synopsis Journal intime.qxd - Ciné-club Ulm
Transcription
synopsis Journal intime.qxd - Ciné-club Ulm
CINÉ-CLUB NORMALE SUP’ mercredi 12 décembre 2001 Journal intime - Nanni MorettiFILM ITALIEN, 1994, 100 MIN, AVEC NANNI MORETTI (LUIMÊME), CARLO MAZZACURATI (LE CRITIQUE CINÉMATOGRAPHIQUE), JENNIFER BEALS, ALEXANDER ROCKWELL (EUX-MÊMES), RENATO CARPENTIERI (GERARDO), ANTONIO NEIWILLER (LE MAIRE DE STROMBOLI), MONI OVADIO (LUCIO DE L'ÎLE D'ALICUDI), MARIO SCHIANO (LE PRINCE DES DERMATOLOGUES), SILVIA NONO (LA FEMME DE NANNI MORETTI). MUSIQUE : NICOLA PIOVANI, KHALED, ANGÉLIQUE KIDJO, KEITH JARRET (CONCERT DE COLOGNE), LEONARD COHEN, FIORELLA MANNOIA (INEVITABILMENTE) Caro Diario marque le retour au cinéma de Nanni Moretti, en 1994, après cinq ans d’absence et une longue maladie qu’il évoque d’ailleurs dans son film : trois pages de son journal qui évoquent, entre fable et documentaire, les quartiers de Rome, Flashdance et Pasolini,la télé, Stromboli et le cancer ; un film qui respire la joie retrouvée de faire du cinéma, et de défendre une certaine idée de la culture face à l’envahissement berlusconien. Sur ma Vespa Nanni évolue dans Rome à Vespa, en une allure nonchalante et continue qui n’est pas sans rappeler que le cinéma est précisément l’art du mouvement constant et du déplacement. C’est une déambulation à travers les différentes strates d’une ville, son feuilletage social et ses singularités architecturales, une rêverie propice à la créativité et au recentrement. L’euphorie qui gagne le spectateur vient surtout de cette communion parfaite avec une sensibilité vive, ces instants où Nanni révèle toute sa fantaisie et son humour, et nous les fait partager comme nous suivons ses idées du même mouvement régulier de la Vespa, et ses obsessions au gré du commentaire et de la musique. C’est un véritable enchantement que cette premiière partie, qui a le rythme d’une comédie musicale, et d’ailleurs n’est-ce pas là l’essai de ce film musical sur un patissier trotskiste qu’il prétend tourner? De même qu’il dit rêver de tourner un film entièrement fait de maisons, et que c’est une succession de façades variées qui envahit l’écran ; le rêve du cinéaste se matérialise sans cesse sous nos yeux, et joue sur le ressort de la comédie joyeuse qui est aussi une fantaisie du triomphe, en ne séparant jamais une idée de sa réalisation. Principe de plaisir donc, à l’oeuvre dans un premier volet qui est aussi célébration des composantes même du cinéma et des émotions collectives de qualité, danse, musique. Cette liberté donnée par la forme du journal, qui dépasse la figure typique du personnage Michele Apicella, inventé et incarné par Moretti dans ses films précédents, Nanni l’exploite à fond, enchaînant les séquences selon son bon plaisir, avec pour seule nécessité la célébration d’une ville, d’un art, d’une joie de vivre retrouvée. Et l’introspection cinématographique est une façon de gagner en liberté ce qu’on perd en ligne dramatique, surtout lorsque la peinture du moi se fait par le biais non d’aventures, mais d’états d’âme, d’imperceptibles mouvements du corps et du coeur. C’est aussi s’affirmer seul face au groupe des quadragénaires embourbés dans le confort matériel, des cinéastes de série b, voire z, poursuivant ainsi l’évolution d’une société de plus en plus individualiste que son cinéma entérinait déjà avec Palombella rossa. Le créateur doit être seul, il se recentre et affine ses perceptions au cours d’errances mobiles et de séances de cinéma calamiteuses, de rêves de vengeance et de rencontres privilégiées. Il meurt seul, aussi, comme Pasolini le long de la Via Ostiense, à qui Nanni rend un hommage muet, longue avancée vers