Réforme des pensions en Belgique : la grande

Transcription

Réforme des pensions en Belgique : la grande
Réforme
des
pensions
en
Belgique : la grande arnaque
Une analyse de Pierre Eyben
Le gouvernement Michel-Jambon a fait deux annonces importantes
concernant les pensions : le renforcement de la retraite par
capitalisation (aux dépends de la retraite par répartition) et
le recul de l’âge légal du départ à la retraite à 67 ans à
l’horizon 2030 (contre 65 ans aujourd’hui). Dans ce document,
nous analysons (essentiellement sur base de chiffres issus des
instituts de statistique officiels de notre pays) pourquoi ces
mesures ne sont ni justes, ni nécessaires.
Graphique 1. Evolution de l’espérance de vie à la naissance en
Belgique (Source)
Retraite à 67 ans
Ce gouvernement reprend à son compte l’idée selon laquelle
l’allongement de l’espérance de vie serait une donnée nouvelle
justifiant de reculer l’âge de la pension. Ceci est pourtant
totalement inexact.
Si l’on n’analyse la situation que depuis le lendemain de la
seconde guerre mondiale (cfr. graphique 1 ci-dessus),
l’allongement de la durée de vie a été constant en Belgique
comme partout en Europe. Au sortir de la guerre et pendant
environ 30 ans, la part du PIB allouée aux retraites par
répartition a crû de façon constante sans que cela pose de
problème majeur.
Depuis 1970, la part des dépenses de
pensions, dans l’ensemble des dépenses de sécurité sociale qui
sont stables en pourcentage du PIB depuis plus de 30 ans (cfr.
graphique 2 ci-dessous), est restée assez stable en Belgique.
Elle connaît même une diminution depuis 2000 (cfr. graphique 3
ci-dessous).
Graphique 2. Part des dépenses de sécurité sociale dans le
PIB, en Belgique, 1970-2007 (Source Bureau fédéral du Plan,
2008.)
Graphique 3. Dépenses de sécurité sociale réparties selon les
catégories de prestation sociale, en Belgique, 1970-2007
(Source Bureau fédéral du Plan, 2008.)
Aujourd’hui, les études démographiques nous annoncent un gain
de 6,5 années d’espérance de vie d’ici 2060 en Belgique (8 ans
pour les hommes, 5 ans pour les femmes) contre plus de 10
années les 50 dernières années (cfr. Rapport Comité d’Étude
sur le Vieillissement – Juillet 2014), un chiffre qui au
regard de certaines études récentes pourrait encore décroître
en raison de l’impact croissant des grandes pollutions (sols,
air, eau,…) sur notre santé.
Bref, on assiste à un
ralentissement de l’augmentation de l’espérance de vie et non
une croissance spectaculaire contrairement à l’idée véhiculée
avec force.
En Belgique, le Comité d’étude sur le vieillissement dans son
rapport de juillet 2014 estime le coût budgétaire du
vieillissement à 4,2% du PIB entre 2013 et 2060. Cela
représente 0,09 % par an (Source). A titre de comparaison, on
ne peut s’empêcher de rappeler que le coût de la crise de 2008
a été de 12,4 % du PIB en 3 ans.
Une hausse de 0,09% par an, c’est également bien moins que
l’augmentation conjecturée de la productivité sur la même
période (>1% par an). Car c’est bien là une donnée centrale
qu’écartent les partisans de cet allongement de la durée
légale de la carrière : un travailleur produit en moyenne
aujourd’hui 2,6 fois plus de richesse par heure travaillée
qu’en 1970 ce qui fait bien plus que compenser l’augmentation
du coût des retraites. Mais aujourd’hui, ces gains de
productivité ne sont pas affectés à une redistribution sociale
mais à la rétribution de plus en plus importante du capital.
Selon l’étude réalisée par l’économiste Réginald Savage pour
le SPF Finances, la part des salaires dans la richesse
produite a baissé (au profit du capital) de plus de 12% en
Belgique entre 1980 et 2007 (Source : « Evolutions de la part
salariale belge: Essai de quantification rétrospective longue
(1960-1970-2007) » SPF Finances – Bulletin de documentation,
69ème année, n° 3, 3ème trimestre 2009 ) s’établissant
désormais autours de 50%. Cela représente plus de 40 milliards
d’euros sortis de la poche des travailleurs chaque année. Le
grand changement n’est donc pas démographique, il est
idéologique.
Graphique 4. Age effectif moyen de départ à la retraite
(Source : « Etudes économiques de l’OCDE 2011/13 (n° 13) »
– www.cairn.info)
Alors que l’âge réel de départ à la retraite est de moins de
60 ans, et ceci est particulièrement le cas pour les femmes
(cfr. graphique 4 ci-dessus), en reculant l’âge légal de la
retraite on augmente le nombre d’années de cotisation et l’on
va donc baisser le niveau des retraites (une carrière complète
devenant encore davantage une exception). C’est là l’objectif
principal de cette réforme.
