L`impact syndical sur l`entreprise canadienne et sa main-d

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L`impact syndical sur l`entreprise canadienne et sa main-d
L’impact syndical sur l’entreprise canadienne et sa main-d’œuvre
Revue internationale sur le travail et la société
Renaud Paquet et Elmustapha Najem1
Année :
Volume :
Numéro :
Pages :
ISSN :
Sujets :
2007
5
3
52-73
1705-6616
Syndicalisme, entreprise, main-d’œuvre, travail
Résumé
L’article offre une compréhension des différences des conditions d’exercice et
de rétribution du travail au Canada entre les milieux de travail syndiqués et les
milieux de travail non-syndiqués. Il existe une littérature abondante sur les
effets de la syndicalisation sur le travail et sa gestion. Certains auteurs notent à
juste titre les contradictions des effets attribués au syndicalisme. Selon la
perspective économique et sociale adoptée, on en souligne les conséquences
positives pour les travailleurs syndiqués et sur l’économie dans son ensemble
ou on s’arrête aux impacts négatifs sur les performances des entreprises et sur
les niveaux d’emploi qu’elles offrent. Au niveau de l’entreprise, les effets
semblent plus clairs. La présence syndicale stabiliserait l’emploi et amènerait
de meilleures conditions de travail. En contrepartie, les pratiques de GRH
seraient formalisées et caractérisées par une plus grande rigidité. Ainsi, il
deviendrait plus difficile pour l’entreprise de s’adapter à un environnement
1
Les auteurs sont professeurs au Département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais. Ils
sont aussi membres du Centre de recherche sur l’emploi, le syndicalisme et le travail. Pour communiquer avec les
auteurs, il faut s’adresser à : Renaud Paquet ou Elmustapha Najem, Université du Québec en Outaouais, CP 1250,
Succ. Hull, Gatineau, Québec, Canada, J8X 3X7. Par courriel : [email protected] ou [email protected]
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changeant et d’apporter les transformations ou innovations aux moments où
elles sont souhaitées. À partir d’une analyse des données canadiennes, les
auteurs offrent un éclairage nouveau sur les diverses facettes de l’impact
syndical. Ils présentent tout d’abord les données au niveau du marché du
travail, puis examinent les impacts dans un secteur d’activité économique
auprès d’entreprises de taille comparable, éliminant ainsi l’effet des variables
exogènes les plus importantes.
La problématique de l’impact syndical sur l’entreprise intéresse tous les pays industrialisés mais
prend une saveur particulière en Amérique du Nord à cause du cadre décentralisé de la régulation
des conditions de travail (Bernatchez, 2006). Nous examinerons donc brièvement ce cadre, un tel
examen étant nécessaire pour saisir l’importance de l’analyse de l’impact du syndicalisme en sol
nord-américain. Dans le contexte actuel de concurrence nationale, continentale et internationale
accrues, toute institution qui est perçue comme nuisible à la libre expression des lois du marché
est remise en question. Sans rappeler ce contexte dont les effets sont bien connus, nous nous
attarderons à une analyse de la littérature sur les effets du syndicalisme en faisant ressortir les
propos des deux grandes thèses économiques qui s’opposent et qui prennent source
respectivement dans l’économie classique ou néo-classique et dans l’économie institutionnaliste.
Puis, pour départir ces grandes thèses, nous évaluerons, à partir des données empiriques
canadiennes, la valeur de plusieurs des constats et hypothèses qu’elles formulent.
1. La problématique de l’impact syndical sur l’entreprise
Au Canada comme aux États-Unis, la syndicalisation et la négociation des conditions de travail
se produisent au niveau de l’entreprise à la différence des pays européens où les principales
conditions de travail sont déterminées au niveau sectoriel. Certes, au Canada, les diverses
juridictions (les provinces et le gouvernement canadien) imposent des conditions minimales de
travail eu égard entre autre au salaire, aux congés, au congédiement ou aux délais de mises à
pied. Mais, c’est au niveau de l’entreprise qu’on décide d’aller au-delà de ces normes minimales.
C’est aussi là que les salariés décident à la majorité d’adhérer ou non à un syndicat. Si la majorité
des salariés optent pour joindre un syndicat, ce dernier devient l’agent négociateur au nom de
tous les salariés du groupe visé, peu importe s’ils avaient ou non choisi sur une base individuelle
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de se syndiquer. À partir de là, une obligation juridique de négocier est imposée à l’entreprise qui
doit s’entendre avec le syndicat sur les conditions de travail. Lorsqu’il n’y a pas de syndicat dans
l’entreprise, la direction décide unilatéralement des conditions de travail, avec comme seule
restriction de respecter les normes minimales et les lois en vigueur.
Dans un tel contexte, certaines entreprises d’un même secteur doivent obligatoirement négocier
les conditions de travail des employés avec le syndicat alors que d’autres ont la latitude de les
déterminer de façon unilatérale. De même, les entreprises syndiquées doivent se soumettre aux
impératifs de la convention collective en matière de gestion des ressources humaines alors que
seuls les impératifs de productivité guident les entreprises non syndiquées dans le cadre
institutionnel minimaliste nord américain.
