crise mahoraise - Solidaires

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crise mahoraise - Solidaires
Outre Mer
CRISE MAHORAISE
LA REVOLTE DES MABAWAS
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Lors de son Assemblée Générale fin octobre 2011, la section SPASMET-Solidaires de la
DIRRE (La Réunion et Mayotte) avait adopté la motion de soutien suivante :
La section SPASMET Solidaires de la DIRRE, apporte son soutien aux collègues de
Mayotte dans le contexte difficile de la lutte justifiée contre la vie chère. La section
SPASMET Solidaires de la DIRRE veillera à ce que la direction de METEO FRANCE,
assure ses responsabilités en termes de sécurité et de santé des agents dans le cadre de leurs
activités professionnelles.
Nous savons tous que Mayotte est, depuis 2011, le 101ème département français, et nous avons
tous observé en fin d’année dernière les conséquences de la crise ‘de la cherté de la vie’.
Pour le SPASMET-Solidaires, un éclairage s’imposait. C’est pourquoi nous vous proposons cet
article ‘‘écrit à 6 mains’’ qui fait le point de manière à la fois pédagogique et revendicative.
Le 31 mars 2011, l’île de Mayotte devenait dans les textes le 101ème département français, et dans les faits
le sera à part entière à la fin d’un processus de 25 ans.
SPASMET-Solidaires METEO-INFO n°153 Avril 2012
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Un peu d’histoire
L’île aux parfums, musulmane à plus de 95%, est française depuis le 25 mars 1841 date à laquelle le
sultan de Mayotte vend l’île à la France contre une rente de 1000 piastres et quelques promesses, dont
sa protection par la marine française. En 1886, l’ensemble de l’archipel des Comores ((Grande-Comore,
maintenant Ngazidja), Anjouan (maintenant Ndzouani) et Mohéli (Moili)) devient protectorat français. En
1896 le protectorat s’étend à Mayotte où s’installe la capitale. En 1958, l’archipel obtient le statut de
Territoire d’Outre Mer et la capitale s’installe à la Grande Comore en 1968, laissant Mayotte dans un état
d’abandon sordide qui exaspère la population et qui explique en grande partie la volonté des habitants de
ne pas être Comoriens.
La France organise un référendum en 1974. Tandis que les habitants de la Grande-Comore, d’Anjouan et
Mohéli votent l’indépendance à une très grande majorité, les mahorais s’expriment différemment (65%
pour rester Français, 35 % contre). En 1975, le président du TOM des Comores déclare unilatéralement
l’indépendance que les Mahorais n’acceptent pas. Lors d’un second référendum organisé en 1976, les
Mahorais confirment massivement leur volonté à plus de 90% et Mayotte devient Collectivité Territoriale,
décision condamnée par l’assemblée générale de l’ONU (Organisation des Nation Unies) et l’OUA
(Organisation de L’Unité Africaine). Depuis les Mahorais ont constamment réclamé le statut de département
qui leur a été refusé systématiquement par tous les gouvernements.
Les prémices de la crise
La prise du pouvoir en 1976 aux Comores par Ali Soilih, révolutionnaire à la Nord Coréenne, provoque
le chaos et l’anarchie. Des milliers de Comoriens se réfugient à Mayotte. Les difficultés politiques et
économiques persistantes des Comores et l’important investissement français à Mayotte vont accélérer
l’immigration vers l’eldorado mahorais, particulièrement à partir d’Anjouan située seulement à 70 km des
côtes nord de Mayotte. Cette immigration sur de fragiles coques de noix (kwassas-kwassas2) entraîne de
dramatiques naufrages dans le Canal de Mozambique. Les immigrés ont longtemps constitué une main
d’œuvre bon marché, peu payée par des employeurs sans scrupules. Ce problème de l’immigration massive
crée aujourd’hui des tensions. La démographie galopante et la politique intérieure anti-immigration amènent
au refoulement des clandestins vers les Comores. Les adultes sont expulsés mais les enfants, nés sur le sol
français, restent, livrés à eux-mêmes sans aucune structure pour les aider.
