Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké

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Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké
Esthétique et fonctionnalité du proverbe bamiléké
par Ledoux Noël Fotio Jousse, Université de Dschang/Cameroun
Résumé
Le proverbe se présente comme une véritable documentation pour la société toute entière en
ce sens qu’il lui fournit la plupart des informations dont elle a besoin pour s’exprimer,
s’éduquer et s’épanouir. Dans le présent article, à partir d’un corpus de vingt trois proverbes
recueillis chez les Bamiléké, nous voulons montrer qu’en jouant à merveille ce rôle de
documentaliste, le proverbe a sans conteste entre autres fonctions, celle d’établir des
relations étroites entre le groupe social et la nature, mettant ainsi en exergue sa valeur
culturelle.
Abstract
The proverb presents itself as a real documentation to the entire society in the sense that it
provides most of informations needed to express, and to educate itself and most especially to
bloom. This paper based on twenty three proverbs collected from the Bamilekes, aims at
showing that while marvellously playing this role of librarian, the proverb has without
dispute among others functions, that of establishing narrow relations between the social
group and nature thus illustrating its cultural value.
Introduction
Le proverbe est une parole laconique, « lapidaire, qui enferme des vérités découlant de
l’observation des êtres et des choses, expérimentées, intemporelles et générales » (Kouadio ;
2008 : 80). L’étude du proverbe a pour objet de révéler les structures symboliques, les
organisations sémantiques et les manifestations culturelles propres à un groupe humain.
L’analyse du proverbe montre qu’à un moment donné de son évolution, un peuple cherche des
voies et moyens pour comprendre la nature, l’univers et tente de ce fait de maîtriser son
destin. Bien plus, pour appréhender pleinement le proverbe dans la vie d’un peuple, il
convient de le situer dans son idéologie et dans sa vie quotidienne, le considérant ainsi comme
une pratique dont le but est de produire des relations sociales et des émotions.
Bien qu’il révèle l’organisation sociale et politique ainsi que les relations entre les
individus, le proverbe a cette particularité qu’il peut intégrer d’autres genres oraux tels que le
conte, le mythe, la légende, l’épopée, etc. Cette capacité d’intégration d’autres genres
littéraires montre non seulement la sollicitation constante dont-il est l’objet mais encore
l’importance que lui reconnaissent conteurs et sages. Cet intérêt marqué transparaît dans les
discours quotidiens, mais aussi lors de grandes manifestations sociales.
Si les hommes en général marquent un intérêt manifeste pour le proverbe, c’est que ce
dernier cristallise leur idéologie, leur conception de la société et leur vision du monde. Dès
lors, il cesse d’être un simple genre littéraire dont on apprécie souvent la concision, pour
apparaître comme point de référence sociale, l’âme d’un peuple qui d’abord se reconnaît, puis
s’affirme et enfin se pose dans son identité culturelle. Il sera question pour nous dans cet
article, de montrer à travers l’analyse de vingt- trois proverbes recueillis chez les Bamiléké
que de par sa forme, son pouvoir d’intégration et de rassemblement, de par les fonctions qu’il
assume dans la société, le proverbe apparaît comme un genre d’importance majeure que ce
peuple ne saurait négliger s’il veut garder haut le porte étendard de sa civilisation, surtout à
l’aire de l’universalisation de la culture.
1. Le corpus
1. A
Il
yiη
né
d‫ככ‬η
a
marcher action de doucement il
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lâ
pi
jamais dehors
la’a
dormir
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Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors.
2. Pәk la’
zwiη ta
nzeh lé
twi’ thoh
Nous futur vieillir avant savoir action de tenir canne
C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne.
3. A zәsôh l‫ככ‬η
kw‫’כ‬
cwô
‫כ‬
ô mi
mbît
Il abcès présent monter bouche tien tu avaler pu
Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus.
4. A no la cyâ
Tyêh a l‫כ‬g‫כ‬
ηkà’ yé toη
Il chose dépasser grillon il prendre avec dos sien siffler
Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes.
5. Metyeh tso’
mandzwie mpre mpre
Salive cracher femme
tendre tendre
Les crachats de la femme sont toujours tendres.
6. Mbo pa’
niηmesoη
nzeh ηgye a la’ ghâ a laa
te ziη
‫כ‬
Même comme l’être humain savoir que il futur partir il jamais nég. danser into
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de
danser.
7. Niηmesoη
lé
gho no
boηo te wiêh tso’
piηe
L’être humain action de faire chose bien nég.avoir rendre retour
L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour.
8. Niη a kâ
mbwom ηgab wiêh le
kho mela’
Celui qui transporte œuf
poule avoir action de fuir bagarre
Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre.
