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regard social sur
le vieillissement
Ce livre approfondit la réflexion sur
l’âgisme et ouvre des pistes de solution. On y présente les manifestations
et les conséquences de l’âgisme,
depuis la représentation des aînés
dans les médias jusqu’aux pratiques
âgistes dans les soins de santé, en
passant par la discrimination des travailleurs vieillissants.
Textes de :
Denis Bachand
Anne Bourbonnais
Bernadette Dallaire
Hubert Doucet
Luc Dupont
Florian Grandena
Anne-Marie Guillemard
Yves Joannette
Martine Lagacé
Jérôme Pellissier
Jean-Pierre Thouez
Jean Vézina
Francine Tougas
Marcel Mérette
Couverture : iStockphoto
Sciences sociales
ISBN 978-2-7637-8781-7
Martine Lagacé
Martine Lagacé
L'âgisme
regard social sur le vieillissement
Comprendre et
changer le
La population canadienne est vieillissante. Malgré cela, l’âgisme, cette
forme de discrimination sur la base
de l’âge se manifeste de manière explicite ou insidieuse et est encore trop
peu dénoncée. Faut-il chercher les
raisons de ce silence dans l’absence
d’informations ou plutôt l’insuffisance
de connaissances sur le vieillissement
et les aînés ?
L'âgisme
L'âgisme
le regard social sur
le vieillissement
Sous la direction de
Comprendre et changer
Sous la direction de
Comprendre et changer le
Martine Lagacé
L'âgisme
Sous la direction de
Comprendre et changer le
regard social sur le vieillissement
L’âgisme
Comprendre et changer le regard social
sur le vieillissement
L’âgisme
Comprendre et changer le regard social
sur le vieillissement
Sous la direction de
Martine Lagacé
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
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­Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
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de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ)
pour nos activités d’édition.
Mise en pages : Diane Trottier
Maquette de couverture : Laurie Patry
ISBN 978-2-7637-8781-7
e-ISBN 9782763707815
© Les Presses de l’Université Laval 2010
Tous droits réservés. Imprimé au Canada
Dépôt légal 2e trimestre 2010
Les Presses de l’Université Laval
Pavillon Maurice-Pollack
2305, rue de l’Université, bureau 3103
Québec (Québec) G1V 0A6
CANADA
www.pulaval.com
Je dédie cet ouvrage à ma mère, Annette et à celui
qui m’accompagne, Belgacem. Toujours, ils sont ceux
qui m’inspirent et me motivent dans ma réflexion
sur le mieux-être des aînés. Merci d’être là.
M. L.
Table des matières
Préface – Un ouvrage qui arrive à point . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV
Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIX
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Martine Lagacé
Partie I
Stéréotypes et figures
de l’âgisme : médias, publicité, cinéma et recherche
Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine
de soi et au conflit entre générations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Jérôme Pellissier
Comment en est-on arrivé là ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Comment en est-on arrivé là ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Âgisme : des stéréotypes qui sèment la discorde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Démographie : l’invasion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
« Plus de vieux, moins de vie » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
« Les gloutons » (des retraites, de la sécu). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Tous les vieux sont riches. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Le complot…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Guerre des âges, guerre des générations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Un « excédent de personnes âgées » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
X
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
Que faire des « erreurs » ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
À chaque mal son remède . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Radicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
De la guerre psychologique à la guerre au-dedans de soi. . . . . . . . . . . . . . . 32
La guerre au-dedans de soi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
En guise de conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Sur la représentation du vieillissement dans la publicité. . . . . . . . . . . . 41
Luc Dupont
La publicité : un discours culturel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
La publicité : un code. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
L’image de la vieillesse dans la publicité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Vieillesse et consommation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Au crépuscule des jours.
Regards sur la vieillesse dans le cinéma québécois. . . . . . . . . . . . . . . . 59
Denis Bachand
De l’âge et du désir : une remise en question de l’asexualisation
des aînés dans le cinéma français ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Florian Grandena
L’âgisme dans la littérature scientifique :
le cas des sciences sociales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Jean-Pierre Thouez
La classification des individus selon l’âge chronologique. . . . . . . . . . . . . . . 94
Problèmes méthodologiques reliés à l’âgisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
L’analyse des populations territorialisées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Le lieu, le contexte géographique et la santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Rapports entre groupes d’âge et représentations sociales de l’âgisme. . . . 102
Commentaires et conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Table des matières
XI
Partie II
Figures de l’âge et pratiques âgistes
dans la relation de soins
Vieillir : déclin ou changement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Yves Joanette, Karima Kahlaoui, Manon Maheux et Bernadette Ska
À quel âge le corps vieillit-il ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
Le corps : déclin ou changement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
La cognition : changements et compensations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Des différences inter et intra-individuelles importantes . . . . . . . . . . . 119
Expression de déficits ou mise en place de stratégies adaptatives ?. . . 120
Les bases neurobiologiques des stratégies adaptatives. . . . . . . . . . . . . . . . . 124
Les facteurs qui favorisent un vieillissement cognitif optimal. . . . . . . . . . . 126
Conclusion : vieillir n’est pas toujours synonyme de déclin. . . . . . . . . . . . . 127
Quelles attitudes les étudiants universitaires du domaine de la santé
­entretiennent-ils envers les personnes âgées ? Un état de la question. . . . 133
Jean Vézina
Synthèse des études antérieures à 1990. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
L’état de la question jusqu’à aujourd’hui. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Instruments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Les attitudes des étudiants en médecine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Les attitudes des étudiants en sciences infirmières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Les attitudes des autres étudiants du domaine de la santé . . . . . . . . . . . . . 142
Discussion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Âgisme et professions d’aide…
des paradoxes dans une société vieillissante ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Anne Bourbonnais et Francine Ducharme
Quelques valeurs et croyances qui influencent
les professionnels de la santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Les paradigmes coexistants face au vieillissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Les manifestations de l’âgisme chez les professionnels de la santé. . . . . . . 160
L’âgisme dans certains milieux de soins. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Les conséquences de l’âgisme sur la santé des personnes âgées. . . . . . . . . 165
Des stratégies pour réduire l’âgisme dans le domaine de la santé. . . . . . . 166
En conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
XII
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
Vieillissement et trouble mental grave :
questions de représentations, questions d’intervention. . . . . . . . . . . . 175
Bernadette Dallaire, Michael McCubbin et Mélanie Provost
Le cumul TMG-vieillissement : conséquences m
­ ultiples
et vulnérabilité accrue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Du cumul des problématiques au cumul des disqualifications/
stigmatisations : le rôle des représentations sociales dans l’exclusion
des aînés présentant des TMG. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Des services à améliorer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
Promesses et défis de la réadaptation ­psychosociale auprès
des aînés atteints de TMG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
Soigner les personnes âgées : entre abandon et acharnement. . . . . . 199
Hubert Doucet
Les silences de la bioéthique quant à l’âgisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Le critère de l’âge dans la limitation des traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Respecter les cycles naturels de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
La nouvelle culture du vieillissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Orientations à privilégier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Le plan interpersonnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Le plan gestionnaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Le plan politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
En guise de conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
Partie III
L’âgisme au travail et ses conséquences
La discrimination à l’encontre de l’âge dans l’emploi.
