Hémodynamique cérébrale de l`enfant et particularités cliniques

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Hémodynamique cérébrale de l`enfant et particularités cliniques
Hémodynamique cérébrale de
l’enfant et particularités cliniques
Bruno Bissonnette
Professor of Anaesthesia, Department of Anaesthesia, Faculty of Medicine, University of
Toronto, Director of Neurosurgical Anaesthesia, Cross-Appointment Intensive Care Medicine,
Department of Anaesthesia, The Hospital for Sick Children, Toronto, Ontario, Canada, M5G
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Introduction
L’analyse de la structure, de la physiologie et du fonctionnement du cerveau humain représente
un des problèmes les plus complexes dans la compréhension des systèmes biologiques. Celui-ci
est considéré comme le centre le plus important de l'organisme, interférant avec la fonction de
tous les autres organes. Les concepts physiologiques et physiopathologiques "classiques"
incluant l’énergétique cérébrale, l'hémodynamique cérébrale, l’effet des modifications
hémodynamiques sur le liquide céphalorachidien et la pression intracrânienne sont importants
pour l’anesthésiste réanimateur. Ces différents facteurs physiologiques doivent être bien compris
par l'anesthésiste car celui-ci peut agir sur ces systèmes de régulation pour mettre le cerveau dans
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les meilleures conditions, afin de prévenir les lésions cérébrales secondaires d'origine
systémique, principalement d’origine hémodynamiques.
Débit sanguin et volume cérébral
Le débit sanguin cérébral (DSC) est contrôlé par plusieurs paramètres physiologiques et
pharmacologiques. Le débit sanguin cérébral de l'adulte est de 50 mL•100g • min-1. Il est plus
élevé chez l'enfant de 6 mois à 6 ans (90-110 mL•100 • min-1) et plus bas chez l’enfant
prématuré et le nourrisson (≈ 35 mL•100g•min-1). La perfusion de la substance blanche
représente environ un tiers de celle de la substance grise quelque soit l’âge.[1] Lorsque le DSC
diminue, deux seuils sont observés. Le premier d’environ 25 ml•100g-•min-1 est reconnu comme
le seuil de dysfonction neuronale. L'intégrité neuronale est maintenue, mais les mécanismes
électrochimiques sont atteints. Le second seuil de 10-12 mL•100 g•min-1 représente celui de la
destruction membranaire rencontrée durant une période d'ischémie ou d'anoxie cérébrale.[1] Le
premier est réversible alors que le deuxième conduit à la mort cellulaire cérébrale, soit par
destruction neuronale (catatlisme cellulaire) soit par apoptose (mort cellulaire programmée).
Les gradients de pression arterio-veineux observés au niveau cérébral sont beaucoup plus
complexes que dans les autres organes parce que le cerveau est contenu dans une boite crânienne
fermée et qu’une partie des vaisseaux ne peuvent, de par leur structure, se collaber. La présence
d'une "boîte" rigide entraîne la production de gradients artério-veineux directement dépendants
des variations de la pression intracrânienne (PIC). En situation physiologique, la PIC est
supérieure à la pression veineuse centrale (PVC) et à la pression atmosphérique. La pression de
perfusion cérébrale (PPC) est égale à la différence entre la pression artérielle moyenne (PAM) et
la PIC ou la PVC (si elle est plus élevée).
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La vascularisation cérébrale ne possède pas de récepteurs adrénergiques ou à la vasopressine.
Elle est donc indépendante de ces deux modes de régulation du tonus vasculaire systémique. Ces
agents ont néanmoins leur place en neuroanesthésie car ils permettent de manipuler le tonus
vasculaire systémique afin d'optimiser la perfusion cérébrale.[2] Les mécanismes physiologiques
assurant le maintien de l’hémodynamique vasculaire cérébrale sont [1] : 1) le couplage
métabolique, 2) l'autorégulation et 3) la vasoréactivité au CO2.
1) Le couplage métabolique est le contrôle du débit sanguin cérébral global ou régional par
la demande métabolique. En cas d'accroissement de la demande métabolique cérébrale, une
modification immédiate de l’hémodynamique cérébrale se produit par une vasodilatation et une
augmentation du DSC. A l'inverse en cas de diminution de la consommation énergétique
cérébrale (en glucose ou en oxygène) il se produit une diminution du DSC. Du point de vue
clinique cette approche hémodynanique est intéressante : si on administre des médicaments qui
diminuent la consommation cérébrale en oxygène (les agents anesthésiques intraveineux) et que
le couplage métabolique / vasculaire est maintenu, une diminution du DSC et du volume sanguin
cérébral se produit entrainant une baisse de la PIC. A l'inverse, en cas d'augmentation de la
consommation en oxygène (crises convulsives par exemple) la vasodilatation va induire une
augmentation du volume sanguin cérébral et de la PIC. Il est important de rappeler qu’une
modification de la pression partielle artérielle en oxygène n’affectera le DSC qu’en dessous
d’une valeur de 60 mmHg.
