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Introduction1
Qu’est-ce que créer ? Tout l’enjeu de ce texte de Bergson est de saisir l’originalité du processus de création.
Cette originalité se saisit dans le statut du temps nécessaire au processus de création. En quoi le temps est-il ici
nécessaire ? Pour répondre à cette question, Bergson compare le statut du temps dans la reconstitution d’une
image et celui du temps nécessaire à la création d’une image. Peut-on dire de l’artiste qu’il ne fait que réaliser
dans le temps une idée qui préexiste dans son imagination, ou faut-il dire que le temps pris par le processus a luimême une dimension créatrice ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Dans la reconstitution d’une image, le temps est une détermination accidentelle
A. La reconstitution d’une image n’exige aucun temps déterminé
La première partie du texte part d’un exemple (un enfant qui s’amuse avec un “ jeu de patience ”, soit un puzzle)
qu’il faut comprendre comme un point de référence à partir duquel on pourra saisir l’originalité du processus de
création artistique. Pourquoi analyser cet exemple ? On peut d’abord mettre en avant la similitude qui existe
entre le fait de reconstituer un puzzle et le fait de créer une œuvre d’art : dans les deux cas, il faut engager un
processus de travail qui aboutit à une image – processus de travail qui implique un certain temps de travail. Un
puzzle est un jeu de “ patience ” : il est bien connu que faire un puzzle prend du temps, voire beaucoup de temps.
Mais qu’en est-il de ce temps pris ? Bergson montre que ce temps doit se concevoir de manière quantitative, et
que cette quantité de temps est relative : l’exercice fréquent entraîne une disposition qui facilite le travail en
diminuant le temps de travail. Plus l’exercice est fréquent, plus le temps de travail diminue. “ L’opération
n’exige donc pas un temps déterminé ”, on peut aboutir à l’image finale plus ou moins rapidement. La quantité
de temps nécessaire à l’opération est relative.
B. Elle n’exige même aucun temps
Mais comment comprendre l’affirmation selon laquelle cette opération “ n’exige aucun temps ” ? Il est
indéniable que d’un point de vue pratique le fait de faire un puzzle est une opération qui prend du temps. Mais ce
temps pris n’est pas une caractéristique essentielle, ce n’est pas un requisit (“ exige ”) qui découle de la nature
même de l’opération. L’opération désigne le processus qui mène à l’image finale. Si on considère cette opération
“ théoriquement ”, c’est-à-dire si l’on conçoit sa nature, on comprend qu’elle consiste en un travail de
reconstitution dont le “ résultat ” (la fin, le but) est donné avant même que l’opération ne débute. L’opération
n’est pas création mais recomposition des différentes parties, pour retrouver un tout donné d’avance.
L’opération n’exige donc aucun temps : d’abord l’image finale était présente de manière “ instantanée ” quand
l’enfant ouvrait la boîte toute neuve ; en effet, aucune quantité mesurable de temps n’était nécessaire à sa
formation, puisqu’elle était donnée. Ensuite, le travail de recomposition peut être accéléré par l’exercice ; on
peut en droit considérer la quantité de temps nécessaire à ce travail comme nulle (“ instantané ”) si l’on pousse à
la limite cette facilité donnée par l’exercice.
2. Dans la création d’une image, le temps est une détermination essentielle
Ainsi, la reconstitution d’une image n’implique pas le temps de manière essentielle. Qu’en est-il maintenant dans
le cas de la création d’une image ? La thèse de Bergson est explicite dans cette seconde partie. Dans la création,
le temps n’est pas un “ accessoire ”, ce n’est pas une détermination accidentelle, mais au contraire essentielle au
processus.
