Dossier n°24 –UNE EUROPE DE LA DEFENSE EST

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Dossier n°24 –UNE EUROPE DE LA DEFENSE EST
Dossier n°24 –UNE EUROPE DE LA DEFENSE EST-ELLE POSSIBLE ?
De la place de la défense dans l’Union Européenne
En chiffre
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20 et 100 : c’est la fourchette, en milliards d’euros, de perte estimée dans le secteur militaire
selon Jean-Claude Juncker du fait du manque de coopération
N.B. : La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne suscite l’inquiétude et interroge quant à l’Europe de
la défense, même si beaucoup croit que la sortie du plus eurosceptique pourrait avoir des effets positifs sur
les projets européens. La mise en place d’une Europe de la défense implique une intégration plus
importante des Etats membres, pour laquelle très peu sont volontaires. Ainsi Vivian Pertusot, expert à
l’Institut français des relations internationales (Ifri) de Bruxelles, souligne « Aller plus loin en matière de
défense signifie une forme d'intégration que très peu d'Etats membres ont envie d'explorer ».
I.
Le renforcement du couple franco-allemand pour une Europe de la défense
Après la victoire des partisans du Brexit, la France et l’Allemagne cherchent à relancer l’Union européenne par la mise en place
d’une feuille de route introduisant une perspective d’Europe de la défense. Dans un rapport de six pages transmis à la chef de la
diplomatie européenne, Federica Mogherini, les ministres de la défense français et allemand, Jean-Yves Le Driand et Ursula von
der Leyen, mettent en avant un « contexte sécuritaire dégradé » et préconisent « des initiatives fortes dans le domaine de la
défense des citoyens et des valeurs de la défense européenne ».
Le rapport insiste sur trois points essentiels, faciliter le déploiement opérationnel des forces européennes dans le cadre de la
politique de sécurité et de défense commune (PSDC), apporter une plus grande crédibilité au Conseil européen, dont les
décisions restent le plus souvent inappliquées, et renforcer l’autonomie de l’Union européenne à travers le développement
d’une coopération industrielle et technologique plus innovante et compétitive.
La France et l’Allemagne cherchent principalement à faciliter le déclenchement des opérations militaires de l’Union européenne.
Comme le précisent des sources du Ministère de la défense, « Ce qu'on cherche, c'est à déclencher plus facilement des
opérations de l'UE. On n'est pas parti sur des grandes idées ou des grandes orientations qui ne mèneront nulle part ». La question
du financement des opérations sera au cœur des discussions, leurs coûts étant actuellement laissés à la charge des Etats
membres.
Depuis leur lancement, les opérations militaires européennes sont initiées avec difficulté, du fait du manque de moyens
financiers et humains mis à disposition par les États membres et un défaut de structure permanente. Comme le soulignait JeanClaude Juncker (le président de la Commission européenne) au Parlement européen de Strasbourg le 14 septembre dernier, « Au
cours des dix dernières années, nous avons participé à plus de 30 missions civiles et militaires de l’UE au départ de l’Afrique vers
l’Afghanistan. Mais sans structure permanente, nous ne pouvons pas agir de manière efficace. Les opérations urgentes sont
retardées. ». Parmi les missions européennes la lutte contre la piraterie maritime (mission Atalante), la mission de formation des
armées africaines (EUTM Somalia, EUTM Mali, EUTM RCA …) ou la mission de lutte contre les passeurs de migrants (mission
Sophia).
Le rapport mentionne que le corps d’armée européen, l’ « Eurocorps », composé de six Nations (France, Allemagne, Belgique,
Italie, Luxembourg, Pologne) dont le commandement est situé à Strasbourg, aurait pour mission la mise en place des étapes
nécessaires à l’engagement opérationnel de l’Union européenne. À ce titre, Jean-Claude Juncker appelait à la mise en place d’un
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état-major européen, « Nous avons des sièges distincts pour des missions parallèles, même lorsqu’elles se déroulent dans le
même pays ou dans la même ville. Il est temps que nous ayons un siège unique pour ces opérations. »
Le rapport franco-allemand évoque plusieurs solutions pour améliorer les capacités opérationnelles de l’Union européenne. La
mise en place de réservoirs de conseillers et de formateurs mobilisables rapidement, répondant au manque d’effectifs
disponibles pour les opérations, la mutualisation des moyens de transports au sein d’un hub logistique, le partage de l’imagerie
satellitaire et la création d’un commandement médical européen prenant à charge les blessés sur les théâtres d’opération. Aussi,
il est question du lancement d’un programme ERASMUS pour les élèves officiers européens.