Même s’il existe une littérature abondante traitant des effets du syndicalisme sur les milieux du
travail, force est de constater que cette littérature est très divisée quant à ces effets (Addison et
Hirsch, 1989; Aidt et Tzannatos, 2002; Becker et Olson, 1987; Belman, 1992; Booth, 1995;
Doucouliagos et Laroche, 2003; Freeman, 1992; Hirsch, 1997; Kuhn ,1998; Metcalfe, 2003;
Menezes-Filho et Van Reenen ,2003).
Un premier courant de pensée considère que, sur le marché du travail, les syndicats nordaméricains représentent des monopoles dont le principal objectif est d’augmenter les salaires de
leurs membres ce qui se traduit par un impact négatif sur la productivité, sur le niveau d’emploi
et sur le fonctionnement de l’économie de façon générale (Simons, 1944; Milton, Rose et
Friedman, 1962; Rees, 1977).
Sans renier le côté « monopole » des syndicats, le deuxième courant leur reconnaît une autre
facette à savoir celle de moyen d’expression collective des salariés et met en relief les effets
positifs que les négociations collectives ont sur la productivité et la gestion de l’entreprise. Les
tenants de ce courant soulignent en particulier l’impact positif des syndicats au niveau de la
transmission de l’information, de l’accroissement des qualifications, de la rétention de la main-
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d’œuvre qualifiée ainsi que la rationalisation des pratiques de gestion dans l’entreprise (Freeman
1976, 1978, 1980; Freeman et Medoff 1979, 1983, 1984).
Depuis la publication de l’ouvrage original de Freeman et Medoff « What Do Unions Do ? » en
1984, l’approche dichotomique des deux facettes des syndicats est devenue le cadre
conventionnel utilisé pour traiter des effets des syndicats sur le marché du travail. À ce sujet,
Hirsch (2003: 7) soutient que :
« Although not a formal model in the sense that economists typically use the term, the
two-faces approach has provided a broad umbrella under which labor economists
and industrial relations scholars either have organized their thoughts about what
unions do or, less frequently, based their explicit theoretical models of union
behaviour. The beauty of the framework is that the two faces – monopoly and voice –
provide a sufficiently accurate description or shorthand union’s principal activities,
while at the same time being sufficiently broad to permit inclusion of a wide range of
union effects in workplace and economy ».
Rappelons que le côté « monopole » des syndicats renvoi essentiellement à ce qui est
généralement considéré comme étant des distorsions qui n’existeraient pas si le marché du travail
était concurrentiel sous le scénario de la non-présence syndicale. Cette facette met l’accent sur le
pouvoir de négociation des syndicats et plus particulièrement sur le fait que leur capacité
d’extraire des gains monopolistiques pour leurs membres dépend du degré de compétition et des
contraintes de substitution auxquels font face autant les employeurs que les syndicats (Hirsch,
2003). Ainsi, dans le modèle microéconomique conventionnel, les syndicats affectent les marchés
du travail et du produit via des salaires qui dépassent les coûts d’opportunité. Cette prime
salariale syndicale entraîne des distorsions au niveau de l’utilisation des facteurs de production et
de leurs prix relatifs occasionnant ainsi une perte de bien-être au niveau macro social.
En plus de ces distorsions, les tenants de cette facette soutiennent que les syndicats peuvent
occasionner des pertes de production en raison des grèves et une baisse de la productivité dans
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certains milieux de travail car les pratiques de gestion des ressources humaines sont formalisées
et se caractérisent par une grande rigidité. Ainsi, il serait plus difficile pour l’entreprise de
s’adapter à un environnement changeant et d’implanter les transformations ou les innovations au
moment où elles sont requises (Simons, 1944; Milton et Friedman, 1962; Rees, 1977).
Par ailleurs, l’autre facette des syndicats réfère à ce que Freeman et Medoff (1984) ont qualifié de
« voix d’expression collective/réponse institutionnelle » et qui fait ressortir les impacts positifs
des syndicats en mettant l’accent sur le rôle potentiel de la négociation collective au niveau de
l’amélioration des marchés internes du travail. À titre d’exemple, des syndicats bénéficiant d’une
protection légale peuvent effectivement permettre aux travailleurs d’exprimer leurs préférences et
d’exercer une voix d’expression collective lors de l’élaboration ou des modifications des
politiques internes régissant les relations du travail. Hirsch (2003) précise que la négociation
collective peut être plus appropriée que la négociation ou la régulation individuelle pour traiter de
certains aspects des milieux de travail qui présentent des caractéristiques de biens publics et le
problèmes des cavaliers libres (free-rider) qui en résultent. Pour sa part, Weil (2003) soutient que
les syndicats, en tant qu’agent (dans le sens de la théorie des contrats) des travailleurs, peuvent
faciliter la liberté d’expression des employés, l’acquisition et le partage de l’information,
l’ajustement du comportement de l’employeur et la formalisation de la structure de gouvernance
du milieu de travail. En ce sens, Freeman (1976, 1978, 1980) ainsi que Freeman et Medoff (1979,
1983, 1984) prétendent que la syndicalisation facilite la rationalisation dans les pratiques de
gestion car les structures de représentation collective offrent une occasion à la direction d’obtenir
le point de vue des employés sur les changements souhaités. À l’occasion, ces structures peuvent
aussi être génératrices de changements.
