Reflets dans une graine de copinol

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Reflets dans une graine de copinol
Par Tania K.
Juin 2009
La première fois que j'entendais parler du Salvador,
la guerre civile éclatait avec l'assassinat de
Monseigneur Oscar Romero, dans la chapelle de
l'Hôpital de la Providence à San Salvador. C'était
l'année 1980 et je n'étais qu'une enfant terrorisée
par l'idée qu'il puisse exister des histoires violentes.
Douze ans plus tard, les accords de Paix de
Chapultepec mettaient fin au conflit, mais la
première impression restait imprimée dans mon
esprit. J'étais loin de me douter que ce pays un jour rentrerait dans ma vie
avec force...
... quelques années plus tard, lorsque je me suis rendue au Salvador pour
une réunion de travail, j'avais encore en tête l'apriori des années de
guerre et me suis fait la promesse que plus jamais je n'y remettrais les
pieds. La vie sait cependant manier avec art l'ironie pour nous rendre
humbles... En effet, trois mois plus tard, j'étais mutée au Salvador et
contrairement à mes attentes j'y vécus deux années extraordinaires de ma
vie.
Malgré mes réticences du début, je me suis laissé apprivoiser par celui que
l'on surnomme le Petit Poucet d'Amérique Centrale (7 millions d'habitants
à peine), allant à la rencontre d'un pays au-delà de ses apparences. ...Et si
je devais résumer Le Salvador en quelques mots, je dirais qu'il ressemble
aux graines de copinol (1) que ses artisans travaillent: sur une toute petite
surface qui pourrait passer inaperçue, on découvre un ensemble qui
compose un tableau miniature charmant.
San Salvador, placide capitale aux pieds du Quetzaltepec
Au cœur de l'ancienne seigneurie de Cuscatlán qui avait dominé la
majeure partie du pays durant l'époque précolombienne, San Salvador
reçut son nom en l'honneur du "Divin Sauveur du Monde" en 1525, peu
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après sa fondation par les Conquistadores Espagnols. Perchée à 680
mètres d'altitude, la ville possède aujourd'hui un éclectique mélange
d'édifices modernes et d'architecture coloniale, avec de nombreuses
places et monuments, des parcs et des centres commerciaux.
J'avais l'interdiction de me rendre au centre-ville, l'insécurité y étant un
problème, disait-on, à cause de l'ombre de la Mara Salvatrucha qui y
planait (2)... Mais j'ai réussi à convaincre à plusieurs reprises mon ami
Fernando pour qu'il me mène découvrir cet endroit qui possédait un
charme fou: ses maisons coloniales tombées en décrépitude, son Palais
National, son Théâtre National, son marché d'artisanat où je rencontrais
l'âme du pays dans le travail des artisans - surpris de voir une chelita(3)
étrangère se promener dans les parages -, et sa Cathédrale Métropolitaine
construite au 19ième siècle sur les fondements de l'église de Santo
Domingo, détruite lors d'un tremblement de terre en 1873. Celle-ci avait
certes été témoin des tourments sociaux du pays, mais plus que toutes ces
blessures, je voulais y admirer sa façade ornée des œuvres colorées au
style naïf provenant de La Palma, faites par l'artiste Fernando Llort. Peutêtre ai-je aimé San Salvador parce que je la voyais comme une ville
enchantée qui ne demandait qu'à resurgir d'un riche passé.
En dehors du centre-ville, une ville moderne et verdoyante montait vers
les flancs du volcan de San Salvador, le Quetzaltepec (1893 mètres
d'altitude), offrant une vie paisible, rythmée d'une part par quelque
tempo latin qui s'échappait d'une maisonnée en fête (surtout les weekends), et d'autre part par la fréquence des séismes de petites et moyennes
intensités qui valaient à San Salvador le nom de Valle de las Hamacas (4).
