la métaphore de la mise en lumière dans le langage courant

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la métaphore de la mise en lumière dans le langage courant
LA MÉTAPHORE DE LA MISE EN
LUMIÈRE DANS LE LANGAGE
COURANT :
ET SI ON TIRAIT ÇA AU CLAIR ?
Soumaya LADHARI
C.I.E.L. Université Paris 7
1. I NTRODUCTION
L’importance du processus métaphorique dans le langage est aujourd’hui
reconnue. Depuis la publication de Metaphors We Live By de Lakoff and
Johnson la métaphore a reçu une nouvelle définition aussi étendue
qu’abstraite. D’une simple figure de style où l’on substitue un terme à un
autre, on en est venu à des définitions qui font référence à des phénomènes
cognitifs profonds. Selon Lakoff (1996 : 165) la métaphore
« …est un mécanisme cognitif qui a rapport aux concepts et non pas seulement
aux mots et qui a trait principalement au raisonnement. La métaphorisation
conceptuelle opère une projection entre domaines conceptuels. »
La théorie de la Métaphore Conceptuelle est un domaine de recherche
central dans le champ plus large de la linguistique cognitive. Au sein de ce
domaine, les notions de Domaine Source (DS), Domaine Cible (DC),
projection (mapping) métaphorique, schèmes expérientiels, inférence etc., sont
devenus un vocabulaire commun pour l’exploration et l’analyse des
phénomènes linguistiques et conceptuels liés à la métaphore. Les principes et
les conclusions de ce cadre d’analyse ont été appliqués dans nombre d’études
Cahier du CIEL 2000-2003
qui dépassent le champ de la linguistique.
Le présent article s’inscrit dans le cadre de cette théorie et se propose
d’étudier le comportement métaphorique d’une série de vocables appartenant
aux champs sémantiques de la lumière et de l’obscurité et servant à
l’expression en français de la facilité et de la difficulté de compréhension. Ne
dit-on pas, quand quelque chose nous paraît évident, que c’est clair et net, que
sinon quelques éclaircissements seraient les bienvenus? De même pour
signifier qu’un point donné nécessite une explication on dirait qu’on devrait
tirer cela au clair, y jeter plus de lumière, y apporter une clarification, etc.
Pour élucider une affaire qui nous paraît opaque ou sombre on cherchera à en
éclairer les zones d’ombre, on exigera plus de transparence et surtout on
s’armera de beaucoup de lucidité.
Ce sont ces observations et ces expressions, entre autres, qui ont guidé
notre réflexion. Dans le but de parvenir à une caractérisation claire du réseau de
relations métaphoriques qui relient ces expressions, nous avons formé une
base de données tirée du journal Le Monde de l’année 1994 sur laquelle nous
avons appliqué nos hypothèses pour en vérifier la validité. Il convient
toutefois de noter que les expressions métaphoriques relevées ne s’appliquent
pas toutes au domaine du savoir et de l’intellection, (ex : voix claire, sourire
lumineux, etc.,). Cependant, le choix de se limiter à ce domaine cible (DC)
est délibéré. C’est le lien entre la clarté et la compréhension d’un coté et
l’obscurité et l’incompréhension de l’autre que ce travail vise à explorer.
Concernant la métaphore qui nous intéresse ici, aucune étude, à notre
connaissance, n’a été exclusivement consacrée à l’investigation des liens
conceptuels qui relient la lumière à l’intelligibilité. Lakoff et Johnson (1980 :
57) ont signalé, très brièvement, les métaphores suivantes : « COMPRENDRE,
C’EST VOIR ; LES IDEES SONT DES SOURCES DE LUMIERE ; et LE DISCOURS
VEHICULE LA LUMIERE. ». Se penchant sur la structure sémantique et le
changement sémantique, Sweetser (1990) a creusé la question de la polysémie
des verbes de perception dans une approche synchronique et diachronique à la
fois. Elle a très brillamment souligné les liens essentiellement métaphoriques
qui relient les différents sens qu’un terme peut prendre au cours de son
évolution historique.
Nous nous proposons, à travers la présente étude, de combler ce qui
apparaît comme une lacune pour la connaissance du français. Notre point de
départ sera les unités lexicales et expressions telles qu’elles sont relevées dans
leurs contextes d’origine. Nous nous inscrivons dans l’approche
méthodologique définie, entre autres, par Grevy (2000, 11) qui propose « not
a pure constructed way, but empirical constructialism, where we show how
metaphors really work and then construct our thesis.”
Après une présentation du cadre général dans lequel nous nous
144
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
positionnons et du corpus sur lequel est fondée la présente étude (2), nous
passerons à une lecture statistique des résultats obtenus (3). Nos résultats
seront ensuite analysés (4) afin d’arriver à la caractérisation finale de la
structure conceptuelle externe et interne de la métaphore.
2. C ORPUS ET MÉTHODOLOGIE
Le corpus sur lequel se fonde notre analyse a été élaboré, rappelons-le, à
partir des numéros du quotidien Le Monde pour l’année 1994. Il comporte les
listes d’occurrences des vocables suivants : clarifie(r, ent), clarté(s),
clair(e/s/es), clairement, clarifiant(s/e/es), clarification(s), éclaire(er, ent),
éclairé(s/e/es), éclairant(s/e/es), éclairci(r, ssent), éclairci(s/e/es), éclairage(s),
éclaircissement(s), clairvoyance, clairvoyant(s), clair-obscur, élucide(er, ent)
élucidation, lucidité, lucide(es), lucidement, translucide(s), perspicace,
perspicacité(s), lumière(s), lumineux(se/ses), illumine(r, ent), illumination(s),
brille(r, ent,), brillant(e/s/es), éclate(r, ent), éclatant(e/s/es), éclat(s),
net(te/s/tes),
jour,
transparaître(aît, aissent), transparent(s/e/es),
transparence(s), limpide(s), limpidité(s), obscurcir, obscurité(s), obscur(s/e/es),
opacité, opacifier, opacification, ombre(s),, etc.,
Le Monde, journal quotidien d’expression française, couvre plusieurs
secteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle. Des genres et
des auteurs différents y sont représentés. Cette diversité thématique et
discursive nous assure une certaine représentativité dans nos résultats, dans la
mesure où le contenu reflète ce qui est dit dans différents domaines et
différentes situations discursives par différentes personnes.
Le choix des mots à étudier s’est fait au fur et à mesure. Nous avons
commencé par étudier la fréquence d’emploi des mots apparentés aux champs
lexicaux de la clarté et de la lumière. Nous avons ensuite analysé
minutieusement le contexte des résultats obtenus ainsi que les définitions
données dans différents dictionnaires. Les premiers vocables candidats étaient
les synonymes et les antonymes et, dans un second temps, tous les mots
reliés par étymologie à la notion de lumière et d’obscurité (ex : lucidité,
perspicacité, limpide, etc.)
Une fois le travail de sélection préliminaire terminé, nous avons procédé
à l’identification des occurrences métaphoriques en général et de celles
s’appliquant à notre DC en particulier. Les occurrences ont été replacées dans
leur contexte d’origine afin d’être analysées. Le travail de balisage a été fait
manuellement afin de distinguer les emplois métaphoriques des emplois
littéraux dans un premier temps. Ensuite, nous avons isolé les métaphores
ayant un rapport avec la compréhension.
145
Cahier du CIEL 2000-2003
Le balisage manuel présente des avantages certains en termes de qualité,
cependant l’opération est coûteuse en temps. De plus, le linguiste devient le
seul juge de la métaphoricité ou non des expressions qu’il analyse. Cette
limitation est simplement inévitable comme le souligne M.H. Fries-Verdeil
(1999) : 48-55) qui, citant G. Low, affirme que ce dernier « passe en revue
différentes sources d’identification des métaphores (le chercheur, l’auteur luimême, une troisième personne) et conclut qu’aucune de ces méthodes n’est
totalement dépourvue de subjectivité. »
3 . L ECTURE STATISTIQUE DES RÉSULTATS
Dans le tableau qui suit (figure 1) nous présentons les résultats du
dépouillement du corpus. Nous rappelons ici que nous sommes
principalement intéressée par les métaphores qui ont pour DC le domaine de
l’intellection c’est-à-dire un domaine ayant à voir avec des notions telles que la
compréhension, le savoir, et l’esprit. Cependant, il nous paraît également
intéressant de voir la fréquence de telles métaphores par rapport aux
occurrences littérales des mêmes termes mais aussi par rapport aux métaphores
ayant un DC différent. Cette fréquence, qui se trouve être assez importante,
témoigne de la productivité des métaphores étudiées.
