Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké
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Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké
Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké par Ledoux Noël Fotio Jousse, Université de Dschang/Cameroun Résumé Le proverbe se présente comme une véritable documentation pour la société toute entière en ce sens qu’il lui fournit la plupart des informations dont elle a besoin pour s’exprimer, s’éduquer et s’épanouir. Dans le présent article, à partir d’un corpus de vingt trois proverbes recueillis chez les Bamiléké, nous voulons montrer qu’en jouant à merveille ce rôle de documentaliste, le proverbe a sans conteste entre autres fonctions, celle d’établir des relations étroites entre le groupe social et la nature, mettant ainsi en exergue sa valeur culturelle. Abstract The proverb presents itself as a real documentation to the entire society in the sense that it provides most of informations needed to express, and to educate itself and most especially to bloom. This paper based on twenty three proverbs collected from the Bamilekes, aims at showing that while marvellously playing this role of librarian, the proverb has without dispute among others functions, that of establishing narrow relations between the social group and nature thus illustrating its cultural value. Introduction Le proverbe est une parole laconique, « lapidaire, qui enferme des vérités découlant de l’observation des êtres et des choses, expérimentées, intemporelles et générales » (Kouadio ; 2008 : 80). L’étude du proverbe a pour objet de révéler les structures symboliques, les organisations sémantiques et les manifestations culturelles propres à un groupe humain. L’analyse du proverbe montre qu’à un moment donné de son évolution, un peuple cherche des voies et moyens pour comprendre la nature, l’univers et tente de ce fait de maîtriser son destin. Bien plus, pour appréhender pleinement le proverbe dans la vie d’un peuple, il convient de le situer dans son idéologie et dans sa vie quotidienne, le considérant ainsi comme une pratique dont le but est de produire des relations sociales et des émotions. Bien qu’il révèle l’organisation sociale et politique ainsi que les relations entre les individus, le proverbe a cette particularité qu’il peut intégrer d’autres genres oraux tels que le conte, le mythe, la légende, l’épopée, etc. Cette capacité d’intégration d’autres genres littéraires montre non seulement la sollicitation constante dont-il est l’objet mais encore l’importance que lui reconnaissent conteurs et sages. Cet intérêt marqué transparaît dans les discours quotidiens, mais aussi lors de grandes manifestations sociales. Si les hommes en général marquent un intérêt manifeste pour le proverbe, c’est que ce dernier cristallise leur idéologie, leur conception de la société et leur vision du monde. Dès lors, il cesse d’être un simple genre littéraire dont on apprécie souvent la concision, pour apparaître comme point de référence sociale, l’âme d’un peuple qui d’abord se reconnaît, puis s’affirme et enfin se pose dans son identité culturelle. Il sera question pour nous dans cet article, de montrer à travers l’analyse de vingt- trois proverbes recueillis chez les Bamiléké que de par sa forme, son pouvoir d’intégration et de rassemblement, de par les fonctions qu’il assume dans la société, le proverbe apparaît comme un genre d’importance majeure que ce peuple ne saurait négliger s’il veut garder haut le porte étendard de sa civilisation, surtout à l’aire de l’universalisation de la culture. 1. Le corpus 1. A Il yiη né dככη a marcher action de doucement il Revue RA N°12 lâ pi jamais dehors la’a dormir Page 174 Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors. 2. Pәk la’ zwiη ta nzeh lé twi’ thoh Nous futur vieillir avant savoir action de tenir canne C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne. 3. A zәsôh lככη kw’כ cwô כ ô mi mbît Il abcès présent monter bouche tien tu avaler pu Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus. 4. A no la cyâ Tyêh a lכgכ ηkà’ yé toη Il chose dépasser grillon il prendre avec dos sien siffler Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes. 5. Metyeh tso’ mandzwie mpre mpre Salive cracher femme tendre tendre Les crachats de la femme sont toujours tendres. 