Ce dernier courant avance aussi que le syndicalisme amène l’institutionnalisation du changement
par sa consignation à l’écrit, ce qui lui assure une plus grande durabilité. Dans cette perspective,
l’exercice de la voix d’expression collective devrait être associé avec une plus grande
productivité des milieux de travail. Freeman et Medoff précisent que cet aboutissement ne
dépend pas uniquement de l’action syndicale mais aussi d’une « réponse institutionnelle »
constructive et d’un environnement de relations du travail caractérisé par la coopération et le
dialogue. Ainsi, l’appui de la direction de l’entreprise à l’exercice de la voix d’expression
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collective devient une condition nécessaire pour que les syndicats affectent positivement les
milieux de travail.
De façon concrète, ces deux thèses produiront des effets bien différents dans les milieux de
travail eu égard aux enjeux spécifiques sur lesquels porte cette recherche. Ainsi, selon la thèse
monopolistique, nous devrions retrouver une plus faible incidence de la rémunération variable
ainsi qu’une plus grande rigidité dans les pratiques de dotation du personnel. Aussi, les
ajustements des niveaux d’effectifs devraient être plus difficiles dans les milieux syndiqués. La
thèse de l’expression collective nous permet, quant à elle, de supposer des milieux syndiqués plus
démocratiques et participatifs. On devrait y retrouver une plus grande incidence des mécanismes
de gestion des conflits, forme évidente d’expression des besoins des salariés. De plus, la maind’oeuvre devrait y être mieux formée et plus stable.
En somme, comme le résume Freeman et Medoff (1984), la littérature suggère que la
syndicalisation dans une entreprise amène :
− Des pratiques de gestion des ressources humaines plus professionnelles
− Des salaires supérieurs, l’écart étant plus important dans les petites entreprises
− Des programmes de prestations sociales plus détaillés et plus coûteux
− Des rapports sociaux plus démocratiques
− Une plus grande productivité par heure travaillée due à l’accroissement des qualifications
et au plus faible taux de roulement
− Une réduction des coûts liés au recrutement et à la formation de la main-d’œuvre
− Des moyens efficaces d’ajustement face aux variations cycliques de l’économie
− Une plus grande utilisation de l’ancienneté lors des mouvements de main-d’œuvre
− Une plus grande rigidité dans les processus de gestion des ressources humaines
Il semblerait donc que la main-d’œuvre syndiquée coûte plus cher mais produit plus sous des
processus professionnels de gestion plus rigides.
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2. La méthodologie
Comme mentionné précédemment, la présente recherche vise à évaluer les impacts du
syndicalisme. Pour ce faire, nous utilisons l’analyse stratifiée des dernières données disponibles
de l’Enquête sur le milieu de travail et les employés (EMTE) de Statistique Canada. Selon
Statistique Canada (2004) :« l’Enquête (EMTE) est conçue pour explorer un large éventail de
questions reliées aux employeurs et à leurs employés ». Du côté de l’employeur, l’enquête vise à
mettre en lumière les relations entre la compétitivité, les innovations, l’utilisation de la
technologie et la gestion des ressources humaines et, du côté de l’employé, l’utilisation de la
technologie, la formation, la stabilité d’emploi et les revenus. L’enquête est unique en ce sens que
les employeurs et les employés sont couplés au niveau des micro-données. On dispose dès lors
d’informations provenant tant du côté de l’offre que celui de la demande du marché du travail ce
qui permet d’enrichir les études sur l’une ou l’autre. Les données, une fois pondérées, présentent
un portrait relativement exact du marché du travail canadien à l’exception des fonctions
publiques fédérale, provinciales et municipales qui sont exclues de l’échantillon. Les échantillons
de l’EMTE comptent plus de 20 000 employés oeuvrant dans quelques 6000 entreprises, les
nombres variant selon la version de l’enquête qui est menée chaque année depuis 1999.
À partir des questions de l’EMTE, nous avons été en mesure de reconstituer une bonne partie des
construits sur lesquels la littérature se penche eu égard aux effets du syndicalisme. Puis, nous
avons analysé les résultats obtenus en comparant les travailleurs et milieux de travail syndiqués à
ceux qui ne le sont pas. La section trois de cet article présente les résultats de ces analyses.
Même si cette première série d’analyse comprend des informations très utiles sur l’impact du
syndicalisme, nous avons voulu pousser plus loin en segmentant l’échantillon de façon à éliminer
les effets de secteur et de taille. Nul besoin d’études très poussées pour savoir que les conditions
de travail varient grandement selon les secteurs d’activité économique et selon la taille des
entreprises. Celles de plus grande taille et certains secteurs offrent des conditions de travail
nettement plus avantageuses que la moyenne du marché. Il est aussi bien connu que les syndicats
sont beaucoup plus présents dans les grandes entreprises et qu’ils sont presque absents du secteur
des services privés. Il est donc important de procéder à cette analyse segmentée pour éviter
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d’imputer à la présence syndicale des différences de conditions de travail qui seraient plutôt
attribuables aux pratiques de gestion des grandes entreprises ou à une « culture » sectorielle.
