Transitions démocratiques et limitation des mandats en Afrique Pr

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Transitions démocratiques et limitation des mandats en Afrique Pr
Transitions démocratiques et limitation des mandats en Afrique
Pr Babacar Gueye
Introduction
Selon l’assertion de Jean-Jacques Raynal « l'Afrique cherche. L'Etat cherche ses
institutions, la démocratie son expression, la justice son éthique, la société ses
valeurs, l'économie sa croissance ; le peuple, lui, cherche sa survie »1. Dans le
domaine de la démocratie, même s’il y a encore d’importants progrès à réaliser
et des acquis à consolider, des lignes n’en ont pas moins bougé. Il en est ainsi
de la limitation du nombre de mandats présidentiels que certains auteurs, et non
des moindres, considèrent comme l’une des pierres angulaires du néoconstitutionnalisme2.
Au lendemain des indépendances, l’institution présidentielle semble avoir été
consacrée en escamotant délibérément le débat sur la limitation des mandats ;
débat que la France a connu sous la IIe République. En 1848, la controverse
principale opposa Jules Grevy, partisan de la désignation d’un président du
Conseil révocable à tout moment, et Lamartine, favorable à l’élection au
suffrage universel direct du président de la République. Néanmoins la
consécration de l’élection s’accompagna de garanties comme, l’impossibilité
pour le président de dissoudre l’Assemblée, la sélection d’un vice-président par
l’Assemblée et le principe du mandat unique de quatre ans pour le
président. C’est cette dernière limitation, qui sera la cause de la chute du
régime, avec le coup d’Etat de Napoléon Bonaparte, dans la nuit du 1er au 2
décembre 1851.
En Afrique, la question de l’institution présidentielle, de sa prépondérance,
prend unintérêt tout particulier au début des années 90, date à partir de laquelle
certains ont cru entrevoir « Le printemps de l’Afrique »3. L’effervescence des
conférences nationales organisées, avec des fortunes différentes, a permis de
s’interroger sur l’hypertrophie des pouvoirs du Chef de l’Etat en Afrique et
1
Jean-Jacques Raynal, « Le renouveau démocratique béninois : modèle ou mirage », Afrique contemporaine, n° 160, 1991, p.
25.
2
Augustin LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone »
3
A. Bourgi, C. Casteran, Le printemps de l’Afrique, Paris, L’Harmattan, 1991. L’un de ces auteurs n’y perd certainement pas
son optimisme puisque près de dix ans après il y constate des évolutions. A. Bourgi, L’évolution du constitutionnalisme en
Afrique : du formalisme à l’effectivité, in RFDC, 2002, n°52pp.721-748
d’entamer un mouvement constitutionnel de limitation desdits pouvoirs dont
celui du nombre de mandats.
Cependant, ceux-là même qui s’étaient engagés et avaient lutté à côté des
partisans de la limitation, ont été les premiers à remettre en cause le principe
même à travers des changements constitutionnels ou encore par la voie
unilatérale. Ainsi, le débat sur la limitation des mandats présidentiels n’est pas
encore épuisé. Il questionne profondément les systèmes politiques en place et les
processus de démocratisation engagés. L’observation de la vie politique
africaine révèle que les chefs d’Etat sont de plus en plus nombreux à contester et
à chercher à revenir sur la limitation du nombre de mandats présidentiels (II). Il
n’empêche tout de même que cette limitation a été et demeure une exigence de
la démocratisation amorcée au début des années 90 en Afrique (I).
I.
La limitation des mandats, une exigence de la transition
démocratique
Le principe de la limitation des mandats est un des traits caractéristiques de la
transition démocratique. Pour bien comprendre ce principe, il convient
d’exposer la signification et ses vertus (A) avant d’en examiner les modalités
(B).
A/ Signification de la limitation
La limitation du nombre de mandats présidentiels n’est pas une préoccupation
nouvelle. Le débat sur son bien fondé est en effet ancien. Elle a été pratiquée par
les démocraties antiques et aux premières heures du système représentatif.