Il existait une douceur de vivre provinciale qui aurait pu ressembler à la
monotonie si ce n'était la vivacité et la gentillesse extrême des
guanacos(5). Jamais je ne me suis fait autant d'amis qu'au Salvador et les
fins de semaine on se retrouvait volontiers pour nous adonner à une de
leurs activités favorites dans un "pupusodromo": la dégustation des
pupusas, délicieuses galettes au maïs et au fromage parfumées au lorocco.
San Salvador avait des recoins qui ne se livraient pas et qui me hantent
encore aujourd'hui... En effet, il existait, à cette époque-là, une maison
oubliée au milieu d'un énorme jardin devenu sauvage à force d'abandon
et devant laquelle je passais tous les jours en me rendant au travail. Son
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nom était Istmania. Son architecture datait probablement des années
1940 et ses palmes royales s'élançaient vers un azur muet. Malgré mes
persistantes recherches, nul n'a jamais su me dire qui l'avait habitée,
pourquoi elle avait été abandonnée et son mystère demeura à jamais
entier pour moi.
San Salvador était aussi un spectacle de la nature, lorsque fleurissaient les
arbres maquilishuat dans une profusion rosée. Les palos de fuego, ces
géants aux fleurs d'un orange intense, enflammaient les rues de la ville.
Les champs de café étaient omniprésents, sur les flancs du volcan, ou dans
la vaste Finca El Espino, poumon vert de la ville situé sur le chemin à Santa
Tecla. Des envols de perruches traversaient le ciel en formant d'immenses
nuages verts et on croisait par moments la délicatesse du torogoz, oiseau
national au plumage polychromé d'une singulière beauté et qui ne savait
vivre qu'en liberté...
Longtemps, je me souviendrai des prodigieuses tempêtes de San Salvador,
qui sévissaient de mai à octobre. Je voyais tout d'un coup, arrivant de
l'orient, une sombre masse de nuages qui montait doucement vers le
volcan, nous enveloppait dans un tintamarre d'éclairs et de coups de
tonnerre, convertissant les rues en torrents. L'orage possédait une très
forte personnalité... D'ailleurs, aux portes de la ville, juste au sud du Parc
Balboa, se trouvait la Puerta del Diablo, que la légende attribuait à la furie
de Xipe Totec, dieu toltèque de la pluie. Celui-ci, en protestation contre les
abus des colonisateurs sur les peuples indigènes du Salvador, fit tomber
sur la zone de Panchimalco, en 1762, des pluies abondantes. Les
inondations qui en découlèrent firent des centaines de victimes
emportées par les eaux torrentielles du fleuve Cuitapan, au nom
prédestiné, puisqu'en nahuat il signifiait "fleuve de la mort". Après la
terrible tempête de Xipe Totec, apparurent deux formations rocheuses qui
se convertirent en la porte du diable.
La route des fleurs, un chemin parsemé de noms évocateurs
En dehors de la capitale, je me trouvais tout à coup dans un pays qui
voulait faire renaître les fleurs, sur une route qui traversait la cordillère
depuis Sonsonate jusqu'à Apaneca. Là, de petits villages aux noms
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charmeurs, encore authentiques, s'offraient en toute simplicité au regard
du passant.
Nahuilzalco, dont le nom signifiait "Quatre Izalcos", travaillait avec une
minutie artistique la vannerie, le coton, la fibre de l'arbre tule et le bois.
Son marché nocturne illuminé à la lueur des chandelles était une réplique
féerique aux étoiles du soir. A Salcoatitlán, "La Ville de Quetzalcoatl", dieu
du vent et foyer de l'aurore, on cultivait le café depuis qu'y furent
implantées les premières plantations du pays dans les années 1860. Son
église coloniale datait des débuts du XIX siècle. Quant à Juayua, "Rivière
des Orchidées Pourpres" dans un écrin de végétation luxuriante, elle était
habitée par une fabuleuse légende: en effet, il existait jadis un arbre ceiba
centenaire, là où aujourd'hui se trouve l'autel de son église bâtie au
XVIème siècle. Cet arbre aux formes généreuses fut touché par la foudre
et en son intérieur apparut l'image miraculeuse du Christ entouré
d'orchidées de Saint Sébastien. C'est ainsi que Le Christ Noir devint le
Seigneur de Juayua.