le lieu du drame bercée du seul Concerto de Cologne, et recueillement final qui clôt le début du triptyque sur le désenchantement et la mélancolie, trajet qui métaphorise la situation du cinéma italien, dont le dernier grand est mort, et qui s’englue dans un verbiage creux qui a perdu l’énergie fondatrice. Les îles C’est une tentative de recentrement que cette excursion au coeur des îles éoliennes qui ont tant marqué le cinéma italien, de Stromboli à L’Avventura. Mais au lieu d’un retrempage salvateur sur les lieux mythiques de l’origine, d’une fréquentation assidue de la pensée de Hans Magnus Enzensberger et d’un mépris sincère pour la télévision berlusconienne qui substitue aux grans films italiens d’innombrables soap-operas, Nanni ne trouve dans son périple nautique d’îles en îles que juxtaposition de solitudes et de névroses. La confrontation aux populations autochtones, pour donner lieu à une démonstration de montage alterné proprement éblouissante et délirante, saturant l’ima- ge d’enfants-rois tyranniques et de parents dépassés par leurs fantasmes communautaires, n’en prend pas moins la figure comique mais amère d’une régression infantile généralisée, laquelle touche même Gerardo, l’ami philosophe, qui succombe lui-aussi aux sirènes sirupeuses d’Amour, gloire et Beauté et autres Santa Barbara. Aux utopies familiales et télévisuelles comme seul avenir possible de l’Italie des années 90, Moretti oppose la résistance passive et amusée d’un solitaire qui trouve le sens de sa vie dans l’art de la promenade, le sport, la vision de vieux mélos avec Silvana Mangano (sur un poste de télé) et l’écoute ravie de sa bande originale qui lui communique énergie et bonne humeur. Les divers projets des habitants des différentes îles, mégalomanie, capitalisme à outrance ou archaïsme et désir de pureté qui nient tout plaisir, tous sont dénoncés sur le mode comique, occasion de scènes de bravoure qui démultiplient la structure en épisodes du film entier, offrant autant de fragments du réel, de vues cavalières à l’emporte-pièce conformes à l’esthétique du journal, et d’esquisses savoureuses. C’est le passage le plus efficace du film, qui use d’une mécanique comique de précision à des fins satiriques, jouant d’un crescendo imparable pour juxtaposer sans cesse des décors magnifiques à des pratiques humaines beaucoup plus triviales. Cette perte d’adéquation aux lieux dans la deuxième partie est rendue d’autant plus sensible qu’elle se développe dans des paysages photographiés avec ampleur et majesté par Moretti, et qui sont les lieux de mémoire d’un imaginaire volcanique qui n’a pas manqué d’irriguer le cinéma italien, que ce soit comme figure tutélaire à peine évoquée (L’Or de Naples commence par une vue du Vésuve, métaphore du tempérament éruptif des Napolitains), ou comme symbole innervant un film entier (Voyage en Italie est ainsi scandé par la présence du volcan). Mais c’est surtout en référence à Stromboli que se place Caro diario, puisque ce film ressaisit l’imaginaire du volcan et celui de l’île, polarité signifiante dans un film qui se présente sous forme de trois îlots, et qui démultiplie cette structure insulaire à travers les thèmes de la solitude et des différenciations sociales. Les décors volcaniques de Stromboli sant malmenés par un gag,, un écho intempestif qui fait résonner dans cet espace majestueux, lieu de révélation et de transcendance pour Ingrid Bergman, les aventures des héros de feuilletons américains dont ne nous sont épargnés aucun nom ni aucune péripétie.sentimentale. Le cinéma italien a bien changé depuis l’époque où il se trouvait en parfaite adéquation avec la réalité ; et ici, même si le travail