La deuxième étape de l’analyse tient donc compte de ces effets en créant quatre catégories de
taille (1-49, 50-99, 100-499, 500 et +) et huit secteurs, nommément : mines et pétrole,
fabrication, construction, transport, commerce de gros, commerce de détail, finance et assurances,
hôtels et restaurants. Ces secteurs, construits à partir des grandes familles du Système de
classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) sont choisis parce qu’ils sont
presque exclusivement composés d’entreprises du secteur privé et parce que, à priori, ils
devraient présenter des pratiques de gestion assez diversifiées. Tel qu’illustré au tableau 1, un
nombre total de 32 analyses comparatives devront ainsi être produites.
Le présent article ne fait état que des analyses faites dans le secteur de la fabrication auprès des
petites entreprises de moins de 50 employés. Une fois les données pondérées, ces entreprises
regroupent plus de 700 000 salariés sur les 12 millions visés par l’EMTE, soit près de 6% du
total. Les résultats obtenus lors de ces analyses sont présentés à la section quatre.
Figure 1
Stratégie de l’analyse descriptive
Mines et pétrole
Fabrication
Construction
Transport
Commerce de gros
Commerce de détail
Finance et assurances
Hôtels et restaurants
- Moins de 50 employés : synd. vs non-synd.
- 50-99 employés : synd. vs non-synd.
- 100-499 employés : synd. vs non-synd.
- 500 employés et plus : synd. vs non-synd.
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3. Les résultats agrégés au niveau du marché du travail
Comme mentionné précédemment, nous présentons dans les tableaux 1 à 5 les comparaisons
entre les milieux de travail syndiqués et les milieux de travail non syndiqués sur diverses facettes
des conditions de travail ou des pratiques de gestion. Notons au départ, même si ce n’est pas là
l’objet de l’article, que le taux moyen de syndicalisation est de 25,7%. Ce pourcentage est plus
faible que le taux réel de syndicalisation au Canada qui se situe aux environs de 32%. L’écart
peut facilement être expliqué par le fait que l’échantillon de l’EMTE ne couvre pas les fonctions
publiques qui sont très fortement syndiquées. Notons aussi qu’il y a des écarts importants entre
les petites entreprises où le taux de syndicalisation est de 8,8% et les grandes où il atteint 55,5%.
Enfin, les femmes (25,5%) sont syndiquées dans une proportion à peu près égale à celle des
hommes (25,9%).
Le tableau 1 nous apprend tout d’abord que les syndiqués sont un peu plus âgés et qu’ils
comptent beaucoup plus d’ancienneté que les non syndiqués. On constate également un ratio de
démission nettement plus faible dans les milieux syndiqués. Ces résultats vont dans le sens de la
thèse qui veut que la syndicalisation favorise une plus grande stabilité de la main-d’œuvre. En ce
qui a trait aux conditions de travail, on remarque que les syndiqués reçoivent un salaire horaire
nettement supérieur aux non syndiqués (21,60$ vs 18,50$), travaillent un peu moins d’heures
chaque semaine et bénéficient d’avantages sociaux presque deux fois beaucoup plus coûteux. En
effet, pour les syndiqués, le coût des avantages sociaux, excluant les régimes étatiques, représente
11,1% par rapport aux salaires, alors que ce pourcentage tombe à 5,8% en milieu non syndiqué.
Les coûts de main-d’œuvre sont donc à tout point de vue plus élevés en milieu syndiqué, ce qui
confirme la thèse du monopole syndical qui prédit un tel effet.
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Tableau 1
Comparaison de l’ancienneté, des heures de travail, des salaires et des avantages sociaux
Tous les secteurs couverts par l’enquête
Variables
Syndiqué
Non-syndiqué
Âge
43,0
39,3
Ancienneté
12,2
7,1
Heures de travail
36,2
37,0
Taux horaire
21,6
18,5
Ratio des avantages sociaux
11,1
5,8
Ratio de démissions
12,3
18,2
Les données du tableau 2 font ressortir des différences importantes dans les pratiques
d’embauche et de promotion des entreprises syndiquées lorsque comparées aux entreprises non
syndiquées. Tout d’abord, les entreprises syndiquées recrutent presque deux fois plus souvent à
l’interne que les autres entreprises. Cette différence est sans doute le reflet des contraintes
qu’imposent les conventions collectives en faveur des salariés déjà en poste. Il ressort aussi
clairement de l’analyse comparative que les milieux de travail syndiqués utilisent davantage des
outils de sélection rigoureux et formels lors de l’embauche. Ainsi dans une proportion dépassant
parfois le double, on y utilise toute une batterie d’examens. Les écarts pourraient être attribuables
au fait que si on paye plus et qu’on a plus de difficultés à se départir d’un employé une fois
embauché à cause des contraintes de la convention collective, on aura tendance à apporter un plus
grand soin à la sélection initiale lors de l’embauche.