Expressions
métaphoriques
clarifie(r/ent)
clarifié(e/s/es)
clarification(s)
clarifiant
clarté(s)
clair(e/s/es)
clairement
éclaire(r/ent)
éclairé (e/s /es)
éclairant(e/s/es)
éclairci(r, issent)
éclairci(r/e/s/es)
éclairage(s)
éclaircissement(s)
clairvoyance
clairvoyant(e/s/es)
clair-obscur(s/es)
146
Nombre
total des
occurrences
relevées
192
50
229
5
297
2878
1355
382
277
91
72
68
260
62
49
24
36
Occurrences Occurrences
métaphores du
littérales
métaphoriques domaine de
écartées
l’intellection
0
0
0
0
17
685
0
43
88
14
2
6
150
0
0
0
20
0
0
0
0
16
49
0
11
3
2
2
3
0
1
0
0
1
192
50
229
5
264
2144
1355
328
186
75
68
59
110
61
49
24
15
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
élucide(r, ent)
élucidation(s)
lucidité(s)
lucide(s)
élucidé(e/s/es)
lucidement
translucide(s)
perspicace(s)
perspicacité(s)
transparaît(aître,
aissent)
transparent(e/s/es)
transparence(s)
limpide(s)
limpidité(s)
sombre(s)
obscurci(r/ssent)
obscurci(e/s/es)
obscurité(s)
obscur(e/s/es)
opacité(s)
opaque(s)
50
15
207
182
52
13
34
15
16
75
0
0
0
0
0
0
27
0
0
0
0
0
0
0
0
0
6
0
0
0
50
15
207
182
52
13
1
15
16
75
287
725
128
34
694
20
23
156
434
89
118
117
13
8
4
194
2
2
78
67
6
29
3
3
8
1
464
0
0
14
27
0
0
167
709
112
29
36
18
21
64
340
83
89
Figure 1 : répartition des résultats du dépouillement du corpus
Au regard de ce tableau, on distingue trois catégories :
1- La première inclut des vocables dont toutes les occurrences sont
métaphoriquement appliquées au domaine de l’intellection. Ex :
clairement, clairvoyance, élucider, etc.
2- La deuxième catégorie comprend un large éventail d’expressions où les
occurrences métaphoriques liées au domaine de la compréhension sont de
loin les plus fréquentes. Il s’agit de vocables comme : clarté, opacité,
etc.
3- La troisième catégorie regroupe des unités lexicales comme :
translucide, et sombre où les métaphores de la compréhension sont rares.
Globalement, les occurrences s’appliquant par métaphore au domaine de
la compréhension sont beaucoup plus fréquentes que les occurrences littérales
ou d’autres métaphores. C’est la preuve de l’importance et de la productivité
du système de projection que la présente étude s’efforce d’analyser.
4. A NALYSE DES RÉSULTATS
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Cahier du CIEL 2000-2003
Nous consacrons cette section à l’analyse des résultats que nous avons
obtenus et nous commencerons par l’étude des métaphores que nous avons
choisi d’écarter de l’analyse.
4.1. Métaphores écartées de l’analyse
Nous avons pu constater en (3) que les expressions métaphoriques ayant
un DC différent du domaine de la compréhension sont présentes avec des
fréquences plus ou moins faibles. Les dictionnaires les qualifient d’emplois
métaphoriques au même titre que celles qui constituent l’objet de ce travail.
De plus les DS sollicités sont les mêmes. Pourtant, le sens métaphorique,
résultant de la projection métaphorique à travers ces deux catégories, présente
des différences cruciales. En fait, ce sont les systèmes d’inférences activées par
la projection qui révèlent des divergences sémantiques. Pour mieux saisir cette
distinction nous proposons de regarder d’un peu plus près les couples
d’exemples suivants :
un souvenir clair
un visage éclairé (par un sourire)
un journal obscur
vs
vs
vs
une définition claire
une affaire éclairée (par l’actualité)
un objectif obscur
Un souvenir clair est un souvenir qui est facile à évoquer ; une
définition claire, par contre, est une définition qu’on peut facilement
comprendre. Un visage éclairé (par un sourire) évoque l’image d’un visage
radieux illuminé d’un grand sourire ; une affaire éclairée par l’actualité, par
contre, est une affaire qui est plus facile à comprendre grâce à la découverte de
nouvelles informations la concernant. De même, un journal obscur est un
journal peu connu tandis qu’un objectif obscur fait référence à un objectif dont
on ne peut saisir l’essence.
Ce que ces couples de métaphores ont en commun c’est la projection
d’une Gestalt propre aux DS de LUMIERE ou d’OBSCURITÉ sur un aspect
correspondant du DC. En particulier, c’est la propriété d’être source de clarté ou
d’obscurité qui est transférée. En revanche, ce qui départage ces deux classes
d’expressions sont les types d’inférences ajoutées que les expressions du
second type évoquent. Il s’agit notamment d’inférences imposées par le
domaine de l’intellection.
Du point de vue de la théorie de la MC, ce qui distingue ces deux groupes
de métaphores est ce qu’on est convenu d’appeler « la réécriture par le
domaine cible ». Selon Lakoff (1996 : 165) « La MC opère une projection
entre domaines conceptuels. Elle conserve la structure inférentielle du
raisonnement jusqu'à ce j’appelle la réécriture par le domaine cible. » Pour
148
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
élucider ce phénomène, il donne l’exemple de l’expression métaphorique
‘donner une idée’ où, explique-t-il, on donne une idée qu’on continue de
garder même après l’avoir donnée.
C’est la fonction même de la métaphore de garder l’inférence qui résulte
de la projection entre les deux domaines source et cible. Cependant, la
structure du DC, surtout quand il s’agit d’un concept relativement abstrait, a
tendance à imposer ses contraintes et va ajuster le résultat du transfert à ses
particularités propres. L’inférence qui devait être conservée se trouve alors
redéfinie selon les données du domaine cible. D’une certaine manière, nous
pouvons affirmer que chaque DC ajuste la structure de l’aspect transféré à sa
façon, et que, par conséquent, le résultat de chaque projection est unique,
même si le domaine de départ est le même et qu’il s’agit de la même Gestalt
projetée. Ce phénomène est seulement plus perceptible quand le DC est
un domaine d’une grande abstraction.
Le domaine de l’intellection, qui nous intéresse ici, est un domaine
hautement abstrait. C’est ce qui justifie la grande différence évoquée par les
deux séries d’exemples cités précédemment. Nous verrons plus loin que la
métaphore de la mise en lumière pour la compréhension cache, ou plutôt
révèle, un réseau complexe de métaphores entrecroisées qui tracent et détaillent
les chemins de la projection entre DS et DC.
4.2. Métaphore de la mise en
lumière
appliquée au DC de la compréhension : vue
de l’extérieur
A partir de la lecture (statistique) des résultats, nous avons pu constater
qu’il existe, en français, un large éventail d’expressions employées
métaphoriquement établissant le lien entre les domaines de la lumière et de la
compréhension ou encore entre l’obscurité et l’incompréhension. Ces
expressions nous renseignent surtout sur la façon dont le concept de
COMREHENSION est appréhendé en français. Plus particulièrement, elles nous
donnent un accès - qu’elles seules peuvent donner - à la structure de ce concept
et aux différentes relations qu’il peut entretenir avec d’autres concepts.
Les expressions métaphoriques qui ont été retenues dans le cadre de cette
étude évoquent (plusieurs variantes d’) un même scénario. Dans la plupart des
cas il s’agit de résoudre une énigme. Le mystère à élucider est typiquement
conçu comme étant/se situant à l’intérieur d’une zone obscure. L’énonciateur,
quant à lui, est perçu comme un observateur/explorateur qui s’arme d'une
lumière qu’il doit projeter sur la zone d’ombre afin de l’éclaircir. Il peut luimême être source de lucidité et contribuer à tirer au clair l’affaire en question.
La zone d’ombre peut également être à l’intérieur de l’observateur, et le but
149
Cahier du CIEL 2000-2003
sera alors de l’éclairer70. Les exemples suivants laissent transparaître cette
perception. Les expressions soulignées décrivent l’isotopie textuelle du DC.
Elles fournissent une caractérisation très riche de son frame et guident
l’interprétation de la Gestalt projetée.
(1) Quoi qu'il en soit, le doute était créé. Le trouble était instillé, logé, dans les
esprits. Et la colère spontanée, l'écoeurement, l'horreur étaient
insidieusement parasités par une suspicion vicelarde comme s'il fallait à
tout prix éviter d'y voir trop c l a i r et, dans une situation plus
l i m p i d e que jamais, réinjecter sans tarder une nouvelle dose
d'obscurité.
(2) Ce bilan comporte des z o n e s d ' o m b r e , plus ou moins soulignées selon les
tendances politiques des observateurs. Nicole Fontaine, vice-présidente
du Parlement européen et vice-présidente du CDS, qui doit faire effort
pour modérer sa sympathie et salue " la foi communicative de Delors
dans l'Europe, l'impulsion extraordinaire qu'il a donnée à la
construction communautaire ", observe, en associant d'ailleurs le
Parlement à ce défaut de c l a i r v o y a n c e , " qu'on n'a pas v u
s u f f i s a m m e n t la dérive technocratique de la Commission, ce qui
explique le retour de bâton lors du débat sur Maastricht.
Dans ce qui suit, nous nous proposons d’analyser les différentes
configurations conceptuelles évoquées par les expressions métaphoriques
retenues. Il est intéressant d’observer que la variété ne se limite pas au niveau
de l’expression linguistique ; elle est le reflet de structures conceptuelles
diverses. Nous commencerons tout d’abord par décrire les métaphores qui
véhiculent une vue de l’extérieur de la scène d’éclairage. Il s’agit surtout de
métaphores qui activent certains aspects de l’action de mise en lumière.