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa te ziη כ Même comme l’être humain savoir que il futur partir il jamais nég. danser into Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 7. Niηmesoη lé gho no boηo te wiêh tso’ piηe L’être humain action de faire chose bien nég.avoir rendre retour L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour. 8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’ Celui qui transporte œuf poule avoir action de fuir bagarre Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre. 9. A ηgwo o ku kho sèseho ta’a zε Il être tu entrer fuir gaz marcher excréments En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments. 10.A khwo mâ ηgab te zwie mu כηgab כ Il patte mère poule nég. tuer petit poule into La patte de la mère-poule ne tue jamais le poussin. 11.A lwob te ndû ne me baη כ Il papaye nég. pourrir avec pluriel pépins into La papaye ne pourrit jamais avec les pépins. 12.Tooη wi a zâ’ toη Maηgwa kite ta ku tsiη Roche qui il couper sommet Maηgwa roule jusque entrer bas La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule jusque dans la vallée. 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé Il fortune l’être humain cela enfants lui aussi enfants enfants lui La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain qui pluriel dieux aimer lui nég rester pluriel lieux dieux into L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. 15.E kwoηo cya Revue RA N°12 ηkab Page 175 Le amour dépasser argent L’amour dépasse l’argent. 16.Seh thum la fu’ naa Noir cœur passé bénéfice donner La haine n’a jamais générée de profit. 17.Lekaη mbu’ â nzeh no yé Magie innocent il connaître chose lui La magie du sage c’est sa raison. 18.Lexweh a cu’ ndzәm le nәηe ηgwoη La mort il au lieu de derrière action de rester monde La mort est la sœur cadette de la vie. 19.E ghube mandzwie ηgwa le kwete tsәm te ye zeh no mo כ Les enfants femme nég action de mourir tous nég lui savoir chose cela into Les enfants d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause. 20.Niη wi a la fa’ lé kw ’כtכη Maηgwa nye twoh e Celui qui il passé chercher action de monter sommet Maηgwa laisser tête sien Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie. 21.E mok ηgwa le pu pyéh tsε me mbwà la’ כ Le feu nég action de totalité s’éteindre dans pluriel concessions village into Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village. 22.Ta’ mu כpwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ כ Un petit main nég action de retirer viande dans sauce into Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce. 23.Me tée ηgwooη cycy כ’כmbre na thoh כ On nég attraper chenille coller sur arbre into On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre. Ce corpus de vingt-trois proverbes recueillis chez les Bamiléké ne peut se donner la prétention d’être exhaustif. En effet, nous nous sommes particulièrement focalisé sur les proverbes dont l’usage se fait aussi hors du milieu linguistique bamiléké, dans certaines langues des hautes terres de l’Ouest-Cameroun, en conservant ou non la même formulation. 2. Esthétique du proverbe Pour mieux comprendre le proverbe, il est important d’appréhender les procédés stylistiques auxquels il a recours. Seront ici abordées la répétition, la morphosyntaxe, les figures de style et de rhétorique. 2.1. La répétition La répétition c’est le retour du même phonème, du même mot ou groupe de mots ayant un sens ou non dans un texte en prose ou en vers. Elle peut soit se limiter à un vers, soit s’étendre à plusieurs phrases ou plusieurs vers. Les répétitions sont d’une récurrence élevée dans les proverbes du corpus. Elles ne « marquent pas une pauvreté quelconque de la langue dans laquelle elles sont utilisées. Elles ont une importance capitale». (Gnintedem ; 1994 :118). 2.1.1. L’itération Revue RA N°12 Page 176 L’itération est la répétition d’un mot ou d’une expression verbale dans une suite de mots ou de phrases. Dans notre corpus, les termes itératifs sont les suivants : « Niηmesoη » (l’être humain), « a » (il), « ( » כintonation). Le terme « Niηmesoη » se retrouve dans quatre proverbes : 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ghâ a laa fé t e ziη כ Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour. 