Renforcement de la retraite par capitalisation
Le système des retraites en Belgique se divise en trois
« piliers ». Il y a tout d’abord le système par répartition
(ou premier pilier) qui est financé par les cotisations
sociales, soit du salaire socialisé. Depuis les années 90,
deux mécanismes de retraites par capitalisation se sont
ajoutés. Il y a tout d’abord le deuxième pilier qui est une
pension existant dans certaines entreprises (pas toutes) et
financée par des cotisations complémentaires versées auprès
d’assurances-groupes ou de fonds de pension. Il y a pour
finir, le troisième pilier qui est une pension complémentaire
individuelle, financée par l’épargne que certains citoyens
versent à des banques privées et à des compagnies
d’assurances. En Belgique, deuxième et troisième piliers
pèsent respectivement environ 7 et 2 milliards.
Cela ne
représente encore qu’un tiers du premier pilier mais même si
l’on parle encore souvent de pensions complémentaires, la
volonté de certains, notamment du présent Gouvernement, est
bien de voir la pension par capitalisation supplanter la
pension par répartition.
Pourquoi ? La pension par
répartition représente environ 30 milliards d’euros par an
soit pas loin de 10 % du PIB qui sont socialisés et qui donc
échappe au capital et ne vont pas au profit. Au même titre que
la sécurité sociale dans son ensemble (environ 30% du PIB),
c’est donc une proie privilégiée.
Le concept de retraite par capitalisation (second et troisième
piliers) repose sur un mythe : le fait que la Bourse pourrait
augmenter plus vite que l’économie réelle et ce de manière
durable. L’attrait de la capitalisation repose sur ce mirage
d’une réserve d’argent évitant d’avoir à affecter une part
grandissante de la production annuelle aux retraités, à mesure
que la population vieillit. C’est pourtant une affirmation
impossible et dangereuse. Rappelons simplement que les régimes
de pension privés dans les pays de l’OCDE ont perdu 5.400
milliards de dollars à la suite de la crise financière, soit
23 % de leur valeur (chiffres officiels de l’OCDE).
Les systèmes de retraite par capitalisation qui constituent de
facto une privatisation du système des pensions, sont en outre
très coûteux. Il faut (grassement) rémunérer les courtiers et
autres intermédiaires qui s’occupent sur les marchés
financiers d’acheter et de vendre les titres. Selon
l’économiste Gilles Raveaud, maître de conférences en économie
à l’Institut d’Etudes Européennes de l’université Paris 8, ces
coûts sont estimés à pas moins de 20% du montant de la
retraite alors que dans un système par répartition, géré via
l’administration publique, les coûts de gestion sont minimes,
de l’ordre de 2%. Voilà donc un système public et centralisé
qui est 10 fois plus efficace qu’un système privé et
concurrentiel et que la droite qui n’a de cesse de parler
d’efficacité se propose d’affaiblir.
Mais la plus odieuse des conséquences du système par
capitalisation est qu’il transforme de facto chacun de ses
bénéficiaires en adversaire des travailleurs et du progrès
social. Par les fonds énormes qu’ils collectent auprès des
travailleurs, les fonds de pension sont des acteurs majeurs de
la finance mondiale. Ils jouent un rôle aussi bien dans
l’instabilité financière (bulles) que dans la montée en
puissance du pouvoir des actionnaires dans les entreprises.
Lorsque, faute d’alternative, un travailleur place son argent
(ou plus exactement voit une partie de son salaire indirect
placé) en Bourse pour améliorer sa retraite, il se retrouve de
fait du côté des fonds de pension qui mettent une pression
terrible sur les entreprises pour qu’elles leur versent
toujours plus de dividendes, notamment en licenciant et en
n’augmentant pas les salaires. Selon un rapport du Parlement
européen, les fonds de pension sont à l’origine de 12 % des
avoirs des fonds spéculatifs (hedge funds) et de 24 % des
actifs des fonds de private equity, deux catégories
d’opérateurs financiers particulièrement spéculatifs et
déstabilisant pour les entreprises et pour l’économie.
En conclusion
Entre répartition et capitalisation, ce sont bien deux
conceptions de la pension qui s’affrontent : d’un côté, celle
d’un droit de rémunération universel sur base de la richesse
collectivement produite, de l’autre, une forme d’assurance
individuelle contre un risque (en l’occurrence la vieillesse).
Il est essentiel pour une formation de gauche de faire un
travail d’information afin d’expliquer pourquoi la
capitalisation fait peser un risque sur nos pensions. Sans
doute est-il utile de regarder la situation dans certains des
pays qui furent les pionniers de ces mesures. En Argentine par
exemple, les pertes occasionnées par la crise financière dans
les fonds de pension ont été telles que le gouvernement
argentin a nationalisé le système. Le Chili a lui réintroduit
un système de pension légale. La présidente de l’Argentine a
dénoncé le « pillage » réalisé par les gérants des fonds. Nous
devons à toute force éviter d’emprunter le même chemin.
Il est essentiel également de contrer l’idée d’un choc
démographique qui imposerait les mesures régressives qui sont
prises. Ainsi que le montrent les chiffres repris dans cette
note, il n’y a aucun choc et la part des richesses produites
consacrée aux pensions a même baissé ces dernières années.
C’est un choix idéologique qui est opéré, celui de faire peser
sur la population le coût d’une compétition mondialisée. Comme
sur bien d’autres sujets, le combat dont il est question
pour la préservation d’une pension par répartition et contre
l’allongement des carrières est un combat de justice sociale.