9. A ηgwo o ku
kho sèseho ta’a
zε
Il être tu entrer fuir gaz
marcher excréments
En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments.
10.A khwo mâ ηgab te zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
Il patte mère poule nég. tuer petit poule into
La patte de la mère-poule ne tue jamais le poussin.
11.A lwob
te ndû
ne me
baη
‫כ‬
Il papaye nég. pourrir avec pluriel pépins into
La papaye ne pourrit jamais avec les pépins.
12.Tooη wi a zâ’
toη
Maηgwa kite ta
ku
tsiη
Roche qui il couper sommet Maηgwa roule jusque entrer bas
La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule jusque dans la vallée.
13.A fu’
niηmesoη
ê ghube yé ne ghube ghube yé
Il fortune l’être humain cela enfants lui aussi enfants enfants lui
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
14.Niηmesoη
wi me
seh kwoηo yé te zo’ me ji’
seh ‫כ‬
L’être humain qui pluriel dieux aimer lui nég rester pluriel lieux dieux into
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs
sanctuaires.
15.E kwoηo cya
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ηkab
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Le amour dépasser argent
L’amour dépasse l’argent.
16.Seh thum la
fu’
naa
Noir cœur passé bénéfice donner
La haine n’a jamais générée de profit.
17.Lekaη mbu’
â nzeh
no
yé
Magie innocent il connaître chose lui
La magie du sage c’est sa raison.
18.Lexweh a cu’
ndzәm le
nәηe ηgwoη
La mort il au lieu de derrière action de rester monde
La mort est la sœur cadette de la vie.
19.E ghube mandzwie ηgwa le
kwete tsәm te ye zeh no
mo ‫כ‬
Les enfants femme
nég action de mourir tous nég lui savoir chose cela into
Les enfants d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la
cause.
20.Niη wi a la
fa’
lé
kw‫ ’כ‬t‫כ‬η
Maηgwa nye twoh e
Celui qui il passé chercher action de monter sommet Maηgwa laisser tête sien
Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie.
21.E mok ηgwa le
pu
pyéh
tsε me mbwà
la’
‫כ‬
Le feu nég action de totalité s’éteindre dans pluriel concessions village into
Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village.
22.Ta’ mu‫ כ‬pwo ηgwa le
kuri mbab tsε na’
‫כ‬
Un petit main nég action de retirer viande dans sauce into
Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce.
23.Me tée ηgwooη cycy‫ כ’כ‬mbre na thoh ‫כ‬
On nég attraper chenille coller sur arbre into
On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre.
Ce corpus de vingt-trois proverbes recueillis chez les Bamiléké ne peut se donner la
prétention d’être exhaustif. En effet, nous nous sommes particulièrement focalisé sur les
proverbes dont l’usage se fait aussi hors du milieu linguistique bamiléké, dans certaines
langues des hautes terres de l’Ouest-Cameroun, en conservant ou non la même formulation.
2. Esthétique du proverbe
Pour mieux comprendre le proverbe, il est important d’appréhender les procédés
stylistiques auxquels il a recours. Seront ici abordées la répétition, la morphosyntaxe, les
figures de style et de rhétorique.
2.1. La répétition
La répétition c’est le retour du même phonème, du même mot ou groupe de mots ayant
un sens ou non dans un texte en prose ou en vers. Elle peut soit se limiter à un vers, soit
s’étendre à plusieurs phrases ou plusieurs vers. Les répétitions sont d’une récurrence élevée
dans les proverbes du corpus. Elles ne « marquent pas une pauvreté quelconque de la langue
dans laquelle elles sont utilisées. Elles ont une importance capitale». (Gnintedem ; 1994 :118).
2.1.1. L’itération
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L’itération est la répétition d’un mot ou d’une expression verbale dans une suite de mots
ou de phrases. Dans notre corpus, les termes itératifs sont les suivants : « Niηmesoη » (l’être
humain), « a » (il), « ‫( » כ‬intonation).
Le terme « Niηmesoη » se retrouve dans quatre proverbes :
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ghâ a laa fé t e ziη ‫כ‬
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser.
7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe
L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour.
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires.
La répétition de « Niηmesoη » (l’être humain) crée une emphase qui permet au proverbe
d’interpeller l’être humain et de lui prodiguer des conseils car conçu par l’être humain, le
proverbe lui est destiné.
