Bénévolement, et en toute humilité, je tente de contribuer à alléger

Transcription

Bénévolement, et en toute humilité, je tente de contribuer à alléger
Etre bénévole d’accompagnement de personnes malades à l’hôpital, en
Oncologie
Amélie est bénévole d’accompagnement de personnes malades à l’hôpital Saint Antoine, au
Service d’Oncologie.
Une certaine forme de souffrance d’autrui, Amélie, elle
connait. Pendant plusieurs années, elle s’est investie dans
une entreprise de Conseil en Ressources Humaines :
« Professionnellement, j’ai pu être témoin de la souffrance
au travail. Ici, à l’hôpital, ce sont d’autres formes et
expressions de souffrance.
Bénévolement, et en toute humilité, je tente de contribuer
à les alléger »
Amélie, bénévole à l’hôpital Saint Antoine,
au Service d’Oncologie
En ce jeudi après-midi, suivons Amélie dans ses rencontres avec :
-
Annick, bientôt 60 ans : « Moi aussi je récidive, mais je mets tout de mon côté pour pas y
repasser »,
-
Pascal, ses
-
Samir, son
kick-boxing et son souhait de retour définitif au pays, tout en
continuant d’être « là-bas soigné ».
gardenias et ses
chardonnerets,
«L’intensité et la force des échanges que je peux avoir avec les patients...
Dans le regard, dans leur présence à l’autre,
il y a quelque chose d’une acuité, d’une vibration incroyables...
Oui, j’ai été bluffée par ça, dès le premier instant de mon bénévolat ! »
*************
Nous voilà dans le Service Oncologie. Une fois dans les couloirs, les pas hésitants d’Amélie me
confirment que ces lieux dans lesquels le Service Onco vient de s’installer sont provisoires. « Les
hôpitaux sont en pleine restructuration. Des travaux ont été engagés et, dans quelques mois, le
Service de nouveau déménagera, mais ce coup-ci, j’imagine, dans des locaux flambant neuf et au
maximum adaptés. Ah, ça y’est, voilà le bureau des infirmières ! ».
Patricia, infirmière et complice enjouée des bénévoles qui viennent
accompagner
« Bonjour, Patricia ! » Salutations cordiales. Tenez, voilà les clefs du vestiaire pour vos sacs, capes et
gilets. Les clefs, ok, on les remet là. Alors, quelles sont les nouvelles ? Petits échanges sympathiques
et informels sur la vie familiale de tous les jours. Et comme ça, Patricia, votre fille a fait le choix de
Vichy ! Cette ville, avec son architecture et son renommé thermalisme, a beaucoup de charme...
même si l’eau de certaines de ses sources est quasiment im-bu-vable ! Rires.
Et puis, Amélie et Patricia se concentrent sur le panneau mural, à l’abri du regard des visiteurs.
Dessus, à chaque numéro de chambres, sont inscrits le prénom et le nom des personnes
hospitalisées. En un coup d’œil, à l’anonymat d’un numéro désincarné correspond une identité
qu’ici ils savent reconnaître, et nommer dans le respect.
Patricia évoque rapidement le bilan de la semaine qui vient de s’écouler. Lundi, un décès, mardi, il y
en a eu deux. Et hier encore. Et Patricia d’aiguiller Amélie vers les patients qui ont besoin d’être
visités. Amélie griffonne quelques courtes notes qui lui permettront d’entrer dans les chambres
suggérées en compréhension de l’actualité des patients.
Nous voilà dans le couloir, et tu me dis :
« Dans ce Service d’Oncologie, je suis impressionnée par la qualité humaine du personnel, dans
toutes les fonctions, infirmières, aide soignantes, la psychologue qu’on va probablement croiser,
l’assistante sociale. Mes échanges avec eux, avant et après mes visites, donnent tout leur relief au
bien-fondé de ma présence bénévole ».
Amélie, je te suis. Si j’ai bien compris, on commence donc par une dame qui va recevoir la visite de sa
mère. « Oui. Et pour ne pas la gêner, on l’assurera que dès que sa mère arrivera, on la laissera
discrètement en profiter ».
Annick, bientôt 60 ans : « Moi aussi je récidive, mais je mets tout de mon côté
pour pas y repasser »
Amélie tape à la porte de la chambre. Elle attend que ce signal de visite soit intégré puis ouvre la
porte.
« Bonjour Madame. Je suis Amélie, bénévole. Nous passons pour vous proposer de vous tenir un
moment compagnie. »
La surprise manifestement agréable d’une visite bénévole ne met pas longtemps à faire place à un
accueil favorable :
« Oui, vous avez raison... Le temps est long ! ».
