Абабий В. Н., une Forme de crÉation lexicale

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Абабий В. Н., une Forme de crÉation lexicale
Наукові записки. Серія “Філологічна”
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Абабий В. Н.,
УДК 804.0:801.54
Приднестровский Государственный Университет им. Т.Г. Шевченко, г. Тирасполь, г. Приднестровье
UNE FORME DE CRÉATION LEXICALE NÉOLOGIQUE: LE MOT-VALISE
Стаття присвячена маловивченій словотвірній моделі сучасної французької мови – телескопному слову
(mot-valise у французькій термінології). У статті телескопія розглядається не тільки як окремий спосіб утворення стилістичних неологізмів або як гра слів, а також як механізм паронімічної атракції (паронімічного
словотворення).
Ключові слова: словотвір, неологізм, телескопне слово, гра слів, паронімічна атракція, паронімічний словотвір.
Статья посвящена малоизученной словообразовательной модели современного французского языка –
телескопному слову (mot-valise во французской терминологии). В статье телескопия рассматривается не
только как отдельный способ образования стилистических неологизмов или как вид игры слов, а также как
механизм паронимической аттракции (паронимического словообразования).
Ключевые слова: словообразование, неологизм, телескопное слово, игра слов, паронимическая аттракция,
паронимическое словообразование.
This article is devoted to an interesting word formation model of the modern French language – a telescope word
(mot-valise, in French terms). The article examines portmanteau mechanism from different points of view. Besides
retaining the traditional view of portmanteau words as a type of word formation (a blending of two or more words) or as
a type of wordplay; the article reflects also word formation portmanteau word as a technique of paronymic attraction.
Keywords: word formation, neologism, portmanteau word, wordplay, paronymic attraction, paronymic word
formation.
Parmi les modes de création lexicale habituels comme l’enrichissement culturel des sens, la générescence de
mots nouveaux, la déformation de vocables existants par abréviation ou transformation suffixale, la lexicalisation, la
dérivation, la composition et la siglaison, les мots-valises (les mots-portemanteaux) occupent en français moderne
une place oridinale à part. En principe les mots-valises ont une valeur connotative obligatoire, un contexte littéraire,
journalistique ou poétique, et une structure sauvage.
Le mot-porte-manteau est un “calque de l’anglais portmanteau-word “mot-valise”, composé des mots anglais
portmanteau “valise” (emprunté au français) et word “mot” par référence a Lewis Carroll qui, dans son roman Through
the locking-glass (A travers le miroir), 1872, a baptisé portmanteau une nouvelle unité lexicale, d’au moins deux
lexèmes, formée de la partie initiale d’un mot et de la partie finale d’un deuxième mot, en combinant ou en superposant
leurs sens, ou d’un mot plein et l’autre, des deux mots, “coupé”. De fait, en français, en 1547, porte-manteau est attesté
avec le sens de “valise pour transporter des vêtements” et en 1571 avec le sens: “partie de l’équipement d’un cavalier,
attaché au-devant de la selle, et renfermant des vêtements”. Le sens de “support auquel on suspend des vêtements”
apparaît presque un siècle plus tard, en 1640 [2, p.145].
Même si les études linguistiques sur cette notion sont beaucoup moins nombreuses que pour d’autres notions,
elle suscite malgré tout un foisonnement terminologique incroyablement dense et varié. Les chercheurs francophones
qui se sont penchés sur la question n’ont jamais véritablement trouvé de consensus sur une dénomination unique
de ce phénomène, certainement parce que les approches de la télescopie sont elles-mêmes extrêmement variées.
Pour satisfaire la curiosité du lecteur, il nous semble important de présenter ses dénominations différentes: motvalise, amalgame, mot-porte-manteau (L. Carroll, M. Riffaterre); mot-centaure (G. Bidois); mots-sandwiches
(L. Erstling), croisement, télescopage (M. A. Pei, F. Gaynor); mot-tiroir, mot-gigogne, emboîtement lexical (R.
