de la cour, le táo-cheu demanda à retourner à ses montagnes.
L’empereur dut lui donner son congé.
En 711, Joéi-tsoung publia un règlement de conscription, pour la garde
nationale. Tout homme de 25 ans, était passible du service. A 55 ans, tous
étaient exempts.
En 712, l’empereur sacrifia au tertre du midi, avec cette particularité, qu’il
sacrifia simultanément au Ciel et à la Terre. Car, lui dit le conseiller Kià-tseng,
sous l’empereur Choúnn et sous les Hiá, quand le souverain sacrifiait au
tertre, il invoquait ainsi les Esprits de la Terre, et les Mânes de ses Ancêtres...
Il paraît que la chose parut moins claire ensuite, car, au cinquième mois de la
même année, l’empereur sacrifia à la Terre au tertre du nord.
D’après la stèle de Si-nan-fou, les Nestoriens furent persécutés à Tch’ângnan en 712.
Au septième mois de l’an 712, une comète venue de l’Occident, pénétra
dans les constellations polaires. Les Astrologues dirent à l’empereur :
— Cet astre (balai) signifie, qu’il faut enlever le vieux, et le
p.1395
remplacer par du neuf ; abdiquez donc, en faveur de votre fils...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Bien volontiers, dit l’empereur...
Sa sœur s’opposa à cette détermination, tant qu’elle put. Le prince héritier,
qui craignait sa tante, refusa. L’empereur lui dit :
— Tu es un bon fils. Tu m’as toujours obéi. Je ne vois pas pourquoi
je te ferais attendre à monter sur le trône devant mon cercueil.
Autant vaut que tu y montes de mon vivant...
Le prince sortit tout en pleurs, et alla se cacher. L’empereur abdiqua en
faveur de son fils. Celui-ci s’excusa encore une fois, par écrit...
— Continuez au moins à vous occuper des affaires majeures, dit la
princesse à son frère.
Celui-ci dit donc au prince impérial :
— Puisque tu désires que je t’aide encore dans les circonstances
importantes, Choúnn ayant jadis rendu ce service au Grand Ù (p.
37), je veux bien en faire autant ; tiens-moi au courant des
affaires majeures...
Sur ce, l’empereur Huân-tsoung monta sur le trône. Joéi-tsoung devint
Empereur Suprême. Il eut le privilège du pronom tchénn, et ses actes
s’appelèrent káo. Il donna audience, une fois tous les cinq jours. Hoân-tsoung
eut le privilège du pronom û, et ses décisions s’appelèrent tchéu. Il tint sa
cour chaque jour. Toutes les nominations ou mutations des mandarins
supérieurs au troisième degré, toutes les causes majeures, passèrent par
l’empereur Joéi-tsoung. Amnistie, ère nouvelle, et le reste. La dame Wâng
devint impératrice.
@
325
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Huân-tsoung,
713 à 755,
@
Au deuxième mois, fête des lanternes, avec banquets et orchestres
populaires. Illumination a giorno. L’empereur Suprême assista à la fête, du
haut d’un tour.
Cependant la tante de l’empereur, qui avait vu son avènement d’un
mauvais œil, se mit à cabaler contre lui. En câlinant son frère Joéi-tsoung,
elle arriva à faire mettre dans les hautes charges, bon
p.1396
nombre
d’hommes à sa dévotion. Plus de la moitié des ministres, dit l’Histoire, étaient
ses créatures. C’était gênant pour l’empereur.... Bientôt la tante complota,
avec le ministre Teóu hoai-tcheng, de renverser son neveu, tout bonnement.
Puis elle trouva plus simple, de le faire empoisonner par une dame du harem.
Le coup ayant raté, Wâng-kiu dit à l’empereur :
— Prenez garde, cela devient grave, prenez les devants...
Ts’oēi jeu-young lui dit :
— Votre tante ourdit certainement une rébellion ; c’est le moment
de l’étouffer, avant qu’il ne soit trop tard ; dites un mot ; personne
ne vous fera de reproches !..
— Je vous crois, dit l’empereur ; mais cela ferait de la peine à mon
père...
— Le premier devoir d’un fils pieux, s’il est empereur, dit Ts’oēi
jeu-young, c’est de maintenir en paix l’empire que son père lui a
confié. Si vous laissez faire ces conjurés, si vous permettez qu’ils
bouleversent l’empire, ce sera là, de votre part, une impiété
capitale. Appuyez-vous sur les prétoriens, saisissez les coupables.
Quand le coup sera fait, votre père n’y pourra rien redire...
— Soit, dit l’empereur...
Aussitôt Koūo yuan-tchenn et Kāo li-cheu (p. 1354) pénétrèrent dans le
palais, obligèrent le ministre Teóu hoai-tcheng à se pendre, puis décapitèrent
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
son cadavre. L’Empereur Suprême, ayant entendu du bruit, se réfugia au
haut d’une porte.
— Ne craignez rien, lui cria Koūo yuan-tchenn, nous n’en voulions
qu’à Teóu hoai-tcheng ; il a son affaire...
Par précaution, néanmoins, avant de descendre de sa porte, Joéi-tsoung
protesta par écrit, qu’il ne voulait plus désormais avoir rien à voir dans le
gouvernement. Il se retira ensuite dans un palais écarté... Huân-tsoung fit
savoir à sa tante, qu’elle eût à se suicider. Tous ses enfants et complices,
plusieurs dizaines de personnes, moururent avec elle.
L’eunuque Kāo li-cheu devint un des premiers personnages de l’empire,
une sorte de Maire du
p.1397
palais. Il est loué par la stèle de Si-nan-fou.
@
Politique extérieure. Guerres... Maîtres de la Perse, les Arabes que la
guerre civile entre Ali et Moawia avait arrêtés pour un temps, reprirent leur
avance vers le Nord-Est. Grand émoi dans tout le Touran. En 707, le célèbre
émir Kotaïba ben Moslim, général du kalife Walid, conquiert le pays de
Bokhara (4), le Kharizm (2), puis bat les Turcs Occidentaux (10). En 712, il
prend Samarkand (o). En 713, il envoie une ambassade (douze personnes,
d’après les historiens arabes) à Tch’âng-nan, probablement en vue de
détacher la Chine de son alliance avec les Touraniens. Les ambassadeurs
offrirent à l’empereur des chevaux et des bijoux. Ils refusèrent de se
prosterner devant lui, disant que, dans leur pays, on ne se prosternait que
devant l’Esprit du ciel, et non devant aucun roi de la terre. L’empereur les
dispensa de la prostration... Kotaïba poussa jusque dans le Ferghana (12) ;
jusqu’à Kachgar (k) même, disent les historiens arabes. S’il ne conquit pas la
Chine, ce fut, disent les mêmes historiens, parce que le Fagfour (Fils du Ciel)
avait très bien reçu ses ambassadeurs, et lui avait envoyé de riches présents.
S’étant révolté contre Soliman, frère et successeur du kalife Walid, Kotaïba
fut assassiné dans le Ferghana, en 715.
En 714, les Turcs avaient défait le général chinois Koūo k’ien-koan. Les
Tongouses K’í-tan avaient battu le général Sūe-neue, qui repoussa ensuite
une invasion des Tibétains.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 715, Sūe-neue fit aussi échec aux Turcs...Koūo k’ien-koan était alors
Résident pour la Chine à Koutcha (f). Son général Tchāng hiao-song lui avait
déjà soumis huit petits États récalcitrants du Tarim. Sur ces entrefaites, les
Tibétains qui avaient envahi tout le Pamir-Bolor, pénétrèrent jusque dans le
Ferghana (12), où la poussée arabe venait de s’arrêter. Le roi
p.1398
du pays
courut à Koutcha, demander secours aux Chinois. A la tête de dix mille
indigènes du Tarim, Tchāng hiao-song pénétra dans les hautes vallées de
l’Iaxartes et de l’Oxus, réduisit une centaine de petites places, et fit peur
même aux Arabes (ce sont les Chinois qui le disent). Après avoir pillé tant
qu’il put, il grava une inscription à sa louange, et rentra dans le Tarim avec sa
bande de brigands.
En 716, au nord, les Yer-Bayirkou (tribu Tölös) tuèrent, dans une
embuscade, le khan des Turcs Mei-tch’ouo (Kapagan, p. 1385), et envoyèrent
sa tête à l’empereur de Chine.
Ici finit, pratiquement parlant, en tant qu’elle concerne la Chine, l’histoire
des Turcs. Voici, à grands traits, le sommaire de la fin définitive de leur
empire, dans l’Asie centrale. Après la mort de Mei-tch’ouo (Kapagan) en 716,
le pouvoir, dans la vallée de l’I-li, passa à Sou-lou, le khan des Turgäch (W).
En 717, renforcé par les Arabes et les Tibétains, celui-ci pénétra dans le
Tarim, et assiégea Aksou (g).
La Chine perd définitivement Tokmak (S), en 719.
Sou-lou est assassiné en 738. Division des Turgäch en jaunes et noirs.
Après des luttes compliquées et obscures, les Karlouks et les Ouïgours
finissent par se partager l’Est et l’Ouest, en 743... Devenus chefs de la
confédération des Tölös, à l’Est les Ouïgours détruisent définitivement les
Turcs Septentrionaux, et restent maîtres incontestés du bassin du lac Baïkal,
capitale Kara-balgassoun sur la rive gauche de l’Orkhon (O)... A l’Ouest, dans
le bassin du lac Balkhach, les Karlouks écrasent petit à petit les Turcs
Occidentaux et les Turgäch, et occupent, vers 766, Tokmak et Talas (T), les
résidences des anciens khans turcs.
En 719, les royaumes de Bokhara, Samarkand, Koumedh, Tokharestan,
envoyèrent des ambassadeurs à l’empereur de Chine. Le roi Tí-chee du
328
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Djaghanyan, envoya avec eux un certain Ta-mou-chee, très versé dans
l’astrologie, en priant qu’on voulût bien mettre sa science à l’épreuve. Ce Tamou-chee, dont le nom se retrouve dans les inscriptions de Kara-balgassoun,
était un prêtre manichéen. La grande collection [] (vers 1013), nous a
conservé les textes relatifs à ces ambassades, inspirées, non par l’amour pur,
mais par la crainte abjecte des Arabes. Voici ces morceaux, qui ne manquent
pas d’intérêt.
p.1399
Tougschada roi de Bokhara dit :
— Votre sujet est comme l’herbe foulée par les pieds de vos
chevaux, Sage et Saint empereur, qui gouvernez l’empire de par le
Ciel ! De loin je joins les mains, je me prosterne, je bénis vos
bienfaits, et je Vous adore comme les dieux. Depuis longtemps ma
famille est en paisible possession du royaume de Bokhara. Par les
armes et autrement, nous avons loyalement servi votre empire.
Mais voici que, ravagé chaque année par les Arabes, mon pays a
perdu la paix. Je demande humblement que Vous daigniez me
secourir dans cette détresse. Je prie qu’un décret émanant de
vous, ordonne aux Tutgäch de venir à mon aide. Avec l’aide de leur
cavalerie, j’écraserai les Arabes. Je demande humblement que
Vous écoutiez ma prière. En attendant, je Vous envoie deux mulets
de Perse, un tapis de Syrie, et trente livres de parfums. Ma femme
la reine envoie deux tapis à l’impératrice. Si je Vous suis agréable,
je Vous prie de m’envoyer une selle, un harnais, des armes, et
pour ma femme, des robes et du fard.
Narayana roi de Koumedh dit :
— Mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père, mes
oncles et mes frères, depuis longtemps et jusqu’à ce jour, ont été
sincèrement dévoués à votre grand empire. Maintenant les Arabes
ravagent mes États. Le Tokharestan, Bokhara, Tachkend, le
Ferghana, se sont soumis à eux. Ils ont emporté tous mes trésors,
et toutes les richesses de mon peuple. Ils m’ont imposé des taxes
écrasantes. J’espère que la bonté impériale fera en sorte qu’ils me
remettent ces taxes. Alors moi et les miens, nous pourrons,
329
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pendant longtemps encore, garder la porte occidentale de votre
grand empire. Je prie humblement que votre gloire se reflète sur
moi. Tel est le vœu de votre sujet.
Chourek roi de Samarkand dit :
— Les membres de ma famille, depuis longtemps et, jusqu’à
maintenant, Vous ont toujours été sincèrement dévoués. Jamais ils
ne se sont révoltés. Jamais ils n’ont causé de dommages. Ils ont
toujours agi dans l’intérêt de votre grand empire. Voici maintenant
35 ans, que nous bataillons sans trêve ni repos, contre les brigands
arabes. Chaque année nous devons mettre en campagne fantassins
et cavaliers, sans avoir pu obtenir jusqu’ici, que la bonté impériale
envoyât des soldats à notre secours. Il y a de cela six ans (en 712,
lettre écrite en 718, arrivée en 719), le général en chef des Arabes,
l’émir Kotaïba, est venu ici à la tête d’une grande armée. Ses
fantassins
et
ses
cavaliers
étaient
extrêmement
nombreux.
Beaucoup de mes soldats étant morts ou blessés, je suis rentré
dans ma ville. Les Arabes ont dressé contre mes remparts trois
cents catapultes. Je demande humblement que la bonté impériale,
informée de ma situation critique, envoie des soldats chinois, qui
me tirent de mes difficultés. D’après une prédiction, ces Arabes ne
doivent être puissants que pendant cent ans juste. Or c’est en la
présente année, qu’expire le temps qui leur est accordé. Si donc
des soldats chinois viennent ici, avec eux je détruirai certainement
les Arabes. En attendant, j’offre avec respect un cheval, un
chameau, et deux mulets. Si la bonté impériale me fait la faveur de
quelque cadeau, je prie qu’il soit remis à mon envoyé. J’espère que
celui-ci ne sera pas détroussé en route.
Pour ce qui est du Tokharestan, Ti-chee roi du Djagnanyan envoya
Ta-mou-chee, homme versé dans l’astrologie, avec des lettres de
créance dans lesquelles il priait qu’on mit sa science à l’épreuve,
que l’empereur voulût bien l’interroger lui-même sur sa religion, lui
en permettre le libre exercice, lui accorder l’autorisation d’élever
un temple et de vivre des offrandes de ses coreligionnaires... Tamou-chee est peut-être un titre, pas un nom propre.
330
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
p.1400
En 722, le général Yâng seu-hu réprime une révolte dans l’Annam.
Tchāng-song bat les Tibétains.
En 726, un ambassadeur arabe nommé Soliman, arriva à la capitale.
Celui-là consentit à se prosterner, dit l’Histoire. Elle ne dit pas pourquoi il
vint.
En 727, le général Wâng kiunn-tch’ao bat les Tibétains à l’ouest du
Koukou-nor. Il paraît que cette défaite ne les affaiblit guère, car ils envahirent
les Nân-chan (v). Wâng kiunn-tch’ao fut tué. Siáo-song rembarra les
Tibétains.
En 728, Yang seu-hu envahit le pays des Lolos.
En 729, le général Lì-i prit la forteresse tibétaine Chêu-pou-tch’eng (près
Sī-ning-fou actuel, à l’est du Koukou-nor, dans la fourchette du Fleuve
Jaune), échec qui décida les Tibétains à conclure la paix en 730. Pour adoucir
leurs mœurs sauvages, l’empereur leur envoya, en 731, un nouvel exemplaire
des Odes et des Annales. Il paraît qu’ils avaient égaré celui qu’on leur avait
envoyé en 641.
En 732, Lì-i bat la horde Hī des K’í-tan.
En 733, Koūo ying-kie est défait par les K’í-tan. — En 734, Tchāng cheoukoei rebat les K’í-tan. En 736, entrée en scène du fameux Nān lou-chan, qui
faillit perdre la dynastie. Né, dans le Leâo-tong, d’un père K’í-tan et d’une
mère Turque, pris ou vendu, il devint esclave d’un officier chinois, qui
l’incorpora dans ses troupes et commença sa fortune. Devenu officier à son
tour, en 736 il se fit battre par les K’í-tan. L’empereur lui fit grâce de la vie ;
acte de clémence que l’Histoire lui reproche, car il occasionna de grands
désastres.
En 737, Ts’oēi hi-i bat les Tibétains.
En 738, la Chine reconnaît, comme roi du Yûnn-nan, le prince de race
thaïe P’i-louo-keue, qui ayant réuni les six principautés Tcháo, avait fondé
l’État qui s’appellera désormais Nân-tchao, capitale près de Tá-li-fou. Le Nântchao donnera bientôt beaucoup de fil à retordre à la Chine.
331
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 739,
p.1401
raid du général chinois Kái kia-yunn, chez les Turgäch de
l’I-li, puis dans le Ferghana (12), sans résultat durable, à l’ordinaire.
En 741, les Tibétains reprennent la forteresse de Chêu-pou-tch’eng.
En 743, les Ouïgours et les Karlouks se partagent l’Est et l’Ouest, comme
nous avons dit p. 1398. Aussitôt le khan ouïgour Hoâi-jenn entre en
campagne, anéantit les Turcs Septentrionaux, et conquiert tout leur territoire,
en 745. Il mourut cette année même, et eut pour successeur le khan Keûelei.
Encore en 745, Nān lou-chan bat la horde Hī des K’í-tan. Commençant la
série de ses supercheries, il fit savoir à l’empereur, que les anciens généraux
vainqueurs des Barbares, Lì-tsing (p. 1322) et Lì-tsi (p. 1363), lui avaient
apparu en songe, demandant qu’il voulût bien nourrir leurs mânes affamés.
L’empereur ordonna qu’on élevât des temples à ces deux braves, et qu’on
leur fit des offrandes.
En 746, Wâng tchoung-seu bat les Tibétains, sur les rives du Koukou-nor.
En 749 Keûe chou-han leur reprend la forteresse de Chêu-pou-tch’eng.
En 750, Keue-louo-fong roi du Nân-tchao (fils de P’ì-louo-keue défunt),
s’empare de la province chinoise du Yûnn-nan. En 751, il bat à plate couture
le général chinois Siēn-u tchoung-t’oung, et lui tue 60 mille hommes.
@
En cette même année 751, deux mois plus tard, à l’autre extrémité de
l’empire, dans la vallée de l’I-li, une défaite irréparable mettait fin à
l’influence et au prestige chinois dans l’Occident. Le jabgou du Tokharestan
(13), fâché contre le roitelet de Kîe-cheu, petit prince montagnard tributaire
des Tibétains, qui gênait ses communications avec le Gilghit (23), s’adressa à
l’empereur, lequel ordonna au gouverneur chinois de Koutcha de le remettre
à l’ordre. Le gouverneur chargea de la commission un certain Kāo sien-tcheu,
p.1402
officier coréen au service de la Chine. Ayant franchi, par une marche
des plus audacieuses, la passe Baroghil, Kāo sien-tcheu tomba inopinément
dans la vallée de l’Indus (23), battit et prit le roitelet de Kîe-cheu... Ensuite,
on ne sait pas pourquoi, il s’occupa des affaires de Tachkend (10). Il conclut
un traité avec le roi de ce pays, manqua ensuite à sa parole, et se saisit du
332
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
roi. Le fils de celui-ci courut demander secours aux petits royaumes Hôu
avoisinants. Il leur exposa la traîtrise et la rapacité de Kāo sien-tcheu (que
l’Histoire admet). Furieux, tous les Hôu se confédérèrent, et appelèrent à leur
aide les Arabes. L’émir Abou Mouslim, qui commandait alors dans le
Khorassan pour Aboul Abbas, n’eut garde de perdre cette occasion de
substituer la suprématie du Kalife à celle du Fils du Ciel. Il fit marcher, contre
Kāo sien-tcheu, son lieutenant Ziyad ibn Çalih. Pris entre les Arabes et les
Karlouks, Kāo sien-tcheu fut écrasé à Athlach, près de Talas (T), juillet 751.
Les
prisonniers
chinois
que
les
Arabes
ramenèrent
à
Samarkand,
introduisirent dans cette ville l’industrie du papier, qui avait été jusque-là un
monopole de la Chine. Le papier remplaça le papyrus et le parchemin, et
devint, dit l’historien arabe Talibi, un profit pour le genre humain dans tous
les pays de la terre.
La même année, Nān lou-chan se fit battre une fois de plus par les K’í-tan.
Il perdit 60 mille hommes. Durant sa retraite, il rencontra un Turc de sa
connaissance nommé Chèu seu-ming, qui deviendra plus tard son bras droit.
— Puisque te voilà, lui dit-il, pourquoi m’affligerais-je de ma
défaite ?..
Pierre d’attente, comme Sēu-ma koang aime à en poser.
En 754, le général Kì-mi chargé de réduire le royaume de Nân-tchao,
subit une déconfiture retentissante. Il disparut avec son armée, dit le Texte.
Or cette armée comptait 200 mille hommes.
Ajoutons ce qui suit, par anticipation... En 756, le kalife abbasside Abou
Djafar el Mançour, prête à l’empereur Sóu-tsoung un corps de troupes
arabes, lesquelles l’aident à reconquérir ses deux capitales... En 758, les
Persans et les Arabes établis à Canton pour le commerce, en nombre très
considérable,
mécontentés
probablement
par
quelque
mesure
fiscale,
vexatoire, se révoltent, pillent les arsenaux et magasins, incendient les
maisons, s’emparent des jonques, et se sauvent par mer. Le commerce
maritime Sino-Arabe, entre Canton et Siref, par Ceylan, était alors très actif
et très prospère.
p.1403
333
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Japon... Voyez page 1325... L’Histoire raconte que, en 670, un
ambassadeur japonais venu à la cour de Chine, y ayant acquis une certaine
connaissance du sens des caractères chinois, s’offusqua du caractère []
Nains, par lequel les Chinois désignaient les Japonais. Mon pays, dit-il,
s’appelle [] Jéu-penn, le pays où le soleil se lève. Au Sud, il est entouré par
la mer. Au Nord, il est borné par de hautes montagnes dans lesquelles
habitent les [] Hommes Poilus (les Aïnos). — En 713, mission japonaise qui
flatta extrêmement la vanité chinoise. Des Lettrés japonais vinrent à la
capitale de l’empire, pour se faire expliquer par les Lettrés chinois le vrai
sens des Livres Canoniques.
Le règne de l’empereur Huân-tsoung, des T’âng, règne qui dura 44 ans,
présente l’ensemble le plus typique des facteurs qui composent l’histoire de la
Chine,
enfantillage,
intrigues,
superstition,
révolutions.
Je
me
suis
délibérément abstenu, pour ce règne, d’introduire dans la suite des faits un
ordre autre que la succession chronologique. Le déroulement des années, fait
comme revivre la vie décousue de cet homme et de sa cour. Rien de plus
instructif.
En 714, criblage des bonzes et bonzesses. Depuis le règne de Tchoūngtsoung, les parents et alliés de la famille impériale, bâtissaient à l’envi des
pagodes, pour leurs fils et filles ; tandis que les riches, les notables, se
rasaient la tête et entraient dans les couvents, pour échapper aux charges.
Ému de ces faits, Yâo-tch’oung présenta le réquisitoire suivant :
« Fout’ou-teng n’a pas pu sauver Tcháo (p. 944), Kumara-jiva n’a
pas pu sauver Ts’înn (p. 1041), l’empereur Où des Leâng n’a pas
échappé au malheur (p. 1218) ; pourquoi alors continuer à
entretenir
ces
farceurs
de
bonzes,
qui
nuisent
au
bon
gouvernement ?..
L’empereur ordonna une enquête. Douze mille bonzes et bonzesses furent
sécularisés. Défense de bâtir de nouveaux temples, de fondre de nouvelles
statues, de recopier les livres buddhiques. Défense à toute famille honorable,
d’avoir aucun rapport avec les bonzes ou les táo-cheu... A ces faits
substantiels, Maître Hôu ajoute les notes suivantes :
Les hommes étant tous de même race, ont tous le droit d’avoir des
relations mutuelles. Seuls les criminels sont exclus du commerce
334
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
humain. Quant aux barbares, la Chine ne fraye pas avec eux, parce
qu’elle ne veut pas. L’édit qui défendit aux personnes distinguées
de frayer avec les bonzes, mit donc ceux-ci au ban de la société, et
les assimila aux criminels et aux barbares.
La même année, l’empereur ordonna de détruire la colonne, que
l’impératrice Où avait laissé élever à ses vertus (p. 1382) ; il fallut des mois,
pour en refondre le métal. Fut pareillement démoli, par ordre, le monument
que l’impératrice Wêi avait fait élever à sa propre gloire.
Phénomène bien rare, dans l’histoire de Chine, l’empereur Huân-tsoung
aimait beaucoup ses frères. Au
p.1404
commencement de son règne,
dédaignant son harem, il dormait avec eux dans un même lit, tous alignés, la
tête appuyée sur le même oreiller, et couverts de la même couverture. Dès
qu’il était délivré des affaires de l’État, il allait jouer avec eux. Dans l’intérieur
du palais, il les affranchissait de toute étiquette, et se contentait des rites
ordinaires entre frères aînés et cadets. Ils mangeaient, buvaient, vivaient en
commun. L’un d’entre eux étant tombé malade, l’empereur lui prépara luimême la décoction prescrite par le médecin. Comme il se penchait sur le
réchaud pour surveiller cette opération pharmaceutique, la longue touffe de
poils qui ornait son menton, prit feu au contact de la braise. On s’empressa
autour de lui.
— Peu importent quelques poils, dit-il ; la potion est bien faite, et
va guérir mon frère !..
Ce trait fut souvent reproduit par l’imagerie.
Pour mettre un frein au luxe qui devenait excessif, l’empereur livra au
trésor quantité de tissus et de métaux accumulés dans les magasins du
palais, et fit détruire publiquement nombre de bijoux et de colifichets
précieux. Il obligea les dames du harem à s’habiller simplement... Peu de
temps après ces démonstrations, un marchand Hôu lui ayant exposé les
profits que le gouvernement pourrait tirer du commerce maritime, par les
mers du sud, jusqu’à Ceylan et au delà, pays où l’on trouve des perles fines,
des plumes rares, des drogues merveilleuses, d’habiles médecins et de belles
femmes, l’empereur donna mission à Yâng fan-tch’enn d’étudier cette
question. Plus conséquent que son maître, celui-ci répondit :
335
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Vous venez de faire brûler vos bibelots, publiquement, pour
qu’on sût bien que vous n’en vouliez plus ; et voilà que vous allez
de nouveau faire chercher au loin et à grands frais, ce que vous
avez ainsi rejeté. Étant empereur, ne faites pas le marchand ! Pour
ce qui est des drogues exotiques, nous Chinois n’en
p.1405
connaissons pas les propriétés ; elles ne peuvent donc pas nous
servir. De même, les femmes barbares, quelque belles qu’elles
soient, ne sauraient trouver place dans le harem. Ce n’est pas que
je cherche à me défaire d’une commission périlleuse. Je suis prêt à
donner ma vie pour le bien de l’État, mais non pour les lubies d’un
Hôu, d’autant que la réussite de cette entreprise serait plutôt à
votre désavantage...
L’empereur remercia de l’avis, et s’en tint là.
A quelque temps de là, le bruit se mit à courir qu’on allait faire une razzia
de filles, pour garnir le harem. Le peuple s’émut. L’empereur l’ayant appris, fit
assembler ostensiblement, à la porte du palais, nombre de chars à bœufs
(découverts) ; puis ayant fait tirer du harem toutes les femmes hors d’usage
(sic), il les fit mettre sur les chars et reconduire dans leurs familles. Le peuple
se calma et se tut.
En 715, les sauterelles dévastèrent le Chān-tong. Le peuple (buddhiste)
n’osait pas les tuer. Il se prosternait devant les colonnes envahissantes de ces
insectes voraces, et leur faisait des offrandes en les priant de se retirer. Yâotch’oung envoya des délégués dans tous les districts de la province, avec
ordre de prendre les sauterelles et de les enfouir dans de grandes fosses...
— On n’en viendra pas à bout, dirent les sages...
— Au moins, dit Yâo-tch’oung, aurons-nous montré l’intérêt que
nous portons au peuple ; ce sera mieux que de contempler
passivement son malheur...
Alors Lôu hoai-chenn déclara que le meurtre de tant d’êtres vivants,
troublerait l’harmonie des deux principes...
— Non, dit Yâo-tch’oung, l’extermination de ces insectes ne sera
cause d’aucun malheur. Jadis le duc de Tch’òu avala une sangsue,
336
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sans en tomber malade. Soūnn chou-nao tua un serpent à deux
têtes, sans qu’il lui arrivât aucun mal. Ah ! vous trouvez plus
moral, de laisser mourir des hommes, que de tuer
p.1406
des
animaux ! Si tuer les sauterelles est un péché, que ce péché soit
sur moi Yâo-tch’oung ! Je me déclare prêt à en porter la peine !
Le duc Tchoāng de Tch’òu ayant trouvé un sangsue vivante dans des
herbes aquatiques servies sur sa table, se dit que, s’il la retirait, son cuisinier
serait sévèrement puni. Il avala donc la sangsue. En égard à sa bonne
intention, le Ciel ne permit pas qu’il lui arrivât aucun mal. — Soūnn-chou-nao
enfant, vit un serpent à deux têtes. Il le tua, l’enterra, puis se mit à
pleurer... Qu’as-tu ? lui demanda sa mère... On dit, dit l’enfant, que
quiconque a vu le serpent à deux têtes, mourra. Je l’ai tué, pour que d’autres
ne le vissent pas. Mais moi je l’ai vu. Je vais donc mourir !.. Non, dit la mère,
tu ne mourras pas ; car on dit aussi, qu’une bonne œuvre ne reste pas sans
récompense !.. Soūnn-chou-nao n’eut aucun mal, et devint grand officier.
An 716. Tchàng-sounn hinn, mari de la sœur cadette de l’impératrice,
haïssait le censeur Lì-kie. Se croyant intangible, il l’attendit dans une ruelle, le
roua de coups. Lì-kie porta plainte. L’empereur ordonna d’arrêter Tchàngsounn hinn, et le fit assommer, en pleine cour, devant tous les fonctionnaires
réunis, comme réparation de l’affront qu’il avait fait à leur corporation.
Cette année, nouvelle invasion des sauterelles, au Chān-tong. Yâotch’oung ordonna de les prendre, comme l’année précédente. Nî jao-choei
dit :
— Les sauterelles sont un fléau envoyé par le Ciel ; les hommes n’y
peuvent donc rien ; ils doivent se contenter de réformer leurs
mœurs, et de pratiquer la vertu. Au temps du khan Liôu-ts’oung
(p. 902), plus on les prenait, plus il y en avait, parce qu’on agissait
contre la volonté du Ciel...
— Non, répondit Yâo-tch’oung, ce n’est pas pour cela ; c’est parce
que Liôu-ts’oung était un mauvais prince, dont les influences
néfastes
pouvaient
triompher.
Or
maintenant
la
Chine
est
gouvernée par un prince sage, dont la vertu éteint les mauvais
influx. L’histoire atteste que jadis jamais les sauterelles n’osèrent
envahir les districts gouvernés par de bons mandarins. Il faut donc
337
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
considérer comme des officiers incapables, ceux dont les territoires
sont ravagés par ces insectes...
Aussitôt les mandarins mirent tout leur zèle à prendre les sauterelles, et, si
l’on n’évita pas tous les dégâts, du moins n’y eut-il pas famine en règle.
A la fin de cette année 716, Joéi-tsoung le père de l’empereur mourut.
En 721, l’empereur confia au bonze I-hing (son nom laïque était Tchāngsoei), la mission de réformer le calendrier officiel. I-hing était mathématicien
et géographe. Il commença par faire mesurer, dans les plaines du centre de
la Chine, une distance nord-sud donnée ; puis il fit observer, aux deux points
extrêmes de cette ligne,
p.1407
l’ombre du gnomon au solstice d’été à midi, et
la hauteur de l’étoile polaire à minuit du même jour. Ces mensurations lui
donnèrent, dit le Texte, une différence de un pied cinq pouces trois lignes
d’ombre, et de dix degrés et demi d’élévation, par 3688 lì. Sur ces données,
I-hing construisit des tables. Il envoya aussi au Tonkin, ou plutôt dans
l’Annam actuel, au sud du tropique du Cancer, dans un lieu où l’ombre du
gnomon, projetée vers le sud, fut trouvée de trois pouces trois lignes. Enfin
un vaisseau fut envoyé par lui dans les mers du Sud, pour y relever la carte
céleste.
Pour
la
première
fois,
on
eut
connaissance
des
splendides
constellations et étoiles placées plus bas que Canopus (Argo), que l’antiquité
avait ignorées. On releva la carte du ciel, jusqu’à vingt degrés environ de son
pôle austral.
En 722, innovation dans le culte des Ancêtres. L’empereur porta de sept à
neuf, le nombre des tablettes hébergées dans le temple. Théorie de Wângsou (3e siècle) basée sur ce que les Tcheōu honoraient les tablettes de leurs
Wênn-wang et Où-wang extra ordinem, réfutée par K’oùng ying-ta (7e siècle).
Abus de pouvoir, clament les Lettrés.
« Des Rites, il n’en faut, ni trop ni trop peu. Les trois grandes
dynasties anciennes (avant Confucius), ont réglé toutes choses
comme elles doivent être. Ce que les T’âng ont ajouté à leurs
statuts, doit être rejeté.
Encore en 722, première institution de l’armée régulière chinoise, cette
gloire de la nation. Jusque-là, les armées et les garnisons se composaient de
338
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
paysans arrachés de force à leurs familles, souvent au grand détriment de
celles-ci. On les licenciait, après la campagne. Tchāng-chouo conseilla à
l’empereur Huân-tsoung d’entretenir une armée permanente de 130 mille
mercenaires, qui seraient soldats durant toute leur vie. Ainsi fut fait, et les
agriculteurs
p.1408
eurent la paix.
En 723, l’empereur visita la vallée de la Fênn, jusqu’à la ville actuelle de
T’ái-yuan-fou. A cette occasion, Tchāng-chouo lui dit :
— A Fênn-yinn, sous les Hán, on sacrifiait à la Souveraine Terre (p.
452). Il y a longtemps que ce culte est oublié. Vous feriez bien de
le restaurer, pour obtenir aux agriculteurs de bonnes récoltes...
L’empereur fit ainsi.
Huân-tsoung
avait
institué
une
bibliothèque,
dont
les
savants
bibliothécaires donnaient des conférences. Tchāng-chouo la dirigeait, et le
gouvernement la défrayait... Le conseiller Lóu-kien demanda qu’on le
supprimât, comme dépense inutile... Tchāng-chouo répondit :
— Depuis l’antiquité, en temps de paix, les empereurs se sont
amusés à gaspiller l’argent, pour des palais, harems, musiques,
etc. L’empereur actuel fait des dépenses pour les rites, les lettres
et les livres. L’avantage est supérieur aux frais. Lôu-kien a
sottement parlé.
En 724. L’impératrice Wâng étant stérile, son frère Wâng-chouu consulta
le bonze Mîng-ou. Celui-ci fit un sacrifice aux deux Pôles, puis écrivit les noms
du Ciel de la Terre et de l’Empereur sur une planchette tirée d’un arbre frappé
par la foudre, et fit porter cette amulette à l’impératrice. La chose ayant été
découverte, fut traitée selon le Code, comme sortilège. Wâng-chou dut se
suicider. L’impératrice fut dégradée. Elle mourut de chagrin. Même le harem
la pleura. L’empereur se repentit de l’avoir condamnée.
En 725, l’empereur donna une fête à ses ministres et officiers, dans le
pavillon des Immortels. Durant le banquet, il dit :
— Je ne crois pas aux Immortels. Je ne crois qu’aux Sages.
Puisque vous voilà réunis ici aujourd’hui, je décide que, en votre
honneur, cet édifice s’appellera désormais le pavillon des Sages.
339
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
La même année, l’empereur dit aux ministres :
— Dans la Chronique de
p.1409
Confucius, il n’est jamais fait
mention de présages fastes. Je défends que désormais les
gouverneurs envoient à la cour des paperasses sur ce sujet...
L’Histoire insiste sur ces faits, parce que Huân-tsoung dit et fit plus tard tout
le contraire.
Encore en 725, construction d’une sphère céleste mue par une machine
hydraulique. Elle faisait une révolution par jour, reproduisant exactement le
cours des astres. Le soleil et la lune couraient sur deux cercles, dans
l’intérieur de la sphère. La terre était représentée par un coffre plat en bois,
dans lequel était enfermé tout le mécanisme. Deux automates indiquaient les
huitièmes d’heure en battant un tambour, et les heures (chinoises de deux
heures) en frappant sur une cloche.
Au onzième mois de l’an 725, l’empereur partit de Láo-yang, pour aller
faire les cérémonies fōng-chán au mont T’ái-chan. Tous les ministres et
ambassadeurs l’accompagnèrent. Le cortège impérial était long de plusieurs
centaines de lì. Arrivé en char au pied du T’ái-chan, l’empereur en fit
l’ascension à cheval, avec les seuls ministres et cérémoniaires, le reste du
cortège stationnant au bas de la montagne. Au sommet, l’empereur demanda
à Heûe tcheu-tchang :
— Pourquoi ceux de mes prédécesseurs qui ont fait cette
cérémonie, ont-ils toujours tenu secret l’écrit en or sur jade, qu’ils
ont déposé dans le socle de pierre (p. 680) ?..
— Ce doit être, dit l’officier, parce qu’ils faisaient aux Chênn-Siēn
des
demandes
personnelles,
qu’ils
ne
voulaient
pas
rendre
publiques...
— Eh bien moi, dit l’empereur, je ne leur demande que le bonheur
de mon peuple. Je tiens à ce qu’on le sache. Lisez tous le texte de
la tablette, avant qu’on l’enterre...
Quand les assistants l’eurent lue, l’empereur sacrifia en personne, sur la
cime de la montagne, au Souverain Seigneur de l’Auguste Ciel. Au même
moment, les officiers restés au bas de la montagne,
340
p.1410
y sacrifièrent aux
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cinq Tì (régions de l’espace), et à la multitude des Chênn. Le lendemain,
l’empereur
sacrifia
aux
K’î
de
l’Auguste
Terre,
à
Chée-cheou.