« L’infirmière Patricia nous a donné une bonne nouvelle : elle nous a dit que votre mère va bientôt
venir vous voir ! Mais promis-juré, on vous laissera en profiter ! ».
Oui, elle va venir me voir. Le regard d’Annick ne cache pas le plaisir anticipé d’être bientôt par sa
mère, visitée. Il ne dissimule pas non plus celui, en attendant, d’avec nous un peu bavarder.
La famille d’Annick est de façon évidente une source de joies. La conversation s’engage
naturellement sur ses proches :
Son fils Loïc, 22 ans, qui vient de commencer un stage rémunéré à La Défense. « C’est fou les horaires
qu’il fait, mais sa force et son énergie sont là Il ne doute de rien, je le connais, c’est moi qui l’ai fait !
Et dans sa tête, rien ni personne ne va lui résister. Oh oui, il en a du charme, et j’ai bon espoir en son
devenir. J’ai su, vous comprenez, lui faire comprendre jusqu’où il peut aller trop loin ! Par exemple,
adolescent, son désordre : et je te pose mon manteau là où je l’ai enlevé, et je laisse mes chaussettes
au pied du lit où je me suis déshabillé ».... Le sourire d’Annick, nous dit que non, elle ne n’est jamais
énervée. Elle s’est juste appliquée à lui apprendre à respecter la vie en collectivité en ne semant pas
les vêtements là où il se les est enlevés.
Annick aborde aussi spontanément les temps de transport. « Moi, tout ce temps où j’ai travaillé, je ne
cache pas que parfois, je revenais épuisée d’1 heure de temps de transport de retour. Et mon Loïc,
arrivé avant moi du lycée, qui m’accueillait, et compatissait alors que moi, jamais je ne me plaignais.
Maintenant qu’il fait les métros et RER bondés, il sait ce que c’est, mais, comme moi, il sait que c’est
payer peu cher le prix de l’indépendance financière qu’ainsi on a gagnée. Il lui reste le week-end pour
me visiter, alors ces samedis et ces dimanches, je les voir arriver ! »
Amélie sait recevoir les histoires de vie. Elle démêle le sens et la richesse de ces quotidiens pas si
anodins, pas choisis par hasard, que les patients, spontanément, se mettent à raconter.
Amélie sait aussi ne pas éluder la situation présente, et leur offre la possibilité de s’exprimer sur ce
qu’ils vivent là, maintenant. Le fil est saisi ou laissé, en toute liberté :
« Et ici, Madame, comment ça se passe ? »
La réponse fuse :
« Ici, le personnel est formidable ! Je sens qu’ils me remontent le moral. Là, je suis en récidive, et il
me reste 2 examens à faire pour savoir si on repart sur la chimiothérapie. Mais comme j’y suis déjà
passée, et qu’on me l’avait déjà expliqué, je sais que les repas, les protéines, aux repas du matin et
soir c’est recommandé. Alors, grâce à eux, à leur attention à mon alimentation, et à leurs plateaux
repas, je prends soin de ne pas perdre de poids ».
Et Annick, sans éluder sa pathologie, évoque dans la foulée sa cousine. « Ma cousine, elle aussi elle a
un cancer, elle est en récidive. Mais elle a négligé ses contrôles de tous les 6 mois . Nier ou pas s’en
occuper, ça fait reculer. Moi oui aussi je récidive mais je mets tout de mon côté pour pas y repasser.
Je reconnais aussi que j’ai la chance de pas habiter du côté de Brive : j’ai pas 120 km aller-retour pour
me faire contrôler, les hôpitaux compétents et les scanners performants ils sont là, à côté de chez
moi... »
Amélie félicite Annick pour son engagement dans le contrôle de sa santé. « Quand on est comme ça
impliqués, on se donne toutes les chances de pouvoir la retrouver ! ».
Là, maintenant, une dame âgée vient de rentrer. C’est votre maman, n’est-ce pas ? Nous la saluons
et nous répondons à l’interrogation de son regard en nous présentant.
« Comme promis, nous allons vous laisser profiter de votre maman, Madame. Vous dire tout le plaisir
qu’on a eu d’avoir été reçues par vous ».
« Le plaisir a vraiment été pour moi ».
« Les petites choses qui font l’essentiel »
Nous sortons, petits signes de la main légers pour la remercier de nous avoir laissées l’accompagner.
La porte refermée, Amélie me dit : « Le bénévolat m’a appris à accorder de l’attention aux « petites
choses » qui font l’essentiel, celles qui sont spontanément évoquées par le patient malade ou en fin
de vie, et dont il se nourrit ».