Les résultats du tableau 2 eu égard aux promotions ne surprennent pas non plus et confirment ce
que tout observateur des relations de travail nord américain sait. Les milieux de travail syndiqués
accordent une plus grande importance à l’ancienneté dans l’entreprise lorsqu’il est temps de
décider des promotions alors que les entreprises non syndiqués s’arrêtent un peu plus au
rendement. Il s’agit encore une fois d’un reflet de ce qu’on retrouve dans plusieurs conventions
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collectives. Ce qui surprend plus, c’est la faiblesse des écarts car on se serait attendu à des
différences beaucoup plus importantes. En effet, on note que 22,3% des milieux de travail non
syndiqués accordent une importance à l’ancienneté dans les promotions comparativement à
37,5% dans les milieux syndiqués. Il est fort possible que les pratiques des milieux syndiqués
aient « débordées » sur les autres milieux de travail. On devrait également constater des résultats
différents selon les secteurs et les occupations.
Tableau 2
Comparaison des pratiques de gestion à l’embauche et à la promotion
Tous les secteurs couverts par l’enquête
Pratiques à l’embauche
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Tests compétences particulières
Tests aptitudes ou personnalité
Vérification de sécurité
Examen médical
Dépistage de drogues
Test agence de recrutement
Entrevue de sélection
Connaissances liées à emploi
Connaissances générales
14,3
10,5
18,1
27,6
3,5
1,2
81,9
11,1
8,2
9,5
8,0
10,8
8,8
2,0
1,8
77,6
7,3
4,7
Ratio de recrutement interne
41,3
23,2
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Ancienneté seulement
Aucune ancienneté
Régime mixte
21,6
62,5
15,9
10,1
78,7
11,2
Rendement seulement
Aucun rendement
Régime mixte
17,8
53,4
28,8
27,0
41,8
31,2
Promotions
Le tableau 3 présente les résultats des analyses comparatives eu égard à diverses pratiques de
gestion des ressources humaines. On constate tout d’abord des résultats assez similaires sur la
présence d’une évaluation formelle du rendement, une telle pratique étant présente dans environ
60% des entreprises, peu importe si elles sont syndiquées ou pas. Par contre, en milieu syndiqué,
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on utilise rarement (20%) les résultats de l’évaluation comme un des déterminants de la
rémunération alors qu’on le fait dans près des deux tiers des cas en milieu non syndiqué. Il s’agit
ici aussi d’une conséquence des conventions collectives canadiennes qui permettent rarement de
lier la rémunération à la performance du salarié, non pas qu’on décourage la forte productivité,
mais plutôt à cause de la faiblesse et de la subjectivité des mesures du rendement.
Tableau 3
Comparaison de certaines pratiques de gestion et d’encadrement
Tous les secteurs couverts par l’enquête
Évaluation du rendement
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Évaluation formelle
Influence sur la rémunération
58,9
20,1
60,1
64,0
Gestion des conflits
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
87,2
11,6
35,9
10,0
Syndiqué
Non-syndiqué
4,5 / 8,0
4,6 / 8,0
Procédure de plaintes
Plaintes ou conflits
Démocratie au travail
Indice de démocratie
Les résultats relatifs à l’existence de procédures formelles de griefs ou de plaintes font ressortir
clairement les différences entre les syndiqués et les non-syndiqués. Ils viennent confirmer le rôle
que les syndicats jouent au niveau de la structure de gouvernance de l’entreprise ainsi qu’au
niveau de l’amélioration de la transmission de l’information entre les travailleurs et la direction
de l’entreprise. Par ailleurs, les résultats du
tableau 3 nous permettent de constater que
l’incidence des plaintes ou des conflits est un peu plus élevée chez les syndiqués que chez les
non-syndiqués. En contre partie, le faible taux de présence des processus de gestion des plaintes
en milieu non syndiqué (35,9%) laisse entrevoir des difficultés pour les salariés d’exprimer leur
mécontentement alors que la procédure de griefs en milieu syndiqué permet cette expression et
sert de véhicule de démocratisation du milieu de travail.
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Enfin, sur ce dernier point, nous avons compilé un indice de démocratie au travail basé sur huit
indicateurs de participation des salariés aux décisions dans l’entreprise. Les résultats sont à peu
près les mêmes, ce qui implique, contrairement à ce que peut en dire une partie de la littérature,
que la participation directe des salariés n’est pas éliminée du fait de la présence syndicale. Ces
résultats confirment la thèse de la démocratisation des milieux de travail qu’amène la présence
syndicale, d’autant plus que la seule présence de la négociation collective contribue déjà au
caractère plus démocratique des milieux de travail syndiqués en assurant la codétermination des
conditions de travail.
Le dernier tableau compare divers indicateurs relatifs à la capacité d’innover et de concurrencer
sur les marchés que l’on sait de plus en plus compétitifs. On y compare l’incidence de la mise en
œuvre d’innovations dans les produits et services ou dans les procédés, de la présence de la
concurrence dans le marché de l’entreprise et au niveau des prix vis-à-vis les concurrents.