2) L'autorégulation est le contrôle du DSC en fonction de la pression de perfusion
cérébrale. Dans une plage de pression de perfusion importante, le DSC est maintenu constant par
adaptation des résistances vasculaires cérébrales. Chez l'adulte normotendu, la plage
d'autorégulation s'étend de 50 à 150 mmHg de PPC. Les seuils et les débits sanguins cérébraux
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diffèrent chez l'enfant et le nourrisson. Lorsque la PPC descend au-dessous du seuil critique une
ischémie cérébrale apparaît. Elle touche en premier les zones de transition vasculaire entre la
substance blanche et grise et les noyaux de la base. Lorsque la pression de perfusion augmente
au delà de la limite supérieure de l'autorégulation, la perfusion cérébrale augmente et un œdème
cérébral apparaît. Cet œdème dit vasogénique s'accompagne de thromboses et d'hémorragies
intracérébrales. Chez le nouveau-né et l'enfant, les mécanismes d'adaptation de l'autorégulation
sont rapides et précis.[3] Chez l’enfant prématuré, ces mécanismes sont immatures et ces enfants
supportent moins bien les variations de pression de perfusion. L'autorégulation est altérée ou
abolie par de nombreux mécanismes physiopathologiques ou pharmacologiques. Lors d'états de
détresse sévère [4] en présence d'anoxie ou d'hypoxie systémique [5] l'autorégulation est altérée.
Bien que tous les médicaments anesthésiques halogénés abolissent de façon dose-dépendante
l'autorégulation, leurs effets cérébrovasculaires individuels varient dans l’ordre suivant :
desflurane>halothane>isoflurane>sevoflurane. En situation clinique, comme un traumatisme
crânio-cérébral, l’autorégulation cérébrale résiduelle peut être utilisée pour diminuer la pression
intracrânienne. Lorsque la pression artérielle augmente, la vasoconstriction cérébrale induit une
diminution du volume sanguin cérébral et de la pression intracrânienne. Son utilisation clinique
implique des variations de pression artérielle progressives afin de permettre aux mécanismes
d'autorégulation de fonctionner et des pressions de perfusion maintenues dans les limites de
l'autorégulation.[6,7]
3) La vasoréactivité au CO2 est le contrôle du débit sanguin cérébral (DSC) par la pression
partielle artérielle en CO2. Le CO2 est un puissant vasodilatateur cérébral. Chez l'adulte il existe
une relation quasi linéaire entre la PaCO2 et le DSC. Lorsque la PaCO2 passe de 40 à 80 mmHg
le DSC double et lorsque la PaCO2 diminue de 40 à 20 mmHg le DSC diminue de 50%. Chez
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l'enfant, la relation est curviligne avec un effet vasodilatateur quasi maximal atteint à environ 50
mmHg. La vasoconstriction cérébrale induite par une hyperventilation va induire une diminution
du volume sanguin cérébral et de la PIC. Néanmoins en cas de vasoconstriction excessive la
diminution du DSC peut induire une ischémie cérébrale.[8,9] Le seuil d'ischémie induit par
hyperventilation est peu connu et n'est probablement pas homogène d'un territoire cérébral à
l'autre. Sur la base des données actuelles, il semble sécuritaire d'hyperventiler jusqu'à une PaCO2
de 30 mmHg, seuil au-dessous duquel la mesure de la saturation jugulaire en oxygène semble
justifiée pour détecter l’apparition d’une ischémie cérébrale (au moins globale). Il est important
de rappeller qu’il existe une adaptation à l'effet du CO2 sur la vascularisation cérébrale. Par
exemple, l’utilisation soutenue d’une hyperventilation au-delà de 6 heures entraînera un
rétablissement du DSC comme si la PaCO2 était à la valeur initiale. Après modification de la
PaCO2 il existe une diminution des H+ de l'espace extracellulaire. Parce que le bicarbonate
(HCO3) extracellulaire a besoin d'au moins 6 heures pour rétablir l'équilibre acido-basique, l'effet
vasculaire du CO2 sera d'environ six heures. L'importance clinique de cette observation
physiologique est que, si l'hyperventilation est maintenue au-delà de 6-8 heures et qu'à ce point
une normocapnie est rétablie, le pH du liquide interstitiel diminuera et le DSC augmentera de
façon significative, pouvant causer une élévation de la PIC.