Une perspective internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Anne-Marie Guillemard
Une relégation des seniors d’ampleur très inégale selon les pays. . . . . . . . 222
Les disparités dans l’évolution des taux d’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . 222
Une fragilisation de la seconde moitié de carrière
en Europe continentale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
Table des matières
XIII
Les cultures de l’âge et la discrimination à l’encontre de l’âge . . . . . . . . . 226
Les cultures de l’âge et les configurations de politiques publiques. . . . 226
Une configuration politique qui construit
une « culture de la cessation anticipée d’activité ». . . . . . . . . . . 229
Une configuration politique produisant
une « culture du droit au travail à tout âge ». . . . . . . . . . . . . . . . 231
Le recours massif aux mesures d’âge entraîne
une spirale d’effets pervers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
L’âge : premier facteur de discrimination dans l’emploi. . . . . . 234
De la gestion segmentée par l’âge à la gestion de la diversité
et de la synergie des âges au travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
« À quand la retraite ? » Le paradoxe de l’âgisme au travail
dans un contexte de pénuries de main-d’œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Martine Lagacé et Francine Tougas
Quand la séniorité au travail est synonyme de désuétude :
les stéréotypes âgistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Perspectives théoriques de l’âgisme au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
La communication âgiste au travail et ses conséquences. . . . . . . . . . . . . . . 248
Diminuer sinon mettre fin à l’âgisme au travail :
quelques pistes de réflexion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
Coût de l’âgisme au travail.
Une première estimation pour le Canada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Marcel Mérette
Des évidences quant à la discrimination envers les travailleurs âgés. . . . . . 265
De récents progrès au Canada contre l’âgisme institutionnel. . . . . . . . . . . 267
Les coûts économiques de l’âgisme au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
L’approche comptable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
L’estimation du coût économique de l’âgisme en 2006. . . . . . . . . . . . 271
Le coût de l’âgisme en 2031. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
Le coût de l’âgisme en considérant les effets d’équilibre général. . . . 274
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
Préface
Un ouvrage qui arrive à point
Enfin, une vue globale
et constructive sur l’âgisme
C
e travail est unique, la plupart des livres sur l’âgisme ont été
jusqu’ici l’œuvre d’un auteur. Collectif écrit par des spécialistes de réputation nationale et internationale, il s’agit, à
notre avis, d’un des premiers ouvrages de cette envergure dans la
littérature occidentale.
À titre de directeur-fondateur de l’Observatoire vieillissement et
société (OVS), c’est avec une très grande joie et une très vive satisfaction que je prends acte du contenu de cet ouvrage qui bonifie admirablement bien la mission de base que s’est donnée l’OVS lors de sa
fondation il y a presque 6 ans, soit la lutte contre l’âgisme, ce fléau
social. Relativement faible au début, l’intérêt du public pour l’âgisme
est devenu de plus en plus évident et a culminé lors de la première
journée mondiale sur l’âgisme, tenue à guichet fermé à Montréal en
mars 2009. Le nombre de réunions et de symposiums consacrés à ce
sujet augmente régulièrement. Nul ne peut maintenant prétendre ne
pas être au courant de l’importance du sujet. L’Observatoire vient de
s’enrichir d’un outil informatif de haute crédibilité.
Véritable œuvre de nature encyclopédique, ce livre vise d’abord
à faire comprendre le phénomène de l’âgisme dans différents secteurs de
l’activité humaine : le travail, les médias, les sciences, les arts, la santé,
XVI
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
l’enseignement, etc. Le mot âgisme, un terme s’appliquant à une
construction sociale qui semble avoir son origine en Occident, est
utilisé depuis moins de 45 ans. D’abord employé de façon générale
puis appliqué surtout aux personnes âgées il s’est répandu comme
une traînée de poudre à mesure que l’ampleur du vieillissement de la
population et de ses conséquences se précisait. Il semble d’ailleurs
que ces phénomènes sociaux peuvent exister longtemps avant qu’on
ne les définisse. Pensons au « racisme » et au « sexisme », dont il n’était
pas question lorsque les gens de couleur étaient séparés des Blancs
des pays « civilisés » ou que les femmes étaient infantilisées socialement et administrativement. Nul doute que le premier objectif du
livre sera atteint s’il permet une meilleure compréhension de
l’âgisme.