Ferment de la notion de rotation aux postes, la limitation des mandats électifs est
profondément enracinée dans la pensée politique classique. Au Fouta en 1776,
Thierno Souleymane BAAL avait instauré un certain nombre de principe de
gouvernement de la société Torodo, parmi lesquels la rotation et la limitation
des mandats du dépositaire du pouvoir afin d’éviter que les populations aient le
sentiment que c’est une seule famille qui exerce ce pouvoir. Aux Etats Unis, la
limitation a d’abord été une coutume constitutionnelle pendant plus d’un siècle
avant d’être consacrée en 1951 par le 22èmeamendement de la constitution. En
France, le principe de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels
successifs a d’abord été institué en 1848 sous l’influence d’Alexis de
Tocqueville, ensuite pratiqué à la faveur de la Constitution d’octobre 1946
(article 29) et enfin systématisé dans le cadre de la réforme instituant le
quinquennat (article 6).
En Afrique, les constitutions ont, jusqu’au début des années 1990, été conçues
pour conforter la position du Président et non lui imposer des bornes. Mais, les
clauses limitatives du nombre de mandats présidentiels, marginales dans les
premières constitutions africaines, sont devenues la pierre angulaire des chartes
constitutionnelles de 1990. Les dirigeants autoritaires africains, affaiblis par la
vague de la démocratisation, ont été contraints d’accepter l’introduction de
clauses limitatives du nombre de mandats. L’enjeu était de pousser à la retraite
des présidents inamovibles et de prévenir l’émergence de nouveaux chefs d’Etat
inamovibles.
La limitation des mandats contribue à la consolidation les acquis
démocratiques en Afrique
Le principe de séparation des pouvoirs, le respect des libertés civiles et
politiques, et la tenue d’élections libres et justes sont les éléments de la
démocratie auxquels l’observateur prête le plus d’attention, au point d’en faire
les principaux indicateurs de ce système. Mais, deux autres facteurs en
apparence secondaires et intimement liés l’un à l’autre nous paraissent décisifs
dans la consolidation de la démocratie dans le contexte africain : la circulation
des élites et la paix sociale. L’un comme l’autre sont servis par la limitation des
mandats.
La limitation des mandats pour promouvoir le bon gouvernement
Cette vertu de la limitation peut être vérifiée à l’aune de sa capacité de
contribuer à lutter efficacement contre deux des principaux vecteurs de la mal
gouvernance : le patrimonialisme et le clientélisme.
Le patrimonialisme découle de deux traits particuliers qui singularisent le
pouvoir en Afrique: l’omniprésence et l’omnipotence du Président de la
République, clé de voûte des institutions. La plupart des régimes politiques
africains prennent en effet la forme d’un « présidentialisme monocentré » ou
d’un pouvoir « hyper-présidentiel ». L’hégémonie de l’exécutif, du Président de
la République notamment, est une donnée constante du constitutionnalisme
africain. En effet, l’essentiel des prérogatives politico-administratives sont
concentrées entre les mains de ce dernier au mépris du principe de la séparation
des pouvoirs pourtant solennellement proclamé dans tous les textes
constitutionnels. Ce principe auquel la vague de démocratisation des années
quatre-vingt-dix avait voulu redonner tout son sens n’a pas résisté longtemps
aux assauts de l’hyper-présidentialisme dont il avait souffert en permanence
sous l’empire des régimes africains du début des indépendances.
La limitation des mandats pour étouffer les tentations « démoniaques »
conduisant à penser « être investi d’une mission messianique », être le « seul
capable parmi son peuple » afin de s’éterniser au pouvoir. Comme l’écrivait
Lord Acton, « Le pouvoir rend fou ; le pouvoir absolu rend absolument fou ».