Le
surlendemain, cour plénière dans la tente impériale, amnistie pour tout
l’empire, et proclamation d’un diplôme impérial, qui créait le Chênn du mont
Tái-chan « Roi Céleste de Ts’î » (le Chān-tong ; cf. p. 442)... A ce narré,
Maître Hôu ajoute le commentaire suivant :
« Le bonheur se mérite par les actes. Le bonheur, pour le peuple,
c’est la longévité, la richesse, la paix dans l’abondance. Quand un
empereur est économe et bon administrateur, le peuple obtient
tous ces biens, par suite de son bon gouvernement. Ce qu’un bon
empereur demande au Ciel le matin, il l’a obtenu avant le soir. Pas
n’est besoin, par conséquent, qu’il aille à grands frais enfouir au
sommet du T’ái-chan, des prières écrites en or sur jade. Il est plus
facile que cela, de communiquer avec le Ciel. — En revenant du
T’ái-chan, Huân-tsoung honora de sa visite le tombeau de
Confucius. L’historien des T’âng a osé écrire honora. Or nous
savons de longue date (p. 686), que, dans l’opinion des Lettrés, en
faisant ces pèlerinages, ce sont les empereurs qui s’honorent...
L’empereur rentra à Láo-yang, au douzième mois de l’an 725.
En 726, le recensement officiel de l’empire donna les chiffres suivants :
Familles 7.069.565 ; Ames 41.419.712. Comparez page 1389.
En 727, à la crue d’automne, le Fleuve Jaune rompit ses digues vers le
nord, noya tout le Tái-ming-fou, le Kí-tcheou, jusque vers Heûe-kien fou.
Sans quitter son cours inférieur, alors sensiblement identique au cours
inférieur actuel, le Fleuve communiqua par une anastomose, un bras
nouveau, avec le Hōu-t’ouo heue. Le lit de cette branche de communication,
actuellement desséché, est encore très visible en maint endroit. Le Fleuve
déchargea donc
p.1411
temporairement ses eaux dans la mer par deux
bouches, sa bouche actuelle, et l’embouchure actuelle du Pèi-ho.
En 729, innovation rituelle. Jusque-là, les T’âng avaient offert le sacrifice
général triennal aux Ancêtres dans le temple, et le sacrifice particulier
quinquennal dans le logement du défunt. Le cérémoniaire Wêi-t’ao observa
que cette dernière offrande, étant trop semblable à un banquet vulgaire,
341
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
n’était pas assez digne. Depuis lors les T’âng offrirent aussi le sacrifice
quinquennal dans le temple, ce qui eut accessoirement l’avantage de
diminuer le nombre des immeubles à conserver.
La même année, édit établissant une sorte de monopole de l’État sur le
cuivre le plomb et l’étain, en vue de gêner les faux-monnayeurs. Le
gouvernement prenait les métaux à ceux qui les extrayaient, et les payait, ou
ne les payait pas, more sinico.
En 731, l’empereur ordonna d’élever dans les deux capitales et dans les
chefs-lieux de tous les districts, un temple officiel au T’ái-koung Grand-Duc,
de lui associer Tchāng-leang comme ministre, et dix généraux célèbres
comme assesseurs. Sacrifice officiel, au 2e et au 8e mois, avec les mêmes
rites que pour Confucius. Depuis lors, la Chine a eu ses temples civils et
militaires distincts. Sēu-ma koang proteste énergiquement contre cette
innovation.
« Dans nos temps d’incapacité, les officiers civils gouvernent les
peuples, les officiers militaires répriment les troubles. Les Sages de
l’antiquité avaient ces deux capacités, et remplissaient ces deux
offices à la fois. Alors pourquoi mettre le Grand-Duc sur le même
pied que Confucius, appeler l’un civil et l’autre militaire. Depuis
qu’il y a des hommes sur la terre, Confucius n’a jamais eu son
pareil ; le Grand-Duc ne saurait lui être comparé. Les Anciens
donnaient à l’éducation le pas sur la valeur. C’est depuis la
composition des traités militaires de
p.1412
Soūnn-ou (6e siècle
avant J.-C.) et Oû-k’i (4e siècle avant J.-C., p. 158), que le vulgaire
considère la valeur comme un mérite. C’est depuis lors que l’on
cherche à s’agrandir par les armes, les ruses et les stratagèmes.
Les militaires de cet acabit, peuvent-ils être comparés aux Sages ?
Vraiment, si l’âme du vieux Grand-Duc eut connaissance des
honneurs
que
l’empereur
Huân-tsouug
lui
décerna,
elle
fut
assurément bien honteuse d’être réduite à manger des offrandes,
en compagnie de Tchāng-leang et de dix généraux.
Le Grand-Duc qui fut ainsi fait dieu de la guerre par les T’âng, est le
fameux Kiāng tzeu-ya, alias Cháng seigneur de Lù ou Cháng-fou père Cháng,
342
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
le conseiller de Où-wang, fondateur des Tcheōu, dont les gestes historiques
ont été exposés page 66 seq. Il mourut après 1032 avant J.-C. La tradition
rapporte de lui, qu’il s’occupait peu des soldats, mais [a][b][c][d] surveillait
activement les officiers. Douze siècles après sa mort, sous les Hán, on se
ressouvint de ce brave homme, et il fut fait… devinez quoi ?... patron des
marinades, lesquelles jouent un si grand rôle dans la vie chinoise. Voici le jeu
de mots, qui lui valut cette vocation : [d] tsiáng général, [e] tsiáng
saumure ; [a][b][c][e] il fut chargé de surveiller activement les marinades.
On écrivit donc, depuis les Hán, sur toutes les jarres, Attention ! Le GrandDuc Kiāng est là ! Avertissement donné aux lutins malins, qui font aigrir les
marinades. On conféra aussi au Grand-Duc, le titre glorieux de Général Cent
Sauces... Il paraît que le Grand-Duc Kiāng fit bien dans sa charge, car
bientôt on lui confia en outre la garde des appartements, et l’on écrivit
l’avertissement : Attention ! Le Grand-Duc Kiāng est là ! sur les portes des
chambres (cf. p. 1357)... Enfin les Taoïstes en tirent un grand personnage.
La tradition rapporte que Cháng de Lù fit ensevelir pieusement les officiers
tués dans les batailles d’où sortit la dynastie Tcheōu. Les Taoïstes
racontèrent qu’il les avait fait officiers dans l’autre monde, firent du GrandDuc le généralissime des armées infernales, etc. C’est à ce titre, qu’il fut
nommé
dieu
de
la
guerre
par
les
T’âng.
L’empereur
Huân-tsoung
commençait à pencher vers le Taoïsme. Nous connaissons Tchāng-leang,
page 314.
En 732, grand banquet impérial. On emportait à bras au fur et à mesure,
et on reconduisait à leur domicile dans les voitures de la cour, les ministres et
officiers qui glissaient sous la table. Ce fut une très belle fête, tout à fait dans
le goût des T’âng.
La même année Siáo-song, le dévot de l’Auguste Terre, fit remarquer à
l’empereur que, depuis qu’il avait sacrifié à Fênn-yinn (p. 1410), les années
avaient été d’une fertilité extraordinaire. Il demanda qu’on instituât aussi ce
culte à la capitale de l’Ouest. L’empereur accorda sa demande.
Les Manichéens se multipliant et étant mal vus du peuple, les Buddhistes
demandèrent un acte qui distinguât leur cause de celle de ces gens-là.
L’empereur fit publier l’édit suivant :
« Les Mouo-ni (Mani, Manichéens) sont une secte perverse. C’est à
tort qu’ils veulent se faire passer pour une secte buddhique.
343
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cependant, puisque leur loi est celle des Maîtres des Hôu
d’Occident, que leurs disciples soient libres ! qu’on ne les moleste
pas !
En cette année 732, le recensement officiel de la population de l’empire,
donna les chiffres suivants : Familles 7.861.236. Ames 45.431.265. Comparez
page 1410.
En 734, apparition sur la scène de Lì linn-fou, qui devient ministre à la
place de Tchāng kiou-ling. Nous ne raconterons pas en détail les viles
intrigues de cet homme astucieux et perfide, dont le nom est en exécration
encore de nos jours. Durant près de vingt ans, il flatta tous les mauvais
penchants, et entrava tous les bons propos de son impériale dupe. Il mourut
riche et honoré. La haine viola sa sépulture, la justice flétrit sa mémoire...
L’Histoire dit qu’il gouverna l’empereur, par le moyen des eunuques et des
femmes du harem. Il possédait si bien tous les ressorts de sa poupée, tout ce
qu’il lui présentait était si parfaitement adapté à son goût, que toutes ses
propositions étaient acceptées d’emblée.
L’empereur cultivait, dans son parc, un petit champ de blé. A l’époque de
la moisson, il y conduisit le prince impérial et les grands officiers.
— Ce blé, leur dit-il, servira aux offrandes du temple des Ancêtres.
Je veux donc, comme j’ai travaillé pour le semer, travailler aussi
pour le récolter. Ce spectacle vous donnera aussi quelque idée des
travaux agricoles, et des labeurs des agriculteurs.
Un certain Tchāng-kouo se donna pour immortel. Il avait été conseiller,
disait-il, de l’empereur Yâo. Depuis lors, il avait erré dans les Hêng-chan. Le
préfet du Heûe-nân, Wêi-tsi, envoya ce farceur à la cour. L’empereur lui
donna audience dans ses appartements secrets, l’attacha temporairement à
sa cour, lui conféra le litre de Maître Pénétrant les Mystères, enfin le renvoya
comblé de présents. L’Immortel mourut peu après. Certains prétendirent qu’il
s’était dévêtu de son corps. L’empereur les crut, et devint de plus en plus
taoïste convaincu... Se dévêtir de son corps, dit le Commentaire, cela veut
dire que, avant de monter vers les Immortels, on
p.1414
quitte son corps et
change de forme. Jadis Keûe-houng (taoïste du 4e siècle après J.-C., alias
Pao-p’ou-tzeu, voyez HCO, L. 52) étant mort à l’âge de 80 ans, son corps
344
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
garda toutes les apparences d’un corps vivant, coloris, flexibilité, etc. Mais
quand on le souleva pour le mettre en bière, on constata qu’il n’avait plus de
poids. C’était une enveloppe creuse, comme un vêtement vide. Keûe-houng
s’en était dévêtu, avant de devenir Immortel. On dit aussi, se dépouiller de sa
matière... (La métamorphose des cigales, de larve terrestre en insecte aérien,
est, pour les Taoïstes, le symbole du passage de la vie mortelle à l’état
supérieur auquel ils croient.)
En 735, labour du champ impérial. L’empereur traça neuf sillons, les
ministres et les officiers achevèrent le labour. Après la cérémonie, banquet
dans le Pavillon des Phénix. Tous les mandarins, dans un rayon de 300 lì
autour de la capitale, avaient été convoqués pour la fête. Chacun avait amené
la musique de son prétoire. Ces orchestres concoururent devant l’empereur.
Cette année vit un cas assez embarrassant pour les légistes de l’empire.
Le juge Yâng-tchou ayant fait mettre à mort (injustement, l’Histoire l’admet)
un certain Tchāng chenn-sou, les deux jeunes fils de ce dernier, Hoâng et
Sióu, furent exilés dans les provinces du sud. Étant arrivés à s’évader, ils
revinrent à la capitale, tuèrent Yâng-tchou, et déposèrent à côté de son
cadavre la hache qui leur avait servi à l’exécuter, avec ce billet : Maintenant
nous allons frapper ses complices... La police se saisit d’eux. Les conseillers
furent très embarrassés. Car Confucius a déclaré formellement, qu’un fils bien
né ne doit pas laisser vivre le meurtrier de son père (Rites I, p. 56). Plusieurs
opinèrent donc, qu’il fallait gracier ces enfants, sous prétexte de jeunesse et
de douleur excessives. Tchāng kiou-ling était
p.1415
de cet avis. Ce fut une
raison péremptoire, pour son antagoniste Lì linn-fou, d’être d’un avis
contraire.
— La condamnation de Tchāng chenn-sou a été juridique, dit-il.
Laisser cette vengeance impunie, c’est ôter désormais toute force
aux arrêts judiciaires. Tous les fils de condamnés à mort, se
croiront obligés par la piété filiale, à assassiner les juges de leurs
pères...
L’empereur adopta, de more, la manière de voir de Lì linn-fou. Les deux
enfants périrent sous les coups. Le peuple les plaignit, les chanta dans des
élégies, les ensevelit et leur fit des offrandes.
345
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cette année fut introduite dans le harem du roitelet de Cheóu, dixhuitième fils de l’empereur, une femme qui deviendra célèbre, la dame Yâng.
Elle était fille d’un fonctionnaire du Séu-tch’oan actuel. Le commentaire
ajoute l’observation suivante : L’Histoire ne parle pas, d’ordinaire, des entrées
de filles dans les harems des princes. Si elle relève l’entrée de la dame Yâng,
c’est pour faire comprendre qu’il ne convenait pas que cette fille devint
l’épouse du père, après avoir été celle du fils (nous avons vu l’inverse, dans le
cas de l’impératrice Où).
En 736, des spectres troublant le palais de Láo-yang, l’empereur ordonna
aux ministres de délibérer sur le retour de la cour à Tch’âng-nan. Tchāng
kiou-ling fut d’avis que, les travaux des champs pressant alors, il fallait
remettre ce voyage à l’hiver. Uniquement préoccupé de complaire au maître,
Lì linn-fou fut d’avis qu’il fallait partir immédiatement. C’est ce que l’empereur
désirait. Il partit le jour même.
En 737, introduction d’un programme plus rationnel, pour les examens
publics. Cette question est éternelle, en Chine comme ailleurs. On se douta
que les tons et les rimes n’étaient peut-être pas ce qu’il y avait de mieux pour
discerner les hommes aptes au gouvernement, et que la connaissance
pratique
p.1416
des choses anciennes et modernes serait préférable. On
institua donc des compositions sur des passages tirés des Canoniques.
Explication du sens de dix textes anciens faciles, et dissertation sur trois
sujets pratiques modernes. Criblage des admissibles, au moyen de dix autres
textes anciens difficiles.
Dans le courant de la même année, Lì linn-fou fit mettre à mort le censeur
Tcheōu tzeu-leang, pour le punir de ses critiques intrépides... Ici Maître Fán
fait les remarques suivantes, sur l’évolution de l’empereur Huân-tsoung,
après que Lì linn-fou fut devenu son ministre.
« Au
commencement
du
règne,
dit-il,
les
censeurs
étaient
récompensés ; plus tard on les mit à mort. Au commencement
l’empereur tint à distance les parents de ses femmes, brûla les
colifichets inutiles, se moqua des Immortels, défendit de lui parler
des présages fastes, etc ; plus tard il se plongea dans la luxure, le
favoritisme, le gaspillage ; il fit chercher l’élixir de longue vie, et
346
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
prit goût aux oracles. Comment le même homme peut-il avoir
changé ainsi ? En se livrant aux passions de son cœur. Quelle
leçon !
La même année, sur les délations calomnieuses de Lì linn-fou, l’empereur
dégrada et fit mourir trois de ses fils, dont le prince impérial Yīng. Comme ils
moururent innocents, le peuple les pleura.
Encore en 737, le Grand-Juge Sû-kiao annonça à l’empereur que, durant
toute l’année, il n’avait été prononcé, dans l’empire, que 85 condamnations
capitales. Que jusque-là, les émanations de mort qui s’exhalaient des prisons,
avaient écarté les pies des arbres de tous ces établissements. Que cette
année, pour la première fois, ces oiseaux fastes avaient niché dans les cours
des prisons... Les ministres félicitèrent l’empereur de ce signe de bon augure.
En 738. L’empereur devenant de plus en plus superstitieux et crédule,
chargea le cérémoniaire Wâng-u du soin
p.1417
de prier, brûler du papier-
monnaie, et faire diverses autres pratiques en son nom. Tant et si bien, que
les préposés aux rites eurent honte de la piété de l’empereur...
« Les Anciens, dit Maître Hôu, offraient aux Chênn des pièces de
soie. L’idée n’était pas de les enrichir. On ne voulait seulement pas
se
présenter
devant
eux
les
mains
vides.
On
agissait
conformément au rituel des visites qu’on se fait entre hommes.
Plus tard, quand les cultes superstitieux eurent envahi l’empire, les
étoffes
furent
remplacées
par
du
papier-monnaie,
ce
qui
manifestait évidemment l’intention d’acheter les bonnes grâces des
Chênn. Or si les Chênn sont vraiment Chênn, ils ne peuvent pas se
laisser acheter. S’ils ne sont pas Chênn, à quoi bon vouloir les
acheter ? Quoi qu’il en soit, Wâng-u vulgarisa la pratique de brûler
du papier-monnaie aux Chênn et aux Koèi. Les contemporains en
eurent honte, et beaucoup s’en abstinrent. Maintenant personne
n’en a plus honte, et personne ne s’en abstient plus. Hélas !
Certaines traditions rapportent que, vers la fin de la période des Trois
Royaumes (3e siècle), les pauvres découpaient dans du papier épais des
sapèques qu’ils offraient aux Koèi et aux Chênn ; mais que cette pratique
était particulière, et ne se généralisa pas. Elle fut convertie en un usage
347
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
officiel, qui devint peu à peu général, par Wâng-u, en 738. A cette époque,
on faisait encore des sapèques en papier. Plus tard on inventa, procédé plus
expéditif, les lingots en papier enduit d’un peu de limaille de métal. De fil en
aiguille, les maisons, chevaux, chars, serviteurs, habits en papier, suivirent.
Encore en 738, l’empereur ordonna la création d’écoles, par tout l’empire,
jusque dans les hameaux. Il n’y eut aucun hameau sans école, dit l’Histoire.
Elle n’ajoute pas combien de temps la chose dura.
La même année, Hêng fut nommé prince impérial.
En 739, par décret impérial, Confucius fut promu au rang posthume de
Roi de la Diffusion des Lettres. Jadis le Duc de Tcheōu trônait à la place
d’honneur dans les temples officiels de l’empire. Il fut dépossédé par Fâng
huan-ling, en 637, comme
p.1418
nous avons dit page 1319 ; mais cet acte
ministériel n’avait pas reçu de sanction impériale officielle. Le décret de 739
donna cette sanction. Depuis lors, Confucius trône face au sud, en costume
royal, flanqué par ses disciples, qui furent faits ducs, marquis, barons.., Voilà
qui est bien ! clament les Commentateurs. Cela devait être ! Le faire roi, ce
n’est pas de trop. Le Ciel a fait naître Confucius, pour être le Maître de
morale, principes et pratique, de tous les âges ; l’appeler Céleste, ou Ciel, ne
serait donc pas exagéré !
En 740, le recensement officiel donna les chiffres suivants : Familles
8.412.800 ; Ames 48.143.600. Comparez page 1413... L’abondance fut
extraordinaire. Dans les deux capitales, le prix du grain n’atteignit pas 80
pièces de monnaie le boisseau. Les autres denrées furent aussi d’un bon
marché exceptionnel. L’empire était si riche et si paisible, qu’on pouvait
entreprendre un voyage de dix mille lì, sans emporter aucune arme pour sa
défense.
La chronique de la ville de Tch’âng-nan (Sī-nan-fou) nous apprend que, à
cette époque, cette capitale contenait 64 pagodes et couvents de Bonzes,
plus
27
couvents
de
Bonzesses
buddhistes...40
temples
et
couvents
d’hommes, plus 6 couvents de femmes Taoïstes... 2 temples persans, c’est-àdire Nestoriens... 4 temples Zoroastriens ou Manichéens.
Devenu absolument taoïste, en 741 l’empereur eut en songe une
apparition de Lào-tzeu, qui lui dit :
348
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Mon image se trouve à cent lì au sud-ouest de Tch’âng-nan...
L’empereur la fit chercher. On la trouva à Tcheōu-tcheu (petite ville dotée
d’un temple nestorien, où fut déterrée depuis la stèle dite de Sī-nan-fou).
L’image fut transportée au palais Hīng-k’ing (le palais préféré de l’empereur,
où il fit célébrer un service, en 744, par les Nestoriens)... Maître Fán ajoute :
« Les rêves sont les mouvements du cœur. Jadis l’empereur
p.1419
Kāo-tsoung (des Yīnn, 1274 avant J.-C., page 62) ayant médité
longtemps en silence, demandant au Ciel du fond du cœur un sage
ministre, il rêva enfin que le Ciel le lui accordait. L’empereur Huântsoung, peu appliqué au gouvernement, très adonné aux pratiques
superstitieuses, dupe des magiciens, persuadé qu’il descendait de
Lào-tzeu, finit par voir en songe ce cher Ancêtre, son idée fixe
ayant pris corps. A dater de ce jour, c’en fut fait des saines
doctrines. Combien les princes devraient veiller aux mouvements
de leur cœur !
Cette
même
année,
l’empereur
nomma
Nān
lou-chan
(p.
1400)
gouverneur du Leâo-tong ; commencement de son châtiment.
En 742, l’empire comptait 331 préfectures parfaitement organisées, et
800 préfectures coloniales. L’armée régulière comptait 490 mille hommes, et
80 mille chevaux.
Un certain T’iên t’oung-siou annonça à l’empereur, que Lào-tzeu lui étant
apparu, lui avait annoncé que des écrits mystérieux étaient cachés dans le
mur de l’antique maison de Yìnn-hi (à l’instar des livres découverts au 2e
siècle avant J.-C. dans les murs de l’antique maison de Confucius).
L’empereur envoya un député, qui les lui rapporta. Les ministres déclarèrent
qu’il fallait perpétuer le souvenir de cette faveur transcendante, par un
changement d’ère. L’ère du Joyau Céleste commença donc en cette année
742... D’après la tradition, Yìnn-hi était garde de la passe près des sources de
la Wéi, sous les Tcheōu. Il était grand astrologue, très vertueux, et méconnu
de ses contemporains. Lorsque Lào-tzeu, quittant la Chine, s’achemina vers
l’Occident en remontant la vallée de la Wéi, Yìnn-hi perçut de loin les
émanations d’un Sage. Quand Lào-tzeu fut arrivé à la passe, Yìnn-hi le
reconnut et le pria de l’instruire. Frappé de sa capacité, Lào-tzeu rédigea pour
349
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
lui le Tào-tei-king. Ensuite Yìnn-hi produisit de son cru l’opuscule
p.1420
Koan-
yinn-tzeu (Voyez HCO, L. 66). Lào-tzeu ayant franchi la passe, alla à l’Ouest
du désert, et l’on n’apprit jamais ce qu’il était devenu.
Qu’en est-il de l’exode, et de la disparition de Lào-tzeu, dans les régions
de l’Ouest ?.. Tchoāng-tzeu raconte bonnement que Lào-tzeu mourut, qu’on
l’ensevelit, qu’on le pleura, etc. C’est que le Taoïsme n’était alors qu’une
secte philosophique. Quand il fut devenu une secte religieuse, il fallut quelque
chose de mieux, Lào-tzeu partit vers l’Occident, et on n’entendit plus parler
de lui. C’est la version du Chèu-ki de Sēu-ma tsien, dès la fin du second siècle
avant J.-C, deux cents ans après Tchoāng-tzeu. On supposa qu’il était allé
chez les Hôu du Tarim... Entre temps le Buddhisme s’était introduit et
répandu en Chine. Au second siècle de l’ère chrétienne, les Turbans Jaunes,
fervents Taoïstes, reconnurent leur cher Lào-tzeu dans l’image buddhique de
Sariputra, le patron du Buddha, vieillard aux longs cheveux blancs. Plus de
doute, Lào-tzeu était allé dans le Tarim, et de là dans l’Inde. Il était mieux
que le père ; il était le grand-père du Buddhisme. Prêchée par les Turbans
Jaunes à main armée, la légende se répandit et s’accrédita. Au quatrième
siècle, le fameux Livre de la Conversion des Hôu, expliqua comment les
choses s’étaient passées. Cette œuvre de Wâng-fou, qui commença par
n’avoir qu’un seul chapitre, finit, le succès aidant, par en avoir onze. Les
conversions de rois et de princes, jusque dans le pays de Kaboul, s’ajoutèrent
les unes aux autres. Furieux de voir leur Buddha dégradé au rang de disciple
de Lào-tzeu, des bonzes s’insurgèrent. Pâi fa-tsou argumenta contre Wângfou. Ils moururent tous deux, en leur temps. En 340, Lì-t’oung les vit en
songe, dans les enfers, Pâi fa-tsou dans les délices, Wâng-fou dans les
supplices.
C’était
péremptoire.
Néanmoins
le
succès
du Hoá-hou-king
continuait. Les bonzes en appelèrent au bras séculier, contre ceux qui leur
volaient leur Saint, vers 520, sous l’empereur Où des Leâng, qui leur donna
gain de cause. Reprise des hostilités en 668, sous l’empereur Kāo-tsoung des
T’âng. Cent bonzes et táo-cheu discutèrent devant l’empereur, sur le Hoáhou-king. Les Buddhistes obtinrent encore gain de cause, et le livre fut
condamné au feu... Nouvelle reprise du litige, en 696, sous l’impératrice Où.
Cette fois le Hoá-hou-king obtint une demi-reconnaissance officielle... Les
bonzes s’enflammèrent de plus belle. En 705, nouvel appel à l’empereur
350
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tchoūng-tsoung, qui se prononça en leur faveur, condamna au feu le Hoáhou-king et tous les livres qui le citaient, ordonna d’effacer toutes les
peintures représentant les prétendues conversions faites par Lào-tzeu dans
l’Ouest, etc... Entretenue par la rivalité des deux sectes, cette querelle dura
plus de mille ans. Les bonzes finirent par concéder que Lào-tzeu pouvait être
allé dans le Tarim, peut-être même jusqu’à Kotan, soit ; mais dans l’Inde,
jamais ! Retournant le truc des Taoïstes, ils reconnurent Lào-tzeu dans
Kasyapa, disciple du Buddha. Cette fois, ce furent les Taoïstes qui se
fâchèrent. Nouvel appel au bras séculier, sous la dynastie mongole Yuân. En
1258, Mangou ordonne aux deux sectes de discuter. Le fameux lama tibétain
Phag’s-pa l’emporte. Mangou condamne au feu le Hoá-hou-king, et rase bon
nombre de táo-cheu... Nouvelles luttes sous Koubilaï. Celui-ci condamne au
feu tous les livres taoïstes, excepté le seul Tâo-tei-king, et fait graver une
stèle commémorant cette condamnation. Il est à croire que ce furent les
bonzes qui la payèrent... Le Taoïsme ne mourut pas de ce coup. Il eut son
administration officielle jusqu’en 1311,
p.1421
ne la perdit que par une mesure
générale qui atteignit également le Buddhisme, et vit encore de nos jours. Les
dernières éditions du Hoá-hou-king, augmentées et illustrées, continrent
jusqu’à 81 histoires de conversions célèbres, et tout l’itinéraire de Lào-tzeu
jusqu’en Chaldée. Fama crescit eundo.
Au deuxième mois de l’an 742, sacrifice à Lào-tzeu dans son nouveau
temple à la capitale. Trois jours plus tard, sacrifice aux Ancêtres. Deux jours
plus tard, sacrifice au tertre du sud, au Ciel et à la Terre. Cette fusion des
deux sacrifices en un seul, est une infraction à l’usage ancien (deux tertres et
deux sacrifices), dit le Commentaire, sèchement.
Cependant
le
peuple,
moins
sot
que
son
souverain,
doutait
de
l’authenticité des écrits découverts dans la maison de Yìnn-hi. On accusait
T’iên t’oung-siou de les avoir fabriqués de toutes pièces. Mais voilà qu’un
certain Ts’oēi i-ts’ing eut une nouvelle apparition de Lào-tzeu, qui lui apprit
l’existence d’un autre grimoire, dans une caverne du mont Tzèu-wei-chan.
L’empereur le fit quérir. On le trouva. Le préfet Wâng-tch’oei accusa Ts’oēi its’ing de l’y avoir mis. L’empereur défendit de le poursuivre.
351
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En cette même année 742, offrandes impériales au temple nestorien de
Sī-nan-fou (p. 1353).
En 743, Nān lou-chan gouverneur du Leâo-tong, qui observait en silence,
vint à la cour, et parvint à augmenter encore la faveur extraordinaire dont il
jouissait. Il raconta à l’empereur le fait suivant :
— L’an dernier, dans mon gouvernement, les insectes dévoraient
les moissons. Moi, après avoir brûlé des parfums, j’adjurai le Ciel
en ces termes : Si mon cœur n’est pas droit, si je sers mal mon
souverain, que ces insectes rongent mon cœur ! Mais si je vous
suis agréable, o Esprits du ciel et de la terre, exterminez ces
insectes ! Dès que j’eus fait cette prière, des nuées d’oiseaux
venus du nord, dévorèrent tous les insectes. Je demande que les
Annalistes couchent ce fait dans les Annales !..
L’empereur en
p.1422
donna l’ordre, les Annalistes s’exécutèrent, et les
Historiens se gaussent.
La même année, Lào-tzeu étant devenu très illustre, l’empereur anoblit
son père... le père qu’on suppose qu’il eut, car ce personnage est absolument
inconnu... Maître Fán gémit, et trouve la chose ridicule.
En 744, l’empereur fit célébrer un service dans son palais, par sept
prêtres et acolytes nestoriens (p. 1353)
La même année, invention du culte des Précieux Chênn des neuf Régions
de l’espace (huit régions, correspondant aux huit diagrammes, plus le
centre). C’est un magicien nommé Sōu kia-k’ing, qui raconta le premier qu’il y
a Neuf Précieux Chênn des Neuf Palais préposés à la pluie et à la sécheresse,
et demanda qu’on leur élevât un autel dans le faubourg de l’Est, pour leur
sacrifier
au
premier
mois
de
chaque
trimestre.
L’empereur
autorisa
l’introduction de ce culte. Le rituel fut presque identique, à celui des sacrifices
au Ciel et à la Terre... L’Histoire ajoute : Ce fut là une innovation.
Antérieurement ce culte n’existait pas. Affolé par les magiciens, Huân-tsoung
l’autorisa.
352
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Les Annalistes ont enregistré le fait, pour faire rire de lui. Où-ti des Han
inventa le culte du fourneau (page 444), en 133 avant J.-C. Huân-tsoung des
T’âng inventa celui des neuf Chênn, en cette année 744. Son
p.1423
fils Sóu-
tsoung leur sacrifia en 760. A partir de 744, ce culte fut pratique existante et
reconnue... Il remplaça le culte identique des Cinq Tí. Les Chinois divisent
l’espace, soit en 4 + 1 selon les points cardinaux, soit en 8 + 1 selon les
diagrammes.
De plus en plus suggestionné (on disait fou jadis), en 745 l’empereur
entendit parler les Chênn. Voici en quels termes il rendit compte du
phénomène, au conseil de ses ministres :
— Comme je priais devant un autel, dans l’intérieur du palais, pour
le bien de mon peuple, quand j’eus déposé la formule de ma prière
sur l’autel elle s’envola au ciel, et j’entendis dans l’espace ces
paroles : Que la vie du Sage soit prolongée !.. Je crus que cet effet
serait produit par la drogue, qui venait d’être confectionnée dans le
laboratoire de mes alchimistes, et je la déposai sur l’autel, me
disposant à l’absorber. Alors j’entendis de nouveau une voix qui
disait : Ne prends pas cette drogue ! La prolongation de ta vie est
accordée à tes vertus !..
Les courtisans se mirent à plat ventre pour féliciter...
— On n’est pas plus bête, dit Maître Fán, le malappris. Cet homme
ne pouvait pas bien finir. L’Histoire raconte ces choses, pour qu’on
rougisse de lui.
353
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
La même année, éprouvant eux aussi le besoin de se différencier des
Zoroastriens et des Manichéens (p. 1412) les Nestoriens demandèrent et
obtinrent le décret suivant :
« La doctrine persane est venue originairement de la Chaldée, et
s’est répandue jusqu’ici. Voilà longtemps qu’elle a cours en Chine.
Ses premiers temples ont tous été appelés temples persans. Pour
montrer le souci qu’on doit avoir des origines, nous ordonnons que
les temples persans (nestoriens) des deux capitales, soient appelés
désormais temples chaldéens. Que l’on appelle de même, les
temples existants dans les préfectures et moindres villes (p. 1352).
p.1424
Omnivore en fait de religiosité, Huân-tsoung l’était pareillement en
matière de luxure. En cette année 745, il prit pour lui la femme de son fils (p.
1415), voici dans quelles circonstances. Sa favorite étant morte, on ne trouva
pas, dans le harem, ce qu’il fallait pour la remplacer. Quelqu’un dit que la
dame Yâng, femme du roitelet de Cheóu, était très belle. L’empereur se la fit
exhiber, la trouva à sa convenance, la fit entrer dans son harem comme
gouvernante, donna à son fils une autre femme, puis, quand il jugea que le
passé était un peu oublié, il épousa la dame, qui devint la célèbre Yâng koeifei. Elle eut toute la faveur de l’empereur. Quand elle allait en voiture,
l’eunuque Kāo li-cheu (p. 1354) tenait les rênes et le fouet. Comme elle
aimait les li-tcheu (espèce de nèfles), l’empereur fit établir, de Tch’âng-nan à
Canton, un service de courriers, pour les lui apporter frais. Elle avait un
mauvais caractère, et était très jalouse. Un jour l’impératrice douairière
parvint à la faire renvoyer chez elle. Aussitôt l’empereur cessa de manger. A
la nuit, l’eunuque Kāo li-cheu dut aller la quérir, et on ouvrit toutes grandes
les portes du palais, pour sa rentrée. Renvoyée une seconde fois pour avoir
fait une scène, l’empereur lui envoya des mets de sa table.
— Que lui rendrai-je ? dit la sirène en pleurnichant. Je n’ai que ceci
qui soit de moi !..
et elle coupa une mèche de ses cheveux, qu’elle remit à l’envoyé. Dès qu’il
eut vu cet objet, le Fils du Ciel n’y tint plus, et la fit rappeler. De renvoi en
renvoi, elle finit par devenir favorite sans rivale.
354
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 747, pour se faire un renom de philanthropie, l’empereur abolit la
peine de mort. Les grands criminels devaient, après bastonnade préalable,
être exilés par delà le Tonkin. Système dispendieux. Les bourreaux
simplifièrent les choses, dit l’historien en ricanant. Ils assommèrent tous les
patients, durant la
p.1425
bastonnade préalable. — Nān lou-chan que nous
connaissons, était très gras, et tellement obèse, que son ventre lui pendait
jusqu’aux genoux. Il cachait une malice noire, sous un air simplet. Par un
agent qu’il entretenait à la capitale, il se tenait au courant de toutes les
intrigues de la cour. Il envoyait fréquemment à l’empereur, des prisonniers,
des bêtes rares, des objets précieux. Dans ses conversations, il mélangeait
adroitement le badinage et le sérieux. L’empereur s’éprit de ce gros garçon. Il
dit un jour, en montrant du doigt sa panse :
— Que de choses dans le ventre de ce Hôu ! pas étonnant qu’il soit
si obèse !..
— Il n’y a, dans mon ventre, dit Nān lou-chan l’ingénu, qu’un cœur
tout dévoué à votre majesté !..
L’empereur fut très content de cette repartie. Il présenta son Turc au prince
impérial. Nān lou-chan ne salua pas le prince.
— Saluez ! lui soufflèrent les assistants...
— Qui est-ce ? demanda Nān lou-chan...
— C’est celui qui me succédera, dit l’empereur...
— Excusez-moi, dit le Turc, je ne puis me figurer que Vous sur le
trône !...
L’empereur fut ravi de cet attachement à sa personne, et s’amouracha de Nān
lou-chan, au point de lui donner, chose inouïe, libre accès dans son harem. Le
Turc assistait aux repas privés de l’empereur et de la dame Yâng. Il fut
adopté par celle-ci, comme fils sec, à la mode chinoise. Depuis lors, il salua
d’abord la dame, puis l’empereur ; car, disait-il, c’est la coutume des Hôu, de
saluer d’abord leur mère, puis leur père. L’empereur riait beaucoup de ces
choses, lesquelles, au point de vue des rites chinois, sont des horreurs. Il alla
plus loin, comme nous verrons tout à l’heure.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 748, l’eunuque Kāo li-cheu, qui tenait si bien les rênes et le fouet à la
favorite, fut nommé, pour ce fait, général de cavalerie. Le frère aîné, et les
trois sœurs de la dame, reçurent aussi des titres et émoluments substantiels.
En 749, Lì-hounn et autres habitants des monts T’ái-pai-chan, firent
savoir qu’un Immortel leur avait révélé l’existence, dans la grotte Kīnn-singtong, d’un jade gravé, indiquant les faveurs et les années accordées au Sage
Seigneur, l’empereur actuellement régnant. Huân-tsoung chargea Wângkoung de chercher ce jade. On le trouva, puisqu’on l’y avait mis. Charmé de
ce que son ancêtre Lào-tzeu le gratifiait coup sur coup de tant de grimoires,
l’empereur le gratifia à son tour d’un beau titre. Lào-tzeu fut nommé
Empereur Originel Mystérieux de la Grande Voie.
En 750, les ministres prièrent l’empereur de vouloir bien diplômer le Mont
sacré occidental (Hoâ-chan, non loin de Sī-nan-fou). L’empereur promit de le
faire. Mais, la sécheresse ayant ensuite désolé la vallée de la Wéi, l’empereur
retira sa promesse, pour punir la montagne. Les historiens rient. Diplômer le
T’ái-chan, disent-ils, c’est une faute. Diplômer le Hoâ-chan, c’est pis encore.
Mais refuser de le diplômer, pour le punir, c’est ridicule tout bonnement.
Plus heureux que le Hoâ-chan, Nān lou-chan reçut un diplôme de roitelet.
Le montagnard Wâng huan-i fit savoir que Lào-tzeu lui était apparu, et lui
avait révélé l’existence d’écrits mystérieux dans la caverne Pào-sien-tong.