Pascal, ses
gardenias et ses
chardonnerets
Amélie consulte ses mini-notes. Là, nous allons entrer visiter Pascal. C’est aujourd’hui qu’il repart
chez lui. Son retour ici, pour la poursuite de son traitement, est programmé dans 28 jours.
« Bonjour Monsieur. Vous me reconnaissez ? Je suis Amélie, et j’ai déjà eu le plaisir de vous visiter. On
peut vous tenir compagnie ? » Le visage soudain tout sourire de Pascal nous dit manifestement oui.
Pascal est très fin mais son corps est dans la minceur, pas dans la maigreur. Et sa calvitie induite par
la chimiothérapie s’accorde bien à cette mode masculine des cheveux rasés de près.
« Votre sourire nous dit qu’aujourd’hui, ça va comme vous le souhaitez »
« Oh oui, je vais sortir et retourner chez moi, à Cholet ! Même si je sais que je reviendrai dans 28
jours, pour ma prochaine chimiothérapie, c’est bon de retourner chez moi ! En plus, là, je vous
revois, et c’est vraiment sympa ! »
« Notre propre sourire vous dit aussi tout le plaisir qu’on a à le faire, ce bénévolat ! »
« Moi, vous voulez que je vous dise ce que j’aime faire ? Dans ma vie professionnelle, j’ai travaillé
dans la nature, grâce à mon CAPA »
« C’est quoi un CAPA ? »
« C’est le Certificat d’Aptitude Professionnelle Agricole ! L’horticulture, ça a été ma passion. Des
métiers, j’en ai faits, et j’ai même travaillé dans la restauration. Mais vraiment, mon préféré, ça a été
celui où j’étais dans la nature ».
Et Pascal de nous exprimer, emballé de ses souvenirs, son plaisir d’avoir travaillé dans les espaces
verts. Qu’il aime regarder le ciel, et même le reflet du ciel dans l’eau des flaques. « Et les gardenias,
oh, les gardenias, ces fleurs, y’a pas plus beau. En plus, y’a pas que ce qu’on voit, dans la nature,
y’a ce qu’on entend. Moi, mon chant d’oiseau préféré, c’est celui des chardonnerets ! »
Nos échanges se poursuivent sur la beauté de la nature. Au début de notre entretien, Pascal n’a pas
éludé sa réalité : il va revenir dans 28 jours, il le sait. Mais c’est un autre savoir qu’il a envie de
partager, celui de sa connaissance et de son amour de la nature.
Amélie amorce en douceur son retour :
« Quand vous reviendrez, je reviendrai vous voir. Je viens ici les jeudis après-midis »
Tout au long de la visite, le sourire n’a pas quitté le visage de Pascal. Il hoche de la tête pour
répondre oui et mille mercis !
« Quand un patient se ressource comme ça... qu’est-ce qu’il m’envoie comme énergie ! »
Nous voilà dans le couloir. Amélie regarde l’heure. Oui, il nous reste le temps de visiter un dernier
patient. Mais avant, tu me confies :
« Ce bénévolat demande une énergie peu commune. Mais quand un patient se ressource comme ça
de nos échanges et me manifeste la reconnaissance de ma présence, qu’est-ce qu’il m’envoie comme
énergie ! »
Nous nous dirigeons maintenant vers la chambre de Samir. Au passage, nous échangeons de
chaleureux « bonjour ! » avec le personnel que nous croisons.
Samir, son kick-boxing
et son souhait de retour définitif au pays,
tout en continuant d’être « là-bas soigné »
Après avoir annoncé notre venue dans la chambre par 3 petits toc-toc à la porte, nous voilà au
chevet de Samir. Amélie se présente à lui et finit doucement par « Vous voulez bien qu’on vous tienne
compagnie ? ». Samir détache son regard de la télévision omniprésente et à hauts sons et nous fixe
sérieusement, sans répondre à la question. Amélie se tait, et attend calmement. Elle sait que,
« parfois, la parole ne vient pas. Ni oui, ni non. Peut-être alors tenter, dans le respect, de rester là,
et d’offrir ma présence ? »
Et puis, enfin, lentement, Samir nous adresse quelques mots, mais qui sont inaudibles.
« On ne vous entend pas. Si vous le voulez, on peut peut-être baisser le son de la télévision ? »
Samir actionne lentement la télécommande. C’est signe que la communication est susceptible de
s’instaurer.
« Ah, merci, Monsieur ! On peut vous entendre, maintenant. Vous allez pouvoir nous dire ce que vous
souhaitez »
« Je veux retourner dans mon pays ! »
Dans le silence retrouvé, ces mots, prononcés lentement mais résolument, résonnent comme un
écho. Cette déclaration sera sans cesse réitérée.