Changer le regard social – Deuxième objectif qui nous paraît plus
difficile à atteindre mais pas irréaliste. La tâche est énorme, car il
faudra d’abord, à notre avis, émietter morceau par morceau cette
construction sociale qu’est l’âgisme, la « déconstruire » en quelque
sorte. Comment procéder pour détruire ce fléau social dont les causes
et les conséquences ont été si bien identifiées dans ce livre ? Seule une
réaction concertée de la population, des décideurs et des inter­venants,
y compris des aidants naturels, aura quelques chances de succès. Cette
action devra s’exercer à plusieurs niveaux. Mentionnons-en
­quelques-uns :
– Enseignement et formation des jeunes – Interventions axées sur une
représentation positive et non caricaturale de la vieillesse.
– Monde du travail (incluant employeurs et syndicats) – Plusieurs
considèrent encore les travailleurs âgés comme un fardeau et
non comme un capital additionnel et encore comme une maind’œuvre bon marché.
– Enseignement et apprentissage – Chaque année près de 100 000
personnes, au Québec seulement, atteignent l’âge de 65 ans ; ils
vivent encore pendant presqu’une génération et souvent ne
demanderont pas mieux que de rester utiles.
– Santé – Qu’on cesse de parler de coûts exagérés des soins médicaux, de « limites d’âge d’intervention » ; il faut aussi faire attention à « l’euthanasie », vocable qui devra être défini et redéfini si
l’on veut éviter certaines situations déplorables qui font partie
de l’histoire de l’Occident ; il ne faut pas non plus négliger les
paramètres « sociaux » de la santé.
Préface – Un ouvrage qui arrive à point
XVII
Je souhaite de tout cœur que cet ouvrage devienne un catalyseur
capable de motiver la population, les décideurs et le législateur à agir
ensemble dans un seul but dont les éléments ont été si bien et si
­clairement énoncés.
Enfin, à qui ce livre est-il destiné ? De lecture facile avec un
minimum de termes techniques, il est à la portée de tout lecteur même
non spécialisé. Il nous paraît un « must » pour tous ceux et celles qui
ont de près ou de loin un contact avec les personnes âgées : gérontologues, universitaires ou non, intervenants et décideurs. Il devrait de
plus être diffusé auprès des multiples associations et regroupements
de personnes âgées. Enfin, il ne faut pas oublier les géné­rations plus
jeunes et même très jeunes dont chaque membre a eu ou aura tôt ou
tard à faire face à ce phénomène contre lequel il devra être prêt à
lutter. Il leur appartient également de faire en sorte que leurs interventions d’aujourd’hui servent à humaniser cette transition au
moment où ils arriveront, à leur tour, à cette étape de leur vie.
André Davignon, m.d.
Directeur de l’Observatoire vieillissement et société
Remerciements
L
a parution d’un ouvrage n’est possible que grâce à l’engagement d’individus et d’organisations qui croient en son importance et à sa pertinence. En premier lieu, je remercie mon
collègue, le professeur Luc Dupont, pour sa précieuse et « multiple »
collaboration à cet ouvrage : d’abord à titre d’auteur de l’un des treize
chapitres mais également pour ses encouragements continus ainsi
que son aide précieuse dans la révision de l’ensemble des textes. Il va
sans dire qu’un tel appui est inestimable. En second lieu, je remercie
l’institution de l’Université d’Ottawa, notamment la Faculté des arts,
pour son soutien dans la publication de ce collectif. S’agissant de
contribution financière, je remercie aussi M. Claude Bonnet qui m’a
toujours encouragée dans ma démarche de réflexion sur le mieuxêtre des aînés. Je ne pourrais passer sous silence l’appui de deux
organisations dont je suis fièrement membre et dont les raisons d’être
et les interventions visent, entre autres, la lutte à l’âgisme : l’Asso­
ciation québécoise de gérontologie, présidée par Mme Catherine
Geoffroy et l’Observatoire vieillissement et société, fondé par le
Dr André Davignon. Enfin, merci aux Presses de l’Université Laval et
à tous les auteurs de cet ouvrage qui ont accepté, sans hésiter, de
contribuer à cette importante réflexion sur l’âgisme.
Introduction
Martine Lagacé
Université d’Ottawa
«C
ar c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans
les plus étroites appartenances et c’est notre regard aussi
qui peut les libérer. » Cet extrait d’un ouvrage d’Amin
Maalouf (Les Identités meurtrières, 1998, p. 29) exprime avec la plus
grande lucidité le pouvoir réducteur tout autant que captif des stéréotypes. Ainsi, lorsque le regard sur l’autre est teinté de fausses croyances
et de préjugés généralisés, il empreinte la voie pernicieuse des stéréotypes et emprisonne cet autre dans des schèmes de pensées dont les
frontières sont imperméables. Mais lorsqu’il laisse entrevoir l’unicité,
la singularité de l’autre, il est alors libérateur. À la source du présent
ouvrage, une réflexion sur le regard, précisément, celui posé sur le
processus de vieillissement, sur l’état de la vieillesse et sur la place
ainsi que sur le rôle des aînés dans nos sociétés contemporaines. Cette
réflexion a été guidée par le souhait implicite qu’exprime Maalouf
dans l’extrait ci-haut : constater, sans détour, que si le regard actuel
sur les aînés est trop souvent teinté de fausses croyances et de préjugés,
la démarche même de faire une telle constatation peut constituer le
premier pas pour changer ce regard.