La France et l’Allemagne appellent aussi à accroître les investissements dans la recherche militaire pour favoriser une industrie
de défense européenne. Ainsi, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est une
des priorités. Selon le Président de la Commission européenne Jean Claude Juncker, ce manque de coopération dans le secteur
militaire engendre une perte oscillant entre « 20 et 100 milliards d’euros par an ». Pour y faire face, le président de la
Commission européenne a proposé d’ici la fin de l’année « la création d'un Fonds européen de la défense » pour stimuler la
recherche et l’innovation.
II.
Le Royaume-Uni : « un pied dehors et un pied dedans »
Lundi 5 et 6 septembre, au sein de l’École Polytechnique à Paris, avait lieu l’Université d’Été de la défense avec comme un des
thèmes principaux la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et l’évolution de la menace terroriste. Comment affectera-telle la mise en place d’une défense européenne ? Cette question était au cœur des discussions.
Considérant la France comme un allié militaire important, Londres a envoyé à Paris son ministre de la Défense, Michael Fallon,
pour assister à l’évènement. Ce dernier, a joué la carte de la clarté mentionnant « Brexit means Brexit » (Le Brexit signifie Brexit,
le Brexit aura bien lieu).
Décrivant les divergences nationales au sein de l’Union européenne, Michael Fallon estime que la sécurité du Royaume-Uni et du
continent européen passe par l’OTAN, « La relation transatlantique reste fondamentale pour le Royaume-Uni et pour l’Europe ».
Il estime cependant qu’une autre voie existe pour une défense européenne, celle du renforcement des relations avec la France,
autre puissance militaire majeure. Ainsi, il souhaite l’ « élargissement et un approfondissement » des traités de Lancaster House
de 2010, au centre de la coopération militaire franco-britannique.
Bien que le Royaume-Uni soit sorti de l’Union européenne et que la coopération franco-britannique ne soit plus perçue comme
une vitrine européenne, le partenariat continuera d’exister. D’ailleurs, il n’est nullement question pour l’Etat français de revenir
sur cette coopération bilatérale. Comme l’affirmait, François Hollande le 24 juin dernier « Nos relations étroites en matière de
défense seront préservées ». Il est difficile de remettre en cause une coopération ayant permis la montée en puissance d’une
entreprise comme MBDA, exemple d’une intégration industrielle européenne et champion européen sur le marché mondial.
Toutefois, la France peut réorienter sa politique de coopération en matière de défense vers d’autres pays européens, comme
l’Allemagne, pour essayer de faire rayonner le savoir-faire européen. Aussi il convient de noter, que la France s’est
volontairement détournée de l’Union européenne lorsqu’elle a constaté que ses alliés européens se révélaient inutiles lors de
ses opérations extérieures.
Au vu de leurs capacités militaires, l’engagement du Royaume-Uni, de la France et l’Allemagne semble nécessaire à la mise en
place d’une défense européenne consistante.
Autre problème à résoudre pour une Europe de la défense, celui du manque de coordination au niveau industriel. La constitution
d’une défense européenne passera par des programmes communs en matière d’industrie de défense. A cet effet, l’Agence
européenne de défense a été créée durant la Convention européenne en 2002. Cependant, son développement a été ralenti par
la Grande-Bretagne qui refusait de la soutenir financièrement.
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Le fait que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne entraîne une baisse des capacités opérationnelles de l’Union européenne.