Tchāng-kiunn y fut et les découvrit. L’empereur croyait toutes les fables
taoïstes, cherchait la drogue d’immortalité, etc. Pour s’avancer, les courtisans
faisaient semblant de penser comme lui. Lì linn-fou et d’autres demandèrent
la permission de convertir leurs propriétés en couvents taoïstes, dans lesquels
on prierait pour obtenir longue vie à l’empereur. Celui-ci fut très content…
Maître Fán dit :
— Quand le Premier Empereur des Ts’înn, et l’empereur Où des
Hán, hommes braves et sages, furent tombés aux mains des
magiciens, ils devinrent plus stupides que de petits
p.1427
enfants.
Les princes morigénés sobres et sages, ne se laissent pas tromper
par des adulations superstitieuses. Mais les magiciens réussissent
auprès de ceux dont le cœur est porté au vice. Huân-tsoung fut un
prince de cette dernière espèce, aussi les charlatans et les
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
magiciens rivalisèrent-ils pour le duper. Ils arrivèrent à en faire un
être privé de raison. De là la catastrophe qui termina son règne.
L’empereur change le nom de Yâng-tchao, le frère de la favorite, en celui
de Yâng kouo-tchoung, le Premier des Fidèles.
En 751, au jour anniversaire de la naissance de Nān lou-chan, l’empereur
et la favorite le comblèrent de faveurs. Trois jours plus tard, on le fêta dans le
harem, en cette manière : La favorite, sa mère adoptive, l’emmaillota, puis le
fit promener par ses suivantes, dans une voiturette enrubannée. L’empereur
ayant entendu le bruit qui se faisait dans le harem, demanda ce qu’il y avait.
On lui dit que la favorite lavait son poupon (troisième jour après la
naissance). L’empereur rit aux larmes, et lui envoya le cadeau qu’on fait aux
accouchées à cette occasion. A dater de ce jour, les allées et venues de Nān
lou-chan dans le harem, ne furent plus surveillées. Il se répandit sur son
compte des bruits extrêmement indécents. L’empereur ne s’en émut pas.
Au 8e mois, incendie de l’arsenal impérial. Le feu détruisit l’équipement
complet de 370 mille soldats.
An 752. Dans les pays méridionaux, on faisait beaucoup de mauvaises
sapèques. Les parents de la famille impériale, les banquiers et gros
marchands les achetaient, donnant une bonne sapèque pour cinq mauvaises,
puis voituraient ce billon défectueux à la capitale, où il avait cours forcé. Lì
linn-fou ordonna de le rafler pour le refondre. Gagné par les intéressés, Yâng
kouo-tchoung, le frère de la favorite, parla à l’empereur, et obtint que l’arrêté
fût retiré.
Ce fut
p.1428
le premier et dernier échec de Lì linn-fou. Il mourut de dépit,
et Yâng kouo-tchoung devint ministre à sa place. Le lion étant défunt, on eut
le courage de lui faire son procès. La mémoire de Lì linn-fou fut flétrie, son
cercueil exhumé fut mis en pièces, son cadavre fut jeté à la voirie.
An 753. Ici la roue de la fortune tourne. Délivré de Lì linn-fou, Yâng kouotchoung trouva que Nān lou-chan le gênait, et chercha à s’en débarrasser. Il
l’accusa, auprès de l’empereur, de tramer une révolte. L’empereur n’en voulut
rien croire.
357
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 754, nouvelles délations de Yâng kouo-tchoung, plus instantes que les
premières.
— Mettez-le à l’épreuve, dit-il à l’empereur ; citez-le ex abrupto ;
vous verrez qu’il s’excusera de venir...
L’empereur cite Nān lou-chan. Celui-ci accourut en toute hâte, se jeta aux
pieds de l’empereur, et dit en pleurnichant :
— A la vérité, je ne suis qu’un Barbare ! Vos faveurs m’ont fait des
envieux ! Ils me tueront !..
L’empereur le consola, et le renvoya chargé de présents. Depuis lors il ne crut
plus les rapports de Yâng kouo-tchoung. Le frère ne put plus rien, contre le
favori de sa sœur... Le prince impérial crut aussi devoir avertir l’empereur,
que Nān lou-chan lui paraissait suspect. Il le fit sans succès... Mieux en cour
que jamais, Nān lou-chan retourna dans son gouvernement du Nord-Est. Il
résidait à Fán-yang (Pékin actuel).
Depuis plusieurs années des inondations et sécheresses alternatives,
désolaient la vallée de la Wéi. Cette année fut pareillement très mauvaise.
Yâng kouo-tchoung affirma à l’empereur qu’elle était très bonne, et lui
apporta, en preuve, quelques épis choisis exprès. Il intercepta tous les
rapports des gouverneurs sur la misère du peuple... L’eunuque Kāo li-cheu
n’aimait pas le ministre. Un jour qu’il était seul avec l’empereur, celui-ci lui
demanda :
p.1429
— Est-il bien vrai que les pluies excessives de cette année, n’ont
pas fait de dégâts ?..
— Yâng kouo-tchoung ayant votre confiance, je me garderai bien
de parler, dit l’eunuque. D’ailleurs, vu la manière dont il exerce le
pouvoir, pas étonnant que tout aille mal !..
L’empereur réfléchit en silence.
Le recensement de cette année 754, donna les chiffres suivants :
Préfectures 221 ; Districts 1538 ; Familles 9.619.254 ; Ames 52.880.488.
Comparez page 1418.
358
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 755, le pétard éclate ; Nān lou-chan se révolte contre l’empire. Pris au
dépourvu, l’empereur confie à Fōng tch’’ang-ts’ing la mission de défendre
Láo-yang, avec une armée improvisée de 60 mille hommes.
Nān lou-chan passe le Fleuve Jaune, à la hauteur de K’āi-fong-fou actuel.
La ville de Tch’ênn-liou lui ouvre ses portes. Il massacre les dix mille soldats
qu’elle contenait, puis enlève Joûng-yang, et marche sur Láo-yang. Fōng
tch’’ang-ts’ing livre bataille à Hòu-lao, est vaincu, et fuit vers l’Ouest. Nān
lou-chan prend Láo-yang. Prévoyant qu’il ne pourrait pas tenir la ville, le
préfet Lôu-i avait envoyé sa femme porter son sceau à l’empereur. Quand la
ville fut prise, il s’assit sur son siège, en grand costume, et prononça contre
Nān lou-chan un réquisitoire entremêlé de malédictions. Puis, quand son
prétoire fut envahi :
— Je meurs fidèle à mon souverain, cria-t-il aux rebelles ; je meurs
donc volontiers !..
Nān lou-chan le fit décapiter.
La vallée de la Láo étant perdue, Fōng tch’’ang-ts’ing et son lieutenant Kāo
sien-tcheu (p. 1402) essayèrent de garder les passes, qui conduisent dans la
vallée de la Wéi.
Furieux de la prise de Láo-yang, l’empereur envoya à la passe le général
Pién Ling-tch’eng. Celui-ci fit décapiter Fōng tch’’ang-ts’ing et Kāo sien-tcheu
devant le front des troupes. Puis l’empereur nomma généraux en
p.1430
chef
Koūo tzeu-i (p. 1354) et Keûe chou-chan.
En 756, Nān lou-chan se proclame Empereur de la grande dynastie Yén.
Son ami l’aventurier turc Chèu seu-ming (p. 1402), devenu grand général des
rebelles, prend la ville actuelle de Tchéng-ting-fou. Le gouverneur Yên kaok’ing meurt la malédiction à la bouche, ce qui est dans ce cas, en Chine, le
beau idéal. Puis Chèu seu-ming enlève les villes de Wênn-nan, Kí-tcheou, Kiúlou, Koàng-p’ing, Íe (Tchāng-tei-fou). Il met ensuite le siège devant Yâo-yang
place alors très forte... Ces événement suggèrent à maître Hôu les réflexions
morales suivantes :
« Lì linn-fou et Yâng kouo-tchoung qui perdirent leur pays, furent
relativement peu punis. Lôu-i et Yên kao-k’ing qui se dévouèrent
359
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
pour lui, périrent misérablement. Les petits esprits arguent de ces
faits, qu’il n’y a pas de Règle céleste, pas de Justice au ciel. Ils se
trompent. Il y une Règle céleste. Mais il ne faut pas l’entendre dans
ce sens, que le Ciel compte mesure et pèse scrupuleusement les
mérites
et
les
démérites,
fait
exactement
la
balance,
et
proportionne le bonheur et le malheur strictement en conséquence.
La Règle céleste est que l’homme doit faire le bien et s’abstenir du
mal. La Loi du Ciel, c’est que en règle générale, les bons sont
favorisés, et les méchants punis, Mais, en dehors de cette règle
générale, il y a les chances et les accidents. Les cas de Lôu-i et de
Yên kao-k’ing furent des accidents ; ils n’infirment pas la règle. Les
chances et les accidents dépendent du Destin (hasard). Le Sage ne
connaît que la Règle, et ne parle pas du Hasard...
Comme verbiage creux, ce passage est réussi. Tant il est vrai que le sort des
hommes et les choses de ce monde, ne s’expliquent que par la rétribution
d’outre-tombe. Si cette rétribution n’existait pas, les petits esprits auraient
raison contre Maître Hôu. Supposons qu’on ait coupé à ce dernier sa
p.1431
tête de sophiste. Pensez-vous qu’il eût été consolé de s’entendre dire, avant
l’opération : Ne récrimine pas, mon garçon ; c’est le Hasard ! La Règle pour
les autres, et le Destin pour toi... Je crois que, à cette heure-là, il aurait
oublié sa piètre théorie, pour en appeler, comme tant d’autres, au Justicier
d’en haut.
Maître de la plaine du Heûe-pei actuel et de la vallée de la Láo, Nān louchan était arrêté dans sa marche vers Tch’âng-nan par le sud du Fleuve. Il
fallait l’empêcher de tourner par la boucle (R). Koūo tzeu-i occupa ces pays.
C’est durant cette occupation, qu’il caressa les Nestoriens, nombreux dans
ces parages, et auxiliaires utiles (p. 1354), Il détacha son fidèle lieutenant Lì
koang-pi, un Tongouse K’í-tan, pour défendre la vallée de la Fênn, avec dix
mille hommes qu’il lui donna. Sortant de cette vallée, Lì koang-pi reprit
Tchéng-ting-fou, infligea à Chèu seu-ming une cruelle défaite, et le poursuivit
vers le sud, jusqu’à Tcháo-Tcheou qu’il reprit, avec les dix préfectures
avoisinantes.
360
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Malheureusement, au dixième mois, Keûe chou-han qui défendait les
passes de la Láo, fut battu à plate couture et pris par les insurgés, lesquels
marchèrent droit sur Tch’âng-nan.
Épouvanté, l’empereur appela Yâng kouo-tchoung. Celui-ci lui déclara qu’il
fallait fuir au plus vite vers le Séu-tch’oan. L’empereur s’y résolut. Pour
dissimuler
sa
fuite,
il
annonça
qu’il
allait
prendre
en
personne
le
commandement de l’armée. La garde de la capitale fut confiée à Ts’oēi
koang-yuan, et celle du palais à Pién ling-tch’eng. Quand la nuit fut venue,
ordre fut donné au général Tch’ênn huan-li d’appeler ses hommes aux armes,
de leur donner une bonne gratification, de prendre les chevaux des écuries
impériales, et de se tenir prêt à marcher. D’ailleurs, aucun préparatif, pas
d’approvisionnements.p.1432
Avant le jour, l’empereur sortit du palais avec la favorite et ses sœurs, ses
fils et ses petits-fils, ses eunuques préférés, et prit la route du Séu-tch’oan,
suivi de son escorte militaire, sans bagages ni vivres (756)...
— Il partit, clame maître Fán, avec ses favoris et ses favorites,
sans les Tablettes de ses Ancêtres, que les anciens souverains
emportaient même dans leurs tournées d’inspection et de chasse,
comme s’ils n’eussent pas pu s’en séparer. Il ne leur annonça
même pas son départ. Il ne dit pas un mot de consolation au
peuple. Il s’enfuit, lui le Fils du Ciel, avec ceux qu’il aimait. Quelle
honte !
Quand le cortège impérial passa près des grands magasins établis à
l’ouest de la capitale, Yâng kouo-tchoung demanda à l’empereur la permission
de les incendier, pour qu’ils ne pussent par servir aux rebelles.
— Au contraire, dit l’empereur ; n’y touchez pas ! S’ils trouvent des
ressources, les rebelles pressureront moins le peuple. Laissez-leur
le tout, pour qu’ils ne fassent pas trop de mal à mes enfants.
Cependant le jour étant venu, quand les officiers se présentèrent au palais
pour leur service, les femmes du harem s’évadèrent en masse par les portes
ouvertes, et l’on apprit que l’empereur avait disparu. Aussitôt, dans la
361
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
capitale, ce fut un sauve-qui-peut général. Les gouverneurs de la ville et du
palais, mandirent à Nān lou-chan qu’ils étaient disposés à capituler.
Quand le cortège impérial eut traversé le pont de la Wéi, Yâng Kouotchoung voulut incendier ce pont, pour ralentir la poursuite des rebelles.
L’empereur dit :
— Cela causerait la perte des fuyards de Tch’âng-nan ; laissez-leur
la route ouverte !..
et il fit éteindre le feu.
Quand on arriva à Hién-yang, au Palais de l’Attente des Sages, il était
midi. Personne, pas même l’empereur, n’avait pris aucune nourriture. De
pauvres gens apportèrent une bouillie de blé et de fèves, que les petitsenfants de
p.1433
l’empereur se disputèrent, et dévorèrent avec leurs mains.
Les soldats de l’escorte se débandèrent dans les villages environnants, pour
trouver leur pitance. Enfin on reprit la marche. A minuit, on était à Kīnntch’eng. Tout le peuple avait fui. On ne trouva même pas une lanterne.
Chacun se tapit dans la paille, et l’on dormit comme on put, sans distinction
de noble et de vil, dit le Texte.
Quand le jour fut venu, on poussa jusqu’au relais de Mà-wei. Là les
soldats affamés et harassés se mutinèrent. Le commandant de l’escorte
Tch’ênn huan-li fit demander, par l’eunuque Lì fou-kouo, au prince impérial, la
permission de mettre à mort le ministre Yâng kouo-tchoung, cause des
malheurs de l’empire. L’eunuque n’était pas encore revenu, quand le ministre
traversant la rue, une bande de Tibétains affamés, soldats de la garde, courut
à lui pour lui demander à manger.
— Voyez, cria Tch’ênn huan-li, il conspire avec les Barbares !..
et courant sus au ministre, ils le massacrèrent, piquèrent sa tête sur une
lance, et l’arborèrent devant le pied-à-terre de l’empereur. Ils coururent
ensuite massacrer deux sœurs de la favorite Yâng koei-fei. Effrayé par les
clameurs des insurgés, l’empereur sortit, leur donna de bonnes paroles, et les
pria de reprendre leurs rangs. Les mutins refusèrent. L’empereur leur envoya
l’eunuque Kāo li-cheu, comme parlementaire. Tch’ênn huan-li lui dit :
362
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Yâng kouo-tchoung ayant été exécuté comme rebelle, sa sœur
est indigne de la faveur impériale. Que l’empereur la livre, pour
qu’on la juge !..
Kāo li-cheu porta ces paroles à l’empereur.
— J’y penserai, dit celui-ci ;
et rentrant dans la maison, il réfléchit longuement debout, appuyé sur un
bâton (tout siège faisant défaut). Comme il ne se décidait pas, Wêi-neue
s’avança et lui dit :
— Ne résistez pas à la colère de la multitude ; votre sort dépend de
cet instant ; décidez vite !..,
et il se prosterna, battant
p.1434
de la tête à se meurtrir le front… L’empereur
dit :
— La dame Yâng ayant vécu au fond du harem, comment pourraitelle être complice de son frère ?...
— Elle n’est pas coupable de rébellion, dit l’eunuque Káo li-cheu,
les officiers le savent bien ; mais, comme ils ont tué son frère, tant
qu’elle vivra auprès de vous, ils auront, pensent-ils, à redouter sa
vengeance. Pesez bien ces paroles. Votre vie dépend du bon plaisir
de ces gens-là...
Huân-tsoung livra la favorite à l’eunuque, lequel la conduisit à la pagode du
village, l’étrangla, puis appela Tch’ênn huan-li et les soldats mutinés, et leur
montra le cadavre, Aussitôt ceux-ci déposèrent les armes, s’excusèrent,
crièrent Vive l’empereur, et reformèrent les rangs. La femme de Yâng kouotchoung et sa troisième sœur, échappées au massacre, s’étaient réfugiées à
Tch’ênn-ts’ang. Le mandarin du lieu, Sūe king-sien, les mit à mort (756).
Le lendemain, au moment où le cortège impérial s’ébranlait pour quitter
Mà-wei, les notables de la localité supplièrent l’empereur de rester. Celui-ci
chargea le. prince impérial de les haranguer.
363
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Alors vous du moins, ne suivez pas votre père, dirent les
notables à celui-ci ; restez, ou l’empire n’aura plus de maître ;
mettez-vous à notre tête, et conduisez-nous à Tch’âng-nan !..
et ils s’attroupèrent autour de lui, au nombre de plusieurs milliers...
— Je ne puis ! dit le prince, les larmes aux yeux ;
et sautant sur son cheval, il essaya de s’échapper. Son fils aîné T’ân, et
l’eunuque Lì fou-kouo, saisirent la bride du cheval et dirent :
— Faut-il que l’empire des T’âng s’écroule sous les coups d’un
misérable Barbare ? Si vous ne tenez aucun compte des offres de
dévouement de vos sujets, quel espoir vous restera encore ?
Restez ! Ramassez les troupes du Nord-Ouest, appelez à vous Koūo
tzeu-i et Lì koang-pi, reprenez les deux capitales, restaurez
p.1435
l’empire, relevez le temple des Ancêtres. Voilà ce qu’il faut faire, et
non pas fuir au Séu-tch’oan. Quand l’empire sera pacifié, vous
rappellerez
votre
pratiquement
père,
pieux.
et
Ne
vous
perdez
serez
pas
un
fils
tout,
par
vraiment
votre
et
piété
sentimentale !..
Chóu, le cadet de T’ân, joignit ses instances à celles de son frère. Les
notables de Mà-wei se serrèrent autour du prince impérial, en masse si
compacte, que tout mouvement lui devint impossible. Le cortège impérial
était déjà parti. Le prince envoya à son père son second fils Chóu, pour
l’avertir de ce qui se passait.
— La voix du peuple est la voix du Ciel, dit l’empereur ;
et il ordonna que l’arrière-garde de son cortège laissât deux mille hommes de
cavalerie à son fils. Il dit à ces soldats, en les congédiant :
— Le prince est humain et pieux ; il pourra restaurer l’empire ;
aidez-le de votre mieux !..
Il fit dire au prince, qu’il ne revit pas :
— Fais comme tu l’entendras, et ne te mets pas en peine de moi !
Tous les Hôu du Nord-Ouest m’étaient très attachés. Sollicite leur
364
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
aide. Si tu veux, je suis prêt à abdiquer formellement en ta faveur,
pour te donner plus d’autorité...
Le prince refusa, ou plutôt l’Histoire suppose qu’il refusa.
On lit aisément entre les lignes de cette page alambiquée, et les
Commentateurs sont unanimes à affirmer, que le prince impérial fut de
connivence avec ceux qui le séparèrent ainsi de son père (cf. p. 1308). Il alla
s’établir au nord, à P’îng-leang, vers les sources de la King (Kān-sou actuel),
tandis que son père franchissait les passes du sud et descendait vers le Séutch’oan.
Pendant que ces événements se passaient à l’ouest de Tch’âng-nan,
Soūnn hiao-tchee lieutenant de Nān lou-chan, était entré dans la capitale
sans coup férir. Trop occupées à boire, piller, et le reste, ses bandes ne
coururent, ni après l’empereur, ni après le prince impérial.
Au septième mois de l’an 756, ce dernier prit le titre d’Empereur, dans le
p.1436
Nîng-hia-fou actuel. Il conféra à son père le titre d’Empereur Suprême,
c’est-à-dire d’Empereur en retraite. Cela veut dire, dit sèchement Maître Fán,
qu’il secoua l’obédience de son père. Le nouvel empereur porte dans l’histoire
le nom de Sóu-tsoung.
@
365
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Sóu-tsoung,
756 à 762.
@
On apprit bientôt que Huân-tsoung avait atteint Tch’êng-tou.
Exécutant le plan de son père, Sóu-tsoung envoya des députés aux
nations du Nord-Ouest. Le prince du sang Lì tch’eng-ts’ai, accompagné du
prince Tongra (Tölös) P’ou-kou hoai-nenn, se rendit chez les Ouïgours. Les
soldats de la garde, originaires de l’Ouest du Pamir-Bolor, furent envoyés
dans leurs nations respectives, avec commission de faire savoir aux peuples
du Tarim, aux vallées de l’Iaxartes et de l’Oxus, et jusque dans le Khorassan
arabe, que l’empereur promettait de riches récompenses, à qui prendrait les
armes pour le secourir.
En attendant que l’Occident s’ébranle, voyons ce qui se passe à Yâo-yang
(p. 1430). La ville était défendue par Tchāng-hing, espèce d’Hercule, sage
autant que brave. Chèu seu-ming l’assiégeait avec toutes ses forces. La ville
fut prise d’assaut. Chèu seu-ming se fit amener Tchāng-hing.
— Tu es un brave, lui dit-il ; veux-tu partager ma fortune ?
— Étant officier des T’âng, dit Tchāng-hing, je ne puis passer de
votre côté. Il ne me reste que peu d’instants à vivre. Permettezmoi de vous dire ce que je pense...
— Parle ! dit Chèu seu-ming...
— L’empereur, dit Tchāng-hing, a traité Nān lou-chan comme un
père traite son fils, mieux qu’aucun autre officier. Et voici que, au
lieu de se montrer reconnaissant, celui-ci s’est révolté et a attaqué
son bienfaiteur. Et vous aidez cet homme, au lieu de le combattre !
Et vous pensez que vous ferez fortune à son service ! Si une
hirondelle bâtissait son nid au
p.1437
haut d’une tente, ce nid
aurait-il chance de durer longtemps ? Il sera détruit demain, quand
on pliera la tente. Ne feriez-vous pas mieux de servir les T’âng, et
de vous assurer ainsi une fortune durable ?..
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Furieux, Chèu seu-ming fit scier Tchâng-hing en deux par le milieu du corps.
Celui-ci vomit des malédictions contre les rebelles, jusqu’au moment où il
expira.
Cependant les invitations de l’empereur Sóu-tsoung, avaient été bien
accueillies dans l’Ouest. C’était une bonne aubaine, pour ces peuples pillards.
Si les T’âng reprenaient le dessus, ils seraient bien récompensés. Si les T’âng
avaient le dessous, eux pilleraient la Chine. Les Ouïgours, commandés par
Keûe-louo-tcheu, arrivèrent les premiers. Le roi Chéng de Kotan, amena son
monde en personne.
Nous sommes en 757, Nān lou-chan, atteint d’une ophtalmie, avait en
partie perdu la vue. Il souffrait aussi d’autres infirmités. Son caractère
s’aigrissant, il devint irascible et cruel. Au moindre mécontentement contre
ses officiers, il les faisait fustiger ou décapiter. Il maltraita particulièrement
l’officier Yên-tchoang, et l’eunuque Lì tchou-eull. Son fils aîné Nān k’ing-su se
flattait de lui succéder un jour. Une concubine favorite lui ayant donné Nān
k’ing-nenn, Nān leu-chan résolut de déposséder son aîné, au profit du cadet.
Nān k’ing-su le sut. Yên-tchoang lui dit :
— En cas pareil, il ne faut pas perdre le temps...
— Compris ! dit Nān k’ing-su...
Puis Yên-tchoang dit à Lì tchou-eull :
— Si tu ne prends pas les grands moyens, tu ne vivras pas vieux...
— Compris ! dit Lì tchou-eull ...
La nuit suivante, tandis que Nān k’ing-su et Yên-tchoang gardaient en
armes les abords de la tente de Nān lou-chan, l’eunuque y pénétra, et lui
fendit le ventre, dans l’obscurité. Nān lou-chan étendit la main pour saisir son
sabre, ne l’atteignit pas, et expira en disant :
— Ce coup vient d’un
p.1438
familier !...
Yên-tchoang intronisa Nān k’ing-su, puis enterra le défunt. Peu intelligent
et parlant mal, Nān k’ing-su vécut à l’écart, dans l’ivrognerie et la luxure,
abandonnant toutes choses aux bons soins de Yên-tchoang,
367
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
@
Cependant les contingents du Tarim centralisés à Koutcha, ceux du nord
de l’Altaï concentrés à Koutchen, les corps du Ferghana et des Arabes (p.
1402) étant arrivés, l’empereur alla à leur rencontre, et entra avec eux dans
la vallée de la Wéi, par son extrémité occidentale. On s’arrêta à Fóng-siangfou, pour attendre les retardataires. Là l’empereur nomma Koūo tzeu-i
généralissime de toutes ses troupes. Après sept mois d’attente, du deuxième
au neuvième mois 757, tous les contingents étant réunis, l’empereur donna
un grand banquet aux commandants, puis envoya l’armée contre Tch’ângnan. Au départ, il dit à Koūo tzeu-i :
— Général, votre premier coup décidera de mon sort !..
— Et du mien aussi, dit Koūo tzeu-i, car si je suis vaincu, je me
ferai tuer.
Le meilleur corps de toute l’armée, était un régiment de quatre mille
cavaliers ouïgours, commandés par Ie-hou (alias Chee-hou), le propre fils du
khan Hoâi-jenn. Le gros de l’armée, composé des garnisons chinoises du
Nord-Ouest, et des contingents barbares, se montait à 150 mille hommes. Le
prince Chóu, fils de l’empereur, était commandant en chef honoraire,
représentant son père. Koūo tzeu-i dirigeait les opérations. Chóu caressa Iehou de toutes manières, jusqu’à l’appeler frère, ce qui enthousiasma
ce
dernier.
Quand on fut arrivé en vue de Tch’âng-nan, les impériaux se rangèrent en
bataille. Lì seu-ie commandait l’avant-garde, Koūo tzeu-i le centre, Wâng seuli les réserves. Les rebelles étaient cent mille hommes, commandés par Lì
koei-jenn. Celui-ci provoqua les impériaux, puis fit mine de fuir. Les
impériaux le poursuivirent avec trop d’empressement. Un
p.1439
retour
offensif des rebelles, mit le désordre dans leurs rangs.
— Si je ne me fais pas tuer, dit Li seu-ie, cela va mal tourner,
et jetant ses armes défensives, le sabre à la main, il fonça sur les rebelles en
désespéré, faisant voler les têtes. Sa crânerie donna du cœur à ses soldats,
qui reformèrent leurs rangs. Quand ils furent bien calmés, Li seu-ie les mena
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
à l’assaut en phalange compacte, lui-même chargeant devant leur front. Cette
fois, ils avancèrent comme un mur vivant, renversant tout sur leur passage.
Cependant, guidée par P’ou-kou hoai-nenn, la cavalerie légère des
Ouïgours, qui voltigeait sur les ailes, avait sabré les corps détachés de
rebelles placés en embuscade sur les flancs, puis, les ayant tournés et s’étant
réunie derrière leur dos, les chargea à revers. Le massacre dura, depuis midi,
jusqu’à cinq heures du soir. Soixante mille rebelles furent décapités. Le reste
fuit en désordre. Ceux qui purent, rentrèrent dans la ville. On entendit leurs
clameurs durant toute la nuit. P’ou-kou hoai-nenn dit au prince Chóu :
— S’ils crient ainsi, c’est qu’ils battent en retraite. Permettez-moi
de risquer l’aventure. J’irai avec trois cents cavaliers seulement,
me saisir de leurs chefs...
— Vous avez combattu durant toute la journée, dit le prince ;
reposez-vous plutôt ; nous aviserons demain matin...
— Rien ne vaut une surprise, dit P’ou-kou hoai-nenn...
Chóu le retint malgré lui... A l’aube, on constata que les chefs des rebelles,
s’étaient évadés durant la nuit.
Les impériaux se préparèrent à faire leur entrée à Tch’âng-nan... Or, pour
exciter les Barbares au zèle, l’empereur leur avait promis, et en particulier
aux Ouïgours, que, la ville prise la terre et les hommes seraient aux T’âng, les
biens et les femmes aux auxiliaires. Avant de pénétrer dans la ville, Ie-hou
demanda donc l’autorisation de piller. Le prince Chóu se prosterna devant son
cheval, et lui dit :
— Si vous pillez maintenant
p.1440
Tch’âng-nan, quand ceux de
Láo-yang l’auront appris, ils se défendront en désespérés ; veuillez
attendre jusqu’après la prise de Láo-yang...
Ému, Ie-hou sauta de son cheval, se prosterna aussi, et dit :
— Alors autorisez-moi à marcher immédiatement vers Láo-yang
car, si mes hommes entraient à Tch’âng-nan, je ne pourrais pas les
tenir...
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tournant donc la ville par le sud, Ie-hou et P’ou-kou hoai-nenn conduisant
tous les contingents barbares, marchèrent vers l’Est. Cette bonne entente
cordiale du prince Chóu avec les étrangers, lui fit grand honneur parmi le
peuple. Quand il en eut reçu la nouvelle, l’empereur dit :
— Mon fils est plus habile que moi...
Il fit aussi savoir à son père Huân-tsoung, que Tch’âng-nan était repris, et le
pria de revenir... Le peuple de la capitale, fit une ovation au prince Chóu. On
criait, on pleurait de bonheur. Le prince s’arrêta trois jours seulement, puis
marcha vers l’Est, Koūo tzeu-i prit Hoâ-yinn, puis Hoûng-noung, et les
impériaux débouchèrent dans la vallée de la Láo (757).
Cependant, à l’autre bout de cette vallée (dans le Koēi-tei-fou actuel), le
commandant
impérial
de
Soēi-yang,
Tchāng-sunn,
assiégé
depuis
le
commencement de la révolte par Yìnn tzeu-k’i, était réduit à l’extrémité. Les
provisions étant épuisées, on mangea les chevaux, puis les moineaux et les
rats, puis les femmes. Comme les assiégés savaient qu’il n’y aurait pas de
quartier pour eux, l’idée de capituler ne leur vint même pas. Le fer et la
faim les décimèrent, au point qu’ils finirent par n’être plus que 400 hommes,
si exténués qu’ils ne pouvaient plus soulever une arme. Alors les rebelles
escaladèrent le rempart. Tchāng-sunn fut traîné devant Yìnn tzeu-k’i.
— Pourquoi grinçais-tu des dents, durant les combats ? lui
demanda celui-ci...
— Par envie de te dévorer ! fut la réponse...
Puis, se prosternant vers l’Ouest (vers l’empereur), Tchāng-sunn cria :
— Si j’ai
p.1441
succombé, c’est que mes forces sont absolument
épuisées ! Je continuerai à vous servir après ma mort ! Je
demande à devenir un démon de la pire espèce, pour continuer à
mordre ces gens-là !..
Les rebelles l’égorgèrent. Il mourut sans changer de visage.
A l’Ouest, les rebelles retranchés dans la place forte de Hiâ, avaient arrêté
la marche des impériaux. Nān k’ing-su envoya de Láo-yang, au secours de
cette place, tout ce qui lui restait de troupes, 150 mille hommes environ. Les
370
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
deux armées entrèrent en contact à Sīnn-tien. Les rebelles se rangèrent en
bataille, adossés à des hauteurs. Koūo tzeu-i les attaqua longtemps de front,
sans aucun succès. Soudain les rebelles furent saisis d’épouvante. La
cavalerie des Ouïgours, qui avait gravi les hauteurs par derrière, dévalait sur
eux, comme une avalanche. Sauve-qui-peut général. Cette fois le prince Chóu
ne gêna pas P’o-kou hoai-nenn, dont les Ouïgours sabrèrent à cœur joie. Par
manière de représailles, Nān k’ing-su décapita les officiers T’âng qu’il tenait
prisonniers, Keûe chou-han et trente autres, puis abandonna Láo-yang, passa
le Fleuve Jaune, et se réfugia à Íe (Tchâng-tei-fou). Les impériaux firent leur
entrée à Láo-yang. Cette fois les Ouïgours pillèrent pour de bon. Le prince
Chóu en fut affligé, et obtint qu’ils cessassent leurs déprédations, moyennant
une contribution de dix mille pièces de soieries précieuses, que le peuple
paya. Utiles, mais voraces, ces braves Barbares !
Quand l’empereur apprit que Láo-yang était repris, il fit son entrée à
Tch’âng-nan. Le peuple alla à sa rencontre jusqu’à vingt lì de distance,
pleurant, sautant de joie, et criant Vive l’empereur ! Quand il fut installé dans
le palais Tá-ming-koan, on lui amena, tête et pieds nus, les fonctionnaires
T’âng qui avaient servi les rebelles. L’empereur les fit exposer au pilori... Le
temple des Ancêtres des T’âng ayant été incendié par
p.1442
les rebelles,
l’empereur alla pleurer sur les ruines, en grand deuil, durant trois jours de
suite... Quand Huân-tsoung apprit que Láo-yang était repris, Il quitta Tchêngtou pour revenir au nord.
Les T’âng étant restaurés, les Barbares se retirèrent pour regagner leurs
pays. L’empereur reçut à Tch’âng-nan, avec les plus grands honneurs, le
prince ouïgour Ie-hou.
— Je reviendrai, dit celui-ci, vous aider à balayer les rebelles du
nord, dès que j’aurai remonté ma cavalerie.
Puis il quitta, comblé de dons et de titres. Enfin, morale de cette histoire,
depuis lors l’empereur de Chine fournit au khan des Ouïgours, vingt mille
pièces de fines soieries par an (cf. p. 1299)
Les T’âng furent une dynastie très populaire, peu solide, pas glorieuse. Ils
payèrent comptant, leur prospérité et leur paix. Le peuple chinois n’en
demande pas davantage. Pourvu qu’il mange tranquille !
371
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
@
Toujours en 757, au douzième mois, Huân-tsoung rentra à Tch’âng-nan.
Il avait pris l’air durant dix-huit mois. Sóu-tsoung alla à sa rencontre jusqu’à
Hiên-yang (vis-à-vis Tch’âng-nan, au nord de la Wéi). Ici, alambiquage et
sentimentalités !
Il
s’agit
de
démontrer
que,
quoique
Sóu-tsoung ait
supplanté son père, c’était tout de même un bon garçon. Sóu-tsoung se
présenta en robe violette (pas la couleur impériale), démonta devant le
perron, se prosterna, dansa, etc. Huân-tsoung descendit les degrés, le
caressa, pleurnicha, fit mine d’ôter sa robe impériale jaune pour l’en revêtir.
Sóu-tsoung se prosterna derechef, le front dans la poussière, pour refuser
cette robe. Huân-tsoung lui dit :
— Les nombres du Ciel et les cœurs du Peuple, se sont réunis sur
ta personne. C’est grâce à toi, que je pourrai couler mes vieux
jours en paix. Tu es un très bon fils...
Après cette déclaration, brevet historique de piété filiale, Sóu-tsoung
revêtit la robe jaune...
p.1443
Mêmes simagrées pour offrir et pour refuser
l’appartement impérial, le repas impérial, etc. Finalement, quand Huântsoung retourna à son pied-à-terre, Sóu-tsoung conduisit d’abord son cheval
par la bride, puis fit le piqueur. Huân-tsoung dit à son entourage :
—
J’ai
reçu
plus
d’honneurs
aujourd’hui,
comme
père
de
l’empereur, que durant les 40 années de mon propre règne...
Il salua ensuite les officiers, puis alla s’excuser avec larmes devant les
Tablettes des Ancêtres installées provisoirement dans le pavillon de la Joie
Perpétuelle, se logea à l’écart au palais Hīng-k’ing-koung, et envoya à Sóutsoung le sceau de l’empire qu’il avait gardé jusque-là. Sóu-tsoung le reçut en
pleurant, de joie ou de douleur, comme vous l’entendrez.
Ici Maître Fán met les points sur les i.
Sóu-tsoung, dit-il, monta sur le trône, sans aucun ordre exprès de
son père. Les démonstrations qu’il fit par la suite, furent de la
poudre jetée aux yeux des naïfs. Il fit ses affaires au moment
propice, puis fit quelques simagrées qui ne lui coûtèrent pas. S’il
crut que cela suffirait pour sauver la piété filiale, il se trompa.
372
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Définitivement intronisé, Sóu-tsoung nomma prince impérial son fils Chóu,
le futur Tái-tsoung. Koūo tzeu-i fut fait Grand Directeur, Lì koang-pi devint
Grand Ingénieur. Tous les autres officiers furent récompensés selon leurs
mérites. Les morts reçurent des titres posthumes. Ainsi finit cette année 757,
féconde en événements.
En 758, à la sollicitation de Wâng-u (p. 1417), Sóu-tsoung releva le tertre
et l’autel du Suprême Un (p. 445).
Il décerna ensuite des titres ronflants au khan des Ouïgours, dont il avait
encore besoin, pour venir à bout de Nān k’ing-su. Il lui envoya sa propre fille,
pour être son épouse. Le prince Ù fut chargé de la lui conduire. L’empereur
l’accompagna jusqu’à Hiên-yang. Au moment des adieux :
— Père, dit la jeune
p.1444
fille, je me dévoue volontiers pour le
salut de l’empire...
L’empereur revint à la capitale en pleurant... Quand Ù fut arrivé au douar du
khan, celui-ci le fit attendre à la porte de sa tente. Que voulez-vous,
l’empereur lui payait tribut (p. 1442)... Ù ne trouva pas la chose de son goût,
et refusa de se prosterner...
— Je suis l’égal de l’empereur, lui dit le khan ; saluez !..
— Peut-être bien, dit le prince ; mais en tout cas, puisque vous
allez épouser sa fille, vous êtes son beau-fils : saluez !..
Le khan salua, à ce titre. Ce que c’est que les Rites !.. Le lendemain, il
nomma sa nouvelle femme khatoun, et mobilisa trois mille de ses cavaliers,
pour aller aider l’empereur à combattre Nān k’ing-su. Donnant donnant !
Quand il eut reçu ce renfort, Koūo tzeu-i se mit en campagne. Il passa le
Fleuve, prit Wéi hoei-fou, et mit le siège devant Íe (Tchāng-tei-fou).