Tableau 4
Comparaison de la position concurrentielle de l’entreprise
Tous les secteurs couverts par l’enquête
Innovation / Concurrence
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Innovation produits/services
Innovation dans les procédés
48,3
43,5
49,0
40,7
Concurrence internationale
Concurrence américaine
Concurrence canadienne
Pas exposé à la concurrence
18,5
10,1
21,9
49,5
20,8
17,7
44,8
16,8
Prix face aux concurrents (+)
Prix face aux concurrents (=)
Prix face aux concurrents (-)
Non exposé
7,4
38,9
2,8
50,9
10,5
62,8
6,7
20,0
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En ce qui a trait à l’innovation, on ne note pas de différences importantes entre la fréquence des
innovations des entreprises non syndiquées et des entreprises syndiquées. D’une part, les
entreprises syndiquées innovent un peu plus dans les procédés mais, d’autre part, les entreprises
non syndiquées innovent un peu plus dans les produits et services. Quoiqu’il en soit, on ne peut
cependant prétendre que la présence syndicale empêche ou retarde l’innovation qui permet à
l’entreprise de s’adapter à des contextes changeants.
Par contre, l’analyse comparative révèle que les entreprises syndiquées sont beaucoup moins
exposées à la concurrence que les entreprises non syndiquées. En effet, dans le premier cas, près
de 50% des entreprises ne sont pas exposées à la concurrence alors que ce pourcentage chute à
16,8%, soit trois fois moins pour les entreprises non syndiquées. Quant à la capacité d’ajuster les
prix face aux concurrents, les milieux non syndiqués semblent s’en tirer un peu mieux. Les
comparaisons sont cependant quelque peu boiteuses compte tenu des écarts dans le taux
d’exposition à la concurrence. L’analyse par secteur devrait nous aider à mieux apprécier les
résultats.
4.
Les résultats des petites entreprises du secteur manufacturier
L’analyse présentée dans la section précédente porte sur toute la population visée par l’EMTE,
soit le marché du travail canadien à l’exception des diverses fonctions publiques. De façon
générale, elle offre un premier portrait de la comparaison des milieux de travail syndiqués à ceux
qui ne le sont pas en plus de permettre de confirmer dans l’ensemble plusieurs des propositions
théoriques issues des deux grandes thèses sur les effets du syndicalisme. Nous y reviendrons plus
tard. Mais, comme nous en faisions mention, cette analyse initiale, quoique essentielle, comporte
d’importantes limites attribuables à l’influence de variables exogènes comme la taille de
l’entreprise et le secteur d’activité économique. Ces variables exercent une influence importante
sur les salaires, les avantages sociaux et les pratiques de gestion. Compte tenu que l’adhésion
syndicale ne se répartit pas de façon égale sur le marché du travail et qu’elle est beaucoup plus
forte dans les grandes entreprises et dans certains secteurs d’activité, il se pourrait que les
différences notées dans la première partie de l’analyse ne soient pas attribuables à la présence
syndicale mais plutôt à ces variables exogènes.
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Afin de pallier à cette lacune, nous proposons une analyse sectorielle à l’intérieur de laquelle les
salariés sont regroupés selon la taille de l’entreprise. Dans la présente section, nous discutons des
résultats des analyses comparatives pour le secteur manufacturier en utilisant les mêmes
indicateurs que dans la section précédente et en ne retenant que les petites entreprises de moins
de 50 salariés. Les résultats sont présentés aux tableaux 5 à 8. Notons, à titre comparatif à
l’ensemble de l’échantillon de l’EMTE, que le taux de syndicalisation dans le groupe ici visé est
de moins de 6%, ce pourcentage étant de 7.2% pour les hommes et de 2,8% pour les femmes. Il
s’agit là de taux inférieurs au reste du marché et aux entreprises de plus grande taille (voir p. 8).
Comme c’était le cas dans l’ensemble de l’échantillon au tableau 1, les données du tableau 5 nous
apprennent que les syndiqués sont un peu plus âgés et qu’ils comptent beaucoup plus
d’ancienneté que les non syndiqués. Le ratio de démission est également beaucoup plus faible
dans les milieux syndiqués. Encore une fois, ces données appuient la thèse de la stabilisation de
la main-d’œuvre comme conséquence de la présence syndicale. On constate aussi que les écarts
dans les salaires demeurent et que ceux sur les avantages sociaux s’élargissent. Par contre, les
différences au niveau des heures de travail disparaissent. Cela nous laisse croire qu’elles sont
sans doute attribuables au secteur d’activité plutôt qu’à la présence syndicale. Ces données
reflètent aussi les pratiques sectorielles au Canada où la semaine de travail des cols bleus tend
vers les 40 heures et celle des cols blancs autour de 35 heures.