Le terme « a » (il) intervient dans treize proverbes. Il apparaît soit en début de vers :
1. A yiη ne d‫ככ‬η a lâ pi la’a
3. A zәsôh l‫ככ‬η kw‫ ’כ‬cwô ‫ כ‬ô mi mbît
4. A no la cyâ tyeh a l‫כ‬g‫ כ‬ηkà’ ye toη
9. A ηgwo o ku kho sèseho ta’a zε
10.A khwo mâ ηgab te zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
11.A lwob te ndû ne me baη ‫כ‬
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
soit au milieu :
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη ‫כ‬
8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’
12.Tooη wi a zâ’ toη Maηgwa kite ta ku tsiη
18.Lekaη mbu’ â nzeh no yé
19.Lexweh a cu’ ndzәm le nәηe ηgwoη
Les nombreuses occurrences de « a » en début et au milieu des proverbes concentrent les
mêmes sonorités qui créent à leur tour une harmonie. Tout cela imprime au proverbe une
allure poétique.
Neuf proverbes du corpus comportent l’intonation « ‫ » כ‬qui se place essentiellement à
la fin des vers :
6. Mbo pa’niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη ‫כ‬
10.A khwo mâ ηgab te zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
11.A lwob tê ndû ne me baη ‫כ‬
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
19.E ghube mandzwie ηgwa le kwete tsәm te ye zeh no mo ‫כ‬
21.E mok ηgwa le pu pyéh tsε me mbwà la’ ‫כ‬
22.Ta’ mu‫ כ‬pwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ ‫כ‬
23.Me tée ηgwooη cycy‫ כ’כ‬mbre na thoh ‫כ‬
Les répétitions nombreuses de l’intonation «‫ » כ‬dans les proverbes créent des sonorités
harmonieuses et agréables dont la finalité est de créer un effet particulier sur l’auditoire. En
effet, l’utilisateur du proverbe, en plus d’étayer son discours, recherche tout ce qui peut
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produire chez l’auditoire une forte impression de surprise, d’intérêt, d’émotion ou
d’admiration.
2.1.2. La duplication et la triplication
Il y a duplication lorsqu’un mot est repris deux fois dans une phrase. Plusieurs
duplications ont été relevées dans notre corpus :
5. Metyeh tso’ mandzwie mpre mpre
Les crachats de la femme sont toujours tendres.
10.A khwo mâ ηgab té zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin.
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires.
Lorsqu’un mot ou une syllabe est repris successivement trois fois dans une phrase, on parle de
triplication. Un cas a été relevé dans notre corpus:
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
La duplication et la triplication sont une forme d’insistance qui apporte à la parole proverbiale
nuance et rythme. Bien plus, les nombreuses occurrences des mots renforcent sa musicalité et
créent l’harmonie.
2.1.3. L’assonance et l’allitération
Répétition d’un même son vocalique dans une phrase, l’assonance se retrouve dans les
proverbes :
1. A yiη e ne d‫ככ‬η a la a pi la’a
Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors.
3. A zәsôh l‫ככ‬η kw‫ כ ’כ‬cwô ‫ כ‬ô mi mbît
Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus.
10.A khwo mâ a ηgab té e zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin.
11.A lwob té e ndû ne me baη ‫כ‬
La papaye ne pourrit jamais avec les pépins.
12.Tooη wi a zâ’ a toη Maηgwa kite ta ku tsiη ‫כ‬
La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule jusque dans la vallée.
23.Me tée ηgwooη cicy‫ כ’כ‬mbre na thoh ‫כ‬
On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre.
On note dans ces proverbes, une récurrence élevée des voyelles gaies telles que : [a],
[i],[e],[o],[u],[‫]כ‬,[ε]. Leur répétition donne au proverbe un rythme mélodieux et joyeux.
L’allitération est la répétition d’une consonne ou d’un groupe de consonnes dans une
phrase. Nous en avons relevé dans plusieurs proverbes :
5. Metyeh tso’ mandzwie mpre mpre
Les crachats de la femme sont toujours tendres
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη ‫כ‬
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser.
8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’
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Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre.
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires.
Les nombreuses répétitions des consonnes sourdes telles que : [p],[b],[d],[n],[m], [η] ,[t],[k],
créent des sonorités heurtées, sombres et désagréables. Ceci imprime à la parole proverbiale
un sentiment de peine et de tristesse. Pour atténuer cette tonalité triste, les voyelles gaies sont
combinées aux consonnes. La répétition n’est donc pas un procédé fantaisiste.
Il apparaît que l’assonance et l’allitération, tout comme les autres figures de répétition,
concourent à assurer une certaine esthétique dans le proverbe. Nous nous intéresserons à
présent au niveau morphosyntaxique.
2.2. Niveau morphosyntaxique
Seront abordées ici la structure binaire, la généralisation et la négation.
2.2.1. La structure binaire
Le proverbe repose essentiellement sur une structure binaire c’est-à-dire formée de
deux éléments, séparés ou non par une virgule :
3. A zәsôh l‫ככ‬η kw‫ כ ’כ‬cwô ‫ כ‬// ô mi mbît
Si l’abcès monte dans ta bouche, tu avaleras le pus.