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. La répétition de « Niηmesoη » (l’être humain) crée une emphase qui permet au proverbe d’interpeller l’être humain et de lui prodiguer des conseils car conçu par l’être humain, le proverbe lui est destiné. Le terme « a » (il) intervient dans treize proverbes. Il apparaît soit en début de vers : 1. A yiη ne dככη a lâ pi la’a 3. A zәsôh lככη kw ’כcwô כô mi mbît 4. A no la cyâ tyeh a lכg כηkà’ ye toη 9. A ηgwo o ku kho sèseho ta’a zε 10.A khwo mâ ηgab te zwie mu כηgab כ 11.A lwob te ndû ne me baη כ 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé soit au milieu : 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη כ 8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’ 12.Tooη wi a zâ’ toη Maηgwa kite ta ku tsiη 18.Lekaη mbu’ â nzeh no yé 19.Lexweh a cu’ ndzәm le nәηe ηgwoη Les nombreuses occurrences de « a » en début et au milieu des proverbes concentrent les mêmes sonorités qui créent à leur tour une harmonie. Tout cela imprime au proverbe une allure poétique. Neuf proverbes du corpus comportent l’intonation « » כqui se place essentiellement à la fin des vers : 6. Mbo pa’niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη כ 10.A khwo mâ ηgab te zwie mu כηgab כ 11.A lwob tê ndû ne me baη כ 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ 19.E ghube mandzwie ηgwa le kwete tsәm te ye zeh no mo כ 21.E mok ηgwa le pu pyéh tsε me mbwà la’ כ 22.Ta’ mu כpwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ כ 23.Me tée ηgwooη cycy כ’כmbre na thoh כ Les répétitions nombreuses de l’intonation « » כdans les proverbes créent des sonorités harmonieuses et agréables dont la finalité est de créer un effet particulier sur l’auditoire. En effet, l’utilisateur du proverbe, en plus d’étayer son discours, recherche tout ce qui peut Revue RA N°12 Page 177 produire chez l’auditoire une forte impression de surprise, d’intérêt, d’émotion ou d’admiration. 2.1.2. La duplication et la triplication Il y a duplication lorsqu’un mot est repris deux fois dans une phrase. Plusieurs duplications ont été relevées dans notre corpus : 5. Metyeh tso’ mandzwie mpre mpre Les crachats de la femme sont toujours tendres. 10.A khwo mâ ηgab té zwie mu כηgab כ La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. Lorsqu’un mot ou une syllabe est repris successivement trois fois dans une phrase, on parle de triplication. Un cas a été relevé dans notre corpus: 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. La duplication et la triplication sont une forme d’insistance qui apporte à la parole proverbiale nuance et rythme. Bien plus, les nombreuses occurrences des mots renforcent sa musicalité et créent l’harmonie. 2.1.3. L’assonance et l’allitération Répétition d’un même son vocalique dans une phrase, l’assonance se retrouve dans les proverbes : 1. A yiη e ne dככη a la a pi la’a Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors. 3. A zәsôh lככη kw כ ’כcwô כô mi mbît Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus. 10.A khwo mâ a ηgab té e zwie mu כηgab כ La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin. 11.A lwob té e ndû ne me baη כ La papaye ne pourrit jamais avec les pépins. 12.Tooη wi a zâ’ a toη Maηgwa kite ta ku tsiη כ La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule jusque dans la vallée. 23.Me tée ηgwooη cicy כ’כmbre na thoh כ On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre. On note dans ces proverbes, une récurrence élevée des voyelles gaies telles que : [a], [i],[e],[o],[u],[]כ,[ε]. Leur répétition donne au proverbe un rythme mélodieux et joyeux. L’allitération est la répétition d’une consonne ou d’un groupe de consonnes dans une phrase. Nous en avons relevé dans plusieurs proverbes : 5. Metyeh tso’ mandzwie mpre mpre Les crachats de la femme sont toujours tendres 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη כ Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’ Revue RA N°12 Page 178 Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre. 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. Les nombreuses répétitions des consonnes sourdes telles que : [p],[b],[d],[n],[m], [η] ,[t],[k], créent des sonorités heurtées, sombres et désagréables. Ceci imprime à la parole proverbiale un sentiment de peine et de tristesse. Pour atténuer cette tonalité triste, les voyelles gaies sont combinées aux consonnes. La répétition n’est donc pas un procédé fantaisiste. Il apparaît que l’assonance et l’allitération, tout comme les autres figures de répétition, concourent à assurer une certaine esthétique dans le proverbe. Nous nous intéresserons à présent au niveau morphosyntaxique. 2.2. Niveau morphosyntaxique Seront abordées ici la structure binaire, la généralisation et la négation. 2.2.1. La structure binaire Le proverbe repose essentiellement sur une structure binaire c’est-à-dire formée de deux éléments, séparés ou non par une virgule : 3. A zәsôh lככη kw כ ’כcwô כ// ô mi mbît Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus. 4. A no la cyâ Tyeh // a lכg כηkà’ ye toη Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes. 