Particularités cliniques
Les conséquences physiopathologiques d'une altération de la pression de perfusion
cérébrale peuvent être majeures. Par exemple, chez l’enfant présentant un traumatisme cérébral
et une élevation de la pression intracrânienne, la diminution de la pression de perfusion cérébrale
(<40 mmHg) et/ou de la pression artérielle moyenne (<70 mmHg), est clairement impliquée
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comme facteur important du développement de l’ischémie cérébrale et conséquemment de la
mort cérébrale.[10] Plusieurs études d’enfants atteints d’un traumatisme cérébral et d’une
augmentation de la pression intracrânienne, ont démontré qu’une baisse de la pression de
perfusion cérébrale au dessous de 40 mmHg est associée à une mortalité de 100% des
patients.[10]. Une considération importante lorsqu’on reconnaît que le traumatisme crânien
représente la première cause de mortalité dans la population pédiatrique. Aux Etats-Unis,
seulement plus de 100,000 enfants sont traités annuellement pour cette situation clinique et un
enfant sur six présentera une atteinte dysfonctionnelle neurologique permanente. Il est évident
que l’hypotension systolique représente, durant cette période critique de la prise en charge de
l’enfant, le facteur physiologique le plus directement associé avec un score bas de l’échelle de
suivi de Glasgow (Glasgow Outcome Scale). La présence d’un seul épisode d’hypotension
(considérée comme une baisse de 1.5 fois la déviation standard normale pour ce groupe d’âge)
durant les premières heures de prise en charge de ces enfants augmente significativement le
risque d’atteinte neurologique permanente. Natale et al. ont démontré que l’hypotension
systolique chez des enfants traumatisés cérébraux augmente de 50 fois le risque de déficit
neurologique permanent pour un score de Glasgow inférieur à 13.[12] La perturbation du débit
sanguin cérébral chez l’enfant ayant subit un traumatisme cérébral est l’altération physiologique
la plus fréquente durant les 24 heures suivant son admission. Les modifications subséquentes de
l’hémodynamique cérébrale (hypoperfusion, hyperémie, vasoplégie, perte de la réactivité au
CO2, etc…) sont toutes associées au développement de lésions ischémiques secondaires et
d’atteintes neurologiques permanentes. La libération d’agents excitotoxiques cérébraux est
largement facilitée par cette altération hémodynamique cérébrale.
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En dépit d’une littérature abondante confirmant qu’une altération de l’hémodynamique
vasculaire cérébrale affecte directement le devenir des enfants, il demeure impossible de
recommander une forme spécifique de traitement dans cette population. [13] Cependant, il est
largement accepté dans la communauté scientifique et clinique que le maintien d’une pression de
perfusion cérébrale de plus de 40 mmHg est obligatoire en tout temps afin d’assurer la survie de
ces enfants. Il est impératif d’éviter l’hypotension ou les épisodes répétés d’hypotension. Une
chute de pression artérielle si courte soit elle n’est pas acceptable. Ainsi, afin d’assurer une
perfusion adéquate dans tous les territoires cérébraux et combler le manque de spécificité du
monitorage cérébral, une pression de perfusion cérébrale entre 40 et 65 mmHg représente
probablement un seuil hémodynamique optimal en fonction de l’âge des enfants. [13]
Conclusions
La compréhension des différences hémodynamiques entre le cerveau de l’enfant et celui de
l’adulte est essentiel pour l’anesthésiste. Afin d’apprécier l'ampleur de l'effet des différents
agents anesthésiques sur le système nerveux central, surtout sur la composante hémodynamique
cérébrale, il est essentiel de comprendre les principes de base de la neurophysiologie dans cette
tranche d’âge afin d’effectuer une anesthésie sécuritaire. L’optimisation de la pression de
perfusion cérébrale est essentielle lors de la prise en charge des enfants atteints d’une condition
neurologique entraînant un changement de la dynamique des compartiments intracrâniens.
L’anesthésiste pourra influencer directement la condition neurologique future de l’enfant, en
maintenant une hémodynamique cérébrale permettant d’assurer les besoins métaboliques,
énergétiques et biochimiques recommandées pour la tranche d’âge concernée. Ainsi, la
prévention du développement de lésions secondaires ischémiques, l’assurance de la survie
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cellulaire des territoires neurologiques atteints (i.e. lors de la chirurgie par l’application des
écarteurs ou encore lors d’un traumatisme crânien) et d’une hémodynamique cérébrale respectant
les besoins tissulaires, permettront un résultat favorable et conséquent pour le futur de l’enfant.
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