Jackobson); brachygraphie gigogne d’A. Clas (1987); compocation (composition+troncation) de F. Cusin-Berche
(1999); mixonymes de B. Pottier (1987) et la polygraphie des portmanteaus; hybrides lexicaux (article de J. Kortas
(2009); mots-métis (M. M. Dubois); mots-centaures (A. Rigaud); bête-à-deux-mots (Ch. Moncelet); A. Finkielkraut
(2006) – mots – chauvins, mots-sauvages (M. Rheims) (1990). La liste d’ailleurs n’est point exhaustive.
Dans l’introduction de son Petit fictionnaire illustré [3, p.14] Alain Finkielkraut utilise tout un champ lexical du
mélange et de la reproduction : “fusionner, croiser, union, bâtard, hybridations, mélangeant, animal chimérique,
mélanges incongrus, métisser”. On trouve aussi chez Gracian les termes de vocablo-hidra, monstruo de varias
cabezas. L’autre métaphore utilisée pour le définir est celle de l’enchâssement, l’imbrication: mots- gigognes (M.
M. Dubois), mots-tiroirs (Morier), mot-valise (apparemment promu par G. Ferdière) – le terme le plus chanceux.
Parfois les termes qui servent à définir les mots-valises sont soit des métaphores, soit des mots – eux-mêmes valises (la
plus heureuse trouvaille : signifiancés, de Moncelet), mais les termes scientifiques bloconymes et acronymes n’ont
pas eu d’avenir.
B.Vian (dans “L’Écume des jours” (1947)) nomme ce phénomène surimpression, avec ses “pianocktail” (piano
et cocktail) et “suppôt de Satin” (“Le Soulier de satin” (drame de P. Claudel) et le suppôt de Satan (une injure) pour
qualifier un agent diabolique) puis viennent les mots-pantalon et le collage verbal (les “valises” sont formées de trois
et plus de mots, ex. Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle).
Christophe Alain Dubois dans son article “Le mot-valise – typologie d’une transgression linguistique” (1997) voit
dans ce phénomène des “néologismes d’auteur” “de la parole” (il en existe très peu qui se soient lexicalisés et seraient
des néologismes de langue). Il remarque que le mot-valise se fonde sur le télescopage de plusieurs mots de la langue,
deux, dans le cas le plus fréquent. C’est-à-dire le mot-valise est au premier chef affaire de signifiants (des formes),
vient ensuite le télescopage des signifiés (des significations).
© Абабий В. Н., 2013
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D’après Darmesteter [4] les mots-valises sont formés strictement d’un déterminatif (substantif, adjectif) au premier
plan et un mot déterminé, représentant une unité fusionnée qui ne peut pas être raportée à des mots composés, vu le fait
qu’un mot-valise est une unité morphologiquement intègre. L’ordre inverse des composants des locutions déterminant
– déterminé était spécifique pour les langues latine, sanscrite, grecque, le premier mot renvoyant sur le genre du
nouveau mot et le deuxième le concrétisant.
Mais le télescopage en français n’est point lié à ces langues, son commencement date de la première moitié du
XX-e siècle avec l’empunt dans les années 50 de l’anglais du mot du type “motel” (motorist + hôtel) (hôtel du bout
de la route pour les automobilistes). De très nombreuses études ont été menées sur ce procédé d’innovation lexicale
en langue anglaise, témoignant d’une grande attention à ce type de procédé. S’il est vrai que la langue anglaise
illustre sa productivité par de nombreux amalgames et s’attribue même la paternité du terme portmanteau (word)
dès 1872, le français en compte un certain nombre (depuis les sorbonagres (sorbonne + onagre) de Rabelais jusqu’à
outilitaire (outil + utilitaire) de Queneau tout en passant par le patrouillotisme (patrouille + patriotisme) de Rimbaud
au filousophe (filou + pholosophe) de V. Hugo dans “Les Misérables”) et notamment pour le fait que la langue
anglaise “adopte” l’ordre inverse des composants d’un syntagme: déterminatif (substantif, adjectif) – déterminé, ainsi
l’influence sur le caractère de la formation des mots-valises en français est évidente.