« Il est loin, votre pays ? »
Un geste de la main de Samir balaie les distances, et accompagne sa réponse : « Je suis de Tunisie ».
« On connait ! C’est beau !
« Je voudrais être là-bas soigné ».
Amélie évoque la présence d’une assistante sociale dans le Service. « C’est à elle qu’il faut en parler.
Elle peut se renseigner, savoir quels sont vos droits, et si, là-bas, vous pourrez continuer à être soigné.
Si vous m’y autorisez, je lui en parlerai ».
... Fatigué, Samir reporte son attention sur les images de la télévision. Il porte un jean impeccable,
une ceinture à boucle métallique, un sweat-shirt sportif bleu, avec le numéro 3 stylisé sur les
manches, et des silhouettes de cavaliers en course sur la poitrine.
« Ah, on voit à votre haut que vous aimez le sport ! Le cheval, peut-être ? Il faut dire que les chevaux
arabes sont magnifiques ! »
Samir nous réaccorde son attention. Pour la première fois, il se laisse gagner par un léger sourire :
« Non, je suis jamais monté dessus ! Moi, ce que j’aime, c’est le kick-boxing »
« C’est de la boxe ? »
« Oui ! On joue avec les poings et avec les pieds ! »
Ca y est, son plaisir est là, d’évoquer ce qui l’a le plus passionné. Partout il y a joué, dans tous les
quartiers. « Tu as pas besoin, de rien, juste tes pieds et tes mains ! » Et tout de suite, Samir enchaîne
sur son retour au pays. « Je veux retourner, et tout le temps y rester »
Amélie le rassure : « Oui, on vous comprend, Samir. Comptez sur moi, j’en parlerai, si vous le voulez, à
l’assistante sociale. Elle se renseignera et elle viendra pour vous dire si c’est possible que vous
retourniez dans votre pays, près de vos copains de kick-boxing, tout en continuant à être soigné ».
Cette fois-ci, la tête de Samir dit lentement oui à la proposition d’Amélie. Puis, de nouveau, son
regard happé par les images de la télé, il cale précautionneusement son dos sur l’oreiller.
« Nous ne voulons pas vous fatiguer. On va vous laisser vous reposer. Merci, merci vraiment de nous
avoir reçues à votre chevet ».
Le regard de Samir est de nouveau sur nous : « C’est moi pour vous, le merci ».
Une fois sorties, Amélie me confie : « Les patients ont parfois un rythme très lent, auquel il faut
s’accorder. C’est comme prendre le pouls du rythme de l’autre. Mais en même temps, il y a ce qui
passe par leur regard : tu as vu cette vivacité, avec son évocation du retour au pays où il jouait
partout au kick-boxing ? Bon, si on a la chance que l’assistante sociale soit disponible et là, on va lui
poser la question de cette possibilité de retour au pays ».
Oui, elle est là ! Très ouverte, elle nous reçoit dans son bureau provisoire. Amélie démêle avec elle la
complexité de réalisation de ce souhait : « Ici, en France, il est hébergé par sa famille mais il n’a
jamais travaillé. C’est un sujet que j’ai bien-sûr avec lui abordé. Il sait qu’ici il peut, sans argent, être
traité, soigné. C’est une réelle souffrance morale pour lui, de se sentir tiraillé entre un sentiment
profond d’exil, et la nécessité de cet exil pour sa santé. Il a besoin de temps pour réaliser, du point de
vue de sa santé, l’impossibilité de se ré-enraciner dans son pays d’origine. ».
« Merci ! Je me doutais bien que vous vous étiez déjà impliquée dans cette problématique
compliquée ! Oh, maintenant, pour moi c’est l’heure de m’en aller ! ». Et nous prenons cordialement
congé de la subtile assistante sociale.
Amélie, maintenant, tu dois aller chercher à l’école ton petit garçon de 5 ans. Maintenant que nous
sommes à la sortie de l’hôpital Saint Antoine, et avant de nous quitter, tu veux bien nous exprimer ce
que tu retiens en priorité de ton bénévolat ? Qu’est-ce qui te porte comme ça, dans le sourire et le
partage avec les plus fragilisés ?
« La chose qui me vient à l’esprit, c’est l’intensité et la
force des échanges que je peux avoir avec les patients...
Ils sont pourtant très fatigués. Mais ils ont dans le
regard, et dans leur présence à l’autre, quelque chose
d’une acuité, d’une vibration incroyables...
Oui, j’ai été bluffée par ça, dès le premier instant de mon
bénévolat ! »
Communication Fraternité Accompagnement des Personnes Malades
[email protected]
Maryvonne Sendra