Pour accéder au statut de département la société mahoraise intègre en peu de temps d’importants
bouleversements : disparition de la justice cadiale3 qui réglait la vie en matière de justice, d’état civil et
d’activité notariale ; disparition de la polygamie tolérée par la justice musulmane. En matière de foncier,
le droit coutumier musulman prévoyait que l’agriculteur devenait propriétaire par le défrichement du
sol, l’immatriculation n’étant pas obligatoire. L’établissement du cadastre prive de terre de nombreux
Mahorais.
La crise
Comme en Guadeloupe en 2009, la cherté de la vie a déclenché la crise sociale. Cette crise a mis en avant
la souffrance d’une population fortement frappée par le chômage, les faibles revenus (le SMIC mahorais
sera aligné sur celui de la métropole et des DOM fin 2014) l’absence d’aide sociale, de gros problèmes
d’éducation, de formation et d’importantes difficultés des PME plombées par des retards de paiement.
Le déficit budgétaire du Conseil Général, principal donneur d’ordre, est énorme, plus de 90 millions € fin
2009 ramené à 65 millions fin 2011. La forte mobilisation des Mahorais débute fin septembre et s’achève
le 20 décembre, après une suspension le 10 novembre et une reprise peu suivie du mouvement les 19 et
20 décembre. Au total, le mouvement aura duré 45 jours. 45 jours de mobilisation marqués par le décès
d’un manifestant dans des affrontements avec les forces de l’ordre. 45 jours qui ont mis en évidence une
économie mahoraise étranglée par le poids des monopoles, les abus de position dominante et les ententes
illicites. Les produits de consommation courante (huile, riz, sardines, mabawas, viande de bœuf), l’énergie,
les carburants, le ciment et le sable sont de 30% plus chers qu’à La Réunion, où le coût de la vie est déjà
40% plus élevé qu’en métropole. La protection sociale sera mise en place fin mars 2011, mais à 25% du
niveau national et domien.
La violence, le vandalisme et les agressions gratuites, souvent à caractère raciste, ont émaillé le mouvement,
en portant préjudice à la juste lutte de la population. L’attitude du gouvernement, et la lamentable prestation
de sa ministre de l’Outre Mer en début de conflit, n’ont fait qu’irriter la population qui attendait que l’Etat
prenne ses responsabilités. Lors de sa venue à Mayotte trois semaines après le début du conflit, Marie Luce
PENCHARD, était en campagne électorale, stigmatisant une population qui venait de faire basculer le
Conseil Général à gauche, proposant des bons de réduction de 5 € aux 14 000 foyers les plus pauvres, se
vantant d’avoir apporté un « outil important » pour le développement de l’île : la TNT !!!!!.
Le bilan
Il est bien maigre après cette longue lutte, la baisse des prix n’est obtenue que jusqu’à fin mars 2012. Mais
déjà en ce début janvier 2012, la crise mondiale et la hausse du coût de certains produits sur les marchés
mondiaux, le riz notamment, entraîne une hausse des prix de première nécessité au-delà de ce qu’ils étaient
avant le début du conflit.
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Météo France Mayotte
Dans le cadre de l’application de la loi dite de ‘déprécarisation de la Fonction Publique’ (loi du 12 mars 2012),
le SPASMET-Solidaires défend au mieux les intérêts de nos collègues de ce département français. Jusqu’à
ce jour, leur contrat s’appuyait sur la grille indiciaire des Techniciens Météo. Ce statut TM n’existant plus,
et la loi française s’appliquant pleinement sur ce territoire (donc cette loi du 12 mars 2012), la titularisation
de nos collègues dans le nouveau statut des TSM est envisageable.
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Raymond Penn, Christophe Tanguy, Eric Bargain
Renvois *
1
- Mabawas : Ailes de poulet congelé vendues en cartons de 10 kg, souvent en provenance du Brésil.
2
- Kwassas-kwassas : Frêle barque de pêcheur tanguant beaucoup en pleine mer et qui tient son nom d’une
danse Congolaise très saccadée (équivalent local de la coquille de noix).
3
- Cadi : Juge musulman exerçant des fonctions civiles, judiciaires et religieuses.