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ // a laa fé t e ziη כ Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 9. A ηgwo o ku kho sèseho // ta’a zε En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments. Ces proverbes ont l’allure de phrases hypothétiques dont les premiers éléments (premières portions) expriment la supposition, la condition du fait présenté par les deuxièmes éléments (deuxièmes portions). Avec la condition, l’action des premières portions ne peut se réaliser que si l’action des deuxièmes portions elle-même se réalise. Selon le proverbe 3, on n’avale le pus que si l’abcès monte dans notre bouche. D’après le proverbe 4, Tyeh le grillon ne hurle que s’il est dépassé par les événements. Le proverbe 6 montre que l’homme ne danse davantage que lorsqu’il se souvient qu’il est un être mortel. D’après le proverbe 9, Il peut arriver qu’on marche sur les excréments parce qu’on veut fuir un gaz malodorant. La caractéristique fondamentale de ces quatre proverbes est que leurs traductions littéraires portent des virgules. Elles séparent les portions de proverbes et mettent en exergue leur structure binaire, contrairement aux proverbes suivants : 1. A yiη e ne dככη // a la a pi la’a Celui qui va doucement // n’a jamais passé la nuit dehors. 2. Pәk la’ zwiη // ta nzeh le twi’ thoh C’est quand nous vieillirons // que nous saurons nous appuyer sur une canne. 7. Niηmesoη le gho no boηo // te wiêh tso’ piηe L’être humain a tant fait du bien // et n’a jamais rien reçu en retour. 12.Tooη wi a zâ’ a toη Maηgwa // kite ta ku tsiη כ La roche qui se détache du Mont Maηgwa // roule jusque dans la vallée. 17.Lekaη mbu’ // â nzeh no yé Revue RA N°12 Page 179 La magie du sage // c’est sa raison. 20.Niη wi a la fa’ lé kw ’כtכη Maηgwa // la nye twoh e Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet // y laissa sa vie. Bien qu’ils ne comportent pas de virgules dans leurs traductions littéraires, ces proverbes n’en sont pas moins binaires. En effet, comme une sorte de rythme, cette structure binaire est perceptible tant dans les proverbes en langue que dans ceux traduits. Dans le proverbe 1, la première portion c’est « A yiη e ne dככη » (Celui qui marche doucement) et la seconde c’est « a la a pi la’a » (n’a jamais passé la nuit dehors). La première portion dans le proverbe 2 c’est « Pәk la’ zwiη » (C’est quand nous vieillirons) et la seconde «ta nzeh le twi’ thoh » (que nous saurons nous appuyer sur une canne). En ce qui concerne le proverbe 7, la première portion c’est «Niηmesoη le gho no boηo » (L’être humain a tant fait du bien) et la seconde « te wiêh tso’ piηe » (et n’a jamais rien reçu en retour). La première portion du proverbe 12 c’est «Tooη wi a zâ’ a toη Maηgwa » (La roche qui se détache du sommet du Mont Maηgwa) et la seconde c’est « kite ta ku tsiη ( » כroule jusque dans la vallée). Pour ce qui est du proverbe 17, la première portion c’est «Lekaη mbu’ » (La magie du sage) et la seconde «â nzeh no yé » (c’est sa raison). La première portion du proverbe 20 c’est «Niη wi a la fa’ lé kw ’כtכη Maηgwa » (Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet) et la seconde «la nye twoh e » (y laissa sa vie). Il ressort que la structure binaire du proverbe n’est aucunement un fait de hasard. Elle lui imprime des rythmes particuliers. 2.2.2. La généralisation Bien que le proverbe permette d’étayer une expérience personnelle, individuelle vécue par son utilisateur, il n’en demeure pas moins qu’il a une portée générale. Plusieurs proverbes du corpus comportent les marques de la généralisation : 1. Niη a yiη e ne dככη a la a pi la’a Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors. 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη כ Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour. 8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’ Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre. 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. 20.Niη wi a la fa’ lé kw ’כtכη Maηgwa la nye twoh e Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie. 23.Me tée ηgwooη cicy כ’כmbre na thoh כ On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre. Les proverbes 1, 8 et 20 portent la même marque linguistique de la généralisation « Niη » (celui). Les proverbes 6, 7, 13 et 14 portent aussi une même marque de la généralisation. Il s’agit du terme « Niηmesoη » (l’être humain). La marque de la généralisation dans le proverbe 23 c’est « Me » (on). Toutes ces marques que nous venons de relever concourent à rendre le proverbe impersonnel en ce sens que sa signification particulière liée à l’individu et au contexte est enveloppée par une portée beaucoup plus Revue RA N°12 Page 180 générale. Chacun peut donc se retrouver dans la parole proverbiale bamiléké ; ce qui facilite et simplifie son emploi. Bien plus, lorsqu’un homme rassembleur prend la parole en public et veut étayer son point de vue par des proverbes, tout en évitant d’esquinter ses adversaires, les proverbes de ce type sont privilégiés. Ils ont cette caractéristique que tout le monde y a accès et qu’ils s’adressent à tout le monde. 