4. A no la cyâ Tyeh // a l‫כ‬g‫ כ‬ηkà’ ye toη
Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes.
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ // a laa fé t e ziη ‫כ‬
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser.
9. A ηgwo o ku kho sèseho // ta’a zε
En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments.
Ces proverbes ont l’allure de phrases hypothétiques dont les premiers éléments
(premières portions) expriment la supposition, la condition du fait présenté par les deuxièmes
éléments (deuxièmes portions). Avec la condition, l’action des premières portions ne peut se
réaliser que si l’action des deuxièmes portions elle-même se réalise. Selon le proverbe 3, on
n’avale le pus que si l’abcès monte dans notre bouche. D’après le proverbe 4, Tyeh le grillon
ne hurle que s’il est dépassé par les événements. Le proverbe 6 montre que l’homme ne danse
davantage que lorsqu’il se souvient qu’il est un être mortel. D’après le proverbe 9, Il peut
arriver qu’on marche sur les excréments parce qu’on veut fuir un gaz malodorant. La
caractéristique fondamentale de ces quatre proverbes est que leurs traductions littéraires
portent des virgules. Elles séparent les portions de proverbes et mettent en exergue leur
structure binaire, contrairement aux proverbes suivants :
1. A yiη e ne d‫ככ‬η // a la a pi la’a
Celui qui va doucement // n’a jamais passé la nuit dehors.
2. Pәk la’ zwiη // ta nzeh le twi’ thoh
C’est quand nous vieillirons // que nous saurons nous appuyer sur une canne.
7. Niηmesoη le gho no boηo // te wiêh tso’ piηe
L’être humain a tant fait du bien // et n’a jamais rien reçu en retour.
12.Tooη wi a zâ’ a toη Maηgwa // kite ta ku tsiη ‫כ‬
La roche qui se détache du Mont Maηgwa // roule jusque dans la vallée.
17.Lekaη mbu’ // â nzeh no yé
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La magie du sage // c’est sa raison.
20.Niη wi a la fa’ lé kw‫ ’כ‬t‫כ‬η Maηgwa // la nye twoh e
Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet // y laissa sa vie.
Bien qu’ils ne comportent pas de virgules dans leurs traductions littéraires, ces proverbes n’en
sont pas moins binaires. En effet, comme une sorte de rythme, cette structure binaire est
perceptible tant dans les proverbes en langue que dans ceux traduits. Dans le proverbe 1, la
première portion c’est « A yiη e ne d‫ככ‬η » (Celui qui marche doucement) et la seconde c’est
« a la a pi la’a » (n’a jamais passé la nuit dehors). La première portion dans le proverbe 2 c’est
« Pәk la’ zwiη » (C’est quand nous vieillirons) et la seconde «ta nzeh le twi’ thoh » (que nous
saurons nous appuyer sur une canne). En ce qui concerne le proverbe 7, la première portion
c’est «Niηmesoη le gho no boηo » (L’être humain a tant fait du bien) et la seconde « te wiêh
tso’ piηe » (et n’a jamais rien reçu en retour). La première portion du proverbe 12 c’est «Tooη
wi a zâ’ a toη Maηgwa » (La roche qui se détache du sommet du Mont Maηgwa) et la
seconde c’est « kite ta ku tsiη ‫( » כ‬roule jusque dans la vallée). Pour ce qui est du proverbe
17, la première portion c’est «Lekaη mbu’ » (La magie du sage) et la seconde «â nzeh no yé »
(c’est sa raison). La première portion du proverbe 20 c’est «Niη wi a la fa’ lé kw‫ ’כ‬t‫כ‬η
Maηgwa » (Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet) et la seconde «la nye
twoh e » (y laissa sa vie).
Il ressort que la structure binaire du proverbe n’est aucunement un fait de hasard. Elle
lui imprime des rythmes particuliers.
2.2.2. La généralisation
Bien que le proverbe permette d’étayer une expérience personnelle, individuelle vécue
par son utilisateur, il n’en demeure pas moins qu’il a une portée générale. Plusieurs proverbes
du corpus comportent les marques de la généralisation :
1. Niη a yiη e ne d‫ככ‬η a la a pi la’a
Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors.
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη ‫כ‬
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser.
7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe
L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour.
8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’
Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre.
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires.
20.Niη wi a la fa’ lé kw‫ ’כ‬t‫כ‬η Maηgwa la nye twoh e
Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie.
23.Me tée ηgwooη cicy‫ כ’כ‬mbre na thoh ‫כ‬
On n’attrape jamais une chenille pour la coller sur l’arbre.