Or, comment se traduit le regard actuel sur le vieillissement et
sur les aînés ? Quand il n’est pas foncièrement négatif, il est à tout le
moins des plus ambivalents. Vieillir dans les sociétés occidentales est
en effet, pour plusieurs, un processus à éviter, à tout le moins, à
contrôler coûte que coûte. Un paradoxe des plus étonnants d’ailleurs,
dans un contexte démographique où la longévité s’accroît et où,
forcément, la population vieillit. Malgré cela, le regard, la représentation du vieillissement et des aînés restent en décalage face à cette
progression sur le plan de l’espérance de vie. De fait, plusieurs études
2
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
montrent que plus souvent qu’autrement, les aînés sont perçus (entre
autres) comme des personnes gentilles et fiables tout autant que
confuses, lentes, malades, résistantes aux changements, déprimées,
etc. Dans les organisations, le travailleur âgé doit faire face à des
croyances décalées en ce qui a trait à sa capacité d’apprendre et de se
renouveler, à sa motivation et à sa productivité par rapport à celles de
ses plus jeunes collègues. Faut-il alors s’étonner des réactions de
négation et d’évitement vis-à-vis du vieillissement ? Faut-il aussi se
surprendre que, par extension, ces représentations ouvrent la voie à
la marginalisation, voire à la discrimination des aînés ?
Le gérontologue Robert Butler a été le premier chercheur à
évoquer le concept d’âgisme, en faisant état d’un processus selon
lequel une personne est stéréotypée et discriminée en raison de son
âge (1968). Depuis son initiative de conceptualiser l’âgisme, nombre
d’études ont permis d’établir que si les jeunes comme les adultes
peuvent en être la cible, la réalité tend à montrer que ce sont les aînés
qui le plus souvent en font les frais. En outre, quoique l’âgisme
partage avec le racisme et le sexisme d’étroites ressemblances (il s’articule sur une même logique visant l’exclusion d’un individu ou d’un
groupe sur la base d’un critère), il s’en distingue cependant en ce
qu’il est, dans une large mesure, toléré et tout au moins peu dénoncé.
Conséquemment, tant ses manifestations que ses répercussions ne
sont pas suffisamment documentées. D’où la pertinence de la
réflexion que nous menons dans le présent ouvrage. Il s’agit de
circonscrire l’âgisme, depuis la façon dont sont représentés le vieillissement et les aînés jusqu’aux répercussions psychologiques, sociales
et économiques de telles représentations, à la fois sur les aînés et sur
celles et ceux qui sont en lien avec eux.
Cet exercice de réflexion, auquel se sont livrés plus d’une
dizaine de chercheurs de la francophonie, est en outre essentiel au
regard des multiples études suggérant des effets foncièrement
délétères de l’âgisme sur les aînés. Ces effets se traduisent notamment
par une fragilisation de leur santé psychologique ainsi que par un
processus de désengagement, de retrait des différentes sphères
sociales. Par exemple, c’est le travailleur âgé qui, face à la blessure
créée par l’image négative qu’on lui renvoie en raison de son âge, se
désengage de son milieu de travail, d’abord de manière virtuelle puis
de manière bien réelle. À cet égard, une question légitime se pose :
combien de décisions de retraites « anticipées » ont-elles été guidées
par un tel processus et, par ricochet, dans quelle mesure ces décisions
Introduction
3
étaient-elles profondément réfléchies et volontaires ? L’effet pernicieux de l’âgisme, c’est aussi le désengagement de l’aîné dont l’autonomie est vulnérabilisée. Celui-ci réagit aux préjugés âgistes
(particulièrement notoires en ce qui a trait aux aînés en situation de
fragilité) en s’auto-marginalisant, en acceptant, de fait, de se mettre
en voie d’accotement, croyant n’avoir plus rien à offrir à la société.
Ces réactions de désengagement ont ceci de sournois (en plus d’être
dommageables pour l’aîné) : elles confirment en quelque sorte la
légitimité des stéréotypes âgistes. En effet, lorsque l’aîné intériorise
les fausses croyances sur le vieillissement et qu’il les reproduit dans
son comportement, il en génère, certes sans le vouloir, le renforcement. Quelles pertes alors pour l’ensemble de la société qui se prive
de l’expertise, du savoir-faire et, surtout, du savoir-être des travailleurs
âgés tout autant que de l’ensemble des aînés. Car, rappelons-le, dans
le contexte des pénuries de main-d’œuvre, mais également dans celui
où il est essentiel de construire des ponts et des points de repère
entre les générations, la mise à l’écart des plus vieux apparaît comme
complètement paradoxale.
L’intégration des stéréotypes sur la base de l’âge par l’aîné ouvre
non seulement la voie du désengagement, mais aussi celle d’une
forme de banalisation de l’âgisme. Et c’est là la véritable puissance
des stéréotypes et de la discrimination : lorsque ceux-ci ne sont pas
dénoncés, ils apparaissent tels des phénomènes « naturels ». À preuve,
les messages d’humour sur l’âge, certes dénigrants, voire dégradants,
sont pourtant largement répandus. Les cartes de souhait d’anniversaire en sont la plus belle démonstration. Pourrait-on en imaginer à
contenu ouvertement raciste ou sexiste ? Devant l’âgisme, cependant,
règne l’indifférence, voire le silence. Cette non-reconnaissance des
préjugés et de l’exclusion sur la base de l’âge se reflète même dans le
milieu de la recherche scientifique où les évidences et la prédominance de l’âgisme sont parfois remises en question. D’ailleurs, la
démarche même du présent ouvrage a suscité, chez certains chercheurs, un questionnement, un doute : l’âgisme serait-il à ce point
omniprésent dans nos sociétés contemporaines et ses conséquences
aussi délétères qu’on le prétend ?
C’est précisément pour éviter la banalisation de l’âgisme, rendue
possible par un phénomène de non-reconnaissance, voire d’acceptation de cette forme d’exclusion, que ce travail trouve toute sa raison
d’être. L’objectif, comme nous l’avons évoqué plus haut, est de
circonscrire les manifestations d’attitudes et de comportements
4
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
âgistes ainsi que leurs multiples conséquences. Pour ce faire, il
importe de saisir, au préalable, les sources de l’âgisme. Elles résident
notamment dans les représentations, les images et les évocations
entourant le vieillir et la vieillesse qui, elles-mêmes, se nourrissent des
stéréotypes de l’âge. Conséquemment, le premier pas pour contrecarrer l’âgisme consiste, d’abord et avant tout, à dire et à saisir ces
stéréotypes. C’est à cette tâche qu’est consacrée la première partie de
l’ouvrage, Stéréotypes et figures de l’âgisme : médias, publicité,
cinéma et recherche.
Le discours des médias sur le vieillissement ainsi que les images
que ceux-ci en véhiculent peuvent parfois constituer de puissantes
courroies de transmission des stéréotypes âgistes. Dans un exercice
de décryptage des mots, des expressions et des illustrations des aînés,
Jérôme Pellissier, secrétaire de l’Observatoire de l’âgisme en France,
montre que les médias contemporains peuvent, en effet, être de puissantes fabriques de stéréotypes. Les clichés oscillent entre le « fléau »
démographique que sous-tend le vieillissement de la population et,
par ricochet, la « catastrophe » économique qui en résulte : à
commencer par la hausse en flèche des coûts des soins de santé et le
pompage des caisses de retraite. Le caractère foncièrement négatif de
ces regards caricaturaux du vieillissement et de l’aîné n’est pas
innocent. Il génère, voire nourrit, selon l’auteur, une fausse guerre
des générations et, pire encore, il risque de conduire à la haine de soi
pour l’aîné qui intériorise de tels regards.
La publicité pose aussi le problème des stéréotypes âgistes. Dans
ce cas, l’exclusion sur la base de l’âge se manifeste de manière des
plus explicites, tout simplement par l’« invisibilité » des aînés. De fait,
dans son analyse de la représentation du vieillissement, le chercheur
Luc Dupont constate une quasi-absence des gens âgés dans la
publicité, lesquels représenteraient environ 15 % des modèles publicitaires. En revanche, lorsqu’ils sont présents, ils sont dépeints, plus
souvent qu’autrement, comme des êtres dont la contribution est sans
importance et dont l’individualité est gommée par une vision
homogène du vieillissement, traduisant ainsi une seule façon, un seul
modèle du vieillir.
Il est impossible d’évoquer les représentations du vieillissement
et de l’aîné dans les médias et la publicité en passant sous silence
l’image cinématographique. Le cinéma est certainement, comme le
souligne Denis Bachand dans son chapitre, « un lieu privilégié d’observation de l’aventure humaine depuis la naissance jusqu’à son
Introduction
5
inéluctable achèvement ». Il y entreprend une analyse exploratoire
de sept films québécois (documentaires et fictions) dont certains
dépeignent une image d’espoir quant au vieillir alors que d’autres
traduisent un regard des plus pessimistes. Le cinéma québécois
s’avère d’ailleurs un terrain tout indiqué dans une démarche de
réflexion sur les stéréotypes de l’âge en ce qu’il a très tôt manifesté
une préoccupation pour la question du vieillissement.
Dans son texte intitulé De l’âge et du désir, Florian Grandena
poursuit cette incursion dans le cinéma francophone et son regard
face à la vieillesse en analysant cinq productions françaises. Quoique,
constate-t-il, le cinéma français soit marqué par une certaine ouverture
sur la diversité depuis les deux dernières décennies, la vieillesse
demeure, plus souvent qu’autrement, en marge de cette diversité.
L’étouffement du désir et de l’expression de toute forme de sexualité
chez les personnages aînés à l’écran traduit d’ailleurs puissamment
leur mise à l’écart dans ce domaine. L’auteur montre cependant
qu’un certain progrès et un changement des mentalités semblent
s’effectuer lentement, mais sûrement : certaines productions osent
remettre en question les plus puissants stéréotypes âgistes, soit ceux
de la non-sexualité et de l’asexualisation des aînés.
Une réflexion essentielle portant sur la présence d’indicateurs
d’âgisme dans le domaine de la recherche, précisément en sciences
sociales, clôt cette première partie. Nous considérons en effet cette
réflexion essentielle parce que le regard des chercheurs sur le vieillissement est porteur de leurs propres valeurs et préjugés face à ce
phénomène. À son tour, la recherche peut servir de base aux décisions
politiques et, en ce sens, elle comporte le risque d’introduire ou de
renforcer l’âgisme dans les pratiques. Jean-Pierre Thouez passe ici en
revue quelques travaux empiriques en sciences sociales et montre, au
moyen de critères théoriques et méthodologiques utilisés par les
chercheurs, que la notion de vieillesse demeure largement considérée comme un « problème » et que les aînés sont trop souvent
dépeints comme un groupe « homogène ».
