Jean 12, 12-19 Jésus entre dans Jérusalem

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Jean 12, 12-19 Jésus entre dans Jérusalem
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Dimanche 9 avril 2006-04-15
Dimanche des Rameaux
Jérôme Cottin
Jean 12, 12-19
Jésus entre dans Jérusalem
Introduction
Difficile, en cette période, de réfléchir sur un texte biblique qui parle d'une grande foule dans
la rue sans penser aux manifestations qui ont lieu en ce moment partout autour de nous, en France1 :
- les jeunes qui manifestent sont certes en colère, mais ils sont aussi plein de vie, d'énergie ; de
même la foule qui accueille Jésus est-elle gaie, enthousiaste. – Ces manifestants actuels sont tendus
vers un même et unique but : la suppression du CPE2 ; de même à Jérusalem, tous sont là pour
recevoir et acclamer Jésus. – Enfin, un aspect contestateur unit les deux événements : les
manifestants anti-CPE critiquent fortement cette nouvelle loi, et donc le gouvernement qui l'a
promulgué, tandis que l'accueil triomphal de Jésus est aussi une contestation du pouvoir politicoreligieux en place à Jérusalem, puisque Jésus est acclamé comme "roi d'Israël".
Le parallèle s'arrête toutefois là. Les manifestations actuelles et l'acclamation de Jésus entrant
dans la ville sainte sont deux événements qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Les situations, le
contexte, les motivations, et le message proclamés n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Ce jour dit "
des Rameaux", c'est bien Jésus, et lui seul qui est au centre de l'événement. Il s'agit certes d'un
événement public, et à ce titre là politique ; mais il s'agit surtout, et bien plus, d'un événement
messianique, d'un accomplissement prophétique. Ce sera là le premier des trois thèmes que je
voudrais développer.
1) L'accomplissement
Jésus vient combler l'attente, accomplir l'annonce prophétique. On l'attendait depuis bien
longtemps, depuis des siècles même. Et il arrive maintenant, aujourd'hui. Il est bien celui dont
parlaient les prophètes. Au delà de la figure historique, du personnage médiatique, il est bien une
figure messianique, inscrite depuis bien longtemps dans la mémoire d'Israël. C'est ce que souligne
l'évangéliste Jean. Dans son récit, il met l'accent sur ce premier aspect : par delà l'événement actuel,
l'aspect anecdotique de cette entrée triomphale, c'est bien une ancienne prophétie qui s'accomplit.
Comme Jean a-t-il montré cela ?
- Il a contracté, simplifié à l'extrême le récit. Contrairement au même récit dans les autres
Evangiles, chez Jean il n'y a pas de trace de détails événementiels : la foule qui coupe des
branches et étale des vêtements dans la rue ; les disciples qui vont chercher une monture :
tout cela disparaît.
- Du récit tel qu'on le lit dans les autres Evangiles, seul subsiste une mention laconique : Jésus
entre dans la ville monté sur un âne, et une foule l'acclame avec des branches de palmier.
C'est tout.
- Le récit est en revanche accompagné, étoffé, par deux importantes citations bibliques, plus
longues que le récit lui-même.
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Le dimanche 9 avril 2006, jour de cette prédication, les tensions sont extrêmes, après plusieurs semaines de
manifestations et blocages d'universités. Le gouvernement décidera de retirer cette loi le lendemain, lundi 10 avril 2006.
2
"Contrat Premier embauche", loi votée par le gouvernement Villepin en février-mars 2006 sans débat parlementaire
préalable, à l'origine des manifestations et blocages de universités, en mars-avril 2006
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Ces deux citations bibliques sont d'abord le Psaume 118, 25-26, auquel Jean ajoute la mention
"Le roi d'Israël" (v.13b). Ce Psaume messianique annonce que l'attente prend fin. Le Messie
annoncé est là. Le peuple est invité à se réjouir, car le Seigneur est bon. Dans ce Psaume, tout est
confiance, joie, euphorie, délivrance.
L'autre texte cité est une prophétie de Zacharie, 9, 9. On a le même climat, la même
conviction, la même annonce, que dans le Psaume : le messie attendu vient. Le prophète ajoute
même le mot "roi" pour désigner ce Messie. Et il ajoute deux précisions qui éclairent l'attitude et
l'action de Jésus entrant dans Jérusalem : - ce messie viendra monté sur un ânon ; - et ce sera un
messie pacifique. Il supprimera les armes de guerre et apportera la paix. Voilà pourquoi
l'évangéliste Jean remplace l'injonction "Réjouis-toi" présente chez Zacharie, par "Ne crains pas".
En citant aussi longuement ces deux textes, Jean souligne que c'est l'accomplissement
prophétique, plus que l'action propre de Jésus, qui compte à ses yeux.
2) L'abaissement
A ce premier aspect, l'accomplissement, s'en ajoute un second, l'abaissement. On pense
communément qu'en ce jour Jésus est au sommet de sa gloire, qu'il célèbre son triomphe terrestre
(que l'on sait éphémère). On a souvent dit et répété qu'il entre dans Jérusalem tel un souverain, tel
un conquérant (sans armée toutefois, et monté non sur un cheval, animal noble, mais sur un âne).
Mais c'est une erreur de lecture, du moins en ce qui concerne le récit de Jean. En réalité, Jésus
est ici déjà faible et seul, quasiment abandonné de tous. Son triomphe est de la poudre aux yeux.
