territoires enquete_s_m_s_s_politiques - Maire-Info
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Territoires Enquête Quand les territoires ruraux deviennent des terres d’asile Le ministre de l’Intérieur veut mieux répartir les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), en ciblant les départements plus ruraux. Certains bourgs ruraux font figure de précurseurs en accueillant un CADA. « C’était économiquement intéressant » La présence de CADA dans des villages comme Carla-Bayle, Lagrasse, « plus beau village de France » au milieu des Corbières davantage réputé pour son abbaye bénédictine, ou Chambon-le-Château dans le rural profond de la Lozère surprend et interroge. Mais « les demandeurs d’asile n’y souffrent pas plus que le reste de la population de l’isolement ou de l’éloignement de services. Ce qui compte c’est de prévoir un mini- 34 MAIRES DE FRANCE OCTOBRE 2013 mum leur accueil », réagit Pierre Henry, délégué général de France terre d’asile. Quant aux communes, elles y trouvent aussi leur intérêt. À Carla-Bayle, c’est le préfet qui recherchait un lieu propice à l’installation d’un CADA en Ariège. « Personne n’en voulait, il s’est donc retourné vers nous qui avions un foyer de jeunes travailleurs vide », explique Jean-Luc Couret. Les murs étaient déjà propriété d’ADOMA. « Le village patrie de Pierre Bayle, philosophe de la tolérance, ne pouvait pas refuser », ajoute le maire. En revanche, il a posé deux exigences, acceptées : la première était que les enfants puissent être scolarisés dans des conditions normales. « J’avais eu la puce à l’oreille en me rendant dans un CADA proche de Carcassonne où il y avait des problèmes d’intégration des enfants à l’école. J’ai donc demandé l’octroi d’une classe français langue étrangère (aujourd’hui dite CLIN). » Son ouverture profite depuis à d’autres enfants étrangers vivant dans les environs. Deuxième exigence : que soit prévu un transport à la demande pour que les demandeurs d’asile puissent se rendre vers les commerces extérieurs. « Carla-Bayle ne compte qu’une boulangerie-épicerie. Sans voiture, il était impensable qu’ils puissent donc faire un minimum de courses de façon autonome », justifie l’élu qui a obtenu des aides de la région MidiPyrénées et du département pour monter ce service, sous gestion municipale. Aujourd’hui maire de Chambon-le-Château, Michel Nouvel se rappelle aussi très bien les premiers pas du CADA en 2003, date à laquelle les premiers enfants ont été inscrits à l’école dont il était le directeur. « France terre d’asile (gestionnaire de ce CADA) cherchait une commune dans notre département. Le maire de l’époque a sauté sur l’occasion. Le village avait perdu 40 emplois avec la fermeture d’un établissement Une poussée des Balkans © Franck Perry/AFP C e maire d’une commune de 2 000 habitants au cœur du Limousin ne se doutait pas qu’il déclencherait autant de réactions en évoquant, lors de ses vœux de 2013, l’ouverture d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) dans la commune. « J’ai entendu un tas de bêtises, que 200 à 300 Roms allaient débarquer », déclare-t-il. Si la polémique a été « aisément démontée », depuis, le maire ne veut plus souffler mot du projet. En tout cas tant qu’il n’a pas de retour de la préfecture à la suite de l’appel à projets pour la création d’un CADA de 80 places, dont ADOMA (ex-Sonacotra) pourrait être gestionnaire. Pour le maire, le calcul est pragmatique : redonner vie à une partie des bâtiments d’un village de vacances, recevoir un loyer (la commune étant propriétaire), créer six ou sept emplois (1). Le maire s’était déplacé en Ariège, visiter un CADA rural ouvert depuis plus de douze ans. « Un centre bien intégré », mentionne ADOMA (qui en assure la gestion) dans son rapport d’activité 2012. Ce que le maire du village de CarlaBayle, Jean-Luc Couret, confirme sans une once d’hésitation. Les demandeurs d’asile comptent ici pour 10 % de la population : 74 sur les 774 habitants de la commune. Selon le dernier rapport d’activité de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides), instance chargée de l’examen des demandes d’asile, 1 demandes ont été déposées en 1 (dont premières demandes et réexamens). Ce nombre augmente régulièrement depuis cinq ans, mais cette augmentation tend à « s’amenuiser ». Les demandes de personnes originaires des Balkans (Albanie, Kosovo, Géorgie) et du Pakistan progressent fortement. La République démocratique du Congo reste en tête des pays d’origine des demandes déposées. En 1, la France a accordé 1 statuts de demandeurs d’asile, derrière l’Allemagne ( ), la Suède (1 ) et le Royaume-Uni (1 ). © Antonio Gravante/Fotolia TERRITOIRES ENQUETE_S_M_S_S_POLITIQUES 30/09/13 16:14 Page35 d’accueil de jeunes sous mesure de justice. Cela permettait de recaser un peu de personnel, même quatre emplois c’est important pour une commune de 300 habitants », témoigne-t-il. Le CADA ne s’est pas installé dans l’ancien centre mais a investi des logements sociaux réhabilités par la commune et le parc privé après un appel à la population. « C’était économiquement intéressant et cela a facilité l’intégration de la structure dans la vie du village », souligne Michel Nouvel. « On s’enrichit plus sûrement par la rencontre avec d’autres cultures que fiscalement par la présence d’un CADA », reprend toutefois Jean-Luc Couret. Comme lui, René Mathonière, maire de Montmarault dans l’Allier, minimise l’impact économique – une poignée d’emplois créés, des retours limités sur les commerces locaux quand ils existent – mais il ne le néglige pas. « Cela aide ! » Particulièrement pour le maintien de services publics comme la poste ou l’école. Mais si tous ont demandé un poste d’enseignant français langue étrangère, tous ne l’ont pas obtenu. Chambon-le-Château aura dû attendre près de cinq ans. À Étrochey (238 habitants, Côted’Or), on l’espère encore. En attendant, la scolarisation de ces enfants non francophones au pôle scolaire voisin « pose des soucis », relève la maire, Liliane Parisot. Cela ne l’a pourtant pas amenée à s’opposer à la récente demande d’extension du CADA installé sur sa commune. Il est vrai que son opposition n’aurait été que de faible poids. « Nous ne sommes en effet pas obligés de demander l’avis des communes », explique Hubert Bodet, directeur du seul CADA de la Meuse, à Clermont-enArgonne (120 places réparties sur deux autres sites urbains). Il a néanmoins tenu à rencontrer les maires concernés par la demande d’extension du CADA parce que « nous devons avoir une relation de confiance et de proximité avec les élus » et parce qu’il faut aussi désamorcer les rumeurs qui s’affolent dès qu’un projet émerge... Or, partout, que les maires aient été à l’origine Le taux de reconnaissance de l’ouverture d’un du statut de réfugié est CADA ou aient été meilleur pour les placés devant le fait personnes logées en CADA (près de %). accompli comme à Montmarault dans l’Allier, il a fallu désamorcer cette « petite bombe » faite de craintes, de préjugés, de méconnaissance. À Montmarault, le maire, René Mathonière, se souvient d’avoir «entendu de tout » lors de la réunion publique organisée pour présenter le CADA à la population à l’été 2010. « Mais la réalité a démontré que ces craintes n’étaient pas fondées et tout se passe très bien », observe-t-il aujourd’hui. L’élu vient d’ailleurs de témoigner de son expérience à l’appel d’une commune de Corrèze qui souhaite Les missions d’un CADA Un centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) offre un hébergement, un suivi administratif (pour la procédure de demande d’asile), un suivi social et une aide financière alimentaire aux demandeurs d’asile titulaires de l’autorisation provisoire de séjour ou du récépissé de trois mois (renouvelable). La durée du séjour est liée à celle de l’étude de leur dossier par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile (en cas de recours). L’État finance les CADA, en application de la Convention de Genève de 11. Le taux de reconnaissance du statut de demandeur d’asile est meilleur pour les personnes hébergées en CADA (près de %) « grâce à l’accompagnement dont ils bénéficient pendant la procédure », soutient Pierre Henry, délégué général de France terre d’asile. Seuls un tiers des demandeurs d’asile y bénéficient d’une place. OCTOBRE 2013 MAIRES DE FRANCE 35 TERRITOIRES ENQUETE_S_M_S_S_POLITIQUES 30/09/13 16:14 Page36 Territoires Enquête © Bertrand Langlois/AFP Un système à bout de souffle Si les centres d’accueil des demandeurs d’asile (1 1 places) « devraient être la norme pour l’hébergement », ils « sont totalement saturés, seuls % des demandeurs en bénéficient », reconnaissait le ministre de l’Intérieur (qui a la charge de l’asile) lors de l’installation d’une concertation nationale sur la réforme de l’asile, le 1 juillet dernier. Confiée au député Jean-Louis Touraine et à la sénatrice Valérie Létard, cette concertation vise entre autres à revoir ces questions d’hébergement. Ses conclusions sont attendues pour fin octobre. À défaut de places suffisantes en CADA, les demandeurs d’asile se reportent sur les dispositifs d’urgence (plus de places), aussi saturés. l’implantation d’un CADA pour « dynamiser sa commune » en lieu et place d’une maison de retraite abandonnée. À Montmarault, les élus ont pourtant tenté au départ de baisser le nombre de places accordées à 40 plutôt qu’à 60 « de crainte des replis communautaires », mais aujourd’hui René Mathonière observe que le nombre n’a pas compliqué l’intégration : « La diversité des nationalités la facilite au contraire. »Le maire a « surtout compris qu’en deçà de 60 places, ce genre de centre est difficilement viable ». Il a d’ailleurs été déjà agrandi de 20 places. Les CADA doivent faire avec un prix de journée versé par l’État qui