Les proverbes 1, 8 et 20 portent la même marque linguistique de la généralisation
« Niη » (celui). Les proverbes 6, 7, 13 et 14 portent aussi une même marque de la
généralisation. Il s’agit du terme « Niηmesoη » (l’être humain). La marque de la
généralisation dans le proverbe 23 c’est « Me » (on). Toutes ces marques que nous venons de
relever concourent à rendre le proverbe impersonnel en ce sens que sa signification
particulière liée à l’individu et au contexte est enveloppée par une portée beaucoup plus
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générale. Chacun peut donc se retrouver dans la parole proverbiale bamiléké ; ce qui facilite
et simplifie son emploi. Bien plus, lorsqu’un homme rassembleur prend la parole en public et
veut étayer son point de vue par des proverbes, tout en évitant d’esquinter ses adversaires, les
proverbes de ce type sont privilégiés. Ils ont cette caractéristique que tout le monde y a accès
et qu’ils s’adressent à tout le monde.
2.2.3. La négation
Les proverbes recourent abondamment à la négation :
6. Mbo pa’ niηmesoη nzeh ηgye a la’ ghâ a laa t e ziη ‫כ‬
Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a jamais cessé de danser.
7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe
L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour.
10.A khwo mâ a ηgab té e zwie mu‫ כ‬ηgab ‫כ‬
La patte de la mère poule ne tue jamais le poussin.
11.A lwob té e ndû ne me baη ‫כ‬
La papaye ne pourrit jamais avec les pépins.
14.Niηmesoη wi me seh kwoηo yé te zo’ me ji’ seh ‫כ‬
L’être humain aimé des dieux ne passe pas ses journées dans leurs sanctuaires.
19.E ghube mandzwie ηgwa le kwete tsәm te ye zeh no mo ‫כ‬
Les enfants d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause.
21.E mok ηgwa le pu pyéh tsε me mbwà la’ ‫כ‬
Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village.
22.Ta’ mu‫ כ‬pwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ ‫כ‬
Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce.
La négation est essentiellement marquée par « te » (ne …jamais). C’est le cas dans les
proverbes 6,7,10,11 et14,. En ce qui concerne les proverbes 19,21 et 22, la négation y est
marquée par «ηgwa » (ne peut). Ces différents termes permettent à l’utilisateur de la parole
proverbiale de rejeter quelque chose, de n’en faire aucun cas en fonction des circonstances et
des événements. La négation intervient bien souvent dans les proverbes à la structure binaire
et fait d’une portion l’opposée de l’autre. C’est ainsi que dans le proverbe 6, la première
portion « Même comme l’être humain est destiné à mourir » s’oppose à la seconde portion « il
n’a jamais cessé de danser ». Pour ce qui est du proverbe 7, la première portion « L’être
humain a tant fait du bien » s’oppose à « n’a jamais rien reçu en retour ». En ce qui concerne
le proverbe 10, « La patte de la mère poule » s’oppose à « ne tue jamais le poussin ». Pour le
proverbe 11, « La papaye» s’oppose à « ne pourrit jamais avec les pépins ». Dans le proverbe
14, « L’être humain aimé des dieux » s’oppose à « ne passe jamais ses journées dans leurs
sanctuaires ». Dans le proverbe 19, « Les enfants d’une mère » s’oppose à « ne peuvent tous
mourir sans qu’elle ne sache la cause ». En ce qui concerne le proverbe 21, « Le feu»
s’oppose à « ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village ». Dans le proverbe 22,
« Un seul doigt » s’oppose à « ne peut retirer la viande de la sauce ».
Nous poursuivrons notre analyse en abordant les figures de style et de rhétorique.
2.3. Les figures de style et de rhétorique
Seuls l’anthropomorphisme et la satire feront l’objet de notre étude dans cette
rubrique.
2.3.1. L’anthropomorphisme
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L’anthropomorphisme c’est la tendance à attribuer aux objets naturels, aux animaux et
aux créations mythiques des caractères propres à l’homme. Il n’a été relevé que dans deux
proverbes du corpus :
4. A no la cyâ Tyeh a l‫כ‬g‫ כ‬ηkà’ ye toη
Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes.
18.Lexweh a cu’ ndzәm le nәηe ηgwoη
La mort est la sœur cadette de la vie.
Les proverbes bamiléké attribuent des caractères humains à l’amour, l’argent, la mésentente,
la vie, la mort, la haine, etc. L’anthropomorphisme dans le proverbe 4 donne à Tyeh le grillon
les caractères humains, dont celui d’être dépassé par les événements. En ce qui concerne le
proverbe 18, en faisant de la mort la sœur cadette de la vie, l’anthropomorphisme donne à la
vie et à la mort les caractères humains. De manière générale, l’anthropomorphisme concourt à
rendre la parole proverbiale beaucoup plus métaphorique.