En Afrique, les Chefs d’Etat pensent dès leur élection au renouvellement de leur
mandat. L’attitude du Président Macky SALL, à l’occasion de sa première visite
officielle aux Etats Unis, quelques semaines seulement après son accession à la
magistrature suprême, est éloquente à cet égard. Après avoir réitéré sa volonté
de réduire son mandat à cinq ans, il déclarait : « j’espère qu’au terme de ce
quinquennat, les sénégalais me feront à nouveau confiance pour présider aux
destinées de notre pays ».
La limitation permet aussi de lutter contre le clientélisme, qui induit à l’achat
des consciences et remet en cause la vocation même de l’élection, censée
exprimer le pluralisme politique, fonder la démocratie représentative et légitimer
le pouvoir. Pervertie par cette forme de corruption, l’élection cesse d’être un rite
démocratique. On peut dès lors s’interroger sur sa pertinence lorsqu’elle sert
uniquement à légitimer des pouvoirs, à renforcer des pouvoirs autoritaires par le
détournement du suffrage universel par des clans et des intérêts privés. Le
clientélisme a par ailleurs un effet corrosif sur les institutions comme le
parlement considéré comme un contre-pouvoir. Il est le corollaire du
patrimonialisme et de la personnalisation du pouvoir. Or ces derniers reposent
sur la négation de la distinction entre domaine public et domaine privé. Il en
résulte une privatisation de l’Etat en ce sens que le détenteur du pouvoir gère
l’appareil comme son bien propre. Dans un tel contexte, les ressources publiques
sont souvent accumulées et redistribuées pour satisfaire des besoins politiques et
personnels. Ainsi, s’établit une relation entre patron et client dans laquelle le
premier distribue la rente au second et en retour bénéficie du soutien et de
l’allégeance dudit client.
La limitation des mandats permet également le renouvellement et la
diversification de l’élite, et favorise donc l’alternance politique. A cet égard,
le nouveau constitutionnalisme a cherché à brider la volonté des Chefs d’Etat de
rester au pouvoir à perpétuité. En effet, comme a pu l’écrire CICERON :
«…celui qui commande devrait se dire que dans un délai court, il aura à
obéir » 4 et comme l’explique si bien Jean Pascal Daloz « si l’on retrouve
presque toujours les mêmes au sommet, ce n’est pas parce qu’une petite clique
parvient à s’y maintenir à tout prix par la répression ou la manipulation
(électorale) mais avant tout … parce que les axes verticaux de la légitimation du
pouvoir font que ceux qui ont accumulé préalablement, et sont donc en mesure
de redistribuer- demeurent davantage dignes de crédibilité transactionnelle, par
rapport à ceux qui ont pour unique atout un discours de changement. C’est
pourquoi la problématique des ressources est cruciale… »5. En déterminant une
échéance temporelle à la fonction présidentielle, le titulaire prend conscience de
l’idée de voir un jour toutes ses prérogatives transférées à une autre personne
censée incarner la nouvelle légitimité.
B. Plasticité de la limitation
La limitation des mandats épouse différentes variations dans le continent.
Comme variantes, on peut trouver ainsi la limitation à deux successivement ou
alternativement. L’idée d’un mandat unique a été suscitée au Nigéria (nous y
reviendrons). Les expériences de limitation sont légion dans le continent et ont
connu diverses fortunes.
Au Ghana par exemple, l’article 66 (1) de la Constitution de 1992 indique en
substance que : « Toute personne élue comme Président du Ghana ne peut
accomplir plus de deux mandats »6. Cette disposition a contraint tout Président,
y compris celui qui assurait encore la présidence depuis 1981, Jerry
RAWLINGS, à renoncer au pouvoir. L’effectivité de la clause limitative des
mandats sera par la suite à l’origine du départ de John KUFFUOR et en dehors
du Ghana de OBASANJO au Nigéria, de KEREKOU au Bénin, de KONARE au
Mali au bout de deux mandats.