La deuxième partie, Figures de l’âge et pratiques âgistes dans la
relation de soins avec l’aîné, vise à circonscrire les croyances et les
pratiques âgistes dans des sphères psychosociales précises, notamment
celles concernant les relations d’aide et de soins entre les professionnels de la santé et les aînés. Ce faisant, nous examinons les représentations, les stéréotypes et les regards stigmatisants que peuvent parfois
entretenir les professionnels de la santé à l’égard des aînés, mais
6
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
également leurs répercussions en matière de pratiques de soins. Il
peut sembler paradoxal de penser que la relation d’aide et de soins
avec l’aîné soit teintée d’âgisme, particulièrement dans le contexte
d’une population vieillissante, alors que, par définition, la relation
d’aide a pour but d’améliorer tant le bien-être physique que psychologique d’un individu. Or, c’est oublier que cette relation est
largement dérivée de la culture sociale dans laquelle elle s’inscrit. Et
cette culture, nous le constatons dans la première partie de l’ouvrage,
demeure peu valorisante pour l’aîné, son rôle et sa place dans une
société. Il n’est donc pas étonnant de constater que pour ce qui est
des soins de santé, des professionnels qui les prodiguent et, plus
globalement, de la relation soignant-soigné, des progrès importants
restent à faire.
Dans le premier chapitre de cette deuxième partie, Yves
Joannette et ses collègues abordent la question du vieillir d’un point
de vue médical, précisément dans une perspective physiologique. Les
auteurs relèvent les nombreux mythes entourant le vieillissement
physiologique, selon lesquels ce processus est associé uniquement,
voire exclusivement, à un « déclin ». En outre, tout en ne niant pas les
changements du corps comme ceux du cerveau avec l’avancement en
âge, ils font, du même coup, la démonstration que les notions de
« progrès » et de « compensation » sont, à toutes fins utiles, évacuées
de la représentation du vieillir physiologique. La réflexion qu’ils
mènent permet donc, dans une certaine mesure, de mettre en doute
l’équation stéréotypée et des plus tenaces : vieillir = déclin.
Lorsque les professionnels de la santé intériorisent les images
sociétales négatives sur le vieillissement, la qualité des soins prodigués
aux aînés est sans aucun doute mise en péril. Dans un contexte de
vieillissement de la population, actuel comme futur, il s’avère
important de saisir quelles sont les représentations, les croyances et
les attitudes entretenues par les futurs professionnels de la santé face
aux personnes aînées. Jean Vézina montre qu’énormément de travail
reste à faire à cet égard. À titre d’exemple, il souligne dans son
chapitre portant sur les attitudes des étudiants universitaires du
domaine de la santé envers les personnes âgées que « seulement deux
pour cent des jeunes médecins mentionnent vouloir travailler auprès
d’une clientèle âgée ». Parmi les facteurs expliquant potentiellement
les attitudes sinon négatives mais à tout le moins ambivalentes des
nouvelles cohortes de travailleurs de la santé face au aînés, il souligne
Introduction
7
l’insuffisance, voire l’absence, de formation adéquate en ce qui a trait
à la thématique du vieillissement.
Dans la continuité de cette réflexion sur l’âgisme et sur les
professionnels de la santé prodiguant des soins, Anne Bourbonnais et
Francine Ducharme discutent de l’influence de certaines valeurs et
croyances sur ces professionnels, comme la productivité, l’indépendance et les craintes devant la mort, qui peuvent conduire à la stigmatisation des personnes âgées, particulièrement les plus vulnérables.
Plus encore, elles remettent en question certains modèles du vieillissement « en santé », lesquels contribuent à mettre l’accent sur une
responsabilité individuelle face aux déficits de certains aînés et, de ce
fait, nourrissent l’âgisme.
La stigmatisation sur la base de l’âge peut parfois se juxtaposer
à d’autres stigmates générant ainsi un cumul d’effets dénigrants sur
la santé tant physique que mentale d’une personne. Les individus
dont le parcours est marqué par des problèmes de santé mentale font
souvent les frais de l’exclusion et de la discrimination. L’aîné victime
de tels troubles est alors à risque d’une double disqualification/stigmatisation. Pourtant, les personnes âgées souffrant de troubles
mentaux graves constituent une population peu évoquée, que ce soit
en recherche ou dans la pratique des soins de santé. Cette constatation est à la base de la réflexion menée dans le chapitre de Bernadette Dallaire et de ses collègues. Les auteurs explorent notamment
les représentations sociales et professionnelles entourant les aînés
souffrant de troubles mentaux graves et tracent un portrait de la
situation en ce qui concerne les services de santé qui leur sont
dispensés.
Il aurait été impensable de clore ce volet sur les soins aux
personnes âgées sans aborder la délicate question de l’éthique en
lien avec le thème de l’âgisme qui guide le présent ouvrage. Dans le
contexte actuel des pratiques de soins, des écoles de pensées s’affrontent toujours sur la question du vieillissement dans une perspective
médicale et sur la question du « sens » du vieillissement dans une
perspective anthropologique. Elles influencent forcément la distribution des soins tout autant qu’elles nourrissent de nombreux débats
(notamment celui sur le critère de l’âge pour limiter les traitements
à dispenser). Le chercheur Hubert Doucet présente, de manière
critique, ces écoles de pensées et propose, dans son texte, quelques
orientations à privilégier dans les soins aux personnes âgées : « entre
8
L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement
l’abandon et l’acharnement, privilégier l’accompagnement », souligne-t-il.