2.2.3. La négation Les proverbes recourent abondamment à la négation : 6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη כ Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser. 7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour. 10.A khwo mâ a ηgab té e zwie mu כηgab כ La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin. 11.A lwob té e ndû ne me baη כ La papaye ne pourrit jamais avec les pépins. 14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh כ L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires. 19.E ghube mandzwie ηgwa le kwete tsәm te ye zeh no mo כ Les enfants d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause. 21.E mok ηgwa le pu pyéh tsε me mbwà la’ כ Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village. 22.Ta’ mu כpwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ כ Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce. La négation est essentiellement marquée par « te » (ne …jamais). C’est le cas dans les proverbes 6,7,10,11 et14,. En ce qui concerne les proverbes 19,21 et 22, la négation y est marquée par «ηgwa » (ne peut). Ces différents termes permettent à l’utilisateur de la parole proverbiale de rejeter quelque chose, de n’en faire aucun cas en fonction des circonstances et des événements. La négation intervient bien souvent dans les proverbes à la structure binaire et fait d’une portion l’opposée de l’autre. C’est ainsi que dans le proverbe 6, la première portion « Même comme l’être humain est destiné à mourir » s’oppose à la seconde portion « il n’a jamais cessé de danser ». Pour ce qui est du proverbe 7, la première portion « L’être humain a tant fait du bien » s’oppose à « n’a jamais rien reçu en retour ». En ce qui concerne le proverbe 10, « La patte de la mère poule » s’oppose à « ne tue jamais le poussin ». Pour le proverbe 11, « La papaye» s’oppose à « ne pourrit jamais avec les pépins ». Dans le proverbe 14, « L’être humain aimé des dieux » s’oppose à « ne passe jamais ses journées dans leurs sanctuaires ». Dans le proverbe 19, « Les enfants d’une mère » s’oppose à « ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause ». En ce qui concerne le proverbe 21, « Le feu» s’oppose à « ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village ». Dans le proverbe 22, « Un seul doigt » s’oppose à « ne peut retirer la viande de la sauce ». Nous poursuivrons notre analyse en abordant les figures de style et de rhétorique. 2.3. Les figures de style et de rhétorique Seuls l’anthropomorphisme et la satire feront l’objet de notre étude dans cette rubrique. 2.3.1. L’anthropomorphisme Revue RA N°12 Page 181 L’anthropomorphisme c’est la tendance à attribuer aux objets naturels, aux animaux et aux créations mythiques des caractères propres à l’homme. Il n’a été relevé que dans deux proverbes du corpus : 4. A no la cyâ Tyeh a lכg כηkà’ ye toη Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes. 18.Lexweh a cu’ ndzәm le nәηe ηgwoη La mort est la sœur cadette de la vie. Les proverbes bamiléké attribuent des caractères humains à l’amour, l’argent, la mésentente, la vie, la mort, la haine, etc. L’anthropomorphisme dans le proverbe 4 donne à Tyeh le grillon les caractères humains, dont celui d’être dépassé par les événements. En ce qui concerne le proverbe 18, en faisant de la mort la sœur cadette de la vie, l’anthropomorphisme donne à la vie et à la mort les caractères humains. De manière générale, l’anthropomorphisme concourt à rendre la parole proverbiale beaucoup plus métaphorique. 2.3.2. La satire La satire est un discours qui s’attaque aux mœurs publiques ou privées, ou qui tourne quelqu’un ou quelque chose en ridicule. La satire est présente dans la plupart des proverbes du corpus : 1. A yiη e ne dככη a la a pi la’a Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors. 2. Pәk la’ zwiη ta nzeh le twi’ thoh C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne. 7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour. 8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’ Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre. 13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils. 15.E kwoηo cya ηkab L’amour dépasse l’argent. 