HEINIMANN Bernard - Malgré-Nous

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HEINIMANN Bernard - Malgré-Nous
RAPPORT CIRCONSTANCIÉ SUR LA DÉSERTION DE L'ARMÉE ALLEMANDE, SUR LE FRONT DE NORMANDIE EN 1944 D'UN
ALSACIEN "MALGRÉ-NOUS"
IDENTITÉ DU MALGRÉ-NOUS:
HEINIMANN Bernard
Né le 24 octobre 1920 à Hegenheim (Haut-Rhin)
Décédé le 29 octobre 2013 à Hegenheim où il est inhumé.
Après avoir, comme tous les jeunes Alsaciens de son âge (classe20), passé le Conseil de Révision, dès 1940, il est
soumis au R.A.D. (Reichsarbeitsdienst) dans une industrie laitière près de LAURACH ( Lander de BADE) en bordure du
Rhin.
Puis vient rapidement l'heure de l'incorporation dans la Wehrmacht à Berlin, dans une unité de la Division
PANZER LEHR (qu'il ne quittera que le 13 juillet 1944 par désertion.)
Après sa formation militaire initiale et sa spécialisation de "Panzer-Grenadier"il est engagé avec sa division, sur le
front de l'Est contre les "Partisans" de TITO en Yougoslavie qui mènent une "guérilla"sanglante contre les forces de l'AXE
et ne font pas de prisonniers. Sorti très éprouvé, mais intact physiquement de cette dure expérience, il suit son unité en
France occupée, dans la Meuse puis dans la région de Chartres (Eure et loir).
Lors du débarquement allié (Overlord) sur les côtes normandes le 6 juin 1944, sa division fait mouvement sur
Tilly sur Seulles (Calvados) où elle se livre à des combats acharnés contre les troupes anglaises pour en stopper
l'avancement.
Au gré des opérations militaires, la PANZER LEHR se positionne vers la rivière la VIRE aux alentours de SaintFromond – Saint- Jean de Daye (Manche).
Quant à lui, Bernard Heinimann se retrouve au Dézert (Manche),-Ferme Grandmange- sur l'axe Bayeux –Périers où est
établie une tête de pont. Après d'âpres combats, il se replie aux environs immédiats de la ferme de la Pierrederie, située
à 800m à l'écart du bourg du Hommet d'Arthenay, traversé par la rivière la Terrette.
LA VIE A LA FERME DE LA PIERREDERIE APRÈS LE DÉBARQUEMENT ALLIÉ DU 6 JUIN 1944.
La ferme de la Pierrederie est alors exploitée et habitée par Mr et Mme Jean LEHARIVEL (mes parents) soit 9
personnes plus 2 employés.
En prévision des combats à venir, mon père (ancien de Verdun, lors de la guerre 1914-1918) a construit à
proximité de la maison d'habitation une tranchée pour abriter sa famille. Conçue pour 10 ou 12 personnes cette
tranchée accueillera jusqu' à 18 personnes dont 13 réfugiés, accompagnant Mr Alphonse Voydie, Maire de la commune
de Graignes.
Effectivement cet abri se révèlera d'un grand secours, face aux duels d'artillerie des armées allemandes et
américaines, dont l'intensité augmentera au fur et à mesure de l'avancée des alliés
Malgré plusieurs ordres successifs d'évacuation, donnés par les Allemands, mon père a pu ne pas
obtempérer pour deux raisons:
1° Les ordres d'évacuation étaient donnés successivement par des officiers de passage.
2° La situation géographique de la Pierrederie la place à l'écart des accès de communication, formant ainsi un ilot
isolé.
C'est ainsi que les résidents du lieu ont pu éviter l'exode, par contre ils ont subi les "stress" d'une zone de
combat.
DÉSERTION SUR LE FRONT D'UN MALGRÉ- NOUS LE 12/06/44
A la nuit tombante, alors que nous étions abrités dans la tranchée, je vois, avec peur, un soldat allemand s'y réfugier
précipitamment, a priori, il avait le comportement d'un homme poursuivi. Les occupants de la tranchée ont vite compris
que ce soldat cherchait à déserter, ce qu'il confirma en disant qu'il était Alsacien. L'un d'eux lui a posé la question
suivante: "Et si un Allemand vient à la tranchée, que se passe t-il ?" Réponse: " Je le tue". Cela ne nous rassure pas du
tout…
Ensuite, mon père l'a restauré (omelette) et lui a fourni des habits civils pour remplacer son uniforme, le
transformant ainsi en pseudo- ouvrier agricole lambda. Après réflexion, il quitte la tranchée pour se réfugier et se cacher
dans un recoin situé sous un ensemble de cages à lapins. Il estime qu'il mettrait en danger réel les habitants en cas de
retour des Allemands
Le 13 juillet, tôt le matin, surprise et frayeur, nous percevons des bruits de moteur, puis des sons de voix
gutturales. Pas de doute, les Allemands sont revenus près de la ferme.