Le monde du travail est influencé par la culture sociétale dans
laquelle il évolue. En ce sens, il est imprégné, du moins en partie, des
valeurs et des croyances entourant le vieillissement et en la matière,
forcément, des défis, sinon des obstacles, restent à relever. L’âgisme
au travail est un véritable enjeu et, pourtant, quand on le compare à
d’autres formes d’exclusion, tels le sexisme ou le racisme, il est pratiquement tenu sous silence, à tout le moins peu dénoncé. Une situation
des plus paradoxales dans un contexte où de nombreux secteurs de
travail font et feront face à des pénuries de main-d’œuvre et où cette
main-d’œuvre se fait de plus en plus vieillissante. La troisième partie,
L’âgisme au travail et ses conséquences, propose une réflexion sur ce
sujet dans des perspectives sociologique, psychologique et économique. Précisément, les manifestations de l’âgisme au travail sont
explorées tout autant que le sont leurs répercussions coûteuses pour
la société, l’entreprise et le travailleur.
Dans un exercice de comparaison entre l’Europe continentale,
les pays scandinaves, l’Amérique du Nord et le Japon, Anne-Marie
Guillemard montre que les configurations politiques de ces pays
génèrent deux cultures de l’âge, pratiquement opposée l’une et
l’autre : une culture de l’âge basée sur l’idée de cessation anticipée
d’activité et une culture où prime le droit au travail à tout âge. La
première engendre forcément une fragilisation, une dépréciation du
travailleur avançant en âge et, ce faisant, favorise son exclusion ; en
revanche, la seconde encourage un vieillissement actif et, surtout,
une reconnaissance de l’apport du travailleur âgé quant à la vitalité et
à la productivité de l’entreprise. Pour sortir de la logique sous-jacente
à la culture de sortie précoce, l’auteur en appelle à la création de
nouveaux instruments qui soient adaptés aux réalités contemporaines, soit celles d’une société où les connaissances sont mondialisées et où les temps sociaux sont flexibilisés.
La stigmatisation et la marginalisation âgistes sont coûteuses
non seulement pour la société et l’entreprise, mais inévitablement
pour le travailleur qui en est la cible. Dans le deuxième chapitre de
cette thématique de l’âgisme au travail, Martine Lagacé et Francine
Tougas montrent, depuis une approche psychologique, que les stéréotypes sur la base de l’âge fragilisent l’équilibre psychologique du
travailleur avançant en âge : ce travailleur réagit à l’âgisme par un
processus de désengagement virtuel, lequel mine son estime de soi et
Introduction
9
l’incite ensuite à un départ réel. En outre, les auteures suggèrent, sur
la base de résultats d’études antérieures, que la communication organisationnelle pourrait être l’un des tenants de l’âgisme au travail.
Mettre fin à cette forme d’exclusion exige, soulignent-elles, une
approche choc, de type « tolérance zéro », à laquelle devraient
souscrire pleinement les dirigeants d’entreprises.
Le dernier chapitre de l’ouvrage quantifie les coûts de l’âgisme
en milieu de travail. Il est en effet plausible de penser qu’en souscrivant au processus d’exclusion sur la base de l’âge, les entreprises
s’auto-pénalisent et mettent même en péril leur survie à long terme
en se privant de l’engagement et de la connaissance des travailleurs
les plus expérimentés. Mais combien coûte précisément l’exclusion
de ces travailleurs ? Le chercheur Marcel Mérette effectue une
première estimation du coût de l’âgisme au travail dans le contexte
canadien. Une telle mesure de l’impact économique des sorties anticipées du travail est tout à fait pertinente sachant que, bien que la
littérature sur l’âgisme soit relativement étoffée, très peu d’études
s’intéressent à ses effets économiques. En outre, nous espérons que
cet exercice d’estimation en dollars de l’impact de l’âgisme en milieu
de travail, actuel comme futur, pourra contribuer à convaincre entreprises, syndicats et gouvernements d’agir.
Partie I
Stéréotypes et figures
de l’âgisme : médias, publicité,
cinéma et recherche
Âgisme et stéréotypes :
quand l’âgisme conduit à la haine de soi
et au conflit entre générations1
Jérôme Pellissier
Observatoire de l’âgisme en France
L
a scène montre un « senior », habillé en randonneur, arborant
lunettes de soleil et sourire radieux, canne à la main, en train
de siffloter d’un air heureux et insouciant. Plus loin, de jeunes
chômeurs faisant la queue devant une « agence pour l’emploi » le
regardent avec des visages énervés et fatigués. L’un d’eux lui lance :
« Eh, les vieux, vous ne pourriez pas siffloter moins fort ? Il y en a qui
voudraient travailler ! »
Cette scène n’est autre que la scène sociale, ici perçue par Jean
Plantu, le dessinateur de presse français le plus célèbre actuellement,
telle que montrée à la une du journal Le Monde le 1er décembre
2008.
Comment en est-on arrivé là ?
Jean Plantu n’est pas plus âgiste qu’un autre. Pas moins non
plus. Son dessin n’est qu’une des nombreuses – et quasi quotidiennes
– illustrations de la vision des « seniors » et des âges qui désormais
domine dans les médias français et, partant, dans une partie de
l’opinion. En voici quelques autres :
1. L’auteur tient à remercier très chaleureusement Geneviève Laroque et Marielle PoussouPlesse pour leur lecture critique et bienveillante de ce texte.
14
Partie I – Stéréotypes et figures de l’âgisme
Avril 2008. Interrogée par un journaliste, Valérie Pécresse,
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, indique
que toutes les réformes engagées par le gouvernement français dans
le domaine de la santé ont pour objet de « lutter contre le fléau qui va
arriver, celui du vieillissement de la population2 ».