3
- Justice cadiale : La justice cadiale se composait de 15 tribunaux administrés par un grand cadi, un cadi
et un secrétaire greffier.
SPASMET-Solidaires METEO-INFO n°153 Avril 2012
Jusqu’au début des année 90, la station météo de Mayotte était composée d’un chef de service, issu du
corps des techniciens de la météorologie, muté pour deux séjours de deux ans maximum, et de trois agents
locaux formés à MORONI à l’époque du TOM, mis à disposition de la Météo par la préfecture et rémunérés
par cette dernière. Au départ en retraite de ces agents, notre établissement devenu Météo France embauche
sur concours local cinq agents qui reçoivent l’équivalent de la formation au brevet élémentaire de la marine
nationale à l’ENM. Ils « bénéficient » de contrats de trois ans renouvelables. En 2006, avec le soutien du
SPASMET-Solidaires, et après plusieurs mouvements de grève, les agents Mahorais obtiennent de nouveaux
contrats régis par la loi 84-16 (contractuel de l’Etat). A ce jour, la station est ouverte 7 jours sur 7 de 5H à
18H. Les vacations sont d’une demie journée (matin ou après midi). L’effectif est de 5 collègues Mahorais
en CDI, et d’un chef technicien. Le Conseil Régional met à disposition un ouvrier d’entretien à temps plein.
Les bulletins de sécurité sont émis du centre régional de prévision de la Réunion. La station de Mayotte a
en charge l’observation aéronautique et synoptique, ainsi que la rédaction des bulletins de prévision pour
le département.
Vie quotidienne
Le « ticket resto » des groupes
Chèque Déjeuner et Ticket Restaurant est apparu en France dans les
années 60, officialisé par ordonnance
en 1967. Le titre restaurant, ce n’est
pas de l’argent, c’est un titre spécial
de paiement, une monnaie dédiée ou
affectée à un usage spécifique qui ne
peut faire l’objet de spéculation ou
de thésaurisation puisque sa validité
est limitée dans le temps. Une monnaie « sociale » qui est certainement
une des solutions pour aller vers une
autre économie plus solidaire. ( voir
P. Viveret, B.Maris, les expériences
SOL…)
SPASMET-Solidaires METEO-INFO n°153 Avril 2012
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Le « ticket resto » à Météo-France
La revendication est apparue à MF
suite à la création des CDMs en
1989 : L’isolement de nombreux
agents ne permettant pas l’accès à
une restauration collective a justifié cette demande, tout en continuant de soutenir les cantines ou
restaurants collectifs là ou c’était
possible. Aujourd’hui, la subvention restauration reste le poste de
dépense sociale le plus important.
La valeur faciale du « ticket
resto » est passée à 6 euros en
janvier 2012. Cette valeur n’avait
pas changé depuis sa mise en
place à Météo-France, même si
la part employeur avait été portée à 60% en 2006 après une
large mobilisation du personnel.
Comment ça marche ?
( Voir le schéma )
Les émetteurs : ce sont des sociétés spécialisées dans l’émission des
titres restaurants. Elles vendent les
titres aux employeurs et remboursent en fin de cycle ces mêmes titres
présentés par les restaurateurs et
commerçants assimilés.
Les employeurs : ils cèdent les
titres aux salariés à un montant inférieur à la valeur faciale. La différence
correspond à la participation patronale, 50 à 60%, qui bénéficie d’exonérations (fiscales et cotisations
sociales).
Les salariés : Ils utilisent ces titres
pour régler les repas ou préparations
culinaires qui doivent répondre à des
critères prédéfinis.
Les restaurateurs et commerçants
assimilés, environ 160 000 : Ils
acceptent les titres en respectant les
règles du décret de 1967, à savoir un
seul par repas, sans rendu de monnaie et doivent les refuser les weekends et jours fériés…en théorie. Ils
les présentent ensuite aux émetteurs (dans les faits, le CRT, centre
Vous avez dit «Ticket Resto» ?
de remboursement des titres, est le
prestataire tarifé de la manip) pour
remboursement, environ 4 milliards
d’euros d’échange en 2009. Quel
bénéfice pour le restaurateur ? pas
d’enquête officielle, mais les ticketsrestaurant ne sont pas forcément une
bonne affaire pour les commerçants
et le soupçon de bénéfice substantiel tiré du non rendu de monnaie ne
compense sans doute pas les frais
générés par le système d’échange:
Les sociétés qui se partagent le marché ( Chèque déjeuner, Chèque de
table, Chèque Restaurant (filiale de
Sodexo), et Ticket Restaurant (filiale d’Accor)) conservent un pourcentage sur chaque remboursement. Et
plus le commerçant sera pressé d’être
remboursé, au plus tard 21 jours, plus
le pourcentage sera élevé.
Retour aux émetteurs et fin du
cycle… sans doute les grands
gagnants de ce modèle économique :
l’émission et l’encaissement des
titres à valeur sociale génèrent des
profits importants et des pratiques
condamnables : Par une décision en
date du 11 juillet 2001, le Conseil de
la concurrence, saisi par le ministre
de l’économie, des finances et de
l’industrie, a estimé que la société
Accor, la société Sodhexo Chèques et
cartes de services et la société Chèquedéjeuner ont mis en œuvre des
ententes anticoncurrentielles de
répartition de marché et de prix. Il
leur a infligé une sanction pécuniaire
d’un montant total de plus d’un
million d’€…
Alors, pour ou contre ?
A défaut d’un restaurant d’entreprise ou cantine, pourtant plus fédérateurs ( les collègues parfois dispersés dans l’entreprise se retrouvent et
ces lieux permettent aussi de déjeuner à meilleurs coût), le TR reste une
bonne réponse sociale. Les employeurs ne s’y trompent pas, ils y
trouvent là « un élément générateur de bien-être et de liberté, le salarié est libre de changer de point de
restauration à chaque déjeuner (sic) »
et aussi un moyen de donner du pouvoir d’achat exonéré…à chacun d’apprécier. Il est évidemment beaucoup
plus simple d’avoir recours au TR
plutôt que de monter un resto interentreprise pour les petites entreprises
dispersées, et facile aussi de jouer la
carte de l’individualité: patrons et
employeurs se méfient généralement
de tout ce qui peut générer du lien
social. A noter que la mise en place
de TR n’exonère pas l’employeur de
mettre à disposition un lieu de restauration dédié à partir de 25 salariés.
Un modèle menacé ?
Les titres-restaurant sont placés sous
l’égide de la Commission Nationale
des Titres-Restaurant (CNTR) dont
le Conseil d’Administration est composé à 25% par les syndicats de salariés. Le mode de gestion et
l’autonomie de ces structures (
les chèques vacances par exemple) sont progressivement attaqués et les pressions sont très
importantes sur le statut de la
CNTR qui voit son rôle de régulateur remis en cause par
l’Etat.
Il convient donc de veiller à
cette reprise en main progressive de l’Etat qui affaiblit la capacité des partenaires sociaux
à peser sur les grands enjeux
qui concernent ces aides : modification de leur nature sociale,
dématérialisation des supports…
La justification d’une exonération
liée à chaque aide ne peut être trouvée que dans son objet social restreint et dédié. Or les orientations
actuelles, qui privilégient un élargissement du périmètre d’utilisation des
titres de services matérialisant ces
aides directes, et qui pourraient paraître à première vue pour des évolutions favorables aux salariés, peuvent
dénaturer l’esprit de ces titres.
C’est la raison pour laquelle la CNTR
a lutté contre les abus d’utilisation
des titres-restaurant, notamment au
travers d’une charte signée en 2010
avec la Fédération du Commerce et
de la Distribution visant à encadrer
les procédures d’utilisation dans les
grandes et moyennes surfaces et mettre
fin aux abus. La CNTR s’est aussi
fermement opposée à l’élargissement
du périmètre du titre-restaurant alors
que le gouvernement a adopté la
démarche contraire en publiant le décret
sur l’ouverture aux achats de fruits,
légumes et produits laitiers. Accepter
l’alimentarisation du titre-restaurant
c’est ainsi oublier sa nature sociale et
donc risquer sa remise en cause.
José Chevalier

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