Le point sur les dommages immatériels consécutifs
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Le point sur les dommages immatériels consécutifs
L’avis du praticien : Le point sur les dommages immatériels consécutifs ou non consécutifs (A propos de Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-23 204 et 13-23 450) Alain Aubry Directeur Technique Gras Savoye L’Arrêt de la Cour d’Appel, objet du pourvoi, a considéré à tort, selon la Cour de Cassation, que la société Cinetic a causé un dommage matériel au donneur d’ordre, la société Rolland. En effet, si certains dommages peuvent être qualifiés de « matériels » selon la langue française ce n’est pas la définition du Larousse ou du Robert qui nous intéresse mais la définition contractuelle stipulée au contrat d’assurance. Or, en l’occurrence la définition prévue par l’assureur ACE est la suivante : « toute destruction ou détérioration d’une chose ou d’une substance ; toute atteinte physique à des animaux ». Il est évident que les problèmes de fonctionnement, relevé par l’expert judiciaire ne sont pas la conséquence d’une destruction ou détérioration et n’entrent pas dans la définition contractuelle puisqu’il précise dans son rapport que le défaut de performance est dû aux choix technologiques retenus et à la disposition des lieux. Il n’y a eu ni destruction, ni détérioration de quoi que ce soit. A noter d’autre part que les assureurs ne couvrent jamais ( ou presque) les produits livrés ou, de manière générale, la prestation de l’assuré. Il ne peut donc, en aucun cas s’agir d’un dommage matériel « garanti ». C’est donc fort justement que la Cour de Cassation a censuré la Cour d’Appel. Il convient de remarquer que la définition du « dommage matériel » rédigée par ACE dans le contrat d’assurance concerné est particulièrement restrictive. En général, le Marché offre des définitions plus larges en ajoutant : vol, disparition, altération, toute situation qui rend le produit inutilisable, … Concernant, maintenant, la définition des « dommages immatériels » il faut rappeler que le Marché en donne différentes versions. S’agissant d’une assurance non obligatoire la liberté des Conventions est la règle. Certains énumèrent les événements garantis : « toute privation de jouissance d’un bien, toute interruption d’un service, … ». D’autres (peu nombreux heureusement), conditionnent la garantie à la survenance d’un accident ce qui est peu compatible avec une bonne protection des entreprises. Aucune de ces définitions n’est vraiment satisfaisante. La seule qui puisse protéger totalement un entrepreneur est la suivante : « tout dommage autre que corporel ou matériel ». Cette définition par différence permet de considérer comme « immatériel » un dommage matériel (dans le langage courant) puisqu’il n’entre pas dans le cadre de la définition contractuelle. L’assureur ACE a choisi cette définition mais a ajouté « pécuniaire » ce qui donne « tout préjudice pécuniaire autre qu’un dommage corporel ou matériel ». A notre sens, l’adjectif pécuniaire vient « gommer » une partie de l’intérêt de la définition contractuelle. Ces définitions sont extrêmement importantes puisqu’elles conditionnent la prise en charge ou non d’un sinistre et, en cas de garantie, son rattachement à des postes de garantie qui sont différents en termes de montant : il s’agit des dommages immatériels consécutifs ou non consécutifs. Traditionnellement, les contrats d’assurance font cette distinction pour accorder des montants variant selon la qualification du dommage immatériel. Les dommages immatériels consécutifs sont ceux qui sont consécutifs à un dommage corporel ou matériel garanti alors que les dommages immatériels non consécutifs (DINC dans le langage des assureurs) sont, soit des dommages immatériels consécutifs à un dommage non garanti, soit des dommages qui ne sont pas consécutifs à un dommage. Ces derniers sont appelés « dommages immatériels purs » et c’est cette catégorie que craignent le plus les assureurs. Un exemple de dommages immatériels purs ? Un laboratoire vétérinaire fabrique, entre autres, des produits destinés aux chevaux de course. Une cuve est utilisée mais elle a mal été nettoyée après la précédente fabrication. Or, elle avait été utilisée pour fabriquer des produits pour animaux de compagnie contenant un produit interdit aux chevaux de course sous peine d’être déclarés « dopés ». Plusieurs propriétaires ont formulé des réclamations et, notamment le propriétaire du cheval vainqueur du Grand Prix d’Amérique. Le contrôle anti-dopage a révélé la présence, certes en quantité infinitésimale, du produit dopant. Conséquences : le cheval a été non classé et les différents prix ont été remboursés par le propriétaire, l’entraineur, le jockey, … Coût : environ 2 Millions d’euros ! Evidemment les victimes ont exercé un recours contre le laboratoire. Cette dualité de définitions se traduit par une dualité de montants de garantie. Très généralement, les « dommages immatériels consécutifs » font l’objet d’un montant de garantie confondu avec les dommages matériels et les « DINC » sont couverts par un poste spécifique avec un montant de garantie réservé à ces seuls dommages et une franchise majorée. D’ailleurs, dans cette affaire les « DINC » sont garantis à hauteur de 100 000 $ avec application d’une franchise de 10% (ce montant est très insuffisant pour couvrir les risques générés par cette activité) alors que les dommages immatériels consécutifs sont couverts à hauteur de 1 Million $, confondus avec les dommages matériels. La Cour de Cassation a donc parfaitement apprécié l’étendue des couvertures (en termes de définitions et de montants) du contrat d’assurance Responsabilité Civile souscrit auprès de ACE. L’arrêt : Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Etablissements Rolland (la société Rolland) a commandé une chaîne automatisée de peinture, livrable en février 2005, à la société Haden Drysys (la société Haden), qui a sous-traité à la société Cinetic & Assembly devenue la société Fives Conveying (la société Cinetic) le convoyage aérien automatique des postes de traitement ; qu'insatisfaite du fonctionnement de l'installation, la société Rolland a obtenu la désignation d'un expert judiciaire, lequel a estimé que la performance insuffisante de la chaîne automatisée était due à son inadéquation à la disposition des lieux ainsi qu'aux choix technologiques retenus ; que, la société Haden ayant été mise en liquidation judiciaire, la société Rolland a assigné la société Ace European Group Limited (la société Ace European Group), assureur de cette société, et la société Cinetic en paiement de dommages-intérêts ; que la société Cinetic a demandé reconventionnellement la condamnation de la société Rolland au règlement d'une facture restée impayée, avec pénalités de retard ; Sur le premier moyen du pourvoi n° R 13-23.204 : Vu l’article 1134 du code civil ; Attendu que pour condamner la société Ace European Group à indemniser le préjudice subi par la société Rolland, dans la limite d'un million de dollars américains à leur valeur au jour du règlement, l'arrêt retient que, dans le cadre de son activité assurée, la société Haden a causé un préjudice matériel à la société Rolland en installant un système inadéquat rendant nécessaire une refonte complète, qui se traduit par un préjudice immatériel économique consécutif lui-même garanti dans la limite d'un million de dollars ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les conditions générales de la police définissaient le dommage immatériel comme « tout préjudice pécuniaire autre qu'un dommage corporel ou matériel » et le qualifiaient de « dommage immatériel consécutif » s'il résultait « directement d'un dommage corporel ou matériel garanti » et, au contraire, de « dommage immatériel non consécutif » s'il survenait « en l'absence d'un dommage corporel ou matériel », ce dernier étant défini comme « toute détérioration ou destruction d'une chose ou substance, toute atteinte physique à des animaux », la cour d'appel a violé le texte susvisé ; (…) PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE,