LE JOUR, 1950 21 MARS 1950 PRINTEMPS Nos

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LE JOUR, 1950 21 MARS 1950 PRINTEMPS Nos
LE JOUR, 1950
21 MARS 1950
PRINTEMPS
Nos printemps ressemblent à des automnes. Nos saisons se suivent en perdant leur
fraîcheur et leur nom. Ah ! Quelle jeunesse viendra fleurir encore ce monde qui s’attriste?
Quelle jeunesse viendra enivrer l’âge mûr du chant du renouveau ?
Le printemps d’autrefois, le printemps de naguère qu’en avons-nous fait ? Qu’avons-nous
fait de la passion de vivre, de la passion d’aimer, de l’explosion des forces les plus
secrètes d’une âme pure ; mais tout se meurt dans une salle basse. Tout a vieilli et le
printemps a pris ce visage lassé que notre enfance ne reconnaîtrait plus.
Pourtant la nature est pareille. Sa jeunesse est éblouissante. Elle s’élance, elle reverdit,
elle se revêt de ses premières fleurs. Les arbres ont toute leur sève, l’horizon est celui de
l’éternel printemps, le ciel est une extase comme à son aurore. Tout l’admirable spectacle
est sous nos yeux, la vivante merveille qui, par des formes toujours plus belles, va du
végétal à l’humain.
Mais le cœur n’y est plus. Nous avons ruiné notre cœur, nous l’avons égaré dans les
entreprises de la nuit ; nous avons désiré autre chose que le printemps, l’éternelle
jeunesse ; nous nous sommes repus de chair morte et d’alcools. Nous ne voulons plus que
du fruit défendu, du verger du voisin, du trésor des autres. Pour s’être abaissée trop
souvent, notre âme ne sait plus respirer l’air d’en haut.
Il est vrai que ce siècle effrayant porte en soi son excuse : il est pris de démence ; il
déroute les anges ; de l’homme, il veut un effort qui passe sa nature ; enfin il bouleverse
tout.
Est-il sûr, cependant, que notre nature soit au-dessous de cet effort ? Que l’homme ne
porte plus le printemps dans sa chair ? Que son intelligence soit à ce point défaillante ?
L’inquiétude qui nous épuise n’est peut-être qu’un prodigieux enfantement ; et notre
immense fatigue, l’étape la plus dure sur la route sans fin.
Voici malgré tout le printemps. Du fond de l’abîme. Élevons un acte d’espérance. De tout
ce qui est beau, rien n’est plus beau que le réveil de la vie dans un monde divin dont nous
ne comprenons plus la beauté.

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