Non loin de là, Concepción de Ataco, "Lieu des Sources élevées", dont le
nom faisait honneur aux sources qui pullulaient dans la région, était un
village d'origine précolombienne fondé par les indiens pipiles au cœur de
la sierra d'Apaneca. C'était un lieu connu pour ses métiers à tisser, ses
broderies, et sa menuiserie. Cinq kilomètres plus loin, Apaneca était
l'endroit privilégié pour déguster la "graine d'or" du nom que l'on donne
au café. Le climat y était agréablement frais, habité de langoureuses
brumes qui s'accrochaient sur les cimes et aux plantations de café. Je
conserve un délicieux souvenir de la charmante "Posada de la Abuela",
restaurant typique aux couleurs gaies et aux saveurs profondément
salvadoriennes. Aux pieds de la colline d'Apaneca, dans la Finca Santa
Leticia, jadis lieu de prédilection des philosophes mayas, dormaient depuis
près de 2,600 ans trois monolithes archéologiques, rebaptisés les
gordinflones à cause de leurs généreuses rondeurs et dont on savait si peu
de choses.
La route des volcans et des lacs: un pays de feu et d'eau
Le plus petit pays d'Amérique Centrale possédait à lui seul plus de vingt
volcans, dont le plus haut s'élevait à 2,381 mètres au-dessus de l'océan (le
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volcan Ilamatepec, près de l'héroïque ville de Santa Ana), et dont le plus
jeune, le volcan Izalco, au cône de lave pétrifiée parfaitement tracé, datait
de 1770. Tous ses volcans, sans exception, portaient un nom indigène et
un nom chrétien comme pour mieux marquer la double identité de ce
peuple.
J'eus un jour le privilège unique de monter sur un hélicoptère de l'armée don des Etats-Unis d'Amérique au Salvador - qui, de vétéran de la guerre
du Vietnam avait été "recyclé" pour faire visiter le pays depuis les nuages.
Assise à la place des parachutistes, mes jambes dansant au-dessus du
vide, j'embrassais du regard les champs de canne à sucre dont le parfum si
caractéristique remontait vers nos altitudes. Ces étendues se trouvaient
aux pieds des trois volcans actifs du Salvador surgis quasiment l'un à côté
de l'autre. Le premier, l'Izalco, se trouvait à quinze kilomètres au nord-est
de Sonsonate et les indigènes l'avaient surnommé "le petit enfer des
espagnols". En effet, ses violentes éruptions détruisirent régulièrement les
récoltes, en particulier les champs de cacao. Son activité fut constante
jusqu'en 1958, reprenant en 1966. Désormais le colosse au cône parfait ne
jetait plus que quelques fumerolles inoffensives.
A ses côtés, nous survolions le Cerro Verde, paradis ornithologique avec
dix-sept classes de colibris répertoriés! Sur ce volcan, depuis le "Mirador
du Pacifique", on pouvait admirer la majesté du troisième volcan, celui de
Santa Ana-Ilamatepec, ainsi que les villages parsemés sur la route des
Fleurs, et au loin, le port d'Acajutla qui baignait dans les eaux de l'Océan
Pacifique. Au cœur d'un autre volcan, s'était formé le splendide lac de
Coatepeque qui possédait deux minuscules péninsules et l'île de Teopán
où les cultures précolombiennes avaient érigé un temple et un monolithe
à l'effigie de la déesse Ixqueye. Ses rivages étaient idéaux pour s'éloigner
des tumultes de la ville dans une végétation exubérante.
Le Salvador possédait aussi de nombreux parcs naturels, comme celui de
Montecristo ou de Deininger, 1,830 acres de forêt tropicale quasiment
vierge. J'aimais particulièrement "El Impossible" (littéralement
"L'Impossible"), dans le département d'Ahuachapan, avec ses eaux
cristallines et son site de Piedra Sellada. Là, des pétroglyphes sous le
canyon de la Rivière Guayapa, représentaient des papillons, des cercles,
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un singe et des figurines par centaines dont on méconnaissait
l'ancienneté.