An 759. Chèu seu-ming ne jugea pas à propos de servir Nān k’ing su,
comme il avait servi son père. Il se proclama lui-même, Roi de Yén, et
marcha vers Íe... A son approche, l’armée de Koūo tzeu-i se débanda. Les
fuyards, Ouïgours et autres, pillèrent tant qu’ils purent. C’est le premier
désastre qu’ait subi cet illustre général... Arrivé devant Íe, Chèu seu-ming ne
373
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
se mit pas en communication avec Nān k’ing-su. Inquiet, celui-ci lui offrit de
se soumettre. Chèu seu-ming répondit par de bonnes paroles. Nān k’ing-su
s’y fia, et alla le trouver avec trois cents hommes seulement. Chèu seu-ming
le reçut, le salua, puis soudain, feignant la colère :
— Tu as tué ton père, cria-t-il ; le Ciel et la Terre ne peuvent plus
te supporter !...
Aussitôt ses officiers traînèrent Nān k’ing-su dehors et l’égorgèrent. Puis Chèu
seu-ming fit son entrée à Íe, prit à son service les gens de sa victime, leur
donna son fils Chèu tch’ao-i pour commandant, et retourna à Fán-yang
(Pékin) sa capitale.
Le khan des Ouïgours étant mort, son fils Teng-li
p.1445
lui succéda. La fille
de Sóu-tsoung, épousée par son père l’an précédent, n’ayant pas eu d’enfant,
Teng-li la renvoya à l’empereur. Il craignit sans doute qu’elle n’intriguât pour
le compte de sa nation, ce dont les khatoun chinoises ne se faisaient faute
nulle part.
Vers la fin de cette année, Lì koang-i fit subir un échec à Chèu seu-ming.
@
Il paraît que l’empereur était gouverné par sa femme l’impératrice
Tchāng-cheu, et celle-ci par l’eunuque Lì fou-kouo. Il paraît aussi que
l’impératrice et son eunuque, haïssaient Huân-tsoung. L’Histoire nous dit que,
en 760, l’eunuque relégua ce dernier dans le pavillon Sī-nei, espèce d’in pace
honorable, où le vieil empereur fut soumis à un régime austère. Les détails
manquent sur ces vilaines choses. Bref Huân-tsoung fut confiné, et son fils
Sóu-tsoung ne le vit plus.
En 761, Lì koang-hi est battu à plate couture, par Chèu seu-ming, à
Mâng-chan. — Ce Turc semble avoir eu des qualités militaires sérieuses.
Heureusement pour l’empire, qu’il finit à peu près comme Nān lou-chan.
Soupçonneux et cruel, il avait beaucoup d’ennemis. Il n’aimait pas Tch’âo-i
son fils aîné gouverneur de Íe, et méditait de lui substituer Tch’âo-ts’ing son
cadet gouverneur de Fán-yang. Quand il eut battu Lì koang-pi, il marcha sur
374
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tch’âng-nan, et chargea Tch’âo-i de surprendre Hiâ. Tch’âo-i fut battu. Son
père le menaça de mort. Les familiers du fils lui dirent :
— Nous sommes perdus ! Si vous ne vous résolvez pas à prendre
les grands moyens, nous allons passer aux T’âng.
Tch’âo-i gagna le capitaine des gardes de son père. Celui-ci tua Chèu seuming d’un coup de flèche. Chèu tch’ao-i s’intronisa à sa place, et fit mourir
son frère Chèu tch’ao-ts’ing avec ses partisans. Les anciens officiers de Chèu
seu-ming ne se rallièrent pas à lui.
p.1446
La situation des T’âng étant devenue un peu moins précaire, leur
goût pour les superstitions se réveilla. Taoïste Buddhiste Nestorien et le reste,
Sóu-tsoung éleva un autel dans son palais, costuma ses femmes en P’ousas
et ses gardes en Génies, puis entreprit de faire rendre, par ses ministres, à
ces nouvelles divinités, un culte de sa façon.
En 762 on lui apprit que, dans le Tch’òu-tcheou, la bonzesse Tchēnn-jou
ayant été transportée au ciel dans une extase, Cháng-ti le Souverain d’en
haut lui avait remis un livre sybillin consistant en treize plaques de jade, dans
lequel on trouverait la solution de toutes les difficultés futures de l’empire. A
leur ordinaire, les officiers félicitèrent l’empereur de sa bonne fortune...
Maître Fán se fâche.
— Jadis, dit-il, Yâo (ou plutôt Choûnn, Annales p. 378, voyez HCO,
page
15)
ordonna
à
Tch’oung
et
à
Lì
d’interrompre
les
communications du ciel et de la terre ; c’est-à-dire qu’il défendit
que les magiciens et magiciennes cherchassent à communiquer
avec le ciel, pour en imposer au peuple. Ces pratiques, usitées
seulement sous les sots souverains, ont toujours troublé le Peuple
et discrédité le Ciel. Sóu-tsoung qui fut impie envers son père,
mérita d’être joué par les magiciens. Quant à l’efficacité de ces
cadeaux du Ciel, son cas l’illustre mieux qu’aucun autre. Un mois
après la faveur de Cháng-ti, les deux empereurs étaient morts.
Jugez !
De fait, peu de jours après, le père et le fils tombèrent malades. Huântsoung mourut le premier, âgé de 78 ans. La maladie de Sóu-tsoung
375
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
s’aggravant de jour en jour, il remit les rênes du gouvernement à son fils le
prince impérial.
Tandis que son mari agonisait, l’impératrice Tchāng-cheu essaya de se
défaire de l’eunuque Lì fou-kouo, jadis son allié, maintenant son ennemi, en
vue, probablement, de se faire régente. Elle pria le prince impérial de le faire
mettre à mort. Celui-ci s’excusa
p.1447
sur ce qu’il n’était que Régent. Alors
l’impératrice chargea de sa vengeance le prince Hī, lequel arma une bande
d’eunuques. Averti de ce qui se tramait, Lì fou-kouo arrêta et mit en lieu sûr
l’impératrice et le prince Hī. Le lendemain, Sóu-tsoung ayant rendu le dernier
soupir, Lì fou-kouo égorgea ses deux prisonniers. Le prince impérial monta
sur le trône, et devint l’empereur Tái-tsoung.
@
376
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Tái-tsoung,
763 à 779.
@
Comme on pouvait s’y attendre, l’eunuque Lì fou-kouo, dont nous
connaissons le talent, s’efforça de réduire l’empereur en tutelle. Celui-ci n’osa
pas le heurter de front. Mais, une belle nuit, dit l’Histoire laconiquement, des
brigands s’étant introduits dans le logis de l’eunuque, lui volèrent sa tête et
un bras. C’est-à-dire que l’empereur le fit supprimer. La circonstance de la
mutilation, est chose très grave, pour ceux qui croient à la métempsycose.
Quiconque est enseveli sans tête sans bras, renaît sans tête sans bras. S’il
faut en croire certains commentaires, la famille du défunt chercha à lui
épargner ce malheur, en munissant le cadavre d’une tête et d’un bras en
bois.
@
Chèu tch’ao-i occupait toujours le nord du Fleuve, Tchâng-tei-fou et Pékin.
Les T’âng n’avaient pas les forces voulues pour le réduire. Ils durent recourir
aux Ouïgours. Or Chèu tch’ao-i avait pris les devants auprès du khan Teng-li.
Quand l’envoyé impérial arriva à son douar, le khan fit l’étonné et dit :
— Je croyais qu’il n’y avait plus de T’âng...
— Il en reste, dit l’envoyé. L’empereur est mort, il est vrai ; mais
son fils lui a succédé...
Alléché par l’espoir du pillage, le khan envoya, avec le député impérial,
quelques escadrons de sa cavalerie. Quand ceux-ci, entrés en Chine, virent
l’état du pays ravagé par la guerre civile, ils refusèrent d’aller plus loin, et
maltraitèrent l’envoyé. Celui-ci avisa
p.1448
l’empereur, lequel envoya au khan
Teng-li, son beau-père le prince P’ou-kou huai-nenn, que nous connaissons.
Le beau-père exhorta le beau-fils à ne pas rompre avec les T’âng. Le khan se
décida à secourir l’empire pour de bon (763). Descendant la vallée de la Wéi
il entra dans celle de la Láo, passa le Fleuve, remonta la vallée de la Fênn,
s’établit à T’ái-yuan-fou dont les approvisionnements lui furent livrées puis,
redescendant la vallée de la Fênn et repassant le Fleuve, de concert avec les
377
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
troupes impériales, il marcha sur Láo-yang, que les rebelles avaient repris.
Dans une grande bataille livrée sous les murs de cette ville, les rebelles furent
complètement battus. Ils laissèrent 60 mille morts sur le champ de bataille, et
20 mille prisonniers aux mains des impériaux. Chèu tch’ao-i se sauva avec
quelques centaines de cavaliers seulement, passa le Fleuve, et se réfugia à
Wéi-hoei-fou. P’ou-kou hoai-nenn ayant pris Láo-yang, se mit à la poursuite
de Chèu tch’ao-i, lequel se réfugia successivement à Ts’īng-heue, puis à Máotcheou, où il fut assiégé par toute l’armée chinoise-ouïgoure. La place ayant
été prise, il s’enfuit vers Fán-yang (Pékin). Il ignorait que Lì hoai-sien, à qui il
avait confié cette place, venait de faire des ouvertures aux impériaux. Quand
Chèu tch’ao-i arriva, Lì hoai-sien lui ferma les portes au nez. Suivi seulement
de quelques cavaliers barbares, Chèu tch’ao-i fuit vers le Nord, pour aller se
réfugier cher les K’í-tan. Lì hoai-sien lui donne la chasse avec sa cavalerie. Se
voyant perdu, Chèu tch’ao-i se pend dans un bois. Lì hoai-sien envoie sa tête
aux impériaux... Ainsi finit la rébellion de Nān lou-chan, continuée par Chèu
seu-ming. Nous verrons plus tard la somme de sang qu’elle coûta à la Chine.
Elle eut un épilogue, que nous dirons tout à l’heure. L’Histoire le fait
pressentir, en terminant ce chapitre par ces mots : La campagne finie, les
p.1449
Ouïgours retournèrent chez eux. P’ou-kou hoai-nenn refusa de venir à
la cour.
Rien ne donne une plus juste idée de la faiblesse des T’âng, que les
épisodes semblables à celui-ci... Au dixième mois de l’année 763, une bande
de plus de 200 mille Tibétains et Tangoutains, envahit soudain la vallée de la
Wéi par son extrémité occidentale, et apparut inopinément aux portes de la
capitale
Tch’âng-nan,
dont
la
garnison
prit
la
fuite
sans
combattre.
L’empereur se sauva dans la vallée de la Láo. Entrés dans la capitale sans
coup férir, les Barbares brûlèrent, pillèrent, ravagèrent, firent si bien, qu’ils
convertirent en un désert cette grande et malheureuse ville. Le grand général
impérial Koūo tzeu-i avait en tout trente cavaliers. Franchissant la petite
passe, il se réfugia dans la haute vallée de la Hán, et y racola quatre mille
hommes, déserteurs et brigands, qu’il adjura de l’aider à sauver l’empire.
Quand ils eurent consenti, il envoya son lieutenant occuper, avec 200
hommes, la petite passe. Se tenant soigneusement couvert, cet officier fit
378
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
battre le tamtam durant le jour, et allumer des feux durant la nuit. Les
Tibétains crurent qu’une armée impériale approchait. Ils se retirèrent,
emportant leur butin. Sans un seul mot amer, l’Histoire conclut en ces termes
ce honteux épisode : La paix étant rétablie, l’empereur rentra à Tch’âng-nan.
@
En aidant les impériaux à combattre les rebelles, les Ouïgours avaient eu
l’occasion de se rendre compte de la faiblesse de l’empire. P’ou-kou hoai-nenn
tenta d’enlever T’ái-yuan-fou, dans la vallée de la Fênn, par un coup de main.
Le coup échoua. Le fils de P’ou-kou hoai-nenn périt dans la bagarre. Celui-ci
dut conter l’aventure à sa propre mère. La vieille saisit un
p.1450
sabre, en
criant :
— Ah tu t’es révolté contre l’empire ! Brigand ! Je vais t’éventrer
au nom de l’empereur, et t’arracher ton cœur de traître !..
P’ou-kou hoai-nenn s’esquiva, mais poursuivit son plan. Au dixième mois de
l’an 764, à la tête d’une armée composée mi-partie d’Ouïgours et de
Tibétains, il assiégea Fóng-t’ien, place alors très importante, au nord-ouest de
Tch’âng-nan, entre la Kīng et la K’iēn. Koūo tzeu-i se tint sur la défensive,
refusant de combattre.
Au commencement de l’an 765, P’ou-kou hoai-nenn arriva à débaucher
les troupes auxiliaires du Nord-Ouest (u), celles qui avaient sauvé l’empire en
757, sous Sóu-tsoung. Il reçut aussi un renfort de plusieurs centaines de
milliers d’Ouïgours, de Tibétains et de Tangoutains. Koūo tzeu-i conseilla à
l’empereur de n’opposer aucune armée à ce flot de Barbares, mais de se
contenter d’appeler aux armes les milices des provinces, pour briser leur élan,
en les obligeant à se séparer pour opérer en détail. L’empereur adopta ce
plan, d’autant plus volontiers que, n’ayant pas d’armée, il en aurait
difficilement adopté un autre. Heureusement pour l’empire, que P’ou-kou
hoai-nenn mourut de maladie, au moment où ses hordes s’ébranlaient. Cent
mille Tibétains arrivés devant Fóng-t’ien, furent contraints par la pluie de se
retirer. Ils dévastèrent à fond les pays par lesquels ils passèrent. S’étant
joints aux Ouïgours, ils revinrent avec eux, et poussèrent jusqu’à Kīng-yang,
au nord de la Wéi, à moins de cent lì de la capitale. Koūo tzeu-i refusa
obstinément de livrer aucun combat. La nouvelle de la mort de P’ou-kou hoai-
379
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
nenn étant arrivée, les Tibétains et les Ouïgours cessèrent de s’entendre. Le
bruit courut aussi parmi eux, que Koūo tzeu-i était mort. Celui-ci ayant eu
connaissance de leurs discordes, fit faire secrètement des offres au chef des
Ouïgours...
— Vous me trompez, dit le Barbare, à son émissaire ;
p.1451
Koūo
tzeu-i est mort...
Pour leur prouver qu’il vivait encore, suivi d’une très faible escorte, Koūo
tzeu-i se rendit chez les Ouïgours. Défiants, ceux-ci se rangèrent en bataille.
Leur chef Yáo-keue-louo prit position devant le front de sa cavalerie, l’arc
bandé, prêt à décocher. Koūo tzeu-i approcha, s’arrêta, jeta ses armes, ôta
son casque et sa cuirasse...
— C’est lui !
crièrent les officiers ouïgours, qui avaient jadis combattu sous lui contre Nān
lou-chan... Koūo tzeu-i mit pied à terre, alla droit à Yáo-keue-louo, lui prit la
main et dit :
— Vous Ouïgours, vous avez jadis rendu aux T’âng de grands
services, que ceux-ci vous ont bien payés. Alors pourquoi oublier
les traités, dévaster notre pays, effacer vos mérites passés, vous
faire détester, tout cela pour l’amour d’un officier (P’ou-kou hoainenn) qui a désobéi à sa mère, et qui s’est révolté contre son
prince. Est-ce là entendre vos intérêts ? Me voici désarmé entre
vos mains ; mais je vous avertis que, si vous me tuez et continuez
à faire la guerre à la Chine, mon armée vous combattra à
outrance...
Yáo-keue-louo dit :
— P’ou-kou hoai-nenn m’avait fait croire que vous n’étiez plus, et
que la Chine était sans maître. C’est pour cela que je suis venu.
D’après ce que je vois, il m’a menti. Le Ciel a occis ce mauvais
drôle. C’est bien fait ! Je n’ai aucune envie de vous faire la guerre
davantage...
— Alors, dit Kouo tzeu-i, je vais vous proposer une bonne affaire.
Les Tibétains sont de méchantes gens. Ils ont fait un butin d’or et
380
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
d’argent immense, et ont enlevé des chevaux et des bœufs sans
nombre. Qu’en dites-vous ? Le Ciel vous les livre ! Pur profit, sans
risque ! Ne ratez pas cette aubaine-là !..
— Bon ! dit Yáo-keue-louo ; pardonnez-moi toutes mes offenses ;
épargnez seulement le fils de P’ou-kou hoai-nenn, qui est le frère
de notre khatoun...
— Tope ! dit Koūo tzeu-i...
Durant ce colloque, les chefs ouïgours s’étaient rapprochés.
p.1452
Craignant un mauvais coup, l’escorte de Koūo tzeu-i fit de même. Celui-ci la
rembarra d’un geste. Puis, s’étant fait apporter du vin, il en but à la ronde
avec les chefs ouïgours. Ensuite, en répandant une coupe à terre par manière
de serment, il cria :
— Vive l’empereur des T’âng ! Vive le khan des Ouïgours ! Vivent
les deux nations ! Que celui qui violera ce serment, périsse de
malemort, et que ma maison soit exterminée !..
Après lui Yáo keue-louo répéta le même serment, avec le même cérémonial...
Les Tibétains ayant eu vent de ce qui se préparait contre eux, déguerpirent
durant la nuit. Les Ouïgours leur donnèrent la chasse, les atteignirent, les
dispersèrent, enlevèrent leur butin.
Koūo tzeu-i revint s’établir dans l’angle du Fleuve. Piétiné par les rebelles
et les barbares depuis tant d’années, le pays était désert et le sol en friche.
Pour faire vivre ses soldats, Koūo tzeu-i dut leur faire cultiver la terre. Luimême donna l’exemple, chaque officier cultiva son lopin, les soldats s’y
mirent ; bientôt la campagne fut de nouveau défrichée, et l’armée vécut dans
l’abondance.
Et maintenant ; la carte à payer : Le recensement de l’an 754, avant la
révolte de Nān lou-chan et les guerres qui en furent la suite, avait accusé une
population de 52.880.488 âmes. Le recensement de l’an 766, donna
16.900.000 âmes. Soit, en chiffres ronds, 36 millions d’hommes, près des
trois quarts de la population, disparus durant douze années de guerre civile.
Disons,
à
l’honneur
de
l’empereur
Tái-tsoung,
qu’il
se
montra
reconnaissant envers Koūo tzeu-i le sauveur de sa maison. Il le traita toujours
381
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
avec les plus grand égards, et donna à son fils sa propre fille en mariage. La
princesse ayant mauvais caractère, faisait des scènes à son mari...
— C’est parce que votre père est empereur, lui dit un jour celui-ci,
que vous me traitez ainsi ; or c’est grâce à mon père à moi, que le
vôtre est ce qu’il est...
La princesse prit cette remarque au tragique, et courut se plaindre à son
père...
— Il ne t’a pas tout dit, lui dit celui-ci ; la vérité est que, si son
père à lui avait voulu, il serait empereur maintenant, et ton père à
toi ne serait plus rien ; calme-toi donc, et retourne vite à la
maison...
Cependant Koūo tzeu-i ayant appris cette bisbille des deux jeunes époux,
incarcéra son fils, et alla demander à l’empereur l’autorisation de le châtier.
— Un vieux proverbe, répondit celui-ci, dit que tout père de famille
doit, à certaines heures, être sourd et aveugle. Cela veut dire
surtout, qu’il ne doit pas remarquer les disputes conjugales de ses
enfants...
Koūo tzeu-i rentra chez lui, et donna la bastonnade à son fils.
L’eunuque Û tch’ao-nenn ayant consacré un terrain qu’il possédait, à
l’érection d’une pagode magnifique, dédiée à la mémoire de l’impératrice
défunte, pour le bien de l’empire, l’empereur dota cette pagode très
richement (767). Le lettré Kāo-ying présenta la remontrance suivante :
« Une
pagode
de
plus,
n’illustrera
guère
la
mémoire
de
l’impératrice. Quant au bien de l’empire, il dépend de la bonne
administration du peuple. Si le gouvernement est mauvais, les
prières faites pour le peuple seront vaines. Les anciens empereurs
cherchaient à obtenir le bonheur et à éviter le malheur, en faisant
des bonnes œuvres, non en faisant des dépenses. Je suis affligé de
ce que vous vous soyez laissé induire à agir autrement.
382
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur était très favorablement disposé pour le Buddhisme. Il était
entretenu dans ces sentiments, par Yuân-tsai, Wâng-tsinn, Tóu houng-tsien,
tous dévots buddhistes. Wâng-tsinn observait strictement l’abstinence de
chair et de sang. Tóu houng-tsien entretenait à ses frais mille bonzes. Ces
deux hommes construisaient pagode sur pagode. Un jour l’empereur leur
demanda :
— Mais enfin, le dogme de la rétribution des
p.1454
actes, tel que le
Buddha l’enseigne, est-ce vraiment vrai ?..
— Le bonheur de la dynastie actuelle, suffit pour le prouver
répondirent-ils. Que Nān lou-chan et Chèu seu-ming aient été
assassinés par leur fils, que P’ou-kou hoai-nenn soit mort de
maladie, que les Tibétains et les Ouïgours se soient brouillés, le
tout à point nommé, au bon moment, ce ne sont pas là des
hasards, ce sont des rétributions...
Ce discours acheva de convertir l’empereur au Buddhisme. Il entretint
désormais, pour son usage une centaine de bonzes, dans l’intérieur de son
palais. Quand on lui annonçait quelque mauvaise nouvelle, il les faisait
aussitôt prier. Quand le danger avait cessé, il les comblait de bienfaits. Il créa
duc, le bonze indien Amogha, le fit marcher de pair avec les ministres et lui
donna libre entrée au palais. Alors pouvoir, richesse, terres et biens, tout
afflua chez les bonzes. Spectateurs de leur fortune, le peuple se précipita de
nouveau en masse dans le Buddhisme, comme nous lui avons vu faire plus
d’une fois déjà (p. 945)... Au bas de ce narré, Maître Hôu appose froidement
l’estampille de l’incrédulité confuciiste.
« Après la mort, dit-il, les ténèbres dans lesquelles il n’y a ni
bonheur ni malheur. Et, à supposer qu’il y eût un bonheur ou un
malheur dans l’au-delà est-ce par des prières qu’on obtiendrait le
bonheur, qu’on éviterait le malheur ? En ce cas, tous ceux qui
prient seraient heureux, aucun ne serait malheureux, ce qui n’est
pas le cas. Non, prier n’attire pas le bonheur et n’écarte pas le
malheur ! La vie, et la mort qui la termine, sont une voie (suite,
enchaînement) prédéterminée.
383
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 768, la pagode bâtie par Û tch’ao-nenn étant achevée, l’empereur la
visita, et y présida à la réception de mille bonzes. Sept statues furent érigées
en sa présence. A cette occasion se fit, pour la première fois, la cérémonie de
l’Ullambana. L’empereur envoya l’écuelle U-lan, de son palais, au nouveau
temple. Il fit don,
p.1455
à la pagode, d’une bannière ornée d’une inscription.
Les mandarins rendirent les honneurs, sur le passage du cortège. Cette
procession se fit désormais chaque année, le quinzième jour du septième
mois. Voyez HCO page 411.
En 769, mort du dévot Tóu houng-tsien (p. 1453). Avant de mourir, il se
fit raser la tête, et expira dans une robe de bonze, après avoir déclaré qu’il
voulait être enseveli dans une pagode. Ici Maître Hôu s’enflamme :
« Quel être vil, que ce Tóu houng-tsien ! Passe encore qu’il ait cru
au Buddhisme ; mais oublier à ce point les devoirs les plus
essentiels ! La peau, et les cheveux qui la couvrent, ne sont-ils
pas, comme le reste du corps, substance et don des Ancêtres ? Ne
doit-on pas retourner intact dans la tombe ? N’est-il pas évident
que, quiconque se mutile, est impie envers ses parents ? Et
pourtant Tóu houng-tsien se fit raser !!!
Ces parangons buddhiques n’étaient pas tendres les uns pour les autres.
En 770, le dévot Û tch’ao-nenn ayant abusé de sa position pour insulter les
ministres, l’empereur se fâcha contre lui. Le dévot Yuân-tsai souffla le feu. Il
fut convenu qu’on se débarrasserait de l’eunuque, à l’occasion du banquet du
Hân-cheu. Au jour dit, à la fin du banquet, comme Û tch’ao-nenn allait se
retirer, l’empereur ayant fait contre lui une violente sortie, les assistants se
jetèrent sur lui et l’étranglèrent. Le cadavre fut rendu à la famille, et
l’empereur paya les funérailles.
A cette époque, la nation des Ouïgours était devenue officiellement
manichéenne. En 768, l’empereur permit aux Ouïgours d’élever dans l’empire
des temples manichéens, sous le vocable de la Lumière brillant dans le Grand
Nuage... En 771, autorisation spéciale d’en ériger quatre nouveaux, à KīngTcheou du Hôu-pei, Yâng-tcheou du Kiāng-sou, Nān-tch’ang du Kiāng-si,
p.1456
Chāo-hing du Tchée-kiang actuel. Les sectateurs de cette religion (les
384
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
prêtres, je pense), dit l’Histoire, portent des robes et des coiffures blanches...
Comment expliquer la tolérance, la faveur même, accordée maintenant à
cette religion, qui avait été, en 732, déclarée officiellement mauvaise et
perverse ? L’explication est facile. Les Ouïgours étaient manichéens, et les
T’âng avaient besoin des Ouïgours. Ils avaient même peur de cette puissance,
qui était alors à son apogée. Or, quand les Chinois ont peur ils mettent leurs
principes dans leur poche, et adorent ce qu’ils avaient brûlé, en attendant
que, la roue ayant tourné, ils brûlent ce qu’ils avaient adoré. Jusqu’où allait
cette peur, l’Histoire nous l’avoue avec ingénuité. En l’an 772, le personnel de
la légation ouïgoure établie à Tch’âng-nan, briganda dans la ville, ravit des
femmes et des filles, commit des meurtres, etc. L’empereur ferma les yeux et
se tut.
@
En 774, la sécheresse désola le district de la capitale. Le préfet Lî-kan
ayant fait modeler un dragon en argile, lui demanda la pluie. Il dansa devant
cette image, avec les sorciers et les sorcières. La pluie n’en tomba pas
davantage. L’empereur ordonna de briser le dragon, jeûna et fit pénitence. La
pluie tomba.
En 778, Tchōu-ts’eu, gouverneur de la haute vallée de la Wéi, envoya à
l’empereur, comme objet éminemment faste et présage infaillible de la paix
entre les Chinois et les Barbares, une chatte qui allaitait une nichée mi-partie
de chatons et de ratons. Les courtisans félicitèrent. Le secrétaire Ts’oēi youfou blâma.
— Cette chose est contre nature, dit-il. Ce n’est donc pas un
présage faste. Ce mélange de deux races ennemies, me donne à
penser qu’il y a des traîtres parmi les fonctionnaires. Au lieu de
vous réjouir, ouvrez l’œil !..
Nous
verrons
Tchōu-ts’eu
se
charger
lui-même
de
vérifier
p.1457
l’interprétation de Ts’oēi you-fou. Il deviendra un insigne rebelle.
En 779, l’empereur Tái-tsoung mourut, nommant par testament Koūo
tzeu-i tuteur de son fils, lequel monta sur le trône, et devint l’empereur Têi-
385
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
tsoung. Le jeune souverain combla de titres et de faveurs son vieux tuteur,
qui le méritait d’ailleurs.
Son premier édit, fut pour exprimer son incrédulité à l’égard des présages
et pronostics, dont les flatteurs usaient et abusaient pour se bien mettre dans
l’esprit des princes.
— Je ne connais, dit-il, en fait de faste, que la paix et l’abondance,
la sagesse et la fidélité. Quant aux agarics épiphytes, animaux
extraordinaires, plantes curieuses, arbres étranges, et autres
phénomènes, à quoi bon porter ces choses à la connaissance de
l’empereur. Qu’on me laisse tranquille désormais !
Les pays du midi offraient régulièrement à l’empereur des éléphants
dressés. Ces animaux mangeaient beaucoup de foin, et n’étaient d’ailleurs
bons à rien. L’empereur les fit lâcher dans les montagnes... Il se défit aussi
de la ménagerie impériale, des coqs de combat, et de plusieurs centaines de
filles du harem. Pardon, ce n’est pas moi qui suis coupable de la connexion de
ces catégories ; c’est l’Histoire. En Chine elles sont classées sous la rubrique
commune des Etres qui ouvrent la bouche, c’est-à-dire qui mangent, et qui
coûtent, par conséquent... Le peuple fut très content de ces mesures. On se
disait : Nous avons un bon empereur !
Têi-tsoung présida aux funérailles de son père. Quand le cortège funèbre
s’ébranla, l’empereur constata avec surprise qu’il faisait un détour.
— Pourquoi cela ? demanda-t-il...
— Le midi est le lieu de votre destin, répondirent les géomanciens ;
si le corbillard allait droit vers le midi, il heurterait votre fortune.,
ce qui serait néfaste...
— Comment, s’écria l’empereur avec larmes, vous faites
p.1458
faire des détours à mon père, à cause de moi ! Qu’on aille droit au
Sud !..
« Très bien ! dit Maître Hôu. Huân-tsoung, Sóu-tsoung, Tái-tsoung,
avaient cru fort et ferme aux deux principes, aux Koéi et Chênn. Ils
s’étaient guidés, dans toutes les affaires grandes et petites, par la
magie et la divination. Wâng-u et Lî-kan les menèrent par le bout
386
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
du nez... Têi-tsoung fut incrédule. Bravo !... Il fit les funérailles de
son père, au septième mois ; en cela il eut raison, car c’était la
règle. Il les fit quand tout fut prêt, sans jeter les sorts pour
déterminer le jour ; en cela il eut tort, car l’usage était de les
jeter... Voyez la conséquence avec eux-mêmes, de ces bons
Lettrés. Pour leur plaire, il faut être incrédule, mais paraître
superstitieux, quand l’usage le veut.
Aussitôt qu’il fut monté sur le trône, l’empereur nomma prince impérial
son fils Sông qu’il aimait.
@
387
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Têi-tsoung,
780 à 804.
@
Sous le règne précédent, tous les fonctionnaires avaient été tenus de faire
des cadeaux à l’empereur, au premier jour de l’an, au solstice d’hiver, le
cinquième jour du cinquième mois, au jour anniversaire de sa naissance,
Quand Têi-tsoung célébra son premier anniversaire, il refusa tous les
cadeaux, et abolit ces servitudes.
Le géomancien Sāng tao-mie fit savoir à l’empereur, que, sous peu
d’années, il lui faudrait quitter sa capitale, et que, d’après ses observations,
des émanations impériales s’élevant de la ville de Fóng-t’ien, c’est là qu’il
devrait se réfugier, quand le danger serait venu... L’empereur n’était pas
superstitieux. Il crut néanmoins tout ce que ce géomancien lui dit. C’est que,
en Chine, la géomancie n’est pas une superstition, mais une science officielle
reconnue (p. 989). L’empereur fit réparer les remparts de Fóng-t’ien. Il devra
un jour son salut à cette mesure.
Les Ouïgours, et bien d’autres Barbares qui se
p.1459
couvraient de ce nom
redouté (il y avait alors 4 mille familles étrangères établies dans la ville de
Tch’âng-nan, et 150 mille mercenaires étrangers incorporés dans les armées
de l’empire), causaient journellement de graves désordres. Lassé, l’empereur
signifia son congé à T’óu-tong l’ambassadeur ouïgour, et lui enjoignit de s’en
retourner chez lui avec toute son ambassade. Tchāng koang-cheng demanda
la permission de les occire, tout bonnement. L’empereur refusa. Alors Tchāng
koang-cheng chargea son aide de camp de se promener (sic) devant l’hôtel
des Ouïgours, c’est-à-dire de provoquer un conflit. Cet officier fit l’insolent.
T’óu-tong le fustigea. Tchāng koang-cheng accourut avec ses soldats,
massacra l’ambassadeur, la légation, et bon nombre d’autres Barbares.
L’Histoire a conservé, du recensement de cette année 780, les chiffres
suivants : Familles 3.085.076 (ce qui fait, au taux ordinaire, 17 à 18 millions
d’âmes ; comparez an 766, p. 1452). Soldats 768.000. Rendement de l’impôt
foncier
30.898.000
ligatures.
Rendement
21.570.000 boisseaux.
388
des
prestations
en
nature
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 781 mourut, presque nonagénaire, Koūo tzeu-i, le boulevard de
l’empire. Figure la plus digne de toute l’histoire de Chine, et mémoire
immaculée (p. 1354). Il eut tous les bonheurs, dit la tradition, et fut père, par
ses huit fils et ses sept beaux-fils, d’une postérité prodigieuse.
Dès qu’il fut mort, les rébellions éclatèrent. Les rebelles qui vont pulluler,
n’étaient pas des brigands vulgaires. C’étaient des gouverneurs, faits
héréditaires par les derniers empereurs, et qui, devenus trop puissants, vont
essayer le jeu que jouèrent les gouverneurs de la dynastie Soêi, jeu qui
procura le trône aux T’âng (p. 1299). Un certain T’iên-ue commença. Battu
sur la rivière Yuân, avec perte de 20 mille hommes tués, sans compter
p.1460
les noyés, il se réfugia dans sa place de Wéi-Tcheou (Tái-ming-fou). Là, pour
éprouver l’attachement de son peuple, il fit mine de se suicider. Le peuple l’en
empêcha. Tous se coupèrent les cheveux, en preuve de leur attachement
inviolable. T’iên-ue vida son trésor, et le distribua à ses soldats, Tchōu-t’ao
gouverneur du Chēnn-tcheou, fit comme T’iên-ue. Les deux prirent le titre de
rois.
Le grand mal de l’empire, à cette époque, c’était l’état lamentable des
finances, qui ne s’étaient jamais remises, depuis Nān lou-chan. Quand les
révoltes éclatèrent, il fallut lever des soldats. L’entretien de ces soldats, coûta
bientôt un million de ligatures par jour. Il devint évident que, dans peu de
mois, les caisses seraient à sec. Alors Wêi tou-pinn proposa à l’empereur de
plumer les gros marchands. On leur laisserait dix mille ligatures à chacun. Le
surplus de leur propriété, serait confisqué. L’empereur donna un décret dans
ce sens. Les officiers s’abattirent, comme une nuée de harpies, sur les
malheureux négociants, coupables d’être riches. Non seulement on leur prit
tout ce qu’ils avaient, mais on feignit de croire qu’ils avaient caché le
meilleur ; on les fustigea, on les tortura, pour leur faire livrer ce qu’ils
n’avaient pas ; bref ce fut grande liesse, parmi les mandarins et les
satellites ; quiconque connaît la Chine, comprendra ce que je veux dire.
Beaucoup de marchands se suicidèrent de désespoir. Tch’âng-nan fut
dévasté, ni plus ni moins que si des Barbares l’avaient mise à sac. Finalement
les
opérateurs,
liquidateurs,
voleurs,
389
versèrent
dans
les
caisses
du
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
gouvernement
environ
800
mille
ligatures.
Cette
somme
représente
évidemment l’excédent, qui ne trouva pas place dans leurs poches. On taxa
ensuite du quart, les revenus, les placements, le bétail, les tissus, les grains,
tout ce qui représentait quelque valeur. Aussitôt toutes les transactions
p.1461
cessèrent. Le peuple s’ameuta, et arrêta dans les rues le ministre Lôu-k’i, qui
dut prendre la fuite. En somme, le gouvernement obtint deux millions de
ligatures, et le peuple fut complètement dévalisé.
Cependant, après le meurtre de l’ambassadeur ouïgour et des gens de sa
suite (p. 1459), l’empereur avait chargé l’officier Yuân-hiou de reconduire
leurs os dans leur pays. Le khan envoya à la rencontre du convoi, son
ministre Kie-tzeu seu-kia. Celui-ci arrêta Yuân-hiou, le tint durant cinquante
jours à la porte de sa tente, exposé à la pluie et à la neige, menaçant à tout
moment de le faire mettre à mort. Enfin le khan envoya un député qui dit à
Yuân-hiou :
— Ma nation a demandé votre mort, pour venger celle de notre
ambassadeur assassiné chez vous. Moi j’ai pensé que, si je lavais
cette affaire dans votre sang, elle n’en deviendrait que plus sale.
J’ai donc préféré la laver à l’eau (en laissant l’ambassadeur chinois
exposé à la pluie durant cinquante jours). Retournez d’où vous êtes
venu !..
Yuân-hiou revint en Chine, sans avoir vu la face du khan.
En 783, rébellion de Lì hi-lie, dans les bassins du Hoâi et de la Hán. —
Cette révolte porta à l’extrême, la détresse du trésor impérial. Impossible de
s’en tirer désormais, avec les impôts et taxes ordinaires. Tcháo-tsan proposa
à l’empereur d’imposer premièrement les bâtiments. On adopta comme unité
le kién, c’est-à-dire la travée, l’espace entre deux poutres. Dans les bâtiments
de luxe, la travée paya deux mille pièces de monnaie ; dans les bâtiments
ordinaires, mille ; et cinq cent dans les maisons pauvres. Quiconque fraudait
en déclarant le nombre de kién de ses immeubles, recevait soixante coups de
bambou, et payait cinquante ligatures à celui qui l’avait dénoncé... En second
lieu, Tcháo-tsan fit imposer toutes les transactions. Dans
p.1462
toutes les
ventes, dans tous les achats le gouvernement percevait cinquante pièces de
390
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
monnaie, pour chaque ligature. Il y eut des taxes aussi pour les trocs.
Quiconque avait fait un marché clandestin, recevait soixante coups de
bambou, et payait dix ligatures à son délateur... Ces mesures causèrent un
mécontentement général.
L’empereur envoya dans la vallée de la Hán pour défendre Siāng-yang
contre Lì hi-lie, les troupes stationnées au nord de la Wéi, près de la Grande
Muraille. Au dixième mois, quand ces troupes passèrent à la capitale, elles se
mutinèrent. L’empereur dut fuir et se réfugier dans la forteresse de Fóng-t’ien
(p. 1458). Alors Tchōu-ts’eu se révolta (p. 1456), s’empara de la capitale, et
se proclama empereur de la dynastie Ts’înn.