4
Cité par Augustin LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Afrilex, N° 3,
2003, p. 152.
5
Les approches élitaires comme nécessaire antidote, in Jean Pascal DALOZ, (dir.), Le non renouvellement des élites en
Afrique subsaharienne, Bordeaux, CEAN, 1999, p. 21.
6
« A person shall not be elected to hold office as President of Ghana for more than two terms ».
Au Sénégal, la limitation ne résulte pas de la transition démocratique. Elle a
traversé l’histoire politique du pays avec, cependant, des mouvements de valse
dans sa consécration. La clause limitative des mandats présidentiels a été
introduite pour la première fois par la loi n° 70-15 du 6 février 1970. Mais elle
sera remise en cause par la loi n° 76-27 du 6 avril 1976. Elle sera réintroduite
par la loi n°91-46 du 6 octobre 1991 portant révision de la Constitution. La
limitation des mandats à deux sera supprimée à nouveau avec la révision du 10
octobre 1998.
La Constitution du 22 janvier 2001 restaurera le principe du double mandat dans
le but d’éviter la longévité au pouvoir comme ce fut le cas de Senghor et Diouf.
En 2012, la volonté du Chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, d’enfreindre la
limitation des mandats est une des principales causes de sa défaite.
Au Burkina Faso, le Président Blaise COMPAORE a fini par démissionner après
une tentative infructueuse de remise en cause de la clause limitative du nombre
de mandats du président de la république. La nouvelle constitution qui vise à
écarter toute possibilité d’interprétation ou de changement constitutionnel afin
de déroger au principe de la limitation des mandats, stipule en son article 37 que
le président du Faso est élu pour un mandat de cinq et il est rééligible une seule
fois. En aucun cas, poursuit l'article, nul ne peut exercer plus de deux mandats
de président du Faso consécutivement ou par intermittence.
A côté de la limitation à deux, les plus hardis préconisent la limitation à un
mandat unique. Cette idée divise encore la doctrine, même si au regard des
systèmes politiques africains et des dynamiques de démocratisation il semble
être la meilleure solution pour remédier à toutes les dérives. Il faut dire
qu’aucune constitution africaine n’a jusqu’ici institué le mandat unique. Seul le
président nigérian a exprimé en 2011 la volonté d’amender la constitution de son
pays pour l’instituer, trois mois après son élection à la magistrature suprême.
Préoccupé par les violences à répétition qui émaillent les scrutins au Nigéria7 et
par le coût exorbitant engendré par ces derniers tous les quatre ans, le président
Goodluck Jonathan avait annoncé la préparation d’une loi introduisant un
mandat présidentiel unique de six ans. Ce projet n’est pas allé jusqu’à son terme.
Il a finalement été abandonné.
7
800 morts à l’élection présidentielle d’avril 2011.
En somme, à quelques exceptions près, la durée du mandat présidentiel n’excède
plus cinq ans en Afrique, suivant une tendance générale. Au surplus, le nombre
de mandats est limité à deux dans plusieurs constitutions, l’objectif étant d’éviter
le retour à la personnalisation et à la patrimonialisation du pouvoir attentatoires
à la démocratie. Ainsi plusieurs chefs d’États africains ont volontiers quitté le
pouvoir à l’issue des deux mandats prescrits par la Constitution de leur pays
sans chercher à modifier ladite norme. Outre le Ghanéen John Kufuor qui a
quitté le pouvoir (en décembre 2008), on peut citer le Nigérien Olésegun
Obasanjo en 2007, le Malien Alpha Oumar Konaré en 2000, le Béninois
Mathieu Kérékou en 2006. Certaines juntes militaires ont rendu le pouvoir aux
civils après avoir perpétré un coup d’État militaire. Il en est ainsi du colonel
Wanké au Niger en 1997, du général Amadou Toumani Touré au Mali en 1991,
du général Aboubakar au Nigeria en 1999, ce qui permit à l’ex-général Obasanjo
d’accéder démocratiquement à la présidence de ce pays qui avait jusque-là été
affecté par des coups d’État incessants.