Des plages oubliées, bordant un océan sans mémoire
Seul pays d'Amérique Centrale à ne pas connaître les eaux des Caraïbes, le
Salvador possédait 320 kilomètres de côtes, de plages intactes au sable
volcanique, de pittoresques villages de pêcheurs et d'étendues de
cocotiers indolents. Un peu plus à l'orient, vers la Barra de Santiago, le
paysage se transformait en mangroves habitées de hérons où l'on se
promenait à bord de cayucos embarcations en vieux bois aux couleurs
décolorées. On y trouvait même un vieil amandier qui survécut un tsunami
en 1902... J'aimais également la Baie de Jiquilisco, au cœur du
département d'Usulután, elle aussi couverte de palétuviers, et d'où l'on
voyait au loin les silhouettes majestueuses des volcans Usulután et San
Miguel-Chaparrastique. Les eaux de la baie rencontraient celles du
Pacifique près de plages où les tortues venaient pondre dans la douceur
des sables...
Au tumulte de la touristique Costa del Sol, et aux vagues adulées des
surfeurs à Sunzal et Punta Roca, je préférais le manque de vanité du Port
de La Libertad. On y mangeait les meilleures huitres du pays, des poissons
succulents comme la boca colorada et des fruits de mer tropicaux, avec
pour bruit de fond le fracas des vagues et pour panorama un horizon qui
s'évadait vers l'autre bout du monde.
Aux confins du Monde Maya
L'Histoire ancienne du Salvador avait encore beaucoup d'énigmes à livrer.
Pourtant le pays possédait un grand nombre de sites archéologiques
dormant encore dans ses entrailles et d'autres mis à jour, dont certains
remontaient aussi loin que le troisième siècle avant Jésus-Christ.
On pense que les premiers habitants du Salvador vécurent à Chalchuapa,
dans la région Tazumal, à 78 km de San Salvador, où ils édifièrent cinq
centres de cérémonies importants: Pampe, El Trapiche, Las Victorias,
Casablanca et les remarquables ruines de Tazumal, vieilles de 1,500 ans.
Les structures de ce dernier site atteignaient trente mètres de hauteur,
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surplombant un terrain de jeu de balle dont les mayas étaient
particulièrement friands pour des raisons plus rituelles que sportives.
Le village maya de Joya de Cerén (à vingt-cinq kilomètres de San Salvador),
surnommé "la Pompéi d'Amérique", avait été enterré sous les cendres du
volcan Lomo Caldera environ 1,400 ans auparavant. Déclaré Patrimoine de
l'Humanité de l'UNESCO en 1993, il portait encore les traces de la vie
quotidienne des anciens mayas, comme l'émouvante découverte d'un
champ de manioc, intact depuis des siècles. Contrairement au funeste
destin de Pompéi, les habitants de Joyas de Cerén avaient pu fuir. Les
premiers vestiges furent déblayés en 1976 sous une couche de cinq
mètres de cendres...
Sur la route panaméricaine qui partait de la capitale vers l'occident, la
région de San Andrés, l'un des plus grands centres préhispaniques,
possédait des bijoux architectoniques notamment avec son acropole...
quelques siècles plus tard, lors de l'époque coloniale, ce serait aussi l'un
des hauts-lieux de l'indigo.
Il existait tant de sites encore non explorés comme Cara Sucia, un centre
cérémonial sur la côte Pacifique dont les monticules d'origine olmèque
s'étendaient sur vingt hectares. Egoïstement, certes, j'aimais ce sentiment
de découvertes à faire encore, de reconstructions possibles, d'un avenir
qui se retrouverait dans le passé... Enfin, je citerai les ruines pipiles de
Cihuatan, à moitié ensevelies dans une vallée non loin de Suchitoto. Et
c'est ici que nous faisons un bond dans l'histoire, passant de l'archéologie
vers les jours de la colonisation...
