Ariane Chottin, psychanalyste et le métier impossible d`enseignant

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Ariane Chottin, psychanalyste et le métier impossible d`enseignant
Ariane Chottin, psychanalyste et le métier
impossible d'enseignant
Pour Freud il existait trois métier impossibles: éduquer, psychanalyser, gouverner …au moins ces
métiers, peuvent-ils s'enseigner entre eux de l'impossible auquel ils ont affaire. Gilbert Longhi
interroge Ariane Chottin, psychanalyste.
Quels sont les rapports qu’une psychanalyste entretient avec « l’école » ?
Je vais vous répondre à partir de l'association parADOxes dont je
fais partie, qui a été créée en fin 2009 et qui propose des
consultations psychanalytiques gratuites et limitées dans le temps
aux adolescents, et aussi des ateliers (Chemin de Vie et d'écriture).
Très tôt cette association, qui rassemble dans son conseil
d'administration des professionnels du secteur médical, social, mais
aussi du champ éducatif, a choisi de se tourner vers le milieu
scolaire pour prendre langue avec ceux qui sont toute la journée au
contact d'adolescents. Ainsi, participer à des réunions de bassin où
étaient débattues toutes sortes de questions autour d'élèves
adolescents, c'était être enseignés des inquiétudes, des impasses
mais aussi des trouvailles que ces adultes éducateurs, enseignants, mettaient en œuvre devant
les difficultés qu'ils rencontraient. C'est ce que nous avions découvert, très tôt en rencontrant
l'équipe du PIL (Pôle innovant Lycéen). Et c'est quelque chose dont plusieurs d'entre nous
avaient fait l'expérience très riche dans le cadre des laboratoires du CIEN (centre
interdisciplinaire sur l'Enfant). Nous savons importance de chercher à plusieurs, de se réunir et
de mesurer comment par la parole, dans l'attention aux dires de chacun, peuvent s'opérer des
bougés, se desserrer des angoisses, s'élaborer un nouveau savoir devant le malaise adolescent.
Existe-t-il une approche freudienne de l ’échec ou de la réussite scolaire des élèves ?
Freud a repéré très tôt ce qui pouvait être dangereux ou mortifère dans l'exigence de réussite
scolaire, dès lors qu'elle ne laisse pas de place pour la vie de l'élève, pas d'espace, donc pas de
« jeu ». Il en parle magnifiquement dans deux petits textes qui datent de 1910 et 1914. Le
premier aborde la question du suicide, du fait que « l 'école pousserait ses écoliers au suicide »,
et dans ce texte il met en garde le lycée et l'exhorte à devoir « faire plus que de ne pas pousser
les jeunes gens au suicide; il doit leur procurer l'envie de vivre et leur offrir soutien et point
d'appui ». Car ajoute-t-il encore « L'école ne doit jamais oublier qu'elle a affaire à des individus
encore immatures, auxquels il ne peut être dénié le droit de s'attarder dans certains stades,
même fâcheux de développement ». Comment mieux dire qu'il convient d'accueillir les effets du
bouleversement de la puberté qui peut éloigner un temps l'adolescent de l'apprentissage des
savoirs, sans le mettre en échec. Gilbert Longhi parlait de la « parenthèse du chagrin » pour dire
qu'il était essentiel de ménager des temps pour que s'attarder soit possible.
La pédagogie et plus globalement la vie de classe ou la vie d’un établissement peuvent-elles
s’inspirer de la psychanalyse ?
Il est aujourd'hui demandé aux enfants, de façon très précoce et souvent féroce, de savoir ce
qu'ils vont faire, de ne pas faillir, de se plier au rythme commun des apprentissages, alors qu'il
est essentiel d'accepter les turbulences, les éléments de nouveauté de cet éveil du printemps
qu’est l’adolescence comme tentative de fondement d’une normativité nouvelle sans en faire des
stigmates à pathologiser. Freud dit encore que l'école ne doit pas « revendiquer pour son compte
l'inexorabilité de la vie, elle ne doit pas vouloir être plus qu'un jeu de vie ». Restaurer cette
dimension du jeu -dans les deux sens du terme- serait un outil formidable.
Freud insiste sur une autre dimension dans son second texte, celle du transfert que suscitent les
enseignants. Comme les parents, les enseignants occupent une place de passeurs: il s'agit
souligne Françoise Labridy (enseignante en STAPS à Nancy et psychanalyste) d'accompagner un
enfant à partir de là où il est (de ses possibles et de ses limites), vers un inconnu. Ce qui exige
de se déprendre des normes idéales d’apprentissage, d'accepter de ne pas tout savoir, de ne pas
tout maîtriser.
On associe souvent la psychanalyse à une prise ne charge psychothérapeutique. Quel est
votre point de vue à ce sujet ?
Il existe toutes sortes de dites « prises en charge thérapeutiques » et de propositions « psy ».
Plutôt que de parler de cette offre, il me semble important de souligner quelque chose, puisque
nous parlons de l'école et des élèves. Quand un jeune sujet, éprouve dans son être une
souffrance, un malaise, une angoisse, il est important qu'il puisse rencontrer au moins un adulte
qui prenne en compte ce malaise. Je préfère ici prise en compte à prise en charge. « Qui prenne
en compte » qu'est ce que cela signifie? Que cet interlocuteur vers qui le jeune se tourne ne
bouche pas par une réponse prête-à-porter la question qui cherche à se formuler pour cet
adolescent-là, qu'il prenne un temps pour s'asseoir en sa compagnie et que quelque chose se
dépose. Et ensuite si cet adulte prend le temps d'accompagner celui qui lui a parlé vers d'autres
interlocuteurs, c'est tout différent du recours souvent trop rapide au « spécialiste ». Beaucoup de
jeunes ont eu affaire très tôt et souvent sans qu'ils puissent en mesurer le sens pour eux, à des
consultations « psy » qui les ont rendu ensuite rétifs à ce type de recours. Le temps de
l'accompagnement est souvent décisif: nous le mesurons souvent au centre parADOxes, c'est ce
premier temps d'accueil qui humanise et permet ensuite qu'un travail thérapeutique par la
parole s'engage, ou pas.
Peut-on parler d’une « pédagogie freudienne » ?
Pour Freud il existait trois métier impossibles: éduquer, psychanalyser gouverner …au moins ces
métiers, peuvent-ils s'enseigner entre eux de l'impossible auquel ils ont affaire. Savoir faire avec
cet impossible est une recherche qui veut dire, pour nous, une attention politique plutôt que
pédagogique, politique au sens de la boussole qui nous oriente. Celle que Freud a inventée avec
la psychanalyse garde une portée toujours aussi vive, puisqu'il s'agit de prêter la plus grande
attention à ce qui objecte au formatage, à ce qui met son bâton dans les roues, pour soutenir la
place qu'il revient à chacun de construire, avec sa singularité et selon son style.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Ariane Chottin centre parADOxes
212 rue ST Maur 75010 Paris
[email protected]
Lieu de parole pour adolescents de 11 à 25 ans,
Accueil & orientation consultations psychanalytiques gratuites, ateliers CV et écriture
Sur rendez -vous 06 16 97 66 80