A l’heure actuelle, dans l’espace CEDEAO, la limitation des mandats
présidentiels est devenue une loi dans treize des 15 Etats membres. Seuls la
Gambie et le Togo y sont opposés.
II.
La remise en cause de la limitation des mandats
Le déplafonnement8 du nombre de mandats présidentiels constitue un coup de
boutoir contre l’État de droit et la démocratie. Au début du renouveau
démocratique, la plupart des pays africains avaient opportunément inscrit dans
leur Constitution la limitation des mandats du président de la République à deux.
Cependant cette effervescence semble s’estomper aujourd’hui. Le principe de la
limitation des mandats est de plus en plus contesté. Quels sont les fondements de
la remise en cause de la limitation des mandats (A) et les modalités de celle-ci
(B) ?
8
Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique : succès et résistances », Revue Pouvoirs, n°129, p.18.
A. Les fondements de la remise en cause
Plusieurs allégations sont avancées pour justifier la remise en cause ou la
tentative de remise en cause de la limitation des mandats.
Au Burkina Faso, les adversaires de la limitation sont allés jusqu’à reprocher à
ce principe d’attenter à la souveraineté du peuple et de limiter les choix de ce
dernier, bref d’être contraire à la démocratie. Ainsi, à l’occasion du débat qui a
précédé l’abandon de la limitation du nombre de mandats présidentiels au
Burkina Faso, le groupe parlementaire du Congrès pour la Démocratie et le
Progrès, parti du Président Compaoré, avait estimé qu’une telle clause enfreint
la démocratie parce qu’elle « limite arbitrairement la jouissance des droits
politiques par le citoyen ; elle limite les possibilités de choix du peuple » 9 .
Cependant, si un tel argument est recevable dans les démocraties de forte
intensité. Il n’est, en revanche, pas décisif dans le contexte africain où les
Présidents jouissent de pouvoirs exorbitants, de nature patrimoniale et d’une
réélection quasi-automatique.
Au Sénégal et au Niger, en dehors des débats passionnés sur l’interprétation des
dispositions constitutionnelles, un des arguments majeurs des présidents sortants
était formulé en une demande à l’attention du peuple pour, disent-ils, « finir les
chantiers commencés ». Ce qui est inconcevable en démocratie.
En Algérie, l’argument invoqué pour justifier cet abandon de la limitation en
2008 consistait à dire que, dans des démocraties encore fragiles, l’expérience
acquise et la notoriété personnelle sont très importantes et qu’il ne paraît pas
souhaitable de se priver du leadership d’un homme qui a démontré son aptitude
à gouverner.
Reste qu’il ne faudrait pas oublier qu’en démocratie le pouvoir appartient au
peuple, lequel peut le déléguer pour une période déterminée. Sauf à se scléroser,
la démocratie doit permettre le renouvellement du personnel politique. Par le
procédé de la limitation des mandats, le peuple préserve sa souveraineté et peut
surtout exercer un contrôle dissuasif.
9
A. LOADA, op.cit, p. 154.
B. Les modalités de la remise en cause
Les chefs d’Etat africains dans de nombreux cas remettent en cause la limitation
du nombre des mandats selon deux modalités : la révision de la constitution ou
l’interprétation unilatérale de celle-ci.
La révision constitutionnelle est l’une des modalités les plus fréquemment
utilisées par les Chefs d’Etat africains pour contourner l’encadrement
temporel et la « renouvelabilité » des mandats présidentiels.