a fondu de près de 10 % en trois ans. En moyenne de 24 euros par jour et par personne accueillie. Ce qui comprend l’hébergement, l’accompagnement administratif et social. Autant dire que partout on cherche à mutualiser les frais… Aussi, alors que certains projets ont été vivement contestés par la population il y a quelques années, aujourd’hui, certains pleureraient 36 MAIRES DE FRANCE OCTOBRE 2013 Comme le confirme le ministère, l’État ne parvient donc « à héberger que la moitié des demandeurs d’asile ». C’est régulièrement que les journaux dressent le récit de familles à la rue, squattant des immeubles. Cela a valu encore récemment à la France d’être vertement condamnée par le Haut commissariat aux réfugiés pour les conditions dans lesquelles vivaient des réfugiés dans une ancienne boucherie industrielle de Dijon. Depuis novembre 1, plusieurs appels à projets ont été lancés pour augmenter l’offre en CADA de places. nouvelles places devaient ouvrir cet été. L’ouverture de autres a été repoussée au lendemain des municipales 1. Dans son dernier appel à projets, le ministère a ciblé 1 départements prioritaires, essentiellement ruraux, de façon à « déconcentrer les flux ». D’après une évaluation faite par la Coordination nationale asile (un collectif d’associations), les nouvelles places procéderaient le plus souvent d’extension de CADA existants, de 1 à places, que d’ouverture de nouveaux. presque à l’idée que le CADA plie bagages pour la ville. Un contraste récurrent observé par Pierre Henry à France terre d’asile qui loue la détermination et l’exercice de pédagogie accompli par certains maires. Implication des résidents dans la vie du village À Chambon-le-Château, Michel Nouvel se souvient de « ces reproches visant ces parents oisifs, assis sur les bancs ou ne faisant pas vivre le boucher du village ». « C’était au tout début. Une fois que l’on explique que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler, qu’ils ont une allocation d’attente qui ne leur permet pas de faire leurs courses dans les petits commerces locaux, tout cela s’apaise », témoigne-t-il. Comme d’autres maires, il loue le travail d’accompagnement des CADA qui facilite cette intégration, en poussant à l’implication des résidents dans la vie du village. Ici, des réfugiés ont siégé au conseil d’école. Là, les mamans accompagnent les sorties scolaires. À Étrochey, les demandeurs d’asile ont aidé à déblayer les dégâts provoqués par la tornade qui a frappé le bourg cet été. À Bussières-et-Pruns (421 habitants, Puyde-Dôme), les résidents du CADA sont bénévoles dans des associations comme le Secours catholique, le Secours populaire, participent au jardin potager. « C’est presqu’une obligation, relève Fatima Bezli, directrice de ce CADA géré par Emmaüs. Le temps est long, la durée du séjour se prolonge plus facilement sur deux ans compte tenu de la lenteur des procédures. S’occuper permet à certains de retrouver de la dignité. » Un demandeur d’asile ne peut ni entrer en formation, ni travailler, sauf à obtenir une dérogation au delà d’une année de présence en CADA, ce qui dépend en outre des tensions sur le marché local de l’emploi. Un sésame que certains CADA obtiennent, pour des chantiers agricoles ou d’insertion comme à Bussières-et-Pruns, pour des CDD dans un abattoir de volailles comme à Carla-Bayle. « Nous avons obtenu des autorisations de travail qui sont tombées à point nommé pour conforter l’entreprise qui ne trouvait pas de maind’œuvre locale »,relève Jean-Luc Couret. Quelquesunes de ces recrues ont même été embauchées en CDI une fois leur situation stabilisée. Quand des familles sont déboutées de leur demande d’asile, les migrants doivent, selon la loi, quitter le centre dans un délai d’un mois (dans les trois mois si elles obtiennent le statut de réfugié). Certains élus craignaient que cela «se passe mal», la réalité est autre. « Les CADA travaillent dès l’arrivée des familles à la préparation de leur départ », explique Pierre Henry. En général, leur départ se passe donc « sans histoire », ce qui ne signifie pas « sans douleur », interrompent plusieurs élus. Dans de rares cas, des maires reconnaissent s’être impliqués pour soutenir une ou deux familles, qui finalement ont obtenu un titre de séjour. Ce fut le cas à Carla-Bayle, « malgré la pression mise sur ma tête d’encourir des poursuites pour aide au séjour irrégulier », sourit aujourd’hui Jean-Luc Couret. Ailleurs, on préfère ne pas en parler. « C’est du cas par cas, les maires ne veulent pas que cela se sache », confient des responsables de CADA. Quant à ceux qui obtiennent le droit de vivre en France, certains décident de rester vivre dans la région. À Bussières-et-Pruns, une migrante rêve de reprendre la boulangerie du village à l’abandon. Emmanuelle STROESSER (1) Le taux d’encadrement doit être compris entre un ETP pour dix et un ETP pour quinze personnes accueillies.