étude d`un cas de psychose par Emmanuelle ESTREME
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étude d`un cas de psychose par Emmanuelle ESTREME
PRESENTATION D’UNE STRUCTURE PSYCHOTIQUE ©Emmanuelle ESTREME (2010). En ligne sur detour.unice.fr Master 2 de psychologie clinique et gérontologique Présentation : Mr G se présente au sein de la résidence comme une véritable personnalité, se distinguant par son originalité, ce qui confère parfois à ce personnage une certaine bizarrerie. D’apparence soignée, il porte le plus souvent des lunettes de soleil, parle très fort et fait preuve d’humour. Son quotidien est organisé par différents rendez-vous (rendez-vous médicaux, sorties avec associations religieuses, etc.) tout en participant à la vie de la résidence. Cependant, il entretient peu de contact avec les autres résidents pensant que certains ne l’apprécient pas et lui en veulent, ce qui semble le contrarier. Il est toute fois en demande d’échanges car il apprécie discuter. Anamnèse : Mr G est né à Nice le 21 Mai 1938 (72 ans). Il n’a jamais été marié et n’a pas eu d’enfant. Son enfance a été marquée par le décès de sa mère alors qu’il était âgé de 10 jours. Son père décide alors de le laisser en Italie auprès de sa famille paternelle. Agé de 8 ans, son père vient le rechercher et Mr G vit cette séparation avec sa famille d’Italie de façon douloureuse « ça a été un drame ». Arrivé en France, il vit chez son oncle et sa tante maternels à la Napoule. Mr G évoque quelques rares fois les maltraitances physiques qu’il aurait subies de la part de son oncle « il ne m’aimait pas ». Sa scolarisation, très brève, se déroule difficilement étant donné que Mr G ne parlait pas français à son arrivée d’Italie. A sa majorité, il décide de venir vivre à Nice pour être indépendant. Il suit une formation d’électricien qu’il ne parvient à exercer que quelques années puis ne travaillera plus. Mr G met cela en lien avec ses difficultés intellectuelles et se dévalorise en permanence par rapport à cela. Sa vie adulte est marquée par différents suivis psychiatriques. Mr G évoque une décompensation psychologique, vers 17 ans, au moment de son séjour à l’armée « je délirais je me prenais pour le Président de la République ». Celle-ci se serait selon lui déclenchée à cause de sa souffrance, il parle d’« une crise d’amour ». Mr G rit en évoquant ce souvenir et banalise l’irrationalité de son vécu « C’était dans ma tête ». Il préfère d’ailleurs quelques fois parler de sa dépression. D’après ses dires, cette décompensation signerait le début de la prise de son traitement neuroleptique. Concernant son institutionnalisation, elle est issue d’un choix personnel : son entrée serait liée à un contexte d’isolement à domicile et à un vécu d’agression psychologique de son environnement (amis, voisins). Elaboration identitaire : L’absence de relation intersubjective : Mr G parle très fort, est très volubile et articule avec exagération. Son discours n’est pas destiné à être livré à son interlocuteur et ressemble plutôt à un monologue, à des pensées qu’il exprimerait à voix haute. L’ambigüité, l’étrangeté et les contradictions accompagnent le plus souvent ses dires. De plus, lorsque je lui pose des questions, lui demande des précisions, Mr G semble ne pas les entendre ou, dans le meilleur des cas, reprend ma question mais n’y répond pas. Je n’ai donc jamais pu me placer avec Mr G dans une véritable situation d’échange. J’ai décidé d’ouvrir cette analyse sur l’absence d’intersubjectivité car cela a été pour moi la première étape me permettant de comprendre la façon dont il pouvait fonctionner. Il ne lui est pas possible d’entrer en relation avec autrui et son récit est d’ailleurs majoritairement centré sur sa personne. Lorsque l’autre est évoqué cela est toujours relié à lui « je ne suis pas comme les autres », «les autres, ils me jalousent ». Son discours ne laisse donc quasiment aucune place à la dimension de l’autre, ce qui révèle de graves carences de la différenciation Moi/Autre. Cependant, Mr G apprécie nos entretiens qui sont pour lui