16.Seh thum la fu’naa La haine n’a jamais générée de profit. 20.Niη wi a la fa’ lé kw ’כtכη Maηgwa la nye twoh e Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie. 22.Ta’ mu כpwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ כ Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce. Tous ces proverbes sont satiriques et dénoncent les maux tels que : l’envie, l’hypocrisie, l’ingratitude, la haine, la jalousie, l’égoïsme, le manque de respect envers les autres, etc. C’est ainsi que le proverbe 1 s’attaque à ceux qui ont tendance à se précipiter ou à se déplacer à grande vitesse. Ils s’exposent aux dangers tels que les accidents alors que « qui va doucement va sûrement ». Ce proverbe fustige aussi les hommes envieux qui veulent tout avoir en un temps record. De tels individus finissent bien souvent par se compromettre. La satire du proverbe 2 rappelle à l’ordre les jeunes qui manquent de respect à l’endroit des vieillards. Le proverbe 7 critique l’ingratitude de l’être humain. A travers l’image du transport des œufs, le proverbe 8 montre que tout être humain qui a une faiblesse ne doit en aucun cas se livrer à des querelles. Le proverbe 13 rappelle dans un monde dominé par le matérialisme Revue RA N°12 Page 182 la valeur inestimable de l’enfant. Le proverbe 15 s’attaque à ceux qui veulent comparer l’amour à l’argent. Il apparaît clairement que l’amour est au-dessus de l’argent. Le proverbe 16 vilipende tous ceux qui se livrent à la haine. Quant au proverbe 20, il met en garde contre l’intrépidité. Le proverbe 22 s’adresse aux égoïstes pour leur montrer que tout seuls ils ne peuvent rien entreprendre ou réaliser de grandiose car « l’union fait la force ». A travers l’étude de la répétition, de la morphosyntaxe, des figures de style et de rhétorique, nous avons montré l’esthétique des proverbes. Nous aborderons à présent leur fonctionnalité. 3. Fonctionnalité du proverbe Deux fonctions essentielles se dégagent des proverbes : la fonction oratoire et la fonction didactique. 3.1. La fonction oratoire Le proverbe est une courte formule exprimant la sagesse communautaire, proposant une vérité établie, reconnue et validée par les ans et l’expérience. Pour Chukwuma, les proverbes sont des vérités validées par l’expérience [---] ancestrale, testées et éprouvées par le temps, une forme de langage s’appuyant sur des métaphores empruntées à l’expérience de la vie quotidienne, [---] une formule créatrice unique. (Ugochukwu ; 2004 : 88). L’emploi du proverbe est très significatif chez les Bamiléké car il permet aux jeunes de prouver leur maturité pour accéder à la classe des adultes et aux adultes de confirmer leur maîtrise de la langue. Chez les Bamiléké tout comme chez les ŋgəmbà, « la parole proverbiale sert « d’épice » à d’autres paroles ». (Kuitche Fonkou ; 2004 : 43). Cela rejoint la perception igbo exprimée par Chinua Achebe qui dit que « les proverbes sont l’huile de palme dont on se sert pour manger la parole ». Il n’y a pas de séance de production orale entièrement consacrée aux proverbes comme c’est le cas avec les contes. Cela fait dire à Kuitche Fonkou que « le proverbe est davantage une manière de dire qu’un genre littéraire.[--] Le proverbe jouit en fait d’un double statut, celui de genre oral et de forme discursive ». (Ibidem : 43). Le proverbe prépare le futur orateur à l’art de la rhétorique car dans la société traditionnelle, la valeur oratoire d’un homme s’évalue à sa manière de ponctuer son discours de proverbes. Mais, les jeunes qui prennent la parole devant les aînés évitent généralement d’utiliser les proverbes de peur de commettre d’éventuelles erreurs de sens. En effet, dans le cadre du respect dû à ceux-ci, respect qui impose d’éviter la parole insultante en général, les plus jeunes ont un devoir de retenue lorsque le proverbe à énoncer peut écorcher, irriter. Autrement dit, si un aîné s’en prend à un jeune pour avoir employé un proverbe, ce ne sera pas pour ce fait en tant que tel, mais pour la nature insultante du proverbe employé, comme cela aurait été le cas pour toute autre parole irrespectueuse. (Ibidem : 40). Bien plus, le proverbe nous apparaît éminemment pédagogique en ce sens qu’il éduque les individus et définit leurs attributions au sein du groupe. 