2.3.2. La satire
La satire est un discours qui s’attaque aux mœurs publiques ou privées, ou qui tourne
quelqu’un ou quelque chose en ridicule. La satire est présente dans la plupart des proverbes
du corpus :
1. A yiη e ne d‫ככ‬η a la a pi la’a
Celui qui va doucement n’a jamais passé la nuit dehors.
2. Pәk la’ zwiη ta nzeh le twi’ thoh
C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne.
7. Niηmesoη le gho no boηo te wiêh tso’ piηe
L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu en retour.
8. Niη a kâ mbwom ηgab wiêh le kho mela’
Celui qui transporte les œufs doit éviter la bagarre.
13.A fu’ niηmesoη ê ghube yé ne ghube ghube yé
La fortune de l’être humain ce sont ses fils et petits fils.
15.E kwoηo cya ηkab
L’amour dépasse l’argent.
16.Seh thum la fu’naa
La haine n’a jamais générée de profit.
20.Niη wi a la fa’ lé kw‫ ’כ‬t‫כ‬η Maηgwa la nye twoh e
Celui qui voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie.
22.Ta’ mu‫ כ‬pwo ηgwa le kuri mbab tsε na’ ‫כ‬
Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce.
Tous ces proverbes sont satiriques et dénoncent les maux tels que : l’envie,
l’hypocrisie, l’ingratitude, la haine, la jalousie, l’égoïsme, le manque de respect envers les
autres, etc. C’est ainsi que le proverbe 1 s’attaque à ceux qui ont tendance à se précipiter ou à
se déplacer à grande vitesse. Ils s’exposent aux dangers tels que les accidents alors que « qui
va doucement va sûrement ». Ce proverbe fustige aussi les hommes envieux qui veulent tout
avoir en un temps record. De tels individus finissent bien souvent par se compromettre. La
satire du proverbe 2 rappelle à l’ordre les jeunes qui manquent de respect à l’endroit des
vieillards. Le proverbe 7 critique l’ingratitude de l’être humain. A travers l’image du transport
des œufs, le proverbe 8 montre que tout être humain qui a une faiblesse ne doit en aucun cas
se livrer à des querelles. Le proverbe 13 rappelle dans un monde dominé par le matérialisme
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la valeur inestimable de l’enfant. Le proverbe 15 s’attaque à ceux qui veulent comparer
l’amour à l’argent. Il apparaît clairement que l’amour est au-dessus de l’argent. Le proverbe
16 vilipende tous ceux qui se livrent à la haine. Quant au proverbe 20, il met en garde contre
l’intrépidité. Le proverbe 22 s’adresse aux égoïstes pour leur montrer que tout seuls ils ne
peuvent rien entreprendre ou réaliser de grandiose car « l’union fait la force ».
A travers l’étude de la répétition, de la morphosyntaxe, des figures de style et de
rhétorique, nous avons montré l’esthétique des proverbes. Nous aborderons à présent leur
fonctionnalité.
3.
Fonctionnalité du proverbe
Deux fonctions essentielles se dégagent des proverbes : la fonction oratoire et la
fonction didactique.
3.1. La fonction oratoire
Le proverbe est une courte formule exprimant la sagesse communautaire, proposant
une vérité établie, reconnue et validée par les ans et l’expérience. Pour Chukwuma, les
proverbes sont
des vérités validées par l’expérience [---] ancestrale, testées et éprouvées par
le temps, une forme de langage s’appuyant sur des métaphores empruntées à
l’expérience de la vie quotidienne, [---] une formule créatrice unique.
(Ugochukwu ; 2004 : 88).
L’emploi du proverbe est très significatif chez les Bamiléké car il permet aux jeunes de
prouver leur maturité pour accéder à la classe des adultes et aux adultes de confirmer leur
maîtrise de la langue. Chez les Bamiléké tout comme chez les ŋgəmbà, « la parole
proverbiale sert « d’épice » à d’autres paroles ». (Kuitche Fonkou ; 2004 : 43). Cela rejoint
la perception igbo exprimée par Chinua Achebe qui dit que « les proverbes sont l’huile de
palme dont on se sert pour manger la parole ». Il n’y a pas de séance de production orale
entièrement consacrée aux proverbes comme c’est le cas avec les contes. Cela fait dire à
Kuitche Fonkou que « le proverbe est davantage une manière de dire qu’un genre littéraire.[--] Le proverbe jouit en fait d’un double statut, celui de genre oral et de forme discursive ».