Les constitutions africaines ont souvent été adoptées dans l’urgence ; c’est
pourquoi elles ont parfois besoin d’un toilettage. Comme le rappelle bien Jean
Du Bois de Gaudusson, une « constitution se change, en effet, et c’est
parfaitement conforme à l’Etat de droit; si l’on fait référence au cas français, on
s’apercevrait qu’une constitution peut se changer assez souvent, dès lors que les
procédures sont respectées et que la révision s’effectue dans les formes
républicaines ». Les révisions constitutionnelles sont ainsi nécessaires, car elles
permettent à la Loi fondamentale de s’adapter aux mutations sociétales pour
répondre plus efficacement aux besoins et à la volonté des populations. Toute
révision doit se soucier de la légalité au même titre que de la légitimité en
s’inscrivant ainsi dans la conformité des procédures de révision (légalité) et de la
conscience de l’heure (légitimité, volonté des populations).
Cependant, cette technique de modification du texte constitutionnel est souvent
pervertie en pratique afin de légitimer le projet du chef de l’Etat de s’éterniser au
pouvoir au-delà de la limite initialement prévue.
Ainsi par exemple au Cameroun, la Constitution de 1996 avait consacré le
principe de la limitation des mandats présidentiels à deux. Cependant, en 2008,
l’Assemblée nationale a supprimé toute limitation du nombre de mandats,
permettant ainsi au président Paul Biya de se représenter en 2011. Au Gabon, la
Constitution a été modifiée en 2003 pour permettre au défunt Président Omar
Bongo de se représenter autant de fois qu’il l’aurait souhaité. Au Namibie, la
Constitution a été amendée en 1999 afin de permettre au président Sam Nujoma
de briguer un 3ième mandat de 1999 à 2004. Tandiqu’au Nigéria, la tentative de
Olusegun Obasanjo de modifier la Constitution a été bloquée par le Parlement
en 2006. Il voulait pouvoir se présenter à un troisième mandat. Un président ne
peut donc toujours pas cumuler plus de deux mandats de quatre ans chacun. En
Ouganda, la Constitution de 1995 a été modifiée en 2005 afin de permettre à un
président de briguer plus de deux mandats profitant ainsi au Président Yoweri
Museveni. De même, au Togo, la limitation des mandats avait été supprimée en
2002 pour permettre à Gnassingbé Eyadama d’effectuer un troisième mandat.
En Tunisie, alors que Zine el-Abidine Ben Ali avait été élu en 1987 président de
la Tunisie, la Constitution a été par la suite amendée en 1988 pour limiter le
nombre de mandats à deux. Cependant, en 1998, Zine el-Abidine Ben Ali fait
passer un nouvel amendement qui lui a permis d’effectuer trois mandats
consécutifs. En 2002, la limitation des mandats est abolie et l’âge limite est
allongé à 75 ans pour déposer une candidature à la présidence au moment où
Ben Ali célébrait 73 ans. En Zambie, le Président Frederick Chiluba a été élu en
1991, puis réélu en 1996. En 2001, il a tenté en vain de modifier les lois pour
pouvoir briguer un troisième mandat. De la même manière, en Algérie,
le Parlement avait voté un amendement constitutionnel en 2008 qui permettait
au chef de l'Etat Abdelaziz Bouteflika de se représenter autant de fois qu'il le
voudrait. Tandis qu’avant ce changement constitutionnel, une seule réélection
était autorisée. La nouvelle Constitution propose le retour à l’ancienne
disposition contenue dans la Constitution de 1996 en amendant l’article 74 : «
La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Le Président de la République
est rééligible une seule fois », stipule l’amendement de l’article en question.
Cette ingéniosité normative permet ainsi au président Abdelaziz Bouteflika
d’être à nouveau candidat et de se faire réélire. Au Burkina Faso, la
Constitution de 1991 a été amendée en 2000, limitant le président à deux
mandats. L’amendement était effectif lors des élections de 2005, mais comme
Blaise Compaoré était le président en exercice en 2000, l’amendement ne s’est
appliqué à lui qu’à la fin de son second mandat, ce qui lui a permis de se
représenter au scrutin de 2005. Sa dernière volonté de modifier en 2012 l’article
37 de la constitution lui a valu d’être contraint à la démission.