Tableau 5
Comparaison de l’ancienneté, des heures de travail, des salaires et des avantages sociaux
Petites entreprises du secteur manufacturier
Variables
Syndiqué
Non-syndiqué
Âge
42,7
40,7
Ancienneté
13,6
7,6
Heures de travail
39,4
39,5
Taux horaire
20,2
17,7
Ratio des avantages sociaux
8,1
3,7
Ratio de démissions
8,0
14,1
66
67
Un examen des données du tableau 6 confirme les différences constatées au tableau 2 eu égard
aux pratiques d’embauche et de promotion. Les entreprises syndiquées recrutent plus souvent à
l’interne, font davantage appel à des outils de sélection formels et accordent une plus grande
importance à l’ancienneté mais une moins grande au rendement. Les processus de sélections y
sont donc plus rigides mais aussi de nature moins « arbitraire », confirmant ainsi les thèses
exposées plus tôt.
Tableau 6
Comparaison des pratiques de gestion à l’embauche et à la promotion
Petites entreprises du secteur manufacturier
Pratiques à l’embauche
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Tests compétences particulières
Tests aptitudes ou personnalité
Vérification de sécurité
Examen médical
Dépistage de drogues
Test agence de recrutement
Entrevue de sélection
Connaissances liées à emploi
Connaissances générales
19,9
13,8
13,1
11,5
0,2
0,6
71,2
16,7
3,8
5,6
3,6
3,4
2,3
0,7
1,3
67,8
4,9
2,4
Ratio de recrutement interne
22,2
12,2
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Ancienneté seulement
Aucune ancienneté
Régime mixte
43,6
42,4
14,0
8,7
78,0
13,3
Rendement seulement
Aucun rendement
Régime mixte
24,4
58,4
17,2
23,5
50,0
26,5
Promotions
Comme c’est le cas dans les entreprises de l’ensemble de l’échantillon, les données du tableau 7
confirment que les entreprises syndiquées utilisent moins la performance pour déterminer la
rémunération et possèdent dans 83% des cas des procédures pour traiter les plaintes, pratiques
plutôt rares dans les entreprises non syndiquées. Paradoxalement, on note ici une plus grande
67
68
incidence des plaintes ou des conflits dans les milieux non syndiqués. En contrepartie, l’indice de
démocratie est quelque peu plus élevé en milieu non syndiqué. Néanmoins, ces résultats
confirment dans l’ensemble la thèse de la démocratisation des milieux de travail qu’amène la
présence syndicale.
Tableau 7
Comparaison de certaines pratiques de gestion et d’encadrement
Petites entreprises du secteur manufacturier
Évaluation du rendement
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Évaluation formelle
Influence sur la rémunération
38,4
32,4
45,4
63,0
Gestion des conflits
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
82,9
12,5
22,3
15,1
Syndiqué
Non-syndiqué
3,6 / 8,0
4,2 / 8,0
Procédure de plaintes
Plaintes ou conflits
Démocratie au travail
Indice de démocratie
Les données du tableau 8, lorsque comparées à celles du tableau 4, font ressortir certaines
différences eu égard à la position concurrentielle des entreprises. Alors que pour l’ensemble de
l’échantillon on ne notait pas de différences sur la capacité d’innover, on constate que les petites
entreprises syndiquées du secteur manufacturier innovent moins que les entreprises non
syndiquées. Par contre, les entreprises des deux groupes sont exposées à un degré comparable à
la concurrence, ce qui n’était pas le cas dans l’ensemble de l’échantillon. Enfin, 28,4% des
entreprises syndiquées ont des prix plus élevés que les concurrents alors que ce taux est de 11,5%
chez les entreprises non syndiquées. Compte tenu de la forte exposition à la concurrence des
entreprises du secteur manufacturier, les prix plus élevés, les salaires plus avantageux et la
rigidité dans les pratiques de gestion pourraient avoir comme effet de confirmer la thèse de la
réduction du nombre d’emplois associée à la présence syndicale.
68
69
Tableau 8
Comparaison de la position concurrentielle de l’entreprise
Petites entreprises du secteur manufacturier
Innovation / Concurrence
Syndiqué (%)
Non-syndiqué (%)
Innovation produits/services
Innovation dans les procédés
43,4
31,6
49,0
40,7
Concurrence internationale
Concurrence américaine
Concurrence canadienne
Non exposé à la concurrence
35,6
28,5
32,6
3,2
24,9
28,8
38,2
8,1
Prix face aux concurrents (+)
Prix face aux concurrents (=)
Prix face aux concurrents (-)
Non exposé à la concurrence
28,4
65.0
3,3
3,2
11,5
71,7
5,8
11,1
5. Discussion
L’objectif de cet article était d’examiner les deux grandes thèses relatives aux effets du
syndicalisme sur l’entreprise et sa main-d’œuvre. Après avoir présenté l’essence de ces thèses,
nous avons utilisé les données canadiennes provenant de l’Enquête sur le milieu de travail et les
employés (EMTE) pour vérifier empiriquement les propositions principales qu’elles impliquent.