Un joyau colonial, venu de la nuit des temps
“Lieu des oiseaux et des fleurs”, l'origine pipil de Suchitoto se perdait dans
la nuit des temps, remontant probablement à mille ans ainsi que me
l'expliqua un jour l'historien Enrique Kuny Mena que j'eus l'honneur de
connaître personnellement. Bâti dans le département de Cuscatlán, l'un
des charmes de Suchitoto résidait dans ses vues spectaculaires qui
dominaient le lac Suchitlán, artificiellement formé en 1973 sur la rivière
Lempa et au cœur duquel se trouvait la curieuse 'île de l'Ermite, boisée de
tek.
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Lorsque je me rendais dans cette placide petite ville coloniale, je me
demandais immanquablement à quoi pouvaient bien encore rêver ses
vieilles casonas aux murs blanchis à la chaux et aux toits de tuile?
Probablement aux images d'un temps révolu: de romantiques balcons
perchés sur des rues pavées, qui semblaient donner la réplique aux
généreux arbres tepemixque à la gaie floraison jaune; une église aux
coupoles tapissées de porcelaine donnée jadis par une fiancée heureuse;
des nuits nimbées de lune nacrée; des mélodies de guitare perdues dans
le secret des ruelles; une florissante industrie de l'indigo égarée dans les
rouages de la modernité...
Suchitoto était habitée d'illustres personnages, comme Doña Victoria
Acosta qui fabriquait artisanalement des cigares pour les revendre depuis
son balcon, ou encore don Alejandro Coto, un des défenseurs de la vie
culturelle de Suchitoto, qui m'ouvrit aimablement les portes de sa maison.
Dans celle-ci, reconvertie en musée, le cinéaste et écrivain salvadorien,
avait réuni un choix éclectique d'œuvres d'art plastique et d'art religieux.
Le patio de sa maison avait plus de trois siècles, et depuis la quiétude de
son jardin, j'admirais une autre perspective du lac Suchitlán... ce même lac
que l'on observait d'un angle différent, à l'autre bout du village, depuis la
Posada de Suchitlán. Cette auberge au restaurant panoramique était le
lieu privilégié pour observer l'envol d'oiseaux migrateurs comme les
canards sauvages, les mouettes et les hérons qui se reflétaint sur le lac.
On pouvait se promener à cheval dans les alentours de Suchitoto pour
visiter les singulières cascades de los Tercios dont la paroi verticale était
formée de blocs hexagonaux parfaits. L'Hacienda la Bermuda, fondation
de la première ville de San Salvador, se trouvait à une dizaine de
kilomètres au sud de Suchitoto et avait connu une vie agitée grâce aux
remous de l'histoire, entre les bandoleros venus du Nicaragua, et les
rébellions des tribus lencas, avant que la capitale ne fût définitivement
déplacée vers son lieu actuel, en 1545.
La route de la Paix, un pas nécessaire vers l'oubli
A l'orient du pays, dans le département de Morazán, peut-être un peu
plus isolé que tous les recoins que je viens d'évoquer, se trouvait la zone la
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plus ensanglantée lors des douze années de guerre civile. La route de la
Paix avait été symboliquement tracée pour conjurer ce sombre passé. A El
Perquín, longtemps connue comme la capitale guerillera, se trouvait le
Musée de la Révolution qui racontait l'histoire du conflit armé depuis la
perspective des guérilleros. C'était désormais un havre de paix, un lieu où
chantaient les colibris, les toucans et les perruches, là où quelques années
auparavant avait parlé le fracas des armes.
Jocaitique, communauté d'indiens lencas, dans les montagnes du nord,
était un autre village remarquable, recensé depuis 1530 par les
Conquistadores Espagnols. En Septembre on y célébrait la Vierge de
Mercedes, avec une pittoresque procession de la Mojianga, gigantesque
poupée qui faisait danser le village tout entier alors qu'un chœur chantait
des "bombas", histoires relatant les évènements du village...