A côté des créations d’auteurs littéraires, quel que soit le genre de littérature à laquelle ils s’adonnent, il faut faire
place aux créations de la publicité qui a trouvé son bien dans les mots-valises des noms de marques des produits:
Nescafé, Nescoré, Nespresso, Nesquik, sont reçus, en conséquence, par la liaison de la partie du nom Nestlé (lait) + café,
+ coré, + la partie du mot expresso et enfin + quik; Apéricube – apéritif + cube, Bridelice – bridel + délice, Présilège
– Président + privilège; Grandlait (le lait), Chaudfontaine et Taillefine (l’eau minérale), Belvita, Blancomplet (le pain),
Le Millefeuille (les produits de confiserie); et aussi dans l’argot juvénile: febosse (fée + Carabosse “mauvaise fée”;
momignard – тôте + mignard (petit, marmouset); tabataspeche “amie”, “amante” du nom de l’actrice Tabatha
Cash et taspeche “femme”, “jeune fille” (péjoratif); cipote (zipote) (ami qui habite le même quartier) – de cite et
pote (ami); timal “mec, garçon” – petit + mâle; trifouiller “lambiner, traîner” – tripoter + fouiller; kisde “policier,
flic” – qui + s(e) déguise.
La capacité de construire des mots de manière synthétique peut favoriser, sans jeu cette fois, la fertilisation
terminologique et celle de la dénomination scientifique. Viennent ensuite les modèles formels d’une brachygraphie
gigogne, comme l’a appelée dans une heureuse formule le linguiste André Clas [1, p.347]. Cette matrice terminologique
se fonde sur la combinaison de trois procédés: l’apocope (chute de la fin d’un mot), l’aphérèse (chute du début d’un
mot) et la syncope (chute de la partie médiane d’un mot), ce qui fournit six modèles pouvant répondre aux exigences
d’une nomenclature ou d’une taxinomie rigoureuse et aux besoins de créativité.
– Modèle 1 : apocope + aphérèse
alicament : ali[ment] + [médi]cament : “Ces nouveaux produits à valeur ajoutée santé sont désormais appelés
alicaments”. (France TGV, 1998)
domotique : domicile + robotique;
pomate : po[mme de terre] + [to]mate (attesté en 1978);
stagflation : stagnation + inflation (attesté depuis 1970).
– Modèle 2 : apocope + apocope
chloroforme : chlore + formyle (angl.) (nom créé par le chimiste Jean-Baptiste Dumas en 1834);
même le mot modem : modulateur + démodulateur (attesté en 1968);
pixel : mot tiré de l’anglais picture + élément, mais qui reçoit les marques de genre et de nombre en français ; il
est attesté depuis 1978;
zicral : zi[nc] + al[uminium] (attesté en 1951).
– Modèle 3 : aphérèse + aphérèse
Ce modèle est très peu productif. Pour l’illustrer, on ne peut guère citer que nylon, sans doute créé à partir de nyl
et de vinyl (en français vinyle) et -on de cotton ou rayon (en français coton ou rayonne), pour désigner une nouvelle
fibre textile mise au point par les chimistes de la compagnie Du Pont de Nemours.
– Modèle 4 : apocope simple
distribanque : distributeur + banque;
infographie : informatique + graphie ; mot déposé en 1974 par la Société Benson;
tryptamine : tryptophane + amine (attesté en 1935).
– Modèle 5 : aphérèse simple
bureautique : bureau + informatique (dont la finale -tique représente automatique) (attesté en 1974);
– Modèle 6 : apocope ou aphérèse et syncope
médiologie : mеdi[a sémi]ologie (mot attesté en 1996 dans le contexte suivant :
“Sous la direction de Régis Debray, les Cahiers de médiologie prennent pour objet les effets des moyens de
transmission et de représentation sur les gens” (Le Monde des livres, 1996).
upérisation : u[ltra] + p[ast]e[u]risation (attesté en 1964).
Si l’on examine à nouveau les six modèles décrits, on constate que les composants A et B de chaque terme donnent
un résultat C, avec formation d’un nouveau signifié : la pomate, par exemple, est à la fois une pomme de terre et une
tomate, mais le signifié C est modifié par A ou par B ; de même le potimarron est un potiron dont le goût ressemble
à celui d’un marron.