À cet effet, au départ sur l’ensemble de l’échantillon, puis sur les petites entreprises du secteur
manufacturier, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux propositions suivantes :
−
La présence syndicale amène une augmentation des coûts de main-d’œuvre
−
La présence syndicale amène plus de rigidité dans les processus de gestion
−
La présence syndicale affecte négativement la capacité concurrentielle de l’entreprise
−
La présence syndicale favorise une plus grande stabilité de la main d’œuvre
−
La présence syndicale force la direction à une meilleure gestion des ressources humaines
−
La présence syndicale contribue à la démocratisation des milieux de travail
69
70
Les résultats confirment l’hypothèse de la hausse des coûts de main-d’œuvre pour les milieux de
travail syndiqués. Au niveau des salaires, l’écart est de 16,7% pour l’ensemble de l’échantillon et
de 14,1% dans les petites entreprises du secteur manufacturier. Qui plus est, il s’élargit si on y
inclut le coût des avantages sociaux qui doublent (11,% vs 5,8% au tableau 1, 8,1% vs 3,7% au
tableau 5). La vision du syndicat-monopole qui utilise sa position pour faire augmenter les
salaires des syndiqués semble donc exacte. Les données ne nous permettent cependant pas
d’apprécier l’effet global, à la fois positif et négatif, de cette hausse des salaires et des standards
de vie sur l’ensemble de l’économie.
La présence syndicale semble aussi produire une plus grande rigidité dans les processus de
gestion à la fois pour l’ensemble de l’échantillon et dans les entreprises du secteur manufacturier.
Il n’y a là rien de surprenant car la convention collective a comme premier rôle d’encadrer
l’exercice des droits de direction afin de protéger les salariés contre les décisions arbitraires. À
cet égard, l’analyse des résultats laisse entrevoir les contraintes imposées à l’entreprise syndiquée
eu égard à l’utilisation de l’ancienneté pour les promotions, au recrutement interne qui passe
avant l’externe, aux difficultés à lier le salaire à la performance. Par contre, il semble que les
entreprises non syndiquées, dans une proportion assez importante, « s’imposeraient »
volontairement des contraintes comparables à celles qui existent dans les milieux syndiqués.
Sur la question de la capacité concurrentielle, les résultats sont mitigés. Tout d’abord, dans
l’ensemble de l’échantillon, on constate que, peu importe la présence syndicale, on innove dans
des pourcentages comparables, même si les petites entreprises du secteur manufacturier semblent
tirer quelque peu de l’arrière. Par contre, les entreprises syndiquées sont dans l’ensemble
beaucoup moins exposées à la concurrence et, quand elles le sont, semblent éprouver plus de
difficultés à contenir les prix au niveau des concurrents. Il est donc fort possible, même si des
analyses poussées seraient nécessaires pour le confirmer avec certitude, que la présence syndicale
nuise à la capacité concurrentielle de l’entreprise, confirmant ainsi les hypothèses à cet effet.
L’analyse des résultats tend aussi à confirmer l’hypothèse d’une gestion plus « réfléchie », voire
moins « arbitraire » de la gestion des ressources humaines en milieu syndiqué, à tout le moins
dans les pratiques de dotation. Ainsi, la présence syndicale amènerait une plus grande stabilité de
la main-d’œuvre et un taux de démission beaucoup plus faible. Nos résultats démontrent, autant
70
71
dans l’ensemble de l’échantillon que dans les petites entreprises du secteur manufacturier, que
les salariés syndiqués évoluent dans des milieux de travail caractérisés par un ratio de
recrutement interne plus élevé, par un plus grand recours à des outils de sélection rigoureux lors
de l’embauche et par une plus grande utilisation de l’ancienneté. Ces différents éléments
constituent les principales composantes d’un marché du travail interne structuré dans lequel la
présence syndicale peut constituer un facteur d’efficacité accrue pour l’entreprise dans la mesure
où elle incite la direction à soumettre les comportements individuels des salariés à des règles bien
définies plutôt qu’à des politiques d’encadrement vagues.
Nos analyses tendent aussi à appuyer l’hypothèse de la plus grande démocratie des milieux de
travail syndiqués. Juridiquement, la seule présence syndicale constitue une élément de démocratie
industrielle en ce sens que l’employeur est obligé à un processus de co-détermination des
conditions de travail, donnant ainsi voix aux salariés. Puis, dans la gestion au quotidien, la
présence syndicale constitue une forme indirecte de participation ou de démocratie en permettant
l’expression des préoccupations des salariés. Enfin, comme le démontrent nos résultats, la
participation directe des salariés n’est pas pour autant éliminée.
Qui plus est, les salariés
syndiqués ont accès en très grande majorité à des processus de gestion de leurs plaintes, ce qui est
plutôt rare en milieu non syndiqué.
En somme, on constate que ni l’une, ni l’autre des thèses sur l’effet syndical n’est complète et
qu’il faut plutôt retenir l’ensemble des propositions qu’elles contiennent. Ces dernières sont
souvent présentées comme contradictoires mais, après analyse, elles nous semblent plutôt
complémentaires.
Il faudra évidemment poursuivre la recherche et examiner ces mêmes
propositions dans les autres secteurs d’activité économique et dans des entreprises de tailles
diverses.
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72
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