Un pays à taille humaine
J'ai décrit "mon Salvador personnel" en employant volontairement le
passé pour évoquer les lieux que j'ai le mieux connus et aimés. J'ai pris le
risque d'écrire cet article exactement dix années après avoir quitté le
Salvador et y être retournée seulement deux fois. Il existe encore bien
d'autres endroits du Salvador auxquels je ne rends certainement pas
justice en les gardant sous silence, mais c'est eux que je voudrais
découvrir lors de mon prochain voyage là-bas... Car vous l'avez sans doute
compris: je suis tombée irrémédiablement sous le charme du Salvador et
me languis d'y retourner encore et encore.
On me soutient qu'il s'agit du pays le plus dangereux au monde, à cause
des maras, un de ses produits d'exportation involontaire. Je ne m'y suis
jamais sentie en insécurité et pourtant, j'ai parcouru ses endroits les plus
isolés, me suis retrouvée dans les situations les plus étranges. J'ai le
souvenir de m'être rendue seule à San Miguel, dans l'orient, voir l'un de
mes clients potentiels. L'entreprise pour laquelle je travaillais à l'époque
avait convenu de venir me chercher en avionnette pour me ramener à San
Salvador. Je me revois sur la piste d'atterrissage improvisée et déserte du
Papalón, à quelques kilomètres de San Miguel, anachronique en tailleur et
talons sous une chaleur de fournaise, complètement seule à attendre au
milieu de nulle part que mon avion veuille bien apparaître à l'horizon...
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J'aurais pu disparaître là, sans laisser de traces. Mais le Salvador m'a
bénie... et avec le bonheur d'avoir connu et aimé les Salvadoriens, parfois
j'ai eu aussi mal. Voici donc venu le moment d'une confidence...
En effet, je suis propriétaire d'un plant de café à San Salvador qui me lie
symboliquement à ce pays. Il se trouve dans le jardin d'un grand ami,
Herbert M. avec lequel j'avais fait un pacte, lorsque je suis partie en 1999,
celui de revenir au Salvador un jour pour y gérer ma propre finca de café.
Herbert a été victime d'un enlèvement. Ainsi que je le lui avais promis, je
suis retournée au Salvador en 2001, mais ni lui ni moi ne pouvions savoir
que ce serait pour lui rendre un dernier hommage... sur sa tombe. Vous
entendrez beaucoup d'histoires d'horreur, mais je voudrais seulement
penser au pardon et à la guérison graduelle nécessaire après les années de
guerre. Dans La Rivière des Vents, roman que j'ai écrit bien après mon
départ, vous retrouverez l'amour que je porte à ce pays, au-delà des
déchirures qu'il ait pu causer.
Lorsque j'ai quitté le Salvador, j'ai eu l'opportunité de faire mes adieux
devant une assemblée d'amis dans laquelle se trouvait Armando Calderón
Sol, qui venait de laisser la présidence de la république. Je dois dire que je
ne suis pas spécialement portée sur les discours, mais plutôt sur la
discrétion d'une plume... mais là, c'était mon cœur qui parlait, et j'ai
promis que où que je sois au monde, Le Salvador serait présent aussi. Joli
clin d'œil, en coulisses, Armando Calderón Sol est venu me voir pour me
dire qu'il était d'accord que je sois (même extra-officiellement)
"ambassadrice du cœur" de son pays. C'est le plus grand honneur que le
Salvador m'ait fait à ce jour.
(1) hymenaea courbaril
(2)Mara Salvatrucha: l'un des gangs les plus virulents nés après la guerre
civile aux Etats-unis et "réimportés" au Salvador
(3) Chelita: la "blanche". Contrairement à l'Europe où l'on est blond ou
brun suivant la couleur de sa chevelure, au Salvador, comme dans
plusieurs pays d'Amérique Centrale, on est blanc ou brun suivant la couleur
de sa peau.
(4) Valle de las Hamacas: "vallée des hamacs".
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(5) Guanacos: surnom donné aux habitants de San Salvador, qui à l'image
de ces camélidés sont d'une curiosité parfois déroutante

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