un moyen d’avoir un espace cadré pour y déposer ses pensées verbalisées. Il est en effet en demande de ce cadrage extérieur qu’il n’a pas pu élaborer intérieurement si je puis dire. Son choix d’être institutionnalisé fait d’ailleurs écho à son désir d’être encadré, ce qui est source de réassurance pour lui. Il peut être supposé que cela est une recherche de lien symbiotique dont Mr G aurait fondamentalement manqué au cours de son développement (décès de sa mère). Il verbalise d’ailleurs régulièrement le manque affectif qu’il a connu, et connait depuis toujours, ainsi que le manque d’amour maternel. Il est donc en quête d’une relation indifférenciée avec autrui, ce qui peut faire penser à certains moments à une relation de séduction. Manifestations psychotiques : Un vécu persécutif : Le quotidien de Mr G est régi par un sentiment de persécution de la part des autres à son égard. Rappelons d’ailleurs que c’est un vécu d’agression et de persécution de la part de son voisinage et entourage qui a motivé son institutionnalisation. Au cours de tous nos entretiens Mr G a manifesté son malaise : il exprime avec colère ou tristesse combien les autres (les résidents, le personnel, l’extérieur, etc) se moquent de lui, le prennent pour cible et lui en veulent « ils me désignent du doigt, je suis le désigné », « je gêne et quand on gêne on est éliminé ». Le vécu de moquerie est récurrent, central de son discours et semble présent depuis son adolescence. Mr G dit ne pas avoir sa place et semble ne jamais être parvenu à la trouver au cours de sa vie. Par exemple, durant plusieurs jours, il menace de quitter l’institution pensant que l’on ne souhaite plus sa présence. Ce sentiment paranoïde est ainsi exprimé par Mr G : « ils veulent me voir disparaitre, je le sais, ils veulent m’effacer ». Parallèlement à cela, une dimension morbide entoure également son discours : « je n’aurais jamais dû vivre », « je suis noir », « je suis dans les ténèbres », « je porte malheur ». Mr G aime se recueillir dans sa chambre et se retrouver seul. Au vu de ces divers éléments, nous pouvons donc constater qu’il montre des difficultés à être socialement bien intégré. Il revendique que les autres lui en veulent (vécu de persécution) alors que c’est en réalité lui qui se tient à distance. On peut ici y voir une sorte de repli autistique. Une forme de dépersonnalisation : Mr G présente des carences identitaires importantes ne lui permettant pas d’être en mesure de se définir ni de se reconnaitre. Un exemple peut illustrer cela lorsqu’un jour Mr G, venant de se regarder dans le miroir, me confie ne pas s’y reconnaitre « je ne me reconnais pas dans le miroir… ce n’est plus mon visage d’avant ». Sa difficulté à se définir s’exprime également à travers un mouvement oscillant entre mégalomanie et dévalorisation. En effet, Mr G aime passer du temps à me montrer des photos de lui, à m’exprimer combien il est « beau garçon ». Il a d’ailleurs mis en place un délire à travers lequel il aurait été toute sa vie accosté par différentes célébrités (Delon, Piaf, Taylor, etc.) qui lui auraient conseillé de faire du cinéma du fait de son charisme et sa beauté. Mr G se plait à raconter ses anecdotes et ses rencontres imaginaires avec ce beau monde. La profession d’acteur est idéalisée et semble symboliser sa recherche de prestige. On peut ici penser que l’échec à être sujet de sa vie l’a amené à créer ce délire afin de devenir quelqu’un d’autre (dédoublement dissociatif). Cela se retrouve également dans son besoin de démontrer son intelligence. Il possède grand nombre de livres qu’il me montre avec plaisir tout en m’assurant qu’il les a tous lus. Il me précise également qu’il prend des gélules pour stimuler sa mémoire, qu’il écoute radio culture, etc tentant ainsi de démontrer sa valeur intellectuelle. Or, au cours d’un même entretien, Mr G peut basculer dans le mouvement inverse et se décrit alors comme quelqu’un d’inintéressant « je suis bête », « je suis fragile ». Il se dévalorise disant n’avoir jamais rien pu faire de sa vie et être un incapable « je suis