3.2. La fonction didactique Le proverbe est simultanément message et structure sémiologique disponible dans la tradition. Il définit une règle de conduite (Celui qui marche doucement n’a jamais passé la Revue RA N°12 Page 183 nuit dehors), rappelle aux jeunes qu’ils doivent faire preuve d’allégeance à l’égard de leurs aînés et parents (C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne). C’est donc une pratique qui mobilise toute une société. Le proverbe peut ordonner (Puisque l’abcès est dans ta bouche, avale le pus), divertir (Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes), consoler (Les crachats de la femme sont toujours tendres), prédire (Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser), reprocher (L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour), conseiller (Celui qui transporte des œufs doit éviter la bagarre) ou tout simplement ironiser (En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments). Le proverbe montre comment certains aspects de l’univers familial et social peuvent être appréhendés, comment ils prennent sens. Il sert de filtre social, et à distinguer le sage de l’ignorant. L’enseignement de la vie en général et la transmission de l’expérience de l’univers familial et social en particulier passent aussi par le proverbe qui est l’un des moyens par lesquels la culture de l’homme peut être reflétée. Cela fait dire à Marco Bertoni que « chaque communauté en fonction de son milieu naturel, social et de son appareil symbolique, élabore des proverbes spécifiques dont les références s’inscrivent dans l’horizon culturel qui les a produit» (Bertoni ; 2005 : 286). C’est dans ce sens que le proverbe sert de point d’appui à la pensée, et de véhicule à la sagesse populaire. Ce faisant, il participe au maintien de la cohésion sociale. Le proverbe est issu de l’observation. Ses éléments appartiennent d’une part aux règnes animal (La patte de la mère- poule ne tue jamais le poussin), végétal (La papaye ne pourrit jamais avec les pépins), minéral (La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule jusque dans la vallée). D’autre part, il peut recourir aux humains (La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits-fils), aux dieux (L’être humain aimé des dieux ne passe jamais ses journées dans leurs sanctuaires), aux abstractions personnifiées : mort (La mort c’est la sœur cadette de la vie), etc. Tout le cosmos connu ou imaginé sert à l’exemplification des vérités générales auxquelles le proverbe aboutit. Il est nécessaire à la vie communautaire, il est rite, il scelle l’amitié, il nourrit. Il apporte à la parole saveur et goût. Il enrobe la pensée, la personnalise, facilite l’écoute et emporte l’adhésion. Le proverbe n’est jamais utilisé seul. Il est le plus souvent intégré à la conversation ou au discours. La parole proverbiale est plus qu’un outil : « c’est une arme qui, brandie, manifeste la puissance et repousse l’adversaire ». (Ugochukwu, Ibidem : 94).Le proverbe n’a pas de fin en soi ni d’existence séparée, il est parti intégrante du discours. Et pour qu’il soit efficace, il faut évidemment qu’il soit compris et correctement interprété, ce qui n’a jamais été facile car le proverbe est une parole codée. Les femmes se servent des proverbes parfois entre elles, mais la tradition ne les encourage pas à le faire en présence des hommes. Les femmes et les enfants sont le plus souvent mis en scène dans les proverbes, en situation généralement défavorable (Les enfants d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause). Il est nécessaire, pour pouvoir interpréter correctement et apprécier pleinement les proverbes, de connaître l’information culturelle qui leur sert de base. En effet, « en prononçant le proverbe, l’énonciateur met en relation l’énoncé avec un contexte spécifique, ce qui fait du proverbe le genre littéraire contextualisé par excellence » (Baumgardt et Bounfour ; 2004). Certains proverbes font allusion à des événements historiques (Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie). D’autres font état de coutumes locales (Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village). Nombreux sont encore les proverbes rappelant, dans un univers hostile, l’impérieuse nécessité de l’entraide (Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce), d’autant plus que ce qui Revue RA N°12 Page 184 affecte un membre de la communauté ne manque pas de toucher les autres. Les proverbes montrent qu’il est impossible de vivre seul. On a constamment besoin des autres. Le proverbe révèle au Bamiléké la place qui est la sienne au sein du groupe et de l’univers, et sa relation avec les êtres qui l’entourent. L’individu est sans cesse évalué, guidé, conseillé, corrigé par le groupe. Le proverbe répond au besoin qu’éprouvent les hommes de communiquer leur expérience par la juxtaposition des images, des allégories (On n’attrape pas une chenille pour coller sur l’arbre). Ce qui rejoint le point de vue soutenu par Kouadio