A. La création implique la durée comme détermination qualitative du temps
En effet, créer, c’est – dans le cas de la peinture, qui sera l’exemple de la troisième partie – certes aboutir à une
image, mais celle-ci n’est pas donnée d’avance. L’artiste doit la “ tirer du fond de son âme ” : l’utilisation de la
métaphore révèle ici l’originalité du processus de création. La métaphore n’implique pas une préexistence en
idée de l’image finale : le fond de l’âme renvoie à un territoire obscur dans lequel l’image ne peut exister que de
manière indéfinie. Ce n’est que par sa réalisation que l’image accède à une existence véritable.
Pour aboutir à cette existence véritable, le temps est cette fois-ci exigé : le temps de travail n’est pas un simple “
intervalle ”, c’est-à-dire une quantité secondaire et préparatoire. Le temps de la création doit ici être compris
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comme “ durée ”. Cette durée a d’abord un sens quantitatif. Contrairement à ce que l’on voyait en première
partie, cette quantité de temps n’est pas relative mais déterminée. Rallonger ou raccourcir le temps de travail,
c’est modifier le travail lui-même. La quantité de temps est donc essentielle. Mais ce caractère essentiel de la
quantité de temps ne vaut que parce que la durée a plus fondamentalement un sens qualitatif. La durée n’est pas
un simple laps de temps mesurable, mais désigne une temporalité originale investie par la vie intérieure de
l’artiste (“ l’évolution psychologique qui la remplit ”). En ce sens, le processus de travail se confond avec le
temps de travail, ce temps habité par les différentes tentatives, hésitations et esquisses de l’artiste.
A l’instantanéité de l’image reconstituée il faut opposer l’élaboration de l’image créée. Créer, c’est en effet
inventer (“ invention ”), c’est-à-dire trouver quelque chose qui n’existe pas encore. Encore une fois, “ tirer du
fond de son âme ” ce n’est pas passer de l’idée à la chose, parce que l’idée n’existe véritablement qu’avec la
chose. C’est en prenant “ corps ” sur la toile, en se matérialisant, que l’idée existe et que l’artiste en prend
conscience.
B. La création diffère de la production
Créer, inventer, ce n’est donc pas seulement produire. En effet, si Marx affirme qu’il y a une différence de nature
entre les opérations animales et la production humaine, on peut avec Bergson voir ici une autre différence de
nature entre le travail de production et le travail de création. Pour Marx, l’animal opère de manière instinctive,
alors que l’homme travaille et produit en fonction de représentations : “ ce qui distingue dès l’abord le plus
mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire
dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur ” (Marx,
le Capital). Ici, la production est simple réalisation, il s’agit de passer de la chose en idée à la chose réelle. A ce
processus de production on peut, avec Bergson, opposer le processus de création dans lequel l’idée s’élabore en
même temps que la chose. Créer, ce n’est donc pas passer du possible au réel, mais inventer un possible au fur et
à mesure de sa réalisation.
C. La création peut se comprendre par la référence à la métaphore de la vie
Les déterminations finales (“ enfin ”) achèvent cette caractérisation de la création dans la durée : la métaphore de
la vie (“ processus vital ”, “ maturation ”) indique que le processus de création est indécomposable. Il n’y a pas à
distinguer entre un début (une représentation consciente), une fin (l’œuvre réalisée), et un mouvement qui permet
de passer de l’un à l’autre. Il faut penser la continuité du processus entre le créateur et sa création tout comme on
pense la continuité entre le germe et la plante, la seconde étant déjà réellement présente dans le premier.
3. La profonde originalité du processus de création
La troisième partie renforce encore l’originalité du processus de création.