Notre Alsacien comprend la situation, il réendosse à la hâte son uniforme, et reconnaissant la voix d son lieutenant se
présente à lui sans plus tarder. Il lui rend compte " qu'il a du passer la nuit dehors car, hier, lors du repli de son unité il
était auprès d'un camarade blessé et que le dernier blindé ne l'avait pas attendu". Le lieutenant ne suspecte rien et lui
répond " qu'il le proposerait pour une citation en raison de son acte de dévouement"
Sans plus tarder, notre Alsacien, muni de son" Panzerfaust" repart au combat avec ses camarades, à travers champs, en
direction du désert.
Nous étions tous inquiets pour lui et tristes de le voir partir dans ces conditions, mais aussi soulagés, malgré l'échec de la
tentative d'évasion, que cet aléa n'aie pas entrainé de représailles.
Ce même 13 juillet au soir, surprise, notre Alsacien revient à la ferme. Il semble moins stressé et nous annonce: "
Si le pont de la Terrette, situé à l'entrée du bourg du Hommet saute, cela signifiera que son unité ne pourra plus revenir à
la ferme ". Commence alors une attente, trop longue à notre gré, et nous entendons nettement la déflagration qui
confirme la destruction du pont du bourg. Rassuré, notre Alsacien passera le reste de la nuit avec nous.
Le 14 juillet 1944, à l'aube, les troupes d'assaut américaines, surarmées, envahissent tous les bâtiments de la
ferme et ses issues sans avoir tirer un coup de feu.
Bien que contents et soulagés d'être enfin libérés, nos manifestations de joie sont restées réservées tant nous étions
fatigués. Il faut noter que les G I semblaient également épuisés et restaient discrets sans chercher le contact.
Mon père propose alors à notre Alsacien, de rester avec nous jusqu'à la fin des hostilités. A cette proposition, Bernard
Heinimann -qui révèle enfin son nom-préfère celle de se constituer prisonnier de guerre et demande à mon père de
prendre contact en ce sens, avec les autorités responsables américaines: chose dite, chose faite.
Mon père est présenté à un colonel, qui considérant l'âge de mon père, et regardant ses décorations au revers de sa
veste, lui demande: " Si il avait fait Verdun en 14-18" ? Sur la réponse affirmative de mon père il le salue au garde à vous
et le félicite
(J'ai personnellement assisté à la scène)
Cet officier supérieur américain dit connaître l'existence d'incorporés de force dans l'armée du Reich de ressortissants
alsaciens. Il accepte illico d'accueillir Bernard Heinimann comme "prisonnier de guerre spécial" et de le transférer en
Angleterre. C'est ainsi que le 14 juillet, jour de fête nationale en France, l'armée allemande perdit un soldat de plus, et
que se terminera cet épisode pour ce qui nous concernait.
Plus tard, nous apprendrons que peu de temps après être parvenu en Angleterre (quarantaine oblige) Bernard
Heinimann intégrera l'armée de terre de la France libre à Londres, où, il sera affecté au transport des personnalités
militaires françaises telles: le Général Koenig ou le Commandant aviateur Clostermann aux multiples victoires aériennes,
tous les deux d'origine alsacienne, clin d'œil au destin. Il ne reviendra en France, à Paris pour convoyer du matériel de
l'Ecole militaire que fin mars 1945.
Ce n'est qu'en 1947, (après s'être marié) que Bernard Heinimann reprendra contact avec Jean Leharivel et sa
famille, par le truchement de la gendarmerie : brigade de St Jean de Daye.
En effet pour réaliser ces retrouvailles, il n'avait comme repère que :
- le nom des localités du Dézert et du Hommet d'Arthenay
- le descriptif du patron de la ferme
- la présence de plusieurs jeunes filles à la ferme.
Il ignorait le patronyme de celui et de celles qui l'avaient aidé et soutenu sur le front de Normandie en juillet 1944.
Les recherches de la gendarmerie ayant abouti, des échanges épistolaires d'abord puis des visites se sont instaurées de
manière suivie au fil du temps.
Ces liens solidement tissés perdurent de part et d'autre, des membres des 2 familles sont mêmes devenus parrain et
marraine des enfants.
Lors d'événements familiaux, dans la joie comme dans la peine, les deux familles y sont réciproquement représentées.
Ainsi en a t-il été le 29 octobre 2013, lors du décès de Bernard Heinimann à l'âge de 93 ans.
Fait à Dinan, le 16 février 2014
Janine Leprieur née Leharivel
PS: J'ajoute à ce récit cet anecdote supplémentaire:
En septembre 1944, les parents de Bernard Heinimann, reçoivent des autorités militaires allemandes, une lettre officielle
leur faisant part d la disparition de leur fils dans le secteur de Marigny (Manche) le 13 juillet 1944.
Précision: VOTRE FILS, LORS DES COMBATS A FAIT PREUVE D'UN COURAGE HÉROÏQUE,AU SERVICE ET POUR LA VICTOIRE
DU GRAND REICH ET DE NOTRE FÜHRER.

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