4.2.1. <LA LUMIÈRE / L’OBSCURITÉ DÉFINIT UN
DOMAINE SPATIAL>
La projection métaphorique qui définit la lumière ou l’obscurité comme
zone spatiale est la plus présente dans notre corpus. Elle est sous-jacente aux
autres métaphores dont l’analyse va suivre.
(1) La décision du commandant des " casques bleus " de demander son rappel
anticipé a m i s e n l u m i è r e un malaise croissant dans la FORPRONU,
dont plusieurs dirigeants des pays participants se sont faits l'écho.
(2) En orientant l'oeuvre de celui-ci vers un horizon strictement français,
Jeannette Colombel laisse sans doute dans l ' o m b r e des
influences qui furent déterminantes, mais, en aboutissant à la question
70
Notre corpus abonde en exemples où les expressions métaphoriques sont
utilisées d’une façon redondante (ex un éclairage clair, poser clairement les termes
d'une clarification, mettre au clair aussi nettement que possible, avec une clarté
maîtrisée et parfaitement limpide, etc. ). On rencontre également des exemples où
les termes sont utilisés de manière à créer un effet d’oxymore (ex l'obscure clarté)
150
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
de l'authenticité et de la liberté de " l'homme en situation ", c'est-à-dire
en reprenant le vocabulaire de Sartre, elle jette un é c l a i r a g e
nouveau sur une oeuvre que son auteur lui-même répugnait à qualifier de
philosophique.
Cette métaphore locative divise le champ ainsi défini en un dedans et un
dehors. Chaque champ se comporte alors comme un contenant qui présente
une frontière séparant un extérieur d’un intérieur.
4.2.2. <LA LUMIÈRE
CONTENANT>
/
L’OBSCURITÉ
EST
UN
Cette métaphore découle naturellement de la précédente. Le schème du
contenant est l’une des configurations les plus saillantes dans la réflexion
cognitive. Selon Lakoff et Johnson :
« Nous sommes des êtres physiques limités et séparés du reste du monde par la
surface de notre peau, et nous faisons l’expérience du reste du monde comme
étant hors de nous. Chacun de nous est un contenant possédant une surface
limite et une orientation dedans-dehors. Nous projetons cette orientation
dedans-dehors sur d’autres objets physiques qui sont aussi limités par des
surfaces, et nous les considérons comme des contenants dotés d’un dedans et
d’un dehors. » (1980 : 39/40)
Les exemples suivants ont en commun la perception de la zone plus ou
moins éclairée comme un contenant. L’objet que l’observateur recherche se
trouve, dans la plupart des cas, dans un lieu obscur ; pour bienl’(ap)préhender
l’explorateur doit le mettre en lumière. Les prépositions dans et au renforcent
l’idée du contenant. Notons, par ailleurs, que dans est utilisé avec ombre pour
dénoter un lieu clos et par conséquent renforcer l’idée d’inclusion dans un
espace ; tandis que ‘au’ évoque plutôt la finalité et éventuellement une
certaine ouverture.
(3) Le financement n'a toujours pas été débloqué. Une question qui est
r e s t é e d a n s l ' o m b r e depuis le début des discussions.
(4) La doctrine française était de ne pas accepter l'élargissement sans
l'approfondissement, c'est-à-dire sans mise en ordre des institutions et
m i s e a u c l a i r des procédures de direction de l'Union.
(5) C'est seulement en 1809 que Chateaubriand rédigea le préambule des
Mémoires de ma vie, et c'est à l'automne 1811 qu'il se mit véritablement
à cet ouvrage. Il avait l'ambition de se tirer au clair et de connaître
mieux les sentiments qui le traversaient ou l'agitaient. " Je veux
expliquer mon inexplicable coeur ", déclarait-il.
Dans le dernier exemple, le personnage décrit souhaite se transporter dans
un espace plus clair afin de mieux percevoir ‘les sentiments qui le
traversaient’. Il s’agit là d’une mise en scène où l’énonciateur, cherchant à y
voir plus clair, va déplacer son être vers un espace plus éclairé où il deviendra
assez transparent pour qu’il puisse le percer de son regard afin de comprendre
l’essence de ce qui le traverse.
151
Cahier du CIEL 2000-2003
4.2.3. <LA (MISE
EN)
LUMIÈRE
OBJECTIF Â ATTEINDRE>
EST
UN
Dans ce schéma de projection, non seulement le lieu éclairé ou sombre
mais aussi l’action d’éclairage elle-même sont vus comme un objectif à
atteindre. L’emploi de la préposition ‘à’ qui décrit métaphoriquement la
finalité corrobore cette perception.
(6) Contrairement aux aspirations des tenants du " ni-ni ", le clivage droitegauche traverse aussi les écologistes. Comme le dit, par boutade, M.
Lalonde, pour parvenir
à
cette
clarification, il faudrait que les
Verts et Génération Ecologie " s'échangent leurs minorités ".
(7) Le rôle de l'Organisation de coopération et de développement économique
(OCDE) devrait être d'aider les différents gouvernements à a t t e i n d r e
c e b u t c l a i r : la création d'une économie internationale ouverte.
(8) Au-delà de l'échéance européenne, une telle opération pourrait cependant
a b o u t i r à u n e n é c e s s a i r e c l a r i f i c a t i o n.
(9) Peu attiré par les débats académiques il a, sa vie durant, privilégié
l'observation des faits, et surtout cherché à éclairer la décision et
l'action plus qu'à alimenter la théorie économique.
Contrairement à ce que la bonne morale pourrait enseigner, l’obscurité
peut aussi être vue comme un objectif à atteindre. Le maintien dans
l’obscurité, qui est décrit comme l’action opposée à la mise en lumière, peut
être envisagé comme une finalité en soi comme le montre l’exemple (10):
(10) Montesquieu, qui a joué d'une certaine
obscurité, opte pour la réserve :
[…] Cette question de la mise en lumière ou du maintien
dans
l'obscurité reste l'une des plus actuelles dans l'univers
médiatico-démocratique propice aux fausses transparences.
4.2.4. <LA (MISE
INSTRUMENT>
EN)
LUMIÈRE
EST
UN
Dans le cadre de cette projection, la lumière peut-être conçue comme un
instrument qui aiderait l’observateur à atteindre son objectif. C’est la
projection de la lumière sur la zone obscure, ou encore le déplacement de
l’entité à comprendre vers une zone éclairée qui va aider l’observateur à mieux
percevoir et à mieux comprendre. Cette conception est illustrée, entre autres,
par l’emploi de la préposition avec dans les exemples suivants :
(11) Il fallait un bloc politique très fort pour riposter et faire face au bloc
communiste. Mais, à l'époque, personne ne pouvait percevoir
avec
c l a r t é les risques de cette alliance politique anticommuniste
(12) Elle est la seule romancière qui ait osé aborder avec autant de clarté
et d'audace la sexualité.
(13) Nous accueillons la clarification
a p p o r t é e et la réaffirmation que la
152
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
politique russe à l'égard des Etats baltes demeure inchangée.
(14) Cette mise au point constitue pour l'essentiel une redite de la déclaration
anglo-irlandaise du 15 décembre dernier, mais elle a p p o r t e un
é c l a i r a g e inédit sur certains p o i n t s .
(15) " Nous n'avons pu ni su incarner aux yeux des citoyens une alternative
politique cohérente et crédible, déclare le texte, (...) mais n o u s
f a i s o n s l e c o n s t a t a v e c l u c i d i t é : à nous d'unir nos forces.
Dans ce dernier exemple, lucidité a su garder son ancrage métaphorique.
Etymologiquement, la lucidité renvoie à ‘l’aspect brillant, la clarté, la netteté’.
Notons que toutes les occurrences de lucidité, et des vocables qui lui sont
reliés, appartiennent au domaine de l’intellection.
4.2.5. <LA MISE EN
CHEMIN(EMENT)>
LUMIÈRE
EST
UN
La poursuite d’un objectif implique forcément une démarche, un chemin
à suivre. Cette image évoque un schème très important dans la littérature
cognitive, c’est celui de SOURCE-CHEMIN-BUT . Ce schème projette l’image
d’un parcours qui relie un point de départ à un point d’arrivée par une série de
pas(sages) qui tracent le chemin. Le processus d’éclairage, vu sous cet angle,
est assimilé à un parcours caractérisé par un début, une fin et des étapes
intermédiaires. Dans le cadre de cette projection, l’observateur entreprend une
action d’éclairage sur un lieu ou encore sur lui-même. Il aura à entamer un
processus de clarification où, comme sur un chemin, il avancera pas à pas
dans le sens de la clarté. Il ira même jusqu’ à s’aventurer et prendre des risques
si les choses s’avèrent moins évidentes. Le but c’est d’arriver au bout du
chemin, c’est-à-dire de parvenir à la clarté nécessaire.