(Ibidem : 43). Le proverbe prépare le futur orateur à l’art de la rhétorique car dans la société
traditionnelle, la valeur oratoire d’un homme s’évalue à sa manière de ponctuer son discours
de proverbes. Mais, les jeunes qui prennent la parole devant les aînés évitent généralement
d’utiliser les proverbes de peur de commettre d’éventuelles erreurs de sens. En effet,
dans le cadre du respect dû à ceux-ci, respect qui impose d’éviter la parole
insultante en général, les plus jeunes ont un devoir de retenue lorsque le
proverbe à énoncer peut écorcher, irriter. Autrement dit, si un aîné s’en prend à
un jeune pour avoir employé un proverbe, ce ne sera pas pour ce fait en tant que
tel, mais pour la nature insultante du proverbe employé, comme cela aurait été
le cas pour toute autre parole irrespectueuse. (Ibidem : 40).
Bien plus, le proverbe nous apparaît éminemment pédagogique en ce sens qu’il éduque les
individus et définit leurs attributions au sein du groupe.
3.2. La fonction didactique
Le proverbe est simultanément message et structure sémiologique disponible dans la
tradition. Il définit une règle de conduite (Celui qui marche doucement n’a jamais passé la
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nuit dehors), rappelle aux jeunes qu’ils doivent faire preuve d’allégeance à l’égard de leurs
aînés et parents (C’est quand nous vieillirons que nous saurons nous appuyer sur une canne).
C’est donc une pratique qui mobilise toute une société.
Le proverbe peut ordonner (Puisque l’abcès est dans ta bouche, avale le pus), divertir
(Dépassé par les événements, Tyeh le grillon hurla de ses ailes), consoler (Les crachats de la
femme sont toujours tendres), prédire (Même comme l’être humain est destiné à mourir, il n’a
jamais cessé de danser), reprocher (L’être humain a tant fait du bien et n’a jamais rien reçu
en retour), conseiller (Celui qui transporte des œufs doit éviter la bagarre) ou tout
simplement ironiser (En voulant fuir un gaz malodorant, on peut marcher sur les excréments).
Le proverbe montre comment certains aspects de l’univers familial et social peuvent
être appréhendés, comment ils prennent sens. Il sert de filtre social, et à distinguer le sage de
l’ignorant.
L’enseignement de la vie en général et la transmission de l’expérience de l’univers
familial et social en particulier passent aussi par le proverbe qui est l’un des moyens par
lesquels la culture de l’homme peut être reflétée. Cela fait dire à Marco Bertoni que « chaque
communauté en fonction de son milieu naturel, social et de son appareil symbolique, élabore
des proverbes spécifiques dont les références s’inscrivent dans l’horizon culturel qui les a
produit» (Bertoni ; 2005 : 286). C’est dans ce sens que le proverbe sert de point d’appui à la
pensée, et de véhicule à la sagesse populaire. Ce faisant, il participe au maintien de la
cohésion sociale.
Le proverbe est issu de l’observation. Ses éléments appartiennent d’une part aux
règnes animal (La patte de la mère- poule ne tue jamais le poussin), végétal (La papaye ne
pourrit jamais avec les pépins), minéral (La roche qui se détache du Mont Maηgwa roule
jusque dans la vallée). D’autre part, il peut recourir aux humains (La fortune de l’être humain
ce sont ses fils et petits-fils), aux dieux (L’être humain aimé des dieux ne passe jamais ses
journées dans leurs sanctuaires), aux abstractions personnifiées : mort (La mort c’est la sœur
cadette de la vie), etc.
Tout le cosmos connu ou imaginé sert à l’exemplification des vérités générales
auxquelles le proverbe aboutit. Il est nécessaire à la vie communautaire, il est rite, il scelle
l’amitié, il nourrit. Il apporte à la parole saveur et goût. Il enrobe la pensée, la personnalise,
facilite l’écoute et emporte l’adhésion. Le proverbe n’est jamais utilisé seul. Il est le plus
souvent intégré à la conversation ou au discours.
La parole proverbiale est plus qu’un outil : « c’est une arme qui, brandie, manifeste la
puissance et repousse l’adversaire ». (Ugochukwu, Ibidem : 94).Le proverbe n’a pas de fin en
soi ni d’existence séparée, il est parti intégrante du discours. Et pour qu’il soit efficace, il faut
évidemment qu’il soit compris et correctement interprété, ce qui n’a jamais été facile car le
proverbe est une parole codée.
Les femmes se servent des proverbes parfois entre elles, mais la tradition ne les
encourage pas à le faire en présence des hommes. Les femmes et les enfants sont le plus
souvent mis en scène dans les proverbes, en situation généralement défavorable (Les enfants
d’une mère ne peuvent tous mourir sans qu’elle ne sache la cause).
