Les nouveaux modèles d`organisation d`entreprise

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Les nouveaux modèles d`organisation d`entreprise
best practices revues et corrigées
• Les nouveaux modèles
d’organisation d’entreprise
Par Christophe Legrenzi, chercheur et consultant international, expert associé de Best Practices
Systèmes d’information, et Catherine Gapaillard, experte en gouvernance, stratégie et innovation
L’organisation du travail conditionne inéluctablement la façon de travailler des collaborateurs et
des entreprises. Elle influence à la fois la productivité et l’innovation. C’est donc une composante
essentielle de la compétitivité.
P
eu d’entreprises remettent en question leur fonctionnement
et leur modèle d’organisation. Celui-ci trouve son origine
dans l’histoire de l’entreprise, dans un contexte particulier, qui
ne correspond probablement plus aux enjeux actuels.
1. Présentation de
l a Best Practice
Dans son ouvrage Practical Steps for Aligning Information
Technology with Business Strategies, How to achieve a Competitive
Advantage, Bernard Boar explique comment nous sommes passés
d’une société nomade, agraire, commerçante, puis industrielle,
à l’ère de la connaissance et de l’information.
En effet, les organisations d’aujourd’hui reposent sur le concept
simple, mais puissant, de « spécialisation », qui a été formalisé
par Adam Smith, père de l’économie classique, dans La Richesse
des Nations. En prenant le fameux exemple de la fabrication
des épingles, il démontre que l’on produit bien plus d’unités
si chaque opération du processus de fabrication est toujours
confiée à la même personne, plutôt que si chaque ouvrier
réalise l’ensemble des tâches. Dans ce cas, une hyperstructure
est nécessaire pour coordonner le fonctionnement général et
assurer la fluidité des différentes étapes de production.
Cette hyperstructure est représentée par l’organigramme et le
management, garant de la cohérence d’ensemble du processus
de fabrication désormais découpé en opérations. Il est à noter
qu’avant l’ère industrielle, à l’ère primaire, chaque individu
réalisait toutes les tâches du processus de fabrication. On a donc
toujours travaillé en processus. Simplement, tous les ouvriers
réalisaient alors toutes les tâches.
La spécialisation a tellement bien fonctionné que les entreprises
l’ayant choisi ont prospéré et sont passées de quelques employés
à plusieurs centaines, voire millions, de collaborateurs… C’est
le modèle de fonctionnement central du monde industriel. Il a
été popularisé par l’organisation scientifique du travail, dont le
chantre était Frederick Winslow Taylor, et par des entreprises
telle que Ford. La complexité croissante des entreprises et
l’externalisation progressive des activités, conjuguées au
10 • découpage des processus métiers en opérations unitaires, ont
peu à peu « verticalisé » les organisations. Cela a demandé
toujours plus d’encadrement et nécessité la mise en place de
fonctions support « transverses » telles que l’organisation,
la qualité, etc., garantes de la cohérence d’ensemble et de la
performance globale. Ces organisations hiérarchisées ont généré
des mastodontes, peu flexibles et peu réactifs, inadaptés aux
nouvelles contraintes du monde actuel.
Aujourd’hui, les entreprises doivent faire face à de nouveaux
enjeux : la mondialisation de l’économie, l’accélération du cycle
de vie des produits, la complexité croissante des technologies, la
volatilité des consommateurs… Ces nouveaux défis requièrent
toujours plus de réactivité et d’efficacité. Les entreprises sont
contraintes de faire évoluer leurs organisations vers des structures
plus souples, capables de s’adapter à leur environnement.
Par ailleurs, les salariés ont également évolué : de peu éduqués
et peu formés au début de l’ère industrielle, ils sont aujourd’hui
plus aptes à prendre des initiatives, à faire face aux imprévus et
à s’adapter au changement. Leurs attentes à l’égard du travail
ont également changé : ils aspirent au progrès et à l’autonomie,
à la réalisation de soi… autant d’aspirations qui se conjuguent
finalement peu avec le modèle d’organisation hiérarchique très
rigide de nos entreprises actuelles.
Ce nouveau contexte nous oblige à élaborer de nouveaux modèles
organisationnels, d’autant plus que les outils informatiques et
les moyens de communication ont modifié la façon de travailler
et les relations entre les acteurs.
2. Regard critique
John Kotter, reconnu comme le plus grand expert en
gestion du changement, explique que les entreprises les
plus agiles, innovantes, mettent en place, parallèlement
à l’organigramme, une structure en réseau, fluide, à
même de formuler continuellement et d’implémenter la
stratégie. Compte tenu du niveau d’éducation moyen des
collaborateurs et des outils disponibles, il semble bien que
l’organigramme traditionnel aux multiples couches, aussi
déresponsabilisantes et démotivantes qu’inefficaces, ne soit
Best Practices - Systèmes d’Information - N° 140 - 1er décembre 2014
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plus adapté. De nouvelles tendances apparaissent, mettant
en avant la responsabilisation des salariés à tous les niveaux
de la hiérarchie, la fin du salariat et de l’emploi « à vie »
dans les entreprises.