(16) Fondues dans une trentaine d'articles législatifs, ces mesures visent, pour le
gouvernement, non seulement à mieux identifier les causes du déficit du
régime général mais aussi à entamer une prudente c l a r i f i c a t i o n
des relations entre l'Etat et les gestionnaires patronaux
(17) Politiquement, cette redistribution des sièges favorable aux réformistes
permet au gouvernement d'aborder
plus
sereinement
la
c l a r i f i c a t i o n promise des règles de représentativité.
(18) Le président du directoire de Pinault-Printemps f r a n c h i t un pas de plus
dans la clarification des structures du groupe dont il a pris les
rênes le 1 mai 1993.
(19) Les nouveaux venus, enfant de l'exil accomplissant
un
parcours
initiatique
transparent
vers l'origine ou romancier rêvant de
chausser les bottes de Malraux tout en gérant sagement ses tirages.
(20) Longtemps immobile, le paysage politique japonais est devenu mouvant.
Le mot de " réforme " est sur toutes les lèvres, mais rares sont ceux qui
s'aventurent à en c l a r i f i e r les orientations.
La mise en lumière donc définit un chemin à suivre qui est censé guider
153
Cahier du CIEL 2000-2003
l’observateur dans sa manœuvre et éviter qu’il s’égare. L’exemple suivant , en
soulignant l’opposition entre éclairer et égarer, montre ce rôle joué par la
lumière vue comme chemin :
(21) Aujourd'hui, à l'effacement des systèmes religieux traditionnels s'oppose
une extension du sacré qui " é c l a i r e e t é g a r e " tout à la fois.
Dans la vie de tous les jours, cependant, cela peut nous arriver de rater
notre cible et ne pas voir nos efforts aboutir. Nous resterons alors quelque part
entre le point de départ et le point d’arrivée. La zone cible reste inaccessible.
Cet aspect, qui appartient à la structure globale du domaine de départ, fait
partie de la Gestalt transférée par la projection. Ces inférences sont actualisées
dans les expressions suivantes où l’on peut voir que l’observateur peut rester
assez près (à peu prés) du point final (ex31) et ne pas arriver à clarifier sa
cible.
(22) Au fil des ans, de nombreuses missions de recherche sur le terrain et d'une
coopération de mauvais gré de la part de Hanoi, le sort de la plupart
d'entre eux a é t é é c l a i r c i o u à p e u p r è s .
Cette observation met en relief l’aspect graduel de l’action de mise en
lumière. En effet, nous constatons que les domaines de lumière et d’obscurité
présentent une gradation interne qui peut être assimilée à une échelle
comportant des degrés différents de clarté et/ou d’obscurité. Cette échelle est
constituée par une série de points et de niveaux qui reflètent l’importance
estimée de l’éclairage. Les exemples qui suivent montrent bien cet aspect
graduel.
(23) Ne pouvez-vous essayer de ravoir ces trucs-là raisonnablement ? (...) Je n'ai
de réels élans qu'en grands formats... " On ne voit que trop aujourd'hui à
quel point l'homme était lucide.
(24) " Pour le reste, le nouveau ministre de l'industrie n'oublie jamais qu'il
provient des rangs de la Ligue, Aussi, comptez sur nous pour é t a b l i r
un m a x i m u m d e c l a r t é d a n s c e d o m a i n e.
(25) La relecture différente (et différée) de ces textes nous replace à des
altitudes
de
lucidité
souhaitable en une période cathodique qui
n'interprète plus les signes d'un ciel de cirque où le néant fait looping.
(26) Ce p o i n t mérite d'être é c l a i r c i , et évalué au plus haut niveau. Rien
n'est pire que l'impuissance consistant à brandir une menace que l'on
sait irréalisable.
Cette gradation interne à chaque concept peut déboucher sur une
intersection entre différents concepts et nous assisterons alors à l’effacement de
frontières qu’on croyait, à tort, bien délimitées. Ceci n’est pas seulement dû
au fait que le degré de clarté ou d’obscurité est avant tout une question de point
de vue. En effet, sont attestés dans notre corpus des emplois qui accentuent ce
caractère délibérément flou, apparent surtout dans des cas d’euphémismes. Le
meilleur exemple qu’on puisse citer, notamment à cause de sa grande fréquence
d’emploi, est l’utilisation de manque de clarté pour signifier obscurité, lequel a
154
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
une connotation nettement plus négative.
(27) Cette polémique aura au moins eu le mérite de faire
manque de clarté de la directive européenne .
apparaître
le
4.2.6. <L’OBSCURITÉ EST UN ETAT DE SIÈGE>
Dans le cadre de cette métaphore, l’obscurité est vue comme entourant
l’affaire qui doit être élucidée. L’état de siège évoque avant tout un état de
fermeture qui rend la zone assiégée impénétrable. Il convient également de
noter que l’ombre assiégeant la zone cible est vue comme un nuage à dissiper,
un état de confusion qui peut déboussoler l’explorateur en quête de clarté.
Cette perception est diamétralement opposée à celle évoquée par la clarté qui
est associée à un état d’ouverture et de franchise (41).
Par ailleurs, le système d’orientation évoqué par les concepts de lumière
et d’obscurité (4.2.8) et la hiérarchie qu’il impose aux concepts de lumière et
d’obscurité associent la lumière au positif et l’obscurité au négatif selon la
projection LE BIEN EST EN HAUT, LE MAL EST EN BAS. Cette association est
très perceptible dans plusieurs exemples surtout dans le cas de concepts liés à
l’obscurité où nous voyons que celle-ci évoque le doute, le mystère,
l’inquiétude, voire même le danger des notions qui créent l’isotopie du DC.
(28) Le fait qu'en plaçant le général Zéroual aux avant-postes, l'armée se soit plus
directement impliquée dans la gestion des affaires de l'Etat, ne dissipe
pas les z o n e s d ' o m b r e qui entourent le drame algérien.
(29) Passons sur ses négociations avec Nordling pour la trêve des combats du 19
août : les premières sont relativement c l a i r e s , la seconde et les
troisièmes embuées
d'obscurités,
de
sous-entendus
et de
non-dits...
De tout cela, sourd une impression générale...
d'imprécision, que, peut-être un jour, les papiers de Nordling
permettront de dissiper.
(30) Mais si quelques-uns des faits qui ont constitué la trame de la libération de la
capitale sont relativement bien connus, d'autres demeurent encore
entourés
d'un
halo
d'incertitudes,
voire
d'opaques
obscurités.
(31) Elles se présentent sous la forme de quatrains… Nostradamus a donc crypté
ses visions au
moyen
d'anagrammes
volontairement
obscures.
(32) Dans une volonté de " c l a r i f i c a t i o n et ouverture ", lors de son congrès
extraordinaire de Perpignan, en décembre 1992, la fédération s'était
dotée de nouveaux statuts qu'elle inaugurait, cette année, à Tours.
4.2.7. <L’ÉCLAIRAGE EST UNE MISE EN SCÈNE>
Cette projection est basée sur un fondement différent des précédentes
métaphores. En effet, elle est inspirée des jeux d’ombre et de lumière
155
Cahier du CIEL 2000-2003
caractéristiques des scènes de théâtre. Le processus d’éclairage est mis en scène
en termes de manipulations de projecteurs. La métaphore de la scène, bien que
peu fréquente, est importante dans la mesure où elle rappelle la métaphore de
la vie comme pièce de théâtre. De ce point de vue, elle peut même être vue
comme sous jacente aux autres projections.
(33) J'observe néanmoins q u ' e n d i r i g e a n t l e p r o j e c t e u r vers les zones
d'ombre
du
traité et les a m b i g u ït é s qu'il c o m p o r t e , ils
contribuent grandement à la c l a r i f i c a t i o n du débat. Car ce débat n'est
pas terminé.
(34) Il y aura des fêtes, à Cannes. Celle qui détaille les règles du jeu à la suite du
mariage de la Reine Margot. Trois fois la multitude, le désordre, les
conflits, trois fois une mise en scène qui
éclaire,
organise,
donne à voir et à comprendre.
4.2.8.
<LA
LUMIÈRE
EST
L’OBSCURITÉ EST EN BAS>
EN
HAUT
/
Outre les métaphores structurelles, qui ont à faire à la structure des
domaines source et cible, la théorie de la MC distingue les métaphores
d’orientations qui donnent aux concepts une orientation spatiale. Les
«orientations métaphoriques ne sont pas arbitraires. Elles trouvent leur
fondement dans notre expérience culturelle et physique. » (Lakoff et Johnson
1980 : 24) Le fondement de ces deux métaphores, dans notre expérience, est
basé sur le fait que, typiquement, les rayons de lumière viennent d’en haut
(soleil, lampe, etc.) pour éclairer des espaces ou des entités qui se trouvent en
bas. De même, les lieux se trouvant en profondeur sont généralement obscurs,
étant difficilement exposés à la lumière. La préposition sur indique la
directionalité de la projection du flux lumineux, la zone d’ombre se trouvant
obligatoirement en dessous. Les exemples suivants montrent bien ce système
d’orientation :
(35)[ C'est du côté des interdits qu'un peu de clarté peut descendre. Pour tout
ce qui touche au vif de la chose, à son arête, je ne me crois pas plus
certain aujourd'hui que je l'étais à dix années d'ici.