Il ne sera désormais plus possible de faire appel à l’article 42-7 du Traité de l’Union européenne, prévoyant une assistance
militaire à tout État membre qui serait attaqué. Toutefois, malgré la baisse engendrée, le départ du Royaume-Uni favorisera la
création d’un état-major européen, comme le souhaite le président de la Commission européenne. Londres y a toujours été
opposé, estimant que la mise en place d’un quartier général ne constituerait qu’un doublon à l’OTAN. Le ministre des affaires
étrangères britannique de l’époque, William Hague, estimait en 2011 au sujet d’un quartier général de l’Union européenne
« Nous ne l’accepterons pas maintenant, nous ne l’accepterons pas à l’avenir. ».
III.
Washington et sa politique anti-européenne
Au cœur du désaccord européen sur la création d’une Europe de la défense, l’OTAN. Faut-il créer une Europe de la défense pour
composer une alternative à l’OTAN et mieux servir les intérêts européens, ou créer une défense européenne qui lui serait
complémentaire?
Ces questions sont de plus en plus en plus d’actualité au vu des programmes des candidats à l’élection présidentielle outreAtlantique. Alors que Donald Trump appelait ouvertement à ce que les pays alliés des Etats-Unis payent une contribution
financière plus importante pour bénéficier de leur protection, la politique d’Hilary Clinton serait-elle différente ? Le bouclier antimissile coûte très cher, malgré son inefficacité au vu des armes actuelles dont les États comme la Russie ont à leur disposition.
Hilary Clinton, bien plus interventionniste que Trump au niveau des affaires étrangères, pratiquerait une politique similaire.
Alors que la France est le troisième contributeur de l’OTAN, devant le Royaume-Uni, serait-il normal qu’elle dépense davantage
pour une protection, remise en question? Les États européens auront-ils l’obligation de contribuer plus au regard des avantages
qu’ils procurent aux Etats-Unis ? Les Européens par leurs investissements dans les matériels militaires américains permettent de
financer une partie des dépenses de défense américaines et constituent une première ligne stratégique en cas de guerre face
aux pays de l’est, principalement la Russie.
L’OTAN, créée initialement par le traité de Washington comme un instrument politique et militaire ayant pour objectif
d’empêcher l’invasion de l’Europe occidentale par les forces bolchéviques n’a pas disparu à la fin de la Guerre froide et après
l’effondrement de l’Union bolchévique. Pouvons-nous certifier aujourd’hui que la Russie est une menace pour l’Union
européenne ? Au regard de l’agrandissement de la zone d’influence de l’OTAN à l’Est, et celle de la Russie à l’Ouest, il semblerait
que l’OTAN menace plus la Russie que l’inverse. Aussi, lorsque nous regardons les dépenses militaires russes, il paraît évident
que la Russie investit dans des matériels dits « défensifs » et non « offensifs ». Par son origine, la légitimité de l’OTAN peut
aujourd’hui être remise en cause. Il semble plus qu’elle constitue un outil de pression des Etats-Unis et de discordance entre
l’Union européenne et la Russie au service de l’Amérique.
Celle-ci est-elle toujours utile au regard de la pluralité des pays qui la compose ? L’Union européenne a-t-elle les mêmes intérêts
que les Etats-Unis ou la Turquie ? La guerre nous opposant à l’Etat islamique a prouvé le contraire. Alors que nous étions frappés
par les terroristes sur notre territoire, la Turquie continuait de laisser les djihadistes prospérer, déstabiliser la région, et menacer
l’Europe par la même occasion. De plus, il ne semble pas que les valeurs partagées par l’Etat Turc soient celles de nos pays. A
bon entendeur …
Une Europe de la défense serait intéressante si elle constituait un outil de substitution à l’OTAN pour les pays européens.
L’Europe est cependant loin d’y parvenir au regard des intérêts multiples qui la composent. Le sommet de Brastilava, le 16
septembre dernier, sources d’espérances, a été un échec. Comme le déplorait l’eurodéputé (LR) Arnaud Danjean « Le sommet de
Bratislava, il n’y a vraiment pas de quoi s’enthousiasmer ! Il y a trois ou quatre lignes sur la défense pour dire « on se verra en
décembre pour savoir comment on met en œuvre ce qui a été décidé ». L’avenir de l’union européenne dépendra de sa capacité à
se reprendre en main.
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