sur le paysage est encore sensuellement intégré à la comédie, c’est une rupture qu’il consacre, ou du moins un constat esthétique et moral que la dernière partie réorchestre de façon plus intime, en substituant à la mélancolie des pertes irrémédiables l’énergie des renouveaux. Les médecins Ultime figure de l’insularité et de la solitude, le rapport à son propre corps malade, le troisième épisode de Journal intime n’en a pas moins une portée universelle, jouant d’ailleurs avec les codes autobiographiques qui veulent généraliser une expérience personnelle et fournir un viatique aux lecteurs-spectateurs. Pas de dramatisation ni de voyeurisme malsain, l’issue est immédaitement révélée, mais une mise en scène subtile qui dénonce encore une fois sans amertume les dysfonctionnements dangereux d’un système, auquel on ne peut manquer d’assimiler l’Italie. Selon une cohérence formelle très forte, aux plans inondés de lumière de la première partie et au ton doux-amer de la deuxième correspondent comme dans une fugue où alterneraient gravité et légèreté les motifs inversés de la grisaille romaine, de l’angoisse, et de la sérénité finalement retrouvée. Moretti substitue donc à la rage de Michele Apicella l’image d’un cinéaste en paix avec lui-même, à défaut de l’être avec le monde. Parce que la jubilation y côtoie un sentiment de bonheur secret et individuel, par sa morale simple et pleine d’un humour poignant, par ses harmoniques musicales et filmiques qui bouclent l’oeuvre sur ellemême et l’ouvrent simultanément sur d’infinis horizons, ce film est un véritable miracle, qui nous fait voir le monde à travers les yeux d’un miraculé. Face caméra, Nanni Moretti fait un ultime commentaire, regardant le spectateur avec une expression mystérieuse comme s’il voyait une autre réalité, une douceur qui semble détenir une parcelle de vérité. Avec simplicité et immédiateté, Moretti impose donc une démarche frontale (ou dorsale, si l’on pense aux longs travel- lings où il est filmé de dos dans les rues de Rome), qui empêche tout détournement de regard et qui identifie définitivement le spectateur au cinéaste résistant à l’oppression télévisuelle et cancéreuse. Affirmant sa liberté de conteur en étant très personnel, il se révèle finalement le plus universel, sans impudeur ni complaisance, un homme qui cherche à indiquer le chemin d’une lucidité perdue dans un monde qui devient chaque jour celui du leurre. << C’est une forme superbe parce qu’il y a une telle liberté dans l’expression, dans le ton, dans l’usage des formes filmiques en même temps qu’une grande ironie, de l’humour, parce que le cinéma c’est aussi un divertissement , il n’y a pas de honte, une société a besoin de produire des divertissements qui la jugent par ses capacités justement d’inventer, d’amuser, de se regarder dans un miroir. (...) Le film de Moretti quand on l’a vu, on le garde dans le coeur longtemps. Il n’entraîne pas une réflexion politique, encore qu’à mon avis il soit éminemment politique, il entraîne un questionnement qui est plutôt de l’ordre de la réflexion sur le devenir es représentations. >> René Allio Bibliographie : Les Cahiers du cinéma, n° 479-480 Nanni Moretti, Jean A. Gili, éd. Gremese Filmographie La Stanza del figlio (2001) Aprile (1998) L’Unico paese al mondo (1994) Caro diario (1994) La Cosa (1990) Palombella rossa (1989) La Messa è finita(1985) Bianca (1983) Sogni d'oro (1981). Ecce Bombo (1978) Io sono un autarchico (1976) Come parli, frate? (1974) Paté de bourgeois (1973) La Sconfitta (1973) Actualités Demain : Les nouveaux Monstres, de Mario Monicelli, Dino Risi, Ettore Scola, à 20h30. http://www.eleves.ens.fr:8080/cof/cineclub/ [email protected]