(36) C'est donc cette marionnette qui aura projeté la lumière la plus crue
et peut-être la plus lucide sur cette réforme, même Reagan
n'avait pas réussi cela : faire payer les pauvres pour l'école des riches.
(37) Les choses ne sont pas pour autant éclairées jusqu'au fond, mais enfin
ce livre ouvre des pistes.
(38) "L'humanité est à ce point plongée dans les ténèbres, écrit Andreïev, qu'elle
a besoin de talents pour é c l a i r e r s o n c h e m i n et qu'elle prend soin de
ceux-ci comme de gemmes infiniment précieuses
Toutefois, une autre série d’exemples décrit un autre scénario avec un
système d’orientation différent, ce qui nous conduit à conclure qu’il y a deux
156
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
cas de figures :
1- Dans le premier cas de figure le lieu en question reçoit (ou est privé d’)
un éclairage par un agent extérieur (humain ou non-humain): cela
apparaît dans des expressions types : faire la lumière sur une question,
dissiper les zones d’ombre, clarifier une position, etc., L’objet/le lieu est
le point d’arrivée qui va accueillir la lumière apportée.
2- Dans le deuxième cas c’est le lieu en question qui est source de lumière
ou d’obscurité. Cela apparaît typiquement dans des expressions comme :
il est clair que, un événement obscur, un parcours transparent, une zone
obscure, etc., Cet objet/ce lieu est vu comme le point de départ de
(l’absence de) la lumière.
La différence cruciale entre ces deux cas de figures concerne l’orientation
du regard de l’observateur dans la scène globale. Dans le premier cas de figure,
le regard de l’observateur est fixé sur la zone à éclairer qui, vraisemblablement,
manque de clarté. La lumière est souvent perçue comme un instrument qui va
aider l’observateur dans son entreprise. Elle peut également provenir de
l’observateur lui-même. Dans le deuxième cas de figure, c’est l’objet en
question qui est source de clarté et ce sont les yeux de (la tête) de notre
observateur qui seront la cible de cet éclairage :
(39) Leur travail f o u r n i t u n é c l a i r a g e h i s t o r i q u e à u n e s i t u a t i o n que le
plus grand nombre ne voit que dans son immédiateté.
(40) Je ne saurais, par ailleurs, apporter
à
la
cour
quelque
é c l a i r c i s s e m e n t q u e c e s o i t sur la personnalité de l'accusé.
(41) Les principaux dirigeants politiques a p p o r t e r o n t à l'antenne un
é c l a i r a g e e n p r o v e n a n c e des principales capitales européennes.
(42) A la fois diplomates et juristes, ils apportent, ce qui est rare s'agissant de
l'interprétation de grands documents internationaux, une analyse
scrupuleuse des
textes,
éclairée
par
une
profonde
c o n n a i s s a n c e des circonstances qui les ont fait naître.
4.2.9. Métaphtonymie
Dans son article sur l’interaction entre la métaphore et la métonymie
dans le langage figuratif, Goossens (1995) introduit le terme de
métaphtonymie (metaphtonymy) qu’il utilise pour décrire l’interaction entre
métaphore et métonymie. Selon lui, de nombreuses métaphores ont leurs
racines dans des métonymies. Ce phénomène est perceptible dans notre corpus
à travers des exemples comme :
(43) Que devient ce principe dans la nouvelle législation ? Ou, pour
être
c l a i r , demande-t-on aux collectivités publiques de réparer les
établissements qui existent ou d'en créer de nouveaux ?
(44) Outre l'effet de simple remplissage, c'est le fait de paraître obscurs et
confus.
157
Cahier du CIEL 2000-2003
(45) Même volonté d'apaisement à l'égard des ingénieristes : " Il faut que l'on
soit plus transparent .
(46) il a adressé au chef du gouvernement un message clair : le PS est de
retour, une offensive tous azimuts contre la majorité est lancée.
Pour mieux saisir ce phénomène de métaphtonymie, il suffit d’observer
la différence entre les trois premiers et le dernier exemple. Tous les quatre sont
métaphoriques. Seulement, les trois premiers sont clairement basés sur des
métonymies. Dans les exemples (44) à (46), être clair, transparent, ou obscur
cela veut dire tenir un discours qui soit clair, transparent, ou obscur
respectivement, lesquels emplois sont métaphoriques. Les métonymies qui
sous-tendent les trois premiers exemples confondent les discours (paroles,
messages, etc.,) avec les personnes qui les profèrent.
Dans la section précédente nous nous sommes efforcée d’esquisser une
vue de l’extérieur des différentes métaphores qui structurent nos DS. Notre
objectif était de mieux saisir ces concepts de clarté et d’obscurité afin de mieux
discerner le lien avec le DC de compréhension. Comme nous le verrons plus
loin, ces conceptions de nos DS ont une incidence sur la structure interne de la
métaphore que nous étudions. La partie que nous entamons maintenant est
consacrée à une vue de l’intérieur de l’action d’éclairer dans le but d’élucider le
comment et le pourquoi de ce lien entre DS et DC.
Que fait-on exactement quand on procède à l’éclaircissement d’un point
donné supposé être obscur ? Par quoi commence-t-on ? Quels sont les
différents pas à faire ? où voulons-nous en arriver? Comment pourrons-nous
expliquer la quasi-synonymie des expressions suivantes : je comprends, je
vois, je saisis, ou encore ce n’est pas clair, ce n’est pas accessible, c’est
impénétrable, etc. ? C’est la réponse à de telles questions qui nous mènera à
mieux saisir la structure interne de notre métaphore.
4.3. Métaphore de la
lumière
vue
l’intérieur : une structure composite
de
Au regard des exemples formant notre corpus nous pouvons constater
que la métaphore étudiée se décompose en fait en quatre phases. Autrement dit,
la lumière et la compréhension semblent être deux points limites sur un
continuum formé par une série de passages conduisant de l’un à l’autre. Le but
de cette section est de décortiquer ces relations afin d’avoir une meilleure
appréciation de la structure de notre métaphore.
4.3.1. Clarté et visibilité
Le premier passage met l’accent sur le lien entre lumière et visibilité ; ce
sont deux concepts que nous considérons comme distincts mais très contigus
158
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
d’un point de vue expérientiel. En effet, dans notre expérience de tous les
jours, il existe une corrélation entre la clarté et la visibilité à savoir que les
choses/lieux que nous pouvons le mieux voir sont les mieux éclairés.
Dans les définitions que propose le TLF pour clair, transparent, opaque
et ombre (ci-dessous) nous remarquons que dans les deux dernières définitions
le dictionnaire ne fait pas allusion à la propriété « ne permet pas de voir, être
invisible ». Pourtant cette propriété fait partie de la définition littérale de clair
et de transparent. C’est ce qui nous conduit à dire que cette propriété n’est pas
première, qu’elle est en effet dérivée :
(a) clair : ‘Qui rayonne, donne une bonne lumière, qui illumine, qui permet
de voir’ , (c’est moi qui mets en italiques)
(b) transparent : ‘Qui laisse passer la lumière, qui ne fait pas écran à la
vision’. (mes italiques)
(c) opaque : ‘État, qualité de ce qui est opaque ; propriété d'un corps de ne
pas transmettre certaines radiations ou certains rayons’
(d) ombre : ‘Diminution plus ou moins importante de l'intensité
lumineuse dans une zone soustraite au rayonnement direct par
l'interposition d'une masse opaque.’
Dans un contexte concret ce lien est tellement évident qu’on peut
supposer qu’il est inutile de le mentionner explicitement. Par contre, cette
distinction prend toute sa pertinence dans un contexte abstrait comme celui de
nos DC. En effet, la propriété « être visible » devient plus ‘perceptible’ dans
un contexte abstrait où la propriété ‘être clair/sombre’ résulte d’une projection
métaphorique bien définie.
L’existence de la propriété être (in)visible dans le(s) DC(s) nous montre
le fonctionnement de la projection métaphorique et notamment sa tendance à
conserver le réseau d’inférences du domaine source. Du fait de la contiguïté des
deux aspects en question dans le domaine de départ, nous retrouvons cette
même contiguïté translatée dans le domaine cible et réfléchie sous la forme des
expressions métaphoriques récoltées :
(47) Quant aux téléspectateurs, ils y
voient à présent plus c l a i r dans la
complexe situation en Russie
(48) C'est le même Orient qu'on retrouve dans les Epigraphes antiques de Debussy
composées à l'origine pour accompagner les Chansons de Bilitis.
Mais on perçoit plus clairement que chez les prédécesseurs de
Debussy ce qui fut au fond la principale raison d'être de l'exotisme en
musique
(49) D'un homme politique qui se fait le biographe d'un personnage historique on
n'attend pas des informations inédites mais plutôt un p o i n t de v u e
personnel, qui a p p o r t e un é c l a i r a g e significatif
Comme nous le montre l’exemple (51), l’opacité peut-être causée par un
obstacle tel que le caractère embrouillé de l’affaire. Remarquons au passage que
159
Cahier du CIEL 2000-2003
embrouillé est cité, dans le
TLF,
comme l’un des antonymes de clair.