Puis il marcha contre Fóng-t’ien, comptant y dénicher l’empereur, et
éteindre les T’âng. Arrivé devant cette ville, il démolit les pagodes des
environs, et en employa le bois à construire des machines de siège. A la
longue, la famine devint grande dans la ville. Des hommes se faisaient
descendre du rempart, dans des paniers, durant la nuit, pour récolter dans les
fossés des racines sauvages. L’empereur convoqua les officiers et leur dit :
— Ce n’est pas à vous qu’on en veut, mais à moi seul ; faut-il me
rendre pour vous sauver ?..
— Non, dirent les officiers, en se prosternant tous en larmes ;
et ils continuèrent à défendre bravement... Tchōu-ts’eu battait les remparts
avec des béliers. Il construisit des échelles de siège roulantes, si larges
qu’une colonne pouvait monter à l’assaut de front. Par des tunnels passant
sous leur rempart, les assiégés allèrent creuser à l’extérieur des fosses
couvertes, à demi pleines de paille. Quand les échelles roulèrent sur ces
fosses, elles tombèrent dedans, et le feu ayant été mis à la paille, elles
flambèrent debout. Une vive sortie des assiégés, fit reculer les
p.1463
bandes
de Tchōu-ts’eu découragées par cet échec. Lì hoai-koang qui arrivait avec
cinquante mille hommes de troupes, en profita pour se jeter dans la place,
aux cris de joie des assiégés, et au grand soulagement de l’empereur. Lì hoaikoang ayant ensuite battu Tchōu-ts’eu, celui-ci se retira à Tch’âng-nan.
391
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Le pauvre Têi-tsoung n’était pas au bout de ses peines. Dans les premiers
jours de l’an 784, son sauveur Lì hoai-koang se révolta à son tour.
L’empereur dut fuir jusque dans le pays de K’āi-fong-fou.
Quelques mois plus tard, Lì-cheng délogea Tchōu-ts’eu de Tch’âng-nan, et
le mit en fuite. Le fugitif fut assassiné par un lieutenant, qui présenta sa tête
pour acheter sa grâce. L’empereur rentra à Tch’âng-nan.
Le général Hoûnn-hien battit Lì hoai-koang, lequel se suicida.
Enfin, en 786, Lì hi-lie ayant été aussi assassiné par son lieutenant,
l’empire se reposa.
En 787, Hoûnn-hien dut s’occuper des Tibétains, qui envahissaient
l’Ouest, dans le dessein, sans doute, de renouveler le coup de main de l’an
763. Ils firent mine de vouloir traiter. Hoûnn-hien se rendit au lieu convenu,
vers les sources de la King. Les Tibétains l’y entourèrent. Il sauta sur un
cheval débridé, et galopa l’espace de dix lì, couché sur l’encolure de la bête,
s’efforçant de lui introduire le mors dans la bouche, ce qui lui réussit enfin.
Quand il arriva à son camp, il trouva que son armée, qui avait eu vent du
guet-apens, avait pris la fuite. Heureusement que des réserves arrivant par
derrière, arrêtèrent les Tibétains.
Les Ouïgours travaillés par des dissensions intestines, demandèrent à
épouser une infante chinoise. Elle leur fut promise. En 788, le khan envoya
pour la quérir, sa propre sœur, et les femmes de ses principaux ministres,
avec un brillant cortège.
— Jusqu’ici, fit-il dire à l’empereur, j’ai été votre
p.1464
frère ;
désormais je serai votre gendre, c’est-à-dire un demi-fils. Si jamais
les Tibétains se permettent de tracasser mon père, moi son fils je
les mettrai à l’ordre...
A cette occasion, les Ouïgours demandèrent, pour des motifs que l’Histoire
n’indique pas, qu’on changeât l’un des deux caractères par lesquels les
Chinois écrivaient leur nom. Désormais, au lieu de Hoei-keue, on écrivit Hoeikou.
Tant mieux
pour
eux,
s’ils
trouvèrent
prononciation, ou plus beau comme signification.
392
cela
plus
exact
comme
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 789, les Tibétains ayant tenté une nouvelle incursion en Chine, de fait
les Ouïgours dérouillèrent leurs sabres sur le dos de ces brigands. En 790, les
Tibétains firent des courses dans le Tarim. En 791, ils reparurent dans le
Ning-hia-fou (u), où les Ouïgours les sabrèrent encore, et envoyèrent ensuite
galamment à l’empereur un lot de prisonniers.
En 792, inondations terribles dans l’empire. Plus de quarante préfectures
furent noyées. Le gouvernement fit ce qu’il put, c’est-à-dire pas grand’chose,
pour consoler le peuple.
En 793, première mention du thé, parmi les objets taxés. Il venait du
Séu-tch’oan, et paya un dixième. de sa valeur.
En 794, au Sud-Ouest, le roi de Nân-tchiao battit les Tibétains, et profita
de cette occasion pour faire des compliments à l’empereur de Chine.
En 796, au jour de naissance de l’empereur, le service traditionnel
exécuté par des bonzes et des táo-cheu, fut remplacé, pour la première fois,
par une séance donnée par des Lettrés. L’orateur Wéi k’iu-meou plut
tellement à l’empereur, qu’il lui donna une charge peu de jours après.
En 797, au Tibet, mort du roi K’i-li-tsan. Son fils Tsou-tcheu-tsien lui
succède. Paix relative, par suite de ce changement, et aussi parce que le
calife Heue-lunn, Haroun-Al-Raschid l’ami de Charlemagne, attaquait les
Tibétains à revers, du côté du Pamir.
p.1465
En 798, le calife envoya à Tch’âng-nan, pour se concerter avec l’empereur
contre l’ennemi commun, trois ambassadeurs. Tous les trois se prosternèrent
(cf. p. 1397), dit l’Historien, en se rengorgeant. C’est tout ce qu’il a retenu de
cette ambassade.
En Chine, les eunuques redeviennent puissants et estimés.
En 799, la sécheresse désolant l’empire, on fit appel aux Maîtres
manichéens, que le Texte appelle typiquement Hommes des deux principes,
et on leur demanda d’user de leurs formules pour obtenir la pluie.
En 801, victoire des Chinois sur les Tibétains, dans le Séu-tch’oan actuel.
Ces brigands s’insinuaient par toutes les ouvertures.
393
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 804, le prince héritier fut atteint d’une névrose, Ce chagrin abrégea les
jours de l’empereur, qui mourut dans les premiers jours de l’an 805. Le
prince fut mis sur le trône, en attendant qu’on avisât.
@
394
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Choúnn-tsoung,
805.
@
Une bande de mignons de l’empereur Têi-tsoung, avait été longtemps la
terreur du peuple de la capitale. Pour s’amuser, ces gamins tendaient des
filets dans les rues, devant les portes des maisons, ou à l’orifice des puits,
sous prétexte de prendre les moineaux. Quiconque voulait passer son chemin,
entrer ou sortir de chez lui, ou puiser de l’eau, devait leur payer la peine qu’ils
se donnaient en déplaçant pour lui leurs filets. Ou bien ils battaient les
passants, sous prétexte qu’ils éloignaient les oiseaux. Ou bien encore, ils
allaient faire bombance dans un restaurant ; puis, au lieu de payer, battaient
le restaurateur, ou lui laissaient en gage un sac plein de serpents venimeux...
Choúnn-tsoung avait eu à souffrir d’eux, étant prince impérial. Quand il fut
empereur, il les supprima.
Ce fut son seul acte. Bientôt le pauvre malade fut incapable de gouverner.
Il nomma son fils prince
p.1466
impérial, puis lui confia le gouvernement, puis
abdiqua en sa faveur, après sept mois de règne. Le nouvel empereur portera
le nom de Hién-tsoung.
Un gouverneur du midi lui envoya aussitôt une tortue poilue, c’est-à-dire
dont l’écaille était couverte d’algues ou de mousses, ce qui est le présage de
longévité le plus faste possible. Hién-tsoung dit :
— Je n’estime que les Sages. Les curiosités végétales ou animales
ne me disent rien. Confucius n’a pas parlé une seule fois, dans sa
Chronique, des pronostics fastes. Qu’on ne me parle plus de choses
pareilles !..
L’Histoire relève et souligne ces paroles, parce que plus tard l’empereur Hiéntsoung parlera autrement.
En cette année mourut Kià-tan, le célèbre géographe, auteur de la
première carte de la Chine. Cette carte avait 33 pieds de large, et 30 pieds de
haut. Il l’établit sur un quadrillage régulier, en se basant sur les distances et
les directions. Elle marquait les lieux et les routes, depuis le Japon et la Corée
395
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
à l’Est jusque vers la Mer Caspienne, depuis la Mongolie au Nord jusqu’en
Cochinchine. L’œuvre de Kià-tan est perdue.
L’empereur Choúnn-tsoung mourut dans les premiers jour de l’an 806.
Japon... Durant le huitième siècle, imitant les bonzes chinois, les bonzes
japonais allaient en pèlerins au pays du Bouddhisme, jusque dans l’Inde
centrale. Toân tch’eng-cheu qui écrivait à la fin du siècle, affirme avoir
interviewé un bonze japonais revenu de l’Inde.
@
396
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Hién-tsoung,
806 à 820.
@
En 806, rébellion de Liôu p’i à Tch’êng-tou, Séu-tch’oan actuels réprimée
par Kāo tch’oung-wenn qui prend la ville. — Encore en 806, ambassade des
Ouïgours, laquelle eut ceci de particulier, que les ambassadeurs étaient des
Mouo-ni,
prêtres
manichéens.
La
nation
entière
des
Ouïgours
était
manichéenne. Des prêtres manichéens formaient le conseil du khan. Depuis
lors, ils vinrent à Tch’âng-nan chaque année, et profitaient de
p.1467
l’ambassade pour faire des transactions commerciales, dans lesquelles les
marchands chinois les dupaient comme il faut, dit l’Historien, avec un air de
satisfaction visible.
En 807, les Ouïgours demandèrent et obtinrent la permission d’élever
deux temples manichéens de plus (cf. p. 1455), l’un à Heûe-nan-fou du Heûenan, l’autre à T’ái-yuan-fou du Chān-si actuel. — La même année, au Chāntong, révolte de Lì-i, supprimée par Tchāng tzeu-leang.
En 808, la horde turque des Chā-t’ouo se donne à la Chine. Excellente
acquisition... Etablie tout à l’extrémité orientale de l’Altaï, au nord de Khami,
cette horde isolée avait conservé son indépendance, entre les Tibétains (Nânchan) et les Ouïgours (Orkhon). Parmi tous les Hôu, dit l’Histoire, les Chāt’ouo étaient les braves des braves. Ordinairement alliés aux Tibétains, ils
formaient l’avant-garde de leurs armées. En 808, les Ouïgours ayant attaqué
les
Tibétains,
sans
que
les
Chā-t’ouo
bougeassent,
les
Tibétains
soupçonnèrent ces derniers de s’être laissé gagner par leurs ennemis. Depuis
lors, tamponnés entre les Tibétains et les Ouïgours également hostiles, les
Chā-t’ouo ne purent plus tenir. Leur khan Tch’eu-i résolut de se donner à la
Chine, et se mit en route avec ses trente mille sujets. Les Tibétains le
harcelèrent durant toute sa marche. Il dut combattre jour par jour, et perdit
les deux tiers de son monde. Enfin il arriva sur territoire chinois, dans le Nînghia-fou, avec dix mille hommes, les restes de sa nation. Le gouverneur
chinois Fán hi-tch’ao les traita de son mieux, leur donna des pâturages,
encouragea leurs élevages, acheta leurs bœufs et leurs moutons, etc. Les
397
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Chā-t’ouo furent très contents. Désormais ils marchèrent en tête des armées
chinoises. Quand nous aurons de beaux coups de sabre à enregistrer, ce
seront presque toujours eux qui les auront donnés.
En 809, l’eunuque T’òu-t’ou tch’eng-ts’oei éleva
p.1468
une pagode pour la
Paix de l’empire. Devant la pagode, il fit élever un pavillon magnifique,
destiné à héberger une stèle dédiée aux vertus de l’empereur. Restait à
composer l’inscription de la stèle. L’empereur chargea le célèbre Li-kiang, du
soin de composer son panégyrique. Celui-ci lui dit :
— Ni Yâo, ni Choúnn, ni Ù, ni Tāng-wang, n’ont fait élever de stèle
à leurs vertus. Le premier qui fit la chose, fut Ts’înn cheu-hoang. Si
vous vous élevez une stèle, on trouvera que vous ressemblez, non
aux premiers, mais à ce dernier. D’ailleurs, que votre panégyrique
soit affiché dans une pagode, c’est une circonstance qui en détruira
l’effet...
Passant d’un extrême à l’autre, l’empereur ordonna de renverser même le
pavillon...
— Il est très solide, dit le pauvre eunuque...
— Qu’on y attelle autant de bœufs qu’il faudra, cria l’empereur en
colère...
Il fallut cent bœufs. Le pavillon s’écroula.
En 811, l’empereur parla des Immortels à Lì-fan, un autre lettré célébre.
Celui-ci répondit :
— Le Premier Empereur des Ts’înn, et l’empereur Où des Hán, se
sont jadis beaucoup préoccupés de cette question, et les historiens
les ont stigmatisés en conséquence. L’empereur T’ái-tsoung ayant
pris une drogue composée pour lui par un bonze hindou (?), en fit
une maladie. Ne sont-ce pas là des avertissements suffisamment
clairs ? Gardez-vous des imposteurs ! De bons principes bien
appliqués, voilà ce qu’il faut pour être un bon prince. Peu importe,
pour votre mémoire, que vous ne viviez pas aussi vieux que Yâo et
que Choùnn.
398
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Encore en 811, nouvelle application du principe de Confucius, qu’un fils ne
doit pas laisser vivre le meurtrier de son père ; nouvel embarras des légistes
chinois (p. 1414). Un certain Leâng-ue tua Ts’înn-kouo, l’assassin de son
père, puis se livra de lui-même aux autorités. Un décret
p.1469
impérial déféra
le cas au grand conseil, en ces termes :
« D’après les livres canoniques, un fils ne doit pas laisser vivre
sous le ciel l’ennemi de son père. D’après le code, quiconque a tué,
doit mourir. Il y a conflit. Qu’on délibère !
Hân-u dit :
— Le code traite des assassins, non des vengeurs de leurs pères.
Le cas présent n’est donc pas visé par le code. L’y insérer,
révolterait tous les fils pieux, et ruinerait la confiance due aux
enseignements des Anciens. D’un autre côté, si on laisse passer la
chose
trop
aisément,
bientôt
toute
sorte
d’assassinats
se
commettront sous prétexte de piété filiale. Il faut donc créer, pour
ce cas, une jurisprudence spéciale. Que, chaque fois qu’il se
présentera, il soit soustrait aux tribunaux ordinaires, et déféré au
grand conseil. Enquête faite, s’il conste d’un assassinat, le
coupable sera puni selon le code ; si le cas est vraiment celui de
Confucius, le code ne sera pas appliqué, et le conseil décidera
comme bon lui semblera...
Leâng-ue reçut la bastonnade, et fut exilé. Moyen terme.
La même année, le prince Hêng fut fait prince impérial. L’abondance fut
telle, que le grain tomba à deux pièces de monnaie le boisseau.
En 813, grandes inondations, excès du principe Yīnn. En conséquence,
l’empereur élimina du harem 200 voiturées (sic) de femmes.
En 815, recommencèrent les révoltes des gouverneurs héréditaires (p.
1459) de Jôu ning-fou, Koēi-tei-fou (Heûe-nan), Ts’īng-tcheou-fou (Chāntong), Tái-ming-fou et Tchéng-ting-fou (Heûe-pei), et autres lieux. Révolte de
Oû yuan-tsi dans le Heûe-nan, de Lì cheu-tao au Chān-tong. Incendie des
magasins impériaux de Heûe-yinn (K’āi-fong-fou). Tentatives d’assassinat de
ministres et hauts fonctionnaires, à la capitale même, par des émissaires de
399
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ces rebelles huppés. Tentative de pillage et d’incendie de Láo-yang. La mèche
fut vendue. On cerna les conjurés dans
p.1470
la ville. Il étaient en si grand
nombre et si bien armés, qu’ils firent trouée à travers la police impériale et
s’échappèrent. Les environs de Láo-yang n’étaient pas cultivés. C’étaient des
parcs de chasse s’étendant jusqu’aux montagnes, dans lesquels des bandes
dites Chān-p’eng faisaient leurs affaires. Ces braconniers avaient été achetés
par les rebelles. Les bonzes des pagodes éparses dans la montagne, leur
servaient de fournisseurs et de receleurs. Le préfet de Láo-yang Lù yuanying, déclara la guerre à toute cette engeance. Il soudoya à prix d’argent des
traîtres parmi les Chān-p’eng, lesquels l’avertirent de leurs réunions, et lui
permirent de les prendre au gîte. Il se trouva que l’agent principal de Lì cheutao, était le bonze Yuán-tsing, prieur de la bonzerie des gorges de I-k’ue (p.
1186). Quand l’autorité chinoise s’y met, elle n’y va pas de main morte.
Rasées ou non, quelques milliers de têtes y passèrent.
Oû yuan-tsi ayant été surpris, présenté aux Ancêtres, et décapité en 817 ;
puis Lì cheu-tao ayant eu le même sort en 819, une tranquillité relative
s’ensuivit.
Encore en 817, huit prêtres manichéens furent envoyés par le khan des
Ouïgours, pour traiter officieusement d’un mariage. On en parlait depuis
longtemps. Mais les dots des princesses mariées aux Barbares, coûtaient gros
aux empereurs. C’est pour cette dot, que les Barbares les épousaient, le plus
souvent. Or Hién-tsoung était décavé. Il calcula que la noce lui coûterait cinq
millions de ligatures au moins, Impossible ! Il fallait refuser, sans pouvoir dire
pourquoi, à cause de la face. Le bon Hién-tsoung s’avisa d’un prétexte
inconnu jusque-là, la disparité de culte. Les Ouïgours étaient manichéens. Sa
fille était, je ne sais pas quoi, mais enfin, elle n’était pas manichéenne. Donc,
impossibilité de contracter
p.1471
mariage. Édifiant et amusant.
En 818, Hoâng fou pouo devint ministre. Le nouveau ministre étant
taoïste, l’empereur le fut bientôt aussi. Il oublia que jadis (p. 1466) il n’avait
estimé que les Sages, et se mit à fréquenter les Magiciens. On lui en chercha,
par tout l’empire. Lì tao-kou lui envoya un certain ermite nommé Liòu-pi,
censé posséder la vraie recette de la drogue d’immortalité...
400
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Il me faut des herbes, dit l’artiste, qui ne poussent que sur les
monts T’iēn-t’ai...
Aussitôt l’empereur le nomma préfet du T’âi-tcheou. Jugez, si en Europe on
nommait un botaniste préfet, pour lui permettre d’herboriser plus à son
aise !.. Les censeurs dirent à l’empereur :
— Vous aimez les magiciens, c’est votre affaire ; mais ne les
nommez pas préfets, car ils feront mal les affaires du peuple...
— Après tout, dit l’empereur, qu’une préfecture pâtisse, pour que
moi je me porte bien, cela n’est pas exorbitant...
Cette énormité coupa la respiration à tous les remontrants.
@
# En 819, à sa dévotion pour le Taoïsme, l’empereur joignit la dévotion
pour le Buddhisme. Comme il lui restait aussi quelque peu de dévotion
confuciiste, l’amalgame, dans cette pauvre tête, fut complet. Des bonzes lui
ayant raconté qu’une phalange du Buddha, conservée dans le stupa de la
pagode Fā-menn à Fóng-siang (haute vallée de la Wéi), s’entr’ouvrait tous les
trente ans, que ce phénomène produisait chaque fois une année de paix et
d’abondance, et qu’il se renouvellerait en l’an prochain 820, l’empereur
ordonna qu’on lui apportât la relique. Elle séjourna trois jours dans l’intérieur
du palais, puis fut conduite processionnellement à toutes les pagodes, pour y
être vénérée. A cette occasion, les nobles, les officiers et le peuple, firent à
l’envi des largesses aux bonzes.
Hân-u trempa son pinceau, et déversa son indignation dans des écrits qui
l’ont rendu très célèbre...
« Le Buddhisme, dit-il, est une doctrine
p.1472
barbare. Depuis
Hoâng-ti jusqu’aux Tcheōu, les souverains ont vécu longtemps, le
peuple a coulé des jours paisibles ; et cependant alors c’était avant
le Buddha. C’est sous l’empereur Mîng des Hán, que le Buddhisme
s’introduisit. Les temps qui suivirent, furent des temps, non de
paix, mais de trouble. C’est surtout durant la période Nân-pei
tch’âo, que le Buddhisme se répandit. En particulier, l’empereur Où
des Leâng, lequel, en 48 ans de règne, se fit bonze trois fois, le
401
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
propagea avec ardeur. Il y gagna... quoi ?.. de mourir de faim et
de misère. Cela prouve que bien fol est quiconque honore le
Buddha, pour obtenir de lui le bonheur. Non, le Buddhisme ne
mérite aucune créance ! Le Buddha fut un Barbare, qui remplit mal
ses devoirs de sujet et de fils. Supposé que, ressuscité, il vint à
votre cour, c’est à peine s’il conviendrait que vous lui accordiez une
petite audience pour la forme, un repas et un habit, en ayant bien
soin de le faire reconduire ensuite jusqu’à la frontière, pour
l’empêcher de séduire le peuple. Et voilà que l’on revoit avec tant
d’honneur, non sa personne, mais un os décharné et puant de ce
vieux personnage. Je demande que les officiers reçoivent ordre de
le jeter à la rivière ou au feu, pour détruire cette occasion de
superstition, pour éclaircir les idées du peuple, et empêcher que les
générations suivantes ne soient séduites. Si le Buddha a vraiment
quelque pouvoir, qu’il se venge sur moi, je l’attends de pied
ferme !
Quand l’empereur eut lu ce factum, il entra dans une grande colère, et ne
parla de rien moins que d’envoyer l’auteur au supplice. Des amis haut placés
s’entremirent, dirent à l’empereur que Hán-u était il est vrai un peu fou, mais
très dévoué à sa personne ; qu’en parlant si mal, il avait cru bien faire ; qu’il
fallait user d’indulgence, pour ne pas fermer la bouche aux censeurs ; etc.
L’empereur se contenta donc d’envoyer
p.1473
Hân-u, nomme gouverneur,
dans le pays de Canton ; exil honorable.
Le Commentateur ajoute : Durant les guerres de Ts’înn contre les
Royaumes (p. 191 seq.), les sectateurs de Lào-tzeu et de Tchoāng-tzeu
commencèrent à faire la guerre aux Lettrés. Vers la fin des Hán, les
Buddhistes, encore peu nombreux, se joignirent aux Taoïstes, pour faire la
guerre au Confuciisme. Sous les Tsínn, puis sous les Sóng, les adeptes de ces
diverses sectes, devinrent de plus en plus nombreux et ardents. Peuple,
officiers, rois, empereurs, tout le monde y crut. Les petits demandaient à ces
religions le pardon de leurs péchés. Les grands se délectaient dans leurs
spéculations creuses. Seul Hân-u y vit la ruine du pays et la perversion du
peuple. Il fit ce qu’il put pour les combattre. Ses divers pamphlets contre les
sectes, la Doctrine Originelle et les autres, circulèrent par tout l’empire....
402
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
J’ajoute, et y ont circulé jusqu’à nos jours. Insérés dans toutes les collections
littéraires, dans le [] par exemple, ils sont connus de tous les Lettrés, lesquels
en tirent, depuis mille ans, leurs arguments contre le Buddhisme, et aussi
contre le Christianisme. L’empereur K’āng-hi les estimait tant, qu’il les
traduisit lui-même en langue mandchoue. Certaines tirades de Hân-u,
rappellent Démosthène et Cicéron. Ces pièces sont à connaître. En voici la
substance :
D’abord le texte intégral du réquisitoire de Hân-u, très écourté dans
l’Histoire….
Le Buddhisme est l’une des religions des peuples barbares. Elle
s’est répandue en Chine depuis l’époque des Heóu-Hán. L’antiquité
l’a ignorée... Jadis Hoâng-ti régna durant cent ans, et vécut 110
ans. Cháo-hao régna 80 ans, et en vécut cent. Tchoān-hu régna 79
ans, et en vécut 98. L’empereur K’ōu régna 70 ans, et en vécut
105. Yâo régna 98 ans, et en vécut 118. Choúnn et Ù moururent
centenaires. Au temps de ces personnages, l’empire était en paix,
le peuple était heureux, les hommes vivaient longtemps. Tout cela,
sans qu’ils connussent le Buddha... Plus tard, T’āng-wang des
Chāng vécut aussi plus de cent ans, son descendant T’ái-ou régna
75 ans, Où-ting en régna 59... Puis, Wênn-wang des Tcheōu vécut
97 ans, Où-wang 93 ans, Móu-wang régna 100 ans. Tout cela, sans
qu’ils connussent le Buddha. Donc, s’ils vécurent si vieux, ce ne fut
pas par la grâce du Buddha... Ce fut l’empereur Mîng des HeóuHán, qui fit connaître le
p.1474
Buddha en Chine. Pour sa peine, il
ne régna que 18 ans. Puis l’empire fut bouleversé, les dynasties se
renversèrent
les
unes
les
autres.
C’est
dans
ces
temps
malheureux, que le Buddhisme se propagea. Il est vrai que
l’empereur Où des Leâng, qui se fit bonze trois fois, régna 48 ans.
Il protégea les animaux, jusqu’à défendre d’en immoler aux
Ancêtres. Il ne faisait qu’un seul repas par jour, et ne mangeait
que des légumes et des fruits. Tout ce qu’il gagna, fut que, assiégé
par le rebelle Heôu-king, il mourut misérablement de faim. Alors on
connaissait
le
Buddha.
Constatez
vous-même
ce
que
cette
connaissance rapporta de bon à la Chine... Quand l’empereur Kāo-
403
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
tsou de la dynastie actuelle, eut recueilli la succession des Soêi il
délibéra s’il n’exterminerait pas le Buddhisme. Malheureusement
les ministres qui l’entouraient, hommes à l’esprit étroit, étaient peu
versés dans les traditions des Anciens. Hélas, le projet de
l’empereur fut abandonné. J’enrage, quand j’y pense... Et Vous,
Sire, perspicace, sage, lettré, brave ; prince comme on n’en a pas
vu depuis longtemps ; quand vous montâtes sur le trône, vous
commençâtes par interdire l’entrée de nouveaux sujets dans les
bonzeries et l’érection de nouvelles pagodes. Je me dis alors, voilà
que le projet de l’empereur Kāo-tsou va se réaliser, enfin !.. Hélas,
vos ordres n’ont pas été exécutés. Et maintenant qu’entends-je ?
Est-il possible que Vous ayez ordonné aux bonzes, de quérir
processionnellement à Fóng-siang un os du Buddha ? Quoique je
sois le plus stupide des hommes, je pense toutefois ne pas me
tromper, en supposant que Vous ne croyez pas aux fables de ces
gens-là.
C’est
j’imagine,
une
manière
de
manifester
votre
contentement de l’abondance qui a signalé cette année. C’est un
divertissement, un spectacle que Vous donnez au peuple. Car
enfin, sage et éclairé comme Vous êtes, comment pourriez-vous
croire à ces superstitions ?.. Mais, hélas, le peuple sot et borné,
facile à pervertir et difficile à éclairer, n’ira pas au fond des choses.
Quand il vous verra faire ce que Vous projetez, il croira que Vous
croyez au Buddha. Les rustres vont tous dire : Voyez le sage Fils
du Ciel, comme il sert le Buddha de tout son cœur ; et nous, son
petit peuple, nous ne nous y mettrions pas ?!. Tous vont se faire
brûler des moxas sur la tête, et s’useront les doigts à offrir de
l’encens. Ils vont jeter en foule leurs vêtements laïques, et
renoncer à leurs biens. Du matin au soir, les dévots vont affluer
aux bonzeries, y portant leur fortune, pour se racheter de dangers
imaginaires. Ils iront, si on ne les en empêche pas, jusqu’à se
taillader le corps et se mutiler, par dévotion... Malheur ! ces choses
ruinent nos mœurs, et nous rendent ridicules aux yeux des
étrangers. Car enfin, c’est un Barbare que nous honorons de la
sorte ; un homme qui n’a pas su parler notre langue, qui n’a pas su
s’habiller comme nous, qui n’a rien vu ni connu des enseignements
404
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
et des traditions de nos Sages, qui a méconnu ses devoirs de sujet
et de fils ? S’il vivait encore, cet homme ; s’il venait ici, comme
ambassadeur de son roi, vous devriez sans doute le recevoir, mais
tout juste, une petite fois ; puis, après les cérémonies strictement
indispensables, après lui avoir fait don d’une robe, vous devriez le
faire reconduire à la frontière sous bonne garde, pour lui ôter toute
possibilité d’infecter votre peuple. Voilà tout ce que Vous devriez
au Buddha, venu à votre cour vivant et accrédité. Et maintenant
que cet homme est mort depuis longtemps, vous laissez, sans
recommandation aucune, présenter à Votre Majesté un de ses os
décharnés, un morceau sale et néfaste de son cadavre, et Vous lui
donnez accès jusque dans votre palais !.. Confucius a dit :
Respectez les êtres transcendants, mais ne les approchez pas ;
tenez-vous à distance !.. Les Anciens se précautionnaient contre le
mauvais influx, chaque fois qu’ils approchaient d’un cadavre. Ils
s’entouraient à cet effet de sorciers, lesquels chassaient les
influences néfastes, à grands coups de rameaux de pêcher et de
verges en jonc. Vous, sans motif plausible, vous
p.1475
faites
apporter chez vous un os putride et infect, Vous en approchez,
sans aucune précaution, sans rameaux ni verges. Et les officiers,
les censeurs, ne Vous avertissent pas ! J’en rougis pour eux !.. Ah,
je Vous en prie, faites livrer cet os au bourreau, qu’il le jette à l’eau
ou au feu, pour en finir à jamais avec cette racine de malheur,
pour ouvrir les yeux du peuple, pour préserver les âges futurs de la
séduction et de l’erreur. Montrez à vos sujets, que le Sage pense et
agit autrement que le vulgaire. Si le Buddha l’apprend et peut
quelque chose, qu’il se venge sur moi, qui endosse bien volontiers
l’entière responsabilité de vos actes. J’en appelle au Souverain Ciel,
de la sincérité de cette protestation ; qu’il l’enregistre ? Oui, je me
dévoue de tout cœur, pour protéger l’empire contre la superstition
et la ruine.
@
Voici maintenant les passages principaux de la Doctrine Originelle, le chefd’œuvre de Hân-u.
405
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Aimer tous les hommes, voilà la Bonté. Faire ce qu’il sied de faire,
voilà la Convenance. Agir d’après ces deux principes, c’est marcher
dans la Voie. S’en tenir à son dictamen intérieur, au verdict de sa
conscience, sans se laisser influencer par les appréciations des
hommes, voilà la Conduite. La Bonté et la Convenance, sont des
principes généraux précis. Mais leur application dans le détail, est
sujette à des interprétations diverses. De là vient qu’on a défini des
Voies et des Conduites diverses. Lào-tzeu a rétréci les notions de la
Bonté et de la Convenance. Homme à l’horizon étroit, grenouille
tombée dans le puits pour laquelle le ciel est réduit à un tout petit
cercle, il a fait de la Bonté une bienfaisance mesquine, et de la
Convenance un quiétisme égoïste. De ces principes étriqués, il a
déduit une Voie et une Conduite, qui ne sont plus celles de nous
Lettrés. De là vient que son langage et celui de son école sont
équivoques, leurs termes ne signifiant plus ce qu’il signifient parmi
nous... A la fin des Tcheōu, après la mort de Confucius et la
destruction des livres, ce fut une grande débâcle. Le Taoïsme se
développa sous les Hán ; le Buddhisme se propagea à partir des
Tsínn ; les Lettrés même varièrent, influencés par Yâng-tzeu ou
Méi-tzeu, par Lào-tzeu ou par le Buddha. Puis les sectes exaltèrent
chacune sa propre doctrine, et démolirent celle des autres.
Chacune voulut accaparer Confucius. Il a été le disciple de notre
Maître, disaient les Taoïstes. Ce qu’il sut, il l’avait appris du
Buddha, criaient les Buddhistes. Cela se dit. Cela s’écrivit ! Faut-il
que les hommes aiment les fables, pour en avoir cru de cette
force !.. La constitution de l’État et de la famille, les règles qui
régissent l’État et la famille, c’est aux Sages que nous devons tout
cela. Et voici que ces gens-là disent : Renoncez à tout, quittez tout,
ne désirez que la pureté du cœur et l’extinction de tout souci. Or la
vraie culture du cœur consiste, les Sages l’ont dit, dans la direction
vers le but, de toutes les intentions. Appliquez ce principe unique à
l’individu, à la famille, à l’État, et tout sera parfait. Et voilà que ces
gens-là prêchent une culture du cœur égoïste, le mépris de tous les
liens, l’oubli de tous les soins. Ils nous apportent en preuve des
écrits barbares, par lesquels ils veulent remplacer ceux de nos
406
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Sages. C’est vouloir nous barbariser !.. Bonté et Convenance, voilà
nos règles à nous ! Elles sont développées tout au long dans nos
livres. Nous avons, nous, notre société, notre civilisation, notre
gouvernement, nos mœurs, nos usages, en tout conformes à nos
principes. Chez nous tout est rationnel et logique. Grâce à nos
principes si simples, nous vivons en paix, nous mourons à notre
heure, les Chênn du ciel agréent nos sacrifices, les Koéi des
défunts goûtent nos offrandes. Voilà ce que nous devons à notre
doctrine, à la Doctrine Originelle. Défendons-la donc !.. Je l’appelle
originelle, parce qu’elle date du commencement. Yâo la transmit à
Choúnn, Choúnn
p.1476
à Ù, Ù à T’āng-wang. Elle passa ensuite par
Wênn-Wang, Où-wang, et le Duc de Tcheōu, aux mains de
Confucius, lequel la transmit à Mencius. Là s’arrêta la transmission
magistrale directe. Après cela, elle tomba dans le domaine
commun. Pour l’avoir mal comprise, il y eut ensuite des hérétiques,
Sûnn k’ing, Yâng-hioung, et autres. Ah de grâce, empêchez que les
erreurs ne se multiplient ! Si Vous n’endiguez pas les sectes, le
cours de la doctrine des Sages va s’arrêter ; si Vous ne les
rembarrez pas, c’en est fait ! Faites des hommes de ces sectaires
(bonzes et táo-cheu), en les obligeant à vivre à la manière des
hommes. Condamnez au feu tous leurs livres. Dispersez les
personnes parmi le peuple. Ils auront ainsi l’occasion d’apprendre
la doctrine des Sages, et reviendront à des idées plus saines, à la
pratique de la piété filiale, de la vie familiale, de la Bonté et de la
Convenance.
Du même, lettre à Móng-kien, résumé...
Non ! le bonheur ne s’attire pas, le malheur ne s’évite pas, par la
prière des lèvres. Confucius a dit : Ma vie est ma prière ; c’est-àdire, je vis bien, et ne demande rien. Bien vivre, voilà la prière des
Sages. Celui qui vit bien, n’a lieu de craindre, ni le Ciel, ni les
hommes, ni sa propre conscience. Le bonheur et le malheur
suivent les bonnes ou les mauvaises actions. Alors quel besoin
avons-nous de ces religions barbares ? Pourquoi rejetterions-nous
les préceptes de nos Anciens Souverains ?.. Les Odes ne disent-
407
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
elles pas (p. 333) : Au bon prince, sa vertu attire tous les biens...
Et les Récits de Tsoùo : Il ne faut agir, ni par crainte d’un mal, ni
par amour d’un bien ; il faut bien agir, uniquement, pour bien
agir... Si le Buddha était l’arbitre du bonheur et du malheur, sans
doute il faudrait se précautionner de son côté ; mais, en vérité il
n’a absolument rien à y voir. Le Buddha ne fut qu’un homme. S’il
fut bon, il ne veut pas faire de mal à ceux qui marchent dans la
bonne voie. S’il fut mauvais, son corps étant réduit en cendres, son
âme étant devenue un koèi stupide, il ne peut pas faire de mal à
ceux qui marchent dans le bon chemin. D’ailleurs, à supposer qu’il
ait survécu et qu’il s’occupe des hommes, les Esprits du ciel et de
la terre étant justes et incorruptibles, ils ne le laisseront jamais
donner bonheur ou malheur à qui ne le mériterait pas. Donc tout
culte rendu au Buddha est vain, car le Buddha est impuissant...
Ah ! les superstitions ! gémissait Mencius ; elles font oublier la
doctrine des Sages ; pas étonnant alors que les mœurs, les rites, la
musique périclitent, et que les Barbares pressent l’empire ; nous
allons à la sauvagerie !... Mencius passa sa vie, à lutter contre les
novateurs. Après sa mort, les Ts’înn brûlèrent les livres et tuèrent
les lettrés. L’empire fut bouleversé de fond en comble. La doctrine
des Anciens fut oubliée durant un siècle entier. Puis on retrouva
quelques livres, on fit appel aux lettrés survivants. On récupéra
ainsi, à grand’peine, pas beaucoup, mais quelque chose ; quelques
miettes de la sagesse de Anciens. Puis ces restes précieux de
l’œuvre de Confucius, passèrent, de la main à la main, des Lettrés
d’alors, aux Lettrés de nos jours. Or la substance de cette sagesse
antique, c’est qu’il faut pratiquer la Bonté et la Convenance. Hélas,
ce qui a été sauvé est bien peu de chose, en comparaison de ce qui
a été perdu. Heureusement que la lettre de bien des textes ayant
péri, Mencius a du moins sauvé l’esprit du tout. Depuis lors,
combien les Lettrés ont travaillé et souffert pour rapiécer les trous
et guérir les plaies des lambeaux qui nous restent, pour sauver des
périls qui les menacèrent d’âge en âge ces feuillets vénérables ! Et
maintenant on voudrait que nous leur préférions les grimoires de
Lào-tzeu et du Buddha !... Holà ! ces deux hommes ont fait à
408
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
l’empire plus de mal, que les hérétiques Yâng-tzeu Méi-tzeu et tous
les autres. Quelque incapable que je sois, je
p.1477
ferai ce que je
pourrai, pour défendre contre ces intrus nos anciennes doctrines.