Certains dirigeants ont contourné le principe de la limitation des mandats
présidentiels en recourant au référendum comme mode de révision de la
constitution. Au Niger, l’article 36 de la Constitution de 1999 limitait le
nombre de mandats présidentiels à deux quinquennats consécutifs et ne pouvait
« faire l'objet d'aucune révision ». Grâce au « oui » qu'il a obtenu au référendum
du 4 août 2009 portant sur l'instauration d'une nouvelle Constitution, le président
Mamadou Tandja pouvait désormais prolonger son deuxième mandat de trois
ans, puis se représenter autant de fois qu’il l’aurait souhaité. Pour arriver à ses
fins, Mamadou Tandja avait dissout le Parlement puis la Cour constitutionnelle
qui s’opposaient à ses projets et s'était arrogé des « pouvoirs exceptionnels »
pour gouverner par décrets. Au Tchad, la Constitution adoptée en 1996 a été
modifiée en 2005, par voie référendaire, pour supprimer la limitation du nombre
de mandats. Ainsi, le Président Idriss Deby a donc pu candidater à l’élection de
2006 pour un troisième mandat.
A côté de cette pratique très récurrente dans le continent qui consiste de
procéder à un changement des textes constitutionnels pour contourner la
limitation des mandats, d’autres Chefs d’Etat opèrent ce contournement à
travers une interprétation unilatérale de la constitution. En effet, les chefs
d’Etat africains font une interprétation tendancieuse de la constitution en faisant
un décompte du nombre de mandats qui exclue souvent le premier. Il en est ainsi
du Sénégal en 2012 avec toute la controverse sur la lecture combinée des
articles 27 et 104 de la Constitution du 22 janvier 2001 en ce qui concerne plus
précisément la recevabilité de la candidature du président sortant d’alors,
Abdoulaye Wade. La même lecture tendancieuse des textes constitutionnels sur
le mandat du président de la République a été observée au Burundi, dont la
Constitution adoptée en 2005 dispose que « le président de la République est élu
au suffrage universel direct pour un mandat renouvelable une fois ». Cependant,
le président Pierre Nkurunziza, ayant été élu par le Parlement en 2005, a estimé
que le premier mandat ne compte pas. Ainsi, l'interprétation des articles 96 et
302 de la Constitution divisa l’opposition du Chef de l’Etat et de son parti.
Conclusion
Au total, si certains pays ont respecté l’option de la limitation à des deux
mandats (Cap-Vert, Mali, Bénin, Nigeria, Ghana), plusieurs autres, en revanche,
l’ont abrogée de leur Constitution (Gambie, Togo, …), d’autres encore l’ont
réintroduit (Algérie, Burkina Faso, etc.).Lors de la 47ème session ordinaire de la
conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique
des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenue à Accra au mois de mai
2015,un protocole sur la limitation des mandats à deux a été soumis aux chefs
d’Etat pour adoption. Les dirigeants de tous les pays l’ont approuvé à
l’exception du Togo et de la Gambie.
Cependant, il faut dire que la limitation à deux du nombre de mandats
présidentiels s’est révélée insuffisante pour combattre efficacement le
patrimonialisme et le mauvais gouvernement. Le mandat unique est à notre avis,
le seul véritable antidote contre ces fléaux. En empêchant le président de briguer
un deuxième mandat, supprimant par-là la possibilité d’un long séjour à la tête
de l’Etat, il préserve les populations des nuisances d’un pouvoir présidentiel
omnipotent et persistant. L’idée est bien en marche dans la doctrine et dans un
club restreint de Chefs d’Etat.
En définitive, la limitation du nombre de mandats pose au fond la question du
leadership en Afrique que l’ancien SG de l’ONU, Koffi Annan résume en une
phrase : « la grandeur d’un homme d’Etat est de savoir quitter le pouvoir quand
il le faut ».