(50) Les porte-paroles auxquels nous avions demandé des é c l a i r c i s s e m e n t s
sur ces a f f a i r e s e m b r o u i l l é e s , ne s'étaient toujours pas manifestés
Une autre preuve de la contiguïté de ces deux concepts (voir et clarté)
c’est leur fusion dans des mots comme clairvoyant et clairvoyance (ex 52 et
53). Il est intéressant de noter que toutes les occurrences relevées de
clairvoyant(e/s/es) et de clairvoyance(s) sont métaphoriques.
(51) The Times : " Les négociateurs du Caire ont la possibilité de produire un
document
clairvoyant qui servirait de modèle pour les nations,
celles-ci l'interprétant selon leurs lois et leurs moeurs.
(52) Au risque, comme le pense François Mitterrand, de ne pas aller au bout de "
l'effort intelligent qui avait été le sien ", Georges Pompidou s'est
distingué par s a c l a i r v o y a n c e d a n s b i e n d e s d o m a i n e s .
(53) C e l a c l a r i f i e l e s c h o s e s sans les clarifier tout à fait, car on
ne voit toujours pas très
bien
comment Moscou entend s'y
prendre pour infléchir la détermination nouvelle des Occidentaux à faire
respecter leur ultimatum.
Ce dernier exemple est intéressant à observer à plus d’un titre.
Premièrement, il montre très clairement le lien entre les deux notions de clarté
et de visibilité. Mais la nuance la plus importante que cet exemple apporte
concerne la définition métaphorique de l’action de clarifier. La seconde
occurrence du verbe clarifier nous guide vers l’interprétation suivante : les
choses ne sont pas claires tant qu’on n’aura pas tout vu. Seulement il ne
s’agit pas simplement de voir mais de voir comment. La métaphore ne s’arrête
donc pas à ce stade. Le reste du chemin sera éclairé par les passages suivants.
4.3.2. Visibilité et accessibilité
Ce deuxième passage décrit un pas de plus dans la progression vers la
compréhension. Il établit un lien entre la propriété d’être visible et celle d’être
accessible. Ce lien se base sur un fondement expérientiel à savoir que pour
accéder quelque part, encore faut-il qu’on puisse distinguer sa destination.
Nous ne pouvons pas accéder à un lieu que nous ne percevons pas
distinctement dans notre champ de vision.
(54) Cela donne un ouvrage très p r é c i s , très détaillé, mais suffisamment c l a i r
pour être a c c e s s i b l e à un large public.
(55) L'art des anciens Egyptiens, de Michel-Ange et de Bacon serait de ce côté, "
nouvelle clarté " à laquelle n'accèdent que peu de
peintres.
Ce passage joue un rôle central au sein de notre schéma métaphorique car
il introduit la spatialisation non seulement du concept éclairé mais également
de son milieu environnant. Nous avons déjà établi l’objectification des DS de
lumière et d’obscurité. Cependant, l’idée supplémentaire qu’introduit la notion
160
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
d’accessibilité est que la scène décrite a lieu forcément dans un domaine
spatial, typiquement un champ de vision.
La métaphore DES CHAMPS VISUELS COMME CONTENANTS décrite par
Lakoff et Johnson corrobore cette vision. Elle souligne l’idée que notre champ
de vision est un espace délimité qui contient les objets que nous percevons :
« Nous conceptualisons notre champ visuel comme un contenant et ce que
nous voyons comme étant situé à l’intérieur du champ. Le terme même de
champ visuel l’indique. Cette métaphore est naturelle ; elle est due au fait que,
quand nous regardons un territoire donné (la terre, la surface d’un plancher,
etc.), notre champ de vision fixe à ce territoire une frontière, qui correspond à
la partie que nous pouvons voir. Etant donné qu’un espace physique donné est
un Contenant, et qu’il existe une corrélation entre notre champ de vision et cet
espace physique, le concept métaphorique : LES CHAMPS VISUELS SONT DES
CONTENANTS émerge naturellement. » (1980 : p 40)
Pour mieux se convaincre de la spatialisation du champ de vision ainsi
que de toutes les composantes qu’il contient, regardons les exemples suivants
qui mettent en scène des idées qui font leurs chemins (LES IDEES SONT DES
PERSONNES), qui sont capables de se déplacer (LE MOUVEMENT). On y
rencontre également des théories qui ont des fondements (LES THEORIES SONT
DES CONSTRUCTIONS), et qui visent à explorer des itinéraires (LE MOUVEMENT,
LE CHEMIN ) et à faire découvrir ce qui est encore caché71.
(56) même, les itinéraires de Merleau-Ponty, encore relativement peu explorés,
seront é c l a i r é s par l'essai de Vincent Peillon, la Tradition de l'esprit
(Grasset).
(57) Plusieurs orateurs, a déclaré le ministre de l'intérieur, ont souligné la
nécessité de c l a r i f i e r les compétences entre les collectivités et de
poursuivre la décentralisation. Mais ne mésestimons pas la difficulté de
la tâche ! (...) Nous souhaitions aller plus loin dans la voie de la
décentralisation. Mais nos idées, claires au début, se sont
obscurcies au fur et à mesure de notre tour de France, tant les
opinions divergeaient. "
(58) La vulgarisation des démarches philosophiques est une autre caractéristique
de ce temps. Jacqueline Russ, avec la Marche des idées contemporaines,
propose un " panorama de la modernité ". Parmi les travaux théoriques
sont annoncées des Notes sur Heidegger, et la réédition du travail
l u m i n e u x de Marcel Conche, Pyrrhon ou l'Apparence (PUF). Aux PUF
également, est prévue la traduction d'un recueil de Jaakko Hintikka,
Fondements d'une théorie du langage, qui devrait faire découvrir ce
philosophe et logicien encore mal connu en France.
71
Il convient de noter qu’ au sein du champ visuel, les objets prennent de l’espace
et sont même assimilés à cet espace qu’ils occupent, d’où la grande fréquence, dans
notre corpus, d’expressions comme ‘zone d’ombre’ utilisées en référence à des
questions suspendues ou à des affaires non résolues. De même, l’objectif du regard
au sein de ce champ visuel est d’accéder à un objet qui est le plus souvent assimilé
(par métonymie) au lieu qu’il occupe.
161
Cahier du CIEL 2000-2003
Implicite dans le schéma conceptuel d’accès à un lieu est l’idée du
chemin. En effet, pour accéder à un lieu, nous devons aller dans sa direction
selon un itinéraire qui doit être bien défini. Cette métaphorisation en terme de
chemin diffère de la première (5.2.6) en ce qu’elle décrit, nous semble-t-il,
l’étape relative à l’accès vers la clarification et non l’aspect graduel de l’action
d’éclairer. Remarquons au passage que l’idée de la zone ou de l’action
d’éclairage comme objectif à atteindre est implicite dans ce schéma.
(59) M. Hoeffel, de son côté, a précisé que " le gouvernement a la volonté
d'aller
mais
par
étapes
vers
la
clarification " des
compétences de l'Etat.
(60) Chez Bergounioux, tout effort v e r s u n p e u d e c l a r t é se paye d'un droit à
acquitter auprès des morts.
(61) L o i n de clarifier l'affaire Carlos, les déclarations des responsables
soudanais ne font que multiplier les interrogations sur les circonstances
de son arrestation et les conditions de sa " livraison " à la France.
De même que la vision dans la section précédente ne se résumait pas au
simple fait de percevoir un objet dans son champ de vision, l’accessibilité,
dans le contexte de nos DC, revient à dire accessibilité à la compréhension.
Mais avant de passer à l’exploration de ce lien, un autre passage se présente à
nos yeux, c’est celui qui relie l’accessibilité à la pénétrabilité du regard.
4.3.3. Accessibilité et pénétrabilité du regard
Tout en insistant sur la différence entre la marche vers le lieu éclairé et
l’avancée au sein de la compréhension, il convient de souligner que ces deux
marches se rejoignent, notamment quand nous arrivons à la frontière de la
zone à éclairer. Il s’agit fondamentalement de la même progression et de la
continuation d’un même trajet entrepris par un même observateur.
Une fois à la frontière de la zone cible, l’objectif est alors de s’introduire
à l’intérieur. Le propre d’un objet clair ou transparent est de laisser passer la
lumière, de même qu’un objet opaque bloquerait ce passage. La propriété d’être
infranchissable fait partie de la définition qu’offre le TLF, par exemple, à
l’emploi figuratif d’opacité, définie comme « caractère de ce qui est
difficilement compréhensible, de ce qui est impénétrable ou obscur. »
Dans les illustrations suivantes, nous pouvons discerner l’association
entre obscurité, impénétrabilité et incompréhension.