Le cas de l’entreprise Morning Star est emblématique. Il a
été décrit par le spécialiste américain du management Gary
Hamel dans un article paru dans la Harvard Business Review :
« Commençons par supprimer tous les managers ». Il explique
comment, grâce à une organisation en centres de profit et à
l’entière responsabilisation des collaborateurs, l’entreprise a réussi
à supprimer tout encadrement hiérarchique. Tout se passe par
contrat fixé entre personnes et a pour conséquence d’élever le
niveau d’expertise et la prise d’initiatives. L’organisation est plus
performante et s’adapte rapidement aux nouveaux besoins. Gary
Hamel indique également que les salariés sont mieux payés
(l’absence de managers permet de donner des salaires supérieurs
de 10 % à 15 % à ceux du marché) et sont plus motivés.
Mais, en regardant de plus près, on s’aperçoit que, contrairement
à ce que suggère le titre provocateur de l’article, le management
ne disparait pas vraiment : il est en réalité déporté vers les
collaborateurs. Chez Google, par exemple, par un mécanisme
ingénieux d’organisation du temps de travail, trois tâches de
management sont déportées sur les salariés : l’innovation, le
leadership, l’évaluation.
Parallèlement à cette nouvelle responsabilisation des
collaborateurs, de nouveaux modèles émergent comme l’open
book management, où les dirigeants partagent avec l’ensemble
des collaborateurs les résultats financiers de l’entreprise en
toute transparence. Ceci a pour conséquence de les rendre plus
impliqués et plus motivés.
Apparue dans les entreprises dans les années soixante,
l’informatique a fortement impacté l’organisation du travail.
L’industrie de la micro-informatique a imposé sa vision « un
ordinateur sur chaque bureau », sans que les entreprises n’aient
pris le temps de repenser leur fonctionnement. L’ordinateur a eu
tendance à reconcentrer toutes les tâches de nature bureautique et
administrative sur le collaborateur, faisant peu à peu disparaître
les secrétaires, aides administratifs ou autres assistants. Rappelons
que, dans le monde industriel, on attribuait systématiquement à
un manager ou une personne d’expérience un assistant ou une
secrétaire, afin qu’il puisse mieux se concentrer sur son métier
et les tâches à forte valeur ajoutée. On estimait qu’il passait
ainsi près de 70 % de son temps sur ce type de tâches, alors
qu’aujourd’hui c’est l’inverse. Nous sommes donc face à une
ineptie économique.
A l’instar du monde industriel, il faut repenser les tâches des
« cols blancs », encore appelés « travailleurs de l’information ».
Pourquoi ne pas penser « spécialisation » au travers de « centres
de services spécialisés » ?
3. Que faire ?
Quelques pistes de solutions
Dans son ouvrage Strategy Safari, A guided tour Through the wilds
of Strategic Management, paru en 2005, Henry Mintzberg, l’un
des gourous en matière d’organisation, présente les dix écoles
ou modèles de stratégie qui ont émergé au cours des quatre
dernières décennies, souvent en fonction de la gouvernance
d’entreprise choisie. Cela va de l’école conceptuelle proactive
à l’école réactive, en passant par l’école entrepreneuriale,
culturelle ou environnementale. Aujourd’hui, les salariés sont
de plus en plus éduqués et formés. De plus en plus de tâches
de management leur sont transférées. Ils aspirent à d’avantage
d’autonomie et, de fait, ont de plus en plus de pouvoir. Dans
ce contexte de nouvelle répartition des pouvoirs, le manager ne
peut plus se contenter de « planifier, organiser, diriger, coordonner,
contrôler » selon la définition de Henri Fayol.
Dans son dernier ouvrage, paru en 2014, Manager, ce que font
vraiment les managers, Henry Mintzberg indique que la position
traditionnelle du manager au sommet de sa hiérarchie n’est plus
tenable dans un contexte de prise de pouvoir global des salariés.
En effet, dans une organisation très hiérarchisée, les managers
sont enclins à se positionner au sommet de leur unité. Les cadres
attachent alors une grande importance au rôle de contrôle. Si
certains managers se positionnent plus au centre des activités
qu’au-dessus, celles-ci tournent autour d’eux, à l’extérieur
comme à l’intérieur de l’unité. Dans un monde qui tend vers
des organisations en réseaux d’activités interactives, l’information
circule dans tous les sens. Si le manager se positionne au sommet,
il est déconnecté. S’il se positionne au centre, il attire à lui tous
les canaux de communication, mais bloque la diffusion de
l’information. Pour diriger un réseau, le manager doit exercer son
management dans toutes les directions, comme une araignée sur
une toile. Il doit aller vers ses collaborateurs et éviter de les attirer
au centre. Les trois vertus principales du « manager araignée »,
ou Spider Manager, sont alors de persuader (c’est-à-dire susciter
l’engouement des collaborateurs et donner du sens à l’action),
de créer des liens et de négocier la relation contractuelle.
Nos entreprises doivent remettre leur modèle d’organisation
actuel en question afin de gagner en souplesse et en réactivité,
pour faire face aux nouveaux enjeux économiques, au moins
sur trois plans essentiels :
• La spécialisation des tâches informationnelles, notamment
pour les aspects bureautiques, à l’instar de ce qu’a fait le monde
industriel et qui lui a permis de réaliser d’importants gains de
productivité.
• La suppression des hiérarchies, en les remplaçant par des
relations contractuelles individuelles et collectives.
• L’évolution du rôle de manager vers un « facilitateur »
relationnel, qui tisse des liens et donne du sens à l’action : le
manager « araignée ». •
1er décembre 2014 - N° 140 - Best Practices - Systèmes d’Information • 11