minable », « j’étais bon à rien ». Un jour, au cours d’une phase de dévalorisation, Mr G s’est montré particulièrement délirant, très en colère contre les acteurs qui ne lui auraient pas donné sa chance : « c’est fini maintenant qu’est ce que vous voulez que je fasse à 72 ans ? Je leur pisse dessus moi. Si je les vois je vais leur dire, je vous emmerde maintenant ! ». Puis, il s’adresse à Alain Delon pour lui signifier son mécontentement: « Va te faire foutre Delon ! ». Mr G s’enferme dans son délire, se replie sur lui-même alors pris dans son monologue. Son regard fixe un point, il parle à haute voix. L’impression est alors qu’il oublie ma présence en cet instant. Ces différents éléments signent un véritable paradoxe chez Mr G : son refus d’être considéré comme moindre « je ne suis pas plus bête que les autres » et en même temps la revendication de ses insuffisances « je suis un incapable », « je suis handicapé ». Son rapport au monde semble organisé sur ce mode : il jalonne entre ce monde fantasmé où il est séducteur, célèbre et intelligent (Moi idéalisé) et le monde réel. De cette façon, il parvient à se maintenir dans une certaine forme d’adaptation au milieu compte tenu de la gravité de ses carences développementales. De plus, un autre paradoxe peut être noté chez Mr G qui, malgré ses phases de délire, peut démontrer une grande lucidité et un recul sur lui-même. Il est, en effet, en mesure d’exprimer la réalité de ses difficultés et de son vécu. Les incohérences idéo-verbales : Même si ses propos peuvent tenir une certaine cohérence et être compréhensibles, il arrive souvent qu’ils soient énoncés sans connexion logique, ce qui donne l’impression d’une pensée désorganisée. Son discours peut zigzaguer entre différents sujets sans lien apparent. De plus, les évènements peuvent être mélangés, juxtaposés temporellement sans qu’ils n’aient de relation les uns aux autres. La discordance affective : Celle-ci accompagne également régulièrement nos entretiens. Mr G peut raconter des passages ou des situations difficiles de sa vie en s’esclaffant. Cela crée un véritable décalage entre ce qu’il énonce et la façon dont il l’énonce. Il lui est également arrivé de rire, tout en ayant les larmes aux yeux, en évoquant quelque chose de douloureux. L’émotion est inadaptée à la situation ce qui confère une sensation étrange à ses dires. De plus, comme cité dans l’anamnèse, lorsqu’il parle de sa décompensation qui a été un passage traumatique pour lui, il rit et s’exclame « je délirais, je me prenais pour le Président de la République ! ». Il banalise et se détache ainsi affectivement des faits, comme s’il n’était pas véritablement concerné par cet épisode. Il met ici en œuvre un mécanisme de défense pour lutter contre l’angoisse de désintégrative, dissociative de son psychisme. En effet, le délire utilisé comme forme de protection, lui permet ainsi un décrochage avec la réalité de son parcours de vie douloureux et l’échec de l’élaboration d’une position de sujet très angoissante. L’échec de la rencontre avec l’Altérité de Genre : Les carences de la différenciation Moi/Autre n’ont pas rendu possible l’élaboration de la différenciation Identité/Altérité. Le parcours de vie de Mr G est marqué par son incapacité à avoir pu rencontrer l’Altérité de Genre. Nous pouvons illustrer cela à travers son discours qui est sans cesse étayé, de façon obsessionnelle, sur les femmes. Les anecdotes, la plupart du temps fantasmées, font référence à cet échec de la différenciation Identité/Altérité. Entre idéalisation et menace : Mr G semble éprouver le besoin de verbaliser son rapport aux femmes et les idéalise. Une jeune femme de son histoire de vie nommée Marie-Hélène est d’ailleurs régulièrement évoquée. Elle symbolise la référence et le fantasme absolus pour Mr G et sert de support au déroulement de son délire. Elle aurait eu une admiration et un amour sans nom pour Mr G « Marie-Hélène m’aimait vous savez, c’est que j’étais beau garçon ; de tous les garçons c’est moi qu’elle préférait ». Elle est sans cesse citée, toujours