(62) Un regard pénétrant, dit-on. Pour peu que soit rendu à " pénétrant " tout son
sens, celui d'un mouvement d'avancée en train de s'accomplir en dépit
des obstacles, l'expression conviendrait pour définir l'oeuvre de
François Rouan. Elle naît quand l'oeil du peintre perçoit un peu de ce
qu'il n'avait pas encore perçu, un peu de ce qui demeurait jusque-là
trouble, obscur et impénétrable un peu de ce qu'il n'avait pas assez
nettement vu pour parvenir à le dessiner. (A moins que le rapport ne soit
162
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
à l'inverse et qu'il faille écrire : ce qu'il n'avait pas assez souvent dessiné
pour parvenir à le voir nettement).
(63) Donner du tonus à cette vieille nécessité que l'homme a de croire à ce qu'il
serait devenu si des fées moins Carabosse s'étaient penchées avec plus
de clairvoyance sur son patrimoine génétique et financier. Aujourd'hui,
l'impénétrable coïncidence des chiffres se travaille, la mathématique de
l'absurde s'organise
Nous remarquons donc que impénétrable est présenté comme synonyme
d’obscur. Ceci rappelle également l’image de l’état de siège évoquée par
l’obscurité. De ce point de vue, l’action de pénétrer s’inscrit dans la continuité
de l’action d’éclairer, elle est même vue comme un pas gagné sur l’obscur :
(64) Ils commencent à les chercher malgré tout. U n p a s g a g n é s u r l ' o b s c u r ,
sur l'évidence niaise des réalités.
La pénétration à l’intérieur de la zone cible se fait par le regard. L’action
de percevoir (que nous avons, à tort, cru se décomposer en perce + voir pour
évoquer l’image de percer par le regard), est vue, selon notre métaphore,
comme une introduction de l’observateur au sein d’un domaine spatial. La
définition étymologique du terme percevoir exprime en fait « l’action de saisir
par les sens, de comprendre et concrètement, de recueillir (les fruits d’une
chose, les impôts). » Le préverbe per, par contre, est un :
« préverbe tiré de la préposition per « à travers, pendant » (sens local et
temporel) et, moralement « par l’intermédiaire de, au moyen de, au nom de, par
(par) ». Le préverbe signifie lui aussi « à travers, pendant », « de bout en
bout » et sert à marquer l’achèvement, la perfection de l’action exprimée par le
verbe simple. (faire/parfaire). »
Cette définition apporte l’éclairage nécessaire sur le mécanisme de la
perception et sa relation avec l’action de pénétrer. Il s’agit en fait de
l’introduction du regard à l’intérieur de la zone cible et du cheminement à la
recherche d’un objet à saisir. Il convient de souligner que, par le biais d’une
relation métonymique entre l’observateur et son regard, nous en venons à
concevoir que c’est l’observateur, en chair et en os, qui se déplace à l’intérieur
de son propre champ visuel.
Cette même vision des choses est traduite par l’idée de limites
infranchissables, de regard franc, ou encore de clarté franche qui apparaissent
dans les exemples suivants :
(65) Il a le sentiment d'avoir buté sur deux lignes infranchissables, celle qui
empêche de parvenir à la pleine clarté de la connaissance, celle qui
ferme l'accès à l'action rapidement salvatrice.
(66) cette violence est l'expression d'une force sous-jacente, aussi active dans la
douceur et la tendresse que dans ses brusques éclats. Nulle obscurité
gratuite, une clarté franche, aveuglante éventuellement, souvent
révélatrice, avec laquelle l'auditeur ne peut pas tricher.
(67) Jean-Louis Arajol accepte de faire un constat lucide et franc de tous les
manques de la police dans ces arrondissements difficiles. "
163
Cahier du CIEL 2000-2003
(68) il faut bien reconnaître que cette affaire, depuis le début, elle est mal
emmanchée, elle a quelque chose de pas clair, elle n'est pas franche du
regard, elle tient du cheval vicieux, qui va ruer. Regardez-la, cette
affaire, torve, tassée dans son box, évitant le regard des jurés.
Jusqu’ ici notre observateur a réussi à percevoir la zone à clarifier, l’a
localisée, a tracé le chemin qui y conduirait, et pénétré à l’intérieur ; ce n’est
pas pour autant qu’il a tout compris. Les trois étapes décrites précédemment,
voir (clair), accéder, et pénétrer peuvent ne pas suffire pour conduire à la
connaissance. Un bout de chemin reste à faire pour arriver à destination.
4.3.4. Pénétrabilité et compréhension ou comment
comprendre la compréhension ?
Le dictionnaire historique du français définit comprendre, dans le sens
abstrait du terme, comme «saisir par l’intelligence, la pensée» […] Ce verbe
est formé de cum «avec» (co) et de prehendere (prendre). » La même
motivation explique le sens métaphorique qu’a pris le verbe appréhender qui
«…est le doublet savant de apprendre*, emprunt (XIIIe s.) au latin classique
apprehendere «saisir», de ad- (à) et prehendere (prendre), qui a acquis en bas
latin la valeur abstraite qu’avait le verbe simple, «saisir par l’esprit».
Percevoir, rappelons-le, est : « issu du latin percipere, de per (par, per-)
et capere « prendre », « concevoir » (capter, chasser). Percipere exprime
l’action de saisir par les sens, de comprendre et concrètement, de recueillir (les
fruits d’une chose, les impôts). »
A partir de ces définitions étymologiques nous discernons la motivation
métaphorique derrière l’emploi de comprendre et d’appréhender au sein de la
cartographie de notre métaphore. Sweetser explique :
« Through a historical analysis of ‘routes’ of semantic change, it is possible
to elucidate synchronic semantic connections between lexical domains ;
similarly, synchronic connections may help clarify reasons for shifts of
meaning in past linguistic history. » (1990 : 45)
Comprendre, revient, en fait, à ‘saisir pas la pensée’, laquelle conception
s’accorde parfaitement au scénario déjà élaboré à travers les étapes précédentes.
En effet, l’observateur, que la lumière soit son instrument ou sa cible, cherche
à comprendre, à acquérir une connaissance. La compréhension est ainsi vue
comme object(if) à atteindre donnant naissance aux métaphores (LA
COMPREHENSION EST UN OBJET, LA COMPREHENSION EST UN OBJECTIF A
ATTEINDRE que nous ne développerons pas davantage ici).
Grâce à ces projections nous sommes à même d’expliquer la synonymie
entre comprendre et saisir ou encore la différence entre je saisis et ça
m’échappe. Cette association transparaît aussi dans la définition que propose
le TLF pour le terme opaque qui signifie : « qu'on ne peut comprendre ; dont
on ne peut entièrement saisir le sens, la signification. » Les exemples
164
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
suivants illustrent bien cette perception :
(69) La faute n'enlève rien au sens du message. Elle
était
suffisamment
l u c i d e p o u r s a i s i r l a p o r t é e de ses écrits. "
(70) Un homme f a s c i n a n t , m a i s i n s a i s i s s a b l e . Toujours médiatique, mais
souvent replié. L u m i n e u x , m a i s o b s c u r .
Les exemples précédents nous conduisent vers la remarque suivante :
outre sa fonction motrice, la main a aussi une fonction perceptive. Comme le
fait remarquer Hatwell :
« Aucune action de préhension ou d’usinage des objets ne pourrait réussir sans
une appréciation perceptive correcte des propriétés de ces objets avant et
pendant leur transformation. Il est vrai que cette appréciation se fait
habituellement à travers la vision. Mais le toucher y participe de façon très
significative aussi, comme le montrent les désorganisations du geste qui
surviennent en cas d’anesthésie cutanée.» (1986 : 21) :
Il est intéressant d’observer qu’en remplaçant le mot objet par objet de
pensée nous pouvons lire, dans la dernière citation, une description du
processus de l’acquisition de connaissances abstraites.
La (saisie par la) main vient donc compléter le travail perceptif
commencé par la perception visuelle. Cependant, avant d’en arriver à la
préhension de l’objet fixé, l’explorateur peut encore avoir un long chemin à
parcourir et éventuellement beaucoup de difficultés à surmonter, le chemin de
la connaissance n’étant pas facile à emprunter.
Comme le suggère la définition de percevoir, le (regard de l)’observateur
va parcourir le domaine où il se trouve afin de s’approcher de sa cible. Les
exemples suivants illustrent bien ce qu’un observateur cherchant la lumière
entreprend comme démarche avant d’arriver à sa requête.
(71) Enfin j'ai tenté de mieux a p p r o c h e r , de mieux comprendre celui qui a
résumé son terrible destin de ces mots modestes : « Je n'étais qu'un
officier d'artillerie qu'une tragique erreur a empêché de suivre son
chemin ».
(72) Christiane Rimbaud apporte sur ce point un éclairage tout en
nuances qui remet les choses en place et permet d'approcher la part
secrète d'un homme dont l'honneur était de s'être fait lui-même.
(73) Nous aimerions arriver à connaître ces groupes, afin de pouvoir l e s
é c l a i r e r ", nous a indiqué M. Dos Santos
Une fois à l’intérieur, l’explorateur peut se déplacer dans tous les coins
du milieu où il vient de s’introduire, il peut aussi creuser dans le sens de la
profondeur. D’ailleurs l’expression creuser (une question) peut être synonyme
d’éclairer, la finalité étant la même : arriver à comprendre.