Le linguiste russe I. Kouznetsova [4, p. 85] évidentie un autre aspect de ce jeu de mots, cette fois-ci un intentionné,
donnant naissance à des mots composés des éléments phoniques très proches (les quasimorphèmes). Le linguiste
nomme ce phénomène mécanisme de la formation paronymique des mots ou l’attraction paronymique. Ces nouvelles
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unités formées sont appelées à attribuer au contexte des effets de surprise, c’est-à-dire, des effets stylistiques
particuliers. Les “quasimorphèmes” constituent un tout entier, mais toujours pour les néologismes d’auteur :
mécontemporain (homme toujour mécontent de sa vie) = mé – content
contem – porain;
identifrice (sourire brillant qui souligne l’individualité)= i – denti – té
denti – frice;
carriération (défaut mental des carriéristes) = c – arrièr – e
arriér – ation; (А. Créhange)
filousophe (escroc) = filou
philo – sophe; (V.Hugo)
établinissement (lieu où on vend des crêpes russes)= éta – bli – ssement
bli – ni – s; (J.-J. Thibault)
cordoléances (condoléances de tout son cœur)= cord – ial
cond – oléances. (E. Ionesco)
G. Gorcy [2, p. 149] remarque qu’au moment ou des outils d’apprentissage ludique sur la langue arrivent sur la
marche, particulièrement des Cd-roms comme Vocabulon, Verbulon et que l’Association Oulipo (Ouvroir de littérature
potentielle) est sollicitée pour des jeux sur Internet en raison de ses connaissances, de ses archives et de son expérience
sur l’expérimentation ludique du langage, cette étude sur les mots-portemanteaux trouve sa justification. Un mode de
création lexicale, en effet, qui peut à la fois satisfaire la fantaisie verbale et répondre aux besoins terminologiques,
aussi bien que les concurrents du français actuel, méritait un examen attentif.
On ne pourrait pas justifier avec précision les époques productives, actives de la télescopie. Chez le maître de
la création stylistique François Rabelais (1494-1553), on en trouve un nombre assez grand pour faire déjà quelque
conclusion sur le phénomène. Pendant le XX-ème s., Raymond Queneau (1903-1976), cet artisan du langage poétique
“en fabrique” des dizaines de mots-valises hardis et comiques, à qui vient se joindre le grand styliste Boris Vian
qui parsème ses œuvres avec de telles créations originales. Alors on ne pourrait pas affirmer avec certitude que la
télescopie est un moyen strictement réservé pour obtenir des valeurs expressives, affectives ou émotives.
Un mot-valise diffère d’un mot commun, normatif par ses traits qui le distinguent. Nous en donnons quelques-uns:
1) il est toujours connotatif (expressif, affectif, émotif);
2) il est toujours le produit (le résultat) d’une association (composition) de quelques deux ou trois mots;
3) il n’a jamais la fonction d’un terme stricto modo;
4) sa structure étonne (l’ordre des composants d’un mot-valise est strictement inverse mot déterminatif + mot
déterminé);
5) on ne le trouve presque pas dans une source lexicographique ordinaire;
6) il est fixé et défini par des maîtres en lexicographie individuelle;
7) il vit dans un contexte littéraire, poétique, journalistique, argotique;
8) c’est une création appartenant à l’imaginaire;
9) un télescopage a toujours une fonction stylistique;
10) le télescopage crée des effets de surprise dans des contextes restreints.
Le mécanisme du télescopage a une fonction connotative, stylistique, paronomastique et même ludique qui consiste
à construire de nouvelles unités nominatives qui détruisent toute norme linguistique. Mais ce procédé de création des
néologismes stylistiques nous a éveillé l’intérêt par son caractère particulier et original, par le fait d’être peu étudié et
par les perspectives qui s’y ouvrent : s’intégrer ou non dans la langue littéraire.
Références bibliographiques:
1. Clas A. (1987), “Une matrice terminologique universelle : la brachygraphie gigogne”, META.
2. Gorcy G. (1996), “À propos des mots-valises : de la fantaisie verbale à la néologie raisonnée”, Duculot.
3. Finkielkraut A. (2006), “Petit fictionnaire illustré”, Edition du Seuil, (réed.)
4. http://www.lexpress.fr/informations/foultitude-de-mots-valises_655817.html
5. Кузнецова И. Н. Теория лексической интерференции. – М., 1998.