idéalisée, sert de comparaison et de référence, etc. On peut ici se demander si à travers la personne de Marie-Hélène Mr G ne tente pas d’unifier l’Altérité de Genre. De plus, certaines célébrités telle qu’Elisabeth Taylor l’aurait remarqué dans la rue, s’arrêtant devant lui pour le complimenter sur sa beauté « "vous êtes magnifique, vous devriez faire du cinéma" m’a dit Elisabeth Taylor ». Pour donner un autre exemple, au cours de nos entretiens, il a souvent raconté la même scène (le lieu, le jour, la situation pouvant varier), non pas sans une certaine fierté, d’une jeune femme qu’il l’aurait accosté dans le tramway et qui aurait eu des attitudes séductrices à son égard « elle m’allumait… elle m’allumait ». A d’autres instants, son rapport aux femmes est teinté d’angoisse, de déception et de crainte. Mr G confie alors l’échec de sa vie amoureuse et dit ne jamais avoir eu de relation sexuelle « je n’ai jamais su y faire, ça me faisait peur ». Il aurait toujours eu une peur immense de rentrer en relation avec les femmes, peur qu’elles puissent se moquer de lui. Il parle alors régulièrement d’un manque d’affection et un sentiment de rejet qui auraient marqué toute son existence. Par exemple, il revient sur une situation précise où il s’est senti exclu par Marie-Hélène : celle-ci aurait invité différents garçons à une sortie et n’aurait pas proposé à Mr G de venir. Cet épisode a été intériorisé comme un véritable rejet par celui-ci. Dans son discours, Mr G oscille donc entre son désir fantasmé d’être un grand séducteur, d’être reconnu comme homme et la réalité de son parcours. Pour conclure… Le tableau clinique qui vient d’être développé permet d’avancer l’hypothèse d’une structure psychotique chez Mr G et penche en faveur d’un diagnostic de schizophrénie. Sa difficulté, voire son impossibilité, à se différencier de l’Autre peut être mise en lien avec le fait qu’il n’a jamais eu, au cours de son développement, la présence d’un Autre qui aurait servi de référence et de repère. Le décès de sa mère, l’absence de son père, puis ses voyages successifs de sa famille paternelle à sa famille maternelle n’ont pas permis l’établissement d’un lien privilégié avec un Autre constant. De ce fait, il n’a pas été en mesure de se différencier de l’Autre et n’a donc pu construire une position de sujet : son Moi reste indéfini. La conséquence attendue est donc que le psychisme n’a pu accéder à son intégration et son unification au troisième détour (adolescence/âge adulte). Cela se repère chez Mr G notamment dans ses accès de paranoïa (où l’Autre est vécu comme menaçant et intrusif pour le Moi) et sa dépersonnalisation (dédoublement du Moi, problème de reconnaissance etc.). Peut-on alors voir là la psychose comme "une destinée" ? D’une certaine façon, nous pourrions répondre favorablement. En effet, si l’on se penche du côté de la théorie du détour, la psychose illustre bien le fait que si une étape du développement a été gravement voire totalement carencée elle rend alors impossible l’élaboration de l’étape suivante ; ce qui est bien le cas chez Mr G. Il n’a donc pas eu les moyens de s’appuyer sur les bases de la différenciation Moi/Autre, trop carencée et son rapport au réel a, par conséquence, été mal élaboré. L’expression de cette carence est alors la mise en place du délire. Or, celui-ci, bien que régulièrement présent, reste tout de même gérable et contenu. Il est donc possible pour Mr G d’avoir un discours qui soit compris et qui, malgré l’étrangeté qui l’accompagne, reste dans l’ensemble assez cohérent. D’après les éléments recueillis, il semble que Mr G n’ait connu qu’une véritable décompensation psychologique. Il évoque cependant, la présence de différents épisodes qu’il appelle « dépressifs » au cours de sa vie. Actuellement, l’institutionnalisation prend fonction d’étayage pour lui et les différentes figures professionnelles de l’institution lui apportent cadrage et réassurance. En effet, il se sentait en danger à son domicile, raison pour laquelle il a rejoint la résidence dans laquelle il se sent aujourd’hui protégé.