(74) donnerait l i e u à un débat c l a i r et digne [qui permettrait] d ' a p p r o f o n d i r
le problème et de le traiter dans des conditions acceptables pour tous.
(75) Un é c l a i r c i s s e m e n t , v o i r e u n a p p r o f o n d i s s e m e n t philosophique
Une autre association transparaît dans les expressions retenues, elle
établit un lien entre la clarification d’un coté et la mise à plat de l’autre. Cette
165
Cahier du CIEL 2000-2003
association révèle une métaphore selon laquelle EXPLIQUER C’EST METTRE A
PLAT. Les choses ne sont-elles pas mieux visibles quand elles sont disposées à
plat ? Pour aller au-delà de cette explication intuitive, nous sommes allée
chercher la définition étymologique du terme expliquer et voilà ce que nous
avons trouvé :
« emprunt au latin explicare «dérouler», et «déployer, développer», au propre
et au figuré, préfixé en ex- qui indique l’action inverse de celle qu’exprime le
verbe simple plicare. Ce verbe est un intensif de plexere «tresser, enlacer»,
surtout employé au participe passé plexus, au propre comme au figuré,
«embrouillé, ambigu» (complexe, perplexe, plexus).
Encore plus intéressante est la définition proposée pour l’adjectif
explicite puisqu’elle explicite le lien (étymologique) entre clarifier et
expliquer :
« adj. est emprunté (1488) au latin explicitus «clair», utilisé dans la langue
scolastique, participe passé passif adjectivé de explicare (expliquer). L’adjectif
s’applique, comme en latin, à ce qui est clairement exprimé, spécialement en
droit, en linguistique (1870), puis s’emploie en parlant d’une personne qui
s’exprime clairement, sans équivoque (1900, Bloy), sens plus courant. »
Voici quelques exemples qui illustrent le lien qui unit ces deux concepts.
(76) Cette stabilité suppose notamment la mise en oeuvre d'une politique
monétaire efficace orientée
clairement et explicitement
vers
c e b u t ",
(77) En constatant des vides juridiques, elle en arrive à souhaiter, dans un s o u c i
d e c l a r i f i c a t i o n , une r e m i s e à p l a t des compétences .
(78) Seul Jean Glavany, porte-parole du PS et proche de M. Emmanuelli, a plaidé
pour une clarification et une mise à plat immédiate des "
divergences " au sein du courant.
Ainsi, le processus de compréhension est-il conçu en termes d’une
exploration d’un domaine spatial. L’explorateur cherchera à atteindre un
objet/un lieu ; pour ce faire, il va se déplacer à l’intérieur de ce domaine,
emprunter des chemins, creuser si besoin est, projeter la lumière qu’il a sur/en
lui sur les zones qui manquent de clarté. Son objectif ultime est d’éviter que
cet objet recherché ne lui échappe. A la fin de son parcours, et si tout va bien,
il arrivera à saisir ce qu’il cherchait et gagnera ainsi en connaissance.
(79) j'ai lu cet éloge du savant : " Avec une intelligence, une c l a i r v o y a n c e et
une culture hors pair, il entrevit avec de nombreuses années d'avance les
directions où allaient s'engager la connaissance des maladies et leur
traitement. Au début des années 50, il saisit l'importance de la notion
encore confuse de milieu intérieur, ce qui le conduit, en quelques années,
à élaborer les bases de la réanimation métabolique... Simultanément,
cherchant un traitement plus radical de l'insuffisance rénale il
appréhende en véritable visionnaire l'avenir de la transplantation
rénale...Les retombées cliniques sont immenses... Au cours de ces
dernières années il se prend de passion pour l'immunologie... il
s'intéressait aux nouveaux espoirs o u v e r t s par la génétique
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S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
moléculaire et la biologie cellulaire. Jean Hamburger était toujours en
marche vers le progrès. "
Ainsi nous pensons y voir plus clair dans cette relation entre la clarté et
la compréhension. Pour clore ce cycle, nous dirigerons les projecteurs vers un
autre lien non moins fondamental, c’est celui qui relie la connaissance à la
clarté pour former la base d’une autre projection métaphorique. En effet, la
métaphore que nous nous sommes efforcée d’analyser tout au long de cet
article a une autre face. De la métaphore de LA LUMIERE COMME
CONNAISSANCE nous glissons à la métaphore de LA CONNAISSANCE COMME
LUMIERE .
La connaissance acquise au terme de ce parcours devient point de départ
pour aider à mieux comprendre d’autres phénomènes et élucider d’autres zones
d’ombres. Comme nous l’avons remarqué au début de cette exposé, la lumière
est à la fois instrument et objectif à atteindre. Le meilleur exemple qui vient à
l’esprit est bien sûr le fameux ‘siècle des lumières’ qui illustre bien cette
perception. Mais ce n’est pas le seul exemple et nous trouvons dans notre
corpus des illustrations comme :
(80) Il semblerait plutôt que Burney ait fait son miel de la lecture de
l'Encyclopédie, dont il fut l'un des premiers souscripteurs, mais l'on sait
que les
Lumières
plongeaient
aussi
leurs
racines outreManche.
(81)La rigueur des scientifiques n'apporte p a s p l u s d e l u m i è r e s à la cour.
(82) j'ai t i r é de la philosophie des c l a r t é s qui me servaient immédiatement et
non pas seulement à passer des examens ou des concours. Elle était
proprement un m o y e n , un o u t i l pour m'y retrouver.
(83) Non pas seulement la neutralité à l'égard des choix philosophiques ou
religieux des individus, non pas seulement le respect des consciences et
des croyances, non pas seulement la tolérance, toutes choses au
demeurant bien nécessaires, mais cette belle idée d'un enseignement
fondé s u r l e s s e u l e s l u m i è r e s d e l a r a i s o n , sur l'examen critique,
sur l'échange argumenté, prolégomènes indispensables à la formation
du citoyen dans une démocratie . C'est une idée " citoyenne " qu'il faut
relever.
CONCLUSION
A l’aide des outils provenant de la théorie de la MC, nous avons pu
rendre compte de phénomènes que nous avons observés dans le cadre de la base
de données constituée pour les objectifs de la présente étude. Les conclusions
que nous avons tirées offrent un support supplémentaire à l’applicabilité de la
théorie des projections métaphoriques à l’analyse de phénomènes langagiers
divers. Les expressions analysées montrent bien que notre système
167
Cahier du CIEL 2000-2003
linguistique est étroitement lié à notre système cognitif et à la façon dont
nous évoluons dans notre environnement immédiat. Elles nous ont surtout
révélé que la langue a su garder une impressionnante cohérence entre les
différentes projections. C’est la preuve que ces métaphores ne sont pas le fruit
du hasard, et qu’elles forment au contraire des systèmes cohérents en fonction
desquels nous appréhendons diverses facettes de notre expérience.
Le fait que les expressions qui ont composé notre corpus aient été
prélevées parmi des occurrences littérales des mêmes expressions nous a été
très utile. Cela nous a permis, entre autres, de voir quelles sont les structures
et les inférences qui ont été conservées par les projections métaphoriques.
Nous avons pu constater que la projection métaphorique faisait intervenir non
seulement des expressions et des structures linguistiques, mais surtout des
façons de voir et d’agir qui sont transférées vers le DC.
Nous avons distingué entre les métaphores qui véhiculent une vue de
l’extérieur de nos DS et celles qui révèlent la structure interne de l’action
d’éclairage. Il convient de souligner, cependant, qu’il s’agit de réseaux
métaphoriques complémentaires. L’image globale qui ressort de ces
configurations métaphoriques a le mérite d’être cohérente. Cette cohérence
provient principalement du fait que les différentes métaphores se basent sur des
fondements expérientiels communs, c’est-à-dire, sur la façon dont nos corps
interagissent avec ce qui les entoure.
Ce que nous avons appelé au début la métaphore de la lumière s’est avéré
être un concentré de relations métaphoriques qui conjuguent différentes
projections et différents schèmes pour structurer le domaine abstrait de la
compréhension.
Pour des contraintes de temps et d’espace, cette étude n’a pu traiter un
bon nombre d’expressions métaphoriques relevées dans le corpus et ne peut,
par conséquent, prétendre à l’exhaustivité. Nous avons aussi manqué de mettre
en relief certaines projections métaphoriques qui ont été passées sous silence
dans notre analyse (ex la métaphore de l’EXPLORATEUR , ainsi que plusieurs
projections s’appliquant au concept de la compréhension) C’est un travail qui
reste à faire dans le cadre d’une étude plus large. Les projections relatives à ces
expressions et aussi le traitement qu’elles reçoivent dans les dictionnaires
méritent aussi une étude à part. D’autres questions restent en suspens, comme
l’explication de la grande fréquence de la collocation entre clarté et netteté
(clair et net). Plus que des conclusions, ce travail offre des pistes à explorer,
l’auteur espère seulement avoir tiré cette affaire au clair, ou à peu prés.
B IBLIOGRAPHIE
168
S. LADHARI - Métaphore de la mise en lumière
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169

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