A. La connaissance des différents éléments d’une œuvre d’art ne suffit pas à comprendre la création de
l’œuvre
La création n’est en aucun cas réductible à une opération technique. En effet, un produit de la technique est une
réponse à un certain besoin. Le besoin étant déterminé, les matériaux étant donnés, on peut prévoir le résultat de
l’opération ; si celui-ci nous surprend, ce n’est que pour des raisons accidentelles, mais l’essentiel, le fait qu’il
remplisse sa fonction, est prévisible. Il en va tout autrement dans le cas de la création artistique (ici, la réalisation
d’un portrait). On a beau posséder les “ éléments du problème ”, c’est-à-dire connaître le modèle, les matériaux
utilisés, la technique ou les habitudes propres au peintre, on ne sait pour autant comment il faut combiner ces
éléments. Pour faire un puzzle, la règle combinatoire est donnée, puisque l’on sait d’emblée à quel résultat on
doit aboutir. Pour produire un objet technique, on peut trouver la règle qui permet de combiner les éléments
techniques et matériels en réfléchissant à la fonction qu’est censé accomplir cet objet. Mais comment trouver la
règle qui ordonne la création d’une œuvre d’art ?
B. Imagination reproductrice et imagination créatrice
On peut, avec Bergson, affirmer que dans l’art, l’imagination est véritablement créatrice, et non simplement
reproductrice. Pour Descartes, par contre, l’imagination est toujours reproductrice, même quand elle invente des
animaux fabuleux. Les peintres qui représentent des sirènes ou des satyres “ font seulement un certain mélange
et composition des membres de divers animaux ” (Méditations métaphysiques, 1). Pour Bergson, l’invention
artistique n’est pas seulement dans l’extravagance du tout constitué par l’assemblage de différentes parties
reproduites, mais dans l’originalité d’une règle de composition qui ne se donne que dans le temps de la création.
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C. Ce rien qui est le tout de l’œuvre d’art
Comment comprendre le paradoxe selon lequel le tout de l’œuvre d’art est un “ imprévisible rien ” ? Le tout de
l’œuvre d’art, c’est ce qui fait sa richesse et son absolue singularité en soi et par rapport à toute production
technique. Ce tout est un “ rien ”, en ce qu’il n’est pas donné d’avance, il ne préexiste dans aucun des éléments
de départ : il est inventé avec l’œuvre elle-même. C’est pourquoi il est imprévisible. La règle qui combine les
éléments n’apparaît qu’avec l’œuvre elle-même. Encore une fois, l’œuvre n’est pas la réalisation d’un possible
préexistant ; ce n’est qu’une fois l’œuvre créée que l’on peut dire de ce possible qu’il aura été possible.
Certes, on peut prévoir que l’œuvre ressemblera à son modèle et à l’artiste, mais cette prévision reste “ abstraite
”, c’est-à-dire ici indéfinie. Cette double ressemblance est en effet problématique. D’abord, la recherche de la
ressemblance au modèle n’éloigne-t-elle pas le peintre de lui-même ? Et la recherche de la ressemblance à luimême n’éloigne-t-elle pas le peintre de son modèle ? Ensuite, à la limite, un peintre qui cherche une
ressemblance parfaite avec le modèle ne fait que se poser une question technique ; et un peintre qui cherche
uniquement une ressemblance avec lui-même, avec sa manière de peindre, ne fait que se parodier lui-même. Le
rien, qui fait le tout de l’œuvre d’art, ne se donne donc pas d’une connaissance abstraite, mais uniquement dans
cette “ solution concrète ” qu’est l’œuvre achevée. Ce rien “ prend ” donc “ du temps ” : il ne peut préexister à
l’œuvre elle-même, et il ne se donne que dans la durée qui l’a fait exister.
Conclusion
Ce texte de Bergson permet de dégager l’originalité profonde de la création artistique. Créer ce n’est pas
reproduire, mais inventer, faire advenir la nouveauté de manière imprévisible. Ce surgissement implique le
temps de manière essentielle, non seulement quantitativement, mais surtout qualitativement : la création “ prend
du temps ” parce qu’elle prend le temps, elle l’investit de son élan créateur.
Ouvertures
LECTURES
– Bergson, La Pensée et le Mouvant, PUF, coll. “ Quadrige ”.
– Marx, Le Capital, Éditions Sociales.
– Descartes, Méditations métaphysiques, Hatier, coll. “ Classiques ”.
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