Dussé-je mourir pour cette cause, j’y consens de grand cœur. Ciel,
Terre, Chênn et Koèi, entendez-moi ! Aidez-moi à protéger la
Vérité contre l’Erreur !
Cependant Liòu-pi le botaniste, envoyé, en 818 comme préfet à T’âitcheou pour y cueillir des simples, ne trouva pas, paraît-il, ce qu’il cherchait.
Se doutant qu’après les plaisanteries on parlerait raison, il prit la fuite.
Rattrapé et envoyé prisonnier à la capitale, il fut acquitté, grâce à ses patrons
Hoâng-fou pouo et Lì tao-kou. Bien plus, l’empereur finit tout de même par
prendre une drogue préparée par cet artiste, laquelle lui mit les entrailles en
feu.
Alors P’êi-linn présenta le placet suivant :
« Ceux-là obtiennent tous les bonheurs, qui préservent le peuple
de ce qu’il craint, et lui procurent ce qu’il aime. Ce fut là la panacée
des Anciens, depuis Hoâng-ti jusqu’à Où-wang ; ils n’en connurent
pas d’autre. Or voilà qu’on vous présente un magicien après
l’autre. Ces gens-là ont-ils vu les Immortels ? Point du tout ! Ils
mentent, pour arriver au pouvoir et à la richesse. Ils profèrent de
grandes paroles, pour en imposer au vulgaire. Ne croyez pas à
leurs discours, et ne vous liez pas à leurs drogues ! On prend
médecine,
pour
guérir,
quand
on
est
malade.
Mais
il
est
déraisonnable de se droguer, alors qu’on est en bonne santé.
D’autant que les préparations alchimiques, en majeure partie
minérales, sont corrosives, vénéneuses, et brûlent les organes. Au
temps jadis, quand le prince devait prendre un médicament, ses
ministres devaient toujours le prendre avant lui, pour plus de
sûreté. Je demande que vos alchimistes soient drogués, un an
durant, avec les potions qu’ils vous préparent. Cette expérience in
anima vili montrera ce que vaut leur cuisine...
L’empereur se fâcha très fort, et dégrada P’êi-linn.
409
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Au premier mois de l’an 820, il mourut subitement. Les contemporains
accusèrent unanimement un certain
p.1478
Tch’ênn houng-tcheu de l’avoir
empoisonné. Son fils monta sur le trône, et devint l’empereur Móu-tsoung.
@
410
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Móu-tsoung,
821 à 824.
@
Le gouverneur Liôu-tsoung ayant tué son père et son frère aîné, était
hanté par des visions horribles. La crainte lui fit entretenir, dans son palais,
un grand nombre de bonzes qui priaient pour lui. Quand il fut devenu vieux,
ses craintes augmentèrent. Il demanda la permission de quitter sa charge,
pour se faire bonze lui-même. L’empereur lui accorda sa demande.
Nous avons dit que le khan des Ouïgours désirait épouser une princesse
T’âng, et que Hién-tsoung lui refusa sa fille (p. 1470). Quand Hién-tsoung fut
mort, son fils lui accorda sa sœur. Les fiançailles furent conclues en 821. Les
Tibétains, alors maîtres du Tarim, se préparèrent à enlever la mariée ou
plutôt la dot qui l’accompagnait. Les Ouïgours durent faire garder par dix
mille hommes la passe de Tourfan et par dix mille autres celle de Koutcha.
Cela fait, ils envoyèrent un brillant cortège, composé de ministres, grands
fonctionnaires, de princesses, de prêtres manichéens, 573 personnes en tout,
pour quérir leur jeune khatoun.
En l’an 824, l’empereur ingurgita un Elixir de Longue Vie, composé des
quintessences de divers métaux et minéraux. Un censeur le blâma.
L’empereur admira son style mais continua à se droguer, tant et si bien qu’il
tomba gravement malade, et dut remettre les rênes du gouvernement à son
fils le prince impérial. Les eunuques désiraient que l’impératrice Koūo (petitefille de Koūo tzeu-i) fût nommée Régente, afin de pouvoir tripoter à leur aise,
sous son couvert. Celle-ci refusa énergiquement de devenir un nouvelle Oùheou.
— Quoique le prince impérial soit jeune, dit-elle, s’il s’entoure de
sages ministres, il s’en tirera ; il ne convient pas qu’une femme
soit
p.1479
à la tête de l’empire de Yâo et de Choúnn.
Ce disant, elle déchira l’offre écrite qui lui avait été présentée. Son frère qui
était ministre, lui fit savoir que, si elle acceptait la régence, il la priait de
vouloir bien accepter préalablement sa démission et celle de tous ses parents.
L’Histoire insiste sur ces faits et sur ces paroles, parce que l’impératrice Koūo
411
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
fut plus tard suspectée d’autres sentiments. L’empereur Móu-tsoung mourut
durant la nuit qui suivit ces scènes, et le jeune prince impérial, qui s’appela
Kíng-tsoung, monta sur le trône. Il commença presque aussitôt à flâner, à
nocer, à jouer à la balle, à faire de la musique, et autres choses qu’on ne peut
pas raconter, dit l’Histoire... autant de crimes, durant la période du deuil.
Pour montrer où en étaient les T’âng, l’Histoire place ici un singulier
épisode, qui en dit, de fait, assez long. Trois mois après l’avènement du
nouvel empereur, le devin impérial Sōu huan-ming, dit à son ami le teinturier
du palais Tchāng-chao :
— Les sorts m’ont révélé que nous nous asseoirions sur le trône, et
y mangerions ensemble. L’empereur s’absente de jour et de nuit,
pour des parties de balle ou de chasse. C’est le moment de réaliser
la prédiction...
Le teinturier réunit donc une centaine d’hommes résolus, les cacha dans
des voitures chargées de plantes tinctoriales, et les introduisit dans le palais.
Les gardes ayant voulu visiter ses voitures, Tchāng-chao les tua. Les deux
compères pénétrèrent dans la salle du trône, s’assirent sur le siège impérial,
et se mirent à manger...
— Ça y est ! dit Tchāng-chao ...
— Oui, dit Sōu huan-ming, mais ça ne durera pas !..
Sur ce, ils essayèrent de battre en retraite. Les soldats qui avaient fini par
arriver des camps, les massacrèrent. Enfin l’empereur qui avait dû attendre
dehors, put rentrer dans son palais.
Le censeur Wèi tch’ou-heou lui tint
p.1480
un jour le discours suivant :
— Votre père a abrégé sa vie, par son ivrognerie et ses débauches.
Je ne l’ai pas repris, parce que Vous ayant déjà 15 ans, Il pouvait
disparaître sans trop grand dommage. Maintenant que Vous faites
comme lui, votre fils étant encore dans les langes, et Vous étant
par conséquent nécessaire, je ne puis me taire, et Vous avertis au
péril de ma vie...
L’empereur fit un cadeau à ce franc parleur.
@
L’empereur King-tsoung,
412
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
825 à 826.
@
Comme il continuait à s’encanailler et à courir la prétantaine, le censeur
Têi-u blâma son luxe, sa singularité, sa curiosité, son peu de goût pour les
vérités, ses liaisons vulgaires, enfin ses flâneries. Il dépensa son encre en
vain.
En 826, le táo-cheu Tcháo koei-tchenn parla à l’empereur des Immortels.
Celui-là eut plus de succès. Il recommanda un certain Tcheōu si-yuan, qui se
disait vieux de plusieurs siècles. L’empereur se fit aussitôt amener cet
individu, et le logea dans le palais.
L’alchimie ne lui fit pourtant pas négliger sa grande passion, le jeu de
balle. Il aimait aussi la boxe, la lutte, et faisait venir de partout, à grands
frais, les hercules les plus renommés. Enfin il inventa les chasses nocturnes
au renard. Il avait mauvais caractère, et faisait fustiger cruellement ses
eunuques, pour la moindre faute. Une nuit, étant rentré d’une chasse au
renard, il joua une partie de balle avec l’eunuque Liôu k’eue-ming, puis se mit
à boire avec l’officier Sōu tsouo-ming et 27 autres chenapans. Ivre et tout en
sueur, l’empereur se retira dans un cabinet, pour changer de vêtements. Les
lampes
s’éteignirent
(furent
éteintes).
L’eunuque
et
ses
compères
étranglèrent l’empereur dans l’obscurité, et mirent sur le trône son oncle Oú.
Au jour, quand ces faits furent connus, l’eunuque Wâng cheou-teng mit à
mort Liôu k’eue-ming et le prince Oú, puis,
p.1481
par décret vrai ou supposé
de l’impératrice douairière, il intronisa Hân, le frère de Kíng-tsoung. Celui-ci
pleura, conformément aux Rites, son impérial gamin de frère (mort à 18 ans),
et devint l’empereur Wênn-tsoung.
@
413
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Wênn-tsoung,
827 à 840.
@
Il commença bien, s’occupa de trier les fonctionnaires, etc. Les eunuques
étaient la source de tous les maux de la dynastie. Liôu-fenn les lui dénonça,
dans un placet virulent, inutilement d’ailleurs, l’empereur étant impuissant.
En 829, le roi du Nân-tchao ayant fait espionner la province du Séutch’oan, surprit Tch’êng-tou et s’empara de la ville extérieure.
En 831, l’empereur décida avec Sóng chenn-si la perte des eunuques.
Sóng chenn-si fit préfet de la capitale, un certain Wâng-fan, lequel devait
exécuter l’arrêt. Malheureusement Wâng-fan était peu discret. Il parla.
L’eunuque Wâng cheou-teng accusa Sóng chenn-si de méditer un coup d’État
contre l’empereur. Celui-ci crut, ou feignit de croire, exila Sóng chenn-si à
K’āi-tcheou, et laissa punir injustement une foule de gens, tous ceux qui lui
avaient offert de le délivrer des eunuques. Sóng chenn-si mourut à K’āitcheou.
En 833, l’empereur ressentit les premières atteintes de la névrose
héréditaire, épilepsie ou autre, qui désolait et crétinisait sa famille. Wâng
cheou-teng lui recommanda Tchéng-tchou. L’empereur se laissa droguer par
ce médicastre. L’effet fut, qu’il perdit ce qui lui restait de libre arbitre.
En 834, la sécheresse désolant l’empire, on chercha partout des artistes
capables de faire tomber la pluie. Lì tchoung-minn déposa la censure
suivante :
« Il ne pleut pas, parce que l’innocent Sóng chenn-si a été
injustement banni, parce que le misérable Tchéng-tchou abuse de
votre faveur. Coupez la tête à Tchéng-tchou, réhabilitez la
mémoire de Sóng chenn-si et le Ciel fera tomber
p.1482
sa pluie...
Ce placet n’ayant été suivi d’aucun effet, Lì tchoung-minn donna sa démission
sous prétexte de maladie, et rentra dans la vie privée.
En 835, la discorde se mit entre les eunuques et leurs créatures. Entrée
en scène de l’eunuque K’iôu cheu-leang, qui cherche à supplanter Wâng
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
cheou-teng. Lì-hunn et Tchéng-tchou font bande à part. Soudain, semé par
les eunuques, le bruit se répand dans la capitale, que Tchéng-tchou, devant
préparer une potion pour l’empereur, a besoin de cœurs et de foies de petits
enfants, et va faire des razzias en conséquence. Le peuple s’émeut, se
soulève. Tchéng-tchou soupçonne le préfet Yâng u-k’ing d’être l’auteur ou le
fauteur de ces rumeurs, Il l’accuse. L’empereur fait jeter le préfet en prison.
Puis Tchéng-tchou et Lì-hunn s’attaquent à l’eunuque Wâng cheou-teng que
l’empereur fait empoisonner. Enhardis par ces succès, Tchéng-tchou et Lìhunn trament un massacre général des eunuques. Ils manquent leur coup, et
sont eux-mêmes massacrés par K’iôu cheu-leang, qui devient à son tour
cornac de l’empereur. Réaction terrible des eunuques, contre les ministres et
les lettrés (cf. p. 763, la Pléiade). Plusieurs grands personnages, en
particulier le célèbre Wâng-ya, furent coupés en deux par le milieu du corps,
en plein marché, au pied d’un mât, devant tous les officiers convoqués pour
que ce spectacle les intimidât. Les corps de ces malheureux restèrent sans
sépulture, et leur familles furent exterminées.
En 836, le censeur Kou-tch’ou ts’oung-joung osa demander que la
sépulture fût donnée aux ossements de ces victimes. L’empereur accorda la
requête. Mais K’iôu cheu-leang l’ayant su, se dépêcha de ramasser les os, et
les fit jeter à la rivière.
Le censeur Lì-cheu insista à son tour, pour que la mémoire de Sóng
chenn-si fût réhabilitée. L’empereur éclata en sanglots, et dit :
— Je sais qu’il a été victime de trames iniques ! p.1483
et il lui fit restituer ses titres.
En 837, comète de huit toises de longueur. L’empereur interdit la
musique au palais, et se mit à la ration, tellement que ce qu’on servait jadis
sur sa table en un jour, suffit désormais pour dix jours.
Bien entendu les eunuques gardaient mémoire des censeurs qui osaient
parler contre eux. En 838, comme Lì-cheu se rendait au palais, on lui
décocha une flèche qui blessa son cheval ; l’animal prit le mors aux dents, et
l’emporta loin du danger. Une autre fois, comme il passait sous une porte, on
lui porta un coup de sabre ; ce fut encore le cheval qui écopa ; il y laissa sa
queue. Dans aucun des deux cas, on ne découvrit l’assassin. C’était
415
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
significatif. L’empereur était navré de se sentir l’esclave de cette clique. Un
jour, le pauvre homme demanda à Tcheōu-tch’eu :
— A qui ressemblé-je, des anciens empereurs ?..
— A Yâo et à Choúnn, répondit le courtisan...
— Dites plutôt à l’empereur Nàn des Tcheōu, et à l’empereur Hién
des Heóu-Hán, dit Wênn-tsoung...
— Du tout, dit Tcheōu-tch’eu ; ceux-là ont perdu leur empire ;
vous n’en êtes pas là...
— Ils ont été victimes de feudataires devenus puissants, dit
l’empereur ; et moi je suis victime d’esclaves devenus insolents ;
mon cas est pire que le leur.
Et ce disant, il pleurait, au point que ses larmes ruisselaient sur sa robe...
Tcheōu-tch’eu se prosterna, lui aussi tout en larmes. A dater de ce jour,
l’empereur ne donna plus aucune audience, et ne s’occupa plus des affaires.
En 839, recensement de la population ; 4.996.752 familles ; donc environ
28 à 30 millions d’âmes. Comparez page 1459.
En 840, l’empereur étant tombé gravement malade, l’eunuque K’iôu
cheu-leang nomma son frère Tch’ân prince héritier. Puis, l’empereur Wênntsoung étant mort, son frère monta sur le trône, et devint l’empereur Oùtsoung.
Ici, événement important. Un nouveau
p.1484
peuple, les Kirghiz,
débouchant de leur steppes (Carte XX, Z), envahissent la vallée de l’I-li (W),
les plaines de la Dzoungarie (L), l’Altaï, et vont faire aux Ouïgours (Tölös), ce
que ceux-ci avaient fait aux Turcs. Ils les brisèrent d’abord en Orientaux et
Occidentaux puis détruisirent les Ouïgours orientaux, Nous avons vu que, en
l’an 648, ils se mirent en rapport avec la Chine. Vers 758, 759, ces relations
furent interrompues par les Ouïgours, qui refoulèrent les Kirghiz vers l’Ouest,
pour un temps. A la longue, les Kirghiz parvinrent à s’enclaver, au bout de
l’Altaï, entre les Ouïgours de l’Orkhon, et les Tibétains des Nàn-chan. Ces
deux peuples les courtisèrent, afin de les gagner, à cause de leur bravoure
416
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
extraordinaire. Puis, le pouvoir des Ouïgours diminuant, le chef des Kirghiz Ajouo se donna le titre de khan. Durant plus de trente ans, les combats
continuels de ces deux races nomades, ensanglantèrent le steppe. Enfin, dans
une grande bataille, les Kirghiz tuèrent le khan ouïgour K’eûe-sa, et brisèrent
en deux ses hordes. Ils attaquèrent ensuite les Ouïgours orientaux de
l’Orkhon. Ce fut vite fini. Le khan Meng-mou-seu dut déguerpir de ce paradis
des nomades qui tomba aux mains des Kirghiz. Traînant avec lui les débris de
ses hordes, il vint, comme nous avons déjà vu venir les débris de tant de
peuples, camper devant la Grande Muraille, et demander du pain à l’empereur
de Chine. Il fut naturalisé en 842, et s’appela désormais Lì, comme tant de
bons bourgeois chinois. Encore une bulle de savon crevée !
Le P. Gaubil raconte que les Kirghiz comptaient le temps, au moyen d’un
cycle de douze animaux, Rat, Bœuf, Tigre, Lièvre, Dragon, Serpent, Cheval,
Bélier, Singe, Coq, Chien, Porc, et que c’est des Kirghiz que les Chinois
prirent, non le cycle duodénaire qu’ils possédaient inclus dans leur cycle
sexagénaire, mais la série de ces douze animaux, pour désigner les années
du cycle de douze ans. Les savants croient à une origine turque. En tout cas,
actuellement encore, ce cycle de douze animaux, sert de base à la
chronologie pratique des paysans chinois.
@
417
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Où-tsoung,
841 à 846.
@
p.1485
Il prit Lì tei-u pour ministre factotum.
Quand les Kirghiz avaient enlevé le douar du khan ouïgour K’eûe-sa, ils y
avaient pris la khatoun, sœur de l’empereur Móu-tsoung (p. 1478). Ils la
renvoyèrent à l’empereur Où-tsoung, avec une trop faible escorte. Les
Ouïgours
occidentaux
enlevèrent
la
petite
caravane
dans
le
désert,
massacrèrent les Kirghiz et retinrent la khatoun comme otage.
En 842, ne voyant pas revenir leurs envoyés, les Kirghiz en demandèrent
des nouvelles à Tch’âng-nan. C’est alors seulement que l’empereur apprit
l’enlèvement de la khatoun. En homme pratique, il commença par lui
envoyer, chez les Ouïgours, des habits d’hiver : c’était le plus pressé. En 843,
une armée suivit ces habits. Les Ouïgours battus, durent restituer la khatoun,
qui revint au pays.
De plus en plus gentils, les Kirghiz envoyèrent à l’empereur deux coursiers
de noble race. L’empereur fit fête à leur ambassadeur. Il songea, à cette
occasion, à reprendre pied dans le Tarim, complètement perdu pour la Chine
depuis l’an 751...
— C’est trop loin, dit le ministre Lì tei-u ; cela coûtera gros, et ne
rapportera rien ; ce serait une mauvaise spéculation...
L’empereur s’en tint là.
Avec la puissance des Ouïgours, finit aussi, dans la Chine proprement dite,
leur religion. Nous avons vu le Manichéisme déclaré, en 732, être une religion
mauvaise, tolérée seulement parce qu’elle était la religion des Ouïgours, dont
on avait besoin. Nous l’avons vu ensuite s’établir dans six des principales
villes de l’empire. Il fut supprimé tout d’un coup, brutalement, radicalement,
le jour où l’on n’eut plus à compter avec les Ouïgours. Il y avait alors en
Chine, dit Chōu yuan-u, (outre le Buddhisme) trois religions introduites par
diverses nations barbares, le Manichéisme, le Nestorianisme, le
p.1486
Zoroastrisme (Mazdéisme, Parsisme). En 843, un édit impérial ordonna la
418
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
destruction de tous les temples manichéens de l’empire, et proscrivit la secte.
A la capitale, 70 prêtresses manichéennes furent mises à mort ; celles qui se
trouvaient parmi les Ouïgours récemment soumis à la Chine, furent aussi
pourchassées, et les deux tiers environ périrent. Quant aux prêtres qui se
trouvaient chez les Ouïgours soumis, ou dans les deux capitales, on les
obligea à revêtir le costume chinois, c’est-à-dire qu’on les sécularisa. Les
livres et les images des Manichéens, furent saisis et brûlés aux carrefour des
rues. Enfin, conclusion substantielle de toutes les proscriptions religieuses en
Chine et ailleurs, leurs propriétés furent confisquées.
@
Le Manichéisme, inventé par le Chaldéen Mani (en grec Manès, en chinois)
Mouoni, Maoni, Mani) mort en 274 ou 275 de l’ère chrétienne, sortit du
Mazdéisme. Dans sa jeunesse, Mani fut esclave d’une riche veuve de
Ctésiphon, laquelle le fit instruire dans les sciences des Mages. Il commença
par s’adonner à la médecine, et se fit fort de guérir le fils du roi de Perse
Chahpour I (Sapor). Le prince mourut. Mani fut jeté en prison. Pour charmer
les loisirs de sa captivité, il lut les ouvrages de deux hérétiques orientaux,
Scythien et Térébinthe, qui avaient tenté d’amalgamer le dualisme mazdéen
avec le Christianisme, il lut aussi tout ou partie de la Bible. Mauvais médecin,
Mani fut un philosophe pire encore. Par manière de distraction, il composa un
système nouveau. Supprimant la divinité universelle et éternelle des
Zoroastriens, il fit les deux principes, le bien et le mal, incréés et éternels,
puis développa les conséquences imaginaires de ce dualisme, quant à
l’univers et aux êtres qui le remplissent. Il fit des âmes, des parcelles, des
étincelles émanées du bon principe, et par conséquent bonnes. La matière et
les corps étaient, selon lui, du mauvais principe, et par conséquent mauvais.
Les âmes sont enfermées dans les corps, comme dans une gangue impure,
dont la mort les délivre. Après la mort, les âmes des Manichéens, passant par
les planètes et le soleil (mazdéisme), sont finalement réabsorbées par le
principe bon, d’où elles étaient sorties. Les âmes des non-Manichéens,
passent dans les végétaux et les animaux (métempsycose). Conséquence
principale de ce système : La matière, la gangue, la chair étant mauvaise, le
mariage est mauvais, car il incorpore les âmes ; par contre la luxure stérile,
quelle qu’elle soit, est chose irréprochable... Vous pensez que le deuxième
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
principe va être : Délivrer les âmes, en tuant les corps, est une bonne œuvre,
Du tout ! La conséquence est logique, pourtant ; mais les inventeurs de
religions, sujets généralement névrosés toqués ou fous, n’ont cure d’être
logiques. Tuer une plante, un animal, un homme, était un péché. En user
ensuite, n’était pas péché. Avant de manger son pain, le Manichéen
maudissait l’Auteur de la matière, le laboureur, le meunier, le boulanger, puis
dégustait en toute sécurité. Les disciples de Mani étaient divisés en deux
classes : les Auditeurs, tenus
p.1487
à s’abstenir seulement de vin, de chair,
d’œufs, de laitage, de tout aliment de haut goût ; les Elus, tenus de pratiquer
l’abstention la plus rigoureuse de toutes les choses de ce monde, abstinence,
pauvreté, etc. Du Christianisme, Mani n’emprunta que le Paraclet, et les
douze Apôtres. Echappé de sa prison, il se donna pour le Paraclet promis
(comme fit depuis, en Chine, Hoûng siou-ts’uan, l’auteur de la rébellion des
T’ái-p’ing), et s’entoura de douze Maîtres. Réfugié sur le territoire de l’empire
romain, il y sema ses erreurs. Réfuté par Archélaüs évêque de Charcar ou
Cascar en Mésopotamie, dénoncé et poursuivi, il crut, Chahpour (Sapor) étant
mort, pouvoir rentrer impunément en Perse. Mais le roi Bahram (Varane) le fit
écorcher vif.
Absorbant partout les rôles du Gnosticisme, le manichéisme se répandit
rapidement en Syrie, en Égypte, en Afrique, jusqu’à Rome et en Espagne. Il
se répandit aussi dans l’Inde, dans l’Asie centrale et dans la Chine. A cause de
ses conséquences néfastes pour les mœurs, Dioclétien condamna les
Manichéens au feu. Durant plus de 200 ans, dans tout l’empire romain, l’exil
et les supplices furent inutilement employés contre eux. En 491, la mère
manichéenne
de
l’empereur
Anastase,
leur
procura
la
liberté.
Leur
propagande fut surtout active au sixième siècle, par suite du fait suivant. Le
Manichéen Mazdek d’Estakhar (Persépolis) ayant capté, vers l’an 500, la
confiance du roi de Perse Kobad (Cahad), devint premier ministre et fut toutpuissant durant près de trente ans. En vue de s’attacher les petits contre les
grands, il leur donna toute liberté d’embrasser le Manichéisme, et de le
pratiquer, avec toutes ses conséquences, y compris celles relatives au
mariage. Cet encouragement à la turpitude, fut naturellement du goût de la
populace, et la secte se répandit prodigieusement. Plus tard Khosrou I
(Chosroès), fils et successeur de Kobad, fit mettre à mort Mazdek, et
420
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
massacra 80 mille de ses adeptes, en 533. Cette réaction politique, dissémina
les Manichéens persans dans tous les pays d’alentour...
En 841, l’impératrice Théodora leur déclara la guerre, et en fit massacrer
cent mille, dit-on, dans les provinces orientales de l’Empire. Tout ce qu’elle y
gagna, fut qu’ils se révoltèrent, s’allièrent aux Arabes, et devinrent une
puissance contre laquelle il fallut guerroyer. Vaincus enfin, ils se réfugièrent
en Bulgarie vers la fin du 9e siècle ; puis, au 10e siècle, en Dalmatie (Trau),
d’où ils passèrent, au 11e siècle, en Lombardie (Monteforte), puis en France,
en Allemagne et en Angleterre. Combattus partout ailleurs, ils pullulèrent, au
12e siècle, dans le Languedoc et la Provence, pays alors autonomes, où Albi
devint leur Jérusalem, d’où le nom d’Albigeois. Ils s’appelèrent aussi
Petrobrusiens, Henriciens, Poplicains, Cathares, etc. Au 13e siècle, plusieurs
conciles, une croisade, le fer et le feu, n’en vinrent pas à bout. Au 14e siècle,
les Templiers furent suspectés de Manichéisme. La secte disparut, du 14e au
15e siècle, après avoir légué aux Wiclefites et aux Hussites, ses conclusions
contre le dogme chrétien.
Dans l’Asie centrale, toute la nation des Ouïgours fut manichéenne au 9e
siècle. Mais le Manichéisme s’était implanté dans ces pays beaucoup plus tôt,
probablement après la réaction de Khosrou. Une découverte récente vient de
donner du corps à cette hypothèse. Mr le prof. Grünwedel ayant rapporté de
Tourfan un ancien palimpseste buddhique, et Mr le Dr Müller de Berlin ayant
reconstitué l’écriture effacée de ce document, il s’est trouvé que le texte
primitif était un original manichéen, écrit, pensent ces savants, au 5e ou au 6e
siècle.
En Chine, nous avons constaté la venue d’un Manichéen, en l’an 694 (p.
1383) ; il se peut que ses congénères y aient pénétré beaucoup plus tôt. Le
système dualiste chinois était, pour les Manichéens, un terrain favorable. Ils
furent proscrits officiellement en 843 ; (p. 1486). Il semble bien pourtant,
que l’espèce ne s’éteignit pas dans l’empire. Les Manichéens sont nommés, à
propos d’une insurrection à Tch’ênn-tcheou du Heûe-nan, en 920. L’histoire
des Sóng les signale à Tourfan, en 981-984. Entre 1150 et 1200, Hoûng-mai
nous apprend que des sectaires végétariens et magiciens, vivaient en nombre
sur les Trois Montagnes (rive droite du Fleuve en amont de Nankin, pays alors
farci d’étrangers). Ils s’appelaient Doctrine Lumineuse. Ils appelaient leur
421
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Buddha Mouo-mouoni. De leur livres sacrés, le premier était le Livre des Deux
Principes ; le second était le Livre des Trois Époques. Les Deux Principes, dit
le Texte, sont la Lumière et les Ténèbres. Les Trois Epoques sont le Passé, le
Futur, le Présent... Ils prétendaient que le poète Pâi kiu-i (9e siècle) avait
chanté ; la Voie des Manichéens est admirable,
les Deux Principes agissent
avec mystère... Leurs principales pratiques étaient de ne faire qu’un repas par
jour à midi, d’enterrer les morts tout nus, et d’observer certains rites dans
sept circonstances (voyez plus bas)... A la même époque Lóu-you nous
apprend que la Doctrine Lumineuse était en grande vogue au Fou-kien, que
cette secte était ancienne, et connue sous ce nom dès le 10e siècle... Un peu
plus tard, vers 1240, le bonze Tsoūng-kien nous apprend que les Manichéens
prêchent encore leurs erreurs au pays des Trois Montagnes... Je pense donc
que, après leur proscription, les Manichéens chinois se seront donné le nom
nouveau de Doctrine Lumineuse, et un certain air de Buddhisme, pour se
dissimuler. Ils firent de Mani un Buddha, et l’appelèrent Mouo Mani, nom qui,
interprété selon le sens, signifiait pour eux Mani le Dernier, Manès le
Paraclet ; tandis que, interprété selon le son, il signifiait pour les Buddhistes
le dernier Mani (Mouoni, Mani, le Joyau, la Perle), c’est-à-dire le dernier
Buddha. Pour l’historien, le dogme des Deux Principes identifie assez
clairement la Doctrine Lumineuse avec le Manichéisme, et la différencie
nettement du Buddhisme. Pour les contemporains ferrés en dogmatique
(chose rare en Chine), il dut en être de même. Voilà pourquoi Tsoūng-kien,
savant et hostile, appelle les Manichéens de leur vrai nom, Mani, dans sa
méchante phrase. Il est probable, très probable même, que les Végétariens
chinois modernes, dont nous parlerons sous la dynastie Yuân, descendent des
Manichéens.
Il me reste à expliquer ici les quatre préceptes manichéens, cités à la
page 1383, an 694. Le premier, prohibition du mariage, a été expliqué plus
haut. Le second a toujours été mal interprété jusqu’ici ; voici sa vraie
signification... Les Zoroastriens gardaient un silence absolu, religieux, rituel,
dans sept circonstances de la vie ; quand ils priaient Ormuzd ; quand ils
vénéraient le feu ; quand ils se baignaient (purification) ; enfin quand ils
mettaient en jeu leurs puissances naturelles considérées comme des dons de
la
divinité...
absorption
(manducation)...
422
deux
excrétions
(miction
et
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
défécation)... génération (coït)... Les Manichéens condamnant le mariage
comme une coopération avec le Principe du mal, et ne pratiquant le coït que
comme un acte bestial dont l’intention d’engendrer devait être exclue, ils
renforcèrent la prescription du silence absolu durant cet acte, afin qu’aucune
parole exprimant un consentement mutuel, une volonté générative, n’en fit,
par accident, un acte mauvais. Sit venia verbis !.. Quant aux deux derniers
préceptes,
les
médicaments
sont
mauvais,
parce
qu’ils
entravent
la
destruction, phénomène naturel ; les morts sont enterrés nus, afin que les
agents naturels aient prise directe sur le cadavre. — Voyez HCO page 534.
p.1489
An 844. L’empereur Où-tsoung était taoïste. Il donna sa confiance à
Tcháo koei-tchenn que nous connaissons ; celui qui, en 826, avait endoctriné
l’empereur Kíng-tsoung. Le ministre Lì tei-u fut mécontent, plutôt par jalousie
peut-être, que par amour de l’orthodoxie.
— Soyez tranquille, lui dit l’empereur, je cause avec Tcháo koeitchenn, uniquement pour me distraire. Croyez bien que je ne
traiterai d’affaires qu’avec vous seul. D’ailleurs ma tête est solide ;
cent Tcháo koei-tchenn ne m’influenceraient pas !
— Hélas,
soupire
Maître
Hôu,
les
trois
Ecoles
sont
mal
dénommées, mais c’est le Taoïsme qui est le plus mal défini. Les
Lettrés se sont appelés ainsi, parce qu’ils étudient les livres. Les
Buddhistes, parce qu’ils tendent à l’abstraction. Les Taoïstes, parce
qu’ils prétendent que leur doctrine est l’expression du sens
commun universel, la Voie Commune. Or cela est faux. La Vraie
Voie (cf. p. 1475), a été enseignée aux hommes par Yâo, Choúnn,
Wênn-wang et Confucius. La doctrine de Lào-tzeu est séparatiste
et égoïste. Depuis les Hán, elle a complètement dégénéré.
Maintenant ceux qui cherchent à voler dans les airs, à se
métamorphoser, les magiciens, les alchimistes, se disent tous
taoïstes. Toutes les formules et cérémonies superstitieuses, tous
les racontars fabuleux sur les enfers et les démons, tout cela vient
de cette secte abominable...
Lì tei-u n’eut aucun succès.
423
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Devenus absolument maîtres de l’empereur, ses amis les Taoïstes lui
firent porter au Buddhisme, en 845, le coup le plus terrible qu’il ait jamais
reçu en Chine. Le même coup extermina le Nestorianisme et le Zoroastrisme.
Voici les documents relatifs à cette célèbre affaire... D’abord le texte de
l’Histoire (résumé de Sēu-ma koang) : An 845. Mécontent de ce que les
bonzes et les bonzesses dévoraient l’empire, l’empereur résolut de s’en
défaire. C’est le
p.1490
táo-cheu Tcháo koei-tchen et ses amis, qui le
poussèrent à cet acte. L’empereur commença par faire détruire toutes les
petites bonzeries éparses dans les montagnes et les campagnes. Ensuite, par
décret, il ordonna que, à Tchâng-nan et à Láo-yang, on laisserait une seule
pagode, avec trente bonzes au plus. Que dans les villes ou gros bourgs, on
laisserait aussi une seule pagode. Que ces petites pagode de la province,
divisées en trois catégories, pourraient héberger un nombre de bonzes
proportionné (inférieur à trente). Que tous les autres bonzes, que toutes les
bonzesses, retourneraient au siècle, obligatoirement. Que, sauf les pagodes
tolérées, toutes les autres seraient démolies, dans un délai déterminé. Des
délégués impériaux furent envoyés partout de la capitale pour présider, au
nom de l’empereur, à l’exécution de cet édit. Terres et biens, tout devait être
confisqué au profit du fisc. Les biens devaient être appliqués au service des
postes. Le bronze des statues et des cloches, devait être converti en
sapèques. On détruisit donc dans tout l’empire, plus de 4600 grandes
bonzeries et pagodes. Les pagodins ruraux supprimés auparavant, s’élevèrent
à plus de 40 mille. Les sécularisés, bonzes et bonzesses, furent au nombre de
260.500 personnes. Les bonnes terres confisquées, se chiffrèrent par milliers
de myriades de k’ing. Les serfs et esclaves confisqués, furent au nombre de
150 mille... Comme il arrive toujours en Chine, en temps de persécution,
certains fonctionnaires firent plus qu’on ne leur demandait, et massacrèrent
les bonzes. Ainsi ceux de la célèbre pagode Où-t’ai-chan (Chān-si), ayant
émigré vers le Leâo-tong et la Corée, le gouverneur Tchāng-tchoung-ou du
Yoùng-p’ing-fou actuel, ordonna aux gardes des barrières de les décapiter, au
fur et à mesure qu’ils passeraient.
p.1491
Aucun autre document ne nous permet de contrôler l’exactitude des
chiffres donnés dans ce Texte. Le P. Havret a remarqué, avec raison ce me
semble, que mille myriades de k’ing (le k’ing vaut cent acres chinoises, soit
424
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
plus de 600 ares) représentant une superficie plus grande que celle de la
France, attribuer aux bonzeries la propriété de plusieurs milliers de myriades
de k’ing, est une assertion suspecte d’exagération. Plusieurs milliers de
myriades, est un de ces clichés littéraires, une de ces locutions toutes faites,
qui ne coûtent pas, à écrire, plus d’encre qu’un chiffre moindre. Manière de
parler poétique, pas arithmétique.
Voici maintenant le texte, probablement original, de l’édit de proscription,
conservé dans le recueil [], chap. 29. C’est l’empereur lui-même qui parle :
« Que je sache, au temps des Trois Dynasties (Hiá, Chāng-Yīnn,
Tcheōu), le nom du Buddha était inconnu. C’est depuis les Hán et
les Wéi, que les images et les livres buddhiques, se sont introduits
en Chine. Dans ces derniers temps, virus pénétrant, herbe
traçante, cette superstition s’est propagée, au point de supplanter
nos coutumes nationales, et de pervertir les mœurs de nos sujets.
Dans les provinces, dans les villes, dans les deux capitales, jusque
dans le palais, les disciples des bonzes se multiplient chaque jour.