Il est nécessaire, pour pouvoir interpréter correctement et apprécier pleinement les
proverbes, de connaître l’information culturelle qui leur sert de base. En effet, « en
prononçant le proverbe, l’énonciateur met en relation l’énoncé avec un contexte spécifique, ce
qui fait du proverbe le genre littéraire contextualisé par excellence » (Baumgardt et
Bounfour ; 2004). Certains proverbes font allusion à des événements historiques (Celui qui
voulut gravir le Mont Maηgwa jusqu’au sommet y laissa sa vie). D’autres font état de
coutumes locales (Le feu ne peut s’éteindre dans toutes les concessions du village).
Nombreux sont encore les proverbes rappelant, dans un univers hostile, l’impérieuse nécessité
de l’entraide (Un seul doigt ne peut retirer la viande de la sauce), d’autant plus que ce qui
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affecte un membre de la communauté ne manque pas de toucher les autres. Les proverbes
montrent qu’il est impossible de vivre seul. On a constamment besoin des autres.
Le proverbe révèle au Bamiléké la place qui est la sienne au sein du groupe et de
l’univers, et sa relation avec les êtres qui l’entourent. L’individu est sans cesse évalué, guidé,
conseillé, corrigé par le groupe. Le proverbe répond au besoin qu’éprouvent les hommes de
communiquer leur expérience par la juxtaposition des images, des allégories (On n’attrape
pas une chenille pour coller sur l’arbre). Ce qui rejoint le point de vue soutenu par Kouadio
Yao qui pense que le proverbe est généralement « parsemé d’images qui, pendant son
énonciation dans un contexte précis, deviennent des métaphores et des symboles » (Ibidem :
80). Il se propose d’harmoniser le rôle de l’individu dans la communauté avec les fins que se
propose cette cellule sociale. Il sert de référence pour communiquer les préceptes essentiels à
l’organisation de la société ou au rétablissement de la communication lorsque celle-ci est
menacée d’interruption. Il offre aussi des réponses aux questions que les Bamiléké se posent
sur leur existence.
Le proverbe est un moyen efficace de développement des activités mnémoniques. Il
est pour le Bamiléké formé à l’école et dans la langue étrangère, un outil précieux de
réimprégnation ou d’initiation à la langue maternelle.
Le proverbe crée une union vitale non seulement entre les membres du groupe, mais
encore entre les vivants et les morts car il vient des ancêtres, et chaque fois qu’un orateur
l’énonce, il prend soin de dire : « nos pères avaient pour coutume de dire… ». De ce fait, les
proverbes traduisent « un ensemble d’habitudes collectives qui s’imposent aux individus.
Elles lui préexistent comme elles lui survivront ». (Mbah Onana ; 1989 : 395).
Chez les Bamiléké tout comme en Afrique en général, sans proverbe, la parole devient
fade et perd de son éclat. D’où l’appel lancé par Bakayoko pour sa collecte, sa sauvegarde et
sa diffusion :
la parole sans proverbe est chez nous comme la sauce sans sel. Chaque cas
d’espèce devient une source de proverbe allant du simple conseil pratique à des
considérations d’ordre moral, philosophique et religieux ; d’où l’importance de
collecter, de transcrire ces valeurs de civilisation et de les mettre à la portée des
nouvelles générations qui naissent et évoluent désormais dans un monde où la
civilisation occidentale, marquée par l’écrit, risque de faire oublier le fondamental
et l’essentiel des valeurs négro-africaines de l’oralité. (Bakayoko ; 1984 : 63).
Le proverbe exprime les comportements et les habitudes collectives des individus. Sa
maîtrise traduit l’enracinement dans une culture avec laquelle on est en étroite symbiose, et
dont on contribue à maintenir et pérenniser les valeurs.
Conclusion
En somme, il ressort de ce travail que le proverbe recueilli chez les Bamiléké apparaît
aux moments capitaux de la vie du peuple, moments qu’il se propose de rehausser. L’étude
esthétique a montré que le langage proverbial n’est pas ordinaire puisqu’il s’appuie sur une
importante rhétorique qui l’embellit. Il a ses fondements dans la société dont il est produit et
facteur en ce sens qu’il véhicule et maintient les valeurs culturelles. Ses fonctions sont
multiples : oratoire, didactique. Il est apparu clairement que tout comme la littérature orale en
général, le proverbe est une école de vie, un instrument de socialisation, d’humanisation de
l’individu dont on ne saurait se défaire au risque de perdre son identité culturelle.
Références bibliographiques
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Linguistique, N° 5, Louvain, 2005, pp.667-703
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MBAH Onana, J., « La littérature oral dans la vie de l’Afrique contemporaine. Le cas du
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Yaoundé, 28 janvier-1 février 1985, Ongoum et Tcheho Editors, pp.395-404
UGOCHUKWU, F., « Proverbes et philosophie : le cas de l’igbo (Nigéria) » in Le proverbe
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