Octobre 2008. Sans fournir une seule indication sur le sérieux
de telles propositions, le journal Le Monde informe ainsi ses lectrices
et lecteurs : « Pour limiter la “ surreprésentation ” prévisible des seniors
dans le corps électoral des pays développés, plusieurs chercheurs ont
proposé de minorer le vote des plus âgés3. »
Hiver 2008. Malgré les promesses de plusieurs gouvernements
successifs, le « minimum vieillesse4 » reste toujours, en France,
inférieur au seuil de pauvreté européen5. Plus d’un million de vieux
pauvres vivent avec moins de 650 euros par mois (soit environ
250 euros sous le seuil de pauvreté6). En ce début de XXIe siècle,
62,5 % des femmes retraitées perçoivent une retraite inférieure à
899 euros (soit quasiment le montant du « seuil de pauvreté ») et 45 %
des hommes retraités perçoivent une retraite inférieure à 1 200 euros
(soit environ 1,35 fois le seuil de pauvreté7).
Malgré ces chiffres, connus, à la suite d’une étude de l’INSEE
portant sur une « courbe du bonheur » qui culminerait autour de l’âge
de 65 ans8, de nombreux médias français titrent sur le « bonheur des
sexagénaires », les « sexagénaires privilégiés par notre société », « l’iniquité entre générations » et « les jeunes générations sacrifiées », etc.9.
2. Émission Ripostes (France 5), 24 avril 2008.
3. Le Monde, 9 octobre 2008.
4. Le « minimum vieillesse », appelé aussi Allocation de solidarité aux personnes âgées
(ASPA), est le minimum garanti aux personnes de plus de 65 ans pauvres. La personne qui
en bénéficie reçoit un montant qui couvre la différence entre ses ressources et la somme
de 633,13 euros. Somme très inférieure au seuil de pauvreté – voir note suivante.
5. Le seuil de pauvreté européen, calculé sur la base de 60 % du revenu médian, se situe
autour de 880 euros pour une personne seule. Jusqu’à tout récemment, le seuil de pauvreté
français était calculé sur la base de 50 % du revenu médian et tournait donc autour de
700 euros.
6. Sur ce sujet, voir : http://www.jerpel.fr/spip.php ?article244.
7. Sur les montants des retraites, voir les différents numéros que la revue de la Direction de
la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), Études et résultats,
consacre au sujet régulièrement. Voir également Carole Bonnet (2006).
8. Voir Cédric Afsa et Vincent Marcus (2008).
9. La « courbe du bonheur » témoigne de ce que le sentiment de satisfaction quant à sa vie
décroît progressivement depuis l’entrée dans l’âge adulte jusque vers la cinquantaine (elle
est au plus bas entre 45 et 50 ans), puis remonte nettement avant de chuter sévèrement à
Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine de soi…
15
Comment en est-on arrivé là ?
Car l’âgisme n’est pas nouveau. Le racisme anti-vieux, les stéréotypes et les clichés qui prennent pour cibles les vieilles personnes, les
discriminations – dans l’accès à la formation professionnelle, à
l’emploi, aux soins – du fait de l’âge, les généralisations caricaturales
sont, depuis plusieurs années maintenant, dénoncées par des gérontologues, sociologues, anthropologues, etc.10.
Pour autant, la menace de conflits entre les générations, de
guerre des âges, est plus réelle que jamais : dans plusieurs domaines,
sous les couleurs de l’âgisme ordinaire, pointent en effet de nouvelles
formes d’accusations et d’arguments : ceux qui, loin de se contenter
de caricaturer les vieilles personnes, de leur attribuer en bloc telle ou
telle tare, les rendent désormais responsables, voire coupables, de
dégradations sociales et les accusent d’appauvrir et de léser les autres
générations.
Au-delà des appels au meurtre social des vieilles personnes, un
autre phénomène méritera d’être souligné : on voit en effet celles et
ceux qui dénigrent la vieillesse développer peu à peu une véritable
haine, pathogène, de leur propre devenir et de leur propre vieillissement. Qu’elles prennent la forme d’auto-dénigrements (« Je ne vaux
plus rien » ; « De toutes façons, maintenant, je suis un “ vieux ” »), de
conduites compulsives en quête d’éternelle jeunesse (surconsommation de produits « anti-âge », recours incessants à la chirurgie
plastique), d’angoisses hypocondriaques (peur obsessionnelle d’être
soudain « dément », « gâteux », etc.), de dégoût de soi (« Je ne peux
plus me regarder dans la glace »), de culpabilité (« Je suis un poids
pour mes enfants, vous savez »), ces pensées, ces conduites, témoignent des dégâts psychiques que l’intégration des stéréotypes et
phobies âgistes commence à provoquer11.
partir des environs de 70 ans. Cette courbe est systématiquement interprétée comme
témoignant du « bonheur des retraité(e)s » et non du « malheur des actifs ». Ce « bonheur »
des sexagénaires étant lui-même toujours décrit comme le témoin de ce qu’elles et ils ont
une meilleure vie que leurs concitoyen-ne-s, comme si n’existaient pas les études ayant
montré que nous nous ajustions en vieillissant et que nous adoptions des objectifs et aspirations plus réalisables et donc plus souvent sources de plaisirs.
10. Le premier grand ouvrage en majeure partie consacré à la manière dont nos sociétés occidentales perçoivent la vieillesse et traitent les vieilles personnes est celui que Simone de
Beauvoir écrivit en 1970, intitulé La Vieillesse. Seul de tous ses ouvrages à être resté de
longues années non édité, il est encore aujourd’hui l’un de ses livres les moins connus.
11. Voir Jérôme Pellissier (2007a) pour l’analyse de certaines de ces pensées et conduites.