Les temples buddhiques sont chaque jour plus fréquentés. Le
peuple épuise ses forces pour construire ces temples, et ses
ressources pour les orner. Bien plus, des hommes désertent le
service de leur prince et de leurs parents, pour y servir un bonze ;
des hommes quittent la société de leur épouse, pour y embrasser
le célibat selon la loi. Vraiment, jamais rien n’a été aussi contraire
aux lois de cet empire et au bien de ses citoyens, que cette
religion. Car enfin, dès qu’un homme néglige la culture des
champs, la faim se fait sentir ; dès qu’une femme néglige l’élevage
des vers à soie, le froid fait souffrir. Et voilà que, innombrables, les
bonzes et les bonzesses, non seulement ne travaillent pas, mais
mangent et s’habillent aux frais des autres. Leurs pagodes et
bonzeries,
en
nombre
incroyable,
splendides, éclipsant les palais.
p.1492
s’élèvent
majestueuses
et
Ce sont ces gens-là, qui ont
ruiné la fortune et les mœurs des dynasties Tsínn Sóng Ts’î et
Leâng. Les deux premiers empereurs de notre dynastie, Kāo-tsou
et T’ái-tsoung, ont pacifié le pays par les armes, puis l’ont
morigéné par l’enseignement. Les armes et l’enseignement, voilà
425
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
les deux moyens nécessaires et suffisants, pour gouverner la
Chine. A quel titre une vile doctrine venue de l’Occident, nous en
imposerait-elle ? A deux reprises, les empereurs T’ái-tsoung et
Huân-tsoung sévirent contre elle ; mais ils ne l’exterminèrent pas,
et le mal continue. Moi donc, ayant lu tout ce qui a été écrit jadis
sur ce sujet, et ayant consulté les conseillers actuels du trône, j’ai
résolu fermement d’en finir une fois pour toutes. Tous les ministres
et gouverneurs sont de mon avis et me pressent, disant qu’il faut
agir, qu’il faut restaurer les institutions des Anciens, et rendre ses
biens au Peuple. J’agirai donc !.. Que 4600 grandes pagodes et
bonzeries soient démolies ! Que 260.500 bonzes et bonzesses
soient sécularisés, et portés sur le rôle des contribuables ! Que 40
mille
pagodins
ruraux,
répandus
dans
tout
l’empire,
soient
détruits ! Que les milliers de myriades de k’ing d’excellentes terres,
que toutes ces pagodes possèdent, soient confisqués ! Que leurs
150 mille esclaves soient affranchis, et couchés sur le rôle des
contribuables. Quant aux Bonzes et Bonzesses (buddhistes) venus
de l’étranger, qui ont habité la Chine comme hôtes, et y ont prêché
leur doctrine exotique ; quant aux Nestoriens (étrangers), et aux
Moghbeds (Zoroastriens étrangers), au total, ces gens-là sont au
nombre de plus de trois mille. J’ordonne qu’ils soient tous
sécularisés, et ne s’avisent plus d’amalgamer leurs coutumes, avec
celles de la Chine. Si l’on badinait avec eux, nos anciennes
traditions tomberaient en désuétude. La tolérance n’a duré que
trop longtemps. Maintenant qu’on
trouver
cette
mesure
p.1493
intempestive
en finisse ! Qui oserait
ou
inopportune ?
Ces
vagabonds fainéants se chiffrent par dizaines de myriades, et les
biens dont ils abusent valent des millions ! Que désormais ces
prédicateurs du quiétisme et du farniente, vivent comme le
commun des mortels, et que les Têtes Noires (le peuple) de tout
l’empire, se conforment aux lois de leur Souverain. J’ai donné cet
édit, pour extirper un abus. Qu’on accomplisse ma volonté !
Nota : Il n’est pas question, dans l’édit de l’an 845, des Manichéens,
exécutés en 843.
426
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Le chapitre 42 nous apprend qu’il faut décomposer les trois mille
étrangers sécularisés, comme suit : 1000 Bonzes et Bonzesses buddhistes,
originaires du Tarim ou de l’Inde ; 2000 Nestoriens et Mazdéens.
Voici les variantes instructives et intéressantes, recueillies dans divers
livres chinois, qui n’ont cité, de l’édit de proscription, que le sens, non la
lettre :
Furent sécularisés, Bonzes et Bonzesses buddhistes 260.500 personnes,
Bonzes nestoriens et Bonzes mages adorateurs de Hiēn (p. 1347) 2000
personnes... Tous les Bonzes et Bonzesses buddhistes qui ne trouvèrent pas
place dans les pagodes autorisées, plus les Bonzes nestoriens, et les Bonzes
mages adorateurs de Hiēn, furent tous sécularisés de force... Les Nestoriens,
les Mages adorateurs du feu et de Hiēn, et autres, 2000 personnes en tout,
furent tous sécularisés de force... Les Nestoriens, les Mages, et autres
sectaires, furent tous sécularisés de force. Les étrangers qui se trouvaient
parmi eux, retournèrent dans leurs pays... Cette dernière particularité ne se
trouve que dans un sommaire de l’édit, publié en 1557 par [] qui l’a
probablement inventée.
Le Zoroastrisme disparut dans cette bagarre. Cela devait être. Cette
religion
ne
pouvait
pas
prospérer
en
Chine.
Le
seul
fait
du
non-
ensevelissement des cadavres, la rendait impossible dans le pays du culte des
morts.
Le
Nestorianisme
disparut
aussi.
Cela
devait
être.
Comment
ce
Christianisme sans vrai Christ, sans véritable Rédemption, aurait-il fait des
prosélytes ? Si les Nestoriens prêchèrent le dieu Un et Trine doctrine nouvelle
du Trois Un Pur Souffle Sans Paroles, d’une manière approximativement
orthodoxe, il faut convenir que leur énoncé fut extrêmement obscur. Leur
annonce
de
l’incarnation,
fut
dogmatiquement
et
linguistiquement
défectueuse. La Vierge a mis au monde le Chéng (titre de Confucius, et de
bien d’autres : un Sage, tout au plus un Saint) dans le pays de Tá-Ts’inn. Ils
n’affirmèrent pas la divinité du fils de la Vierge, parce qu’ils ne la croyaient
pas. Quant à la Rédemption, ils l’escamotèrent, tout bonnement. Après avoir
raconté que le Chéng expliqua les trois vertus (terme taoïste), inaugura la vie
et éteignit la mort, la Stèle de Sinanfou enseigne que, en plein midi il monta
427
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Immortel (terme taoïste). C’est tout. Les Nestoriens turent la Passion, et
turent le Crucifié, qui n’était pour eux que
p.1494
l’homme né de Marie. Par
conséquent, ils n’évangélisèrent pas la Chine, ne lui annoncèrent pas le Salut,
ne lui procurèrent pas la Grâce. Branche morte de l’arbre de vie, ils furent
retranchés à leur heure, et ne méritent pas d’être pleurés. Une seule religion
a reçu les promesses, de la durée jusqu’à la fin des temps, de la vie
éternelle ; la religion du Christ-Dieu, la religion de la Croix. Celle-là ne meurt
pas. Ses rameaux brisés par les tempêtes du siècle, repoussent, repullulent.
Son franc parler est compris de toutes les nations, parce que c’est un langage
de la commune patrie des âmes. Elle se propage dans tous les lieux, parce
que Dieu a des élus partout ; parce que la force qui lui soumet les
intelligences et qui lui gagne les cœurs, n’est pas d’Elle, mais de Dieu.
Après avoir si bien déblayé le terrain au Taoïsme, l’empereur appela à la
capitale le célébre ermite Liôu huan-tsing, et le nomma Maître du Culte de
l’Abstrus. Il en fut pour ses frais, Le digne vieux en eut vite assez de la cour,
et retourna à ses montagnes. Ici l’Historien se permet de rire. L’empereur
supprima le Buddhisme, dit-il, parce que le Buddhisme est une superstition.
Puis il favorisa
le Taoïsme,
lequel l’est
tout
autant. Pourquoi cette
inconséquence ? Parce que Où-tsoung voulait vivre toujours. Il croyait à
l’Elixir de Longue Vie, et espérait que les Taoïstes le lui procureraient. Voilà la
racine de sa folie.
De fait l’empereur tâta de la fameuse drogue. Le résultat fut, qu’il devint
extrêmement nerveux et irascible. Il maltraitait tout le monde. Un jour qu’il
conférait avec le ministre Lì tei-u sur les affaires, celui-ci lui dit :
— Vous faites trop peur aux gens ! Puisque l’État est en paix, soyez
bon et affable ! Que les méchants ne puissent pas se plaindre !
Que les bons n’aient pas à craindre ! Alors tout ira bien !
L’empereur
finit
par
sentir
qu’il
dépérissait.
Les
charlatans
qui
l’entouraient, lui firent croire que ce qu’il ressentait n’était pas une maladie,
mais la transformation de ses os. Bon signe ! Il commençait à devenir Génie !
Vers la fin de l’année, l’empereur se trouva si faible, qu’il fallut supprimer
les solennités du jour de l’an.
428
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Au commencement de l’année 846, il perdit l’usage de la parole. De leur
propre autorité, les eunuques créèrent prince
p.1495
impérial son oncle Chênn.
Au troisième mois, l’empereur mourut. Le prince Chênn monta sur le trône, et
devint l’empereur Suān-tsoung. Le premier soin du nouveau Souverain, fut de
défaire ce que son prédécesseur avait fait contre les Buddhistes. Il coupa la
tête à Tcháo koei-tchenn l’instigateur de la persécution, permit de multiplier
les pagodes, autorisa à entrer dans les bonzeries. Tout cela moins d’un an
après la grande bourrasque. Ce peu de temps avait pourtant suffi, pour
exécuter l’édit de proscription à la lettre. On s’était dépêché, parce qu’il y
avait à prendre. Malgré cela, très vivace, le Buddhisme se releva de suite.
Recensement de l’an 845 : familles 4.955.151, soit approximativement 30
à 32 millions d’âmes. Comparez page 1483.
@
429
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Suān-tsoung,
847 à 859.
@
En 847, pour cause de sécheresse, l’empereur jeûna, s’abstint de
musique, donna la liberté aux femmes du harem et aux faucons de la
fauconnerie impériale.
Prince et ministres, dit le Texte, s’évertuèrent à qui mieux mieux, pour
guérir les plaies faites au Buddhisme sous le règne précédent, et bientôt tout
fut dans le même état qu’auparavant. En Chine, un bâtiment sort vite de
terre, et y rentre vite aussi. Constructions et démolitions, se font avec bien
moins d’embarras qu’en Europe. Le gouvernement leur étant favorable, les
bonzes durent aussi avoir bientôt fait de rattraper tout ou partie de leurs
terres.
Les Tibétains imaginèrent de profiter des funérailles de l’empereur défunt,
pour faire une incursion. Ils avancèrent, renforcés par des bandes de
Tangoutains et d’Ouïgours. Mais Wâng-tsai les battit, et les renvoya d’où ils
étaient venus. La victoire fut due aux braves Turcs Chā-t’ouo, qui formaient
l’avant-garde de l’armée chinoise.
Les affaires des Ouïgours occidentaux allaient de mal en pis. Le khan Oukie, stationné au bout de
p.1496
l’Altaï, vit ses sujets réduits, par la défection
et la famine, à trois mille hommes à peine. Son ministre l’assassina, et le
remplaça par son frère Neue-nien. En 848, ce pauvre homme se trouva
n’avoir plus guère que 500 guerriers, Il se tint coi, pour un temps, dans son
douar fortifié de Chéu-wei. Puis il en sortit, pour s’offrir à la Chine. Ayant eu
vent que le gouverneur chinois de la frontière méditait de le faire prisonnier,
pour se donner la face, Neue-nien retourna sur ses pas. Les Kirghiz
l’enlevèrent dans le steppe, prirent Chéu-wei resté sans défenseurs, et
emmenèrent tous les sujets de Neue-nien, comme esclaves, dans leurs
pâturages de l’Orkhon. Ainsi finirent les Ouïgours voisins de la Chine. Il resta
de la graine de cette nation, plus à l’Ouest, à Kachgar et ailleurs, jusqu’au
temps des Mongols.
430
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Suān-tsoung aimait beaucoup ses frères. Il leur bâtit un
palais, les visitait souvent, festoyait et jouait à la balle avec eux. Quand l’un
d’entre eux était malade, il le visitait dans sa chambre, et manifestait du
chagrin.
L’empereur fit ensuite construire un palais, pour ses propres enfants et
petits-enfants. Avant d’en jeter les fondements, il demanda au géomancien
Tch’âi u-ming d’examiner le terrain pour voir s’il était faste ou néfaste, et ce
qu’il promettait de bon. L’artiste courtisan s’en tira avec un chic rare.
— Les pronostics, dit-il, ne s’appliquent qu’à ceux dont la fortune
est changeante (au vulgaire) ; mes livres ne parlent pas des palais
des empereurs (dont la fortune est stable)...
Cette flatterie plut à sa Majesté, qui la paya bien.
Depuis la mort si soudaine de son père Hién-tsoung, le prince Chênn avait
soupçonné l’impératrice Koūo (p. 1477), épouse de son père, d’avoir été pour
quelque chose dans sa mort. Quand il fut devenu l’empereur Suān-tsoung, il
la traita fort mal. Un jour celle-ci tenta de se suicider. Mécontent de cet
p.1497
esclandre, l’empereur lui fit une scène. Elle mourut soudainement la nuit
suivante. On glosa sur cet évènement. L’empereur la poursuivit de sa haine
jusque dans la mort, et refusa de l’enterrer à côté de son père...
— Vous n’avez pas ce droit, lui dit Wâng-hao ; elle a été
impératrice ; il ne sied pas de la priver de ses droits positifs, pour
des motifs douteux...
L’empereur se fâcha. Wâng-hao s’emporta. Tcheōu-tch’eu lui donna un
soufflet. L’empereur le dégrada. Vilaine scène.
En 850, les Tibétains dévastèrent le Kān-sou actuel.
En 851, l’empereur apprit que, si dans ces dernières années les
Tangoutains faisaient cause commune avec les Tibétains, c’est qu’ils avaient
été rançonnés par les commandants militaires des frontières. Il n’envoya donc
plus désormais, dans les Marches de l’Ouest, que des gouverneurs civils
lettrés. Cela plut beaucoup aux Tangoutains, dit l’Histoire.
431
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 852, un certain Soūnn-ts’iao essaya de lancer un nouveau mouvement
contre les Buddhistes.
— Alors, dit-il, que les paysans qui travaillent, ont de la peine à
vivre, ces fainéants de bonzes sont bien nourris, bien habillés, bien
logés. Chacun d’eux dévore le revenu de dix familles. L’empereur
Où-tsoung en a obligé 170 mille, à laisser croître leurs cheveux (les
a sécularisés ; l’édit de 845 portant 260 mille, il y avait, par
conséquent, 90 mille bonzesses). En ce faisant, il a restitué à
l’empire
le
revenu
de
1.700.000
familles.
Et
vous
relevez
maintenant les pagodes qu’il a abattues, vous permettez que les
bonzeries se repeuplent, vous remettez tout dans l’état antérieur.
Vous n’auriez pas fait ce qu’il a fait, soit ; du moins ne le défaites
pas, puisque c’est fait. Déclarez clairement que vous n’avez pas
cette intention. Arrêtez la réaction buddhique. Empêchez qu’on ne
se fasse bonze sans autorisation...
L’empereur concéda cette requête. C’est qu’il devenait Taoïste ; nous en
aurons des preuves
p.1498
tout à l’heure.
En 857, le musicien du palais Loûo-tch’eng, guitariste favori de
l’empereur, ayant commis un meurtre, fut arrêté et jeté en prison. Les autres
musiciens supplièrent l’empereur de le gracier, pour l’amour de son talent.
— Vous aimez l’art, dit l’empereur, et moi je dois aimer la loi.
Loûo-tch’eng fut assommé, supplice ordinaire des eunuques et gens du palais.
Devenu Taoïste , l’empereur appela à Tch’âng-nan un certain Huan-yuan
tsi, táo-cheu célèbre, et lui demande,
— Peut-on arriver à l’immortalité ?..
— Oui, dit le táo-cheu ; par la répression des convoitises, et la
pratique des vertus…
L’empereur qui désirait une pilule facile à prendre, renvoya l’ermite à ses
montagnes.
432
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 858, le bassin du Hoâi eut à souffrir d’une inondation désastreuse. La
Séu, affluent du Hoâi, monta à l’énorme hauteur de cinq toises, s’épandit et
emporta des myriades d’habitations.
En 859, l’empereur prit une drogue préparée par un certain Lì huan-pai.
L’effet fut qu’il lui poussa un anthrax dans le dos. Au huitième mois, il alla ad
patres. Son fils monta sur le trône, devint l’empereur Í-tsoung, et fit couper le
cou au droguiste Lì huan-pai.
Tout homme doit mourir, ajoute le Commentateur. Les Sages n’échappent
pas à la loi commune. S’il y avait une drogue conférant l’immortalité, les
Sages l’auraient cherchée et trouvée. Les princes crédules de la dynastie
T’âng, furent l’un après l’autre victimes des alchimistes. Pauvres sots !.. Si
l’Histoire se donne la peine de raconter en détail ce qui concerne Tcháo koeitchenn Lì huan-pai et consorts, ce n’est pas qu’elle s’intéresse à ces gredins
vulgaires, c’est qu’elle veut faire plaindre les T’âng qui furent leurs victimes.
Que ces anecdotes servent d’avertissement aux générations à venir. Sous les
trois grandes dynasties, depuis le Fils du Ciel jusqu’au dernier citoyen, chacun
pratiquait durant sa jeunesse les enseignements
p.1499
traditionnels reçus des
Anciens, et enseignait durant sa vieillesse ces mêmes traditions à la
génération suivante. Tous passaient leur vie, dans l’accomplissement de leurs
devoirs, en attendant la mort. Dans ces temps-là, il n’y avait dans l’empire
aucune doctrine hétérodoxe. Qui aurait songé alors, à vouloir s’exempter de
la loi universelle du trépas (drogue d’immortalité) ? En ce temps-là, on
punissait de mort, comme un malfaiteur insigne, quiconque troublait le peuple
par des pratiques clandestines ; il n’y avait donc pas de magiciens. C’est
depuis les Ts’înn et les Hán, qu’on parle des Immortels, et d’une drogue qui
confère l’immortalité. Ces fables ont affolé les hommes, et leur ont fait oublier
les enseignements des Sages. Hélas, même des empereurs ont fini par en
être victimes. Rien que sous les T’âng, six ou sept grands personnages ont
perdu la raison ou la vie, pour avoir pris les drogues préparées par des
magiciens imposteurs. De tous ces malheureux, Suān-tsoung fut le plus fou,
car le sort de ses prédécesseurs aurait dû le détourner de faire comme eux.
@
433
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Í-tsoung,
860 à 873.
@
Gamin âgé de 17 ans.
La faiblesse du gouvernement donna des espérances aux condottieri
toujours à l’affût du trône. Un certain K’iôu-fou se leva dans le Tchée-kiang. Il
fallut mobiliser toutes les milices de l’empire, pour en venir à bout. Wângcheu le prit enfin, et l’envoya à la capitale, où il fut décapité.
Le méchant voisin du Sud-Ouest, le royaume de Nân-tchao (Yûnn-nan),
profita aussi des circonstances favorables. En 861, il envahit le Koāng-si
actuel, s’étendant ainsi vers la mer.
L’empereur devint Buddhiste, et si pieux, que ses dévotions ne lui
laissaient pas le temps de gouverner. Il installa une chaire pour l’explication
des sutras dans l’intérieur de son palais,
p.1500
chantait lui-même des
hymnes, copiait de sa propre main des textes, visitait les pagodes et leur
faisait de grandes largesses. Les censeurs l’en reprirent en vain.
Le roi de Nân-tchao, lui, cultivait les armes. Il envahit le Tonkin et
l’Annam. Le générai Ts’ái-si fut chargé de le combattre. Il se jeta dans la
capitale du Tonkin (Ketcho, Hanoï), puis demanda des renforts, lesquels
n’arrivèrent pas. Les Nân-tchao assiégèrent et prirent la place. Ts’ái-si fut
massacré avec tout son armée. Quatre cents Braves qui avaient tenté de fuir,
furent arrêtés par le Fleuve.
— Il n’y a plus de salut pour nous, se dirent-ils ; vengeons du
moins notre mort !..
Ils marchèrent droit à l’armée ennemie, lui tuèrent plus de deux mille
hommes, et périrent jusqu’au dernier. Ceux du Nân-tchao avaient perdu 150
mille hommes dans cette guerre. Ils durent en laisser 20 mille en garnison
dans les pays conquis. Tous les Î du Sud-ouest et les Lolos, se soumirent à
eux.
En 864, apparition d’une petite comète. Les Astrologues l’interprétèrent
dans un bon sens. L’empereur leur en sut gré, et fit savoir à tout l’empire,
434
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
qu’on eût à se réjouir, et non à s’inquiéter... Le méchant maître Hôu ajoute ce
commentaire :
Les comètes, météores en forme de balais, ont toujours été
interprétées dans ce sens, qu’il fallait balayer quelque abus
existant. Elles ne sont donc jamais des astres fastes. Ceux qui
firent accroire à l’empereur Í-tsoung que sa comète était de bon
augure, étaient de la catégorie de ces gens dont Confucius a dit
« qu’ils osent tout, et ne craignent même pas les avertissements
du Ciel ».
Maître du Sud, le roi de Nân-tchao s’occupa de nouveau du Koāng-si, où
une armée chinoise de dix mille hommes disparut sans laisser de traces.
En 865, l’empereur Í-tsoung réhabilita la mémoire de l’impératrice Koūo,
la victime de son père, et ordonna qu’on lui fit des
p.1501
offrandes, en même
temps qu’à son époux l’empereur Hién-tsoung.
En 866, le général chinois Kāo-ping parvint enfin à infliger au roi de Nântchao un échec qui arrêta ses envahissements. Il lui tua trente mille hommes,
et reprit le Tonkin... La même année, l’assassinat du roi du Tibet, donna aux
Chinois du répit, aussi de ce côté-là.
En 867, on constata que, outre sa dévotion pour le Buddhisme,
l’empereur avait encore d’autres dévotions moins distinguées. Il aimait la
musique, la table et les flâneries. Il entretenait un orchestre de 500
musiciens, et donnait au moins dix grands banquets par mois. Il faisait des
excursions, par terre ou par eau, en si grand apparat, que chacun de ces
déplacements mobilisait cent mille hommes, et causait des frais énormes (cf.
p. 1276). Un jour il nomma général, l’auteur d’un chant nouveau.
En
868,
révolte
des
garnisons
chinoises
du
Koāng-si,
lesquelles
trouvèrent plus commode et plus fructueux de piller l’Empire, que de
combattre les Barbares. Ces Braves marchèrent vers le Nord, et firent,
comme toujours en pareil cas, boule de neige en route. Le flot arriva jusque
dans le Nān-hoei actuel, puis jusqu’à Sû-tcheou-fou du Kiāng-sou. Là les
rebelles subirent un échec. En 869, le général K’āng tch’eng-hunn les acheva.
435
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 870, coup de main de ceux du Nân-tchao, sur Tch’êng-tou au Séutch’oan. On voit combien la situation était précaire. Succès jamais décisifs,
revers aussitôt réparés. Coups frappés au hasard, sans plan ni suite, de part
et d’autre.
L’empereur avait une fille chérie, pour laquelle il vidait ses caisses,
lesquelles avaient plutôt besoin d’être remplies. Quand il la maria, il lui bâtit
un palais féerique, lui donna un pécule de cinq millions de ligatures, etc. Elle
mourut peu après. Fou de douleur, l’empereur fit couper le cou aux vingt
médecins qui l’avaient soignée, et poursuivit même
p.1502
les familles de ces
pauvres diables, plus de 300 personnes. Le ministre Liôu-tchan poussa les
censeurs à représenter, que les médecins ne sont pas responsables de leur
assassinats. Aucun n’osa risquer l’aventure. Alors lui-même écrivit et remit la
note suivante :
« Il est des hommes, dont le destin est de mourir jeunes ; votre
fille était de ce nombre. Les médecins qui l’ont traitée, ne l’ont pas
fait négligemment (il est à croire, de fait, que, more sinico, ces
malheureux la droguèrent plutôt avec trop de zèle). Les décrets du
destin ne s’éludent pas. Il n’est pas juste que tant d’innocents
pâtissent pour des suppositions mal fondées.
L’empereur fut mécontent... Liôu-tchan persuada au préfet Wênn-tchang de
revenir à la charge. Cette fois l’empereur se fâcha, injuria Wênn-tchang et le
fit jeter à la porte. En 871, il fit à sa fille des funérailles insensées. Cent vingt
charretées d’habits, et autant de bibelots, la suivirent dans la tombe, Le
cortège, d’une splendeur inouïe, avait trente lì de long. La marche funèbre,
musique
nouvelle,
fut
composée
par
Lì
k’eue-ki.
Des
centaines
de
pantomimes accompagnaient l’air de leurs gestes. Enfin la tombe fut semée
de perles, drapée de crêpe, etc. Au cinquième mois, l’empereur fit célébrer un
service funèbre pour sa fille, à la pagode Nān-kouo-seu. A cette occasion, il fit
don à cette pagode de deux chaires en bois précieux, hautes de deux toises
chacune. La pagode pouvait accommoder dix mille auditeurs.
En 873, au quatrième mois, l’empereur envoya quérir à la pagode Fāmenn de Fóng-siang, le fameux os du Buddha vénéré jadis par Hién-tsoung
(p. 1471). Plusieurs censeurs s’insurgèrent contre cette lubie impériale.
436
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Hién-tsoung s’en est mal trouvé (il est mort peu après), direntils...
— Pourvu que j’aie eu le bonheur de contempler cette relique,
répondit l’empereur, je mourrai volontiers aussitôt après...
Il n’y avait plus
p.1503
rien à dire. Quand l’os arriva, l’empereur le fit
recevoir et vénérer, avec des cérémonies beaucoup plus fastueuses que celles
du grand sacrifice au Ciel. Lui-même descendit les marches du perron de son
palais,
pour
aller
à
sa
rencontre,
s’inclina
profondément,
pleura
abondamment, le conduisit lui-même dans l’intérieur du palais, puis fit en son
honneur de grandes largesses et accorda nombre de grâces... Deux mois
après, il était malade. Les eunuques nommèrent son plus jeune fils Yén prince
impérial, et s’emparèrent du gouvernement. Puis l’empereur mourut, à l’âge
de 30 ans. Il était exaucé ! L’Historien ricane. Le petit prince, enfant de 12
ans, monta sur le trône, et devint le pauvre empereur Hī-tsoung.
@
Arabes. — Vers le milieu du neuvième siècle, le marchand arabe Soliman
vint en Chine, à une ville qu’il appelle Kanfou (Koàng-tcheou Canton selon les
uns, Hâng-tcheou selon les autres ; plus probablement Canton). Il a laissé
une relation de son voyage. Les Musulmans étaient si nombreux à Kanfou,
qu’un officier veillait à l’ordre chaque vendredi durant leur prière, et jugeait
leurs différends. Le commerce maritime chinois-arabe, était alors très actif.
Les Arabes allaient jusqu’à Canton, peut-être jusqu’à Hâng-tcheou ; les
Chinois allaient jusqu’à Siref (golfe persique), et remontaient le Chat-el-Arab
(cf.
p.
1151).
C’est
pour
favoriser
ce
commerce,
que
les
Chinois
construisirent, en 705, la fameuse route par le Méi-ling. La voie de terre par
le Tarim, était parfaitement connue des Arabes, mais moins fréquentée, à
cause de ses difficultés. Il fallait près de deux mois, disent les auteurs arabes,
pour aller par cette voie de la Sogdiane à la Chine. Elle était coupée de
déserts inhospitaliers. C’est pour cette raison, ajoutent-ils, que les guerriers
du Khorassan n’envahirent pas la Chine. Cependant chaque année une
caravane de marchands partie de la Sogdiane, se rendait, par la vallée
volcanique qui produit le sel ammoniac (en chinois nao-cha, d’où l’arabe
nushader... passe de Koutcha, par l’Ektagh), en Chine, aller et retour.
437
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 872, le marchand musulman Ibn-Vahab de Bassora, un Koreichite qui
se disait parent de Mahomet, venu à Canton par mer, poussa par terre
jusqu’à Tch’âng-nan (Kamdan), et fut reçu en audience par l’empereur Ítsoung. Abou-Zeyd de Siref, qui l’interviewa à son retour, nous a transmis les
détails suivants, conservés par Massoudi (10e siècle)...
Quand je fus reçu par l’empereur, dit Ibn-Vahab, celui-ci ordonna à
l’interprète de me demander :
— Reconnaîtrais-tu ton Maître, si tu le voyais ?..
l’empereur parlait de Mahomet, à qui Dieu soit propice....Je
répondis :
— Comment pourrais-je le voir, puisqu’il est auprès de Dieu trèshaut ?..
— Je parle de sa figure, dit l’empereur...
— Je le reconnaîtrais, dis-je...
Alors l’empereur se fit apporter une boîte, la plaça devant lui, et en
tirant des feuillets, il les passait à l’interprète en disant :
— Fais lui voir son Maître !..
Je reconnus les images des Prophètes, et je les bénis...
— Pourquoi as-tu remué les lèvres ? demanda l’empereur...
— Parce que je bénissais les Prophètes, dis-je...
— A quoi les as-tu reconnus...
— Aux attributs qui les caractérisent. Ainsi voici
p.1504
Noé avec
son arche, qui le sauva, lui et sa famille, quand le Dieu très-haut
commanda aux eaux, et que toute la terre fut noyée avec ses
habitants...
A ces mots l’empereur se mit à rire et dit :
— Tu as bien reconnu Noé. Quant à la submersion de la terre
entière, nous ne croyons pas cela. Le déluge n’a pu noyer qu’une
partie de la terre. Il n’a noyé, ni la Chine, ni l’Inde...
438
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— Voilà, dis-je, Moïse avec sa verge.
— Oui, dit l’empereur. La scène sur laquelle il parut fut petite, et
son peuple fut rétif...
— Voilà, dis-je, Jésus sur un âne, entouré de ses apôtres...
— Oui, dit l’empereur. Il a eu peu de temps à paraître sur la scène.
Sa mission a duré trente mois à peine...
Je vis ensuite la figure du Prophète, sur qui soit la paix ! Il était
monté sur un chameau, et ses compagnons montés également sur
des
chameaux,
étaient
autour
de
lui.
Je
pleurai
d’attendrissement...
— Pourquoi pleures-tu ? demanda l’empereur...
— Parce que je vois notre Prophète, notre Seigneur et mon parent,
sur qui soit la paix !..
— C’est bien lui, dit l’empereur. Lui et son peuple ont fondé un
glorieux empire. Il ne lui a pas été donné de voir l’édifice, mais
ceux qui lui ont succédé l’ont vu...
Au-dessus de chaque figure de Prophète, continue Ibn-Vahab, il y
avait une longue inscription, que je supposai renfermer un abrégé
de son histoire, Je vis aussi d’autres figures que je ne reconnus
pas. L’interprète me dit qu’elles représentaient les prophètes de le
Chine et de l’Inde.
@
439
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Hī-tsoung,
874 à 888.
@
Dès que l’on sut, dans les provinces, que l’empire était gouverné par un
enfant, les révoltes éclatèrent incontinent. La première, qui deviendra
formidable, commença à Tch’âng-yuan-hien du K’āi-tcheou, près du Fleuve
Jaune, tout au sud du Heûe-pei actuel. Le chef se nommait Wâng sien-tcheu.
Il fut bientôt joint par un certain Hoâng-tchao, originaire du Ts’âo-tcheou-fou
(Chān-tong), lettré habile dont un passe-droit avait fait un rebelle, et qui
deviendra un des plus terribles ravageurs que la Chine ait connus.
En 875, l’empereur, ou plutôt la clique des eunuques, nommèrent Kāoping que nous connaissons (p. 1501), gouverneur du Séu-tchoan, et le
chargèrent de contenir le royaume de Nân-tchao. L’eunuque favori T’iên lingtzeu accapara toute l’administration. Il mangeait et buvait avec l’empereur,
dit le Texte... Cette année Wâng sien-tcheu passa le Fleuve Jaune et prit
Ts’âo-tcheou-fou... Les sauterelles ravagèrent le pays. Leur nombre était tel,
que leurs nuées au vol obscurcissaient le soleil, et que, là où elles
s’abattaient, elles mettaient la terre à nu,
p.1505
détruisant jusqu’au dernier
vestige de végétation.
En 876, le gouvernement impérial prit une mesure, qui favorisa
incroyablement la rébellion commencée, et la rendit générale. Ordre à tous
les citoyens de s’armer, en leur particulier, contre les rebelles. Quand ils
furent armés, ils se levèrent, mais contre le gouvernement... En un rien de
temps, Wâng sien-tcheu fut maître de toute la partie occidentale du bassin du
Hoâi... L’empereur recourut alors au procédé usité jusqu’à nos jours, dans le
cas d’une rébellion dont on ne vient pas à bout. Il offrit à Wâng sien-tcheu
une des premières dignités militaires de l’empire. Le rebelle refusa. Il divisa
son armée en deux corps, commanda lui-même l’un, et confia l’autre à son
lieutenant Hoâng-tch’ao.
En 877, après diverses opérations de détail, les deux armées des rebelles
convergèrent sur la ville de Koēi-tei-fou, (Heûe-nan), manquèrent leur coup,
puis s’étendirent dans le Chān-tong.
440
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 878, Wâng sien-tcheu s’étant trop aventuré vers le Sud, fut battu et
tué par le général impérial Tsēng yuan-u. Hoâng-tch’ao resta seul chef des
rebelles, ce qui les rendit encore plus redoutables. Il prit le titre d’Adversaire
du Ciel (de l’empire), ravagea à fond le Koēi-tei-fou et le K’āi-fong-fou, puis
passa le Fleuve Bleu, et mit le siège devant Nîng-kouo-fou (Kiāng-nan).
N’ayant pas réussi à prendre cette place, il se faufila entre le lac P’oûo-yang
et les montagnes, à travers une partie du Kiāng-si actuel, franchit la passe,
déboucha dans le Fôu-kien, et s’empara de Fôu-tcheou... Un ancien chef de
bandes de Wâng sien-tcheu, nommé Ts’âo cheu-hioung, qui opérait pour son
propre compte, envahit le Tchée-kiang, mais fut repoussé par Chêu-king, le
gouverneur militaire de Hâng-tcheou (cf. note p. 1506).
La même année l’extrême Nord du Chān-si actuel, le long de la Grande
Muraille, se révolta, tua son gouverneur, et le remplaça par le Turc Chā-t’ouo
Lì k’eue-young, qui deviendra très célèbre. En d’autres termes, cessant de
former l’avant-garde des armées chinoises déconfites (p. 1467), les Turcs
Chā-t’ouo commencèrent à préparer leur propre avenir.
En 879, le gouverneur du Séu-tch’oan Kāo-ping envoya au Fôu-kien une
armée, laquelle infligea à Hoâng-tch’ao un sérieux échec. Celui-ci offrit de
devenir bon garçon, à condition qu’on le nommerait gouverneur de Canton,
qu’il avait investi. L’empereur ordonna aux ministres de délibérer sur sa
proposition. Le conseiller Û-ts’oung opina que Canton contenant d’immenses
richesses, comme étant le port où abordaient les grands navires étrangers et
l’entrepôt de tout le commerce maritime, il ne fallait pas exposer cette place à
être pillée par un rebelle... Quand Hoâng-tch’ao apprit que sa proposition
était rejetée, il poussa le siège avec fureur. La ville fut prise. Sommé d’écrire
un acte d’abdication en faveur de Hoâng-tch’ao, le gouverneur Lì-t’iao dit :
— Vous pouvez couper ma main, mais vous ne lui ferez pas écrire
cet acte...
La ville fut passée au fil de l’épée.
Les historiens arabes (Abou-Zeyd, Massoudi) ont conservé mémoire de
Hoâng-tch’ao (qu’ils écrivent Banshoa), de sa rébellion, et surtout du sac de
Kanfou, qui mit fin, pour un temps, à leur commerce avec la Chine. Les
auteurs européens se sont partagés sur l’identification de Kanfou. Les uns y
441
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
ont vu Koàng-tcheou (Canton), les autres Hâng-tcheou (au Tchée-kiang). Le
texte chinois affirme formellement qu’il s’agit de Canton. L’itinéraire de
Hoâng-tch’ao est parfaitement indiqué, ville par ville, depuis le Fleuve Bleu
jusqu’à Canton. Il résulte de cet itinéraire, que Hoâng-tch’ao n’aborda pas
Hâng-tcheou, mais passa par le Kiāng-si dans le Fôu-kien, puis du Fôu-kien,
dans le Koāng-tong. Le chef de bandes Ts’âo cheu-hioung qui tenta d’enlever
Hâng-tcheou pour son propre compte, fut repoussé. Les chroniques de la ville
de Hâng-tcheou ne racontent pas, que je sache, qu’elle fut mise à sac par
Hoâng-tch’ao. D’ailleurs Hâng-tcheou n’avait pas encore alors l’importance,
qu’elle acquit plus tard sous la dynastie Sóng. Les auteurs arabes mettent au
nord de Kanfou le port de Kantou, d’où l’on va par mer vers l’Est à Sila.
Kanfou est Canton, Kantou est Hâng-tcheou, Sila est le Sin-ra, l’extrémité
méridionale de la Corée, où se faisait le commerce de la Corée et du Japon...
Le texte d’Abou-Zeyd, relatif au sac de Canton, contient les détails suivants,
importants et intéressants :
« Ce qui a ruiné
p.1507
la Chine, et interrompu le commerce de ce
pays avec notre port de Siref, c’est la révolte d’un rebelle nommé
Banshoa (Hoâng-tch’ao). Cet homme ayant pris les armes,
commença par rançonner les particuliers. Puis, petit à petit, des
hommes malintentionnés s’étant réunis autour de lui, sa puissance
s’accrut, son ambition prit de l’essor, il attaqua et prit des villes,
entre autres Kanfou, le port où les marchands arabes abordent.
Cette ville est à quelques journées de distance de la haute mer
(l’estuaire de Canton), sur une grande rivière (le Sī-kiang). Les
habitants de Kanfou ayant fermé leurs portes, le rebelle les
assiégea. Cela se passait en l’an 264 (de l’hégire, 878 de J.-C.). La
ville fut enfin prise de vive force (en 879), et les habitants furent
passés au fil de l’épée. Ceux qui sont au courant des affaires de la
Chine, m’ont affirmé qu’il périt en cette occasion, à Kanfou, 120
mille Musulmans, Juifs, Chrétiens (nestoriens), et Mages (parsis),
outre les indigènes. Le chiffre des personnes de ces quatre
religions est connu exactement, parce que le gouvernement chinois
prélevant sur eux une capitation, il en existait des registres
authentiques. De plus Banshoa coupa les mûriers de tout ce pays,
442
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
de sorte qu’il n’y eut plus, pour un temps, de soie à expédier dans
les pays arabes et autres...
Les Juifs, Nestoriens et Parsis, qui commerçaient à Canton en si grand
nombre, y étaient évidemment venus par mer, comme les Mahométans.