C'est une illusion. Le lecteur attentif découvrira que derrière l'apparence de la fête et du triomphe
populaire, il y a la réalité de la solitude. Jésus entre certes dans Jérusalem acclamé comme un roi,
mais c'est un roi céleste, non un roi terrestre. Un roi dont le seul pouvoir est spirituel. Contrairement
aux autres souverains, il n'a ni pouvoir, ni armée, ni argent, ni compagnons. C'est sur ce point précis
que Jean s'écarte le plus des autres Evangiles. Alors que les autres récits insistaient sur le triomphe
certes éphémère, mais réel de Jésus, triomphe populaire de ce roi d'un jour, Jean, d'emblée, nous
indique qu'il n'en est rien. Comment nous indique-t-il cela ? Comment nous montre-t-il cette
solitude réelle qui se cache derrière ce triomphe apparent ?
- Jean supprime toute mention des disciples. Jésus est ici seul, sans compagnons. Eux qui
jouaient un rôle très important dans ce même récit chez les autres Evangiles, en ce qu'ils
préparaient la venue de Jésus, en ce qu'ils l'annonçaient, en ce qu'ils allaient chercher
l'âne/l'ânon/l'ânesse, il ont ici tout simplement disparu. Ils ont même disparu depuis bien
longtemps, bien avant notre récit d'aujourd'hui (depuis Jn 11, 16, il n'est plus question des
disciples).
- Chez Jean, Jésus n'a plus ce pouvoir d'anticiper, de prévoir les événements. Dans les autres
Evangiles, Jésus donnait des ordres, et les disciples exécutaient ; il prévoyait, et tout se
passait comme il avait prévu ; il parlait, et la situation s'accomplissait. Ici, pas
d'anticipation, rien. Jésus reste totalement silencieux. Et seul.
- Enfin, un mot très important dans l'Evangile de Jean fait son apparition dans ce texte, le mot
"glorifié". Il est utilisé dans un flash-back anticipateur de ce qui se passera par la suite :
"Lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet" (v.
16). Or pour Jean la glorification n'a rien d'une gloire, n'a rien de glorieux. La glorification,
c'est pour lui l'abaissement total, c'est la mort ignoble sur la croix. Jésus glorifié signifie en
réalité Jésus crucifié.
3) L'incompréhension
Un troisième événement est caractéristique du récit du jour des Rameaux tel que nous le
rapporte le 4e Evangile. Après l'accomplissement, puis l'abaissement, vient l'incompréhension.
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Jean insiste en effet sur les réactions contrastées, incrédules ou trompeuses de ceux qui
l'accueillent et l'accompagnent. Certes la foule l'acclame ce jour-là, mais elle le fait pour de
mauvaises raisons. Et Jean explicite ces raisons très précisément (relire les versets 17 et 18). La
foule acclame Jésus non parce qu'il est le Messie pacifique, non parce qu'il accomplit les anciennes
prophéties messianiques, encore moins parce qu'il va vers sa "glorification", mais parce qu'il
accomplit des miracles, parce qu'il a ressuscité Lazare. La foule voit en Jésus un guérisseur, un
super-médecin, un faiseur de miracles, non le Messie de Dieu, l'envoyé du Père.
Un élément formel rend compte de cela : dans le récit de Jean, les réactions à l'événement
prennent autant de place que l'événement lui-même.
Jean, dans son texte, distingue en outre 4 types de public :
- La foule qui a vu ses miracles. Ce sont, pourrait-on dire, les "voyeurs", au sens péjoratif du
terme ; ceux qui sont attirés par le sensationnel et le spectacle.
- La foule qui a entendu parler du miracle, sans l'avoir vu. Ce sont ceux qui se contentent de la
rumeur, de l'opinion publique, sans se faire une idée par eux-mêmes.
- Les disciples qui, curieusement, réapparaissent, alors qu'ils avaient disparu. Mais Jean
souligne à quel point ils sont déjà loin de Jésus : "Au premier moment, les disciples ne
comprirent pas ce qui arrivait" (v. 16a). Le contraste est frappant avec les autres Evangiles,
ou les disciples obéissent parfaitement à Jésus.
- Les pharisiens, qui eux comprennent parfaitement les intentions de Jésus, mais ils sont
évidemment contre lui. Ils ironisent, se moquent de l'action de Jésus.
- On le voit, tous acclament Jésus, mais personne ne le comprend, personne ne le soutient.
Conclusion/ouverture
Le récit que nous fait Jean de cet événement est très personnel. Il nous parle de Jésus à un
moment important ; quand il rentre dans Jérusalem, il rentre en fait dans sa Passion. C'est déjà le
début de la fin.
Mais en nous parlant de Jésus, Jean nous parle aussi de lui, de la manière dont il a compris,
mieux que d'autres, la vraie signification de cette manifestation publique, cachée sous son contraire.
Derrière un triomphe apparent, se trouve une faiblesse, une détresse. Mais une détresse qui annonce
à son tour un nouveau renversement de situation. Cette acclamation traduit certes un abaissement,
mais qui annoncera une victoire : les Rameaux conduisent à la croix, mais la croix ouvre à la
résurrection. La victoire du jour des Rameaux est en réalité une défaite, mais cette défaite sera à son
tour signe d'une victoire à venir, celle du jour de Pâques.
Amen.