Je me souviens, tu te souviens, il se souvient, etc.
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Je me souviens, tu te souviens, il se souvient, etc.
Je me souviens, tu te souviens, il se souvient, etc. Par Isabelle Lafont Mis en ligne le samedi 22 janvier 2011 Isabelle Lafont est étudiante dans le cadre du cours DRT 6929-O. Dans l article intitulé « Droit à l’oubli sur Internet : Google devant les tribunaux en Espagne », paru dans Le Monde.fr, le 19 janvier dernier, il est rapporté que l Agence espagnole de la protection des données (« Agence ») a demandé à la justice espagnole d ordonner à Google de désindexer quatre-vingt-dix (90) pages web consistant en des publications de bulletin officiels régionaux d informations légales et un article de la presse du quotidien El Pais remontant à 1991. L Agence justifie sa position en prétendant que la disponibilité d informations sur la vie passée de certains citoyens sur Internet (notamment des condamnations judiciaires antérieures) et, surtout, la diffusion de ces informations dans tous les foyers par des moteurs de recherche, notamment Google, causent préjudice aux citoyens. Google décline toute responsabilité découlant du contenu des pages web indexées. L arrivée des technologies de l information a décuplé notre faculté de se souvenir si bien que la protection du droit à l oubli est en pleine expansion, particulièrement depuis l année 2009 dans la foulée de l adoption en France de la charte du droit à l’oubli, de la présentation du Cyber Privacy Act aux États-Unis et de la proposition très prochaine d une nouvelle législation par la Commission Européenne relative à la protection des données personnelles. Alors que la justice espagnole se penche sur le droit à l oubli, sommes-nous en train de nous méprendre quant au contenu du droit (et de l obligation) à l oubli ? Le droit à l oubli, dans ma compréhension, ne doit pas être confondu avec la protection des données personnelles rendues disponibles sur le web par les internautes ou des tiers à leur sujet. Le droit à l oubli implique qu une information a déjà circulé publiquement et qu un individu est en droit de ne pas la voir circuler postérieurement, dans un nouveau contexte lequel pourrait lui être préjudiciable. En droit québécois, le droit à l oubli n est pas codifié comme tel et ne se présente pas comme un droit distinct en soit. Son atteinte se présente plutôt comme l une des nombreuses déclinaisons du manquement à l obligation de prudence et diligence codifié à l article 1457 du Code civil du Québec. C est donc dans le cas où une information, déjà publiquement diffusée, sera fautivement rediffusée qu il sera question d un manquement à une obligation d oublier et, incidemment, d une atteinte au droit à l oubli d un individu. Ce droit ou cette obligation à l oubli n origine pas d une préoccupation nouvelle. Bien avant l arrivée de l Internet, nos activités laissaient des traces. Pensons seulement aux articles de journaux. Une fois la une passée, un exemplaire du journal était archivé à la bibliothèque du coin. Les informations contenues dans ce journal demeuraient disponibles après sa publication à la bibliothèque et, d ailleurs, le sont toujours aujourd hui. D aucun ne semblait aussi préoccupé par ces informations en dormance à la bibliothèque que celles qui circulent depuis sur le web. Pourquoi ? Parce que ces informations sur le web sont actives, facilement et rapidement accessibles, dans le confort de son salon et, bien souvent, gratuitement. Pas de déplacement. Pas de frais de copie. Seulement quelques clics. La préoccupation quant à l utilisation d informations personnelles rendues publiques antérieurement n est donc pas Page 1/2 Je me souviens, tu te souviens, il se souvient, etc. Par Isabelle Lafont Mis en ligne le samedi 22 janvier 2011 nouvelle mais se trouve amplifiée par l arrivée des technologies de l information. Or, ce que les gens semblent justement oublier c est que ces informations du passé qui sont disponibles dans les archives des bibliothèques du monde ou sur le web sont souvent publiques. Cela semble également être le cas des cinq (5) notifications que présente l Agence dans le litige ci-haut mentionné devant la justice espagnole. La condamnation judiciaire antérieure d un individu est une information publique (du moins dans une société démocratique où la justice est publique). Par ailleurs, appartiennent au domaine public les informations personnelles concernant un individu qui fait l actualité (i.e. publiées dans l intérêt général). Qui plus est, il ne faut pas non plus oublier que lecteur raisonnable ne prendra pas pour acquis qu une information concernant un individu sera toujours exacte dix (10) ans suivant sa première diffusion ni n omettra de considérer l écoulement du temps afin de remettre en perspective la valeur de l information disponible. En l absence de rediffusion fautive de l information, il me semble difficile dans ce contexte de soutenir que la seule disponibilité accrue d informations antérieures déjà publiques cause préjudice à un individu. Quant à l issue des procédures entreprises en Espagne, bien que le droit espagnol me soit complètement inconnu, j ai de la difficulté à logiquement envisager qu un moteur de recherche puisse être ordonné de désindexer des pages web alors que le contenu préjudiciable pour les individus demeurera en ligne mais sera seulement moins facilement disponible. Je m interroge par ailleurs quant à l application même du droit à l oubli dans ce litige puisqu il n est pas évident de déterminer si la plus grande disponibilité de l information (déjà publique), rendue possible par l utilisation d un moteur de recherche, constitue une nouvelle diffusion de cette information en soit. En effet, il me semble que ce n est pas le moteur de recherche qui diffuse l information mais plutôt les internautes qui se servent du moteur pour trouver l information. En attendant la décision de la cour espagnole saisie de ce litige, laquelle j espère pourra nous éclairer, dans ma perspective québécoise, où même les plaques de « char » ont une mémoire, l opportunité de limiter la disponibilité de l information, afin de limiter la mémoire collective et de favoriser une plus grande protection d un droit individuel qu on dit à l oubli, ne va pas de soit. Page 2/2