Yao qui pense que le proverbe est généralement « parsemé d’images qui, pendant son énonciation dans un contexte précis, deviennent des métaphores et des symboles » (Ibidem : 80). Il se propose d’harmoniser le rôle de l’individu dans la communauté avec les fins que se propose cette cellule sociale. Il sert de référence pour communiquer les préceptes essentiels à l’organisation de la société ou au rétablissement de la communication lorsque celle-ci est menacée d’interruption. Il offre aussi des réponses aux questions que les Bamiléké se posent sur leur existence. Le proverbe est un moyen efficace de développement des activités mnémoniques. Il est pour le Bamiléké formé à l’école et dans la langue étrangère, un outil précieux de réimprégnation ou d’initiation à la langue maternelle. Le proverbe crée une union vitale non seulement entre les membres du groupe, mais encore entre les vivants et les morts car il vient des ancêtres, et chaque fois qu’un orateur l’énonce, il prend soin de dire : « nos pères avaient pour coutume de dire… ». De ce fait, les proverbes traduisent « un ensemble d’habitudes collectives qui s’imposent aux individus. Elles lui préexistent comme elles lui survivront ». (Mbah Onana ; 1989 : 395). Chez les Bamiléké tout comme en Afrique en général, sans proverbe, la parole devient fade et perd de son éclat. D’où l’appel lancé par Bakayoko pour sa collecte, sa sauvegarde et sa diffusion : la parole sans proverbe est chez nous comme la sauce sans sel. Chaque cas d’espèce devient une source de proverbe allant du simple conseil pratique à des considérations d’ordre moral, philosophique et religieux ; d’où l’importance de collecter, de transcrire ces valeurs de civilisation et de les mettre à la portée des nouvelles générations qui naissent et évoluent désormais dans un monde où la civilisation occidentale, marquée par l’écrit, risque de faire oublier le fondamental et l’essentiel des valeurs négro-africaines de l’oralité. (Bakayoko ; 1984 : 63). Le proverbe exprime les comportements et les habitudes collectives des individus. Sa maîtrise traduit l’enracinement dans une culture avec laquelle on est en étroite symbiose, et dont on contribue à maintenir et pérenniser les valeurs. Conclusion En somme, il ressort de ce travail que le proverbe recueilli chez les Bamiléké apparaît aux moments capitaux de la vie du peuple, moments qu’il se propose de rehausser. L’étude esthétique a montré que le langage proverbial n’est pas ordinaire puisqu’il s’appuie sur une importante rhétorique qui l’embellit. Il a ses fondements dans la société dont il est produit et facteur en ce sens qu’il véhicule et maintient les valeurs culturelles. Ses fonctions sont multiples : oratoire, didactique. Il est apparu clairement que tout comme la littérature orale en général, le proverbe est une école de vie, un instrument de socialisation, d’humanisation de l’individu dont on ne saurait se défaire au risque de perdre son identité culturelle. Références bibliographiques BAKAYOKO, Y., « Proverbes et devinettes bambara », in Cahiers de l’Institut Linguistique, N° 5, Louvain, 2005, pp.667-703 Revue RA N°12 de Page 185 BAUMGARDT, U. et Bounfour, A., Le proverbe en Afrique : forme, fonction et Sens, Paris, L’Harmattan/INALCO, 2004 BERTONI, M., Les musées, mythes, fables et croyances du Tchad, Editions Democratica Sarda, Sassari, 2005 FAME Ndongo, J., L’esthétique romanesque de Mongo Beti, Paris, Présence Africaine, 1985 GNINTEDEM, D., Les chants funèbres des pleureuses ŋכŋgyέmbכ, Mémoire de DIPES II, Yaoundé, ENS, 1994 HAMPATE Ba, A., Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972 Jolles, A., Formes simples, Paris, Seuil, 1972 KOUADIO, Y., « Le problème du fonctionnement du proverbe dans la Communication » in Langues et Littératures, Université Gaston Berger de Saint Louis, Sénégal, n° 12, 2008, pp 77-87 KUITCHE Fonkou, G., Création et circulation des discours codés en milieu ŋgәmbà/Mungum, Thèse de Doctorat d’Etat es lettres, Université de Lille III, 1988 KUITCHE Fonkou, G., « Autour de la parole : quelques proverbes ŋgәmbà »in Le proverbe en Afrique : forme, fonction et sens, Paris, Harmattan/INALCO, 2004, pp.37-50 MBAH Onana, J., « La littérature oral dans la vie de l’Afrique contemporaine. Le cas du proverbe beti » in Littérature orale de l’Afrique contemporaine, actes du Colloque de Yaoundé, 28 janvier-1 février 1985, Ongoum et Tcheho Editors, pp.395-404 UGOCHUKWU, F., « Proverbes et philosophie : le cas de l’igbo (Nigéria) » in Le proverbe en Afrique : forme, fonction et sens, Paris, Harmattan/INALCO, 2004, pp.79-90 Revue RA N°12 Page 186