Ajoutons, par manière d’épilogue et d’oraison funèbre des Nestoriens en
Chine, la citation suivante d’Aboulfarage :
« L’an 365 de l’hégire (987 de J.-C.), je vis à Bagdad, dans le
quartier des chrétiens, un moine de Nadjran, lequel, sept ans
auparavant,
avait
été
envoyé
en
Chine
par
le
Catholique
(patriarche nestorien), pour s’enquérir des affaires de sa religion. Il
m’apprit que le christianisme était éteint en Chine. Les chrétiens
avaient péri, les églises étaient détruites. Le moine n’ayant trouvé
en Chine personne sur qui s’appuyer, était revenu plus vite qu’il
n’était allé.
Hommes du Nord, les soldats de Hoâng-tch’ao souffrirent beaucoup du
climat chaud de Canton. Près de la moitié périt de la malaria et de la petite
vérole. Hoâng-tch’ao reprit le chemin du Nord, par le Koāng-si, Koéi-linn et le
Hôu-nan. Ses bandes descendirent la Siāng sur des jonques et des radeaux,
détruisant tout sur leur passage, à leur ordinaire. Après avoir passé le Fleuve
Bleu près de Où-tch’ang-fou, Hoâng-tch’ao entra dans la vallée de la Hán, et
marcha sur Siáng-yang. Liôu kiu joung lui barra le passage, le battit et lui tua
les quatre cinquièmes de son monde. S’il avait poursuivi le reste, c’en était
fait de la rébellion. Ses officiers l’en supplièrent.
— Bah, dit ce vrai Chinois, notre gouvernement ne fait cas des
militaires, qu’autant que ses affaires vont mal ; faisons donc plutôt
durer cette guerre, qui nous enrichira...
Les rebelles
p.1508
repassèrent au sud du Fleuve Bleu, se reformèrent dans le
Kiāng-si, et furent bientôt de nouveau plus de 200 mille hommes.
En 880, à la tête de 150 mille soldats, Hoâng-tchao repassa au nord du
Fleuve Bleu, marcha vers le Nord-Est, dévasta Koēi-tei-fou, Sû-tcheou-fou,
Yèn-tcheou-fou, etc.
443
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Cependant Lì k’eue-kiu avait marché contre les Turcs Chā-t’ouo. Battus, Lì
k’eue-young et son père Lì kouo-tch’ang se sauvèrent chez les Tongouses Tatan (Tartares) dans les Yīnn-chan.
Revenant du Chān-tong, et longeant la rive méridionale du Fleuve Jaune,
au onzième mois de cette année Hoâng-tchao prit Láo-yang. A cette nouvelle,
ordre fut donné, à Tch’âng-nan, d’envoyer aux passes tout ce qu’il y avait de
troupes à la capitale. Il se trouva que ces troupes étaient composées
exclusivement de cadets des riches familles, soldats de parade, qui avaient
acheté leur place aux eunuques et n’avaient jamais songé à faire la guerre.
Quand ils reçurent l’ordre de marcher, tout Tch’âng-nan fut en pleurs. Les uns
se dirent malades, les autres achetèrent des remplaçants. Des deux mille qui
restèrent, aucun ne savait manier une arme. Avant leur départ, l’empereur
les passa en revue. A cette occasion, le général Tchāng tch’eng-fan lui dit :
—
Hoâng-tch’ao
approche
avec
des
centaines
de
milliers
d’hommes. De notre côté Ts’î k’eue-jang campe devant la passe,
avec cent mille hommes à peine, lesquels meurent de faim, à ce
que j’ai appris. Moi je vais camper derrière la passe, avec les deux
mille hommes que voici. Veillez d’abord à ce que nous soyons
approvisionnés. Tâchez ensuite de nous envoyer du renfort...
— Partez avec confiance, dit l’empereur ; les provisions et les
renforts suivront...
Cela dit, il se reposa.
Bientôt les deux mille hommes de Tchāng tch’eng-fan eurent autant à
souffrir de la faim, que les cent mille de Ts’î k’eue-jang. Hoâng-tchao
p.1509
arriva. Ts’î k’eue-jang tint durant quatre heures juste, puis ses troupes se
débandèrent. Tchāng tch’eng-fan essaya de défendre la passe T’oûng-koan,
ces Thermopyles du Koān-nei. Hoâng-tch’ao le tourna. N’étant pas un
Léonidas, Tchāng tch’eng-fan se sauva.
Cependant les milices mobilisées arrivaient à Tch’âng-nan. Hélas, elles y
firent tout autre chose, que ce qu’on espérait d’elles. Elles pillèrent d’abord
les magasins, puis la ville, enfin le palais. L’empereur s’enfuit, accompagné de
l’eunuque T’iên ling-tzeu, de quatre princes, de quelques femmes, et de 500
444
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
gardes. Il était temps. Ce jour-là même, dans l’après-midi, l’avant-garde des
rebelles entra à Tch’âng-nan et fraternisa avec les émeutiers. La capitale fut
livrée à un pillage systématique. Hoâng-tch’ao massacra jusqu’au dernier tous
les membres de la famille impériale qu’il put saisir, proclama les T’âng déchus
du trône, se fit empereur de la dynastie, inaugura une ère nouvelle, etc.
L’empereur avait fui vers Tch’êng-tou au Séu-tch’oan, comme son ancêtre
Huân-tsoung en 756. Il y arriva au commencement de l’année 881. De là, il
fit la chose la plus basse qu’on puisse imaginer. Il tendit la main au Turc Lì
k’eue-young, qu’il avait persécuté jusque-là (p. 1508). Celui-ci ne se fit pas
prier deux fois. Non qu’il fût dévoué à l’empereur ; mais parce qu’il flairait
une proie. Il se mit aussitôt à organiser un corps de dix mille Turcs Cha-t’ouo,
et Tongouses Ta-tan.
Avant qu’il arrivât, les rebelles se gardant mal, une petite troupe de
soldats impériaux pénétra de nuit dans Tch’âng-nan. Las des vexations des
rebelles, le peuple les aida, et tomba sur les bandits de Hoâng-tch’ao, à coups
de tuiles et de pierres. Mais voilà que ces bons impériaux se mirent à piller et
le reste, pis que n’avaient fait les rebelles. Ceux-ci revinrent, et un combat
terrible se livra dans
p.1510
Tch’âng-nan. Les impériaux furent anéantis. Pour
se venger des habitants, Hoâng-tch’ao permit à ses rebelles de massacrer ad
libitum. Le sang coula par ruisseaux. Voilà la ville lavée, dit Hoâng-tch’ao en
riant.
An 882. L’empire n’avait plus d’espoir que dans le gouverneur du Séutch’oan Kāo-ping, qui avait déjà battu Hoâng-tch’ao une fois en 879 (p.
1506). Mais, chose à peine croyable, cet homme de guerre était devenu,
depuis lors, le jouet d’un magicien nommé Lù young-tcheu. Celui-ci arriva à
écarter peu à peu tous les officiers du gouverneur, et à les remplacer par ses
amis, dont le principal était Tchāng cheou-i. L’Histoire cite quelques exemples
des tours que ces farceurs jouaient à l’imbécile gouverneur. Celui-ci était mal
avec le ministre Tchéng-t’ien. Un jour Lù young-tcheu lui dit :
— Mon art m’a découvert que le ministre va tenter de vous
assassiner ; c’est pour cette nuit..
445
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Kāo-ping fut très effrayé.
— Tchāng cheou-i vous sauvera, dit le magicien...
Les deux compères habillèrent le gouverneur en femme, le cachèrent dans un
appartement retiré, et s’établirent dans sa chambre à coucher. Vers minuit,
grand cliquetis et vacarme. C’étaient les deux compères, qui battaient des
vases de cuivre. Ils arrosèrent aussi le carrelage avec du sang de porc. Le
lendemain au jour, tout riants, ils firent voir au gouverneur le champ de
bataille.
— Vous l’avez échappé belle ! lui dirent-ils...
Kâo-ping pleura de reconnaissance...
Une autre fois, Lù young-tcheu grava sur une pierre, en caractères
étranges, l’inscription suivante :
« Le Pur Auguste offre ce gage, de sa faveur à Kāo-ping...
Déposée sur l’autel devant lequel il brûlait chaque jour des parfums, la pierre
fut trouvée, par Kāo-ping, qui fut rempli de joie et de crainte...
— Cela signifie, lui dit Lù young-tcheu, que, plein d’estime pour vos
mérites, le Pur Auguste vous a choisi pour un poste important dans
p.1511
son empyrée ; n’en doutez pas, sous peu les argus et les
grues viendront vous porter au ciel...
Afin de faire bonne figure au jour prochain de cette chevauchée, ce bon Kāoping se fit faire une grue en bois, qu’il monta désormais chaque jour,
enfourchant et démontant avec grâce, par manière d’exercice... Les Lettrés
répandirent le bruit qu’il était toqué... Lù young-tchen lui dit :
— Si les grues tardent à venir, c’est parce que les Lettrés disent
des choses inconvenantes, et parce que vous ne renoncez pas à
certaines habitudes vulgaires...
Aussitôt Kāo-ping renonça à toutes ses femmes, cessa de converser avec les
hommes, astreignit ses officiers à de sévères purifications avant de les
admettre en sa présence, etc. Depuis lors Lù young-tcheu gouverna en son
nom. C’est ce que le magicien avait voulu obtenir.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ici, entrée en scène bien modeste, d’un futur empereur, Tchōu-wenn,
brigand vulgaire, puis petit chef de rebelles au service de Hoâng-tch’ao. Il
passe aux T’âng, et est fait par l’empereur officier d’abord, puis gouverneur
de K’āi-fong-fou.
Lì k’eue-young ayant fini d’organiser son corps de Barbares, apparut enfin
dans la vallée de la Fênn. Il avait habillé ses cavaliers tout de noir, ce qui les
fit surnommer Corbeaux de Lì k’eue-young. Ils étaient 40 mille. Les rebelles
en eurent bientôt grand’peur. L’empereur nomma Lì k’eue-young gouverneur
du Chān-si actuel, c’est-à-dire qu’il lui donna carte blanche, pour opérer
comme il l’entendrait.
Au troisième mois de l’an 883, Lì k’eue-young envahit la vallée de la Wéi.
Gorgés de butin et ne trouvant plus de vivres dans le pays dévasté, les
rebelles de Hoâng-tch’ao s’évadaient par petites bandes, chacun songeant à
mettre son magot en sûreté, et à redevenir honnête homme. Réduit à 30
mille partisans, Hoâng-tch’ao s’établit dans la petite passe, entre les vallées
de la Wéi et de la Hán. Lì k’eue-young harcela d’abord les
p.1512
pillards,
restés dans Tch’âng-nan, par des attaques nocturnes répétées. Après avoir
incendié tous les édifices considérables, ceux-ci se retirèrent, semant la route
d’objets précieux, que les Corbeaux se disputèrent, ce qui permit aux rebelles
d’échapper. Lì k’eue-young entra à Tch’âng-nan. Il avait 28 ans. Il se trouva
donc être en même temps, et le plus jeune, et le plus méritant des généraux
de l’empire. Comme il était borgne, les contemporains le surnommèrent le
Dragon à un œil... Hoâng-tch’ao franchit la passe, marcha vers l’Est dans la
vallée de la Hán, déboucha dans le bassin du Hoâi, et apparut dans le pays de
K’āi-fong-fou, au quatrième mois de l’an 884. Lì k’eue-young l’y défit dans
une grande bataille. Hoâng-tch’ao s’enfuit à Yên-tcheou-fou du Chān-tong.
Ici l’Histoire raconte un épisode, lequel montre à nu ce qu’étaient ces
hommes et ces temps. K’āi-fong-fou était occupé, au nom de l’empereur, par
l’ex-brigand Tchōu-wenn. Quand l’ex-proscrit Lì k’eue-young, devenu le
sauveur de l’empire, approcha de la ville, Tchōu-wenn qui flairait en lui un
compétiteur, songea à s’en débarrasser. Il disposa toutes choses, l’invita,
l’enivra, puis le fit assaillir par une bande d’assassins. Lì k’eue-young avait bu
447
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
comme un Turc. Ses gardes du corps, Sūe tcheu-king, Chèu king-seu, une
dizaine d’hommes en tout, se défendirent vaillamment. Entre temps, Koūo
king-tchou s’efforçait de réveiller Lì k’eue-young, en lui arrosant le visage
avec de l’eau fraîche. Enfin le Turc ouvrit les yeux, mit la main à son arc, et
se leva sur ses pieds. Il était temps ; les assaillants venaient de mettre le feu
à la maison. Heureusement que la nuit était noire et orageuse. Sūe tcheuking et les autres entraînèrent Lì k’eue-young, sautèrent un mur, et coururent
vers la porte de la ville, tandis que
p.1513
Chèu king-seu combattait en
désespéré pour couvrir la retraite. La petite bande ayant trouvé la porte
fermée, descendit du rempart par une corde. Ce qui la sauva, fut que, dans
l’obscurité, une flèche lancée par Tchōu-wenn, tua son agent Yâng yenhoung, qui conduisait les assassins.
La femme de Lì k’eue-young, Liôu-cheu, qui le suivait à la guerre, était
prudente et sage. Prévenue de ce qui se passait dans la ville, par un
domestique qui s’était enfui dès le début de l’attaque, elle coupa elle-même la
tête à cet homme pour l’empêcher de semer l’épouvante dans le camp,
convoqua secrètement les officiers supérieurs et les avertit de prendre les
mesures nécessaires. Elle croyait son mari tué. Au petit jour il arriva dégrisé.
Furieux du guet-apens de Tchōu-wenn, il voulait aussitôt l’attaquer avec ses
troupes.
— Ne faites pas cela, lui dit sa femme. Portez plainte contre lui à
l’empereur. Vous êtes tous les deux officiers des T’âng.
Apaisé par ces paroles, Lì k’eue-young se borna à écrire une lettre de plaintes
à Tchōu-wenn. Celui-ci lui répondit par une lettre de condoléances, assurant
qu’il avait absolument ignoré ce qui était arrivé. L’empereur envoya un
délégué, lequel découvrit que le guet-apens était l’œuvre de Yâng yen-houng.
Celui-ci étant mort, il n’y avait plus lieu de le punir. C’est ainsi que finissent
presque toujours les procès criminels chinois, dans lesquels il y a eu mort
d’homme. C’est le mort qui avait tort. On l’enterre et on passe l’éponge... Lì
k’eue-young étant Turc, ne goûta pas cette chinoiserie. Il ramena ses
corbeaux dans la vallée de la Fênn, et garda rancune à Tchōu-wenn.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Démoralisés par leur défaite, les partisans de Hoâng-tch’ao s’étaient
dispersés. Cháng-jang, lieutenant de Lì k’eue-young, joignit le rebelle près de
Tsi-ning-tcheou. Linn-yen neveu
p.1514
de Hoâng-tch’ao lui coupa la tête, ainsi
qu’à ses frères, à sa femme et à ses enfants, puis alla trouver Cháng-jang,
dans l’intention de racheter sa propre vie par cette offrande. Mais des
cavaliers turcs l’ayant rencontré, préférèrent toucher eux-mêmes la prime. Ils
décapitèrent donc Linn-yen, et ajoutèrent sa tête à celles que contenait son
sac... Ainsi finit la rébellion de Hoâng-tch’ao, la plus terrible que la Chine ait
jamais vue. Elle dévasta successivement, durant onze années, à fond, toutes
les provinces de la Chine actuelle, excepté le Séu-tch’oan, le Koéi-tcheou et le
Yûnn-nan. La chute des T’âng l’ayant suivie de près, aucun recensement
officiel ne nous a fait connaître le nombre de vies d’hommes qu’elle coûta.
L’opinion des historiens est que la saignée faite à la nation par Hoâng-tch’ao,
fut beaucoup plus forte que celle que lui Nān lou-chan (cf. p. 1452).
Quelques concubines de Hoâng-tch’ao furent envoyées à l’empereur.
— Pourquoi avez-vous vécu avec ce rebelle, leur demanda celuici ?..
— Pourquoi vous êtes-vous sauvé au Séu-tch’oan ? répliqua celle
de ces femmes qui avait la meilleure langue. Il vous a chassé. il
nous a prises. Qu’y pouvions-nous ?...
L’empereur les fit égorger.
En 885, il quitta Tch’êng-tou, et arriva à Tch’âng-nan au troisième mois.
La ville était déserte, pleine d’herbes et de broussailles, de lièvres et de
renards. Ce spectacle affligea l’empereur. Son empire se réduisait à une
dizaine de préfectures. Partout ailleurs les gouverneurs faisaient ce qu’ils
voulaient.
Quand l’empereur fut revenu, Lì k’eue-young lui demanda la permission
de se venger de son ennemi Tchōu-wenn. L’empereur le pria de se tenir
tranquille. Aussi bien, il y avait déjà assez d’inimitiés et de désordres. Pour
une affaire de gabelle, l’eunuque T’iên ling-tzeu venait d’indisposer le
gouverneur Wâng tchoung-joung qui gouvernait
p.1515
dans l’angle du Fleuve
Jaune. Menacé par l’eunuque, celui-ci s’allia avec Lì k’eue-young, stationné
449
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
dans la vallée de la Fênn, lequel armait en secret contre Tchōu-wenn. Les
ouvertures de Wâng tchoung-joung fournissant à Lì k’eue-young un prétexte
spécieux, elles furent bien accueillies. Sous couleur de vouloir délivrer
l’empire de l’eunuque T’iên ling-tzeu, les deux compères entrèrent en
campagne. Lì k’eue-young pénétra dans la capitale, T’iên ling-tzeu avait fui
dans la haute vallée de la Wéi, emmenant l’empereur alors âge de 24 ans.
Les Turcs de Lì k’eue-young brûlèrent le peu de bâtiments qu’on avait relevés
à Tch’âng-nan. Cette fois toutes les tablettes des Ancêtres de la dynastie y
passèrent.
En 886, l’empereur se réfugia dans la haute vallée de la Hán. En 887, il
revint à Fóng-siang dans la vallée de la Wéi. Pauvre homme ! Il vécut en
nomade.
Le Séu-tch’oan qui avait été tranquille jusque-là, fut troublé lui aussi, à
cette époque. Les grues n’ayant pas emporté à temps le gouverneur Kāo-ping
(p. 1511), il fut victime d’une révolte. Un certain Pî cheu-touo le massacra
avec toute sa famille, et enterra tous ces cadavres dans une fosse commune,
ce qui est, en Chine, une circonstance particulièrement hideuse. Toujours
morale, l’Histoire ajoute à cette catastrophe la note suivante :
Jadis Kāo-ping ayant fait exécuter avec toute sa famille un homme
innocent, au moment de mourir, la femme de celui-ci cria en
battant des mains :
— Gouverneur, je t’accuserai auprès du Souverain d’en haut, qui te
fera un jour comme tu nous as fait !...
Maître Hôu philosophe sur cet événement.
« N’est-ce pas là, se demande-t-il, un cas évident de la rétribution,
du talion, de la balance exacte que prêchent les Buddhistes ?..
Non ! Inutile d’en référer au Buddha. Les Mutations disent : Celui
qui accumule des mérites, s’en trouvera bien ; celui qui amasse
des
p.1516
démérites, s’en trouvera mal. Tsēng-tzeu dit : Ce qui
émanera de toi, reviendra sur toi. Le cas de Kāo-ping prouve plutôt
contre la balance exacte, car son supplice n’équivalut pas
exactement celui des milliers de personnes qu’il avait occis durant
450
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
sa vie. Il prouve seulement, comme disent les Lettrés, que la Règle
du Ciel est de rendre à chacun selon ses œuvres. Quant à la
métempsycose, au dogme que, après être mort en un endroit, on
renaît ailleurs sous une autre forme ; quant à l’assertion qu’on
expie dans le monde des morts le mal qu’on a fait dans le monde
des vivants, ce sont autant de blagues.
En 888, l’empereur rentra à Tch’âng-nan. Après tant de fugues, le repos
lui fut fatal. Il mourut au troisième mois, à l’âge de 27 ans, Son frère Kîe, âgé
de 23 ans, lui succéda, et devint l’empereur Tchāo-tsoung.
@
451
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
L’empereur Tchāo-tsoung,
889 à 904.
@
Il commença par offrir un sacrifice au Ciel, puis conféra à Tchōu-wenn le
titre de roi, dégrada Lì k’eue-young, et leva contre ce dernier les milices de
l’empire, lesquelles se réduisaient à pas grand’chose. En 890 Lì k’eue-young
les battit à Lóu-nan, Tchâi-tcheou, Tcháo-tch’eng, Wéi-pouo, etc. L’empereur
dut demander paix, et rendre à Lì k’eue-young tous ses titres, etc.
En 891, une comète longue de dix toises, sortit de la constellation Sānt’ai et traversa le quadrilatère de la Grande Ourse... Les événements de la
terre se répercutent au ciel, dit Maître Hôu. Sān-t’ai est l’astérisme de
Ministres, le Quadrilatère est celui de l’empereur. Les Ministres vont ruiner la
dynastie. Ce signe était aussi clair que possible. Hélas, les intéressés n’en
tinrent aucun compte. Aussi le Souverain d’en haut se fâcha-t-il, et balaya-t-il
la dynastie, conformément à la signification ordinaire des comètes, (balais
célestes, p. 1500).
En 893, la guerre commença entre
p.1517
Tchōu-wenn et Lì k’eue-young.
En 894, partant du Chān-si, ce dernier s’empara du nord du Heûe-pei actuel.
En 895, émeute militaire à la capitale. Bataille entre les deux corps de la
garde. L’empereur se réfugie dans une tour. Bataille autour de cette tour. Une
flèche effleure l’empereur. Le feu est mis au palais. Des troupes de passage
délivrent l’empereur, lequel se réfugie dans leur camp, et appelle à son
secours le Turc Lì k’eue-young, qu’il fait, pour l’amadouer, roi de la Fênn.
Outré de voir son antagoniste honoré, en 896 Tchōu-wenn attaque et
prend Yèn-tcheou-fou. Puis les deux adversaires se font, dans le Heûe-pei,
une guerre indécise. Pendant ce temps, un certain Lì mie-tcheng se révolte
dans le district même de la capitale. L’empereur s’enfuit à Hoâ-tcheou.. Lì
mie-tcheng s’empare de Tch’âng-nan, et brûle tous les bâtiments qui y
restent. Lì k’eue-young accourt dans la vallée de la Wéi. Lì mie-tcheng achète
sa grâce. En 898, l’empereur revient à Tch’âng-nan.
452
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
En 900, appuyé sur Yèn-tcheou-fou et K’āi-fong-fou comme bases,
Tchōu-wenn envahit le Hoûe-pei actuel, prend Têi-tcheou, Kìng-tcheou,
Ts’āng-tcheou, Heûe-kien, Máo-tcheou, et assiège Tíng-tcheou.
Au onzième mois de cette année, l’empereur ayant chassé tout le jour
dans son parc et étant rentré ivre, tua de sa main, dans un accès de colère,
plusieurs des femmes de service. Le lendemain, les portes du palais ne
s’ouvrant pas, l’eunuque Liôu ki-chou les enfonça, et constata le meurtre.
Sortant aussitôt, il alla trouver le ministre Ts’oēi-yinn, et lui dit :
— L’empereur étant si violent, ne peut pas rester sur le trône. Il
faut le déposer, pour le bien de l’empire.
Ts’oēi-yinn ne répondit rien. Le P. Gaubil a dit de ce ministre, qu’il était de
ces Lettrés chinois qui se croient capables de tout, parce qu’ils savent tourner
une pièce en prose ou en vers, et parler des livres
p.1518
canoniques... Liôu
ki-chou convoqua les officiers, mit les troupes sur pied, appela le prince
impérial à la régence, envahit les appartements de l’empereur, et lui dit :
— Il faut vous soumettre ! Ne faites aucune résistance !..
Puis, l’ayant conduit avec l’impératrice Heûe dans une cour retirée, et ayant
écrit sur le sol avec sa baguette d’argent les fautes de l’empereur, il enferma
de sa propre main l’empereur et l’impératrice dans une petite maison, fit
barder de fer le bois de la porte, et y mit des sentinelles. Les aliments étaient
passés aux prisonniers par un guichet pratiqué dans le mur. Sapèques, étoffe,
papier, pinceaux, tout leur fut refusé. Ils souffrirent du froid, et d’autres
incommodités. Leurs plaintes et leurs pleurs s’entendaient au dehors... Liôu
ki-chou intronisa le prince impérial sur la foi d’un faux acte d’abdication, puis
fit assommer les eunuques et les dames qu’il suspectait d’être dévoués à
l’empereur déposé.
En 901, conspiration de quelques officiers de la garde pour délivrer les
prisonniers.
Ils
massacrèrent
Liôu
ki-chou,
pénétrèrent
au
palais,
et
frappèrent à la porte de la prison de l’empereur, en criant :
— Ouvrez ! le traître est mort !..
—
Montrez
sa
tête,
dit
l’impératrice,
compromettre...
453
qui
craignait
de
se
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Quand ils l’eurent vue, l’empereur et l’impératrice démontèrent la porte et
sortirent (tour de force invraisemblable). Le ministre Ts’oēi-yinn vint alors
présenter ses félicitations. Le prince impérial descendit du trône, et
l’empereur y remonta.
Cependant Tchōu-wenn continuant le cours de ses conquêtes, s’était
emparé de tout le sud du Heûe-pei et de cette partie du Heûe-nan qui est au
nord du Fleuve... Craignant des représailles de la part des eunuques, le
ministre Ts’oēi-yinn l’appela au secours de l’empereur. Tchōu-wenn ne se le
fit pas dire deux fois. On lui ouvrait le chemin du trône. Il accourut de K’āifong-fou... A son approche, l’eunuque Hân ts’uan-hoei enleva l’empereur, et
le transféra à Fóng-siang-fou.
En 902, jugeant que l’empereur et l’empire ne lui échapperaient pas,
Tchōu-wenn prit le parti de se défaire, par précaution, de Lì k’eue-young son
compétiteur
éventuel.
Il alla
l’attaquer
à
T’ái-yuan-fou. Une maladie
épidémique l’obligea à rétrograder.
En 903, Lì mao-tcheng offrit à l’empereur de le délivrer du joug des
eunuques, et de le ramener à la capitale. L’empereur lui donna carte blanche.
Lì mao-tcheng décapita aussitôt Hân ts’uan-hoei et tous les eunuques sur
lesquels il put mettre la main, 73 en tout. De son côté Tchōu-wenn en avait
massacré plus de 90. L’empereur se rendit au camp de Tchōu-wenn. Celui-ci
se prosterna, pleurnicha, et le reste de la comédie rituelle. L’empereur
détacha sa ceinture, et la lui donna, en signe de reconnaissance et d’amitié.
Le bonhomme Ts’oēi-yinn vint encore présenter ses félicitations. Quand
l’empereur fut rentré à Tch’âng-nan, comme il n’y avait plus rien à craindre,
Ts’oēi-yinn
devint
brave
et
demanda
l’extermination
des
eunuques.
L’empereur ayant consenti, Tchōu-wenn perquisitionna dans la capitale,
massacra
encore
quelques
centaines
d’eunuques,
et
ne
laissa
vivre
définitivement, de toute la tribu, que trente jeunes enfants, qu’on conserva
pour le menu service du palais. Pour prix de ce nettoyage, Tchōu-wenn fut
fait roi de Leâng.
Le moment était venu, pour cet ex-brigand, de se défaire de ceux qui
pouvaient le gêner. Lì mao-tcheng y passa le premier, puis ce benêt de
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Ts’oēi-yinn. Ensuite, de son camp, Tchōu-wenn intima à l’empereur qu’il allait
le transférer à Láo-yang ; affaire de se rapprocher de K’āi-fong-fou, son
gouvernement, pour le coup de théâtre final. La désolation fut grande à
Tch’âng-nan. Le peuple pleura et cria :
— Maudit Ts’oēi-yinn qui as appelé Tchōu-wenn
p.1520
pour la ruine
de la dynastie et pour notre malheur !..
Bon gré mal gré, l’empereur dut obéir. Tchōu-wenn laissa à Tch’âng-nan son
lieutenant Tchāng t’ing-fan, avec ordre de tout détruire, après le départ de la
cour. Tchāng t’ing-fan exécuta consciencieusement sa consigne. Il mit la ville
à sac, l’incendia, puis descendit en barque, avec son butin, la Wéi et le
Fleuve, vers Láo-yang. Tch’âng-nan resta absolument déserte.
Cependant le cortège impérial marchait par terre. A Hoâ-tcheou, le peuple
cria :
— Vive l’empereur !..
— Ne criez pas ainsi, dit celui-ci, en pleurant ; je ne suis plus
empereur que de nom, et n’ai plus que peu de temps à vivre...
Au deuxième mois de l’an 904, on arriva à Hiâ, où l’on s’arrêta, le palais de
Láo-yang n’étant pas encore prêt. De là l’empereur envoya en cachette à Lì
k’eue-young le message suivant :
« Quand je serai entré à Láo-yang, j’y serai le prisonnier de Tchōuwenn. Ne considérez plus alors aucun édit, comme émané de moi.
Désormais je ne pourrai plus vous faire savoir ce que je pense.
Le palais étant prêt, Tchōu-wenn fit dire à l’empereur qu’il eût à se
remettre en marche. Celui-ci demanda un délai, à cause des couches de
l’impératrice. Tchōu-wenn qui brûlait de voir sa victime en lieu sûr le plus tôt
possible, envoya aussitôt un agent chargé d’exiger le départ immédiat. Il alla
à la rencontre du cortège jusqu’à Sīnn-nan, tua plusieurs serviteurs et
femmes de l’empereur qu’il soupçonnait d’être hostiles à sa cause, fit
massacrer ensuite 200 fils de famille qui avaient suivi l’empereur pour lui
servir de gardes, et les remplaça par 200 jeunes gens à sa dévotion, auxquels
il fit endosser les vêtements des morts, si bien que l’empereur ne connut plus
personne dans son entourage.
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Se voyant entièrement à la merci de Tchōu-wenn, le pauvre homme
tomba dans une profonde mélancolie, et passa désormais les
p.1521
journées,
avec l’impératrice Heûe, à pleurer et à boire. Ne le trouvant pas assez
résigné, Tchōu-wenn résolut de s’en défaire. Il confia cette commission à
Tchōu you-koung, lequel chargea l’officier Chèu-t’ai de faire le coup. Celui-ci
frappa à la porte de l’empereur au milieu de la nuit. Tchāo-tsoung qui était
ivre, essaya de fuir, à peu près nu. Chèu-t’ai courut après lui, et le tua. Avant
de pouvoir le transpercer, il dut abattre la concubine Lì tsien-joung qui le
couvrait de son corps. Le coup fait, Tchōu-wenn fit courir le bruit que la
concubine Lì avait assassiné l’empereur. Comme elle était morte, elle ne put
pas s’en défendre (cf. p. 1124). Le fils du défunt fut intronisé devant le
cercueil de son père. C’était un enfant de 13 ans. Les habitants du palais, ne
sachant pas les intentions de Tchōu-wenn, n’osèrent pas pleurer Tchāotsoung. Tchōu-wenn l’ayant su, entonna lui-même les lamentations. Il alla
jusqu’à se rouler par terre, en criant :
— Ah les canailles ! ils ont ruiné ma réputation !..
Pour se réhabiliter, il fit conduire Tchōu you-koung au supplice. Avant de
mourir, celui-ci cria :
— Esprits Koèi et Chênn, sachez-le bien ; je meurs sacrifié à
l’opinion publique !
@
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
Tchāo-Suān-ti,
le dernier des T’âng, 905 à 907.
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D’abord l’horrible scène à laquelle nous avons assisté déjà plusieurs fois,
le massacre de sang-froid de tous les membres d’une famille régnante, pour
empêcher toute réaction après l’usurpation. En 905, Tchōu-wenn donna une
fête à l’ex-prince impérial (p. 1518) et à ses huit frères, tous fils de Tchāotsoung et frères de l’empereur. Quand ils furent ivres, il les fit tous étrangler
dans la salle du festin, puis jeter dans l’étang voisin.
Au quatrième mois, apparition d’une comète qui balaya tout le ciel.
Considérant les T’âng comme finis, les Astrologues interprétèrent cet astre en
faveur de Tchōu-wenn. Liòu-ts’an lui remit
p.1522
une liste des têtes à couper.
Lì-tchenn le pressa d’exterminer tous les fidèles serviteurs des T’âng.
— Ces gens-là, lui dirent-ils, ne vous serviront jamais. Ils vous
feront opposition. Il faut vous en défaire...
L’idée sourit à Tchōu-wenn. Il fit réunir P’êi-chou et une trentaine des
principaux personnages de l’empire, les massacra tous la même nuit, et jeta
leurs cadavres au Fleuve. Voici la cause de cette dernière barbarie.
— Ils prétendent être les Purs (pur courant), ces lettrés-là, lui avait
dit Lì-tchenn ; jetez-les dans le Fleuve, pour en faire les Boueux
(courant bourbeux ; jeu de mots) !.
Tchōu-wenn rit beaucoup, et fit la chose. Son autre conseiller Liòu-ts’an lui
déclara qu’il était inutile de temporiser davantage. Chose curieuse, cet
homme périt dans ses propres filets ; l’Histoire a soin de relever le fait.
L’impératrice veuve Heûe ayant eu vent de ses projets, le pria de vouloir bien
du moins obtenir la vie sauve pour elle et pour son fils, la poupée impériale.
Or Liòu-ts’an, avait des ennemis, qui l’accusèrent auprès de Tchōu-wenn, de
comploter avec l’impératrice. Elle lui avait offert un banquet nocturne,
disaient-ils ; ils avaient brûlé de l’encens et fait des serments ; etc. Tchōuwenn crut tout, supprima l’impératrice, et envoya Liòu-ts’an au supplice.
Comme on allait lui couper la tête, celui-ci s’écria :
457
Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
— J’ai mérité la mort, car j’ai perdu les T’âng !
Sur ce, Tchōu-wenn se fit prier par d’autres compères, de monter enfin
sur le trône.
— Le mandat du Ciel est transféré à votre maison, lui dit Loùo
chao-wei...
Le mandat du Ciel étant transféré, il n’y avait plus qu’à s’incliner. Douce
nécessité !.. Averti de ce qu’il avait à faire, le petit empereur envoya à Tchōuwenn le sceau de l’empire. Celui-ci s’assit sur le trône, et inaugura la nouvelle
dynastie Leâng. Les ministres le félicitèrent. Il leur donna un grand banquet,
et dit, en portant leur santé :
— C’est à vous que je dois le trône !.. p.1523
c’est-à-dire, c’est votre incapacité, votre traîtrise, qui ont ruiné les T’âng et
préparé mon avènement. Les ministres comprirent, et suffoquèrent de
honte... L’ex-brigand et rebelle donna ensuite un banquet à ses parents, dans
l’intérieur du palais. Là son frère aîné, un rustre, lui tint le discours suivant :
— Tchōu Numéro Trois (son petit nom), toi paysan de Tāng-chan,
brigand des bandes de Hoâng-tch’ao, le Fils du Ciel t’a employé
comme officier, et a fait ta fortune. Devais-tu après cela détrôner
cette dynastie des T’âng, qui a gouverné l’empire durant trois
siècles, et préparer la Némésis qui détruira notre famille ? !..
Furieux, Tchōu-wenn sortit de table... Il donna à l’empereur détrôné un titre
de roitelet, et le relégua sous bonne garde à Ts’âo-tcheou-fou, dans un
cottage entouré de palissades et de haies, où il le fit assassiner en 908.
K’āi-fong-fou devint la capitale de la nouvelle dynastie ; Tch’âng-nan fut
abandonnée.
Jadis, durant sa carrière de condottiere, Tchōu-wenn avait été très dur
pour ses soldats. Quiconque s’engageait dans ses troupes, était tatoué au
visage du numéro de sa compagnie. S’il désertait puis se laissait prendre, il
était mis à mort sans procès. Par suite, des déserteurs innombrables s’étaient
réunis dans les marais et les montagnes. Ces amas d’aventuriers pouvaient
devenir dangereux. Tchōu-wenn qui les avait persécutés comme prétendant,
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Textes historiques. II.a : de 420 à 906.
les amnistia donc comme empereur. Presque tous rentrèrent dans leurs
foyers et devinrent inoffensifs.
Ainsi finit tristement la triste dynastie des T’âng, 21 empereurs, 289 ans.
Princes noceurs et superstitieux, très populaires, parce qu’ils pratiquèrent et
patronnèrent tous les vices de leur peuple.
Tchōu-wenn ne fut pas accepté comme empereur sans conteste. Un peu
partout, d’autres aventuriers se trouvèrent autant de droits que lui. La Chine
fut morcelée, comme elle l’a été si souvent, et resta morcelée durant près de
70 ans. Pour l’année 906, l’Histoire compte cinq principautés considérables,
Leâng, Tsínn, K’î, Chòu, Hoâi-nan ; et cinq principautés moindres, Où-Úe,
Hôu-nan, Kīng-nan, Fôu-kien, Lîng-nan ; soit dix morceaux. De vrai, il y en
eut davantage... En d’autres termes, presque tous les gouverneurs de
provinces tentèrent la fortune, et se firent indépendants, d’abord sous couleur
de fidélité aux T’âng, ensuite pour leur propre compte. Plusieurs se
maintinrent très longtemps.
On appelle cette période Où-tai, les Cinq (petites) Dynasties. Ces
dynasties reconnues, ne furent pas toujours la principauté la plus puissante,
ni la plus nationale, car il y eut des Turcs
p.1524
parmi ces souverains. Ce qui
les a fait reconnaître comme impériales par l’Histoire, c’est uniquement le fait,
que les Leâng détruisirent les T’âng, les T’âng les Leâng, les Tsínn les T’âng,
les Hán les Tsínn, les Tcheōu les Hán. Extermination successive, voilà le lien.
Pendant ce temps, les autres principautés se pouillaient comme elles
l’entendaient. Enfin les Sóng, ayant détruit les Tcheōu, conquirent tous les
autres. Cette conquête, qui dura vingt ans, unifia le pays et reconstitua
l’empire. On fait ordinairement précéder les noms des Cinq Dynasties, du
caractère [] Heóu, postérieur ; parce que ces noms avaient déjà tous servi à
des dynasties antérieures. Ainsi Heóu-Tcheōu signifie la dynastie Tcheōu
postérieure à celle qui régna sur Chine de 1050 à 255 avant Jésus-Christ.
@
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